Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d

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Université de Lyon
Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
Le Consensus de Washington :
Construction et Reconstruction d'une
Légitimité
BRUYAS Benjamin
Mémoire de Séminaire
Science, Pouvoir et Société
2009 - 2010
Sous la direction de : Daniel Dufourt
Membres du jury : Daniel Dufourt Jacques Michel
Table des matières
Remerciements . .
Introduction . .
Quel Consensus pour Quelle Légitimité ? . .
Le Consensus Néolibéral : une construction médiatique ? . .
La montée en puissance des théories néolibérales . .
Friedman et les média : chronique d'un marketing scientifique réussi . .
Un Consensus scientifique difficile à atteindre . .
Les dix points de Williamson . .
Consensus ou Convergence ? . .
Que change le Consensus ? . .
Avant le Consensus : les Plans d'Ajustement des années 80 . .
Les années 90 : le FMI s'approprie le Consensus . .
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation . .
De 1991 à 1994 : un succès à nuancer . .
Les ingrédients du « Miracle Economique » . .
Le revers de la médaille . .
De 1994 à 1998 : de la crise « Tequila » à une reprise incomplète . .
Une crise sans remise en question de fond . .
Le retour des politiques sociales et les limites du système . .
De 1998 à 2002, ou de la crise systémique à l'abandon du modèle . .
Un Consensus appliqué contre vents et marées . .
De l'aide à l'abandon du Fonds . .
Après le Consensus, de la contestation au choix . .
Quand la crise devient théorique . .
Le Consensus : la crise de la simplification . .
Les institutions : la crise de l'arrogance . .
La fin du Consensus à Washington . .
Les réponses divergentes des institutions . .
La réponse de Williamson : un « Fondamentalisme des Institutions » ? . .
Les années 2000 : le FMI en quête de légitimité . .
Une adaptation très timide . .
Un monde sans Consensus, un monde sans Washington ? . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Revues . .
Ouvrages . .
Rapports et articles Internet . .
Index des abréviations . .
Annexes . .
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Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Remerciements
Je remercie tout d'abord les professeurs qui m'ont aidé à réaliser ce mémoire, Mr Dufourt et Mr
Michel, pour leurs précieux conseils et pour toutes les références qu'ils m'ont fourni.
Je remercie Mr Charbonnier, pour les contacts qu'il m'a fourni en Argentine.
Je remercie également mes proches, qui ont supporté mon humeur fluctuant au gré de la
progression de mon mémoire et n'ont cessé de m'encourager.
Enfin je remercie mes professeurs de Sciences Economiques et Sociales du lycée Claude
Lebois à Saint-Chamond, en particulier Mrs Chalayer et Goudard, qui m'ont appris à aimer les
sciences économiques. Je remercie Baruch Spinoza, dont « L'Ethique » m'a appris à raisonner et
à aimer la raison. Et je remercie une amie à la fois proche et lointaine, qui m'a appris à aimer la
passion.
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Introduction
Introduction
« Les idées, justes ou fausses, des philosophes de l'économie et de la politique ont plus
d'importance qu'on ne le pense en général. A vrai dire le monde est presque exclusivement
mené par elles. Les hommes d'action qui se croient parfaitement affranchis des influences
doctrinales sont d'ordinaire les esclaves de quelque économiste passé. » Cette phrase,
écrite par John Maynard Keynes dans son célèbre ouvrage, la « Théorie générale de
l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie » ( 1936 ), exprime l'immense importance des
productions du champ scientifique, et en particulier du champ des sciences économiques,
dans la détermination des politiques mises en œuvre par les gouvernements. En effet,
l'importance des enjeux de ces politiques fait qu'elles ont besoin, pour être acceptées
largement, de justifications théoriques solides, de façon à ce que les hommes politiques qui
les défendent puissent les présenter non comme un choix partisan, mais comme le fruit du
pur et simple bon sens, ne prêtant pas le flanc à la critique ou à la contestation.
Ce besoin de légitimité scientifique des politiques économiques a rencontré un écho
important chez certains économistes, en particulier les théoriciens de l'économie dite
1
néolibérale ou monétariste , tels que Friedrich Von Hayek ou Milton Friedman pour ne citer
que les plus connus. Ceux ci, s'appuyant beaucoup sur des modèles mathématiques pour
justifier leurs hypothèses, ont en effet porté une volonté de scientifisation des sciences
économiques, cherchant à acquérir une légitimité scientifique équivalente à celle des
sciences dites « dures », par exemple les mathématiques ou la biologie, dans lesquelles
les règles établies sont considérées comme des règles de la nature, intangibles et
incontestables. De telles règles, si elles pouvaient être établies sans l'ombre d'un doute dans
le champ de l'économie, permettraient d'indiquer de manière parfaitement « scientifique »,
et donc incontestable, les politiques économiques à mener, et toute personne s'opposant à
ces dernières ne pourrait le faire que par méconnaissance ou incompréhension de la vérité
scientifiquement établie.
Avant d'étudier cette légitimité scientifique, il s'agit de la définir. Nous entendrons ici par
« légitimité scientifique » un concept proche de celui d'autorité scientifique défini par Pierre
Bourdieu dans « la spécificité du champ scientifique » ( Bourdieu, 1975, extraits disponibles
en annexe ) auquel nous ajouterons une notion extérieure au champ scientifique : celui de
la légitimité politique, c'est-à-dire de la perception positive émise par le champ politique à
propos d'une théorie, qui doit en principe faire écho à l'autorité scientifique de cette dernière.
Si celle-ci dispose d'une autorité absolue, ou tout au moins très large, et est reconnue dans
l'immense majorité du champ scientifique comme incontestable, comme par exemple la
théorie de l'évolution, soutenue par la très grande majorité des scientifiques de la planète,
alors sa légitimité politique doit, a priori, être elle aussi absolue.
De manière générale, les économistes admettent cependant que les théories
économiques ne sauraient permettre la formation de règles absolues, en raison de la grande
1
Nous considérons ici les termes « néolibéral » et « monétariste » comme équivalent en terme de base théorique, correspondant
à une volonté de diminution du rôle de l'Etat dans l'économie au profit des marchés, qui seraient selon ces écoles de pensée plus
efficaces en termes de gestion. Nous introduisons toutefois une nuance entre ces deux termes, la théorie néolibérale représentant
plutôt une simplification, ou une vulgarisation, de la théorie monétariste dans un but politique. En d'autres termes, le néolibéralisme
est le monétarisme adapté au grand public et aux média de masse.
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Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
diversité des situations et des contextes. Néanmoins, une théorie prétendant à une certaine
rigueur scientifique, au sens des sciences « dures », disposerait sans aucun doute d'une
très grande légitimité politique. En d'autres terme, elles se retrouverait rapidement reprise
par la plupart des hommes et femmes politiques, acquérant ainsi une grande légitimité dans
le discours politique, au sein duquel elle serait donc perçue comme à la fois pertinente dans
son principe et juste dans son application. De manière générale on peut estimer que, dans
le champ politique, la légitimité d'une idée vient du fait qu'elle soit répétée par des hommes
et femmes politiques nombreux et de partis différents, de manière à apparaître comme une
opinion non partisane et donc, objective. C'est cette répétition des idées présentées comme
pertinentes qui leur donne une véritable autorité politique, qui doit en théorie être équivalente
à l'autorité dont elles jouissent dans le champ scientifique.
La véritable question que pose l'utilisation des théories économiques pour apporter
une caution scientifique aux politiques et aux réformes des gouvernements est la suivante :
comment les politiciens sélectionnent-ils les théories dont ils se prévalent ? Comment les
économistes eux-même font ils pour que leurs théories soient perçues comme disposant
d'une autorité scientifique par la sphère politique ? Quel lien existe-t-il entre l'autorité
scientifique et la légitimité politique des théories économiques ? En résumé, comment se
forme la légitimité scientifique ?
Le cas du Consensus de Washington constitue un excellent objet d'étude pour apporter
un début de réponse à ces questions. En effet, cet ensemble de dix objectifs économiques
supposés assurer aux pays en développement une croissance forte et une réduction de la
pauvreté, élaboré en 1989 par l'économiste John Williamson, membre de l'Institut Peterson,
( Institute for International Economics ) a véritablement incarné dans la sphère scientifique
comme dans la sphère politique la théorie néo-libérale de l'économie du développement.
Le terme même de « consensus », qui est d'ailleurs contesté à l'origine par certains
économistes, montre bien une volonté d'établir une vérité incontestable car jouissant d'un
assentiment généralisé. Cette idée d'une théorie largement établie comme valide, jouissant
donc d'une autorité scientifique et d'une justesse épistémologique confirmée par ce statut
consensuel, constitue une affirmation de légitimité scientifique qui ne peut que plaire a priori
aux « hommes d'action » dont parlait Keynes. Ceux-ci, et en particulier dans le cadre des
institutions internationales chargées de faciliter le développement économique, adoptent
rapidement les prescriptions de Williamson, et ces dernières sont appliquées dans plusieurs
pays, avec plus ou moins d'enthousiasme de la part des gouvernements concernés.
Le Consensus de Washington dispose donc à l'origine d'une grande légitimité tant du
point de vue scientifique que du point de vue politique. En effet, dans le champ scientifique,
cet ensemble d'hypothèses visant à une croissance forte dans les pays en développement,
et en particulier ceux d'Amérique Latine, jouit dans ses grandes lignes d'un assentiment très
ample, principalement de la part des tenants des théories néo-libérales et monétaristes, qui
y retrouvent nombre d'opinions qu'ils ont eux-même défendu. Par ailleurs la sphère politique
lui apporte rapidement une légitimité importante, principalement au sein du Fonds Monétaire
International et de la Banque Mondiale, qui en firent pratiquement leur doctrine officielle.
Le FMI et la Banque Mondiale, de par leur statut d'institutions internationales
technocratiques et spécialisées dans les questions économiques, jouent un rôle central
dans la légitimation des théories économiques, justifiant certaines en les adoptant, et en
disqualifiant d'autres. La nature technocratique de ces deux institutions, qui comptent de
nombreux économistes de profession, fait d'ailleurs apparaître leurs prises de position
comme justifiées scientifiquement, et ce même si celles-ci sont contestées en leur sein
même par certains de leurs économistes. Quoi qu'il en soit, l'adoption du Consensus de
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Introduction
Washington, en particulier par le FMI, a eu un rôle central dans son application dans de
nombreux pays émergents ou en développement, et ce d'autant plus que le Fonds dispose
de moyens lui permettant de faire mettre en œuvre les politiques qu'il soutient dans les pays
en développement, parfois par la contrainte.
Cependant, cette application a des conséquences pour le moins contestables en
termes de développement. Dans l'immense majorité des cas, les Etats ayant appliqué les
recommandations du FMI, basées sur le Consensus de Washington, connaissent alors une
brève période d'augmentation de la croissance économique et de réduction de l'inflation,
suivie d'une période de crise économique, sociale et politique parfois très grave, voire
catastrophique, qui entraîne dans la quasi-totalité des cas l'abandon pur et simple de la
majorité des réformes inspirées par le Consensus. La théorie a donc montré ses limites
dans la pratique, et perd une bonne partie de sa légitimité scientifique, du fait précisément
de cet échec de l'expérimentation. Dans la plupart des champs scientifiques, si un ensemble
d'hypothèses se révèle incohérent avec l'expérimentation, il est abandonné ou tout au moins
sérieusement remis en question, afin de correspondre aux faits empiriquement vérifiés. Or,
dans le cas du Consensus de Washington, c'est le contraire qui se passe puisque si, suite
aux conséquences négatives de l'application du Consensus, son autorité scientifique est
sérieusement attaquée par de nombreux penseurs, et pas seulement des économistes,
la légitimité politique des mesures inspirées par les idées de Williamson est maintenue
quasiment en l'état par le FMI et les gouvernements des pays développés, soutenus en cela
par les média qui, eux aussi, continuent dans leur grande majorité de défendre des thèses
d'économie du développement qui sont pourtant apparues inefficaces voire nocives.
Le Consensus de Washington est donc un exemple parfait pour étudier le lien, ou
l'absence de lien, entre l'autorité scientifique et la légitimité politique. En effet, alors qu'après
sa formulation, il dispose d'une grande légitimité dans les deux champs, l'échec de son
application fait perdre au Consensus une grande partie de ses fondements scientifiques,
alors que le monde politique, en particulier dans les pays développés, continue de faire
fréquemment référence aux théories dont il s'inspire, et ce malgré des contestations de plus
en plus nombreuses tant dans la sphère publique, c'est-à-dire principalement dans le monde
associatif de ces pays, que dans le champ scientifique.
Une telle étude doit passer par trois étapes, chronologiques, permettant d'étudier, dans
le champ scientifique et dans le champ politique, la formation sociale de la légitimité et les
stratégies visant à cette formation. Tout d'abord, nous verrons comment s'est construite
la légitimité du Consensus de Washington avant son application concrète dans les pays
en développement. Ensuite, nous étudierons cette application même, afin de déterminer
en quoi cette expérimentation des préceptes du Consensus a pu les infirmer. Afin de
simplifier cette étude empirique, nous nous focaliserons sur le cas de l'Argentine. Enfin nous
essaierons de voir quelles ont été les réactions et les stratégies des acteurs, dans les deux
champs étudiés, consécutives à cet échec de l'expérimentation.
Le choix de l'Argentine comme cas d'étude s'explique par le fait que ce pays est celui
qui a appliqué avec le plus de zèle les prescriptions du consensus de Washington, et qu'il
est présenté pendant plusieurs années comme un exemple à suivre par le FMI. En effet, les
pays d'Asie Orientale appliquant le consensus ne l'appliquent en général pas intégralement,
laissant l'Etat gérer de nombreux pans de l'économie, tout comme le font d'autres pays
d'Amérique Latine. Le fait de ne pas prendre pour exemple un pays d'Afrique s'explique
d'abord ainsi : ces pays ont dans les années 1990 une structure économique, politique et
scientifique nettement moins avancée que l'Argentine, et l'étude des conséquences des
politiques inspirées par le Consensus y est donc moins intéressante dans le cadre de ce
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Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
mémoire. Il suffit de se rappeler que, dans ces pays également, ces réformes affaiblissent
bien plus souvent l'économie qu'elles ne la renforcent, comme le montre l'exemple de la
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privatisation du réseau de chemin de fer au Cameroun .
Il faut enfin préciser que ce travail n'est pas un travail d'épistémologie. La problématique
en est avant tout une problématique de sociologie politique, bien que les thèmes de
l'économie du développement seront évidemment très présents tout au long de ce mémoire,
en particulier dans l'étude de cas sur l'Argentine. En effet, il nous apparaît évident qu'il
est impossible de comprendre véritablement les positions et les choix des institutions
internationales telles que le FMI et la Banque Mondiale sans comprendre les mécanismes
de légitimation sociaux et politiques de ces choix par les théories issues de la sphère
scientifique. Or, cette compréhension est d'une importance capitale car, comme le montre
le cas du Consensus de Washington, les positions théoriques adoptées par les institutions
économiques internationales sont susceptibles d'avoir un effet considérable sur la situation
économique, sociale et politique de pays, voire de continents entiers, et d'influencer de
manière décisive la vie de dizaines de millions de personnes. La validité de ces théories et
leur adéquation, tant par rapport à l'expérience empirique que par rapport à la validité au sein
du champ scientifique, constitue donc le meilleur moyen de s'assurer que leur application
ne causera pas plus de mal que de bien.
2
Voir à ce sujet le témoignage d'un usager du chemin de fer camerounais sur http://www.cameroon-info.net/reactions/
@,8549,7,privatisation-du-chemin-de-fer-au-cameroun-l-arbre-n-a-pas-tenu-la-promesse-des-.html ( consulté le 15 août 2010 )
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Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
Quel Consensus pour Quelle
Légitimité ?
Lorsque, en 1989, John Williamson formalise ce qu'il appelle le « Consensus de
Washington », il s'appuie déjà sur des années de domination idéologique des théories
monétaristes et néo-libérales. Ces théories, que l'économiste de l'Institut Peterson luimême définit comme les doctrines défendues par la Société du Mont pèlerin ( Williamson,
2004, p.2 ), se sont en effet imposées à l'époque comme dominantes dans le champ
scientifique comme dans le champ politique. Leur légitimité est alors d'autant plus forte que
leur application dans la pratique tout au long des années 80, plus particulièrement dans les
Etats-Unis de Ronald Reagan et le Royaume-Uni de Margaret Thatcher, semble avoir porté
des résultats prometteurs en terme de réduction de l'inflation et de croissance, malgré des
conséquences sociales souvent très lourdes, comme dans le cas des mineurs britanniques.
En 1989, la chute du Mur de Berlin apparaît comme le triomphe du capitalisme sur les
systèmes d'économie dirigée, ou tout au moins cet événement est il très souvent présenté et
interprété ainsi. Ce triomphe du capitalisme au niveau international correspond au triomphe
idéologique des théories néolibérales, qui peuvent désormais incarner, comme leurs auteurs
y aspirent depuis des décennies, des théories acceptées par tous et appliquées partout,
car représentant la seule véritable compréhension du système capitaliste. Ces théories sont
alors parvenues à un tel niveau de domination dans les champs scientifique et politique des
pays développés qu'elles peuvent prétendre à un statut consensuel, tant leurs opposants
sont marginalisés.
Une telle domination théorique est excessivement rare dans les sciences sociales,
car les certitudes absolues y sont, comme nous l'avons déjà dit, elles-même très rares.
Et, de fait, une étude plus attentive permet de s'apercevoir que l'affirmation d'un véritable
« Consensus » néolibéral, incarné dans celui de Washington, est hautement optimiste. Or,
la légitimité politique de ce dernier s'est construite sur l'affirmation du consensus scientifique
qu'il est censé représenter. Si donc cet accord parfait dans le champ scientifique venait
à manquer, la légitimité scientifique du Consensus de Washington en serait gravement
affaiblie, et ne pourrait donc que difficilement survivre à un quelconque choc de confiance
qui mettrait en évidence ses limites. Pour étudier la véritable force de cette construction
théorique, il convient donc de voir comment sa légitimité s'est créée, en commençant par
une étude de la montée en puissance et de l'édification de la domination des théories
monétaristes et néolibérales que le Consensus de Washington incarne. Ceci fait, il faut voir
en quoi, au moment où il est rédigé et rendu public, ce dernier représente véritablement
dans le champ scientifique un consensus qui peut justifier sa position exceptionnellement
favorable, avant d'analyser la transmission de cette position du champ scientifique au champ
politique.
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Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Le Consensus Néolibéral : une construction
médiatique ?
Lorsque John Williamson crée ce qu'il appelle le « Consensus de Washington », il le définit
lui-même comme « 10 instruments politiques dont l'application réunit un degré raisonnable
3
de consensus à Washington » ( Williamson, 1990, p.1 ). Dans le même texte, il définit
« Washington » comme « d'une part le Washington politique du Congrès et des dirigeants
de l'administration et d'autre part le Washington technocratique des Institutions Financières
Internationales, des agences économiques du Gouvernement, du Bureau des Gouverneurs
4
de la Réserve Fédérale, et des think tanks. » De fait, atteindre un consensus en matière de
politique économique entre ces différentes institutions semble à l'époque particulièrement
facile. En effet, dans chacune de ces institutions, les théories monétaristes et néolibérales
se trouvent alors en position dominante et jouissent d'une autorité scientifique quasiment
indiscutée à l'époque. Cette position dominante est d'autant plus forte que les applications
de ces théories dans les années 80 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni en particulier ont
donné des résultats prometteurs, dont l'aura est encore renforcée par la chute du Mur
de Berlin qui, annonçant la fin du bloc soviétique, semble laisser le monde sans aucune
alternative crédible au néolibéralisme partisan d'un Etat minimal. On trouve d'ailleurs des
preuves de cette domination scientifique et idéologique dans d'autres pays développés
et dans d'autres institutions internationales, en particulier l'Union Européenne, comme le
montre l'article de Fitoussi et Saraceno écrit pour l'Observatoire Français des Conjonctures
Economiques ( Fitoussi et Saraceno, 2004 ).
Cette domination idéologique et scientifique des théories néolibérales, sur laquelle
s'appuie clairement le Consensus de Washington, n'est cependant pas née uniquement
de débats internes au champ scientifique, dont les résultats se seraient ensuite transmis
au champ politique. Au contraire, les stratégies politiques et médiatiques des acteurs
scientifiques défendant ces théories ont joué un rôle important dans leur formulation
même. Bien entendu, toute création théorique en science sociale doit passer par une
certaine exposition médiatique et politique pour être appliquée, et les théories keynesiennes,
dominantes dans les années 50 et 60, n'ont pas dérogé à cette règle. Cependant, il faut
bien considérer l'importance relative des stratégies médiatiques et politiques par rapport
aux débats internes au champ scientifique. En effet, si les premières prennent le pas sur
les deuxièmes, se crée le risque d'un appauvrissement scientifique par une simplification
exagérée, voire même par l'existence de théories créées uniquement pour être acceptables
et compréhensibles à travers les média de masse. Si ce risque se réalise, alors la légitimité
scientifique de telles théories devient très fragile, car elle ne s'appuie pas sur un consensus
réel et solidement étayé dans le champ scientifique. De ce fait, il sera évidemment d'autant
plus difficile de défendre scientifiquement ce consensus en cas de contestation dans les
champs médiatiques et politiques, puisque sa légitimité scientifique se sera construite entres
autres choses grâce à sa légitimité médiatique et politique. Or, une étude poussée de la
construction de la domination des théories néolibérales montre l'importance considérable
des stratégies extérieures au champ scientifique dans cette construction.
3
Traduction de l'auteur du mémoire de la phrase : « 10 policy instruments about whose proper deployment Washington can muster
a reasonable degree of consensus »
4
Traduction de l'auteur de la phrase : « both the political Washington of Congress and senior members of the administration and the
technocratic Washington of the international financial institutions, the economic agencies of the US government, the Federal Reserve
Board, and the think tanks »
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Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
La montée en puissance des théories néolibérales
Les années d'après-guerre représentent pour l'Occident des années de prospérité
économique sans précédent, à tel point qu'elles sont désormais connues sous le nom de
« Trente Glorieuses » en référence au livre du même nom de Jean Fourastié ( 1979 ). Durant
cette période, le champ scientifique des sciences économiques est largement dominé par
les tenants des théories keynesiennes, selon lesquelles l'Etat doit intervenir dans l'économie
afin de soutenir l'activité, principalement en augmentant la demande effective, c'est-àdire la demande attendue par les entrepreneurs, par des politiques de redistribution et
de soutien du pouvoir d'achat des ménages, ainsi que par des politiques industrielles
volontaristes. Le « Welfare State », assurant une certaine protection sociale, garantie par
l'Etat, aux citoyens, est appliqué partout en Occident, selon des modalités diverses mais
sur un fondement théorique relativement homogène. Les tenants des théories classiques
et néoclassiques, considérant, pour schématiser, que le gouvernement doit intervenir dans
l'économie uniquement par le soutien à l'offre, c'est-à-dire aux entrepreneurs, plutôt que
par le soutien à la demande, c'est-à-dire aux ménages, se retrouvent alors marginalisés
et dominés dans le champ scientifique, et ce d'autant plus que l'application de leurs
théories dans les années 30, par la mise en place de politiques de rigueur pour résorber
la crise économique de 1929, s'est soldé par des échecs et des situations sociales et
politiques catastrophiques. C'est donc dans ce contexte particulièrement difficile pour eux
que ce sont construites les oppositions théoriques au consensus keynésien alors dominant,
principalement autour de deux pôles : l'école autrichienne de Friedrich Von Hayek et l'école
de Chicago de Milton Friedman, dont les positions concordent sur de très nombreux points.
L'école autrichienne a eu une très grande influence politique, par exemple à travers la
Société du Mont Pèlerin, créée par Von Hayek dans le but de réunir les penseurs libéraux
de tous horizons, et qui a apporté, selon Williamson, la définition même du néolibéralisme.
Cependant, pour ce qui est de l'influence sur le microcosme qui forme le Washington où
l'économiste dit avoir trouvé son Consensus, l'école de Chicago de Milton Friedman, qui
fut d'ailleurs personnellement membre de la Société du Mont Pèlerin, est beaucoup plus
importante, et c'est donc sur elle que va porter ce chapitre.
Dans un excellent article paru dans le volume 121 d'actes de la Recherche en Sciences
Sociales, Yves Dezalay et Bryant Garth ( 1998 ), expliquent les modalités par lesquelles
les théories économiques de l'école de Chicago sont peu à peu devenues dominantes, tant
dans le champ scientifique que dans les champs politique et médiatique. Tout commence
en 1947, lorsque Friedman arrive à Chicago en tant que professeur d'économie. La
Cowles Commission y possède alors une notoriété grandissante. Créée en 1932 par Alfred
Cowles, cet institut de recherche économique construit cette notoriété sur ses tentatives
de rapprocher la théorie économique et les mathématiques, par l'usage des statistiques
dans l'explication des phénomènes économiques. Cette manière de faire de l'économie,
appelée économétrie, permet de donner une caution scientifique et une apparence de
rigueur mathématique à des théories appartenant au domaine des sciences sociales.
La Cowles Commission l'utilise alors pour justifier les théories keynesiennes, à tel point
d'ailleurs que son Président entre 1955 et 1961, James Tobin, rejoint en 1961 le Council of
Economic Advisers du Président Kennedy, dont l'attachement aux thèses keynesiennes est
bien connu. En 1953, la Commission quitte l'Université de Chicago pour se rendre à Yale,
et Friedman peut alors remodeler le département d'économie autour de ses idées.
Comme le montre l'article de Dezalay et Garth déjà cité ( 1998, p.10 à 12 ), la domination
des théoriciens keynésiens condamne Friedman et ses élèves à une marginalisation
certaine vis-à-vis des centres de pouvoirs politiques, malgré des compétences scientifiques
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Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
reconnues. De ce fait, ils développent un sentiment d'exclusion qui les pousse à s'opposer
de plus en plus violemment à la domination idéologique de leurs adversaires scientifiques.
Cette opposition scientifique rencontre dans les années 60 et 70 des alliés naturels dans
les nouveaux conservateurs, dont Barry Goldwater se fait un temps le porte drapeau avant
sa défaite à l'élection présidentielle états-unienne de 1964. Friedman fait d'ailleurs partie
de ses conseillers, ainsi que de ceux de Richard Nixon. Comme l'expliquent Dezalay et
Garth, « cette stratégie de contre-offensive savante, conduite sous la bannière d'institutions
comme la Hoover, l'American Enterprise Institute, la Heritage Foundation et le Cato Institute,
offre à ces théoriciens dominés l'opportunité tant attendue pour faire enfin reconnaître
publiquement leurs idées » ( op. Cit., p.10 ). Cependant, toujours selon ces deux auteurs,
ces « théoriciens dominés », ne trouvant pas une reconnaissance suffisante dans le champ
académique, la trouvent dans le champ médiatique. Ainsi la Heritage Foundation est-elle
définie par son directeur comme spécialisée dans « le marketing et le packaging de la
pensée universitaire pour une consommation de masse » ( op. Cit., p. 11 ). On voit clairement
dans cette phrase l'introduction d'une logique marchande dans le champ scientifique : il est
question de vendre une théorie économique en la rendant accessible au plus grand nombre.
Cela a pu d'ailleurs porter à des théories reconnues comme non valables par la majorité
des scientifiques, mais connaissant une très grande fortune médiatique, comme le cas de
la courbe de Laffer, donné en exemple dans l'article précité.
L'article de Dezalay et Garth démontre enfin que le succès de l'économétrie dans
les années 50 et 60 a changé de nature dans les années 70, suite à la crise financière.
Alors qu'avant cet événement, l'économétrie est surtout utilisée par les institutions
gouvernementales du « Welfare State » ( p.7 à 8 ), elle trouve désormais un nouveau
champ d'application dans l'économie financière, un domaine riche en données chiffrées et
en pleine expansion ( p.8 à 10 ). Alors que la contre-offensive conservatrice donne une
nouvelle force aux théories néolibérales, la nouvelle utilisation de l'économétrie par des
entreprises privées du monde de la finance favorise un glissement de cette branche de
l'économie vers des employeurs aux intérêts bien différents de ceux de l'Etat. L'économétrie
devient donc rapidement un instrument pour les théoriciens néoclassique, d'autant plus
que l'évolution des années 70 est encore accentuée par la financiarisation de l'économie
des années Reagan. Cette double influence, encore renforcée par le désaveu des théories
keynesiennes suite aux crises économiques des années 70, explique sans aucun doute le
grand succès de l'offensive médiatique des penseurs monétaristes, dont Friedman offre un
exemple véritablement éclatant.
Friedman et les média : chronique d'un marketing scientifique réussi
Utilisant l'influence grandissante de son école de pensée, Milton Friedman réalise dans
les années 70 et 80 une offensive médiatique qui rencontre un très grand succès. Le but
de cette offensive est de réaliser une vulgarisation des thèses monétaristes, dans le but
plus ou moins affiché de permettre la victoire des nouveaux conservateurs dont Ronald
Reagan est le chef de file, but qui est d'ailleurs atteint lors de l'élection présidentielle de 1980.
Bien qu'on ne puisse évidemment pas attribuer la pleine responsabilité de cette victoire
politique à Friedman, l'offensive médiatique de ce dernier y a sans aucun doute contribué,
en vulgarisant les théories économiques sur lesquelles repose le programme du candidat
Reagan.
Cette offensive médiatique est menée de main de maître, sur de nombreux média, et
avec un sens de la communication proprement impressionnant. Ainsi, dans sa croisade
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Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
de vulgarisation scientifique, Friedman fut invité dans de nombreuses émissions très
populaires, comme par exemple le talk-show de Phil Donahue, dans lequel il fut invité
entre autres en 1979 et en 1980, autrement dit deux fois en deux ans, avant l'élection
présidentielle. Dans ces émissions, Friedman apparaît comme un homme sympathique et
expose ses théories en des termes extrêmement simples. Phil Donahue, le présentateur,
5
se permet même de dire, au début de l'émission de 1979 , « l'une des choses merveilleuses
avec vous, c'est que quand vous parlez, je comprends presque toujours ce que vous dites ».
Friedman termine d'ailleurs l'émission par une série de questions posées par des membres
du public, des questions portant sur des sujets aussi divers et pratiques que le salaire
minimum, l'inflation et les écoles privées. Il répond même à une question posée par une
membre du public lui demandant ce qu'il faisait de son argent, avec un sourire, par « ce sont
mes affaires et non les vôtres », déclenchant les rires de l'assistance. Alors qu'il discute avec
le présentateur face à face dans un fauteuil, cette séance de questions et de réponses avec
les spectateurs se passe de manière beaucoup plus décontractée. En effet, en plus de se
permettre certains traits d'esprit, Friedman s'assoit sur le bord de l'estrade qu'il partage dans
la première partie de l'émission avec Donahue, de façon à être plus proche du public, non
seulement physiquement mais aussi et surtout par son attitude, ses grandes compétences
de débatteur lui permettant de répondre de manière intelligente et raisonnable à chacune
des questions qui lui sont posées. Le résultat en termes d'image de la théorie monétariste
auprès du grand public est évidemment très positif. Mais le véritable chef-d'oeuvre de
Friedman dans son offensive médiatique est sans aucun doute sa propre série télévisée,
« free to choose », inspirée de son livre éponyme, paru en 1980.
Cette série de dix « volumes », c'est-à-dire épisodes, durant chacun un peu moins d'une
6
heure, que l'on peut trouver dans son intégralité sur Internet sur le site IdeaChannel.tv est
une excellente introduction à la pensée monétariste et néolibérale. Dès le premier épisode,
nommé « le pouvoir du marché », Friedman reprend, en les simplifiant à l'extrême, les
principaux postulats de la théorie libérale. Il cite ainsi Adam Smith en parlant de la « main
invisible » et de la « magie du système des prix », sans évoquer bien entendu les positions
plus critiques qu'avaient Smith vis-à-vis de l'appât du gain dans sa « théorie des sentiments
moraux » ( Smith, 1759 ). Friedman donne deux exemples idéaux de marchés libres : le
premier est celui des Etats-Unis du début du XIXème siècle, dans lequel le gouvernement
n'intervient dans l'économie que de manière marginale, et le second est celui du Honk-Kong
de 1980, avec ses droits du travail inexistants. Il assure que l'extraordinaire développement
économique des Etats-Unis au XIXème siècle est précisément dû à l'absence originelle de
règlements contraignants l'action du marché. Selon lui, cette absence de régulation a permis
à de nouveaux travailleurs, souvent immigrés, de travailler, même si c'était pour des salaires
extrêmement bas et dans des conditions de travail très dures. Cette possibilité qui leur était
offerte leur permettait, à terme, d'améliorer leur niveau de vie et d'assurer à l'économie
états-unienne sa grande prospérité, synonyme d'accroissement de la richesse pour tous. Il
utilise également l'exemple d'un crayon à papier, produit grâce au travail de centaines de
producteurs habitant dans des pays éloignés les uns des autres et ne se connaissant pas.
Ce crayon à papier est selon lui le symbole de la façon dont le marché peut apporter la paix
et l'harmonie entre les peuples. Il conclut la première partie de cet épisode en expliquant
que, même si le fonctionnement du marché semble chaotique, il est en fait extrêmement
organisé, et ce grâce à la « main invisible » qui s'incarne dans le système des prix. Comme
5
L'enregistrement de l'émission est disponible intégralement sur Youtube, en 5 parties, à l'adresse suivante :http://
www.youtube.com/watch?v=E1lWk4TCe4U
6
Les dix volumes sont disponibles à l'adresse suivante :http://www.ideachannel.tv/
BRUYAS Benjamin_2010
13
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
tous les autres épisodes de cette série, celui ci se termine par un débat entre Friedman et
des adversaires lui permettant de présenter ses idées. Ainsi peut-il répondre à une question
7
posée par un membre du « Democratic Socialist Organising Comitee » qu'il n'est pas un
anarchiste et qu'il admet que le gouvernement est nécessaire pour fournir un cadre aux
activités des individus.
Cette excellente introduction à la pensée néolibérale est critiquable d'un point de vue
scientifique sur de nombreux éléments. Par exemple, Friedman sous-entend de manière
assez claire dans le premier épisode qu'aucune découverte ou invention majeure n'a été
réalisée par la volonté d'une bureaucratie quelconque, ce qui est totalement faux, à moins
de considérer l'écriture, inventée pour répondre aux besoins de l'administration sumérienne
( Cameron et Neal, 2003 ), comme une invention mineure. Dans un autre exemple, donné au
début du second épisode, l'auteur monétariste néglige purement et simplement une vérité
historique, en disant que le Japon du XIXème siècle s'est ouvert au libre-échange de par
la volonté de ses élites, en 1868. Or le fait est que cette ouverture fut contrainte et forcée
et advint beaucoup plus tôt, en 1853, lorsque le Commodore états-unien Matthew Perry
8
l'imposa par la force en plaçant ses canonnières dans la baie de Tokyo . Par ailleurs, le
Japon ne constitue sans aucun doute pas un bon exemple de marché libre de l'ingérence
du gouvernement, puisque ce dernier fut toujours très présent dans l'économie, que ce soit
pendant le XIXème siècle ou à l'époque du « miracle économique japonais », durant lequel
le célèbre Ministry of International Trade and Industry ( MITI ) disposait d'un poids plus que
considérable. Il serait possible de trouver de nombreux autres exemples d'inexactitudes
et de simplifications parfois grossières, mais de tels problèmes peuvent être considérés
comme compréhensibles dans une tentative de vulgarisation scientifique, bien que ce ne
soit pas notre opinion. En effet, les deux exemples précités montrent bien que Friedman
opère parfois une simplification importante pour présenter ses idées, qui pourtant sont
suffisamment riches pour n'en avoir pas besoin. La vulgarisation réalisée par cet auteur, tout
comme la plupart des vulgarisations effectuées par les scientifiques néolibéraux de cette
époque, s'accompagne donc d'un certain appauvrissement scientifique, très dommageable
en termes de légitimité. Par ailleurs, il est également possible de reprocher à Friedman
un certain populisme lors de certaines scènes, par exemple lorsqu'il rappelle les origines
sociales modestes de sa mère, au début du premier épisode, ou lorsqu'il parle à un jeune
enfant Noir en uniforme de son école, au début du sixième épisode, école qui a d'ailleurs
été construite dans le quartier pauvre du Bronx grâce à l'aide d'un fonds privé. Mais ni
les simplifications scientifiques ni l'omniprésence de Friedman, qui se met en scène en
permanence dans cette série, ne sont le problème le plus grave posé par cette démarche.
Le véritable problème illustré par l'émission « Free to Choose », d'un point de vue
démocratique, est le simple fait qu'elle n'ait tout simplement aucun équivalent keynésien ou
néokeynésien à l'époque. Les économistes de ces courants de pensée, se retrouvant sur la
défensive suite aux crises économiques des années 70, ne disposent alors d'aucune tribune
médiatique équivalente en termes de contact avec les classes populaires. Or ce contact est
crucial dans la construction d'une légitimité politique, puisque, lors des élections, ce sont
ces même couches populaires de la société qui représentent la majorité de l'électorat.
7
Connaissant le préjugé extrêmement négatif qu'ont les états-uniens vis-à-vis de tout ce qui répond à l'adjectif « socialiste »,
il est facile de comprendre l'avantage médiatique qu'il y a pour Friedman à s'opposer à ce débatteur en particulier.
8
Toutefois, bien que cette ouverture ait été forcée, les élites japonaises y ont rapidement adhéré, comprenant l'intérêt qu'il
y avait à moderniser le pays. Deux reproches peuvent être faits à Frideman dans ce cas précis : ne pas avoir parlé de l'opération
du Commodore Perry, et avoir présenté le Japon comme un exemple de libre-échange et de désengagement de l'Etat, deux idées
éminemment contestables.
14
BRUYAS Benjamin_2010
Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
Il apparaît donc que la construction des légitimités scientifiques et politiques des
théories néolibérales doit beaucoup à des stratégies médiatiques ayant parfois porté à une
vulgarisation douteuse, voire à un appauvrissement scientifique. Néanmoins, l'efficacité de
ces stratégies est incontestable, et c'est donc de bon droit que Williamson peut estimer
trouver en 1989 un large consensus autour des idées néolibérales dans les grandes
institutions de Washington. En revanche, l'existence d'un consensus autour des mesures
qu'il préconise en économie du développement est beaucoup plus contestable dès lors que
l'on étudie dans les détails ces dix mesures.
Un Consensus scientifique difficile à atteindre
C'est donc en 1989 que Williamson élabore le Consensus de Washington, qu'il explicite
dans le second chapitre du livre « Latin American Adjustment : How Much Has
Happened ? » (Williamson (éd.), 1990), dans le but de donner une formulation explicite
définitive aux types de politiques économiques permettant aux pays en développement
de connaître une accélération de leur processus de rattrapage économique des pays
développés. Ces types de politiques, défendues par le « Washington » dont parle
Williamson, sont évidemment inspirées des opinions et des théories dont l'auteur pense
qu'elles jouissent d'un assentiment généralisé de la part des membres de cet ensemble
d'institutions. D'ailleurs, une lecture attentive du texte dans lequel il définit sa théorie montre
que celle-ci repose avant tout sur le consensus qu'elle est censée incarner. Par exemple, la
première phrase du point portant sur les déficits fiscaux est tout simplement : « Washington
9
croie en la discipline fiscale » ( Williamson, 1990, p.2 ). La référence à ce Washington
des institutions, de la politique et des thinks tanks est constante tout au long du texte, et
la question qui se pose dès lors est : comment Williamson peut-il s'exprimer avec certitude
sur les opinions d'un ensemble aussi vaste et hétérogène que celui qu'il décrit ? Même s'il
semble bien qu'il y ait eu à cette époque un large accord de ce « Washington » autour
des thèses monétaristes et néolibérales, il paraît difficile de penser que cet accord ait
pu être réellement général. Par ailleurs, les instruments que Williamson propose pour le
développement économique sont très précis, de telle sorte qu'un consensus réel semble
impossible.
De fait, comme Williamson le reconnaît lui-même, le terme de « consensus » apparaît
rapidement comme exagérément optimiste, même au sein du microcosme décrit par
l'économiste. Cela pose évidemment un problème majeur en terme de légitimité politique,
puisque, si ce consensus auto-proclamé ne reflète pas un consensus réel et confirmé par
l'ensemble des acteurs concernés, son adoption à l'extérieur de Washington est basée
sur un mensonge. En effet, l'idée que les mesures et réformes économiques listées par
Williamson représentent alors un véritable consensus est leur principal valeur d'exportation
ou, en d'autres termes, le principal élément leur permettant d'obtenir une caution scientifique
et politique forte pouvant justifier leur adoption effective par les pays en développement. Il
est donc très important d'étudier en détail le contenu de cet ensemble de mesures qui se
veut formulation d'une opinion consensuelle.
Les dix points de Williamson
9
Traduction de l'auteur du mémoire de la phrase : « Washington believes in fiscal discipline »
BRUYAS Benjamin_2010
15
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Dans son texte « What Washington Means By Policy Reform » ( Williamson, 1990 ),
Williamson explique en détail en quoi consistent les réformes qui constituent le Consensus
de Washington. Cette liste de dix instruments sensés permettre aux pays en développement
d'Amérique Latine de se développer économiquement et de se sortir enfin des difficultés
consécutives à la crise de la Dette des années 1980 est très influencée par le contexte dans
lequel elle a été écrite, ce qui était d'ailleurs son objectif. Cet objectif est d'ailleurs lui-même
dicté par le contexte, comme l'explique Williamson.
Dans son article « A Short History of the Washington Consensus » ( Williamson, 2004 ),
John Williamson explique pourquoi et comment fut forgé ce Consensus. Au printemps
1989, l'économiste de l'Institut Peterson doit argumenter devant un comité du Congrès
des Etats-Unis en faveur du Plan Brady, un plan préparé par le Secrétaire du Trésor
du Président Bush, nouvellement élu, dont le but est de réduire la dette des pays en
développement, par un allongement des durées de remboursement, plan qui fut plus ou
moins imposé aux banques états-uniennes ( Vàsquez, 1996 ). Williamson cherche devant
ce comité à démontrer le bien-fondé d'une politique de réduction de la dette des pays
d'Amérique Latine, ceux-ci ayant, selon lui, mis en place des réformes en termes de
politiques économiques en suivant les conseils exprimés dans le livre « Toward Renewed
Economic Growth in Latin America » (Balassa et al., 1986). Ces réformes, toujours selon
lui, correspondent à ce dont ces pays ont besoin pour résoudre la crise de la dette et
connaître une période de prospérité économique leur permettant de rattraper leur retard
économique. Plus encore, elles correspondent précisément à ce que Washington, au sens
du Washington technocratique et politique, conseille d'adopter depuis des années. Enfin, il
s'agit des réformes qui emportent le consensus au sein du champ scientifique, dans lequel
les théories néolibérales et monétaristes disposent d'une position dominante grâce aux
stratégies évoquées au chapitre précédent.
Cependant, Williamson rapporte que les membres de la Commission ne le croient
pas lorsqu'il explique cette évolution des pays d'Amérique Latine. Quelques semaines plus
tard, l'auteur donne une conférence à l'Institute for Development Studies en Angleterre,
où il développe cette idée d'une évolution positive, au sens de Washington, des politiques
économiques des gouvernements de ces pays. L'économiste hétérodoxe Hans Singer lui
demande alors d'expliciter quelles sont selon lui ces politiques positives que l'Amérique
Latine aurait adopté au cours des années précédentes. Williamson comprend l'importance
d'une explication claire et précise et écrit « What Washington means by policy reform », qui,
avant de servir de second chapitre à l'ouvrage déjà cité « Latin American Adjustment : How
Much Has Happened ? » ( op. Cit. ), est envoyé aux dix auteurs devant écrire des études
de cas de pays pour la conférence du même nom. Le but de ce texte est de donner des
références communes pour ces études de cas.
Les dix points qui forment le Consensus de Washington sont donc censés exprimer tout
à la fois des politiques économiques adoptées récemment par les pays d'Amérique Latine
et des concepts théoriques acceptés comme valables en économie du développement
au sein du microcosme de la capitale des Etats-Unis. On y trouve certains éléments
traditionnels des théories classiques, néoclassiques et monétaristes, tels que la discipline
fiscale, c'est-à-dire des déficits fiscaux au moins réduits, au mieux inexistants ( Williamson,
1990, p. 2 et 3 ); la réorientation des priorités de dépenses publiques vers des activités
profitables économiquement ( op. Cit., p. 3 et 4 ); une réforme fiscale basée sur une assiette
large et un taux d'imposition marginal modéré ( p.4 ), autrement dit un élargissement des
revenus imposables et une diminution de la progressivité de l'impôt, ce qui ne peut qu'être
favorable aux couches les plus aisées de la population ; la libéralisation du commerce et
16
BRUYAS Benjamin_2010
Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
des investissements directs de l'étranger ( p.5 et 6); et la dérégulation des marchés, que ce
soit dans le domaine du contrôle des prix, de l'établissement de nouvelles entreprises ou du
plafonnement du nombre d'employés à licencier, par exemple ( p.6 et 7). Il y a également
un instrument plus récent, à savoir la privatisation d'entreprises étatiques ( p. 6 ), d'abord
car, selon la théorie néolibérale, les entreprises privées sont toujours mieux gérées que les
entreprises publiques, et ensuite dans un but purement pragmatique, à savoir la rentrée
immédiate de liquidité que représente pour le gouvernement la vente d'une entreprise au
secteur privé. On y trouve également des points moins marqués idéologiquement, tels que
la libéralisation des taux d'intérêt, qui doivent, selon l'auteur, cependant rester positifs et
modérés pour permettre une allocation optimale des ressources ( p.4 ); et l'établissement
d'un taux de change compétitif, c'est-à-dire assurant un avantage en terme de compétitivitéprix aux produits nationaux ( p. 5 ), bien que, sur ce point précis, Williamson ne donne guère
de précisions sur les critères permettant de dire qu'un taux de change est compétitif ou pas.
Enfin, le dernier point évoqué par l'économiste de l'Institut Peterson porte sur la garantie des
droits de propriété, un élément reconnu depuis toujours comme la base même du système
capitaliste ( p.7 ).
L'ensemble est donc marqué par une forte appartenance aux théories dominantes,
et la logique qui sous-tend la plupart des éléments du Consensus est une logique
monétariste. L'intervention de l'Etat dans l'économie y est généralement considérée comme
négative, comme le prouvent les appels au désengagement de l'Etat, que ce soit par des
dérégulations diverses ou par la privatisation. Par ailleurs, l'idée générale de la réforme
fiscale proposée par Williamson est, en diminuant les taux d'imposition marginaux, de
diminuer la progressivité de l'impôt, de façon à ce que les plus aisés ne paient pas une
part de leurs revenus beaucoup plus élevée que celle que paient les plus modestes.
Cela aurait pour but de créer une incitation à l'accumulation de richesse, au travail et à
l'investissement, puisque les revenus supplémentaires seraient taxés plus faiblement, tout
en augmentant l'attractivité des pays concernés pour les investisseurs étrangers. Enfin les
appels à la discipline fiscale et à la réorientation des dépenses publiques vers les activités
économiquement productives sont des héritages de la théorie néoclassique.
Cependant, le risque de s'appuyer entièrement sur les théories d'un seul courant de
pensée expose à une fin prématurée le terme de « consensus ». Williamson nuance donc
certains de ses points en y ajoutant des références à Keynes, ou plus précisément aux
théories des néokeynésiens, qui, dans les années 80, se rapprochent idéologiquement
des théories dominantes. Par exemple, lorsqu'il parle des déficits publics, il explique qu'il
existe des « différences de vue » en ce qui concerne l'idée d'un budget équilibré ( p.2 ).
Ainsi, un budget équilibré peut être déficitaire, selon certains, si cela ne débouche pas sur
une augmentation du ratio dette publique/Produit National Brut. Par ailleurs il écrit que,
selon un point de vue qu'il partage, une augmentation à court terme de la dette publique,
qui soit rapidement remboursée, peut être encouragée si elle participe à la stabilisation
macroéconomique. On trouve un autre exemple de tentative d'inclusion des néokeynésiens
dans le Consensus dans le point sur la réallocation des dépenses publiques, qui constitue
une nuance importante de la théorie monétariste. Si, selon Williamson, Washington
considère comme très négatives les subventions d'Etat aux entreprises nationales, car elles
provoquent une mauvaise allocation des ressources, les dépenses de santé et d'éducation,
de même que les investissements productifs dans les industries d'Etat ( même s'il juge
préférable que celles-ci soient privatisées ) sont souhaitables, car ils bénéficient aux
segments les plus modestes des sociétés concernées ( p. 3 et 4 ). C'est donc dans le sens
de leur augmentation que doit porter une réallocation des dépenses publiques.
BRUYAS Benjamin_2010
17
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Ces concessions au keynésianisme, ou plutôt au néokeynésianisme, restent cependant
modestes, bien que l'auteur cherche à se présenter comme influencé par Keynes. Ainsi,
on trouve dans le dernier paragraphe du texte l'idée que ses idées s'inspirent des théories
économiques classiques, « tout au moins si l'on peut compter Keynes parmi les classiques
10
désormais » ( p.8 ). Au delà du contresens grossier en terme d'histoire des idées
économiques, il faut noter qu'à la fin du premier paragraphe du point sur les déficits
publics, apparaît une phrase pour le moins révélatrice : « les défenseurs de gauche d'une
stimulation « keynésienne » par des déficits publics importants sont presque une espèce
11
éteinte. » ( p.2 ) Ce type de stimulation est celle proposée par Keynes lui-même dans sa
« Théorie Générale », dans laquelle il conseille aux Etats de lancer des grands travaux, pas
nécessairement profitables économiquement de manière directe, afin de créer de l'activité
et de relancer l'économie en relançant la demande. Williamson est donc bien loin de Keynes
et ne défend des idées de redistribution que dans un but d'aide aux couches modestes
de la population. On retrouve ici une volonté d'aumône aux plus démunis qui rappelle
Friedman parlant d'une école construite dans le Bronx grâce à l'aide d'une fondation privée.
Ici, cette redistribution est permise par la prospérité économique, mais n'en est en aucun
cas la condition comme elle l'était pour Keynes. Quoi qu'il en soit, la volonté de l'auteur est
clairement d'inclure dans le Consensus les penseurs néokeynésiens, qui sont eux-même
à l'époque relativement éloignés de l'économiste anglais dont ils se réclament. Quand il
élabore le Consensus de Washington, il croit sans aucun doute à ce qu'il écrit. Cependant,
cette honnêteté ne change rien au fait que cette modeste inclusion de références à la
redistribution permet d'inclure dans le Consensus les néokeynésiens, ce qui est habile
stratégiquement puisque leur importance dans le champ scientifique est encore relativement
grande à ce moment précis. Par ailleurs, ces concessions ne permettent pas de cacher le
grand manquement des dix points : la question de l'équité sociale. Ici, seules les variables
économiques sont explicitement prises en compte, ce qui est l'un des défauts bien connus
de la théorie néolibérale, celle-ci se réclamant d'une « économie pure », séparée des autres
domaines de la connaissance humaine qui ne sauraient l'influencer. Cette absence de
considérations sociales ou politiques ne peut d'ailleurs que se retrouver dans la pratique,
lorsque ces considérations viennent évidemment interférer avec les modèles économiques
purs.
Williamson termine son texte par une remarque importante : si « Washington » défend
effectivement l'adoption de ces instruments économiques par les pays d'Amérique Latine,
il peut lui arriver de ne pas les appliquer en son propre pays. En effet, comme l'économiste
le reconnaît lui-même, ce texte est publié peu de temps après une affaire de corruption de
grande ampleur au Département du Logement et du Développement Urbain ( Wikipedia,
12
2010 ), ce qui prouve que la corruption existe aussi à Washington, et dans des proportions
considérables. Williamson donne également d'autres exemples de mauvaises conduite du
gouvernement états-unien au regard du Consensus, par exemple dans le cas du taux de
change surévalué, et donc non compétitif. L'auteur explique cependant que cela n'affecte
en rien la justesse des instruments qu'il défend, puisque ceux ci ne correspondent pas à
une volonté de donner des leçons de morale, mais à une volonté, quelque peu paternaliste,
d'aider les pays d'Amérique Latine. Ici, il se montre pour le moins optimiste, en particulier
lorsqu'il écrit que « la croyance générale est que [les intérêts de Washington] sont mieux
10
11
Traduction de la phrase : « at least if one is allowed to count Keynes as a classic by now »
Traduction de la phrase : « Left-wing believers in « keynesian » stimulation via large budget deficit are almost an extinct
species »
12
18
Dans l'article en anglais, disponible à l'adresse suivante :http://en.wikipedia.org/wiki/Reagan_administration_scandals
BRUYAS Benjamin_2010
Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
13
servis par la prospérité de l'Amérique Latine » ( p.2 ). Enfin, il se montre au mieux naïf
lorsqu'il affirme que, parmi les intérêts des Etats-Unis dans cette région du monde, se
trouvent la promotion de la Démocratie et des Droits de l'Homme. Sans parler des nombreux
soutiens aux dictatures sud-américaine, telles que celle de Pinochet au Chili ou celle de
la junte militaire en Argentine, qui ont été renversées lorsque le Consensus est forgé,
il est intéressant de noter que Williamson occulte le soutien financier important apporté
par les Etats-Unis au mouvement des Contras, un mouvement révolutionnaire s'opposant
au Président nicaraguayen Daniel Ortega, élu démocratiquement au terme d'une élection
effectuée sous la surveillance de nombreux observateurs internationaux. Il est difficile de
voir ici une noble défense de la Démocratie et des Droits de l'Homme. De fait, l'auteur peint
du Washington dont il parle et se réclame une véritable image d'Epinal, de telle sorte que
le Consensus de Washington apparaît dès l'origine comme très orienté, non seulement
en faveur de la théorie économique orthodoxe, mais également en faveur des Etats-Unis,
comme le montre d'ailleurs son titre même, qui lui apporte l'une des rares critiques qu'il
reçoit dans son propre camp idéologique.
Consensus ou Convergence ?
Dans son texte déjà cité, « A Short History of the Washington Consensus » (Williamson,
2004), Williamson décrit quelles ont les été les premières réactions scientifiques à sa
thèse du Consensus de Washington. Ces premières réactions proviennent d'ailleurs
principalement des trois économistes auxquels l'auteur avait demandé leur avis sur son
texte. De fait, l'avantage qu'il tire de ce choix est que, dans ce paragraphe sur les « premières
réactions », il présente d'abord des réactions internes au microcosme de Washington
qu'il décrit. Cela est d'ailleurs tout à fait logique par rapport à sa démarche scientifique :
après tout, il ne cherche là qu'à démontrer que le Consensus qu'il vient d'expliciter en
est véritablement un au sein de champ qu'il a choisi et dans lequel, selon lui, règne ce
consensus.
De fait, les trois économistes en question sont parfaitement intégrés à ce champ
si particulier qu'est le Washington politique et technocratique dont parle Williamson. Le
premier, Richard Feinberg, est alors membre du « Overseas Development Council », un
think tank basé à Washington. Le second, Stanley Fischer, est Chief Economist de la Banque
Mondiale. Enfin, Allan Meltzer est professeur à l'Université Carnegie-Mellon de Pittsburgh,
en Pennsylvanie. Williamson choisit ces trois auteurs pour réagir à ses thèses car ils sont,
14
selon lui, « de l'autre côté du spectre politique » ( Williamson, 2004, p.4 ), qui n'est de toute
évidence pas très large. Toutefois ces auteurs sont effectivement considérés comme tout au
moins néokeynésiens, et peuvent donc apporter l'avis, en quelque sorte, « d'opposants » à
Williamson, malgré leur appartenance évidente au Consensus de Washington. En d'autres
termes, si consensus il y a au sein du Washington de l'auteur, ces trois économistes peuvent
l'illustrer parfaitement, bien mieux d'ailleurs que ne le feraient des critiques venant de
l'extérieur de ce champ.
Les critiques qu'ils adressent ne sont d'ailleurs guère virulentes. Fischer critique
l'existence de certains points non traités dans le texte de Williamson, tels que
l'environnement, les dépenses militaires, etc. Meltzer critique principalement les questions
des taux d'intérêts et du taux de change compétitif, ce que l'auteur reconnaît d'ailleurs dans
13
14
Traduction de la phrase : « the general belief is that these are best furthered by prosperity in the Latin countries. »
Traduction de l'expression : « other side of the political spectrum »
BRUYAS Benjamin_2010
19
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
son texte comme étant les deux points à propos desquels il avait surestimé le consensus
existant à Washington ( op. Cit., p.4 ). Ces deux critiques ne sont toutefois pas réellement
substantielles et ne remettent en cause ni la légitimité de la démarche de Williamson, ni
la justesse de son raisonnement global. Ils se réjouissent d'ailleurs de cette démarche, qui
prouve la victoire de la sagesse au sein du capitalisme contemporain, victoire qui s'exprime
d'abord dans l'acceptation des « faits » qu'il n'y a plus désormais « deux paradigmes
15
concurrents en économie du développement » et que l'interventionnisme étatique est une
erreur.
Une critique peut-être plus intéressante dans notre travail est apportée par Feinberg.
Celui ci critique en effet, non la substance du Consensus mais son titre même, en
argumentant que, si l'accord dont jouissent réellement ces propositions est loin du
consensus, il s'étend bien au-delà de Washington. Il propose ainsi de remplacer le terme
« Consensus de Washington » par « Convergence Universelle » ( op. Cit., p.4 ). Williamson
reconnaît d'ailleurs dans son texte de 2004 qu'il était en accord avec cette analyse, mais qu'il
16
était « trop tard pour changer la terminologie » ( même page ). Si le titre de « Convergence
Universelle » reste prétentieux, il faut cependant reconnaître que celui de Consensus de
Washington ne pouvait qu'attiser les oppositions, tant il paraît, et est, lié avec les sphères
du pouvoir états-uniennes.
Williamson évoque enfin une autre critique apportée à sa théorie par un Coréen durant
une conférence à Madison. Ce dernier estime que cette théorie n'est pas une théorie du
développement confirmée par les faits, puisque les pays d'Asie Orientale, en particulier
la Corée et Taïwan, n'adoptent nullement des politiques de laissez-faire économique mais
connaissent un développement rapide ( op. Cit., p.5 ). L'économiste de Washington répond
alors qu'il n'y a aucune raison de penser que la réussite économique de ces pays soit
explicable par leur éloignement des thèses néolibérales. Il ajoute que deux autres pays
d'Asie Orientale ont connu dans les années précédentes des croissances économiques
comparables, tout en suivant des politiques de laissez-faire importantes, en particulier dans
le cas de Honk-Kong. Il préfère donc se concentrer sur les points communs de ces Etats,
comme par exemple la prudence en matière fiscale et un taux de change compétitif. Il ne
répond cependant pas réellement à la question, et occulte le fait que les deux autres pays
dont il parle, Hong-Kong et Singapour, sont en fait des cités-états beaucoup moins peuplées
que Taïwan et la Corée du Sud, et que la structure de leurs économies est totalement
différente. En cherchant une fois de plus à se concentrer sur le commun au détriment du
particulier, il défend l'idée, qui est à la base du Consensus de Washington, qu'il existe des
mesures de politiques économiques qui ne peuvent qu'avoir des retombées positives pour
les pays en développement qui les appliquent, et ce quel que soit leur situation ou le contexte
international. Ce faisant, il se détache de l'objectif fondateur du Consensus, qui est censé
ne s'appliquer qu'en Amérique Latine, mais se rapproche des volontés universalistes des
néolibéraux.
Quoi qu'il en soit, le Consensus de Washington, tel qu'il est présenté par son auteur,
peut légitimement être appelé « Consensus », tout au moins dans ses grandes lignes et
uniquement dans les limites étroites que lui a dessiné son auteur, à savoir le Washington
technocratique et politique. Par ailleurs, il s'appuie clairement sur les principales thèses de
l'école de pensée néolibérale et monétariste, alors largement dominantes, ce qui renforce
encore son caractère apparemment consensuel.
15
16
20
« There are no longer two competing economic development paradigm »
« too late to change the terminology »
BRUYAS Benjamin_2010
Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
Que change le Consensus ?
Le Consensus de Washington une fois finalisé, il reste encore à en tester l'efficacité et
plus encore l'utilité. En effet, si, comme Williamson le dit lui-même, cet ensemble de
mesures n'est que l'expression formalisée d'un consensus préexistant, quelle est donc son
utilité pratique ? Son utilité théorique est incontestable, car il permet de donner un cadre
« scientifique » à des réformes et à des mesures prises auparavant. Cependant, si les
politiques défendues par le Consensus sont déjà appliquées lorsque celui-ci est écrit, il ne
s'agit dès lors que d'une œuvre appartenant au champ scientifique et ne pouvant trouver
son utilité qu'au sein de ce champ. Au contraire, le Consensus devient rapidement une
référence, cité tant par les défenseurs des politiques économiques d'inspiration néolibérales
que par leurs opposants. Il serait possible de n'y voir qu'une attirance pour une explication
simple et claire de la victoire du capitalisme sur les pays à économie dirigée, dont
l'effondrement est en cours en 1989. Ici, le titre même de la création de Williamson attire
l'œil, puisque celui-ci contient le nom de la capitale de la superpuissance dominante, qui
vient de remporter une victoire écrasante sur son adversaire. Par ailleurs, la volonté de
scientificiser, au sens des sciences dites « dures », les sciences économiques en les dotant
d'axiomes vérifiables dans tous les cas d'expérimentation, s'incarne parfaitement dans ce
phénomène d'adoption du Consensus de Washington par les élites des pays développés.
Cependant, le Consensus n'a pas servi uniquement d'expression d'une réalité
préexistante en termes de politiques économiques. Il a aussi contribué à transformer cette
réalité, parfois d'une façon qui n'était nullement prévue ou même voulue par Williamson.
Les changements apportés par le Consensus de Washington se constatent en particulier
en ce qui concerne les plans d'ajustement structurels du Fonds Monétaire International et
leur évolution entre les années 80 et les années 90.
Avant le Consensus : les Plans d'Ajustement des années 80
Un plan d'ajustement structurel, structural adjustment program en anglais, est un ensemble
de politiques économiques exigées par le FMI et la Banque Mondiale comme condition à
l'octroi d'un prêt à un pays en développement. Ces plans sont donc le moyen le plus simple
et le plus efficace dont disposent ces deux institutions pour promouvoir leurs vues auprès
des pays en situation de crise économique. Les gouvernements de ces pays, estimant
impossible de sortir d'une crise autrement que par l'apport de devises que représentent
les prêts de ces institutions, doivent donc accepter ces conditions et appliquer les plans
d'ajustement structurels, bien qu'ils puissent avoir à cette application des intérêts en termes
de politiques intérieures, par exemple pour se décharger de toute responsabilité dans la
mise en place de politiques impopulaires ( Przeworski et Vreeland, 2000, p.391 ).
Les premiers programmes d'ajustement structurels ont lieu au début des années 80,
durant la Crise de la Dette des pays en développement. Ceux-ci ont emprunté des sommes
d'argent colossales aux banques des pays développés dans les années 70 pour financer
leur industrialisation et se prémunir des effets de la crise pétrolière de 1973. Les banques
commerciales occidentales ayant ainsi trouvé un usage aux importantes réserves de
pétrodollars dont elles disposent, elles décident d'accorder ces prêts. Ceux-ci s'accumulant
à une vitesse alarmante, l'incapacité de nombreux pays en développement de rembourser
leurs prêts devient manifeste au début des années 80, causant ainsi une crise de confiance
de grande ampleur et une phénomène soudain de répulsion des investisseurs vis-à-vis des
pays endettés. Ceux-ci se retrouvent donc dans une situation apparemment inextricable,
BRUYAS Benjamin_2010
21
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
dans laquelle ils doivent rembourser des prêts d'une valeur extrêmement importante alors
même qu'ils affrontent une crise de liquidité. C'est ce genre de situation qui les pousse à
se tourner vers le FMI.
Celui-ci, suite à la fin brutale au début des années 70, du système de Bretton Woods,
basé sur la parité fixe du dollar états-unien avec l'or, se cherche alors un nouveau rôle au
sein de l'architecture financière internationale. La Crise de la Dette offre aux technocrates
de cette institution, dominés dans le champ politique de Washington ( Dezalay et Garth,
1998, p.12 et 14 ), l'opportunité de prendre une place centrale dans le développement
économique des pays pauvres. Dans la mesure où ces technocrates sont alors dans leur
grande majorité acquis aux thèses néolibérales, les plans d'ajustement structurels sont dès
le commencement influencés par ces thèses, comme le montre l'exemple des Philippines
en 1981.
Dans leur article « Structural Adjustment Program after Structural Adjustment Program,
But Why Still No Development in the Philippines ? », Lim et Montes ( 2001 ) expliquent à
quel point la situation des Philippines apparaît comme inextricable en 1981, et comment
le gouvernement décide alors de mettre en place, avec l'aide du FMI, l'un des premiers
plans d'ajustement structurels au monde. Ces deux auteurs expliquent également que ce
plan est de fait faussé dès le départ car le gouvernement philippin continue de soutenir
les entreprises appartenant aux alliés politiques du Président Marcos pour « les protéger
17
des ravages du programme de libéralisation » ( Lim et Montes, 2001, p.14 ). En effet,
la libéralisation du commerce et des flux de capitaux constituent les points principaux de
ce plan. Cependant, les réformes ne produisent pas les effets positifs annoncés, et le
programme est retiré en 1983. La confiance des investisseurs diminue aussitôt, de telle
sorte que le pays connait une nouvelle crise de liquidité. En 1986, Marcos est renversé
et son successeur, le Président Aquino, relance le programme de libéralisation tout en y
ajoutant une réforme fiscale et d'importantes privatisations. Les principaux ingrédients du
Consensus de Washington sont déjà présents. Ces réformes sont suivies de trois années de
forte croissance économique ( 5,6% en moyenne par an ) puis d'un nouveau ralentissement,
portant à une diminution du Produit Intérieur Brut de 0,6% en 1991. Ce ralentissement
peut s'expliquer par de nombreux facteurs dont les deux principaux sont cependant un
environnement économique international instable du fait de la Guerre du Golfe d'une part,
et un important déficit public dû principalement à une augmentation des investissements
publics ( op. Cit., p.15 ). Il est déjà possible de voir l'une des difficultés, voire l'une des
contradictions, du Consensus, puisque ces investissements publics, qui sont encouragés
dans certains domaines, peuvent mettre en péril l'équilibre budgétaire, qui est le premier
point traité par le texte de Williamson.
Les Philippines ont donc connu dans les années 80 deux plans d'ajustement structurels
de grande ampleur, qui ont tous deux échoué pour des raisons que les théoriciens
néolibéraux peuvent facilement considérer comme intrinsèques au pays considéré, et donc
non susceptibles de remettre en cause la justesse de la théorie. En effet, dans le premier
cas, c'est le manque de volonté politique qui a porté à l'abandon du plan, alors que dans
le second, ce sont les investissements publics trop lourds qui auraient porté à une perte de
confiance dans l'économie nationale, et donc à un échec des politiques mises en œuvre. En
bref, l'échec de ces plans d'ajustement peut être vu comme la conséquence d'imprécision
dans l'application de la théorie néolibérale du développement économique, mais cela peut
s'expliquer par l'imprécision de cette théorie qui n'est alors pas véritablement formalisée.
17
22
« to shelter them from the ravages of the liberalization program »
BRUYAS Benjamin_2010
Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
Un autre exemple intéressant de réformes économiques dans un pays en
développement durant les années 80 peut se trouver en Argentine, avec le Plan Austral
de 1985. Celui ci n'est pas à proprement parler un plan d'ajustement structurel, puisqu'il
n'a pas été impulsé par le FMI ni par la Banque Mondiale, bien que ces institutions l'aient
avalisé. Cependant il répond à des objectifs de stabilisation monétaire par une réduction de
l'inflation qui proviennent directement du Fonds. Ce dernier, ayant noté la situation de très
forte inflation du pays au début des années 80, et souhaitant voir l'Argentine rembourser
ses dettes, appelle à une stabilisation monétaire en vu de l'octroi de prêts futurs. Le Plan
Austral, cependant, repose à la fois sur des éléments d'économie dits « orthodoxes », c'està-dire néolibéraux et monétaristes, tels que l'objectif de réduire le déficit budgétaire de 10%
à 4% du PIB, et des éléments plus hétérodoxes, tels que le gel des prix ou la création d'une
nouvelle monnaie, l'Austral, afin de lutter contre l'inflation. Selon Eduardo Amadeo, cette
abandon de l'orthodoxie traduit le refus de l'Argentine « de considérer qu'il [n'existe] pas
que des causes monétaires et fiscales à l'inflation » ( Amadeo, 1987, p.163 ), s'opposant
ainsi à une lecture purement néolibérale de la crise monétaire dans laquelle le pays se
trouve. Cependant, comme dans le cas des Philippines, il faut bien noter l'incohérence de
ce plan, qui se veut en partie orthodoxe et en partie hétérodoxe. Le contrôle des prix, une
mesure typique des économies dirigées, cohabite avec des mesures néolibérales. En effet,
le problème de l'équilibre budgétaire doit se résoudre par des privatisations et une diminution
considérable du salaire réel des fonctionnaires. Or, comme l'a expliqué Douglass North dans
son ouvrage « Comprendre le Processus du Changement Economique » ( North, 2005 ),
l'Histoire économique démontre que le choix le plus important en termes de politiques
économiques n'est pas le choix entre une économie dirigée et une économie libérale, mais
le choix entre la cohérence et l'incohérence, puisque les acteurs économiques forment
18
leurs stratégies en fonction des politiques du gouvernement auxquelles ils s'attendent .
Si celui-ci semble incapable de choisir un axe d'action net, les acteurs ne peuvent former
des prévisions fiables, et la confiance dans le gouvernement diminue graduellement. De
fait, bien que le Plan Austral obtienne dans un premier temps des résultats très positifs,
permettant une diminution de l'inflation sans occasionner d'augmentation du marché noir,
l'inflation élevée reprend quelques temps plus tard, et le taux d'inflation atteint pour le seul
mois de juillet 1989 200%, soit un triplement des prix à la consommation en un mois ( FIDE,
2008, p.107 ).
Très clairement, ces deux exemples montrent bien que les plans d'ajustement des
années 80, qu'ils aient été organisés par le FMI directement ou que ce dernier ait simplement
donné son accord et son soutien, manquent de cohérence et d'efficacité. Il faut en effet
noter que certains pays ont connu de nombreux plans, sans que leur situation ne s'améliore
de manière significative. Ainsi, la Côte d'Ivoire a reçu entre 1980 et 1994 pas moins de
dix-huit prêts du FMI et de la Banque Mondiale, alors que sur cette période son déficit
budgétaire moyen est de 14% du PIB ( Yildizoglu, 2003, chapitre 6 ). Tout ces éléments
mettent en évidence le besoin d'une formalisation des théories du développement au sein
de ces institutions, afin de dégager un ensemble de réformes claires et cohérentes entre
elles. Le Consensus de Washington comble ce vide et en tant que tel, il ne peut qu'influencer
les plans d'ajustement structurels des années 90.
Les années 90 : le FMI s'approprie le Consensus
18
Cela ne signifie évidemment pas qu'il faille s'interdire toute digression vis-à-vis de la théorie dominante pour un
gouvernement, mais qu'il est nécessaire de définir des objectifs et de s'y tenir de manière générale, de façon à ce que les opérateurs
économiques puissent former des attentes rationnelles. Ce qui doit avant tout rester cohérent, ce sont les actions vis-à-vis du discours.
BRUYAS Benjamin_2010
23
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Dans les années 1990, le Fonds doit intervenir dans plusieurs pays et met en œuvre de
nombreux plans d'ajustement structurels. Ceux-ci sont très influencés par le Consensus
de Washington, comme le montre l'étude des politiques économiques décrites dans le
chapitre 7 du rapport annuel du FMI de 1998 ( FMI, 1998 ). Dans ce chapitre, les différentes
interventions du FMI des années précédentes sont décrites pour 38 pays. Pour chaque
pays, le texte explique quel appui financier le pays a pu obtenir, quels sont les objectifs du
plan mis en place et enfin en quelles réformes précises consiste le plan. Et, que ce soit dans
les objectifs ou dans les moyens, les plans d'ajustement structurels de 96 à 98 apparaissent
comme étant très influencés par les différents points du Consensus de Williamson.
La question de la discipline budgétaire est en particulier très présente, par exemple avec
le plan de l'Azerbaïdjan, dont l'un des objectifs est de réduire le déficit des administrations
publiques à moins de 1% du PIB ( op. Cit., p.61 ), ou dans le cas de la Lettonie où ce déficit
doit passer à 0,9% du PIB en 1997 et à 0,5% en 1998 ( p.65 ). L'objectif de la libéralisation,
qui correspond à trois des dix points de Williamson, revient également très fréquemment,
par exemple dans le cas du plan Ukrainien de 1997, dans lequel « le principal objectif
de la réforme structurelle consiste à poursuivre la libéralisation, les privatisations et le
démantèlement des monopoles » ( p.71 ). L'objectif qui revient le plus souvent est cependant
la diminution de l'inflation, qui doit se faire, selon les théories monétaristes, principalement
par la maîtrise des déficits publics. Par exemple, dans le cas du plan d'ajustement structurel
de l'Albanie en 1997 ( p.60 ), un objectif de réduction de l'inflation très ambitieux est fixé.
En effet, celle-ci doit être contenue à un taux annuel de 51-54% en 1997 et être ramenée
à 15-20% en 1998. Cet objectif doit être rejoint par une discipline budgétaire portant à
13% le déficit financé sur ressources intérieures en 1997. Cela doit être assuré par une
augmentation des impôts perçus, par exemple par une augmentation de la Taxe sur la Valeur
Ajoutée, impôt qui correspond à la réforme fiscale défendue par Wiliamson : il s'agit en effet
d'un impôt non progressif et touchant l'ensemble de la population. Par ailleurs, le déficit
budgétaire doit être comblé par des suppressions de postes dans la fonction publique. Un
autre des dix points du Consensus se retrouve dans le plan de l'Albanie avec le comblement
du déficit budgétaire par les privatisations : le plan inclut en effet « la privatisation ou la
liquidation de deux des trois banques commerciales d'Etat, […] reprendre la privatisations
des entreprises ». Enfin, la déréglementation se retrouve dans la volonté de « créer un
marché opérationnel pour les terres agricoles. » ( p.60 )
Dans toutes ces réformes, l'influence de la théorie néolibérale est tout simplement
évidente. En effet, il s'agit clairement de politiques de rigueur tout à fait classiques, voire
néoclassiques, qui ressemblent énormément à celles mises en place dans les années
30 pour contrer les effets de la crise de 1929. La plupart de ces politiques ayant des
effets déprimants sur le pouvoir d'achat, en particulier celui des couches les plus modestes
de la population, elles ne peuvent avoir pour effet immédiat qu'une diminution, au moins
temporaire, de la demande des ménages ce qui, selon la théorie keynésienne, ne peut
qu'aggraver la crise économique. Il est donc absolument évident que Keynes n'est pas inclus
dans le Consensus de Washington, qui est exclusivement néolibéral dans son application,
et ce malgré les concessions faites aux néokeynésiens.
Ces concessions sont, dans le Consensus originel, de deux ordres : d'abord il s'agit
d'admettre que le déficit public peut être bénéfique sous certaines conditions, ensuite l'un
des dix points consiste en la réallocation des dépenses publiques vers les secteurs de
la santé, de l'éducation et des investissements publics, dans la mesure où ces dépenses
sont cohérentes avec la réduction des déficits publics, ce qui enlève beaucoup de poids
à cette concession d'ailleurs. La première apparaît cependant comme fort peu appliquée
24
BRUYAS Benjamin_2010
Quel Consensus pour Quelle Légitimité ?
par le FMI dans ses programmes d'ajustement structurels : le déficit public y est toujours
présenté comme une faute qu'il faut corriger à toute force. En ce qui concerne la réallocation
des ressources publics par le soutien de certains programmes sociaux et d'investissements
publics, cette concession se retrouve dans certains plans, tels que celui des Philippines de
1998, qui inclut l'objectif de s'efforcer « autant que possible de préserver les programmes
sociaux inscrits au budget, en particulier ceux destinés à la lutte contre la pauvreté et aux
régions les plus pauvres. » ( p.68 ) Ici, l'expression « autant que possible » montre bien
que cet objectif reste secondaire par rapport à celui de la stabilisation budgétaire, ce qui se
retrouve également de manière subtile dans le plan Ukrainien. Celui-ci prévoit en effet les
mesures suivantes en matières de politiques sociales : « Les politiques sociales prévoient
entre autres de durcir davantage le critère de ressources permettant de bénéficier des
programmes sociaux et de rationaliser les régimes de retraite et d’assurance chômage,
ainsi que les diverses séries d’allocations afin de relever les prestations servies aux plus
nécessiteux. » ( p.70 ) Ici, il est possible que de telles mesures profitent effectivement aux
plus nécessiteux, mais il est bien évident que le durcissement des critères d'attribution de
l'aide sociale désavantage grandement ceux qui s'en retrouvent exclus, tout en permettant
sans aucun doute une diminution des dépenses sociales. De manière générale, le chapitre
sept du rapport annuel de 1998 du FMI montre bien que celui-ci s'est réapproprié le
Consensus de Washington en y accentuant l'influence néolibérale.
Par ailleurs, il est possible de constater que la question de la protection de la propriété
privée a virtuellement disparue, comme si elle coulait de source, et que la prétention
universalisante du Consensus est confirmée par le Fonds, qui l'applique aussi bien aux pays
d'Amérique Latine tels que le Nicaragua ou Panama par exemple, pour lesquels il fut écrit à
l'origine, qu'aux pays d'Afrique ou d'Asie et même, de manière encore plus étonnante, aux
pays de l'ex-bloc soviétique tels que l'Azerbaïdjan, l'Ukraine ou l'Albanie. S'il est difficile de
penser que les pays en développement d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine ont les même
structures économiques et réagiront donc de la même façon aux même politiques, cela
est encore plus improbable si sont inclus dans cette liste les pays d'Europe de l'Est, alors
en transition vers l'économie de marché, et dont la structure économique est totalement
différente de celle des autres pays émergents ou en développement.
Dans les années 90, le Consensus de Washington est donc clairement adopté par le
FMI, mais aussi par d'autres institutions très importantes pour le développement telles que
la Banque Mondiale, le Trésor états-unien ou la Banque Interaméricaine de Développement.
Il n'y a là rien d'étonnant puisque le Consensus a été écrit pour correspondre naturellement
aux courants de pensée dominants dans ces institutions, toutes basées dans la capitale des
Etats-Unis, dont les champs politique et scientifique sont alors clairement dominés par les
théories néolibérales et monétaristes. Le Consensus de Washington offre aux technocrates
de ces institutions une formalisation claire et cohérente de leurs idées, permettant de
s'éloigner enfin des tâtonnements des plans d'ajustement structurels des années 80. Par
ailleurs, l'adoption du Consensus par le FMI se fait par un affaiblissement considérable
des quelques concessions faites à la théorie néokeynesienne dans le consensus de
Williamson, de telle sorte que le Consensus de Washington tel qu'il fut appliqué peut être
considéré comme l'incarnation pure et simple et de la théorie néolibérale de l'économie du
développement. Cependant, cette théorie se retrouvant pour la première fois formalisée de
manière claire et cohérente, elle doit dès lors affronter les résultats de sa propre application,
autrement dit elle doit passer, elle qui réclame une légitimité et une autorité scientifique
égale à celle des sciences « dures », par l'expérimentation empirique, afin de démontrer
sa validité.
BRUYAS Benjamin_2010
25
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de
l'expérimentation
Suite à l'échec du Plan Austral, rendu évident par le retour d'une inflation forte en 1989
et 1990, l'Argentine se retrouve dans une situation tout aussi difficile en 1990 qu'au
début des années 80. C'est alors que, encouragé par le FMI, la Banque Mondiale et la
plupart des gouvernements occidentaux, le pays approfondit les réformes néolibérales déjà
existantes et s'engage dans une série de réformes et de politiques fortement inspirées par
le Consensus de Washington, en particulier à partir de 1991 et de la Loi de Convertibilité
( Ley de Convertibilidad ) de l'Austral. Ces réformes obtiennent dans un premier temps
d'excellents résultats macroéconomiques, de telle sorte que l'exemple de l'Argentine est cité
par les Institutions Financières Internationales et par les économistes néolibéraux comme
le modèle à suivre en termes de politiques économiques pour les pays en développement.
Dans son ouvrage « After the Washington Consensus : Restarting Growth and Reform
in Latin America » ( Williamson, 2003, p.2 à 5 ), John Williamson lui-même utilise dans
son introduction l'Argentine comme exemple d'application réussie du Consensus, et ce
malgré le fait qu'il écrive après la crise économique d'une ampleur particulièrement grave
qui touche le pays en 2001 et 2002, révélant, selon ses opposants, les faiblesses du
Consensus de Washington. Cette interprétation de l'échec de l'expérimentation argentine
n'est cependant pas partagée par l'économiste de l'Institut Peterson, qui estime que l'échec
final des politiques mises en place en Argentine est dû à des erreurs du gouvernement
argentin.
Déterminer dans quelle mesure l'échec des réformes argentines peut être considéré
comme l'échec de la mise en pratique du Consensus et de la théorie néolibérale du
développement, nécessite d'étudier l'évolution de l'économie et de la société argentines
tout au long des années 90. Il est possible de distinguer trois phases chronologiques au
sein de cette période : la première phase, entre 1991 et 1994, est celle de la réussite
apparente des réformes, bien qu'une étude plus approfondie incite à nuancer cette lecture
optimiste; la seconde phase, entre 1994 et 1998, est celle des premiers dysfonctionnements
économiques majeurs; la troisième et dernière phase est celle de l'aggravation de la
situation menant à la crise économique, sociale et politique de 2001 et 2002, années durant
lesquelles le pays semble sur le point de s'effondrer.
De 1991 à 1994 : un succès à nuancer
Le 27 Mars 1991, sous l'impulsion du Ministre de l'Economie Domingo Cavallo, le Congrès
de la République Argentine adopte la loi de convertibilité de l'austral. Cette monnaie, créée
en 1985 pour répondre à l'inflation galopante, est utilisée dans cette loi une fois de plus
dans un but de stabilisation monétaire. En effet, la loi de convertibilité fixe le taux de change
entre le dollar états-unien et l'austral à 10 000 australs pour un dollar, ce qui doit permettre,
et permet effectivement, une stabilisation de la monnaie nationale, tant à l'extérieur qu'à
26
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
l'intérieur, puisque le taux d'inflation annuel passe de 1344% en 1990 à 84% en 1991, 17,5%
19
en 1992 et 3,9% en 1994, selon des chiffres du FMI cités sur le site wikipedia
( 2010
). Dans le même temps, le taux de croissance du PIB augmente fortement, pour atteindre
entre 1991 et 1995 une moyenne de 5% ( Novick, Lengyel et Sarabia, 2009 ). Ce succès est
alors également imputé par les théoriciens néolibéraux à l'application stricte du Consensus
de Washington, qui est désormais connu et reconnu au sein des institutions internationales.
Cet application remonte d'ailleurs au tout début du mandat du Président Carlos Menem,
élu en 1989, pendant le processus de formalisation du Consensus. En effet, dès cette
première année au pouvoir, Menem promulgue, entres autres mesures, le 18 Août 1989,
20
un jour après son vote au Congrès, la loi de Réforme de l'Etat , suite à quoi il promulgue
21
également, le 15 Septembre 1989, la loi d'Urgence Economique . Ces deux lois, fortement
inspirées par les théories monétaristes et néolibérales, ne permettent pas de résoudre les
problèmes économiques dont souffre le pays, et il faut attendre la loi de convertibilité pour
que la situation s'améliore. La réussite de l'économie argentine est alors présentée comme
la consécration du Consensus de Washington, et le fait est que les résultats sont dans un
premier temps très positifs.
Les ingrédients du « Miracle Economique »
Si la phase d'expansion de 1991-1994, que certains commentateurs occidentaux n'ont pas
hésité à qualifier de « miracle économique argentin », a pu être attribué à l'application
du Consensus de Washington, c'est en raison des nombreuses mesures d'inspiration
néolibérales mises en œuvre par le gouvernement de Carlos Menem dès l'élection de ce
dernier. Les trois principales lois illustrant cette tendance sont la loi de réforme de l'Etat
et la loi d'urgence économique de 1989, et enfin la loi de convertibilité de l'austral de
1991. L'étude de ces trois lois montre bien l'influence certaine exercée par le Consensus
de Washington, dans sa version simplifiée et idéologisée par les Institutions Financières
Internationales.
La loi de Réforme de l'Etat de 1989, votée à peine plus d'un mois après la prise de
pouvoir de Menem, met en place un vaste programme de privatisations visant à la fois à
procurer de la monnaie au gouvernement tout en remettant au marché, censé être plus
efficace, la gestion d'entreprises publiques souvent très importantes. Tout cela est justifié
par la situation extrêmement précaire dans laquelle se trouve le gouvernement argentin à
ce moment. L'article premier de cette loi est d'ailleurs particulièrement alarmiste, comme
le montre sa première phrase : « Se déclarent en état d'urgence la prestation de services
publics, l'exécution des contrats à charge du secteur public et la situation économique et
22
financière de l'Administration Publique Nationale centralisée et décentralisée ». Suit une
liste sans aucun doute exhaustive des différentes entités économiques dans lesquelles l'Etat
19
L'article, en espagnol, se trouve à l'adresse : http://es.wikipedia.org/wiki/Economia_de_Argentina
20
Le
texte
intégral
est
disponible,
en
espagnol,
à
l'adresse
suivante
:
http://es.wikisource.org/wiki/
Ley_23.696_de_Reforma_del_Estado
21
Le texte intégral est disponible, également en espagnol, à l'adresse suivante : http://www.unsta.edu.ar/unsta/derecho/Materias/
DER_ADMINISTRATIVO/Servicios Publicos – Legislaciòn/EMERGENCIA ECONÒMICA.pdf
22
Traduction de l'auteur du mémoire de la phrase : « Declárase en estado de emergencia la prestación de los servicios
públicos, la ejecución de los contratos a cargo del sector público y la situación económica financiera de la Administración Pública
Nacional centralizada y descentralizada »
BRUYAS Benjamin_2010
27
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
23
a une participation majoritaire, y compris les « œuvres sociales du secteur public », ces
entités étant donc toutes considérées comme en état d'urgence. La situation d'endettement
extérieur extrêmement fort, ainsi qu'une inflation très importante, comme nous l'avons déjà
vu, justifient pleinement ce constat alarmiste. Cependant, commencer une loi de réforme
de l'Etat en ces termes, en mettant l'accent sur les difficultés financières et économiques,
montre bien la volonté de faire accepter, par une situation exceptionnelle, des mesures
exceptionnelles et potentiellement impopulaires.
De fait, cette loi met en place un programme de privatisation très large, doublé de
concessions d'exploitations publiques, ces dernières étant par exemple appliquées pour
l'exploitation et l'administration des installations portuaires du pays. Mais le volet principal
de la loi reste celui sur les privatisations, qui en occupe six des dix chapitres. Le chapitre
24
2 en particulier, dont le titre est « des privatisations et participations de capital privé »,
énonce les dispositions permettant les privatisations. Celles-ci ont comme préalable la
désignation de l'entreprise comme « sujeta a privatisacìon », autrement dit exposée à
une privatisation. Cette désignation est faite par le pouvoir exécutif, et confirmée par le
législatif ( article 9 ), qui est de toute manière acquis au président Menem. Par ailleurs, le
pouvoir exécutif obtient grâce à cette loi de nombreux pouvoirs discrétionnaires, tels que par
exemple la faculté d'octroyer des permis, licences ou concessions pour l'exploitation des
services publics estimés exposés à la privatisation ( art. 15 ), ce qui ne peut qu'encourager
la corruption, puisque les membres de l'exécutif chargés de l'octroi de ces permis, licences
ou concessions sont évidemment plus faciles à corrompre qu'une chaîne de décision longue
et complexe. Et les occasions sont très nombreuses, puisque, selon l'annexe 1 de la loi,
pas moins de 28 entreprises et entités publiques diverses sont privatisées, totalement ou
partiellement, ou offertes en concession suite à cette loi. En particulier, la privatisation de la
compagnie aérienne « aerolinas argentinas », qui a d'ailleurs été renationalisée en 2008, a
soulevé de nombreux scandales puisque le gouvernement Menem a été accusé de brader
cette entreprise pour son bénéfice personnel ( Bijard, 2001 ). Ces scandales sont d'autant
plus graves qu'ils touchent à des entreprises qui, une fois privatisées, ont été rachetées par
des entreprises étrangères, celle qui rachète Aerolinas Argentinas, Iberia, étant par exemple
espagnole. En effet, bien que la loi ait prévu dans son troisième chapitre un programme
de participation à la propriété censé permettre une certaine part d'actionnariat salarial en
facilitant l'achat d'action pour les salariés des entreprises privatisées, ni ces salariés ni
même le secteur privé argentin ne disposent alors des ressources nécessaires à l'achat
majoritaire d'entreprises et d'entités aussi importante. La faiblesse relative du secteur privé
argentin par rapport à ceux des pays développés explique en grande partie pourquoi ce
programme de privatisation ne peut que bénéficier aux grandes entreprises étrangères,
ce qui peut toutefois être utile si cette internationalisation permet une augmentation
des investissements productifs. Cependant, la forme d'internationalisation adoptée par
l'Argentine de Menem ne prend pas cette voie productive, et ce principalement du fait de la
forme apportée à celle-ci par la Loi d'Urgence Economique de 1989.
Celle-ci apporte des réformes beaucoup plus nombreuses et toutes aussi importantes
que les privatisations décidées par la Loi de Réforme de l'Etat. En effet, en plus d'accorder
25
un pouvoir de « police d'urgence » à l'Etat ( art. 1 ) en faisant cette fois-ci l'économie
d'une déclaration sur la situation catastrophique du pays, cette loi suspend ou supprime
de très nombreux domaines d'intervention de l'Etat, en général pour une période de 180
23
24
25
28
« Obras Sociales del Sector Público »
« De las privatizaciones y participacion del capital privado »
« policia de emergencia »
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
jours à partir de l'entrée en vigueur de la loi, renouvelables une fois. Par exemple, la loi
suspend pour cette période toutes les subventions qui « directement ou indirectement,
26
affectent les ressources du Trésor national et/ou les comptes de la Banque Centrale »
ainsi que les tarifs spéciaux des entreprises publiques ( art 2 ), avec certaines exceptions
possibles, décidées par le pouvoir exécutif, mais qui sont assez rares. Les régimes d'aide
accordés à l'industrie sont également suspendus, par exemple les exemptions de Taxe sur
la Valeur Ajoutée et de l'impôt sur le capital pour certaines entreprises ( art 5 ). L'article
27
9 met cependant en place un système de « certificats de crédit fiscal », permettant
aux entreprises souffrant de la suspension d'exemptions fiscales d'alléger le coût de cette
mesure. Cependant, celle-ci, de même que la précédente sur la suspension des subventions
ou que la suspension des régimes de promotion minière ( chapitre 5 de la loi ), représente
un coup dur pour l'industrie argentine, jusque là largement subventionnée par l'Etat. Les
entreprises nationales se retrouvent donc dans l'obligation d'augmenter leurs prix pour
compenser cette perte financière, à moins qu'une plus grande ouverture commerciale ne
permette une concurrence internationale accrue, qui serait difficile à supporter pour les
entreprises habituellement aidées par l'Etat, en particulier si celles-ci sont des petites ou
moyennes entreprises. De manière générale, cette réforme ne peut que désavantager les
secteurs les moins compétitifs de l'économie dans les marchés sujets à la concurrence
internationale. La théorie néolibérale justifie cet effet pervers de l'ouverture économique en
disant que les gains de productivité réalisés dans les secteurs déjà plus compétitifs doivent
se propager aux autres secteurs, ce qui n'est d'ailleurs pas toujours le cas ( Ocampo, 2004,
p.6 ).
Cette ouverture est assurée par le chapitre 6 de la loi, qui dispose que désormais
« est garantie l'égalité de traitement pour le capital national et étranger investi dans des
activités productives dans le pays » ( art 15 ) alors que le pouvoir exécutif est encouragé à
chercher auprès d'autres Etats des accords facilitant l'arrivée d'investissements étrangers
en Argentine, ces négociations pouvant même s'établir avec des « organismes financiers
28
internationaux auxquels la République Argentine n'a pas adhéré » ( art 19 ). Au titre de
la libéralisation des échanges, l'article 50 de la loi est d'ailleurs singulier, puisqu'il accorde
au pouvoir exécutif la faculté d'autoriser les importations de « marchandises dont les
29
prix dépassent les niveaux raisonnables » ( sic ). Quoi qu'il en soit, cette libéralisation
correspond clairement à l'application d'un des points du Consensus de Washington, bien
que celui ci soit alors à peine formalisé. C'est également le cas des suspensions d'aides
aux entreprises et de la libéralisation des marchés de capitaux disposées par le chapitre 17
de la loi. Toutes ces mesures correspondent aux objectifs de libéralisation contenus dans
le Consensus. De la même façon, l'objectif de fixation du taux de change est indirectement
traité par le chapitre 3, qui dispose que la Banque Centrale devient indépendante, ce qui
correspond d'ailleurs à une lecture monétariste du Consensus, puisque cette école de
pensée a toujours défendue l'indépendance de la Banque Centrale. Enfin, même l'objectif de
réallocation des dépenses publiques est respecté, puisque l'article 29 dispose que les fonds
libérés par la suspension d'un programme doivent être utilisés pour financer l'augmentation
des fonds des programmes de soutien alimentaires aux écoles et aux enfants.
26
27
28
29
« directa o indirecta mente, afecten los recursos del Tesoro Nacional y/o las cuentas del balance del Banco Central »
« Certificados de Crédito Fiscal »
« organismos financieros internacionales a los cuales la República Argentina no hubiese adherido »
« aquellas mercaderías cuyos precios superen los niveles razonables »
BRUYAS Benjamin_2010
29
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Cependant, ces deux lois, appliquant scrupuleusement la lecture néolibérale du
Consensus de Washington, ne permettent à l'origine qu'une reprise très modeste, malgré
une forte diminution de l'inflation. Les mesures provisoires mises en place sont néanmoins
prorogées, puis rendues permanentes pour la plupart. Le problème est qu'en fait, toutes les
mesures de libéralisation ne suffisent pas à attirer les investisseurs étrangers en nombre
suffisant, en raison de l'instabilité du taux de change venant lui-même de l'instabilité de
la monnaie. Ce problème est résolu par la Loi de Convertibilité de l'Austral de 1991, qui
instaure un taux de change fixe entre l'austral et le dollar états-unien de 10 000 pour 1,
l'austral étant d'ailleurs bientôt remplacé par le peso, valant lui-même 10 000 australs,
soit un dollar. Cette mesure permet aux investisseurs des autres pays, et en particulier
des Etats-Unis, d'investir massivement en Argentine. Certains de ces investissements
créent effectivement de l'activité économique, mais la plupart ont simplement pour but
l'achat d'entreprises privatisées ou la spéculation sur les taux d'intérêts élevés. Néanmoins,
les résultats sur les principaux indicateurs macroéconomiques s'avèrent très prometteurs,
comme nous l'avons déjà dit, puisque l'inflation diminue de manière spectaculaire alors
que la croissance économique reprend à des taux élevés. Cependant, ces bons résultats
cachent des problèmes sous-jacents qui mettent en péril la pérennité de la reprise.
Le revers de la médaille
Les modalités de la reprise économique de l'Argentine dans les années 91-94 sont
applaudies unanimement par les économistes, les technocrates, les journalistes et les
gouvernants des pays développés, acquis dans leur immense majorité au Consensus de
Washington. D'ailleurs, l'application des deux lois de 1989 décrites ci-dessus permet au
pays de recevoir un arrangement, c'est-à-dire un prêt, « stand-by » du FMI d'une valeur
de 1,5 milliard de dollars, dont la principale utilité est de rembourser un autre prêt réalisé
auprès de la Banque Mondiale, d'une valeur de 1,4 milliard de dollars ( FIDE, 2008, p.100 ).
L'augmentation considérable des investissements étrangers suite à l'adoption de la Loi de
Convertibilité permet également de rembourser une bonne partie de la dette extérieure,
rendant plus aisées les négociations avec les institutions internationales, et permettant
enfin la participation au plan Brady en 1992. Cependant, toutes ces bonnes nouvelles
contrastent avec un certain nombre d'évolutions connues par l'économie et la société
argentine, évolutions qui remettent en cause la pertinence d'un ensemble de mesures
censées permettre le développement économique et donc, la diminution de la pauvreté.
30
Comme le montre le numéro 321 de la revue « coyuntura y desarrollo » de la FIDE ,
consacré aux grandes tendances de l'économie argentine de 1978 à 2008, la phase
d'expansion initiale a entraîné une augmentation de la pauvreté et une réallocation de la
richesse nationale en faveur des classes les plus aisées de la population. Ainsi, selon cette
revue, la part des quatre déciles les plus bas en termes de revenus, autrement dit la part
des 40% de la population aux revenus les plus bas sur le revenu total, diminue de 1,2 point
entre 1990 et 1993 ( FIDE, 2008, p.123 ). Sur la même période, le salaire moyen stagne,
mais la dispersion des salaires augmente considérablement, ce qui signifie que les salaires
les plus bas connaissent une importante diminution. Enfin, le taux de chômage augmente
30
La FIDE, Fundacion de Investigaciones para el Desarollo ( fondation de recherche pour le développement ) est une
institutions privée à but non lucratif fondée par des entreprises et des fondations privées argentines en 1978 pour étudier et analyser
l'économie et la société argentines dans leurs évolution principal, dans l'optique de faciliter le développement du pays par une meilleure
compréhension de ses difficultés.
30
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
également, passant d'un peu plus de 7% en 1991 à 13% en 1994, alors que le taux de sousemploi passe de 8% à un peu plus de 11% ( Vinocur et Halperin, 2004, p.14 ).
De fait, les politiques mises en œuvre par le gouvernement de Menem laissent des
pans entiers de la population dans une situation des plus précaire. Par exemple, l'article
42 de la Loi d'Urgence Economique de 1989 dispose que, pendant 180 jours, aucune
entité appartenant à l'Etat, à un de ses démembrements ou même à une entreprise
publique ne pourrait embaucher de personnel si cela devait porter à une augmentation des
dépenses publiques. L'article 44, quant à lui, dispose que le pouvoir exécutif doit redéfinir le
régime du travail au sein des administrations et des entreprises publiques de toute nature.
De manière générale, les fonctionnaires connaissent durant cette période une diminution
importante de leur salaire réel, car les salaires nominaux ne suivent plus l'inflation, qui
a certes diminué mais reste importante en 1991 et en 1992. Dans le même temps, la
flexibilisation salariale au sein du secteur privé se poursuit par l'adoption de plusieurs actes
gouvernementaux, par exemple la loi numéro 24.013 du 5 décembre 1991. Cette dernière
met en place une diminution, voire une exonération pure et simple des charges sociales pour
les entreprises, tout en établissant entre autres choses des clauses de productivité dans les
méthodes d'ajustement salarial. Par ailleurs, à partir de 1992, le gouvernement supprime
l'homologation ministérielle obligatoire pour les accords salariaux ( Novick, Lengyel et
Sarabia, 2009, p.6 ). Toutes ces différentes mesures n'étant pas compensées par des
mesures sociales d'envergure, la pauvreté et la misère augmentent mécaniquement.
Cependant, le « bon sens » néolibéral estime que la libéralisation de l'économie
dans les pays en développement entraîne nécessairement dans un premier temps une
augmentation des inégalités, avant que le développement économique et la création de
nouvelles activités ne permette un enrichissement généralisé de la population. Dans le cas
de l'Argentine, cette idée n'est en aucun cas vérifiée, pour la simple raison que, comme nous
l'avons déjà dit précédemment, la plupart des investissements réalisés durant cette période
d'expansion ne sont pas des investissements productifs. Si l'on en croit la FIDE, l'ouverture
internationale du pays a eu deux conséquences économiques majeures : d'abord elle a
accru de manière très importante la dépendance du pays aux fluctuations des marchés
internationaux, tout en lui ôtant toute indépendance monétaire du fait de l'application du
taux de change fixe avec le dollar prévue par la Loi de Convertibilité; ensuite elle a
entraîné une augmentation du poids du secteur primaire, autrement dit de l'agriculture et
des industries extractives, dans l'économie, en raison d'un affaiblissement du tissu industriel
national, insuffisamment soutenu par l'Etat pour affronter la concurrence internationale.
Cette primarisation ne peut alors que pousser à une diminution des salaires réels, puisque
les salariés travaillant dans le secteur primaire sont globalement moins bien payés que dans
les autres secteurs. Les années d'expansion qui suivent les réformes du début du mandat
du Président Menem sont donc marquées par une aggravation de la situation sociale,
qui s'exprime principalement par une paupérisation et une précarisation des couches
les plus modestes du salariat. Dans le même temps, ces réformes ne permettent pas
un développement véritable des activités productives, et ne fonctionnent, selon la FIDE,
que grâce à une conjoncture internationale favorable, la forte dépendance du pays le
condamnant à la crise aussitôt que cette conjoncture se retournera ( FIDE, 2008, p.119 et
120 ).
La question qui se pose dès lors est : pourquoi ces faiblesses n'ont-elles pas été
signalées, au moins par les opposants au gouvernement Menem ? Même la Confederaciòn
General del Trabajo (CGT, le principal syndicat argentin) soutien ces réformes, malgré
leurs conséquences sociales négatives. Ces dernières ne sont d'ailleurs pour ainsi dire pas
BRUYAS Benjamin_2010
31
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
signalées, ni en Argentine ni ailleurs, à l'exception de certains cercles plus ou moins opposés
à la doctrine dominante de l'économie, tels que la FIDE. Le Consensus de Washington
joue ici très fortement, et montre que l'idée de le renommer « convergence universelle »
n'est certainement pas absurde du point de vue des économistes de Washington, tant le
soutien apporté aux réformes de Menem est commun à l'élite politique et intellectuelle
de la plupart des pays, en particulier des pays développés, qui félicitent chaudement
l'Argentine. Le soutien des intellectuels et des dirigeants des pays en développement peut
s'expliquer par une thèse présentée par Amit Bhaduri et Deepak Nayyar dans un article
écrit pour la revue « Tiers Monde » ( Nayyar et Bhaduri, 1997 ). Selon ces auteurs, les
bureaucrates et les penseurs du Tiers Monde ont un système de récompense très simple : si
ils soutiennent l'orthodoxie dominante, ils peuvent espérer travailler pour les institutions de
Washington, où ils sont payés royalement par rapport à ce qu'ils perçoivent dans leurs pays
d'origine, et peuvent également espérer des promotions plus importantes et une carrière
plus ambitieuse. De manière générale, les positions hétérodoxes sont perçues comme
étant mauvaises pour la carrière de ceux qui les adoptent, et il est donc difficile, alors
qu'entre 1991 et 1994 l'économie orthodoxe semble partout triomphante, de s'opposer à ses
théories. Que les penseurs et gouvernants argentins aient véritablement cru au Consensus
de Washington, ce qui est probablement le cas de la majorité d'entre eux à cette époque,
ou qu'ils aient, par stratégie professionnelle, fait semblant d'y croire, le Consensus est
appliqué de manière systématique dans sa lecture la plus monétariste, malgré le fait que
des faiblesses importantes se créent, des faiblesses qui à terme contribuent à expliquer la
crise de 1994.
De 1994 à 1998 : de la crise « Tequila » à une reprise
incomplète
Les réformes néolibérales permettent donc dans un premier temps une expansion
économique et une stabilisation monétaire très importantes, malgré des difficultés sociales
non négligeables et surtout une dépendance accrue à la conjoncture internationale. Cette
dépendance, qui explique en grande partie la phase d'expansion initiale, est également la
cause de la première grande crise dont souffre l'économie argentine suite aux réformes
inspirées par le Consensus de Washington. Cette crise est en effet née, non de facteurs
endogènes, mais d'une autre crise survenue au Mexique, la crise « Tequila ». Celleci se manifeste par une panique des investisseurs occidentaux, qui fuient les pays
en développement suite à l'effondrement de l'économie mexicaine. Or, la croissance
économique argentine dépend avant tout de la conjoncture internationale positive et de
l'entrée massive de capitaux étrangers. Sur la période 1993-1994, ceux-ci représentent 13
milliards de dollars, soit 6% du Produit Intérieur Brut ( Bertranou et Bonari, 2005, p.42 ).
La fin de cette manne financière à partir de décembre 2004 déclenche une récession
en 1995, la première depuis 1990, avec un taux de croissance du PIB négatif, de -4,4%
( FIDE, 2008, p.131 ). Cependant, avec le soutien du FMI et d'autres Institutions Financières
Internationales, le pays connaît en 1996 et 1997 une nouvelle phase d'expansion, qui ne
résout pas les problèmes sous-jacents de l'économie. Ce soutien des IFI n'est évidemment
accordé que du fait d'un renouvellement de l'adhésion inconditionnelle du gouvernement au
Consensus de Washington, et ce malgré un retour en grâce de politiques sociales nationales
encore relativement timides.
32
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
Une crise sans remise en question de fond
La crise « Tequila », caractérisée par une fuite massive des capitaux étrangers des pays
en développement, frappe donc très durement l'Argentine au tout début de 1995. En mars
de cette année, la FIDE signale qu'en moins de 90 jours les dépôts auprès des banques
argentines ont diminué de 7 milliards de dollars, alors que les taux d'intérêts payés par les
entreprises passent de 16,6% à 31,1% par an, et que les prévisions officielles de croissance
diminuent de 6,5% à 3% ( FIDE, 2008, p.131 ). L'activité connaît un ralentissement
considérable, et le chômage augmente d'un peu plus de 12% en 1994 à plus de 18% fin 1995
( Vinocur et Halperin, 2004, p.14 ). Tout cela crée évidemment des tensions importantes sur
les salaires, et le salaire moyen passe de 637 pesos en octobre 94 à 605,6 en octobre de
l'année suivante, pour continuer de diminuer jusqu'en 1998, où il connaît une courte embellie
avant de recommencer à diminuer jusqu'en 2003 ( Bertranou et Bonari, 2005, p.299 ). Cette
diminution des salaires moyens s'opère principalement par le bas de l'échelle salariale, et
les inégalités augmentent rapidement. Ainsi le coefficient de Gini, qui calcule les inégalités
économiques au sein d'un pays, passe entre octobre 1994 et octobre 1995 de 0,431 à 0,461,
31
pour terminer la période à 0,477 en octobre 1998 ( Bertranou et Bonari, 2005, p.306 ).
Cette détérioration brutale de la situation interne, entièrement due à un contexte
international soudain défavorable, participe à une aggravation des problèmes extérieurs du
pays. En effet, la dette extérieure du pays, c'est-à-dire l'ensemble des créances détenues
par des étrangers sur des acteurs économiques argentins, dépasse le seuil des 100 milliards
de dollars, principalement du fait de l'endettement continu de l'Etat envers les Institutions
Financières Internationales, et en particulier le FMI qui accorde en mars 95 un prêt de 7
milliards de dollars pour sauver le système financier argentin de l'effondrement. Mais la
nouveauté de cette crise est l'explosion de la dette privée, qui passe de 5 milliards de dollars
en 1991 à 17 milliards à la fin de 1995 ( FIDE, 2008, p.131 ). Cependant, malgré la gravité
de la crise, le secteur financier est sauvé et, en avril 1996, la situation se stabilise et une
nouvelle phase d'expansion commence.
Cette expansion ne se traduit toutefois pas par une augmentation du salaire moyen,
comme nous l'avons déjà vu, ni par une diminution des inégalités. Il s'agit en fait d'une
reprise très partielle, concentrée sur certains secteurs très précis, dont deux des principaux
sont le secteur agricole, qui profite d'une augmentation des prix des commodités sur les
marchés internationaux, et le secteur bancaire, qui profite du retour de la confiance en
l'économie argentine consécutif à l'accord d'un prêt par le Fonds Monétaire International.
Par ailleurs, comme le fait remarquer la FIDE, l'Argentine profite alors de la politique de
change du Brésil, ce qui profite à certaines industries très précises, telles que l'industrie
automobile ( op. Cit., p.131 ). En effet, depuis le plan Real de 1994, le Brésil a fixé un taux de
change largement surévalué. En d'autres termes, le Real, surévalué par rapport aux autres
monnaies, encourage les importations du Brésil, tout en augmentant le prix des produits
brésiliens à l'étranger. Or, depuis mars 1991, l'Argentine et le Brésil, ainsi que l'Uruguay
et le Paraguay, ont créé le Mercosur, une tentative d'instituer un marché intégré entre les
pays membres. Les deux plus grands pays membres que sont l'Argentine et le Brésil étant
concurrents dans de nombreux domaines, une surévaluation de la monnaie brésilienne
avantage grandement le commerce argentin, ne serait-ce que par l'encouragement qu'elle
constitue pour les exportations argentines à destination du puissant voisin. Cependant,
toujours selon la FIDE, ces importations faites par le Brésil ont pour principal objectif de
31
Le coefficient de Gini se situe toujours entre 0 et 1, 0 définissant une situation dans laquelle tout les membres de la société ont
le même revenu, et 1 la situation dans laquelle un seul individu perçoit tous les revenus. A titre de comparaison, le coefficient de Gini
de la France est à peu près égal à 3,6.
BRUYAS Benjamin_2010
33
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
renforcer le processus d'industrialisation du pays. Ainsi, en 1996, le gouvernement de
Brasilia débloque de nouvelles aides pour l'industrialisation du Nordeste, encourageant
l'implantation de nouvelles firmes, nationales et étrangères, et donc la création d'activité
( FIDE, 2008, p.137 ). Cette création d'activité peut bien entendu être débattue dans
sa forme, car elle augmente la précarité dans la région, mais il convient de noter que
le gouvernement brésilien, tout en appliquant par ailleurs largement le Consensus de
Washington, se détache partiellement de l'orthodoxie monétariste pour mettre en place une
politique industrielle relativement volontariste, permettant à l'Etat de poursuivre des objectifs
et une stratégie de développement, qui manquent alors cruellement à l'Argentine ( Faucher
et Eliott Armijo, 2004 ).
En effet, alors que l'impact de la crise « Tequila » démontre clairement les faiblesses du
régime de la Convertibilité, extrêmement vulnérable aux changements dans la conjoncture
internationale, le gouvernement de Buenos Aires ne semble pas envisager la moindre
déviance par rapport au modèle de développement adopté jusque là, comme le montre
clairement le simple fait que le FMI lui accorde encore des prêts d'une valeur considérable
en 1995. Cette obstination à maintenir une ligne politique aussi risquée peut s'expliquer
par plusieurs facteurs. Tout d'abord, il y a bien entendu la volonté toute politique de ne
pas avouer ses erreurs, ce qui peut avoir des conséquences fâcheuses d'un point de vue
électoral. Par ailleurs, les nombreuses accusations de corruption au sein de l'administration
et du gouvernement Menem ( Bijard, 2001 ) semblent montrer que l'intérêt à maintenir
les politiques néolibérales n'est pas seulement un intérêt intellectuel ou idéologique. Enfin,
le champ politique argentin, plus structuré à l'époque que le champ politique brésilien,
encourage la formation de majorités idéologiquement marquées, qui ont un intérêt strict
à défendre des positions partisanes parfois radicales ( Faucher et Eliott Armijo, 2004 ).
Cependant, si ces idées peuvent contribuer à expliquer la position du gouvernement, elles
n'expliquent pas celle de la société civile, qui reste dans sa grande majorité, sinon favorable,
au moins non opposée aux politiques néolibérales. Au-delà de l'idée de conformisme des
élites à l'orthodoxie internationale, déjà citée au chapitre précédent ( Nayyar et Bhaduri,
1997 ), il convient de souligner que, en apparence, une bonne partie de la population peut
légitimement croire en la reprise de 1996. Si celle-ci reste confinée à certains secteurs
précis, ces derniers n'en restent pas moins dynamiques et permettent à ceux qui y travaillent
de maintenir un niveau de vie tout à fait correct. C'est très probablement au sein de ce
groupe social des salariés des secteurs en expansion, qu'il faut chercher la raison de la
faiblesse relative de l'agitation sociale durant cette période.
Cependant, les bons résultats de certains secteurs ne peuvent pas faire oublier
les difficultés sociales et économiques d'une large part des travailleurs argentins. Ces
travailleurs oubliés par la reprise, qu'ils soient salariés de secteurs en crise ou chômeurs,
ayant travaillé dans des entreprises aujourd'hui fermées du fait de la concurrence
internationale ou du manque de financement, représentent toutefois un problème pour le
gouvernement, qui doit leur assurer une aide sociale minimale, ne serait-ce que pour éviter
des mouvements importants de protestation populaire. De ce fait, l'Etat accepte de dévier
légèrement de la doctrine orthodoxe en mettant en place de nouvelles politiques sociales,
qui restent pourtant encore modestes.
Le retour des politiques sociales et les limites du système
En 1995, pour faire face aux conséquences sociales catastrophiques de la crise, le
gouvernement Menem met en place une série de programmes sociaux de diverses natures.
34
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
En théorie, de tels programmes ne constituent pas une entorse au respect du Consensus
de Washington, qui en admet l'utilité dans les domaines de l'éducation et de la santé,
en raison de l'aide qu'ils apportent aux couches les plus modestes de la population. Ils
peuvent toutefois constituer une telle entorse s'ils tendent à creuser le déficit budgétaire, ce
qui peut paraître difficile à éviter dans le cas de politiques ambitieuses. Cependant, dans
le cas de l'Argentine de 1995, il apparaît qu'effectivement, la dépense sociale totale du
gouvernement national, des provinces et des communes diminue entre 1994 et 1995, et ce
malgré la mise en place de plusieurs programmes d'aide aux catégories de travailleurs les
plus durement touchées par la crise. En effet, cette dépense sociale consolidée passe, en
pesos constants de 1993, de 52,9 milliards de pesos en 1994 à 51 milliards en 1995, puis
à 50,2 milliards en 1996 ( Vinocur et Halperin, 2004, p.21 ). Cette diminution est rendue
possible par la mise en place de nombreuses mesures visant à diminuer les dépenses de
l'Etat-providence, par exemple avec la loi du 8 mars 1995 sur la solidarité prévisionnelle,
qui dispose que l'Etat ne peut garantir le montant des prestations de retraites « que dans
la limite des crédits budgétaires », alors même que « le montant des pensions n'est plus
lié aux rémunérations des travailleurs actifs » ( Novick, Lengyel et Sarabia, 2009, p.258 ).
De telles mesures montrent bien l'incohérence dans laquelle se trouve le gouvernement,
qui diminue certaines dépenses sociales pour pouvoir en augmenter d'autres. Cependant,
l'impression d'incohérence disparaît lorsque l'on étudie avec plus d'attention la nature des
dépenses sociales ainsi augmentées.
Le gouvernement argentin met par exemple en place en 1995 le Programme
Alimentaire Nutritionnel Infantile ( Programa Alimentario Nutricional Infantil, PRANI ). Ce
programme a pour but de fournir une alimentation minimale à des enfants ayant entre 2 et
14 ans, membres de foyers en situation de NBI, ou Nécessité Basiques Insatisfaites, vivant
dans des zones où au moins 30% de la population est officiellement en situation de NBI.
Malgré ces critères apparemment très sélectifs, le programme doit fournir de la nourriture
à 102 490 enfants dès son lancement en 1995, et augmente jusqu'à un total de 322 565
bénéficiaires directs en 1998 ( Vinocur et Halperin, 2004, p.28 et 29 ).
Le PRANI n'est qu'un exemple parmi d'autres des diverses mesures mises en
32
oeuvre tout au long de cette période . Cependant, ces programmes ont comme point
commun d'être systématiquement présentés comme des mesures d'urgence, ce qu'ils
sont effectivement. La logique du gouvernement apparaît dès lors plus claire, puisque
le financement de ces mesures d'urgence se réalise par l'affaiblissement de régimes
d'aide sociale permanents, tels que le régime des retraites ou même celui de l'éducation,
ce dernier étant transféré aux provinces en 1993 avec des promesses de transfert de
ressources du gouvernement national, promesses qui ne sont pas respectées suite à la
crise économique ( Novick, Lengyel et Sarabia, 2009, p.259 ). C'est cette logique de
démantèlement progressif de l'aide sociale qui permet d'absorber une bonne partie des
dépenses sociales supplémentaires de 1995, diminuant ainsi le coût budgétaire de la crise
pour l'Etat. Cette rigueur affichée permet d'obtenir le soutien des Institutions Financières
Internationales, qui financent en partie ces nouveaux programmes. Ainsi, entre 1995 et
1996, le financement étranger de la dépense sociale de l'Etat national passe de 225
millions de pesos, soit 0,7% de cette même dépense, à un peu plus de 4 milliards de
pesos, soit 12,2% ( Bertranou et Bonari, 2005, p.94 ). En seulement un an, après que le
gouvernement argentin eut démontré son attachement à son équilibre budgétaire, l'aide des
IFI au financement de ses dépenses sociales a donc été multipliée par plus de 17. Certes,
cette aide est ensuite diminuée de moitié en 1997, mais elle reste largement supérieure à
32
Se reporter aux travaux, en espagnol, de Vinocur et Halperin ( 2004 ) et Bertanou et Bonari ( 2005 ).
BRUYAS Benjamin_2010
35
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
ce qu'elle était auparavant, et la dépendance du pays en termes de financements externes
ne s'en trouve que renforcée. De manière générale, le gouvernement ne peut financer son
adhésion au consensus néolibéral que grâce aux aides diverses qu'il reçoit de la part des
IFI, aides qui sont d'ailleurs conditionnées par cette même adhésion.
Cet exemple met en évidence l'une des contradictions du Consensus de Washington.
Certaines dépenses sociales y sont encouragées, ou tout au moins considérées comme
acceptables, alors que l'équilibre budgétaire y est présenté comme l'un des objectifs majeurs
de la politique macroéconomique. La pratique encouragée par les Institutions Financières
Internationales valorise d'ailleurs clairement le second objectif par rapport à celui du soutien
à l'éducation et à la santé. Là aussi, l'exemple argentin est très révélateur puisque la réforme
de l'éducation entreprise en 1993 se heurte rapidement à des contraintes budgétaires qui
en diminuent considérablement l'efficacité, faisant même douter certains auteurs à propos
de sa pertinence ( Novick, Lengyel et Sarabia, 2009, p.259 ). Cette contradiction théorique
entre deux des points du Consensus de Washington a donc été résolue dans la pratique
dans le sens le plus favorable à la théorie néolibérale.
L'exemple argentin permet toutefois de révéler deux difficultés pratiques du Consensus.
La première, tenant pour ainsi dire à un point de détail théorique d'une grande importance
pratique, tient aux politiques de soutien à l'emploi. Le Consensus de Washington n'y fait pas
référence, mais elles ne figurent pas dans la très courte liste des politiques économiques
qu'il recommande. En revanche, la théorie monétariste condamne l'immense majorité
de ces politiques comme négatives en termes de croissance économique et même en
termes d'emplois. Malgré cela, le gouvernement argentin a mis en place, entre autres, le
« Plan Trabajar » en 1996, cherchant à créer des emplois par des travaux de construction
d'infrastructures économiques financés par l'Etat ( Vinocur et Halperin, 2004, p.33 ). De fait,
lorsque le chômage devient massif, il est très difficile politiquement pour les gouvernants de
justifier l'absence de politiques actives de l'emploi. Dans la pratique, il est même quasiment
impossible de ne rien faire pour aider les chômeurs victimes des crises, d'autant plus que
celles-ci sont en général renforcées par les politiques procycliques encouragées par le
Consensus de Washington.
Ce problème constitue d'ailleurs la seconde difficulté pratique du Consensus, puisque
ce dernier conseille d'adopter une politique économique purement procyclique, c'est-àdire laissant la résolution des crises aux seuls mécanismes du marché, qui tendent à
accentuer tant les phases d'expansion que celles de crise. Les conséquences négatives
d'une crise sont donc largement aggravées par ce genre de politiques. De manière plus
précise, le Consensus propose, ou plutôt impose dans le cas des Institutions Financières
Internationales, une politique de strict laissez-faire dans le domaine économique. Dans
le cas de l'Argentine des années 90, cela se traduit principalement de deux façons :
d'abord l'absence totale d'une politique de développement industriel, qui est extrêmement
dommageable pour le pays, comme le montre la comparaison avec le voisin brésilien;
ensuite la décentralisation à outrance de certains services publics, en particulier la santé et
l'éducation, en vertu du principe de subsidiarité de l'Etat, qui suppose que l'Etat national ne
doit intervenir que lorsque ses démembrements sont incapables de le faire efficacement.
Or, l'exemple argentin montre bien que, en cas de crise économique majeure, l'Etat national
devant réduire ses dépenses pour ne pas augmenter son déficit budgétaire, les transferts
de ressources de l'Etat vers les provinces viennent à manquer, ce qui entraîne, d'une part
une inégalité de qualité du service selon les provinces, et d'autre part un problème de
financement très important menaçant la qualité générale de ces services.
36
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
Enfin, l'exemple de l'Argentine montre, dès 1997, la difficulté extrême de maintenir
des politiques économiques purement néolibérales dans un pays en développement en
période de crise. En effet, la crise causant inévitablement une augmentation de la pauvreté
et donc un besoin plus important en termes d'aide sociale, le choix qui s'offre alors est très
simple : il faut choisir entre maintenir les politiques du Consensus, en conservant à un niveau
minimal les programmes d'urgence pour assurer l'équilibre budgétaire, et abandonner ces
politiques pour mettre en place des politiques contracycliques impliquant une intervention
suffisamment forte de l'Etat pour contrebalancer les conséquences négatives de l'activité
des marchés. Le premier choix repose entièrement sur une croyance : celle que les
mécanismes du marché permettront de venir à bout de la crise et donc réduiront les besoins
en aide sociale, ce qui autorisera le gouvernement à abandonner les programmes d'aide
d'urgence. Si cette relance tarde à venir, le maintien de ces programmes coûtera trop cher
à l'Etat, sans permettre de créer une dynamique de relance keynesienne, puisque ceuxci ne fournissent à leurs bénéficiaires que le nécessaire vital, et de ce fait n'augmentent
que très marginalement la demande des ménages. En d'autres termes, si les marchés ne
suffisent pas à créer une dynamique de reprise économique, le pays s'enfonce dans la crise
tout en voyant son déficit budgétaire augmenter du fait de l'augmentation du nombre de
bénéficiaires de l'aide sociale. Ainsi, entre 1996 et 1997, la dépense sociale totale de l'Etat
argentin et de ses démembrements a augmenté, après deux années de diminution, de 50 à
53 milliards de pesos, puis à 55 milliards l'année suivante ( Vinocur et Halperin, 2004, p.21 ).
Le respect du Consensus de Washington, en cas de crise économique persistante, crée
donc les conditions de son irrespect, puisqu'il force à un déficit budgétaire ou à l'abandon
d'un grand nombre de politiques sociales. C'est en tout cas ce que montre l'exemple de
l'Argentine des années 94-98, et les années suivantes ne font que confirmer cette idée.
De 1998 à 2002, ou de la crise systémique à l'abandon
du modèle
En 1997, les pays d'Asie Orientale connaissent une crise financière et économique sans
précédent, causant une fuite massive des capitaux qui y sont investis. La crise de confiance
s'étend rapidement à d'autres pays émergents, tels que la Russie, l'Argentine ou le Brésil.
Ces deux pays d'Amérique Latine subissent alors un nouveau choc financier, et une
nouvelle crise de liquidité, ne disposant plus des ressources financières nécessaires à
leur développement, ou même simplement au remboursement de leur dette extérieure. Le
resserrement du crédit pénalise gravement l'économie dite « réelle » et les conséquences
sociales ne se font pas attendre. En quelques mois le taux de chômage augmente
à nouveau, de même que la pauvreté. Le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale,
déjà en augmentation les années précédentes, en particulier en Argentine, augmente
considérablement, entrainant par ricochet une augmentation des dépenses sociales. Ainsi,
en Argentine, la dépense sociale consolidée de l'Etat et de ses démembrements passe
entre 1997 et 1998 de 53 à 55 milliards, exprimés en pesos constants de 1993 ( Vinocur
et Halperin, 2004, p.21 ). A la différence de la crise Tequila, durant laquelle le pays peut
compter sur le dynamisme économique brésilien, cette fois-ci la récession touche les deux
pays.
Cependant, si les deux grands voisins latino-américains souffrent tous deux des
conséquences de la crise asiatique, les réactions des gouvernements apparaissent
BRUYAS Benjamin_2010
37
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
rapidement comme très différentes. En effet, alors que le Brésil abandonne dès le début
de l'année 1999 le régime de change fixe du réal et laisse sa monnaie flotter, permettant à
celle-ci de se déprécier considérablement, le gouvernement de Buenos Aires maintient tant
le régime de change fixe du peso argentin avec le dollar que les politiques inspirées par le
Consensus du Washington. Ces dernières sont d'ailleurs dans certains cas aménagées, et
dans d'autres simplement abandonnées, par le gouvernement de Brasilia, et la situation se
stabilise rapidement, avant de permettre une reprise de la croissance peu de temps après.
En revanche, l'Argentine s'enfonce progressivement dans une crise financière de plus en
plus grave, alors que le gouvernement persiste dans ses choix de politique économique,
attendant une reprise qui ne vient toujours pas, jusqu'à l'effondrement de 2001, année durant
laquelle le Fonds Monétaire International est appelé à l'aide non pas une, mais quatre fois,
ce qui ne permet pas la sortie de crise. Celle-ci s'opère finalement par une crise politique
majeure, qui aboutit en 2002 à l'abandon du régime de change fixe, et en 2003 à l'élection
de Nestor Kirchner à la Présidence de la République, marquant une rupture claire vis-à-vis
du Consensus de Washington et du FMI, sérieusement désavoués par cette expérience.
Un Consensus appliqué contre vents et marées
Entre 1998 et 2001, la situation économique de l'Argentine ne cesse donc d'empirer, et ce
quels que soient les indicateurs pris en compte. Comme il l'avait fait les années précédentes
suite à la crise Tequila, le gouvernement Menem maintient les politiques inspirées par le
Consensus de Washington, bien que cette fois-ci la situation, internationale et nationale,
soit très différente. Toutefois, en 1998, cette position peut sembler raisonnable dans la
mesure où le Brésil maintient également ces politiques, et surtout maintient son régime de
change fixe avec le dollar, régime dans lequel le real est très clairement surévalué, ce qui
avantage les produits argentins par rapport aux produits nationaux, comme nous l'avons
déjà dit précédemment. Mais, le 13 janvier 1999, le gouvernement de Brasilia dévalue
sa monnaie, sans en avoir préalablement averti le gouvernement voisin. Cette fois-ci, la
situation s'aggrave véritablement pour l'Argentine. En effet, le commerce avec le Brésil
représente en 1998 pas moins de 51,1% des exportations industrielles du pays, qui ont plus
de facilités à s'exporter dans un autre pays émergent, ayant un niveau de développement
technologique comparable ( FIDE, 2008, p.143 ). La brusque dévaluation du real, accentuée
peu après par la suppression pure et simple du régime de change fixe, porte donc le coup
fatal à l'industrie argentine, déjà fortement affaiblie par l'ouverture à outrance des marchés
nationaux et par la fin des aides publiques intervenue tout au long des années 90. Le seul
secteur compétitif de l'économie argentine, faute d'une industrialisation de qualité, est alors
le secteur primaire, qui souffre d'une surévaluation du peso qui est de plus en plus évidente.
En effet, à la fin des années 90, le dollar a connu une augmentation considérable de
sa valeur par rapport aux autres monnaies mondiales, dû entre autres choses à la forte
demande de monnaie états-unienne suite à la panique causée par la crise asiatique. Le
peso, dont la valeur est ancrée au dollar, voit donc sa valeur augmenter encore alors qu'il
est déjà surévalué. Par ailleurs, le déficit de la balance des paiements courante induit une
diminution constante des réserves de la Banque Centrale, qui doit maintenir le taux de
change à la valeur fixée et pour cela combler ce déficit par ses réserves, ce qu'elle ne peut
faire désormais que grâce à un endettement, contracté à l'étranger, toujours plus important.
Dans ces conditions, l'abandon du régime de change fixe semble être la solution la plus
logique pour rétablir la compétitivité de l'économie nationale et permettre une amélioration
de la situation.
38
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
Malgré cela, le gouvernement ne semble même pas envisager cette option, qui il est
vrai comporte des risques très importants à tous les niveaux. Tout d'abord, du point de
vue politique, il s'agirait d'un désaveu évident des politiques menées précédemment. Cet
argument peut sembler étrange si on considère que le Président Menem est remplacé, lors
des élections de novembre 1999, par Fernando de la Rua, qui est censé être un opposant
à son prédécesseur. Mais le nouveau Président de la République, loin de s'éloigner des
politiques menemistes, les maintient et va même jusqu'à nommer, en mars 2001, Domingo
Cavallo ministre de l'économie, poste qu'il occupe déjà en 1991, lorsqu'il fait voter la
Loi de Convertibilité. Cependant, cette nomination, tout comme le maintien des politiques
économiques de son prédécesseur, tout comme la confirmation du régime de change fixe,
constituent pour le Président de la Rua un moyen de paraître digne de confiance auprès
des Institutions Financières Internationales, et en particulier du FMI, dont le financement est
de plus en plus indispensable. Il y a cependant une autre raison, bien plus fondamentale
encore, du maintien du régime de change fixe, qui est celle de l'internationalisation très
importante de l'économie, qui s'exprime entre autres par une dollarisation très avancée.
Cette dernière se vérifie par exemple dans le très grand nombre de contrats stipulés à
la fois en pesos et en dollars, ce qui est courant dans un régime de change de ce type.
Cependant, dans ces conditions, toute dévaluation ou dépréciation de la monnaie entraîne
nécessairement un réajustement de la valeur de ces contrats en fonction du nouveau
taux de change. Par ailleurs, la plus grande partie de la dette extérieure argentine est
libellée en dollars, de telle sorte qu'une dévaluation du peso par rapport à la monnaie étatsunienne aurait pour conséquence un poids encore plus lourd de la dette extérieure et de son
remboursement. Enfin, selon la FIDE ( 2008, p.140 ), en 1997 pas moins de 54% des actifs
argentins sont détenus par des investisseurs étrangers. C'est sans aucun doute pour toutes
ces raisons que les différents gouvernements n'ont pas osé remettre en question le taux
de change fixe du peso par rapport au dollar. Cependant, si cette solution est impraticable,
il reste à en trouver une autre. Dans la mesure où les Présidents successifs comptent
considérablement sur l'aide du FMI, cette solution ne peut être qu'inspirée par le Consensus
de Washington, et plus encore par la théorie néolibérale.
Et, en effet, les politiques économiques mises en place entre 1998 et 2001 sont
toutes fortement marquées idéologiquement dans ce sens. Par exemple, pour résoudre le
problème de la surévaluation du peso, le gouvernement argentin met en place dans un
premier temps de nouvelles lois pour flexibiliser les salaires, tout en s'engageant dans une
diminution de ceux des fonctionnaires. En effet, la surévaluation du peso s'exprime par le
fait que les prix des produits argentins sont trop élevés par rapport à ce qu'ils seraient si
le taux de change était libre. En conséquent, une diminution des salaires peut permettre
une diminution des prix, et donc des gains de compétitivité. De fait, entre octobre 1998 et
octobre 2001, le salaire moyen passe d'à peu près 620 pesos à 573, soit une diminution
de 7,58% ( Bertranou et Bonari, 2005, p.299 ). Cela ne permet cependant pas de sortir
de la crise, et l'aggrave même puisque la pauvreté explose, faisant s'effondrer la demande
intérieure. Le gouvernement conserve cependant son affiliation idéologique et, dans le but
de renforcer la confiance des investisseurs étrangers, il adopte en juillet 2001 une politique
visant à obtenir un « déficit zéro ». En d'autres termes, ne restent disponibles pour financer
les programmes du gouvernement que les ressources restantes une fois les intérêts de la
dette publique payée. Comme le remarque l'Independent Evaluation Office ( IEO, 2004,
p.51 ), cette politique proprement desespérée montre à quel point le besoin de financement
de l'Etat argentin est criant, ce qui ne fait qu'accentuer la débâcle financière.
L'application des réformes néolibérales alors que la crise s'aggrave ne fait donc que
détériorer encore la situation économique du pays, qui a de plus en plus de mal a rembourser
BRUYAS Benjamin_2010
39
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
ses dettes tout en assurant la paix sociale. De plus, le choix entre ces deux priorités apparaît
clairement lorsqu'on s'aperçoit que la dépense sociale consolidée de l'Argentine diminue
de 3,15% entre 1999 et 2000 ( calcul réalisé à partir de chiffres de Vinocur et Halperin,
2004 ). Dans la mesure où la situation sociale ne cesse d'empirer alors que la situation
financière ne s'améliore pas, au contraire d'ailleurs, l'explosion de la crise apparaît comme
inévitable. Le gouvernement argentin se tourne alors vers le soutien indéfectible de ces
dernières années : le FMI.
De l'aide à l'abandon du Fonds
Fin 2000, la situation financière de l'Argentine atteint un niveau critique, la dette extérieure,
représentant l'équivalent de 5 fois la valeur des exportations ( IEO, 2004, p.47 ), semble de
plus en plus impossible à rembourser. En conséquence, le gouvernement fait appel au FMI,
qui accepte initialement d'apporter son aide pour sauver le pays qu'il a présenté tout au long
des années 90 comme l'exemple à suivre en termes de politiques de développement. Par
ailleurs, le Fonds craint les conséquences néfastes qu'aurait un effondrement de l'économie
argentine, et plus encore l'abandon du régime de change fixe, d'une part sur l'économie
de la région, et d'autre part sur les autres pays ayant un régime de change fixe avec le
dollar. Enfin, comme le signale à plusieurs reprises le rapport de l'Independent Evaluation
Office ( IEO, 2004 ), le grand sérieux du pays dans l'application des politiques économiques
conseillées par le Consensus de Washington, sérieux qui, selon les chercheurs de l'IEO,
explique la sortie rapide de la crise Tequila de 1994-1995, est toujours présent et permet
donc d'espérer une reprise.
Cependant cette dernière idée n'est pas entièrement consensuelle au sein du Fonds
à l'époque. En effet, au début de 2001, toujours selon le rapport de l'IEO de 2004, deux
diagnostics différents existent au sein du FMI ( IEO, 2004, p.39 ). Les tenants du premier
diagnostic estiment que les difficultés que traverse l'Argentine sont causées par des chocs
temporaires, et qu'un retour de la confiance permettrait de mettre un terme à la crise de
liquidité. Si ce diagnostic était juste, la solution la plus logique serait d'accorder des prêts
au pays, de façon à prouver la confiance du Fonds et donc à créer un choc de confiance,
positif cette fois, permettant un retour à la croissance. L'autre diagnostic, en revanche,
repose sur l'idée que les problèmes rencontrés par l'Argentine, tant du point de vue financier
que commercial, proviennent de la surévaluation du peso, non seulement par rapport au
dollar, mais aussi par rapport à toutes les autres monnaies. Selon ce diagnostic, la solution
apportée par le Fonds devrait être bien plus énergique, et impliquer comme condition à une
aide future un changement important de la politique de change ou une restructuration de la
dette. Le premier diagnostic est finalement celui qui prévaut, et l'aide est accordée en janvier
2001, avec comme condition une diminution du déficit public. Cette aide est rapidement
renforcée par d'autres programmes d'Institutions Financières Internationales ainsi que par le
gouvernement espagnol, pour atteindre finalement une valeur totale de près de 40 milliards
de dollars ( IEO, 2004, p.40 ).
Ces aides ne permettent cependant pas au pays de sortir de la crise, malgré les
prévisions du FMI. Ces prévisions sont d'ailleurs, de l'avis même de nombreux membres du
Fonds, exagérément optimistes ( IEO, 2004, p.44 ). Et effectivement, le choc de confiance
tant espéré ne se matérialise pas, et la crise de liquidité s'aggrave tout au long de 2001,
alors que la situation économique et sociale se détériore rapidement. Ainsi, alors qu'en 2000
le PIB n'avait diminué que de 0,8%, il plonge en 2001 de 4,4% ( op. Cit., p. 41 ). Malgré
cela, le FMI continue d'apporter son soutien à l'Argentine, même si ce soutien est de moins
40
BRUYAS Benjamin_2010
Le cas de l'Argentine, ou l'échec de l'expérimentation
en moins défendu au sein de l'institution. La véritable question qui se pose est la suivante :
pourquoi, alors même que la situation ne cesse de se détériorer, le Fonds continue-t-il a
accorder son aide à l'Argentine, non pas une mais deux fois dans l'année, une fois en mai
et une autre en septembre ?
Selon le rapport de l'IEO, déjà cité, l'institution de Washington soutient le pays à corps
perdu pour éviter son effondrement et une éventuelle contagion de la crise. Toutefois, il
est hautement probable que des considérations politiques aient une importance majeure
dans ce choix. En effet, l'échec des politiques néolibérales en Argentine, pays dont les
institutions du Consensus de Washington ont fait leur véritable champion dans les années
90, pays qu'elles ont montré en exemple pour son enthousiasme dans l'application des
théories néolibérales et monétaristes de l'économie du développement, cet échec ne serait
nul autre que l'échec des théories dont elles se prévalent, ou, encore pire d'un point de vue
politique, leur échec. Dans la mesure où ces institutions ont présenté l'Argentine comme
le parfait exemple ou, pour prendre une formulation plus paternaliste, le meilleur élève des
pays en développement, un effondrement de l'économie argentine ne pourrait entraîner
que deux réactions possibles pour elles : soit reconnaitre leurs torts et rechercher une
nouvelle théorie de référence, ou tout au moins effectuer un changement radical dans la
théorie en vigueur; soit chercher à expliquer cet effondrement par d'autres causes que
l'application de leurs théories, ce qui constitue également un constat d'échec puisqu'elles
n'auraient pas vu ces autres causes à l'œuvre lorsque l'Argentine était dans une phase
d'expansion. Le renforcement des politiques néolibérales, soutenu par l'aide financière
du Fonds dans l'espoir d'une reprise apportée par les marchés, semble donc la seule
solution acceptable politiquement et, peut-être de manière plus fondamentale encore, la
seule solution admissible sans remettre en cause tout l'appareil théorique qui soutient la
doctrine du FMI.
En effet, l'adhésion des institutions internationales au Consensus de Washington est
alors si profonde qu'une solution ne correspondant pas au paradigme néolibéral en devient
pour ainsi dire impensable. Ainsi, la décision de poursuivre l'aide financière à l'Argentine
en janvier 2001 est plus tard présentée comme une décision faite dans une situation
d'incertitude majeure, dans laquelle aucune autre solution pour résoudre la crise ne semblait
raisonnable. Cette politique est donc le choix de la meilleure alternative à la dévaluation,
cette dernière étant perçue comme trop risquée ( IEO, 2004, p.44 ). L'autorité scientifique
dont jouit alors la théorie néolibérale dans les institutions du Consensus est tellement
grande que, comme le montre le rapport de l'IEO, aucune autre solution n'est sérieusement
envisagée, si ce n'est un retrait pur et simple du FMI ( op. Cit., p.43 ) qui abandonnerait
ainsi l'Argentine à son triste sort.
C'est d'ailleurs cette solution de retrait qui finit par prévaloir puisque, le 5 décembre
2001, le FMI annonce qu'il refuse d'accorder une augmentation de prêt de 1,3 milliards
de dollars à l'Argentine du fait du déficit fiscal, qui dépasse alors largement toutes les
prévisions ( op. Cit., p.57 ). Le résultat ne se fait pas attendre : la situation économique et
sociale n'ayant cessé de se détériorer tout au long de l'année, le mécontentement populaire
grandit à toute vitesse, d'autant que les classes populaires, très touchées par les difficultés
depuis plusieurs années déjà, sont à présent rejointes par les classes moyennes dont les
dépôts bancaires ont été gelés pour éviter que la panique bancaire ne s'ajoute à la fuite
des capitaux étrangers. Le chômage augmente pour atteindre plus de 20% de la population
active, alors que la part des salaires dans la valeur ajoutée représente à peine plus de 40%
BRUYAS Benjamin_2010
41
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
33
en 2001 ( Novick, Lengyel et Sarabia, 2009, p.13 ). Le mouvement social des Piqueteros
se développe et les manifestations se multiplient tout au long de l'année. Le 12 décembre
commence une grève nationale, durant laquelle un manifestant est tué, et le Président de
la Rua, ne voyant plus d'autre alternative, démissionne le 20 décembre. Suit un épisode
d'instabilité politique aigüe, voyant pas moins de trois chefs de l'Etat se succéder en 11
jours. Le 1er janvier 2002, Eduardo Duhalde est élu Président par intérim par les deux
chambres du pouvoir législatif. Après quelques péripéties, parmi lesquelles l'instauration
d'un régime de convertibilité double, le président Duhalde supprime le régime de la Loi
de Convertibilité de 1991 et adopte un régime de change flottant pour le peso, qui se
déprécie alors très rapidement. Cela représente un gain de compétitivité considérable pour
les entreprises argentines, mais le temps que l'ajustement du taux de change puisse faire
sentir ses effets sur l'économie, la situation sociale a continué de se détériorer, malgré
l'adoption de programmes sociaux très ambitieux, tels que le plan Jefes y Jefas de Hogar
34
Desocupados ( Vinocur et Halperin, 2004, p.36 à 42 ). En juin 2002, la police réprime très
durement des manifestations de chômeurs, et Duhalde organise des élections anticipées qui
permettent, le 25 mai 2003, l'arrivée au pouvoir de Néstor Kirchner, qui rompt explicitement
avec les politiques mises en place par ses prédécesseurs et choisit de ne plus appliquer les
conseils du FMI. La nouvelle orientation idéologique du gouvernement permet d'obtenir des
résultats très positifs. Ainsi le taux de pauvreté chute-t-il véritablement de 20,9 points entre
le second semestre de 2003 et celui de 2006 ( Novick, Lengyel et Sarabia, 2009, p.16 ),
année pendant laquelle le pays règle avant l'échéance ses dernières dettes vis-à-vis du
Fonds ( FMI, 2006, p.17 ).
L'exemple argentin montre non seulement un échec cuisant des politiques inspirées par
le Consensus de Washington, mais aussi une réussite des politiques déconseillées par ce
même Consensus. Les implications théoriques et politiques de cette expérimentation sont
donc très importantes, puisqu'elles constituent clairement une remise en cause de la validité
pratique des théories sur lesquelles est basé cet ensemble de réformes. Il s'agit désormais
de savoir comment les milieux scientifiques et politiques de Washington vont réagir à cette
situation, et comment la théorie et la pratique vont s'adapter à cette nouvelle donne.
33
Les « Piqueteros » sont les participants des mouvements sociaux argentins de la période, tirant leur nom de la pratique
fréquente de « piquetes », action visant à bloquer la circulation sur une route en y manifestant, instrument privilégié de la revendication
pendant cette période.
34
42
Ce qu'on peut traduire par « chefs ( masculins ) et chefs ( féminins ) de famille [littéralement : de foyer] au chômage ».
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
Après le Consensus, de la contestation
au choix
La fin du « miracle argentin » semble sonner le glas du Consensus de Washington. En
effet, cette expérimentation de la théorie, que les défenseurs du Consensus ont eux-même
présentés comme exemplaire à ses débuts, a finalement montré un grand nombre de limites
et de contradictions du modèle théorique, l'une des principales contradictions pratiques
concernant le maintien à outrance de l'équilibre budgétaire, objectif quasiment impossible
à atteindre en période de crise. Or, les politiques procycliques inspirées par le Consensus
portent à une aggravation de ces crises et de ces chocs, de sorte qu'appliquer les dix points
de Williamson en période de prospérité rend beaucoup plus difficile de les appliquer en
période de crise. La désillusion vis-à-vis du Consensus est d'ailleurs d'autant plus forte au
début des années 2000 que son application dans les pays d'Amérique du Sud n'a, pour le
moins, pas eu les effets positifs escomptés. En effet, comme le remarque Ocampo ( 2004,
p.4 ), les résultats en termes de croissance de tous les pays de la région sont décevants par
rapport aux résultats historiques, la croissance moyenne étant de 3,7% par an pour ces pays
dans la période pendant laquelle le modèle est le plus performant, c'est-à-dire entre 1990
et 1997, alors que ces même pays connaissent entre 1950 et 1980 un taux de croissance
annuel moyen de 5,5%. Par ailleurs, le nombre de pauvres en Amérique Latine augmente
entre 1980 et 2000, passant de 120 à 220 millions de personnes ( Uzunidis, 2005, p.871 ).
Ces résultats, relativement homogènes traduisent d'ailleurs des situations très diverses, qui
mettent en évidence l'une des faiblesses théoriques du Consensus, à savoir sa prétention
universalisante, portée par les institutions internationales, dont nous avions parlé dans la
première partie.
L'échec du modèle est donc clair, à tel point que le Président de la Banque Mondiale,
James Wolfensohn, estime en 2002 que le « Consensus de Washington » est mort
( Uzunidis, 2005, p.873 ). Le problème qui se pose dès lors est d'ordre théorique autant
que pratique. Il s'agit de comprendre quelles ont été les erreurs qui ont été faites, et surtout
comment ne plus les faire. Il s'agit également de proposer un nouveau modèle théorique,
un ensemble d'hypothèses devant permettre un changement positif de la pratique. Il s'agit
enfin de mettre en place ce changement dans la pratique, entre autres choses par une
évolution radicale des conditionnalités de prêt du Fonds Monétaire International et de la
Banque Mondiale. Les deux premières phases de cette évolution, c'est-à-dire l'identification
des limites du modèle et sa reformulation ou son remplacement, représentent un processus
intéressant de contestations et de réponses entre les scientifiques se trouvant hors des
Institutions Financières Internationales et ceux se trouvant en leur sein. En revanche, la
troisième phase du processus, à savoir la transmission à la pratique des résultats du
débat scientifique, repose entièrement entre les mains de ces institutions, dont le pouvoir
d'interprétation est de ce fait beaucoup plus fort si le champ scientifique est divisé.
Quand la crise devient théorique
BRUYAS Benjamin_2010
43
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
La crise économique, politique et sociale de l'Argentine des années 2001 et 2002
démontre, comme nous l'avons dit, l'échec d'un modèle théorique, celui de la théorie
du développement de l'école de pensée néolibérale et monétariste, incarnée dans le
Consensus de Washington. Cet échec pratique entraîne nécessairement une recomposition
du champ scientifique de l'économie politique, dont la fonction sociale est précisément
d'expliquer ce genre d'évènements et de proposer des politiques alternatives à celles ayant
échoué. Les réactions au sein de ce champ sont très nombreuses, la plupart s'attaquant
aux Institutions Financières Internationales, accusées d'avoir promu un modèle de
développement dont l'application a entraîné des conséquences proprement désastreuses
dans de nombreux pays, et n'a en tout cas pas tenu ses promesses en termes de croissance
et de développement économique.
Ces réactions scientifiques, pour la plupart très critiques vis-à-vis du Consensus, se
concentrent sur deux axes de réflexion : d'une part, les critiques sur le fond, visant le
Consensus de Washington lui-même, et d'autre part les critiques sur son application et sa
mise en place, et plus particulièrement sur l'attitude e l'action des IFI.
Le Consensus : la crise de la simplification
Au début des années 2000, de nombreuses critiques sont adressées au Consensus de
Washington en tant que modèle théorique, une bonne part de ces critiques provenant de
scientifiques parfaitement intégrés dans les élites intellectuelles des pays développés dont
Williamson se réclame lorsqu'il formule ses dix points. Ces diverses interventions montrent
bien que si il y a effectivement eu un consensus, il était bien fragile et n'a pas résisté à la
pression des faits. De manière étonnante, ces critiques provenant du champ scientifique
proche du Washington du Consensus se montrent clairement en opposition avec la théorie
néolibérale et ce sur de nombreux points.
Par exemple, le Carnegie Endowment for International Peace, un think tank basé à
Washington, publie en 2001 une étude de Nancy Birdsall et Augusto de la Torre, dans
laquelle ces derniers regrettent l'absence de considérations d'équité sociale dans le texte
d'origine de Williamson, et proposent un ensemble de « 10+1 outils pour l'Equité Sociale »,
dont le but n'est pas de remplacer le Consensus, mais de le compléter. Les mesures
du Consensus restent considérées comme globalement positives par les auteurs, mais
elles doivent être complétées pour intégrer les problématiques sociales, ce que la théorie
néolibérale n'a jusqu'ici jamais accepté, cherchant à faire de « l'économie pure » une forme
de savoir parfaitement indépendante des autres. Les outils de Birdsall et de la Torre sont
variés, et sont en rupture avec la pratique de l'Amérique Latine des années 90. Il s'agit entre
autres d'instituer des politiques économiques contracycliques ( 2001, p.23 à 27 ) et de mettre
en place des politiques fiscales redistributives ( p.35 à 43 ). Cette dénonciation de certains
éléments centraux de la doctrine néolibérale, incarnés dans le Consensus, est d'autant plus
intéressante qu'elle provient d'un think tank parfaitement intégré dans le champ scientifique
de Washington, montrant clairement que, s'il y a jamais eu un consensus dans ce champ, il
n'existe désormais plus, ou il a changé radicalement de nature et de base théorique, comme
pourrait le suggérer l'opposition d'autres économistes intégrés au Consensus, opposition
qui se fait de plus en plus fréquente.
Ainsi, par exemple, en est-il de Jose Antonio Ocampo, diplômé de Yale et professeur
de relations publiques et internationales à l'université de Columbia, à New York. Il
est en effet l'auteur de l'article « Beyond the Washington Consensus : What Do We
Mean ? » ( 2004 ) paru dans le « Journal of Post Keynesian Economics », ce qui montre
44
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
bien que l'échec du Consensus a ravivé le keynésianisme, les post-keynésiens étant
plus proches des idées originelles de Keynes que les néokeynésiens. Dans cet article,
l'auteur met en évidence certaines limites théoriques du Consensus, qui selon lui n'a pas
estimé correctement certaines difficultés et l'effet de certaines réformes. Il remarque par
exemple que les défenseurs du Consensus de Washington estiment que les réformes
augmentant la libéralisation et l'ouverture internationale permettent une amélioration de
la productivité dans les secteurs « internationalisés » de l'économie domestique, point
avec lequel Ocampo est en parfait accord. Toutefois, il met en évidence le fait que,
contrairement à ce que prévoient les néolibéraux, ces gains de productivité ne se sont
pas, dans la pratique, propagés aux autres secteurs de l'économie. De ce fait, l'ouverture
internationale croissante n'a conduit qu'à une augmentation des disparités de productivité
entre les secteurs, encore renforcée par une mauvaise allocation des capacités productives
( Ocampo, 2004, p.6 ). A cette critique de l'ouverture économique succède une défense
sans ambigüité de l'intervention étatique dans l'économie. Il défend ainsi cette intervention
dans la mise en place de normes et de règles visant à limiter les excès et les erreurs
des marchés, ces normes devant permettre une plus grande efficience à ces derniers
( op. Cit., p.15 ) et dans la mise en place de politique contracyclique, c'est-à-dire de
politiques visant à atténuer les effets des fluctuations des marchés ( p.13 ), les politiques
procycliques étant, comme nous l'avons fait remarquer dans la seconde partie, l'un des
principaux problèmes mis en évidence par l'expérience argentine. Ces prises de position
sont en claire opposition avec la théorie néolibérale et monétariste, selon laquelle toute
intervention de l'Etat, même si elle est inévitable, est toujours négative en termes d'efficacité
et d'efficience des marchés. Il compare ensuite les expériences latino-américaines avec
celles des pays de l'Asie du Sud-Est, montrant que ces derniers, ayant choisi une politique
économique interventionniste reposant sur une stratégie de développement à long terme,
ont connu une prospérité économique bien supérieure ( p.18 ). Il remet même en question
la pertinence des privatisations, en rappelant le succès de certaines entreprises publiques
ainsi que les conséquences négatives de ce type de réformes, par exemple du fait de la
corruption qu'elles occasionnent, le cas d'Aerolinas Argentinas, cité dans la seconde partie
de ce travail, étant d'ailleurs une bonne illustration. Il choisit comme exemple contraire à
cette tendance négative la société CODELCO, la compagnie publique chilienne, première
productrice mondiale de cuivre, puis rappelle que les privatisations, réalisées de manière
très contestables en Amérique Latine, ont occasionné un sentiment populaire extrêmement
négatif, non seulement envers elles-même, mais aussi envers les réformes orientées vers
un renforcement des marchés, ces deux types de réformes obtenant respectivement 22%
et 16% de soutien selon le Latinobaròmetro de 2003 ( Ocampo, 2004, p.22 ).
Ce dernier point n'emporte cependant pas l'unanimité chez tous les critiques du
Consensus. Moises Naim, diplômé du Massachusetts Institute of Technology, ancien
ministre de l'industrie et du commerce vénézuelien dans les années 1980, bien que très
critique vis-à-vis du Consensus de Washington, qu'il appelle dans le titre d'un article
du Financial Times, « A Damaged Brand », qu'on pourrait traduire par « une marque
dépréciée », considère dans cet article que les critiques de cet ensemble de mesures ne
doivent pas être trop systématiques ou trop générales. Pour illustrer ce propos, il parle d'une
« étude récente », qu'il ne nomme pas, selon laquelle les municipalités argentines ayant
privatisé leur service d'eau auraient connu une réduction de la mortalité infantile de 6%
( Naim, 2002 ). Il appelle donc à éviter toute approche simplificatrice, ce qui est extrêmement
important pour la suite, tout en adressant de violentes critiques au Consensus, en particulier
dans son article « Washington Consensus or Washington Confusion ? » ( Naim, 2000 ).
BRUYAS Benjamin_2010
45
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
Dans cet article, il anticipe plusieurs des remarques d'Ocampo, mais se montre plus
précis quant à l'élaboration d'un autre modèle de développement. En effet, il explique que,
selon lui, le Consensus a négligé un élément extrêmement important dans le développement
économique, à savoir les institutions. Naim fait ainsi remarquer, par exemple, que « la
réforme fiscale était peu utile si les impôts ne pouvaient pas être collectés » ( Naim,
2000, p.93 ). Les réformes institutionnelles sont donc absolument nécessaires, même si
elles doivent intervenir, selon cet auteur, pour « compléter les changements de politique
macroéconomique » ( op. Cit., p.93 ), ces derniers restant indispensables, même s'il accorde
une plus grande place à l'intervention étatique que ne le faisait le Consensus, en particulier
dans l'interprétation qu'en faisaient les Institutions Financières Internationales. Pour être
plus précis, l'auteur identifie dans son article cinq domaines dans lesquels des réformes sont
nécessaires afin de parvenir à l'élaboration de politiques de développement pertinentes.
Ces cinq points, qu'il appelle les « cinq I », sont de fait les principaux points aveugles
du Consensus et, de manière plus générale, de la théorie néolibérale du développement.
Ces cinq I sont : l'instabilité économique internationale, l'investissement, les inégalités, les
institutions et enfin l'idéologie, dont il faut selon l'auteur se méfier ( p. 97 à 101 ).
S'il faut se méfier de l'idéologie, c'est avant tout pour éviter un retour à des
simplifications hâtives et à une universalisation de théories qui, de fait, ne peuvent pas
être efficaces dans tous les contextes. Cet appel à un retour à l'humilité des économistes
se retrouve plus encore dans l'intervention faite par Dani Rodrik en 2006 à l'Université
d'Harvard, où il enseigne l'économie politique. Dans cette intervention, Rodrik explique la
nécessité pour le FMI et la Banque Mondiale d'adapter les conseils qu'ils donnent et les
programmes qu'ils imposent aux pays dans lesquels ils opèrent, et plus précisément aux
difficultés de ces pays. Afin d'éviter les schématisations abusives tout en proposant une
solution applicable, il établit une typographie des problèmes économiques que peuvent
rencontrer les pays en développement, cette typographie prenant la forme d'une série de
difficultés possibles, chacune donnant lieu à des ramifications en fonction des raffinements
à y apporter ( Rodrik, 2006, p.26 ). Une fois le problème principal identifié, il devient possible
d'y apporter une solution adaptée, qui sera donc plus efficace, et plus acceptable pour
les populations concernées, que les solutions toutes faites imposées par des technocrates
inconnus, n'ayant parfois qu'une connaissance vague du pays auquel ils imposent leur
volonté, cette dernière représentation ayant eu un certain succès dans les pays sujets à des
plans d'ajustement structurels infructueux. C'est d'ailleurs cette considération qui pousse
Ocampo a faire remarquer l'importance du consentement démocratique aux politiques
économiques ( Ocampo, 2004, p.23 ), consentement qui est particulièrement difficile à
obtenir si ces politiques sont perçues comme imposées par des institutions arrogantes.
Cette attitude des institutions constitue d'ailleurs le second axe majeur de critiques
opposées au Consensus de Washington.
Les institutions : la crise de l'arrogance
Critiquer le Consensus de Washington au début des années 2000 ne se résume en
effet pas à critiquer son contenu théorique. Ce qui est alors désigné sous ce nom est
en effet relativement éloigné des dix points de Williamson, puisqu'il s'agit de l'application
systématique des théories néolibérales du développement, qui s'incarnent dans le
Consensus tout en y apportant une lecture propre. Ainsi, dans son livre « Keynes, the Return
46
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
35
of the Master » ( Skidelsky, 2009, cité sur Wikipedia, 2010 ), Robert Skidelsky compare,
au chapitre 5, ce qu'il appelle « l'age d'or du capitalisme », durant lequel les politiques
économiques keynesiennes sont appliquées partout dans le monde occidental, qui s'étend
selon lui entre 51 et 73, et la période du Consensus de Washington, qui dure de 1981 à
2008, remarquant que la première période a connu une croissance économique globale
nettement plus élevée que la seconde. Le point important ici est que le commencement de
la période de domination du Consensus se situe en 1981, autrement dit huit ans avant que
Williamson n'élabore sa liste de mesures, et même cinq ans avant le livre dont l'économiste
dit s'être inspiré, « Toward Renewed Economic Growth in Latin America » ( Balassa et al.,
1986 ). Autrement dit, le Consensus de Washington, au fil des ans et au fur et à mesure que
se mettent en œuvre des politiques s'en réclamant, en est venu à représenter de plus en
plus clairement la théorie néolibérale du développement, indépendamment même du sens
originel du terme, qui ne recouvre que les dix points de Williamson. Ce dernier lui-même
regrette ce glissement sémantique dans un discours au nom évocateur : « Le Consensus de
Washington a-t-il échoué ? » ( « Did the Washington Consensus Fail ? », Williamson, 2002 ).
Au début de ce discours, l'économiste déplore le fait que le terme qu'il a forgé en soit venu à
représenter pour le grand public « un ensemble de politiques néolibérales qui a été imposé
à d'infortunés pays par les institutions financières internationales basées à Washington et
36
les a mené à la crise et à la misère ». Il emploie la suite de ce discours à définir plus
précisément ce que chacun de ses dix points signifient pour lui, ce qui est en soi un bel aveu
de l'imprécision de son premier texte. C'est précisément cette imprécision qui a permis,
selon lui, les interprétations fautives de ses idées, qui sont pourtant très inspirées par la
théorie néolibérale dès l'origine, comme nous l'avons vu dans la première partie. Quoi qu'il
en soit, le mauvais usage de cet outil théorique qu'est le Consensus de Washington repose
donc, selon son auteur, sur la mauvaise interprétation des diverses institutions chargées de
l'appliquer, qu'il s'agisse des Etats ou des IFI.
Le Consensus, utilisé dans cette acception d'une incarnation de la théorie néolibérale
inspirant des politiques très variées ( Naim, 2002 ) mais toujours orientées vers un
renforcement des marchés par rapport à l'Etat, a soulevé des critiques nombreuses et
variées, certaines venant, comme précédemment, du microcosme même des scientifiques
intégrés dans le Consensus, c'est-à-dire dans les grandes universités états-uniennes et
les institutions internationales. Ainsi, dans l'article de Moises Naim, déjà cité ( Naim,
2000, p.91 ), l'auteur remarque comment les gouvernants des pays en développement
ont vu « tout au long de la décennie, […] le niveau définissant le succès ne cessait
d'être augmenté et comment les changements qu'ils étaient censés réaliser devenaient de
37
plus en plus complexes et, parfois, politiquement impossibles ». Il ajoute que « le sens
commun « évoluait » simplement […] la résistance aux réformes était moquée comme
38
étant du « populisme » ». Dans ces conditions, ceux qui donnent leurs conseils, ici les
institutions du Consensus, ne peuvent jamais être prises en défaut, puisque tout échec
de l'expérimentation est dû à une erreur ou à une mauvaise compréhension de ceux qui
l'appliquent. L'expérience des années 90 donne ainsi des preuves claires de cet orgueil
35
L'article de wikipedia consacré à cet ouvrage est disponible, en anglais, à l'adresse suivante : http://en.wikipedia.org/wiki/
Keynes:_The_Return_of_the_Master
36
« a set of neoliberal policies that have been imposed on hapless countries by the Washington-based international financial
institutions and have led them to crisis and misery »
37
« Throughout the decade, […] the bar defining success kept being lifted and how the changes they were expected to make
became increasingly complex and, sometimes, politically impossible. »
38
« Common wisdom was simply "evolving." Resistance to reforms was derided as "populism." »
BRUYAS Benjamin_2010
47
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
des institutions de Washington, en particulier le FMI et la Banque Mondiale, imposant un
modèle et refusant le responsabilité de ses échecs. Cette posture est très peu scientifique
puisqu'elle rend la pratique, et non la théorie, responsable des conséquences négatives
de l'expérimentation. Elle est d'ailleurs d'autant moins scientifique que ces conséquences,
loin de n'exister que dans des cas isolés, se répètent avec une constance certaine dans
la plupart des cas. C'est donc bel et bien l'arrogance de ces institutions internationales qui
est montré du doigt.
Cette arrogance est d'ailleurs d'autant plus critiquable que, de l'avis de certains savants,
l'interprétation du Consensus faite par ces institutions est fautive, en cela qu'elle se
concentre sur les aspects purement économiques des mesures proposées, en négligeant
les problématiques sociales qui se trouvent dans le texte de Williamson de 1990 ( Birdsall
et de la Torre, 2001, p.4 et 5 ). Cependant, comme nous l'avons vu dans la première partie,
cet argument est contestable, car le texte d'origine ne contient tout simplement aucune
référence à l'équité sociale, et ne fait que quelques allusions au bien-être des membres
des couches modestes de la population. Par ailleurs, le fait qu'une lecture néolibérale du
Consensus ait prévalu parmi les Institutions Financières Internationales vient sans aucun
doute de l'influence évidente de cette école de pensée sur les dix mesures.
Cependant ces institutions ne sont pas les seules fautives, puisque les gouvernements
chargés d'appliquer les plans d'ajustement structurels attirent également certaines des
critiques adressées au Consensus. Ainsi Przeworski et Vreeland, dans un article pour
le Journal of Development Economics ( 2000 ), dans lequel ils tentent de démontrer à
l'aide de modèles statistiques que les plans d'ajustement structurels du FMI ont un impact
négatif en termes de croissance économique, s'interrogent sur les pays demandant un
programme d'aide du FMI alors qu'ils ne connaissent pas de déséquilibre majeur de la
balance des paiements courante. Selon les deux auteurs, enseignant tous deux dans de
grandes universités états-uniennes et donc parfaitement intégrés dans le champ scientifique
de la superpuissance, certains chefs de gouvernement peuvent être tentés, s'ils souhaitent
mettre en place des politiques néolibérales mais craignent qu'elles ne soient rejetées par la
population et entraînent un coût politique trop lourd, de demander l'aide du Fonds de façon
à présenter ces réformes comme imposées de l'extérieur, ce qui réduit la perte de popularité
potentielle de ces gouvernants ( Przeworski et Vreeland, 2000, p.391 ), même si cela ne
participe pas à une amélioration de l'image des institutions internationales.
Toutes les critiques étudiées jusqu'ici sont formulées par des scientifiques fortement
intégrés dans le champ scientifique états-unien. Qu'elles portent sur la base scientifique
du Consensus ou sur son application par les institutions qui se le sont approprié, ces
critiques sont fondamentales. Dans le cas de la base théorique du Consensus, elles portent
sur l'importance des institutions, et de leur renforcement, dans le développement, sur
l'erreur que constitue pour les pays en difficulté l'adoption de politiques procycliques, et
enfin sur le risque de généralisation, et même d'universalisation abusive, de concepts
économiques reposant sur un contexte précis. En ce qui concerne les institutions défendant
le Consensus, les principales accusations portent sur l'arrogance de ces institutions,
refusant toute responsabilité dans les échecs de leurs conseils, et traitant les pays ne les
acceptant pas de manière négative, comme par exemple avec l'accusation de « populisme »
dont parle Naim ( 2000, p.91 ), alors que les Etats les appliquant le font parfois par pur
opportunisme politique. Toutes ces critiques appellent une redéfinition des théories et des
prescriptions de l'économie du développement, ainsi qu'à une plus grande humilité et une
plus grande adaptabilité de la part des Institutions Financières Internationales. Pour autant,
ces critiques sont formulées dans un champ scientifique très dépendant des circuits de
48
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
récompense et de valorisation de ces institutions, ce qui en affecte évidemment les positions
( Nayyar et Bhaduri , 1997 ). En effet, dans tout champ, il existe des tabous et des pensées
qui sont, précisément, impensables, sous peine de marginalisation dans le champ. Ces
pensées ne peuvent donc être formulées que par des individus, soit extérieurs au champ,
soit si intégrés au champ que leur autorité en son sein est incontestable.
Ainsi en est-il des critiques adressées aux pays développés en général et aux EtatsUnis en particulier. Au sein du champ dont nous venons de parler, peu nombreux sont
ceux qui peuvent se permettre de critiquer le Consensus de Washington de ce point de
vue au début des années 2000. Le principal auteur disposant de suffisamment d'autorité
pour cela est Joseph Stiglitz, ayant reçu le prix d'économie de la Banque de Suède en
mémoire d'Alfred Nobel en 2001 et ancien Chief Economist à la Banque Mondiale. Stiglitz
remarque ainsi en 2002 dans son livre « La Grande Désillusion » ( p.308, cité par Uzunidis,
2005, p.875 ) que « Les pays […] en développement ne cessent de demander pourquoi
les Etats-Unis, lorsqu'ils sont confrontés à une crise économique, [adoptent] des politiques
budgétaires et monétaires expansionnistes, alors que quand ils se trouvent, eux, dans cette
situation, on exige qu'ils fassent exactement le contraire ». Les politiques de relance des
pays industrialisés suite à la crise de 2008 sont un exemple récent de cette tendance au
« faites ce que je dis, pas ce que je fais » des pays développés.
L'explication de cette incohérence nécessite une prise de position très critique vis-àvis de ces pays, que Dimitri Uzunidis, maître de conférence à l'Université de Dunkerque,
n'hésite pas à adopter. En effet, dans son article « Les Pays en Développement Face
au « Consensus de Washington » Histoire et Avenir » ( Uzunidis, 2005 ), l'auteur accuse
les Etats-Unis d'utiliser les institutions internationales, qu'ils contrôlent plus ou moins
directement, pour faciliter l'ouverture internationale des pays en développement, qui est
toujours profitable aux entreprises états-uniennes, tout en pratiquant pour leur part un
protectionnisme à peine caché. Cette idée, qui se retrouve également dans l'ouvrage de
Stiglitz « Pour un Commerce Mondial Plus Juste » ( Stiglitz et Charlton, 2005 ) ainsi que dans
les idées des mouvements et des penseurs hétérodoxes, constitue une dénonciation claire,
selon laquelle une simple réforme de la théorie du développement ne peut suffire. Il faut y
ajouter une réforme des institutions internationales accordant une plus grande part aux pays
en développement, de façon à éviter leur instrumentalisation par les pays industrialisés.
Quoi qu'il en soit, le début des années 2000 voit une véritable explosion des critiques
adressées au Consensus de Washington et aux institutions chargées de l'appliquer. Ces
critiques, nombreuses et variées, ne peuvent rester sans réponse, et les institutions du
Consensus sont donc rapidement appelés à élaborer cette réponse, et à faire un choix entre
le maintien inconditionnel, l'adaptation ou l'abandon pur et simple de leur modèle.
La fin du Consensus à Washington
Les nombreuses critiques adressées par le champ scientifique au Consensus de
Washington ne sont pas restées sans réponse, et ont déclenché de la part des institutions
du Consensus, et en particulier des deux plus puissantes d'entre elles, c'est-à-dire le Fonds
Monétaire International et la Banque Mondiale, des réactions tout à fait intéressantes dans
le champ scientifique. En effet, les économistes de ces deux institutions, dans les années
qui suivent les diverses crises consécutives à l'adoption par des pays en développement
du modèle qu'ils leur avaient conseillé, ont eu à élaborer des réponses pertinentes aux
BRUYAS Benjamin_2010
49
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
faiblesses mises en évidence par ces crises dans la justesse de leur doctrine. L'élaboration
de cette réponse présente pour eux un double enjeu théorique et social : il s'agit d'une
part de se positionner par rapport à leurs conseils passés, et surtout par rapport aux
conséquences de ces conseils, afin de conserver leur crédibilité et l'autorité scientifique dont
ils jouissent dans les années 90; mais il s'agit également de renouveler cette crédibilité en
proposant des solutions aux problèmes qu'ils identifient comme étant les plus importants
dans l'explication des crises récentes. Comme toujours dans le champ scientifique des
sciences économiques, et en général des sciences sociales, à ces enjeux théoriques et
sociaux internes au champ s'ajoute un enjeu politique majeur : en effet, la théorie, ou
la doctrine, qui s'impose comme dominante parmi les scientifiques doit également être
acceptée par les décideurs politiques afin d'être appliquée. Cela implique une double
difficulté : il s'agit d'élaborer des solutions théoriques qui puissent être comprise par le
grand public et qui puissent être acceptables pour les politiciens, ces derniers ne voyant pas
forcément d'un bon œil la recomposition des rapports de force au sein du champ scientifique,
après deux décennies de domination pratiquement sans partage des théories néolibérales.
Il s'agit donc pour ces scientifiques, dont les positions ont une influence politique majeure,
puisqu'elles déterminent, ou tout au moins justifient a posteriori, les décisions des deux
plus puissantes Institutions Financières Internationales, d'élaborer un cadre de références
théorique à la fois légitime scientifiquement et acceptable politiquement.
Les réponses divergentes des institutions
Les économistes de la Banque Mondiale et du FMI doivent donc, dans la première moitié des
années 2000, redéfinir leurs positions théoriques afin de réaffirmer leur rôle privilégié dans la
définition de l'économie du développement légitime. La tâche est d'autant plus ardue que les
critiques adressées au Consensus de Washington sont très nombreuses, et que la légitimité
politique de ces deux institutions est alors fortement remise en question, en particulier
depuis la décision de plusieurs pays latino-américains de ne plus faire appel à l'aide du
FMI, obtenant ainsi des résultats très positifs. Par exemple, alors que le taux de chômage
urbain est de 20% en Argentine en 2002, ce taux diminue rapidement à partir de 2003 et de
l'élection du Président Nestor Kirchner, jusqu'à atteindre 10% en 2007 ( Fraile, 2009, p.239 ).
Cette évolution politique n'est d'ailleurs pas isolée, puisque la plupart des pays d'Amérique
du Sud voient des Présidents de gauche élus à leur tête dans les années 2000 ce qui, loin de
plonger la région dans la récession, permet une augmentation de la croissance économique,
qui passe à 5,7% par an en moyenne entre 2004 et 2007 ( Fraile, 2009, p.245 ). Les faits
tendent donc de plus en plus à contredire la doctrine du Consensus de Washington, et le
désaveu électoral infligé aux politiques orientées vers le renforcement des marchés ne fait
que confirmer cet échec. Rétablir la légitimité de ces institutions n'est donc pas une mince
affaire, et ce d'autant plus que, malgré des intérêts en principe convergents, les économistes
du Fonds et de la Banque Mondiale adoptent des positions totalement différentes, voire
radicalement opposées ( Rodrik, 2006 ).
En effet, comme le remarque Dani Rodrik dans son article « Goodbye Washington
Consensus, Hello Washington Confusion » ( 2006 ), la Banque Mondiale publie en 2005
un rapport nommé « La Croissance Economique dans les années 90 : Apprendre d'une
Décennie de Réformes » ( « Economic Growth in the 90s : Learning from a Decade
of Reform », 2005, cité dans Rodrik, 2006 ). Dans ce rapport, les auteurs, dirigés par
Gobind Nankani, un économiste Ghanéen, Vice-Président pour l'Afrique de la Banque
Mondiale, font preuve d'une très grande humilité et reconnaissent les erreurs passées
50
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
de la Banque. Selon Rodrik, le rapport établit cinq conclusions importantes en termes
de politiques économiques ( Rodrik, 2006, p.976 ). La première de ces cinq idées
fondamentales repose sur l'importance des déficiences du marché et du gouvernement
lorsque celles-ci pose des problèmes en termes d'accumulation ou de compétitivité. Selon
Rodrik, les auteurs du rapport estiment que les réformes visant à résoudre ces déficiences
sont plus profitables pour les pays qui les mettent en place que les réformes visant
à corriger une mauvaise affectation des ressources. La seconde conclusion importante
du rapport est que les objectifs de développement tels que l'ouverture commerciale ou
la stabilité macroéconomique peuvent être atteints de différentes façons, et non pas
uniquement par les politiques conseillées par le FMI et la Banque Mondiale dans les
années 90, qui ne représentent qu'une des possibilités permettant de les atteindre, et
pas nécessairement la plus efficace. Troisièmement, le rapport estime que les mêmes
problèmes, s'ils se présentent dans des situations différentes, doivent être affrontés avec
des moyens différents, un seul type de politique ne pouvant en aucun cas être adapté à
toutes les situations, et le même problème pouvant avoir des causes différentes selon les
contextes, comme le montre la suite du texte de Rodrik. Quatrièmement, le processus de
prise de décision n'est pas optimal dans les pays en développement, car les gouvernements
peuvent y avoir un pouvoir trop important, sans aucun contrôle interne, la comparaison de
l'Argentine et du Brésil étant à ce sujet intéressante ( Faucher et Eliott Armijo, 2004 ). Enfin,
la résolution des difficultés économiques des pays en développement ne peut se réaliser
grâce à une unique liste de mesures, applicables partout, mais doit se concentrer sur la
solution a apporter aux contraintes spécifiques les plus importantes ( binding constraints ),
par une méthodologie qui ne se trouve pas dans le rapport mais que Rodrik établit, comme
nous l'avons dit au chapitre précédent.
La Banque Mondiale entend donc clairement le message appelant à une plus grande
humilité des institutions financières internationales, et défend l'idée qu'il n'existe pas de
solutions miracles aux problèmes du développement. Ainsi trouve-t-on a la page xiii du
document, dans la préface, la phrase suivante : « Le message central de ce volume est qu'il
n'existe donc aucun ensemble de règles universelles. » ( Banque Mondiale, 2005, p.xiii ). Il
s'agit là d'une répudiation claire et nette de la doctrine du Consensus de Washington tel qu'il
fut appliqué, et cela représente également une reconnaissance implicite des fautes passées
de la Banque. Cette prise de position courageuse ne pourrait pas être plus éloignée de celle
du FMI, exprimée à travers une intervention d'Anne Krueger, alors Directrice Générale de
transition du FMI, à l'Université de New York le 23 Mars 2004.
Cette intervention, dont le titre est « [ils ont] pensé bien faire, essayé peu et échoué
beaucoup » ( Meant Well, Tried Little, Failed Much ) présente une vision tout à fait révélatrice
des échecs du Consensus de Washington. Prenant l'exemple de l'Argentine, elle estime
que la crise économique de 2001-2002 n'y est pas due à l'application des réformes du
Consensus, mais à des erreurs et des faiblesses venant de l'Argentine même. Ainsi cette
crise provient-elle, selon Krueger, de plusieurs facteurs tels que le sous-développement du
système financier national, la régulation trop importante du marché du travail et le régime
de change fixe. A l'exception du dernier point, qui correspond à une erreur politique claire,
mais qui avait été encouragé et soutenu par le FMI à partir de 1991 et jusqu'au début de
l'année 2001, les autres faiblesses mises en évidence par la Directrice Générale du FMI sont
d'ordre institutionnel. De la sorte, le Fonds reconnaît la pertinence des critiques adressées
au Consensus dans ce champ, et admet implicitement s'être trompé par le passé, puisqu'il
avait défendu un Consensus de Washington dont était absents les enjeux institutionnels.
Mais cette reconnaissance va beaucoup moins loin que celle de la Banque Mondiale,
puisque le FMI refuse d'endosser la responsabilité des échecs des politiques qu'il a impulsé,
BRUYAS Benjamin_2010
51
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
l'imputant à une mauvaise application par les pays en développement, de telle sorte que la
base théorique néolibérale reste pertinente, et nécessite simplement quelques raffinements
permettant d'y intégrer les enjeux institutionnels. Les différences de point de vue entre ces
deux institutions, centrales dans l'application et dans la défense du Consensus dans les
années 90, montre bien que le consensus à Washington a vécu, et qu'il faut désormais
compter avec une division théorique irréductible entre les différents éléments qui constituent
le « Washington » de Williamson.
Pourquoi cette différence fondamentale entre les deux Institutions Financières
Internationales qui ont été les plus ferventes défenseures du Consensus de Washington ?
Rodrik ne l'explique pas, et il n'existe à notre connaissance pas de travaux sur le sujet.
Cependant, une explication de cette différence de position dans le champ scientifique peut
se trouver dans le champ social et le champ politique. En effet, si les deux institutions
partagent dans les années 90 le même positionnement théorique, la grande différence
entre les deux réside dans leur prestige et de leur autorité au sein du système financier
international. En effet, alors que le FMI dispose d'une autorité incontestable, en tant
qu'institution intervenant en cas de crise majeure, la Banque, simple organe des Nations
Unies, dispose d'une autorité tant scientifique que politique nettement moindre. Ce statut
de « dominé des dominants », pour reprendre une formule de Pierre Bourdieu, fait que la
Banque connaît moins de difficulté à admettre ses erreurs, et moins encore à reconnaître
les difficultés et les limites du système dans lequel elle n'occupe jamais que la seconde
place. Cette reconnaissance, en lui permettant de se démarquer de son illustre voisin de
Washington, peut même lui donner un nouveau rôle international de promotion d'alternatives
au Consensus. En revanche, le FMI, jouissant dans les années 90 d'un prestige et d'une
autorité très importants, peine à attaquer la validité et la pertinence des théories qui lui
ont valu ce prestige et cette autorité. Par ailleurs, un constat d'échec aurait sans aucun
doute des conséquences bien plus néfastes pour le Fonds que pour la Banque, cette
dernière disposant de la légitimité de l'Organisation des Nations Unies pour la soutenir,
alors que le Fonds ne peut fonctionner véritablement, et ne peut avoir de pouvoir, que
s'il est appelé à l'aide suite à une crise. Si l'action du FMI est considérée comme néfaste
par les gouvernements des pays en développement, ces derniers peuvent cesser d'y
faire appel et il perd quasiment toute sa capacité d'action. Le choix du Fonds de ne
pas s'opposer au Consensus de Washington est donc hautement stratégique, puisque ce
choix permet de ne pas remettre en question les choix passés, et donc de se dédouaner
des crises des années 90. Par ailleurs, le fait de défendre les institutions défaillantes
en tant que causes de ces crises permet de justifier scientifiquement cette position,
mais nécessite un approfondissement théorique, qui est apporté dès 2003 par l'Institut
d'Economie Internationale, sous la forme d'un ouvrage collectif édité par Pedro-Pablo
Kuczynski et John Williamson.
La réponse de Williamson : un « Fondamentalisme des Institutions » ?
John Williamson, créateur du terme « Consensus de Washington » et responsable de
l'élaboration des dix points formant le Consensus d'origine, ne peut manquer de défendre sa
création lorsque celle-ci est attaquée de toute part. Il intervient en effet de nombreuses fois
au début des années 2000 pour commenter les critiques faites au Consensus. C'est dans cet
esprit qu'il édite, avec Pedro-Pablo Kuczynski, ancien ministre de l'Economie et de Finances
du Pérou ayant commencé sa carrière à la Banque Mondiale, un ouvrage collectif dans
lequel interviennent de nombreux autres économistes, dont le titre est évocateur : « After the
52
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
39
Washington Consensus, Restarting Growth and Reform in Latin America
» ( Kuczynski
et Williamson ( éd.), 2003 ). 2003 se situe donc, selon le titre même du livre, « après le
Consensus de Washington », celui ci étant donc bel et bien mort, et déclaré comme tel par
son géniteur. Cependant, cette affirmation de la fin du Consensus n'est en aucun cas une
révolution, et ne constitue que l'admission d'un pur et simple fait : le consensus dominant
dans le Washington décrit par l'économiste de l'Institut Peterson en 1990 n'existe plus, et
il s'agit, afin de relancer l'économie du développement, d'en élaborer un autre, permettant
de « relancer la croissance et les réformes ».
Les auteurs se proposent donc, en dix chapitres, de faire une liste des réformes de
40
« deuxième génération » à mettre en place en Amérique Latine, le livre se concentrant
exclusivement sur cette région du globe. Des références sont faites à d'autres pays
ou régions en développement, mais les réformes listées sont adressées explicitement
à l'Amérique Latine, ce qui réduit a priori le risque d'une universalisation abusive. Ces
réformes de « deuxième génération » sont principalement orientées vers le renforcement de
certaines institutions très précises, le plus souvent réalisé sous la direction de l'Etat. Celuici doit d'ailleurs être profondément réformé, selon ce qui est écrit dans le second chapitre
de l'ouvrage, dans le sens d'une plus grande décentralisation et d'une administration plus
efficace, ainsi que d'un élargissement des privatisations. Par ailleurs, le chapitre 8 explique
à quel point une plus grande efficacité des écoles publiques, mise en place par l'Etat,
permettant entre autres choses une meilleure éducation pour tous, en particulier les enfants
issus de milieux modestes ou pauvres, car cette éducation permet d'accroitre la productivité
des travailleurs dans tous les secteurs, et plus encore dans les secteurs intensifs en
technologie. Cette fois ci, les réformes sociales sont prises en compte, mais pas dans
le sens habituellement attaché à ce terme. En effet, il s'agit, d'après le chapitre 3, non
pas d'augmenter l'aide sociale en tant que telle, qui selon les auteurs peut motiver des
situations de recherche de rente et décourager la recherche d'emploi, mais de permettre
41
une « augmentation du retour sur les ressources des pauvres » ( p.68 ) leur principale
ressource étant bien évidemment le travail. Il s'agit donc, en plus d'une meilleure formation,
d'assurer un meilleur accès au crédit et d'envisager une réforme agraire permettant un
meilleur accès à la propriété de la terre pour les paysans pauvres ( p.67 ). L'idée de ces
réformes est d'aider les plus démunis à s'intégrer dans la société de marché en augmentant
leur productivité.
Ainsi, ces réformes sociales, comme quasiment toutes les réformes exposées dans cet
ouvrage, se basent sur une vision néoclassique de l'économie, en soutenant l'économie
par l'offre et la promotion de la productivité plutôt que par le demande et la redistribution.
La réforme de l'Etat elle-même reste très influencée par les thèses néolibérales, puisque
les privatisations et les décentralisations sont toujours encouragées, dans un but plus
ou moins implicite d'affaiblissement de l'Etat central, qui, selon la doctrine néolibérale,
n'intervient dans l'économie que de manière négative. Cependant, le discours de Williamson
et des économistes qui l'accompagnent dans cet ouvrage évolue par rapport à cette
doctrine, ou tout au moins introduit un raffinement important. En effet, il ne s'agit plus
désormais de réduire à toute force le rôle de l'Etat dans l'économie, mais de l'adapter,
voire de le renforcer dans les domaines où il peut être le plus productif, c'est-à-dire
39
Non traduit en français, le titre pourrait se traduire comme suit : « Après le Consensus de Washington, relancer la croissance et
les réformes en Amérique Latine »
40
Le terme provient d'un article de Moises Naim de 1994 paru dans le « Journal ou Democracy » : « Latin America: The
Second Stage of Reform »
41
« Raising the return on poor people's assets »
BRUYAS Benjamin_2010
53
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
principalement dans la définition et le renforcement des institutions nécessaires au bon
fonctionnement des marchés. Il s'agit en fait de créer un « Etat intelligent » ( « smart state »,
p.198 ), probablement, dans l'esprit des auteurs, par opposition à l'Etat idiot qui existait
auparavant. De manière générale, les mesures proposées dans ce livre restent donc très
proches idéologiquement de celles du premier Consensus, et ne cherchent d'ailleurs qu'à
le compléter sans le remettre en cause.
En effet, les principaux points du Consensus de Washington sont scrupuleusement
repris dans ce livre, comme nous l'avons déjà vu avec les privatisations par exemple. La
dérégulation du marché du travail et des négociations collectives au sein de l'entreprise doit
ainsi être relancée, dans le but avoué de créer des syndicats plus enclins à négocier avec
la direction et de supprimer la majorité, si ce n'est la totalité, des régimes de protection des
travailleurs vis-à-vis de leurs employeurs ( chapitre 9 ). Par ailleurs, dans le chapitre 7, dont
42
le titre est « Faire fonctionner la libéralisation du commerce », les auteurs reconnaissent
l'échec de cette libéralisation dans la diminution de la pauvreté, mais estiment qu'il faut
l'approfondir et la rendre plus efficace en adaptant l'action de l'Etat pour que celui-ci
promeuve une meilleure compétitivité au niveau national. Enfin, les auteurs soutiennent,
en se basant sur un modèle économétrique de Behrman, Birdsall et Székely ( 2001,
cité aux pages 59, 60 et 61 ) que l'application des réformes de première génération est
corrélée négativement avec le taux de pauvreté et les inégalités. De la sorte, lorsque ces
réformes ont correspondu à une augmentation de la pauvreté, comme dans le cas de
l'Argentine, cette augmentation n'aurait pu venir que d'un élément tiers, par exemple les
crises économiques répétées subies par l'Amérique Latine. Pour empêcher la persistance
de ce problème, lui même dû à la très grande exposition des économies sud-américaines
aux chocs extérieurs dans les années 90, les auteurs de l'ouvrage conseillent l'adoption
de politiques contracycliques, mais sans politique industrielle de l'Etat ni accroissement
de la redistribution. Il y a donc un clair refus d'admettre que c'est précisément l'ouverture
accrue de ces pays qui a pu causé, en l'absence d'un Etat fort capable de diminuer les
conséquences des chocs extérieurs, toutes ces crises.
L'appel pour des institutions plus efficaces et un renforcement, très relatif, du rôle de
l'Etat, s'accompagne donc d'une confirmation de la justesse des théories néolibérales et
des réformes passées, et ce malgré une dénonciation, faite par Williamson lui-même, des
dérives et des mauvaises interprétations de son texte de 1990 ( p.327 ). Cette position
théorique peut s'expliquer par plusieurs éléments, le principal étant, tout comme pour le
FMI, la volonté de conserver une autorité scientifique en proposant une simple adaptation,
et non une répudiation au moins partielle, de la doctrine défendue précédemment. Cette
volonté ne s'applique d'ailleurs pas qu'à Williamson, qui jouit d'un prestige considérable
dans les années 90, mais aussi à d'autres auteurs associés à cet ouvrage. On trouve par
exemple parmi ces auteurs Ricardo Lopez Murphy, ministre de l'économie de l'Argentine
en 2001, qui propose durant son très court mandat, entre autres choses, de diminuer les
salaires de 10% pour relancer la compétitivité des produits argentins. Cette position au sein
du champ scientifique est très proche de celle du FMI dans le champ politique, puisqu'elle
cherche à défendre les réformes de première génération tout en y ajoutant des éléments
de renforcement des institutions, ce qui permet de prendre en compte certaines critiques
tout en restant fortement influencé par les théories néoclassiques et néolibérales, ce dont
les auteurs du livre se défendent d'ailleurs en disant que, contrairement aux réformes
de première génération, celles de la génération suivante peuvent être mises en place
42
54
« Making trade liberalization work »
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
par des gouvernements de gauche ( p.282 ), ne se réclamant pas nécessairement du
néolibéralisme.
Ici, tout comme dans le Consensus de 1990, l'ensemble des réformes est présenté
comme relevant du pur et simple bon sens. La présentation est plus modeste dans la
mesure où les auteurs admettent que leurs prescriptions peuvent s'appliquer de plusieurs
manières différentes. Cependant, ce qui est proposé est encore une fois un ensemble de
mesures censées être intrinsèquement positives en termes de développement économique
de l'Amérique Latine. Comme le remarque Dani Rodrik ( 2006, p.979 ) cette démarche
ne fait que remplacer le « fondamentalisme du marché », d'ailleurs sans en questionner
les fondements théoriques, par un « fondamentalisme des institutions », sans adopter
une attitude plus humble et surtout sans prendre en compte l'extrême complexité et les
très grandes différences des situations des pays traités, laissant ce « détail » à l'attention
des gouvernements de ces pays, lorsqu'ils mettent en œuvre leurs réformes. Ce faisant,
les auteurs de ce « Consensus amélioré », qui n'a plus rien de consensuel, se couvrent
des éventuels échecs de ces réformes, puisque ces échecs pourraient n'être que les
conséquences d'une mauvaise mise en œuvre de ces gouvernements. D'ailleurs, l'échec
de ces réformes apparaît comme très probable, puisque comme le signale Rodrik, « Dire
aux pays pauvres d'Afrique ou d'Amérique Latine qu'ils doivent s'inspirer des meilleures
institutions des Etats-Unis ou de la Suède revient à leur dire que le seul moyen de se
43
développer est de devenir développés » ( Rodrik, 2006, p.980 ). Le développement
d'institutions efficaces est un processus extrêmement long et difficile, dépendant fortement
de la culture et des particularités de chaque nations, et qui est d'ailleurs loin d'être achevé
même dans les pays développés. D'ailleurs, toujours selon Rodrik, les deux exemples de
développement économique les plus impressionnants de ces dernières années, c'est-à-dire
la Chine et l'Inde, ont été réalisé sans qu'il y ait une véritable révolution institutionnelle, mais
avec une politique industrielle très volontariste des Etats de ces pays ( op. Cit., p.980 ).
Ce nouveau fondamentalisme est évidemment très dommageable pour l'efficacité
des politiques qu'il inspire, puisqu'il tend à gommer les spécificités nationales au profit
d'un modèle applicable partout. Et en effet, ce modèle en vient à devenir applicable
partout, puisque, tout comme il s'était approprié le premier Consensus, le Fonds Monétaire
International s'approprie cette nouvelle théorie et en fait sa doctrine en l'universalisant. Un
élément important à souligner est que, comme le soulignent Nayyar et Bhaduri ( 1997 )
la méthode de sélection des économistes et des bureaucrates du FMI, en favorisant ceux
qui acceptent la doctrine officielle sans la remettre en cause, favorise l'adoption par ces
économistes et bureaucrates de modèles leur offrant des solutions simples à des problèmes
44
complexes . Par ailleurs, la fonction même du Fonds étant d'intervenir dans les situations
d'urgence, ses décideurs seront naturellement plus enclins à s'approprier des modèles
permettant de répondre rapidement aux problèmes posés, même si ces réponses rapides
peuvent se révéler inadéquates.
Dans les années 2000, le FMI et la Banque Mondiale, confrontés à des contestations
de plus en plus fortes venant de la sphère scientifique mais aussi du monde associatif,
avec la montée en puissance des mouvements altermondialistes après les manifestations
de Seattle en 1999, doivent adapter leur positionnement théorique afin de préserver leur
43
Traduction de l'auteur de la phrase : « Telling poor countries in Africa or Latin America that they have to set their sights on
the best-practice institutions of the United States or Sweden is like telling them that the only way to develop is to become developed »
44
Il ne s'agit pas ici de dire que les économistes et les bureaucrates du Fonds sont tous des incompétents souscrivant sans
exception au consensus dominant. De nombreux membres du FMI ont pu en contester les positions officielles, et quoi qu'il en soit les
décideurs ont agit en fonction de critères et d'éléments sociaux et politiques que nous abordons dans ce chapitre.
BRUYAS Benjamin_2010
55
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
légitimité politique et leur autorité scientifique. Les deux institutions opèrent cette adaptation
de manière totalement différente, la Banque Mondiale acceptant explicitement les limites
du modèle qu'elle avait défendu par le passé, alors que le FMI ne fait que modifier
légèrement ce modèle, s'inspirant une fois de plus d'un travail dirigé par John Williamson,
sans modifier fondamentalement les principales faiblesses du Consensus de Washington,
qui sont l'arrogance de solutions simples et universelles dans un monde complexe et
incroyablement varié, et la croyance indéfectible dans des solutions que la pratique a au
moins en grande partie désavoué. La répétition de ces erreurs se retrouve d'ailleurs dans
les politiques du Fonds au cours des années suivantes.
Les années 2000 : le FMI en quête de légitimité
Les années 2000 ont donc vu le Consensus de Washington disparaître, au sens strict du
terme, lorsque les différents acteurs qui lui donnaient à l'origine sa légitimité se sont divisé
à son sujet, certains le rejetant en bloc, d'autres cherchant à l'aménager. Les théories
néolibérales et monétaristes perdent elles aussi une grande part de leur autorité scientifique,
du fait de l'échec de l'expérimentation de leurs hypothèses d'abord, puis du fait de la
contestation de plus en plus forte, et venant de sources de plus en plus variées. Ces théories
restent néanmoins dominantes, d'une part grâce aux positions avantageuses que leurs
défenseurs ont acquis tout au long des années précédentes dans le champ scientifique,
et d'autre part à cause du soutien que les champs politique et médiatique leur apportent,
perpétuant un système de récompense avantageant les prises de position orthodoxes. Cette
domination est toutefois nettement moins nette qu'auparavant, car des économistes qui y
45
sont opposés, tels que Joseph Stiglitz , disposent désormais d'une autorité scientifique
supérieure. Quoi qu'il en soit, le Consensus de Washington lui-même n'existe plus en tant
que tel dans le champ scientifique, sauf sous sa forme « augmentée » par l'ouvrage de
Williamson, forme qui obtient d'ailleurs un certains succès auprès de nombreux décideurs
politiques des pays développés, malgré le fait qu'elle soit critiquée par des scientifiques de
tous bords.
Ces décideurs politiques, tout comme ceux du FMI, ont en effet un avantage certain
à défendre ce nouveau « Consensus », qui les libère de toute responsabilité dans l'échec
de politiques qu'ils ont chaudement soutenu dans les pays en développement. Toutefois,
leur position en termes de légitimité scientifique ne peut que devenir de plus en pus fragile
à mesure que les contestations s'accumulent dans le champ scientifique. La question qui
se pose dès lors est la suivante : comment le Fonds et les gouvernements des pays
industrialisés peuvent-ils continuer à donner des conseils de développement aux pays
pauvres, alors même que ces conseils ont eu des conséquences désastreuses par le passé
et que la base théorique n'en a pas été modifiée ? En bref, comment maintenir intacte la
légitimité politique de théories ne disposant plus d'une autorité scientifique absolue ?
Une adaptation très timide
45
Qui reste toutefois acquis au libre-échange et au libéralisme économique, mais y apporte certaines nuances visant à plus d'équité
entre les pays par des réformes du système des institutions internationales, comme par exemple dans « Pour un Commerce Mondial
Plus Juste » ( 2005 ) où il plaide avec Andrew Charlton, son coauteur, pour une réforme de l'OMC.
56
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
Après les années de crise théorique qui ont suivi la crise économique argentine, le
Fonds Monétaire International dispose à nouveau d'un cadre théorique cohérent, bien que
disposant d'une autorité scientifique bien moindre que le Consensus de Washington de
1990. Ce nouveau cadre est constitué du « Consensus élargi », défini avec précision dans
l'ouvrage édité par Williamson et Kuczynski ( 2003 ). Ce dernier reprend les postulats
scientifiques du premier Consensus, autrement dit les postulats néolibéraux, tout en les
nuançant quelque peu en y ajoutant un rôle accru pour l'Etat dans le renforcement des
institutions nécessaires au bon fonctionnement des marchés, ce qui est en accord avec
l'évolution d'une partie du champ scientifique. Cependant, comme le souligne le chapitre
10 du livre édité par Williamson, les réformes institutionnelles sont par nature complexes
à définir et à mettre en place dans la pratique, et leurs effets ne peuvent se mesurer que
sur plusieurs années, voire sur plusieurs décennies dans le cas des réformes des systèmes
d'éducation. L'application de ces nouvelles thèses pose donc un problème certain pour le
Fonds, qui est en général appelé à intervenir dans des situations d'urgence et dont les plans
d'ajustement structurels nécessitent des résultats rapides et quantifiables pour être évalués
dans les plus brefs délais.
Ces contraintes que le FMI s'impose, ou plutôt qui lui sont imposées par sa nature et
son organisation, ont une incidence évidente sur la façon dont il met en place des politiques
inspirées de ses « nouvelles » références scientifiques. En effet, il est nécessaire, afin de
pouvoir effectuer rapidement une évaluation des résultats des politiques mises en place
sous l'impulsion du Fonds, que ces résultats soient aisément mesurables et quantifiables, ce
qui n'est pas possible à court terme pour toutes les variables pertinentes. Par exemple, les
conclusions de la consultation du FMI avec la Roumanie en 2004, réalisée au titre de l'article
IV des statuts de l'institution, montrent bien à la fois la volonté d'insérer des préoccupations
d'ordre institutionnel et la difficulté d'intégrer des réformes d'institutions dont les effets ne se
46
feront sentir qu'à long terme . Ces conclusions valorisent très fortement certains « progrès
récents » réalisés par le pays, en particulier dans les domaines de la Justice et de la lutte
contre la corruption. Par ailleurs, les Directeurs du FMI « ont insisté sur le fait que préserver
la flexibilité du marché du travail sera la clé du maintien d'une croissance économique
47
rapide » ( FMI, 2004 ). Les réformes structurelles défendues ici, c'est-à-dire l'amélioration
du système judiciaire, la diminution de la corruption et la déréglementation du marché du
travail, sont toutes présentes dans l'ouvrage édité par Williamson et Kuczynski en 2003.
Toutefois, les auteurs de ce livre y font également allusion à la réforme du système scolaire
et à l'amélioration de l'éducation, entre autres choses, et ces idées ne sont pas présentes
dans les conclusions de cette consultation, sans aucun doute en raison des difficultés à
définir ce qu'est une « bonne » réforme de l'éducation et de la difficulté non moins importante
à en évaluer les résultats à court terme. Cette omission est cependant très dommageable,
dans la mesure où les Directeurs du FMI appellent également à une continuation de la
diminution du déficit public, sans préciser si certaines dépenses ne doivent pas être diminué.
Quoi qu'il en soit, il faut y voir une concession faite aux évolutions que connaît le champ
scientifique, même si celle-ci est incomplète, ne prenant qu'imparfaitement en compte les
réformes de long terme. Cette concession se retrouve d'ailleurs dans le rapport annuel du
Fonds Monétaire International ( FMI, 2006, p.16 ) dans lequel il est dit que l'institution s'est
concentrée en 2006 « pour certains pays, sur la stabilité macroéconomique; dans d’autres
cas, [sur] les réformes structurelles nécessaires pour affermir la croissance » ces dernières
46
Ces conclusions sont disponibles sous le titre « Public Information Notice No.04/75 » et disponibles à l'adresse suivante :
http://www.imf.org/external/np/sec/pn/2004/pn0475.htm
47
« stressed that preserving labor market flexibility will be key to keeping the economy on a fast growth path »
BRUYAS Benjamin_2010
57
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
apparaissant donc comme des compléments aux réformes de première génération, dont
le but est précisément la stabilité macroéconomique. Cette idée est précisément celle
exprimée dans le Consensus élargi élaboré par Williamson et les autres auteurs de « After
the Washington Consensus » ( Williamson (éd.), 2003 ).
Ce rapport annuel contient par ailleurs une autre information très intéressante. En effet,
le rapport indique que, d'une part suite au remboursement anticipée des dettes contractées
par les gouvernements argentins et brésiliens, et d'autre part du fait d'une diminution du
nombre de prêts accordés, le Fonds se retrouve en grande difficulté financière à cause
de la diminution de ses recettes. En effet, en l'absence de crises financières majeures, le
nombre de demandes de prêts a fortement diminué, et le volume des remboursements a
diminué en conséquence. Le Fonds traverse dès lors une période critique. Il est largement
affaibli par la plus grande prudence des pays en développement, qui préfèrent à l'instar du
Brésil et de l'Argentine ne pas avoir à faire appel aux Institutions Financières Internationales,
dont les interventions se sont révélées si néfastes par le passé. Cependant, la crise de
2008, en dégradant considérablement la situation de l'économie mondiale, permet au FMI
de retrouver un rôle central dans la relance internationale.
Cette crise, causée par les dérives du capitalisme financier, constitue pour la plupart des
observateurs une démonstration claire des erreurs des théories monétaristes et néolibérales
qui servent de bases théoriques à l'action du Fonds. Ces dernières perdent donc encore
de leur légitimité politique et de leur autorité scientifique. D'ailleurs, le rapport annuel de
2009 montre quelques évolutions du point de vue théorique. Ainsi, à la page 10 du rapport,
il est indiqué que le FMI encourage les mesures de stimulation budgétaire, ce qui est en
opposition avec la doctrine néolibérale, partisane d'une austérité budgétaire à outrance,
toute intervention de l'Etat étant a priori néfaste, sauf dans les domaines institutionnels
que lui seul peut gérer. Cependant, il peut très bien ne s'agir ici que d'un simple exemple
d'opportunisme politique, dans la mesure où les pays industrialisés, largement dominants
au sein de l'institution, ont tous adopté ce type de mesures suite à la crise. Par ailleurs, les
auteurs du rapport appellent à une « Amélioration de la réglementation et de la supervision,
la priorité étant d'élargir le champ de la réglementation de manière à englober toutes les
activités qui présentent des risques pour un ou plusieurs pays. » ( FMI, 2009, p.12 ) Enfin, le
Fonds crée une Ligne de Crédit Modulable ( LCM ) dont le but est de simplifier les conditions
d'accès à des prêts de l'institution pour les pays dont les fondamentaux macroéconomiques
sont solides. Dans le discours, l'évolution est donc considérable : la stimulation budgétaire,
qui risque d'augmenter les déficits budgétaires de manière impressionnante, est désormais
encouragée; un appel à la régulation des marchés est lancé, ce qui s'inscrit toutefois dans
la continuité du « Consensus élargi » de 2003, en l'élargissant au niveau de la gouvernance
internationale; et enfin les conditions exigées pour l'accession aux prêts sont rendues plus
souples pour les pays aux fondamentaux solides, c'est-à-dire les pays ayant un déficit public
et étranger modérés.
En revanche, dans les faits, les politiques imposées par le FMI au titre des plans
d'ajustement structurels ne changent guère dans leur orientation, du moins jusqu'à 2010.
Ainsi, en 2008, un plan d'aide de 20 milliards d'euros, dont 12,3 prêtés par le Fonds,
est organisé pour aider la Hongrie à relancer son économie, durement touchée par la
crise. Cependant, ce plan s'accompagne de conditions extrêmement lourdes : le pays doit
augmenter la TVA de 5 points, ce qui diminue le pouvoir d'achat de toute la population
et correspond parfaitement au type de politiques fiscales préconisés dans le Consensus
de 1989; et d'autre part, le salaire des fonctionnaires est gelé pour deux ans et les aides
publiques sont largement diminuées dans divers secteurs, ce qui participe également d'une
58
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
logique d'austérité néoclassique ( Duval, 2010 ). De même, dans le rapport des services du
FMI sur l'économie mauritanienne ( FMI, 2010c ), les experts du Fonds préconisent pour le
pays le renforcement de l'intermédiation financière ( paragraphe 13 du rapport ), autrement
dit des intermédiaires des marchés financiers, c'est-à-dire principalement les banques, ce
qui s'inscrit dans le renforcement des institutions préconisé par le Consensus élargi de
2003, de même que « l'amélioration des administrations fiscale et douanière » ( paragraphe
15 ). Par ailleurs, des éléments du Consensus de Washington de 1989 se retrouvent dans
le paragraphe 13, dans lequel les experts appellent le gouvernement mauritanien à « la
consolidation budgétaire en vue de réduire la dette publique tout en créant plus d’espace
budgétaire pour financer les dépenses sociales et d’infrastructure ». L'équilibre budgétaire
est toujours souhaité, mais l'intervention de l'Etat est tolérée, dans les limites prévues par le
texte originel de Williamson ( 1990 ), bien que les politiques d'éducation et de santé aient été
remplacées par les « politiques sociales », ce qui d'un point de vue sémantique est loin d'être
anodin. Quoi qu'il en soit, les politiques préconisées restent globalement très orthodoxes,
malgré un changement de discours bienvenu mais manifestement hypocrite.
Dès lors, il s'agit de s'interroger sur les raisons qui expliquent cette timidité des
changements, lorsque changement il y a. Les raisons internes au champ scientifique et au
champ social du FMI ayant déjà été évoquées, il faut désormais s'intéresser aux raisons
politiques et géopolitiques, dont l'influence est évidemment considérable. Tout d'abord, le
processus de décision au sein de l'institution donne un poids largement majoritaire aux
pays industrialisés, au premier rang desquels les Etats-Unis, ce seul pays disposant de
16,74% des votes lors des décisions importantes. Sachant que ces décisions ont besoin de
85% des voix totales pour être adoptées, la superpuissance dispose d'un véto de fait sur
toutes les décisions du Fonds. Par ailleurs, les pays européens, et en particulier les plus
riches d'entre eux, disposent également d'un très grand nombre de voix, de telle sorte que
les pays industrialisés peuvent facilement imposer leurs décisions et leur points de vue au
sein de l'institution. Or, les classes politiques de ces pays sont très largement acquises aux
thèses néolibérales, et ce dans tous les partis les plus puissants, conservateurs comme
sociaux-démocrates. Les raisons de cette prise de position sont nombreuses et variées,
et ne constituent pas l'objet de cette étude. Il suffit ici de constater ce fait incontestable,
et d'en mesurer les effets en terme de légitimité pour les IFI, qui sont considérables. En
effet, tout au long des années 90 et plus encore durant les années 2000, les mesures
préconisées par ces IFI sont apparues aux pays en développement comme étant injustes
et décidées par les pays riches, lesquels interdisent toute relance budgétaire aux pays en
48
difficulté alors qu'eux-mêmes ne s'en privent jamais lorsqu'ils affrontent une crise . Les pays
en développement, dont un nombre chaque année plus important pouvait être considéré
comme véritablement « émergents » avant 2008, ont donc commencé à contester de plus
en plus l'autorité politique du FMI, cherchant par ces actions à s'affranchir de l'influence,
perçue comme généralement néfaste, des pays industrialisés.
Un monde sans Consensus, un monde sans Washington ?
Au milieu des années 2000, le Consensus de Washington a donc perdu son autorité
scientifique, et son application, que ce soit sous sa forme originelle ou adaptée et augmentée
par Williamson et les autres auteurs associés à son ouvrage de 2003, est désormais
48
Dans ces cas précis, l'orthodoxie néolibérale et monétariste reprend toutefois rapidement le dessus, comme le montre
l'exemple de la crise de 2008. Néanmoins, le simple fait de faire appel à des politiques de relance, même temporaire, alors que cellesci sont interdites au pays en développement, est désastreux en termes de légitimité politique au niveau international.
BRUYAS Benjamin_2010
59
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
de plus en plus perçue non comme fondée par des arguments théoriques incontestables
mais comme un instrument de domination des pays en développement par l'élite des pays
industrialisés. A la perte de l'autorité scientifique s'ajoute donc celle de la légitimité politique
au niveau international, puisque les politiques inspirées du Consensus sont désormais
considérées comme véritablement partisanes, et imposées par des Institutions Financières
Internationales largement dominées par les pays riches. Par ailleurs, le manque d'évolution
significative de la doctrine du FMI, qui est l'IFI la plus influente, dans les premières
phases de la crise de 2008, diminue encore cette légitimité politique auprès des pays en
développement et émergents. Ces derniers ont donc désormais intérêt de se détourner de
son aide afin d'affirmer une plus grande indépendance vis-à-vis d'un consensus qui n'existe
plus que dans les élites dirigeantes des pays industrialisés.
La Hongrie nous offre à ce titre un exemple très intéressant. En effet, le
plan d'ajustement structurel très exigeant imposé par le Fonds en 2008, appliqué
scrupuleusement par le gouvernement social-démocrate, a considérablement mécontenté
l'électorat, de telle sorte que les élections législatives d'Avril 2010 ont été remportées par la
droite conservatrice du Fidesz, qui met en place un nouveau premier ministre, Viktor Orban.
Aussitôt, l'agence de notation Fitch Ratings salue ce résultat, lequel garantirait selon elle
une meilleure application des politiques inspirées du consensus néolibéral ( Duval, 2010 ).
Toutefois, cette impression initiale est contredite par les faits, lorsque le gouvernement
Orban déclare que, pour satisfaire aux exigences de déficit public, limité à 3,8% du PIB
par le FMI et l'Union Européenne, il a l'intention de créer une taxe sur les revenus des
entités financières de plus de 5% ( Duval, 2010 ). Le Fonds suspend alors la continuation
des versements de l'aide accordée le 17 juillet. Le 22, la loi sur la taxe bancaire est votée
par le Parlement, et les agences de notation Moody's et Standard and Poor's évoquent
immédiatement la possibilité d'une dégradation de la note de la dette souveraine hongroise
( op. Cit. ). En d'autres termes, les agences de notation, qui déterminent en grande
partie la confiance qu'accordent les opérateurs des marchés financiers aux différents titres,
envisagent de diminuer celle accordée à la dette souveraine hongroise, ce qui peut, comme
dans le cas de la Grèce quelques mois auparavant, porter à une attaque spéculative
sur cette dette. Cette critique du gouvernement hongrois n'est d'ailleurs pas limitée aux
agences de notation, mais se retrouve également dans la presse dominante des grands
pays industrialisés, comme le montre l'éditorial du journal « le Monde » du 19 Juillet 2010,
cité dans l'article de Duval ( 2010 ), éditorial dans lequel le premier ministre hongrois est
accusé, entre autres choses, de chercher à imposer un de ses hommes de confiance à la
tête de la Banque Centrale. L'éditorial du « Monde » s'attaque de manière très virulente au
Premier Minsitre hongrois, mais pratiquement sans faire de référence aux problématiques
économiques, et surtout sans s'interroger apparemment sur les raisons qui expliquent cette
attitude de défi par rapport au FMI. De fait, quels que soient les défauts du gouvernement
Orban, le fait le plus pertinent du point de vue de cette étude est précisément ce refus
d'obéir au Fonds, qui montre bien à quel point ce dernier a perdu son autorité et sa
légitimité politique, d'autant que le gouvernement qui s'oppose à lui se réclame de la droite
conservatrice, qui est le soutien politique traditionnel des théories néolibérales depuis les
années 80, et ce pour ainsi dire partout dans le monde.
Cet exemple isolé d'opposition aux conditions des IFI est important en soi, par le
symbole qu'il véhicule du discrédit de ces institutions, mais il a peu de signification
géopolitique en ce qui concerne cette étude. En effet, le rôle du FMI et de la Banque
Mondiale ne peuvent être remis en question que si les pays en développement et émergents
disposent d'une source de financement alternative suffisamment importante pour leur
venir en aide en cas de difficultés. Deux exemples doivent être présentés à ce sujet. Le
60
BRUYAS Benjamin_2010
Après le Consensus, de la contestation au choix
49
50
premier est celui de la Banque du Sud , créée par des Etats d'Amérique du Sud pour
fournir des financements d'urgence aux pays d'Amérique Latine. Cette banque est fondée
véritablement le 26 septembre 2009, avec un capital total de 20 milliards de dollars ( Le
Matin, 2009 ). Selon son instigateur, le Président vénézuelien Hugo Chavez, cette banque
a pour objectif de soutenir des projets de développement dans tout le continent latinoaméricain, tout en permettant de s'affranchir une bonne fois pour toutes du FMI, auquel
le Brésil, l'Argentine et le Vénézuela refusent de faire appel. Cette banque n'a pas encore
été mise en route, en partie en raison des bons résultats de l'Amérique Latine en 2009.
En effet, alors que les institutions internationales basées dans les pays développés, tels
que le PNUD, prévoient au début de 2009 une croissance faible pour la région, certaines
banques privées prévoyant même « une croissance négative » ( PNUD, non daté. ). Or,
c'est le contraire qui se produit puisque l'Amérique Latine compte avec une croissance
moyenne de 4% sur l'année 2009, principalement permise par l'Argentine et le Brésil, dont
les PIB augmentent de plus de 5% ( RFI, 2010 ) et qui soutiennent l'économie de toute la
51
zone . Néanmoins, la simple existence de cette Banque du Sud constitue un symbole très
important, dans la mesure où elle montre la mise en place d'alternatives multilatérales aux
IFI de Washington. Par ailleurs, Chavez a fait savoir, lors du sommet Amerique du SudAfrique de Septembre 2009, qu'il souhaitait la création d'une Banque de développement
commune à l'Amérique Latine et à l'Afrique ( Le Matin, 2009 ). L'existence d'une telle entité
représenterait un véritable camouflet pour le Fonds, qui perdrait ainsi beaucoup de son
pouvoir, puisque les pays ayant besoin d'aide sur l'un de ces deux continents pourraient
dès lors se tourner vers une autre institution. Bien entendu, cette institution n'est en aucun
cas neutre d'un point de vue politique et géopolitique. L'opposition de son instigateur, le
président vénézuelien, aux Etats-Unis et aux IFI de Washington est bien connue, de même
que ses tentatives de faire revivre un courant non-aligné, ou tout au moins non aligné sur la
superpuissance américaine, dans les relations internationales. Mais, quoi qu'il en soit, les
pays d'Amérique Latine participant au projet sont de toute évidence plus enclins à accepter
cette influence politique plutôt que celle des institutions de Washington, pour d'évidentes
raisons de proximité idéologique, autrement dit pour des raisons de proximité théorique
entre des paradigmes de référence similaires en économie du développement.
Le second exemple d'alternatives aux IFI de Washington est par bien des aspects
encore plus menaçant en termes de géopolitique pour la domination des pays développés
sur le système financier mondial, puisqu'il s'agit de la Chine. Celle-ci, désormais seconde
puissance économique mondiale, ce qui était prévisible depuis déjà plusieurs années,
accorde en effet régulièrement des prêts à des conditions très avantageuses aux pays en
développement. Ainsi, en 2007, le Nigeria demande un prêt de cinq millions de dollars
auprès de la Banque Mondiale pour rénover son système ferroviaire. La Banque refuse
d'accorder ce prêt tant des mesures n'ont pas été prise pour lutter contre la corruption de
l'administration de ce système. Le gouvernement chinois intervient peu de temps avant
que l'accord ne soit signé et propose un prêt de neuf milliards de dollars pour reconstruire
le réseau de chemin de fer tout entier, sans aucune condition d'aucune sorte, si ce n'est
évidemment le remboursement du prêt ( Naim, cité dans Zakaria, 2008, p.117 ). Ici, l'intérêt
pour les pays en développement est encore différent de celui qui peut motiver une demande
49
50
Banco del Sur en espagnol.
L'initiative vient du Venezuela, les autres pays participants étant l'Argentine, la Bolivie, le Brésil, l'Equateur, le Paraguay
et l'Uruguay.
51
Bien entendu, il faut nuancer ce constat, car l'Amérique Centrale, très dépendante des Etats-Unis, doit en grande partie
sa reprise à la reprise états-unienne.
BRUYAS Benjamin_2010
61
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
auprès de la Banque du Sud, lorsque celle-ci fonctionnera de facto. Le principal intérêt d'un
prêt accordé par le gouvernement chinois, c'est précisément son absence de conditions et
de prérequis. La Banque du Sud, en principe, ne devrait exiger aucune condition, mais elle
est censée, selon Chavez, soutenir des projets de développement. Tant que la situation ne
s'est pas présentée, il est difficile de prédire avec certitude si, oui ou non, cette Banque
accordera des prêts même pour des projets ne recevant pas l'aval du Vénézuela, mais
quoi qu'il en soit elle ne pourra manquer d'être orientée politiquement. Ce n'est pas le cas
des prêts chinois, qui sont accordés uniquement en fonction de facteurs économiques.
En d'autres termes, les seules conditions à l'octroi de ces prêts sont la capacité à les
rembourser, et l'acceptation d'une plus grande ouverture économique vis-à-vis de la Chine,
et encore ce dernier point est-il en général implicite. De plus la Banque Centrale chinoise
dispose de réserves en devises étrangères, et plus particulièrement en dollars états-uniens,
littéralement colossales, de sorte que ses capacités de financement sont bien supérieures
à celles de la Banque du Sud, ou même de tous ses membres réunis.
Face à la construction de ces alternatives, les institutions du Consensus ne montrent
qu'une évolution très timide, comme nous l'avons vu. En 2010, l'évolution se poursuit,
toujours assez timidement, par exemple dans le rapport sur le Mexique de mars 2010
( FMI, 2010b ) dont le paragraphe 4 félicite le gouvernement mexicain pour la mise en
place de politiques contracycliques. Par ailleurs, l'intention maintes fois répétée d'opérer
une redéfinition de la répartition des quotes-parts au sein du FMI, permettant une
augmentation des voix dont disposent les pays en développement et émergents, reste un
signe encourageant. Néanmoins, de manière générale, les IFI de Washington se retrouvent
aujourd'hui dans une position difficile. Leur légitimité politique est de plus en plus contestée,
alors même que l'autorité scientifique des thèses sur lesquelles elles se sont appuyées dans
les années 90 est très largement diminuée. Ces institutions n'ont pas adopté un nouveau
paradigme de référence, ou tout au moins n'en ont adopté aucun rompant clairement avec
celui qui a mené à de nombreuses crises économiques, dont la crise argentine est la plus
emblématique. De manière non moins fondamentale, elles ne se sont pas encore adaptées
aux transformations de l'économie mondiale, les pays émergents y voyant leur place relative
grandir considérablement chaque année, alors que leur rôle dans la gouvernance financière
internationale, par l'intermédiaire des IFI, n'y augmente que marginalement. Ces institutions
sont donc aujourd'hui tenues d'évoluer, dans le sens d'une meilleure intégration des intérêts
et des avis des pays émergents, si elles veulent conserver leur rôle de défenseures d'un
multilatéralisme global. Mais, malheureusement, leur organisation rendra cette évolution
difficile, tant les enjeux en termes de géopolitique et de répartition du pouvoir économique
international sont importants.
62
BRUYAS Benjamin_2010
Conclusion
Conclusion
Le cas du Consensus de Washington constitue une illustration parfaite de la façon dont sont
liées l'autorité scientifique d'une part et la légitimité politique d'autre part. En effet, né à la
fin des années 80 de la domination des théories monétaristes et néolibérales, domination
qui s'était construite par un processus minutieux de légitimation et de disqualification des
concurrents théoriques tant dans le champ scientifique que dans les champs politique
et médiatique, le Consensus de Washington incarne effectivement à sa création un
exemple idéal-typique d'une construction théorique appartenant à l'origine au champ de
la production scientifique mais largement reprise dans le champ politique. Ce succès
dans le monde politique et le monde médiatique s'explique par la convergence d'intérêts
similaires, en particulier dans les années 70 et 80, entre des scientifiques désireux de
contester leur autorité aux économistes des écoles de pensée inspirées des œuvres de John
Maynard Keynes, des dirigeants d'entreprises et des responsables financiers cherchant
à se débarrasser de l'influence négative de ces écoles de pensée, qui réduisent le rôle
des marchés par rapport à celui de l'Etat, et enfin des hommes politiques cherchant
un nouveau paradigme de référence leur permettant de faire face aux conséquences
des crises économiques des années 70. Cependant, en se transmettant du champ
scientifique au champ politique, le Consensus de Washington est transformé, simplifié, et
interprété de manière à n'en retenir que les éléments correspondant le mieux à l'orthodoxie
néolibérale. Cette construction théorique, appliquée dans la pratique, devient l'incarnation
des théories néolibérales de l'économie du développement. D'ailleurs, à sa simplification
s'ajoute l'arrogance immense avec laquelle elle est appliquée, les Institutions Financières
Internationales chargées de la mettre en œuvre, en particulier le Fonds Monétaire
International et la Banque Mondiale, conseillant dans certains cas, imposant dans d'autres,
des politiques qui apparaissent rapidement comme au moins partiellement non adaptées
aux économies dans lesquelles elles sont appliquées. Cette inadéquation, due à une
universalisation abusive de certains postulats, entraîne des conséquences extrêmement
négatives dans ces pays, l'exemple de l'Argentine étant particulièrement intéressant de ce
point de vue, puisque en plus d'illustrer ces conséquences négatives, il montre comment les
élites de ce pays sont persuadées de la justesse et de la pertinence des politiques inspirées
par le Consensus de Washington, et se révèlent incapables de les abandonner lorsqu'elles
commencent à dysfonctionner, jusqu'à la crise sociale et politique des années 2001 et
2002, portant à l'abandon de ces politiques. Cet échec de l'expérimentation entraîne une
remise en question très forte du Consensus au début des années 2000, ce dernier perdant
une grande partie de son autorité scientifique. Les institutions de Washington se divisent
d'ailleurs à ce sujet, mais la plus puissante des deux, le FMI, ne remet pas véritablement
52
en question les fondements théoriques du Consensus , et ne modifie sa doctrine que de
manière marginale, sans grand changement de sa manière d'agir. Cependant, la perte
d'autorité scientifique s'accompagne d'une très importante perte de légitimité politique, de
52
Du moins dans son discours officiel. Au sein du FMI et plus encore de l'Independent Evaluation Office, organe du Fonds chargé de
réaliser des études sur ses politiques, de nombreuses voix discordantes se sont fait entendre, et il est fort dommage qu'elles n'aient
pas été plus médiatisées. Par exemple, le rapport du FMI sur le contrôle des capitaux ( FMI, 2010a ) est un travail très intéressant et
clairement opposé à la doctrine officielle du Fonds de ces dernières années.
BRUYAS Benjamin_2010
63
Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
nombreux pays cherchant désormais à s'affranchir de l'autorité politique des institutions de
Washington, par exemple en créant des sources de financement alternatives.
Le cas du Consensus de Washington montre donc bien à quel point légitimité politique
et autorité scientifique sont liées, tout au moins à terme. En effet, la très grande autorité
scientifique dont jouissent les théories monétaristes et néolibérales dans les années 80
donne au Consensus une telle perception de légitimité dans le champ politique, et même
dans les différents champs politiques nationaux et internationaux, que les gouvernements
qui l'appliquent n'envisagent que très difficilement de l'abandonner comme référence
théorique, le gouvernement argentin ne l'abandonnant même qu'au terme de l'une des
crises politiques les plus violentes de l'Histoire du pays. La contestation théorique ne
commence à se développer et à s'organiser qu'à la fin des années 90, alors que certains
pays en développement tels que le Brésil commencent à se détourner explicitement du
Consensus. La division, puis la confusion au sein du champ scientifique, dans lequel aucun
nouveau paradigme ne parvient à s'imposer comme dominant, crée à la fois une opportunité
et une difficulté majeure pour les champs politiques nationaux et internationaux. En effet,
qu'il s'agisse des gouvernements ou des dirigeants des IFI, il s'agit pour eux de choisir un
nouveau cadre de référence théorique permettant de justifier et d'expliquer leurs politiques
économiques. La confusion entre les scientifiques constitue pour eux une opportunité car
elle leur permet de choisir le paradigme satisfaisant le mieux leurs intérêts, mais elle
constitue aussi une difficulté puisque, quel que soit le paradigme choisi, il sera contesté.
Cette contestation trouve d'ailleurs un retentissement bien supérieur, en ce qui concerne
les théories monétaristes et néolibérales, dans les pays en développement, puisque les
élites de ces pays, désormais clairement affranchies des recommandations du Consensus,
y construisent des alternatives politiques se basant plus ou moins explicitement sur les
théories économiques autrefois marginalisées, comme la théorie keynesienne. L'exemple
du Consensus de Washington montre donc de manière relativement claire la très grande
interdépendance qui existe entre la détermination des politiques économiques et le champ
scientifique de l'économie politique, les deux champs s'influençant réciproquement, leurs
évolutions se répercutant systématiquement de l'un vers l'autre, soit avec du retard, soit
de manière concomitante. Ainsi, le champ scientifique influence le champ politique en
déterminant quelles seront les types de politiques les plus aisées à justifier pour les
gouvernements. Ces derniers doivent en effet toujours présenter leurs réformes comme
légitimes auprès du Peuple, qui par sa capacité à la Révolution est de fait souverain en
dernier ressort de tous les régimes. Si ce Peuple n'a que rarement une connaissance et
une compréhension aigües des enjeux internes au champ scientifique, il n'en dispose pas
moins d'instruments d'information lui permettant d'évaluer l'autorité scientifique dont dispose
une théorie, par le biais des actualités par exemple. Quoi qu'il en soit, si des réformes
mises en place disposent d'une faible autorité scientifique, les citoyens finissent toujours
par l'apprendre. Ce qu'ils font de cette connaissance varie évidemment selon les contextes,
mais en tous les cas, l'autorité scientifique reste un avantage incontestable en termes de
légitimation des politiques économiques, et ce même pour les politiciens eux-même, qui se
sentant légitimes n'en seront que plus enclins à agir dans un certain sens. Mais l'influence
est réciproque, et le champ politique influence également sans cesse le champ scientifique,
en particulier celui de l'économie politique dont les enjeux sont, comme nous venons de
le voir, si importants. En effet, l'auteur de ce mémoire ne partage pas l'avis exprimé par
Pierre Bourdieu lorsque ce dernier estime qu'au sein du champ scientifique, « celui qui fait
appel à une autorité extérieure au champ ne peut s'attirer que le discrédit » ( Bourdieu,
1975, p.95 ). En effet, comme le montre l'exemple de Milton Friedman au début des
années 80, une utilisation stratégique des média de masse peut renforcer indirectement
64
BRUYAS Benjamin_2010
Conclusion
une domination scientifique naissante. Cela peut effectivement permettre de persuader des
acteurs extérieurs au champ scientifique de la justesse d'une théorie. Or, certains de ces
acteurs, en particulier les acteurs politiques, ont une influence importante sur ce champ, car
ils en définissent pour une part non négligeable le système de récompense et de valorisation
des idées. Comme le montrent Nayyar et Bhaduri ( 1997 ), les élites politiques ont un rôle
central dans la définition de ce système de valorisation scientifique, et c'est en cela qu'on
peut estimer que le champ politique influence grandement les champs scientifiques qui
représentent un enjeu politique important, au premier rang desquels se trouve aujourd'hui
le champ de l'économie politique.
Pour en revenir à la situation actuelle de l'économie politique au niveau international,
la fin du Consensus de Washington a laissé le champ scientifique, ou plutôt les champs
scientifiques des différentes aires culturelles et des différents pays, sans paradigme de
référence accepté universellement, ou du moins dans la grande majorité des pays. La
construction du système économique international s'est faite grâce à la domination de
théories économiques venues de l'Occident, qu'il s'agisse des théories keynesiennes dans
les années 50 et 60 ou des théories monétaristes dans les années 80 et 90. Cependant, au
contraire de la période de transition entre ces deux périodes d'autorité scientifique globale
de paradigmes occidentaux, la période actuelle voit un effritement continu de la domination
de l'Occident sur le reste du monde, qui cherche à s'affranchir de cette domination en
construisant une nouvelle organisation pour le système financier mondial. Dans la mesure
où les élites politiques des différents pays ont la possibilité d'influencer jusqu'à un certain
point leurs champs scientifiques respectifs, il est raisonnable de s'interroger sur la possibilité
même de la naissance d'un nouveau paradigme dominant au niveau international en
économie politique. Dans un monde relativement multipolaire, chaque pays ou groupe
de pays peut stratégiquement valoriser les théories qui servent le mieux ses intérêts, ce
qui met en danger tant l'existence d'une gouvernance internationale de l'économie, qui
apparaît chaque année comme plus nécessaire, que la possibilité de création d'un champ
scientifique mondial unifié de l'économie politique et des sciences économiques, lequel,
par la comparaison entre les différents points de vue, pourrait permettre un enrichissement
considérable de la discipline.
BRUYAS Benjamin_2010
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Le Consensus de Washington : Construction et Reconstruction d'une Légitimité
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