INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES EN DROIT DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION LES PROBLEMATIQUES LIEES AUX ACQUISITIONS DE SOCIETES DE PRESSE Mémoire réalisé par Melle Chloé GILLIARD Sous la direction de M. AGOSTINELLI Master II « Droit des médias et des télécommunications » Parcours Médias Professionnel Aix-en-Provence Faculté de Droit et de Science Politique d’Aix-Marseille 2009-2010 Remerciements Je remercie Monsieur Agostinelli pour avoir accepté de diriger ce mémoire, l’ensemble de l’équipe pédagogique de l’Institut de Recherche et d’Études en Droit de l’Information et de la Communication pour tout ce qu’ils ont pu m’apprendre au cours de cette année universitaire. Je tiens à remercier plus particulièrement Monsieur le Professeur J. Frayssinet, Directeur du Master Professionnel Droit des Médias, Monsieur le Professeur H. Isar ainsi que M. Laurie. Je remercie également tous les professeurs et intervenants du Master qui m’ont permis d’acquérir des connaissances et compétences nécessaires pour commencer ma vie professionnelle. Je remercie enfin Madame Catherine Bouchet qui s’est rendu très disponible et qui a toujours su être à l’écoute des étudiants au cours de cette année universitaire. 2 SOMMAIRE : Introduction Chapitre I : La presse un modèle économique atypique Section 1- Des dépenses forcées Section 2 - Des ressources en baisse Chapitre II : Un régime juridique spécifique de la presse : une contrainte pour les acquisitions Section 1 : Un régime dérogatoire au droit des sociétés Section 2 - Les journalistes des salariés atypiques Chapitre III : La valorisation d’une société de presse : un processus complexe pour les investisseurs Section 1 - Des méthodes traditionnelles difficilement applicables Section 2 - Des risques à prendre en compte lors de la valorisation Chapitre IV : L’espoir d’une reprise ? Section 1- Des perspectives peu rassurantes Section 2 - Des mesures d’aide pour sortir de la crise Conclusion 3 Introduction « J’ai aidé à conquérir celle de vos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse » (Chateaubriand 1768-1848)1. Cette citation date du dix huitième siècle et trouve pourtant toujours son importance dans notre siècle et peut être même plus à l’heure où la crise touche de plein fouet la presse écrite. La liberté de la presse concourt directement à la liberté d’expression et à la liberté de communication, toutefois elle relève de bien d’autres domaines. En effet, la crise que traverse la presse ne nuit par directement à la liberté d’expression dans le sens où internet déborde de journalistes en « herbe », toutefois en imposant des difficultés économiques aux entreprises de presse, cette crise nuit gravement à l’exercice de la liberté de presse par les journalistes professionnels. La diffusion de l’information est un produit éphémère qui fait de la presse un produit économiquement atypique. Un marché de biens d’équipement subissant la crise sera toujours susceptible d’intéresser des investisseurs qui pourront évaluer les perspectives de relance du secteur par le biais d’outils financiers. Il en est différemment pour la presse écrite et plus particulièrement pour la presse quotidienne d’information. En effet, la spécificité du marché le rend difficilement accessible aux investisseurs. Qui plus est, la révolution numérique bouleverse davantage les règles du jeu de ce marché difficile par nature. L’organisation économique et sociale des industries de la culture est en pleine mutation2. La profusion de la presse gratuite et l’accès à l’information en temps réel sont révélateurs du bouleversement économique du secteur de la presse. Face à ces difficultés, les éditeurs de presse peinent à remettre en ordre de marche leur modèle économique. Ceux-ci ont besoin de liquidité afin de pouvoir alimenter leur structure et de permettre la continuité de l’exercice de la liberté de la presse. Cependant, le statut particulier des entreprises de presse et de leurs composantes pose des difficultés quant à la recherche de fonds. 1 Mémoires d’Outre tombe 2 L’économie de la presse : vers un nouveau monde d’affaires (Sonnac Nathalie, Université Paris 2) 4 De manière générale, l’acquisition d’une société par un investisseur ne présente pas de réelles difficultés, toutefois certains secteurs d’activités comme la presse revêtent un caractère contraignant pour les investisseurs. Ces dernières années ont été marquées par l’entrée de nouveaux acteurs économiques dans les groupes de presse : groupes étrangers, industries et fonds d’investissement marquant ainsi la fin d’une époque où les entreprises de presse étaient détenues par des groupes familiaux indépendants à l’image du groupe Hersant. Comme dans les autres secteurs la croissance externe est devenue un enjeu majeur pour la presse, leur permettant ainsi d’affronter la concurrence internationale, c’est pourquoi ces entreprises atypiques ont peu à peu intégré l’idée qu’il était nécessaire d’attirer de nouveaux capitaux. Cependant, le statut particulier des entreprises de presse les rend moins accessibles pour les investisseurs, les acquisitions dans ce secteur sont trop souvent confrontées à des difficultés. Par ailleurs, la presse française revêt différents aspects, en effet, la presse magazine, la presse quotidienne d’information nationale et régionale, la presse spécialisée sont autant de branches de ce secteur atypique. Chacune de ces branches fait actuellement face à de grandes difficultés financières qui reposent toutes d’une façon générale, sur les mêmes problématiques. Cependant, les difficultés économiques rencontrées par la presse quotidienne d’information sont certainement les plus importantes. D’autre part, au regard de notre sujet « les problématiques liées à l’acquisition d’entreprise de presse », il est plus pertinent de ce concentrer sur le secteur de la presse quotidienne d’information. En effet, celle-ci répond à certaines spécificités tant économiques que juridiques qui rendent l’acquisition de ces sociétés plus risquée pour les investisseurs. Ainsi, qu’elles sont ces difficultés que peuvent rencontrer les investisseurs désirant acquérir une entreprise de presse française ? En quoi ces spécificités du secteur peuvent-elles faire échouer ou limiter des acquisitions ? Afin de répondre à ces questions, il est nécessaire de comprendre en quoi la presse repose sur un modèle économique atypique qui en fait un secteur d’activité précaire (Chapitre 1). Ensuite, les entreprises de presse font l’objet de nombreuses spécificités juridiques (Chapitre 2). Nous verrons donc qu’au regard de ces spécificités économiques et juridiques, la presse est un secteur comportant des « barrages » à l’investissement (Chapitre 3). Toutefois, à l’issue des Etats Généraux de la presse des mesures ont été élaborées afin d’aider les entreprises de presse, ces mesures pourraient alléger les contraintes auxquelles sont confrontés les investisseurs, un espoir est né (Chapitre 4). 5 Chapitre I : La presse : un modèle économique atypique Les transactions dans le secteur des médias enregistraient en 2009 une baisse de 37 %3 des volumes de transaction par rapport à l’année précédente. Cette forte diminution des transactions dans le secteur des médias et notamment dans le domaine de l’édition est dû à un surendettement de sociétés dans le secteur de l’édition, selon Hervé Colson. Cette forte diminution des transactions s’accompagne d’une baisse du chiffre d’affaire de la presse quotidienne payante de 4 %4. Ces chiffres révèlent la grande fragilité de la presse quotidienne française, cependant cette fragilité renforcée par la crise certes, n’est pas nouvelle. En effet, le modèle économique de la presse quotidienne d’information repose sur des coûts et des ressources qui peinent à s’équilibrer d’une façon générale. Les entreprises de presse ont des prérogatives de deux ordres. En effet, celles-ci ont pour objet principal l’information du public, cette activité repose donc sur la délivrance d’un bien informationnel. Ensuite, les entreprises de presse française disposent aussi d’une fonction commerciale, en effet, bien que le journal ait été conçu, afin d’assurer sa diffusion la société va devoir le diffuser et ainsi en assurer sa vente. Cette dualité de fonctions multiplie les coûts auxquels ces entreprises doivent faire face et rend l’équilibre de leurs recettes et de leurs dépenses difficiles à atteindre. C’est donc l’objet même de la presse qui en fait un modèle économique atypique, en effet, la « fabrication » de l’information et sa diffusion ne pourrait reposer sur le même modèle économique que celui de la fabrication de prêt-à-porter qui permet une rationalisation des coûts. Le modèle économique de la presse quotidienne d’information revêt des caractères particuliers rendant les acquisitions difficiles dans ce secteur. Mais quels sont ces caractères qui font du modèle économique de la presse une contrainte pour les investisseurs ? Tout d’abord, la production d’un journal quotidien nécessite des dépenses importantes (Section 1) qui ne sont que très rarement compensées par des recettes actuellement en chute libre (section 2). 3 Communiqué de presse de PricewaterhouseCoopers ( 4 février 2010)les 4 Etude Xerfi 700 (Juillet 2009 /JBE/ DTA)ige 6 Section 1- Des dépenses forcées La presse quotidienne d’information dans son ensemble (Presse quotidienne Nationale et Régionale) est soumise à un grand nombre de contrainte relevant de son objet même. En effet, l’édition d’un journal quotidiennement s’accompagne d’une part d’un stress quasi permanent pour les directions de rédaction mais aussi de lourdes contraintes financières. Ces contraintes financières sont de deux ordres. D’une part, de lourdes dépenses doivent être faites par les entreprises de presse pour palier les difficultés relevant de l’essence même de l’information : produit éphémère et inquantifiable (I), d’autre part, la conception et la diffusion de l’information produisent des coûts fixes élevés auxquels les entreprises de presse ne peuvent échapper (II). I. L’information : un produit comme les autres ? L’information est un produit difficilement abordable. En effet, celle-ci ne peut être palpable dans le monde du commun des mortels alors qu’elle est pourtant le produit le plus répandu dans notre société. Les caractères de l’information en font un produit coûteux. D’une part, le caractère éphémère de l’information conduit les entreprises de presse à effectuer des dépenses importantes pour la délivrer (A), ensuite, l’information qui est impalpable ne permet pas l’évaluation de sa qualité par les consommateurs, de cette façon les entreprises de presse doivent conduire celui-ci à elle, ce qui se révèle être très couteux (B). A. L’information : un produit éphémère L’information n’est pas un produit comme les autres, sa durée de vie est courte. En effet, l’entreprise de presse dont l’objet est la collecte, l’impression et la diffusion de l’information est confronté à une problématique particulière : la « fraicheur » de l’information. C’est cette « fraicheur » qui donne la valeur du papier et plus particulièrement dans la presse quotidienne d’information. En effet, un journal révélant les nouvelles du jour n’aura que très peu de chance d’être acheté par un consommateur le lendemain du jour où il a été mis en kiosque. Ce principe vaut également pour la presse magazine et notamment la presse people. Ainsi quel consommateur voudra acheter un journal qui annoncera la mise en examen de F. Ribéry une semaine après que le scoop soit tombé ? 7 L’activité des entreprises de presse repose donc sur un produit qui est sensé faire sa rentabilité, cependant son caractère éphémère engendre des dépenses importantes. D’une part, la collecte de cette information nécessite une réactivité importante des rédactions et par conséquent impose aux entreprises de presse de se doter de « chercheurs d’information » capable de trouver l’information et de la publier en quelques heures. Cette question tenant à l’embauche des journalistes sera soulevée postérieurement. D’autre part, le caractère éphémère de l’information soulève un autre problème. En effet, dès lors que l’information a perdu de sa fraicheur, les journaux ne seront plus vendus. Les invendus du jour constituent pour la presse des pertes définitives qui pèsent lourdement sur la rentabilité d’une entreprise de presse. En effet, alors que dans la plupart des autres pays européens le système de vente ferme au diffuseur est pratiqué, il n’existe pas en France. Le système de diffusion de la presse vendue au numéro en France est régi par la loi du 2 avril 1947 dite loi « Bichet », celle-ci organise la distribution de la presse par le biais d’une cascade de mandats liant chaque membre du réseau à l’éditeur de presse qui garde la pleine propriété des journaux tout au long du circuit. Ainsi, les invendus restent à la charge de l’éditeur. Cette « spécificité » à la française constitue un risque important pour les investisseurs étrangers qui ne connaissent pas forcément cette « règle ». Or le cout de ce risque est élevé puisqu’il peut parfois atteindre le tiers du chiffre d’affaire des entreprises de presse. Au regard de ce coût important, un éventuel investisseur devra garder en mémoire cet élément de façon à étudier la répartition des revenus de l’entreprise qu’il envisage d’acquérir afin d’apprécier le niveau de risque en matière de déchets de commercialisation. Le caractère éphémère de l’information conduit donc les entreprises de presse à assumer des coûts important liés aux invendus, l’information du fait de son essence même ne peut être évaluée par les consommateurs, les entreprises doivent donc mettre en œuvre des dispositifs de façon à attirer le consommateur vers leur journal. 8 B. L’information : une valeur « inévaluable » Une autre caractéristique de la presse relève de l’impossibilité d’évaluer sa valeur. En effet, la valeur du produit de la presse ne peut être évaluée avant son achat5. Le consommateur est sollicité par une multitude de quotidien d’information dont il ne peut évaluer la qualité avant de procéder à son achat. En effet, le consommateur qui achète une paire de chaussures pourra l’essayer pour évaluer son rapport qualité/prix, alors que lors de l’achat d’un journal le consommateur ne pourra en évaluer sa qualité avant d’en avoir fait sa lecture, ce qui est exactement l’objet de son achat. La valeur du bien informationnel6 ne pouvant pas être évaluée, les entreprises de presse ont dû faire appel à des éléments particuliers de façon d’une part à attiser le désir des lecteurs et d’autre part à permettre aux consommateurs de se repérer dans les étalages des kiosques. Les entreprises de presse ont donc fait appel à des procédures de sélection et de signalétique, des logos, des campagnes promotionnelles, etc. de façon à attirer les lecteurs vers leurs journaux. Ceux-ci s’appuient sur l’identification des composantes du journal : titre de presse, nom des journalistes, marques du groupe, format du journal. En effet, les produits les mieux signalés seront les mieux vendus, de sorte que les entreprises de presse consacrent une forte proportion de leur chiffre d’affaire au marketing et aux campagnes promotionnelles. Ces dépenses importantes sont souvent considérées comme des dépenses superflues et plus particulièrement en ces périodes de crise, toutefois celles-ci permettent aux titres de presse de bénéficier d’une renommée sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour développer leurs titres. La nature même de l’information conduit donc les entreprises de presse à faire face à des dépenses importantes, toutefois ces dépenses sont variables. En effet, les pertes définitives dues aux invendus varient d’un jour à l’autre et les dépenses de promotion et de marketing s’inscrivent dans des périodes bien déterminées, alors que l’essentielle des dépenses des entreprises de presse relèvent des coûts fixes qui se révèlent très lourd pour ces sociétés atypiques. 5 R.Craves Creatives Industries (2000). 6 L’économie de la presse : vers un nouveau monde d’affaires (Sonnac Nathalie, Université Paris 2) 9 II. Des coûts fixes élevés Les entreprises de presses doivent faire face à des dépenses importantes qui rendent difficile l’équilibre de ses ressources et de ses dépenses. En effet, comme nous l’avons vu précédemment alors qu’une partie des revenus d’un titre n’est pas assurée (invendus), les coûts de production et de distribution d’un titre sont fortement élevés. C’est la raison pour laquelle la rentabilité est si difficilement accessible pour ces entreprises. Les coûts fixes d’une entreprise de presse relèvent d’une part des coûts de production (A) et d’autre part des coûts de distribution (B). A. Les coûts de production d’un titre Le caractère périssable de l’information oblige les entreprises de presse à mettre en place une infrastructure de production couteuse. Ceci se traduit par l’embauche d’un nombre suffisant de journalistes afin de collecter l’information, la traiter, l’imprimer et la diffuser rapidement. Ainsi on peut distinguer deux catégories de coûts de production d’un titre, d’une part, les coûts de « production intellectuelle » (2) et d’autre part, les coûts de d’impression du journal (3). Cependant, avant d’étudier ces deux catégories de dépenses auxquelles sont confrontées les entreprises de presse, il est nécessaire de s’arrêter quelque temps sur le cas du « coût du premier titre » qui apparaît comme un coût fixe (1). 1. Le premier exemplaire Le coût du premier exemplaire, le prototype est une dépense importante pour l’entreprise de presse dont elle ne peut s’exonérer quelque soit le nombre d’exemplaires produits. En effet, la conception et la production de ce premier exemplaire imposent aux entreprises de presse des dépenses importantes du fait de l’importance de son coût unitaire, dépenses qui pourront toutefois être allégées. En effet, le coût unitaire de production est très élevé lorsque le nombre d’exemplaires produits est faible, en revanche ce coût unitaire diminuera quand il sera réparti sur un nombre élevé d’exemplaires produits. Ainsi, le rapprochement entre les entreprises de presse va permettre la non duplication de ce coût fixe élevé et par conséquent les entreprises de grandes tailles pourront bénéficier de cette efficacité économique. 10 Le rapprochement de plusieurs entreprises de presse permettra ainsi de réduire l’impact de ce coût important sur le chiffre d’affaire de ces entreprises. Cet aspect concourt donc à la multiplication des rapprochements dans ce secteur, encourageant ainsi les fusions acquisitions dans ce secteur. C’est d’ailleurs l’une des justifications au fait que le marché de la presse quotidienne d’information est détenu en grande partie par huit groupes de presse. Toutefois, ces rapprochements sont freinés par les mesures anti-concentration qui ont été mises en place par le législateur. Le dispositif anti-concentration fera l’objet d’un développement spécifique dans le chapitre suivant compte tenu de son importance et de son impact sur les acquisitions dans le secteur. 2. Les coûts de « production intellectuelle » La production intellectuelle est la composante principale des entreprises de presse. En effet, les journalistes créent la valeur des journaux pour lesquels ils travaillent, parfois même c’est la renommée du journaliste qui va permettre d’augmenter les ventes d’un journal. De plus, les journalistes d’une rédaction reflètent l’image même du journal. Ces dépenses de coût de production intellectuelle représentent 15 à 20 % des coûts d’un journal. Ce taux doit être perçu de façon relative puisqu’il ne prend pas en compte les dépenses de production intellectuelle consacrées aux pigistes et aux activités connexes de celles de journalistes. 3. Les coûts d’impression L’entreprise de presse est confrontée à plusieurs contraintes liées à son mode de production. Tout d’abord, celui-ci exige des investissements importants dans des équipements d’impression souvent très couteux. En effet, la production d’un titre suppose l’installation de rotatives dans le but d’assurer la reproduction d’un titre en nombre d’exemplaires qui permettra de couvrir la demande. Ces coûts élevés ont d’ailleurs occupé les réflexions menées lors des États Généraux de la presse de 2009. En effet, conscient que les coûts d’impression élevés de l’information paralysent l’équilibre économique des entreprises de presse, les pouvoirs publics ont mis en place une aide à la modernisation des imprimeries. Ainsi une enveloppe de 75 millions d’euros a été prévue afin d’accompagner les entreprises de presse dans la modernisation de l’impression des titres. Parmi ces 75 000 millions d’euros, une partie sera destinée à financer le départ d’une partie des ouvriers du secteur. En effet, la modernisation suppose que la main d’œuvre sera remplacée par les techniques 11 technologiques moins couteuses, de sorte que des restructurations sont indispensables à la survie de ces entreprises7. Il existe cependant d’autres contraintes en terme de coûts qui ne semble pas pouvoir disparaître. En effet, la matière première du journal : le papier est une source de dépense très importante. La faiblesse de la production de la presse réside dans la dépendance de celle-ci à l’égard du papier. Sans papier, pas d’impression, sans impression, pas de journal. Or le prix du papier peut être amené à varier fortement du fait notamment de l’évolution du taux de change et/ou du cours du pétrole. Ainsi, son prix a augmenté de 42,4% entre 1994 et 1996, avec toutes les conséquences qu’on imagine pour la trésorerie des sociétés de presse. On comprend alors pourquoi le papier est la principale source de préoccupations des dirigeants dans ce secteur d’activité. Il faut également ajouter que, dès lors qu’on est dépendant de ses fournisseurs, comme c’est le cas pour les sociétés de presse, le rapport de force joue en faveur de ces derniers qui sont en mesure de maintenir les prix à des niveaux élevés. Ceci est encore plus vrai si le secteur est concentré. Or, le secteur du papier est justement très concentré en France. Les groupes UPM- Kymmene et Norske Skog produisent à eux seuls 85 % du papier journal et le groupe suédois Stora Enzo contrôle 100 % de la production du papier magazine. Cette concentration contribue à maintenir des prix de papier élevés que les sociétés de presse continueront pourtant de payer. Les coûts d’impression représentent environ le quart des revenus d’un journal ou magazine ce qui laisse présager d’une structure de coûts risqués dans ce secteur d’activité. Ceci peut d’ors et déjà peser dans le choix d’un investisseur. 7 Les échos. Communication (mardi 2 février 2010) 12 B. Une distribution coûteuse Toute société productrice est confrontée au problème de distribution, cependant il semble que les modes de distribution utilisés par les entreprises de presse soient plus couteux et par conséquent plus risqué pour leur rentabilité. On distingue trois grands modes de diffusion de la presse, certains plus contraignant que d’autres et plus couteux. La diffusion de la presse relève là encore d’une contrainte pour les éventuels investisseurs. Tout d’abord, « la vente au numéro » se révèle être le mode de distribution de la presse le plus couteux. En effet, la vente au numéro nécessite la mise en place d’une lourde logistique combinant plusieurs moyens de transport et d’un réseau complexe de distribution. Les dépositaires sont approvisionnés soit directement par l’éditeur soit par l’intermédiaire de messageries. Les deux principales messageries de presse sont Presstalis ( Ex Nouvelles Messageries de Presse Parisienne) et les Messageries Lyonnaise de presse. Celles-ci devront donc acheminer les journaux chez les dépositaires qui les distribueront auprès des 29 651 diffuseurs français. Le risque majeur de ce mode de distribution réside dans le fait que les invendus restent à la charge de l’éditeur, de sorte que ces pertes définitives viendront s’ajouter aux frais de diffusion. La loi de finance rectificative pour 20048 a mis en place une aide directe afin de contribuer à la modernisation du réseau de distribution de la presse. Cette aide est attribuée sous condition aux diffuseurs en vue de rénover leur espace de vente ou d’optimiser leur gestion des produits de presse. Les modalités de calcul du montant de cette aide ont évolué depuis le 27 mai 2009, désormais les 40% des dépenses sont prises en charge dans la limite du plafond fixé par la loi. De plus, les exploitants de kiosques de journaux et les diffuseurs de presse de petites superficies sont éligibles à l’aide. Par ailleurs, l’explosion d’internet a conduit au bouleversement du système de distribution de la presse au numéro. En effet, le système basé sur la coopération et la péréquation supposant la 8 Article 134 créé par Loi 2004-1485 2004-12-30 finances rectificative pour 2004 JORF 31 décembre 2004 13 mutualisation des coûts est désormais bouleversé. Le coût de la distribution de la presse représente 34% du prix de vente d’un journal, ce coût, bien qu’inférieur à celui pratiqué en Allemagne et au Royaume-Uni, paralyse le système du fait de la faiblesse des ventes. A l’issue des Etats Généraux de la Presse, une commission a alors été nommée par le Premier ministre afin de réformer la distribution de la presse. Presstalis organise le transfert des journaux des imprimeurs vers les dépôts régionaux. Le coût de ce transfert calculé sur le prix de vente des journaux, se base sur le principe de la péréquation, principe fondamental qui conduit à la mutualisation des coûts et permet ainsi d’établir la solidarité entre les titres distribués. Cependant, ce système qui fonctionnait bien lorsque la presse se vendait bien, provoque des tensions entre les différents acteurs du secteur. En effet, les plus gros refusent désormais de payer pour les plus petits. Ainsi, la commission présidée par B. Mettling préconise de modifier l’assiette de calcul des coûts facturés à l’éditeur au profit d’un prix plus en rapport avec la prestation fournie. Par ailleurs, la diminution des ventes a accéléré la baisse de l’adéquation de telle façon que les dépôts sont désormais en grande difficulté d’une part, et d’autre part que Pressatlis a vu ses recettes diminuées de 25% depuis 2004. En effet, la situation de Presstalis est telle que début 2010, la diminution de ses capitaux propres nécessitait une recapitalisation. Face à la situation problématique de la société, les pouvoirs publics ont injecté 35 millions d’euros dans la société Pressatlis, ceux-ci se cumulant aux 25 millions apportés par Lagardère, actionnaire de la société. Ainsi, ces apports permettent à Prestalis d’échapper au dépôt de bilan et de mettre en place les mesures de réforme de la distribution. La vente au numéro est donc une pratique de distribution très couteuse et très contraignante. Ensuite, le « portage » consiste à livrer les journaux à domicile par l’intermédiaire de « porteurs ». Ce système est moins complexe que la vente au numéro mais il peut toutefois être couteux. Le portage comporte de réels enjeux pour les entreprises de presse. En effet, l’efficacité du portage permet au consommateur de bénéficier d’une satisfaction qu’il ne trouvera pas dans l’envoi du journal par la poste. D’autant plus qu’à l’heure de l’information en continue, il est indispensable pour les entreprises de presse de permettre à leurs clients d’accéder à cette information dans les meilleurs délais. Pour favoriser cette efficacité, les pouvoirs publics ont attribué une enveloppe de 70 millions d’euros à l’amélioration du portage. Cette subvention va ainsi permettre de rééquilibrer 14 les coûts, d’autant plus que le tarif préférentiel accordé par la Poste aux éditeurs pour la distribution par abonnement postal va bientôt prendre fin. Enfin, « l’abonnement postal » est un système relativement sécurisant pour l’entreprise de presse puisqu’il procure des revenus récurrents et la préserve des risques d’invendus. Ce mode de distribution de la presse bénéficiait jusque là de facilités permises par un accord « poste-presse ». Ainsi au titre de cette accord les entreprises de presse bénéficiait de tarifs préférentiels pour l’envoie de leurs journaux aux abonnés. Cet accord devait prendre fin dès cette année, ainsi les coûts postaux devaient progressivement augmenter conformément à l’accord, toutefois au regard des difficultés que traverse la presse un report d’un an de cette augmentation à été négocié suite aux Etats Généraux de la presse. Au regard de ces éléments, les entreprises de presse devraient se reporter rapidement sur le portage, qui bénéficiant des aides d’Etats devrait s’avérer plus avantageux. Au regard de ces dispositifs de distribution couteux, il est normal que certaines sociétés de presse tentent l’aventure de la presse tout numérique. En effet, à l’image de Rupert Murdoch qui a déclaré vouloir créer un journal essentiellement accessible par les tablettes numériques et smartphone, il semble que toutes les sociétés de presse voudront à terme tenter l’expérience. Les coûts de production et de distribution de l’information constituent donc un frein à la croissance des entreprises de presse, ceci est d’ailleurs accentué par des ressources en baisse. 15 Section 2 – Des ressources en baisse La presse est un domaine peu propice aux investissements au regard des dépenses spécifiques auxquels elle doit faire face. Cependant, ces dépenses ne sont pas les seules barrières aux acquisitions dans ce secteur, le revenu de la presse en est une aussi. En effet, la difficulté principale tient au fait que le grand nombre de coûts auquel les entreprises doivent subvenir ne parvient pas à s’équilibrer ou difficilement avec les recettes qu’elle perçoit. Ces ressources se composent de deux catégories de revenus : la vente (I) et la publicité (II). I. La vente des journaux Les ventes de journaux constituaient 56,9% du chiffre d’affaire des éditeurs de presse quotidienne française en 2009. Cette proportion reflète une diminution des ventes de journaux de 1,2% en valeur sur l’année précédente. Afin de mieux comprendre cette diminution, il est nécessaire de distinguer les ventes au numéro et les ventes abonnements qui ont été définies précédemment. En effet, comme nous l’avons vu les ventes au numéro constituent une charge importante pour les entreprises de presse, il est donc nécessaire que les recettes issues de ces ventes équilibrent les coûts engagés. La vente au numéro constitue la première source de revenu de la presse quotidienne. Cependant, les ressources issues de ces ventes ont vu leur poids diminué au cours de ces dernières années. En effet, alors que les ventes au numéro représentaient 41% du chiffre d’affaires des éditeurs en 1990, elles atteignaient tout juste les 36% en 2007. Cette diminution est révélatrice de la crise à laquelle la presse quotidienne d’information générale et politique traverse. Les études montrent en effet, que la disparition de nombreux points de vente, l’augmentation du prix de vente des quotidiens et le report de la consommation des ménages vers d’autres biens culturels sont les principaux facteurs de cette chute des ressources issues de la vente au numéro. La vente à l’abonnement constitue une valeur sure pour les entreprises de presse, en effet elle permet de fournir un indicateur de diffusion et par conséquent d’éviter le problème des invendus que nous avons déjà traité. Par ailleurs, les revenus issus de la vente à l’abonnement constituent une 16 avance de trésorerie pour les entreprises de presse qui en ont besoin en ces temps de crises. Ainsi, c’est en partie grâce à ces revenus que les entreprises de presse réussissent à se maintenir depuis ces dernières années puisque les revenus issus de ces ventes ont plus que doublé entre 1990 et 2007. Cette nette augmentation est due à la multiplication des formules d’abonnement et au coté pratique de ce mode de vente. Les abonnements à la presse en ligne commencent à se démocratiser toutefois, ces revenus ne permettent pas de compenser les diminutions successives des ventes au numéro. De plus, nous ne les traiterons pas ici compte du fait que la diffusion des titres en ligne ne repose pas exactement sur le même modèle que la presse papier. En effet, la presse en ligne ne nécessite pas ces nombreuses dépenses d’impression et de diffusion, de sorte que les dépenses et les revenus des entreprises de presse ne se compensent pas de la même façon. De plus, certes ce nouveau mode de presse est en développement et fait des adeptes toutefois, il ne permet pas encore d’équilibrer les coûts de production de telle façon que ce sont les structures traditionnellement qui permettent de développer la presse en ligne en absorbant les coûts fixes. Les ventes qu’elles soient au numéro ou à l’abonnement représentaient 58,3% du chiffre d’affaires des entreprises de presse, cette part non négligeable certes ne permet pas cependant à ces entreprises de survivre. La publicité, seconde partie de leur revenu est donc indispensable à la survie de la presse. Les entreprises de presse dépendent donc énormément des annonceurs qui eux aussi doivent face à la crise en optant pour des procédés moins couteux. 17 II. La dépendance à l’égard des annonceurs : un risque majeur Nouvelle spécificité du secteur de la presse, nouveau risque aussi : sa dépendance vis à vis des annonceurs. Le temps où l’on entendait maintenir son journal à l’écart du monde financier et de la publicité au nom du respect de l’indépendance journalistique (Jean Paul Sartre fonda Libération dans cet esprit) est bel est bien révolu. La publicité représente désormais une source de revenu importante pour la presse et notamment la presse quotidienne. Un grand nombre de quotidiens ne seraient pas rentables sans les annonceurs. En effet, le coût d’un journal fabrication et distribution est souvent supérieur à son prix de vente. D’autre part, le prix de vente d’un journal n’est pas fixé en fonction de son prix de revient. Les annonceurs subventionnent en quelque sorte le titre de presse puisqu’en apportant une source supplémentaire de revenus aux entreprises de presse, ceux-ci leur permettent de proposer un prix moins élevé que si ces derniers devaient compter uniquement sur leur vente pour assurer leur rentabilité. Ainsi, les annonceurs servent indirectement l’intérêt général car ils facilitent l’accès à l’information d’un bon nombre des citoyens. Cependant, cette relation entre les annonceurs et la presse crée, à l’égard des annonceurs une réelle dépendance qui peut s’avérer fortement problématique pour les éditeurs de presse. En effet, l’éviction des dépenses publicitaires a un effet considérable sur la rentabilité d’un titre de presse, pour preuve les chiffres de ces dernières années, les revenus issus de la publicité représentaient 48,5% du chiffre d’affaires des la presse quotidienne en 1990, alors qu’elle ne représentaient que 42,7%9 du chiffre d’affaire de la presse quotidienne en 2007. 9 Etude Xerfi 700 La presse Quotidienne Régionale et Nationale (juillet 2009) 18 Cette chute des revenus publicitaires a été provoquée en premier lieu par le contexte de crise. En effet, chacun sait que touché par la crise, la première restriction budgétaire des annonceurs se fera sur le budget publicitaire. D’autre part, les ressources publicitaires de la presse sont de deux types : la publicité commerciale et les petites annonces. Or, le secteur des petites annonces a trouvé dans internet, une meilleure vitrine, qui plus est moins couteuse, c’est donc le secteur des petites annonces qui a le plus pesé sur la diminution des recettes publicitaires de la presse quotidienne. La publicité commerciale, elle aussi a vu sa part des ressources de la presse diminuer. En effet, comme nous l’avons vu cette baisse tient au fait que les annonceurs ont restreint leur budget publicitaire pour pouvoir faire face à la crise. Cependant, ceci n’est pas le seul facteur, internet permet désormais de pratiquer la publicité différemment, de sorte que la clientèle peut être beaucoup plus ciblée que dans un journal quotidien même d’opinon. Ainsi, les recettes publicitaires d’internet ont progressé de 32%10 entre 2006 et 2007 en France alors que les recettes publicitaires des quotidiens nationaux ont enregistré une baisse de 8,6% à la même période. Ainsi donc, les liens qu’entretiennent presse et publicité apparaissent bien comme une spécificité du secteur de la presse et représentent pour celui-ci un risque majeur. L’originalité d’une entreprise de presse réside ici dans le fait que ses clients finaux, ceux pour qui elle produit l’information, sont loin d’être ses seuls générateurs de revenus à la différence des secteurs d’activité plus classiques. Une part importante de ses recettes dépendent en effet du bon vouloir d’annonceurs qui, lorsque la prospérité économique n’est pas au rendez-vous, n’hésitent pas réduire leur budget publicitaire, menaçant ainsi la rentabilité d’un journal, voir sa survie. Un espoir se laisse toutefois entrevoir puisqu’en avril 2010, l’institut Yacast rapportait que les recettes publicitaires avant négociation commerciales avaient progressé de 9% au premier trimestre 2010 sur un an. A la même époque l’année dernière, ces recettes accusaient un repli de 5,1%11. 10 Publicité classique, hors liens sponsorisés et hors shopping. Source : Irep 2007 11 La tribune.fr, 8 avril 2010 19 Le modèle économique sur lequel repose la presse quotidienne d’information est donc fondé sur des recettes et des coûts atypiques qui en font un modèle particulier. En effet, les dépenses auxquelles doivent faire face les entreprises de presse sont considérables et parviennent difficilement à être équilibrées par les revenus issus de la vente des quotidiens et de recettes publicitaires. Ces spécificités font des entreprises de presse des entités difficilement accessibles par les investisseurs. En effet, les acquisitions dans ce secteur sont difficilement accessibles par des investisseurs désireux de procéder à des placements rapporteurs et surs. Le modèle économique sur lequel la presse repose révèle en effet de nombreuses contraintes pour les investisseurs, toutefois le modèle économique n’est pas la seule contrainte à des acquisitions dans ce secteur, le régime juridique qui régie la presse fait aussi de la presse un secteur particulier qui peut apparaître comme contraignant pour d’éventuels investisseurs. 20 Chapitre II : Un régime juridique spécifique pour la presse : une contrainte pour les acquisitions L’activité des entreprises de presse réside dans une dualité d’objectifs. En effet, les sociétés de presse sont des entreprises au sens du droit commercial et donc doivent répondre à des objectifs de rentabilité et de productivité au même titre que les industries. Par ailleurs, les entreprises de presse doivent servir l’intérêt général : l’information du public, l’exercice de la liberté d’expression, le droit à l’information sont autant de droits consacrés par notre droit constitutionnel qui ont été mis à la charge de ces entreprises atypiques. Afin de permettre la conciliation de ces deux caractères des entreprises de presse, le législateur a établi un régime juridique particulier du secteur de la presse. Les entreprises de presse ne sont donc pas des entreprises comme les autres, c’est d’ailleurs pourquoi elles bénéficient depuis la Libération (aout 1944) d’un statut juridique particulier destiné à stimuler la création journalistique tout en protégeant sa liberté. Les entreprises de presse sont donc d’une façon générale régie par le droit commun auquel le législateur a introduit au cours des années des dérogations de façon à assurer les principes auxquels elles sont soumises. Ce régime dérogatoire au droit commun impose aux entreprises de presse d’exercer leur activité dans le respect du pluralisme, de l’indépendance de leurs salariés, autant de spécificités que nous allons étudier dans ce développement. Ce régime atypique bien que parfaitement compréhensible au regard des principes fondamentaux pour lesquels il a été mis en œuvre, constitue une véritable contrainte pour les investisseurs. Ainsi, nous allons voir dans quelle mesure ce régime dérogatoire au droit commun constitue un « barrage » aux acquisitions dans le secteur de la presse. Le législateur a donc entrepris depuis de nombreuses années de consacrer un régime juridique particulier à la presse. Ainsi, la presse est soumise à un régime dérogatoire au droit commercial (section 1), de plus, nous verrons que compte tenu de la personnalité atypique des salariés du secteur de la presse et de façon à préserver l’objet même de la profession de journaliste : l’indépendance intellectuelle, le législateur a aménagé leurs conditions de travail (section 2). 21 Nous verrons que ces spécificités juridiques ne sont pas sans causer des difficultés quant aux acquisitions dans ce secteur. En effet, ce régime atypique constitue une réelle contrainte pour les investissements dans ce secteur. Section 1 – Un régime dérogatoire au droit des sociétés Les entreprises de presse, bien qu’ayant un objet spécifique n’en sont pas moins des entités économiques soumissent aux contraintes de l’économie basée sur un système libérale nécessitant ainsi une rentabilité et un productivité accrue afin de survivre. Sur ce point, on peut donc dire que les entreprises de presse sont bien des sociétés comme les autres. Une question se pose donc faut-il abandonner complètement l'entreprise de presse à la stratégie commerciale et aux règles du libéralisme économique ? Le législateur a traditionnellement répondu à la négative à cette question, considèrent que le produit « information » ne devait pas être banalisé12 comme les autres produits de l’industrie. Le statut hybride des entreprises de presse a donc conduit le législateur à lui « façonner » des règles spécifiques de façon à concilier son double objet social. Ainsi, le régime dérogatoire de l’entreprise de presse est le résultat de son objet social mixte (I) qui nécessite que son statut juridique concilie le pluralisme outil indispensable à l’exercice de la liberté d’expression et la liberté d’entreprendre, principe fondamental à valeur constitutionnel (II). I. Un objet social mixte Les entreprises de presse bénéficient d’un objet social mixte nécessitant ainsi la conciliation de leur objet commercial et de la mission d’intérêt général qui leur a été confiée en 1881. Cette mixité de l’objet sociale de l’entreprise de presse en fait une entreprise atypique difficilement abordable pour les investisseurs. L’entreprise de presse a à l’origine, été considérée comme une entreprise à part entière par le législateur (A), cependant l’évolution de ces sociétés s’est avérée de plus en plus dangereuse pour la liberté de la presse et pour le respect du pluralisme (B). 12 J. Cluzel, L'Ètat de la presse au printemps 1991 : Le Monde, 4 juin 1991. 22 A. Une prise en compte tardive de l’entreprise de presse La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 aout 1789 a d’abord consacré la liberté de la presse dans son article 11. En effet, celle-ci proclamait que La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Bien que cette déclaration ait pris toute son importance dans notre siècle, elle ne constituait au XVIII ème siècle qu’une déclaration sans avoir de force juridique. Ainsi, les régimes se sont succédés en alternant libéralisme et répression de la presse. La liberté de la presse bien que solennellement déclarée, ne disposait donc d’aucun moyen juridique susceptible de la protégées des atteintes constantes. La loi du 29 juillet 188113 est venue donner les instruments juridiques nécessaires à la sauvegarde de la liberté de la presse. C’est en effet après une longue lutte et le renforcement des institutions républicaines que la loi sur la liberté de la presse a vu le jour14. C’est ainsi que le premier l'article de la loi dispose : « L'imprimerie et la presse sont libres ». L'article 5 ajoute que la presse vit sous le régime de la déclaration et non pas de l'autorisation préalable. Bien que la loi de 1881 constitue une grande avancé pour le statut de la presse, il n’en est pas de même pour le statut des entreprises de presse. En effet, le législateur a complètement ignoré les entreprises de presse dans sa loi fondatrice du statut de la presse. Cette ignorance a d’ailleurs perduré tout au long du dix neuvième siècle. Le législateur de l’époque considérait en effet que la liberté d’entreprendre devait découler naturellement du plein exercice de la liberté d’expression. Sur la base de ce postulat, le législateur a alors considéré que l’unique protection dont devait faire l’objet la presse tenait dans la protection de la presse face aux ingérences des pouvoirs publics. C’est ainsi que le législateur de 1881 a fait de la presse une activité soumise à un régime de déclaration. 13 Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : Journal Officiel 30 Juillet 1881 14 Estelle Revel-Menard, Jurisclasseur Communication, fasc. 4000 STATUT DES ENTREPRISES DE PRESSE 23 La loi de 1881 avait en définitif, pour objet de libérer la presse et non de se préoccuper de l’organisation juridique et financière des entreprises de presse. Ainsi l’objectif de la loi de 1881 était de permettre la liberté de la presse, son indépendance et sa pluralité sans entraver leur liberté d'entreprendre c’est ainsi que la loi de 1881 a placé l'entreprise de presse sous le droit commun des professions commerciales et industrielles. La presse est alors devenue une industrie importante exerçant son objet commercial et effectuant des profits sur la base de son produit : « l’information ». Cette expansion des entreprises de presse a alors nécessité des capitaux importants et a conduit la presse à se confronter à des contraintes économiques. Ces contraintes ont alors mis la presse face à une menace pour son indépendance et sa pluralité. Ce système ignorant la spécificité des entreprises de presse a alors perduré jusqu’à la Libération. En effet, la seconde Guerre Mondiale a vu une partie de la presse collaborer15 avec l’ennemie. Bien que la plupart de ces « intelligences avec l’ennemie » résultaient d’influence essentiellement financières, les résistants ont souhaité procéder à un « nettoyage » de la presse française. C’est ainsi qu’une interdiction provisoire de publier a été imposée aux journaux ayant vu le jour à partir du 25 juin 1940 notamment, la résistance a alors procédé à l’épuration professionnelle. La période de la Libération n’a toutefois pas eu pour unique effet d’épurer le monde du journalisme, puisque c’est cette période qui a vu naître les prémices d’un statut particulier des entreprises de presse. En effet, l’ordonnance du 26 août 1944 sur « l'organisation de la presse française »16 transforme considérablement les structures de la presse française. En effet, l’ordonnance a pour ambition de faire des sociétés de presse des « maisons de verre 17» en obligeant ainsi les entreprises de presse à une transparence financière. Bien que cette ordonnance ait permis de faire apparaître un nouveau statut des entreprises de presse, celle-ci n’a pas produit les effets escomptés. En effet, ces nouvelles règles de transparence des entreprises de presse se révèlent rapidement inadaptées et ne reçoivent qu'une application très partielle en raison du nombre trop important de prescriptions et de l'absence d'adoption des décrets 15 Le Matin, L'oeuvre, Le Petit Parisien, Le cri du peuple, Les nouveaux Temps ont collaboré avec l’ennemi durant l’occupation. 16 Ordonnance du 26 août 1944 : Journal Officiel 30 Aout 1944 ; BLD 1944, p. 220. - G. Levasseur, L'ordonnance du 26 août 1944 : L'Ècho de la presse et de la publicité, 4 oct. 1976. - F. Terrou,. - E. Derieux, Statut des entreprises de presse : Petites affiches 7 décembre 1983, p. 7 17 Lamy Droit des médias et de la communication (212-2) 24 d'application. Ainsi, elles ne seront d'aucune efficacité lors du rachat par Robert Hersant du Figaro, de L'Aurore, et de France Soir par sociétés interposées. Pour preuve les plaintes déposées contre M. Hersant au titre de ces acquisitions resteront sans suite. Cette situation engendre d'importants mouvements de concentration de la presse française et les entreprises de presse continuent par conséquent d’être en grande partie régies par le droit commun des sociétés. L’entreprise de presse a alors continué d’être dépourvue de définition jusqu’à la loi du 23 octobre 1984. Loi du 23 octobre 198418 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse a alors pris en compte la nécessité de concilier l’activité économique de l’entreprise de presse et son objet premier qui est de servir l’intérêt général. C’est ainsi que l’entreprise de presse va alors se doter d’une définition juridique et que la création d’un statut juridique spécifique va être amorcée par le législateur. B. L’entreprise de presse soumise aux enjeux liés à l’intérêt général La loi de 1884 est venue définir l’entreprise de presse comme « une personne physique ou morale ou un groupement de droit ou de fait de personnes physiques ou morales (…) qui édite ou exploite une ou plusieurs publication ». La définition retenue par la loi est très large et permet ainsi de faire rentrer dans le champ d’application de la loi un grand nombre de société de presse. Cette loi ne procède pas seulement à une définition des entreprises de presse mais impose des limites aux concentrations dans le secteur des quotidiens Nationaux ou Régionaux. En effet, la loi de 1984 renoue avec le principe qui avait dominé les ordonnances de 1944 : « un homme, un journal ». Ainsi, la loi imposait un certain nombre de restrictions aux acquisitions dans ce secteur, c’est d’ailleurs à partir de cette loi que les acquisitions dans le secteur de la presse sont devenues de véritables contraintes pour les investisseurs. Toutefois, le Conseil constitutionnel a censuré la plupart des dispositions essentielles de la loi dans une décision des 10 et 11 octobre 198419 et notamment son article 13 alinéa 2 qui imposait aux entreprises de presse dépassant le seuil de concentration imposé par la loi avant la promulgation de la loi, à se conformer à ces seuils. Ainsi, la loi imposait aux entreprises de presse ayant acquis au 18 19 Loi n°84-937 Cons. Const., 10 oct. 1984, N°DC, Entreprises de presse, Jo 13 oct. 25 delà des seuils auparavant, à remettre en cause leur situation rétroactivement. Bien qu’ayant privé la loi de ses effets, le Conseil Constitutionnel a profité de l’opportunité que lui offrait ce contrôle afin de reconnaître à la liberté de la presse une valeur constitutionnelle. Ainsi, lors de cette décision, le Conseil constitutionnel fait de la liberté de la presse une condition première de l’épanouissement de l’ensemble des droits fondamentaux, en concourant directement à la formation de l’opinion public qu’elle éclaire20. Le conseil procède aussi à la consécration du principe du droit des lecteurs à l’information en précisant qu’ils sont les destinataires de la liberté de la presse. La loi de 1984 a alors subi la malédiction de toutes les précédentes tentatives de réglementation des entreprises de presse en ne produisant que des effets mineurs sur la réglementation des entreprises de presse. Enfin, les lois des 1er août et 27 novembre 198621 ont consacré un véritable statut juridique aux entreprises de presse. Ce statut a alors consisté en la conciliation de l’activité économique des entreprises de presse et les enjeux liés à l’intérêt générale. Ainsi la loi du 1er aout 1986 définit l’entreprise de presse de façon plus précise qu’en 1984. En effet, elle définie en premier lieu l’entreprise de presse comme une « entité juridique et économique éditant une publication de presse », pour ensuite définir l’expression « d’entreprise éditrice comme toute personne physique ou morale ou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant, une publication de presse » dans son article 2. Cette définition est en effet nettement plus restrictive que la définition adoptée en 1984. Au delà, de la définition des entreprises de presse, la loi du 1er août 1986 dote l’entreprise d’un véritable statut juridique en imposant un seuil de concentration de 30% dans les entreprises de presse. Cependant, ce point fera l’objet d’un développement particulier compte tenu de son importance pour le développement des acquisitions dans ce secteur. La loi du 1er aout 1986 a aussi permis au Conseil Constitutionnel de réaffirmer la valeur constitutionnelle de l’objectif de pluralisme considéré comme une garantie fondamentale du droit à l’information des lecteurs. C’est d’ailleurs sur ce point que le Conseil se fonde pour déclarer contraire à la Constitution l’article 11 de la loi. 20 Lebreton 21 Loi n°86-897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse 26 Dès lors, le législateur a ainsi adopté un certain nombre de mesures visant à protéger et à assurer l’indépendance de la presse et du pluralisme des courants de pensées et d’opinions. En effet, le journaliste a vocation à stimuler le débat public et à nourrir la santé démocratique de la nation, de sorte qu’il est indispensable de sauvegarder son indépendance intellectuelle. Cette indépendance s’est d’ailleurs manifestée durant de nombreuses années par la détention de sociétés de rédactions par les journalistes eux-mêmes. En effet, l’indépendance du journaliste est essentielle à l’exercice de la liberté de la presse, c’est ce qui a motivé l’adoption des lois anti-concentration dans ce secteur. Le cas de la société Socpresse amène à une réflexion, comment un journaliste d’une rédaction détenue par Serge Dassault osera t-il aborder des sujets susceptible de « froisser » son actionnaire principal ? Ainsi, liberté de la presse et intérêt économique ne font pas bon ménage, c’est la raison pour laquelle le législateur a mis en place un dispositif permettant de limiter les effets des prises de participation d’investisseurs puissant dans les entreprises presse et plus généralement dans le secteur des médias. 27 II. Une nécessaire fondamentaux conciliation des principes La liberté de la presse et ses corollaires ont fait l’objet d’un grand nombre de textes en droit interne et en droit international, de sorte que ce principe fondamental est la condition première de l’épanouissement de l’ensemble des droits fondamentaux, en courant directement à la formation de l’opinion publique qu’elle éclaire.22 Par ailleurs, la liberté d’entreprendre a été elle aussi, consacrée par une multitude de texte et notamment par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. La jurisprudence par la suite a alors fait découler de ce principe la liberté de commerce et de l’industrie au fil de ces décisions. En effet, Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie a été consacré, par le Conseil d ’Etat, en tant que principe général du droit applicable même sans texte23 . Ainsi, le secteur de la presse repose comme nous l’avons vu sur une activité hybride qui mêle un objet commercial indispensable à sa survie et la nécessaire réalisation d’un objectif d’intérêt général. Le législateur aguillé par la jurisprudence a donc dû procéder à une conciliation de ces deux principes fondamentaux. En effet, le principe de pluralisme consacré comme outil indispensable à la liberté de la presse (A) a dû être concilié avec la liberté d’entreprendre, toutefois, il semble que le principe de pluralisme ait été plus fort que le principe de la liberté de commerce et de l’industrie, puisque le législateur a été amené à limiter ce principe par des mesures de nature à sauvegarder la liberté de la presse dans un système libéral tel que le notre (B). 22 Lamy Droit des médias et de la communication – juin 2007 (203-31) 23 Conseil d ’Etat. Ass. 22 juin 1951, Daudignac ; Conseil d ’Etat. ass.13 mai 1983, société René Moline 28 A. Le pluralisme : outil indispensable à la liberté d’expression Le principe de pluralisme des courants de pensées et d’opinions ne figurait pas dans l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui consacrait une conception classique de la liberté de la presse. Dès lors, c’est à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi de 1984 que le principe de pluralisme est alors apparu comme corollaire du principe de la liberté d’expression pour ne pas dire son outil de réalisation. En effet, dans sa décision des 10 et 11 octobre 1984, le Conseil Constitutionnel a affirmé que « le pluralisme des quotidien d’information politique et générale (…) est en lui-même un objectif à valeur constitutionnelle ; qu’en effet la libre communication des pensées et des opinions garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ne serait effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’étaient pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ». C’est ainsi que le Conseil procède à une conception duale et extensive de la liberté de la presse. De plus, la reconnaissance d’objectif de valeur constitutionnel du principe de pluralisme rend compte de la volonté du Conseil d’encourager la compétence du pouvoir législatif. En effet, la notion d’objectif à valeur constitutionnelle dégagée par le Conseil au regard du Préambule de 1946, dans une décision de 1971 qui a intégré ledit Préambule à la Constitution de la Vème République fait ainsi rentrer dans le champ des normes auxquelles le législateur est tenu de se conformer24, le principe de liberté de la presse et le principe de pluralisme. La doctrine du Conseil Constitutionnel a alors été confirmée chaque fois qu’il en a eu l’occasion. C’est ainsi qu’en 1986, le Conseil rappelle que le droit à l’information des lecteurs est garanti par l’objectif à valeur constitutionnel de pluralisme. Parallèlement à la consécration jurisprudentielle du principe de pluralisme par les sages du Conseil, ces derniers ont peu à peu admis une restriction au principe de liberté d’entreprendre lorsque ces restrictions tenaient à un objectif d’intérêt général. Cette position a d’abord été prise lors de l’examen de la loi modifiant la loi de privatisation de 1986, en effet, le Conseil retenait que « la liberté d'entreprendre n'est ni générale, ni absolue ; qu'il est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence 24 Rapport A. Lancelot (décembre 2005) 29 d'en dénaturer la portée 25 ». Ainsi cette admission de la restriction de la liberté d’entreprendre au profit de l’intérêt général avait une portée générale en 1989. Ces restrictions ont été admises en 2000 dans le cadre spécifique de la conciliation avec l’objectif à valeur constitutionnel de pluralisme. En effet, dans sa décision du 20 juillet 200026, le Conseil considérait que « la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'il est cependant loisible au législateur de lui apporter des limitations justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles ; (...) que, par suite, il incombe au législateur, en fixant les règles tendant à la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels, de veiller à ce que leur application ne limite pas la liberté d'entreprendre dans des proportions excessives au regard de l'objectif constitutionnel du pluralisme ». Ainsi, le Conseil vient ici confirmer la possibilité pour le législateur de prendre des mesures restrictives quant à la liberté d’entreprendre tout en imposant que ces mesures soit proportionnées à l’objectif recherché. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a elle aussi, permis de conférer au principe de pluralisme une force telle qu’elle impose la restriction mesurée de la liberté d’entreprendre. En effet, l’analyse de la jurisprudence de cette juridiction démontre sa volonté de protéger et de promouvoir de la manière la plus effective qui soit la liberté de la presse et des médias27. En effet, dans l’affaire Handyside c/ Royaume-Uni, la Cour définit le pluralisme comme l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès. A partir de cette décision du 7 décembre 1976, la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’a cessé d’interpréter l’article 10 de la Convention de manière extensive afin de protéger la liberté d’expression au sein de l’Europe. En effet, la protection de la liberté d’expression par la Cour s’est alors peu à peu développée au regard des droits des journalistes (secret des sources et liberté d’opinion) et du droit à l’information du public28. Il convient toutefois, de relever que le paragraphe2 de l’article 10 de la Convention permet des dérogations à ce principe de la liberté de la presse. Cependant, ces restrictions au principe de liberté de la presse sont soumises à un contrôle strict de la Cour E.DH et des juridictions internes. En effet, au fil de sa jurisprudence la Cour est 25 Décision n° 89-254 DC du 4 juillet 1989 26 Décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000 27 Lamy droit des médias et de la communication. Juin 2007 ; 203-33. 28 CEDH, 26 nov. 1991, Sunday Times n°2 30 venue préciser que ces restrictions devaient répondre à des critères strictes. En conséquence, l’ingérence doit être prévue par la loi, cette loi doit être prévisible, précise et accessible, d’autre part l’ingérence dans la liberté de la presse doit viser un but légitime et être proportionnée et nécessaire dans une société démocratique29. Au regard de l’importance que les Hautes juridictions Nationales et Internationales ont conférées au principe du pluralisme, il a semblé nécessaire pour le législateur de mettre en œuvre ce principe en imposant certaines restrictions au principe de liberté d’entreprendre. En effet, alors que le droit commercial commun consacre ce principe, des mesures dérogatoires ont été prises par les pouvoirs publics afin de préserver le pluralisme dans la presse. B. Des limitations nécessaires au principe de la liberté d’entreprendre L’objectif à valeur constitutionnelle du principe de pluralisme a conduit le législateur à prendre des mesures permettant d’atteindre cet objectif. Comme nous l’avons vu précédemment, les influences financières qui ont eu lieu lors de la seconde Guerre Mondiale a conduit le secteur de la presse à perdre son indépendance. Dès lors, il est apparu indispensable pour les pouvoirs publics de mettre en œuvre des mesures permettant l’indépendance éditoriale de la presse. D’une façon générale, le législateur a mis en place un régime spécifique des entreprises de presse. Ces mesures spécifiques résident dans un régime dérogatoire au droit de la concurrence limitant les concentrations dans le secteur (1) ainsi que les prises de participations étrangères (2) et dans un aménagement spécifique des transmissions de société (3). Ces mesures guidées par la volonté de préserver l’indépendance de la presse et donc par conséquent d’atteindre l’objectif de pluralisme, sont cependant de réelles contraintes pour les investisseurs dans le secteur de la presse alors que face à la crise, ces entreprises ont besoin de fonds pour survivre. 29 CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France 31 1. Les mesures anti-concentration La presse fait l’objet de mesures très protectrices quant aux concentrations dans son secteur, en effet, celle-ci se voit imposer une mesure anti-concentration spécifique à la presse (a), ainsi qu’une mesure anti-concentration globale à tous les médias (b). a) Le dispositif anti-concentration spécifique à la presse La notion de concentration est définie par l’article L.430-1 du Code de Commerce30, ainsi la concentration peut intervenir par fusion, prise de contrôle ou création de filiales communes accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome31. Celleci est apparue dangereuse pour la sauvegarde de l’indépendance de la presse, de sorte que le législateur est intervenu à de multiples reprises afin de réduire ce risque. Ainsi, les mesures anti-concentration consistent en la limitation des participations financières dans le secteur des médias, de sorte que « les puissances d’argent » ne puissent opérer un contrôle total sur le contenu rédactionnel des publications. La première intervention des pouvoirs publics dans ce domaine remonte à l’ordonnance de 1944 qui avait fait du principe « un homme, un journal » le principe à adopter. Cependant, l’ordonnance n’a pas produit les effets escomptés de sorte que le législateur a souhaité intervenir en 1984. Cette tentative de 1984 a toutefois était déjouée par le Conseil Constitutionnel qui a censuré partiellement la loi visant à réduire les concentrations dans le secteur de la presse. Toutefois, certains aspects de la loi de 1984 sont de nos jours toujours en vigueur. En effet, la mesure anticoncentration élaborée en 1984 visait les publications quotidiennes d’information politique et générale, excluant ainsi la presse magazine et spécialisée. Cette mesure avait donc pour objet de limiter les prises de participation dans les entreprises de presse, cette limitation a alors mise en œuvre par la fixation d’un seuil, principe qui est toujours en vigueur actuellement, bien que le seuil lui-même ait été modifié par la loi de 1986. Enfin, la nature des mesures destinées à en garantir le respect mêlant ainsi sanctions civiles et pénales a été maintenue dans le dispositif actuel. 30 Annexe 1 31 Rapport M. Lancelot sur les problèmes de concentration dans les médias 32 Ainsi, alors que la loi de 1984 avait posé les principes de cette mesure anti-concentration, la loi du 1er aout 1986 est venue l’adapter au regard d’une part des observations faite par le Conseil Constitutionnel et des circonstances de l’époque. L’article 11 de la loi de 198632 interdit donc , à peine de nullité, l’acquisition, la prise de contrôle ou la prise en location-gérance d’une publication quotidienne imprimée d’information politique et générale lorsque cette opération a pour effet de permettre à une personne physique ou morale ou à un groupement de personnes physiques ou morales de contrôler, directement ou indirectement, des publications quotidiennes imprimées d’information politique et générale dont le totale de diffusion excède 30% de la diffusion sur le territoire national de toutes les publications imprimées de même nature. Ce dispositif amène plusieurs observations. - Un champ d’application restreint : Tout d’abord, les mesures anti-concentration ne visent que la presse « quotidienne imprimée », cette expression sous-entend donc que leur zone de diffusion est indifférente de sorte que cette mesure s’applique autant à la presse régional que nationale. Cette notion exclue en revanche toute la presse hebdomadaire ou mensuelle d’une part et la presse en ligne qui n’est pas imprimée. Ensuite, le dispositif vise « la presse d’information politique et générale ». En effet, l’indépendance de la presse prend toute son importance dans ce type de presse, bien plus que dans la presse people. Toutefois, ce point a fait l’objet de controverse puisque la loi n’a pas défini la notion de presse d’information politique et générale. Certains auteurs en ont déduit une définition de cette notion au regard de la notion de « périodique » défini par la loi du 27 décembre 1977, ainsi pour eux, cette notion renverrait à des publication apportant des informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens, qui consacrent en moyenne à cet objet plus du tiers de leur surface rédactionnelles et qui présente un intérêt dépassant d’une façon manifeste les préoccupations d’une catégorie particulière des lecteurs33. Cette définition a par la suite, été précisée par la jurisprudence de Cour de Cassation qui dans un arrêt du 20 décembre 1988 a défini les publications d’information politique et générale comme « des publications qui par leur contenu, leur présentation et leur distinction, constituent des porteurs 32 Annexe 2 33 Loi du 27 déc. 1977 relative au régime fiscal des publications périodiques 33 d’informations coordonnées et systématisées et des supports de réflexion destinés à ceux qui, du fait de pouvoir de décision, exercent une action ou une influence politique au sens large »34. - Définition du seuil de concentration : Le seuil de concentration est fixé par rapport à la diffusion sur le territoire national de toutes les publications quotidiennes d’information politique et générale. Ainsi, la diffusion sera représentée par le nombre d’exemplaires vendus ou par le pourcentage de la totalité des ventes ayant donnée lieu à paiement, quelque soit le mode de diffusion (vente au numéro, abonnement, portage et diffusion gratuite). Ainsi, une personne morale ou physique ou un groupement ne pourra contrôler directement ou indirectement plus de 30% de la diffusion des publications quotidiennes d’information générale et politique. Toutefois, au regard de la fluctuation des ventes dans le secteur de la presse, une période de référence a dû être définie de façon à ce que le taux de diffusion puisse être fondé, le législateur a donc posé comme période de référence à cette évaluation « les douze derniers mois connus ». Par ailleurs, afin de donner une efficacité effective à ce texte, la loi a ajouté une disposition interdisant les conventions de prête-nom. En effet, cette disposition a pour objet de ne pas permettre un détournement de la loi qui consisterait à déclarer une acquisition par une personne morale ou physique permettant un contrôle indirect d’un investisseur ayant déjà atteint le seuil imposé. D’autre part, afin d’assurer l’effectivité de cette disposition, l’article 4 de la loi impose que les actions souscrites soit nominative, de cette façon les acquisitions dans les sociétés par actions pourront être contrôlées et sanctionnées pénalement. Cependant, la notion de « groupement de droit » conduit à exclure des opérations visées les participations financières des groupements de fait. Cette ignorance de la loi a donc du être corrigée par la jurisprudence. En effet, le Tribunal de Grande Instance de Paris est venu préciser que constitue un groupement toute coopération ou concentration, quelle qu’en soit la forme, entre des personnes physiques et/ou morales en vue d’une action commune ou d’actions coordonnées35. Bien que cette définition ait été saluée par une partie des auteurs, d’autres ont relevé que cette définition trop large ne permet pas la mise en œuvre du dispositif efficacement, c’est d’ailleurs ceci qui a éviter la sanction pour le groupe Hersant en 1998. En effet, l’impossibilité de caractériser les « liens 34 Cass. com, 20 déc. 1988 35 TGI Paris, 1er ch., 28 janv. 1998, Légipresse 1998, n°152, III, p.82 34 fonctionnels » prouvant un groupement prohibé n’a pas permis d’appliquer le dispositif à ce groupe. b) Les concentrations « pluri-médias » Le législateur a institué des seuils contraignants à la prise de participation directe ou indirecte dans le capital dans des sociétés du secteur de médias pouvant constituer des concentrations. Cette mesure plus communément appelée « la règle du 2 sur 3 »36 créer par la loi du 9 juillet 200437 a pour objet de limiter les acquisitions dans le secteur des médias afin de permettre l’exercice du pluralisme des courants de pensée et d’opinion dans le secteur des médias. Ainsi, un opérateur devra faire un choix quant aux acquisitions qu’il voudra effectuer dans ce secteur. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, régulateur des secteurs de l’audiovisuel et de la radiophonie est chargé de contrôler le respect de cette mesure. De sorte, qu’il sera tenu de refuser les demandes d’autorisation d’usage de fréquence pour des services de télévision ou de radio diffusés par voie hertzienne mode analogique ou numérique lorsque l’autorisation aurait pour effet de placer l’opérateur dans plus de deux des trois situations posées par le texte. En effet, ces trois situations consistent en : - l’édition d’un ou plusieurs services de télévision hertzienne desservant au moins 4 millions d’habitants ; - l’édition d’une ou plusieurs stations de radio desservant au moins 30 millions d’habitants ; - l’édition ou le contrôle des quotidiens d’information politique et générale représentant plus de 20% de la diffusion nationale. Ce régime anti-concentration pluri-médias a fait l’objet d’un grand nombre de rapports commandés par les gouvernements successifs afin de modifier le dispositif en place, toutefois aucun de ces propositions n’ont donné lieu à une réforme. 36 37 Tableau Annexe 3 Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle 35 Ces mesures anti-concentration ont donc pour objet de permettre la sauvegarde du principe de pluralisme dans le secteur de la presse et des médias, toutefois ce n’est pas le seul dispositif que le législateur a mis en place. 2. Les limitations aux prises de participations étrangères La loi du 1er août 1986 a ajouté une autre spécificité au statut des entreprises de presse. En effet, alors que les mesures anti-concentration constituent des règles de concurrence spécifique du secteur de la presse et des médias, la loi est venue imposer la limitation des investissements étrangers dans les entreprises de presse française. Dans la poursuite de l’objectif d’indépendance de la presse, l’ordonnance d’après guerre avait prohibé toutes influences étrangères sur la presse française. Cette mesure qui, comme nous l’avons vu n’a pas produit ses effets à l’époque, a été allégée par le législateur de 1986. En effet, l’article 738 de la loi de 1986 a limité à 20% les participations financières étrangère dans la presse. La disposition vise uniquement « les prises de participation dans des entreprises existantes éditant une publication française », de sorte que seules les acquisitions sont visées par ce texte. A contrario, les étrangers sont libres de créer une entreprise de presse en France. Par ailleurs, la loi vient limiter les participations étrangères à 20%, ce taux doit donc être entendu de façon restrictive. C’est à dire que dans une entreprise éditrice de presse française, les participations étrangères tous pays confondus ne pourront dépasser 20% du capital social de l’entreprise ou des droits de vote. Ainsi, la loi dispose que ceux qui en leur nom personnel ou comme représentant d’une personne morale, auront été partie à une convention contraire à la limitation des participations étrangères dans les entreprises de presse encourent un an de prison et une amende de 30 000 Euros. La notion d’étranger, nécessite cependant d’être précisée. En effet, les ressortissants de l’Union Européenne sont assimilés aux nationaux par application de l’article 53 du Traité des Communautés Européennes, qui prohibe les restrictions à liberté d’établissement au sein de l’Union. Par conséquent, au titre de ce principe rappelé par la Cour de Justice de la Communauté Européenne dans un arrêt du 21 juin 1974 (Reyners c/ Etat Belge), la limitation instituée par la loi de 1986 ne s’appliquera pas aux personnes morales et physiques ressortissantes de l’Union Européenne. 38 Annexe 4 36 La notion de nationalité impose de rester quelques instant sur le problème des sociétés holding. La nationalité de la société holding permettra ainsi de déterminer si la société est ou non soumise à cette limitation. Ainsi, la nationalité de la société holding sera déterminée en fonction de la nationalité de son actionnaire majoritaire. Ceci peut permettre à des sociétés de contourner cette règle puisque peu importe que les actionnaires étrangers puissent indirectement détenir plus de 20% du capital social ou des droits de vote de l’entreprise de presse à travers leurs participations dans la holding tant que l’actionnaire principal est de nationalité française ou assimilée. Cette brèche pourrait alors permettre à des étrangers de prendre indirectement le contrôle des entreprises françaises de presse. Ces mesures limitant la participation financière dans les entreprises de presse constituent donc de réelles contraintes pour les investisseurs. En effet, l’objectif d’indépendance de la presse a conduit le législateur à adopter un régime restrictif du droit du droit de la concurrence dans le secteur de la presse. Toutefois, ce n’est pas le seul aspect de ce régime spécifique, le législateur a en effet, établie un dispositif spécifique à la transmission des actions détenues par des actionnaires dans les entreprises de presse. 3. L’agrément de toute cession d’action Au titre de la nécessaire transparence de la propriété et de l’exploitation des entreprises de presse, le législateur a adopté des règles plus restrictives que le droit commun des sociétés. Alors que les opérations de prête-nom ne constituent pas en principe une cause de nullité de cessions pratiquées par son intermédiaire39, le législateur de 1986 est venu prohiber cette pratique pour les entreprises de presse. Ainsi, une telle opération effectuée dans une entreprise de presse constitue une violation de la loi sanctionnée par la nullité de la cession en cause, et d’une sanction pénale d’un an de prison et de 30 000 euros d’amende. Par ailleurs, la transmission des parts sociales détenues dans une entreprise de presse fait l’objet d’un dispositif spécial imposé par le législateur. En effet, l’article 4 de la loi du 1er aout 1986 impose la mise au nominatif des actions ainsi qu’un agrément du conseil d’administration ou de surveillance pour toute cession même entre actionnaire. 39 Cass. Com, 26 mars 1996 37 Ces obligations s’inscrivent dans la ligne droite de la liberté de la presse et visent ainsi à protéger les entreprises de presse de l’intrusion forcée de tiers susceptibles de remettre en cause la ligne éditoriale du journal. L’article 4 impose donc un agrément obligatoire à toute cession d’actions. Cette disposition constitue une dérogation au droit commun des sociétés. En effet, le droit des sociétés établi comme principe la libre cessibilité des actions dans les sociétés anonymes sauf en cas d’existence d’une clause d’agrément dans les statuts de la société. Le but du législateur est donc encore bien affirmé : la limitation des acquisitions dans le secteur de la presse. La jurisprudence justifie d’ailleurs cette restriction par le fait que l’absence d’agrément serait contraire au principe selon lequel dans une société de presse, l’acheteur d’actions choisi par le cédant ne peut en aucun cas être imposé à la société qui ne l’a pas agrée40. Il faut cependant relever que cet agrément forcé à la transmission d’action pose un problème d’équilibre entre la liberté de l’actionnaire et la nécessaire transparence des opérations de financement dans les entreprises de presse. En effet, cette obligation d’agrément peut priver l’actionnaire de se libérer de ses actions en absence d’accord préalable des autres actionnaires. L’agrément obligatoire imposé par le texte a pour effet de limiter les participations dans les entreprises de presse, cependant son effet est double puisque l’agrément constitue d’une part une barrière quant à l’accès des investisseurs à ces entreprises, et d’autre part, elle est une source de préoccupation pour l’investisseur tout au long de sa présence dans la société compte tenu du fait qu’il ne pourra pas céder librement ces actions. De plus, le texte vise « toute cession », ce qui implique que les transferts successoraux seront eux aussi soumis à l’agrément des actionnaires de la société de presse. En droit commun des sociétés, la clause d’agrément est par principe écartée en cas de succession, de liquidation de régime matrimonial ou de cession à un conjoint, ascendant et descendant, or la notion de « toute cession » exclut ce principe dans le cadre des cessions d’actions dans les entreprises de presse. Ceci a d’ailleurs été confirmé par la Cour d’Appel par un arrêt du 1er mars 1995. Une solution permet toutefois de contourner cette obligation d’agrément à toute cession d’action. En effet, la prise de contrôle d’une société contrôlant une société de presse peut permettre de contourner l’agrément imposé par la loi du 1er août 1986. En effet, cette solution a été retenue par la Cour de Cassation dans l’affaire du Midi Libre, la Cour a considéré que la prise de 40 TGI Nancy, 25 avr. 1984 38 participation, même majoritaire, dans le capital d’une ou plusieurs sociétés actionnaires d’une autre société ne constitue pas, par elle seule, une fraude ayant pour objet ou effet d’éluder des clauses statuaires de cette société, à défaut d’élément permettant de caractériser cette fraude41. En définitif, l’obligation d’agrément à toute action d’une entreprise de presse constitue une véritable contrainte pour les investisseurs. En effet, alors que les autres mesures consistent en la limitation des acquisitions dans le secteur, cette mesure conduit l’acquéreur à mesurer et à réfléchir à ces investissements avant d’y procéder, de façon à ce qu’il ne soit pas « coincé » dans une situation complexe. Le législateur a donc institué un régime juridique spécifique aux entreprises de presse, en effet, ce régime dérogatoire au droit commun de société a pour objet de favoriser la transparence du financement et de la direction des entreprises de presse. Cette transparence qui a animé le législateur depuis 1944 a pour objectif de protéger l’indépendance de la presse. Cette indépendance de la presse bien qu’elle réside en grande partie dans le contrôle des entreprises de presse, nécessite aussi la préservation de l’indépendance de « la création intellectuelle » que constitue les journalistes, éléments indispensables à l’exercice de la liberté d’expression, c’est pour cette raison que le législateur a aménagé un régime particulier du droit social des journalistes. 41 Cass ; com 13 déc. 1994 39 Section 2 – Les journalistes : des salariés atypiques L’indépendance du journaliste est une question cruciale puisqu’elle est la condition même de la liberté d’expression. En effet, cette indépendance des journalistes concomitante de leur liberté d’expression a été à de nombreuses reprises consacrée par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme notamment. En effet, la conception de cette liberté d’expression est parfois même considérée comme trop laxiste. Dans l’affaire Fuentes Bobo c/ Espagne du 29 février 200042, la Cour a en effet admis que des paroles dénigrantes proférées par un journaliste à l’égard de son employeur à la radio ne constituent pas une cause de licenciement. Au regard de cette position, on peut constater que la Cour a en effet une vision extensive de la liberté d’expression des journalistes. En effet, le journaliste est un salarié particulier puisqu’en ce que le concerne sa qualité de salarié ne relève pas de l’existence d’un lien de subordination. Les journalistes professionnels sont donc des salariés atypiques pour lesquels le législateur a du élaborer un régime dérogatoire au droit social. Ce régime a pour objet de sauvegarder l’indépendance du journaliste dans l’exercice de ses fonctions, toutefois cette nouvelle spécificité constitue là aussi une contrainte importante pour les acquisitions dans le secteur de la presse. Afin de comprendre dans quelles mesures ces spécificités renforcent les contraintes des investisseurs dans le secteur de la presse, il est nécessaire de définir le statut des journalistes professionnels (I), pour ensuite apprécier quel est leur pouvoir face aux acquisitions des entreprises de presse dans lesquelles ils exerce leurs activités (II). 42 Recueil Dalloz Sirey, n° 7 , 15 fév. 2001, pp. 574-579 40 I. Le statut du journaliste professionnel : consécration de son indépendance Une autre manière de promouvoir le pluralisme dans le domaine de presse consiste à garantir l’indépendance éditoriale des publications. L’indépendance éditoriale des titres a donc été garantie notamment par la construction d’un statut particulier des journalistes professionnels. En effet, depuis 1935 les journalistes professionnels bénéficient d’un régime social spécifique. Ainsi, le statut des journalistes professionnel revêt une spécificité d’une part du fait de son activité atypique (A), d’autre part les journalistes eux même constituent des salariés atypiques à la personnalité forte qui n’est pas sans risque pour d’éventuels investisseurs (B). A. La définition de l’activité de journaliste 1. Les bénéficiaires du statut de journaliste professionnel Le statut juridique des journalistes professionnels n’a pas vu le jour en une nuit. En effet, le statut des journalistes tel que nous le connaissons aujourd’hui a été élaboré à travers trois textes fondamentaux. Tout d’abord, la loi du 29 mars 1935 dite « loi Brachard » a initié un statut juridique des journalistes professionnels, celle-ci a ensuite été complété par la loi du 4 juillet 1974 par la loi « Cressard » qui reste le pilier numéro un de ce statut particulier. Enfin, la Convention Nationale des Journalistes signée le 11 novembre 1976 et étendue en 1988 par arrêté ministériel constitue le dernier pilier sur lequel repose le statut juridique des journalistes professionnels. La profession de journaliste soulève en premier lieu une particularité dans la façon d’acquérir le statut du journaliste. En effet, pour les journalistes c’est l’activité de ces derniers qui leur permettra d’acquérir la qualité de journaliste et par conséquent de pouvoir bénéficier des avantages que procure cette qualité. Les articles L. 7111-3 al.1 et L. 7111-5 du Code du travail définissent ainsi le journaliste comme étant la personne qui a pour activité principal, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de publication quotidienne 41 ou périodique ou dans une agence de presse ou encore dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique et qui tirent l’essentiel de ses ressources. Cette définition paraît toutefois vague, de sorte que la jurisprudence est intervenue pour clarifier la situation des journalistes. En effet, alors qu’un grand nombre de journalistes ont tenté de se faire reconnaître la qualité de journaliste au motif qu’ils étaient titulaires d’une carte de presse, le Conseil d’Etat est venu rappeler que la détention de cette carte ne permet pas en elle-même de conférer à son titulaire la qualité de journaliste. La jurisprudence a alors « complété » les dispositions législative en retenant des critères d’identification de la profession de journaliste. Ainsi, trois critères cumulatifs ont été retenus. En premier lieu la qualité de journaliste sera définie en fonction de la nature de l’activité de journaliste. En effet, la jurisprudence a d’abord définie l’activité de journaliste comme une activité constituant une collaboration intellectuelle et permanente à un publication en vue d’informer les lecteurs. On remarque bien qu’ici le Conseil d’Etat a réuni tous les éléments fondamentaux qui font du journaliste un salarié atypique. Ensuite, le second critère réside dans les caractéristiques de l’activité de journaliste. En effet, la jurisprudence a dégagé quatre conditions cumulatives qui une fois réunies permettront de remplir de caractériser l’activité de journaliste. L’activité de journaliste est caractérisée par une activité principale, régulière, rétribuée dont le journaliste tire ses principales ressources. Ces critères sont appréciés de façon très stricte par la jurisprudence qui procède à une évaluation de chacun des critères. En conséquence pour déterminer si l’activité de journaliste est régulière, les juridictions s’appuient sur la durée de travail effectuée par le journaliste ainsi que sur le volume de la production. En effet, la Cour d’Appel de Paris a refusé de reconnaître la qualité de journaliste à une personne ayant exercé cette activité 40 heures sur le mois. La qualité de journaliste sera de plus, attribuée en fonction de la qualité du bénéficiaire de cette activité. C’est à dire que les juges vérifieront si le journaliste a bien effectué son activité pour le compte d’une entreprise ou une agence de presse ou une entreprise de communication au public par voie électronique. Cette dernière nécessite que l’on s’y arrête quelque instants, en effet alors que la presse écrite subit de plein fouet l’évolution de la presse sur internet, il était nécessaire de savoir si les « cybers journalistes » pouvaient accéder à ce statut particulier. Alors que la loi était 42 restée silencieuse sur ce point, le Conseil d’Etat43 a précisé que le mode de diffusion de la presse sur internet ne fait pas obstacle à la qualité de journaliste. Toutefois, le cyber journaliste ne devra pas se contenter de mettre en ligne de l’information brute, cette activité doit en effet, être le résultat d’un travail de sélection, de hiérarchisation, d’analyse et de mise en forme de l’information. Le Code du travail permet aussi à certaines professions assimilées de bénéficier du statut de journaliste, dés lors que ceux-ci sont correspondants à l’étranger ou locaux des journaux nationaux44 et collaborateurs direct des rédactions45. 2. Le contrat de travail des journalistes professionnels : sauvegarde de l’indépendance intellectuelle Les journalistes, dès lors que leur activité répond aux critères définis précédemment, sont soumis au droit du travail, toutefois compte tenu de leur spécificité ils bénéficient d’un régime dérogatoire au droit commun du travail. En effet, les journalistes ne sont pas des salariés comme les autres, ils doivent pouvoir garder leur indépendance intellectuelle intacte pour servir l’intérêt général. Dés lors, les journalistes professionnels bénéficie d’une présomption de salariat. Cette présomption résulte du fait qu’il travail dans des circonstances si particulières qu’ils sont parfois à la limite de l’indépendance. Le législateur conscient que cette indépendance de fait pouvait conduire les journalistes dans des situations précaires, a institué cette présomption de salariat en 1974. Ainsi, le journaliste professionnel bénéficie des avantages du salariat en l’absence de contrat de travail d’une part et d’autre part en l’absence de lien de subordination. Cette absence de lien de subordination est en effet indispensable à l’indépendance intellectuelle des journalistes professionnels, c’est pourquoi le législateur a élaboré ce régime particulier. Bien que cette présomption ne soit qu’une présomption simple, la jurisprudence vient régulièrement la protéger. En effet, en 2004, la Cour de Cassation46 est venue confirmer que cette présomption avait un caractère d’ordre public et par conséquent les parties ne pouvaient y déroger. Outre la présomption de salariat qui constitue un avantage considérable pour les journalistes, ceux-ci se sont vus appliquer un régime plus souple concernant le contrat de travail lui-même. En 43 CE, 26 juil. 2007 44 Cass. ch. soc, 31 juil. 2007 45 Art. 7111-4 Code du travail 46 Cass. ch. Soc, 3 mars 2004 43 effet, compte tenu du caractère temporaire de l’activité, le législateur autorise de façon plus large qu’en droit commun le recours au Contrats à Durée Indéterminée. Ces spécificités permettent donc aux journalistes d’exercer leur activité dans des conditions plus souples que les travailleurs traditionnels. La phase de rupture du contrat de travail des journaliste constitue elle aussi une particularité de ce statut. C’est d’ailleurs, ce point qui permet aux journalistes de « jouer » sur les acquisitions dans le secteur de la presse. Ce point sera donc détailler dans un autre point. Les journalistes se voient donc conférer un statut particulier qui leur permet de bénéficier du statut de salariés sans que ceux-ci ne soient soumis aux contraintes traditionnelles des salariés. Ainsi, cette spécificité vient renforcer la personnalité forte dont sont dotés les journalistes. B. Des salariés à la personnalité forte Dans le secteur de la presse, les employés ne sont donc pas des employés « classiques », puisqu’ils jouissent d’un statut social comme nous l’avons vu. En effet, la « clause de conscience » que nous étudierons plus tard, est un exemple du pouvoir qu’ils détiennent sur l’avenir des entreprises dont ils « dépendent ». Ce qu’il est important de souligner ici est que le secteur de la presse est l’un de ceux où l’on rencontre des personnalités fortes et qu’il s’agit donc d’un univers fortement syndiqué, ce qui peut effrayer plus d’un investisseur. Il semble logique en effet que le journaliste, qui se bat au quotidien pour défendre ses convictions politiques et s’engage dans chacun de ses écrits, sache également se mobiliser pour défendre ses intérêts. C’est d’ailleurs grâce à leur mobilisation historique et leur appartenance à différents syndicats, que ces derniers ont pu obtenir certains avantages sur le plan salarial par exemple. Ainsi, ont-ils obtenu le droit de percevoir un 13ème mois. La puissance des syndicats dans ce secteur se perçoit en premier lui par leur nombre. 44 On compte en France six syndicats de journalistes : - Le Syndicat national des journalistes : qui est le syndicat le plus important et qui est le seul syndicat autonome - Le SNJ-CGT - Le Syndicat des journalistes- FO - L’Union syndicale des journalistes- CFDT - Le Syndicat des journalistes- CFTC - Le Syndicat des journalistes- CGC Mais l’important n’est pas tant le nombre de syndicats que celui des syndiqués. En effet, plus de la moitié des journalistes sont syndiqués. Ainsi, quiconque souhaitant investir dans ce secteur sera tôt ou tard confronté aux problèmes des grèves et revendications salariales. On se souvient par exemple des grèves des salariés de France Soir qui s’étaient mobilisés contre le plan de restructuration envisagé par la Direction pour sauver le journal. Mais la situation où la grève a le plus de chance d’éclater demeure la vente du journal et c’est pourquoi elle constitue une réelle contrainte et menace pour les investisseurs. En effet, craignant un changement de la ligne éditoriale suite à l’entrée d’investisseurs extérieurs dans le capital de leur journal, les journalistes n’hésiteront pas à lancer un mouvement de grève afin d’éviter la cession envisagée. Ainsi, les journalistes de Libération se sont-ils mis en grève en 1995 afin d’empêcher Messieurs Riboud et Seydoux de racheter leur journal. Par ailleurs, les salariés d’ Emap France, que sa maison mère voulait céder, se sont mis en grève exigeant l’adoption et la signature par les repreneurs d’une charte sociale portant sur la garantie de leurs emplois, la pérennité des accords collectifs mais aussi sur le versement d’une prime de transition substantielle : de quoi effrayer les repreneurs potentiels notamment les fonds d’investissement ! Notons cependant que certains investisseurs parviennent parfois à rassurer la rédaction et à éviter les grèves lors du processus d’acquisition. Ainsi, lorsqu’il est entré au capital de Libération, Edmond de Rothschild s’est engagé à ne jamais détenir plus de 40 % des droits de vote du journal, ce qui a satisfait la majorité des salariés et a permis un processus d’acquisition paisible. D’autres solutions peuvent être envisagées afin d’apaiser le climat social lors d’une acquisition comme par exemple la mise en place d’un système d’intéressement. Il faut ajouter cependant que les journalistes ne sont pas les seuls à savoir se mobiliser. Leurs confrères imprimeurs semblent eux aussi tout à fait capables de faire valoir leurs intérêts. En effet, 45 l’organisation syndicale des ouvriers de l’édition est très ancienne et fût renforcée par la création de la Fédération des Ouvriers du Livre qui leur a permis d’obtenir un certain nombre de privilèges salariaux. Ces syndiqués du monde de l’imprimerie se mettent régulièrement en grève et s’opposent notamment aujourd’hui aux modernisations des ateliers et du système de distribution de la presse dont dépend pourtant la survie de la profession. C’est ainsi que la grève des imprimeurs du Monde a conduit la rédaction à mettre en place une édition PDF le 5 janvier 2010. Ainsi, le poids des syndicats est historiquement élevé dans le secteur de la presse et de l’édition en France et en ce sens peut représenter une véritable contrainte pour les investisseurs. Si les investisseurs français n’ignorent en général pas cette spécificité, les investisseurs étrangers eux, n’en sont pas toujours conscients. On ne saurait que trop leur conseiller de prendre en compte la puissance syndicale dans ce secteur avant d’investir dans une société de presse française. II. Un pouvoir fort sur le sort des investissements Le statut atypique des journalistes professionnel leur confère comme nous l’avons vu une liberté considérable dans l’exercice de leur profession. Ce pouvoir est de plus renforcé dans le cadre de la rupture du contrat de travail qui les lie à leur rédaction. C’est ce pouvoir considérable qui constitue une difficulté supplémentaire pour les acquisitions dans ce secteur. En effet, le statut particulier des journalistes comporte des risques important pour les investisseurs dans ce secteur. Ces risques sont de deux ordres : d’une part, les salariés des entreprises de presse bénéficient d’un régime d’indemnisation important qui constitue des charges importantes pour les entreprises, d’autre part, ce régime prévoit la possibilité pour les journalistes de démissionner dans le cas où l’entreprise subirait des changement auxquels ils n’adhèrent pas. Cette faculté constitue en effet, un risque important pour l’investisseur qui peut voir la colonne vertébrale de l’entreprise qu’il souhaite acquérir quitter le navire. A. La démission du journaliste : nouvel avantage La démission des journalistes constitue un aspect important du statut social des journalistes. Alors que le droit commun du droit du travail fait de la démission une réelle contrainte pour les salariés en leur retirant tous droit à des indemnités, le régime dérogatoire des journalistes en fait un avantage. 46 En effet, au titre de l’article L. 7112-5 du Code du travail permet aux journalistes de démissionner tout en bénéficiant des indemnités de chômage et de licenciement. Cette mesure dérogatoire, communément appelée « la clause de conscience » pourra se voir réaliser dans trois circonstances posées par le texte. La clause de cession pourra donc être mise en œuvre par le journaliste, tout d’abord dans l’hypothèse de la cession de l’entreprise de presse. Cette possibilité laissée aux journalistes est dérogatoire à la règle d’ordre public qui impose par principe le transfert automatique des contrats de travail. Toutefois, la jurisprudence est venue préciser que la « cession » doit s’entendre comme la prise de contrôle de la société éditrice de publication. Ensuite, une autre situation est envisagée par le texte. La cessation de la publication permet au journaliste de faire jouer sa clause de conscience, cependant cette circonstance comporte un intérêt marginal puisque dans l’hypothèse d’une cessation de publication, le journaliste sera licencié. Enfin, la clause de conscience pourra être utilisée par le journaliste dans le cas où un changement notable de caractère ou d’orientation de l’entreprise de presse dans laquelle il travail serait de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation et à ses intérêts moraux. Cette notion de « changement notoire d’orientation » relève une difficulté d’appréciation. En effet, afin que cette justification soit recevable, il est nécessaire que ce changement ait été perçu par tous et non pas seulement par le journaliste en question. La Chambre Sociale 47 qui a régulièrement dû interpréter cette notion semble cependant tendre vers une appréciation large de ce changement d’orientation. C’est dans ce cadre que la Cour d’Appel de Paris a récemment admis le recours à la « clause de conscience » de F.Aubenas face au rachat du quotidien Libération en 2006 par E. de Rothshild dont il est désormais propriétaire à 38,9%. Cette faculté offerte aux journalistes a donc pour objet de leur permettre de démissionner sans perdre les avantages acquis par leur ancienneté. La mise en œuvre de cette clause fait peser d’importants risques sur les entreprises de presse et plus précisément sur les investisseurs puisque compte tenu de sa définition elle sera le plus souvent invoquée lors de l’apparition de nouveaux acquéreurs. 47 Ch. Soc, 17 avr. 1996 ; la Cour a admis l’exercice de la clause de conscience d’un journaliste dont le changement d’orientation prenait la forme d’un magazine à un magazine people. 47 B. La mise en œuvre de la clause de conscience : contrainte pour les investisseurs La clause de cession n’est soumise à aucun formalisme particulier, de sorte qu’aucun délai n’est imposé au journaliste pour la lever. En effet, la jurisprudence a précisé ce point à travers un arrêt du 30 novembre 2004 à propos des journalistes de Radio Monte Carlo, toutefois elle a précisé que la clause ne pouvait pas être invoqué avant que la cession ait eu lieu à propos de la cession d’RTL. Le journaliste qui souhaitera démissionner devra respecter un préavis d’un mois sauf dans l’hypothèse où la raison pour laquelle il invoque la clause de conscience est « le changement notoire de caractère er d’orientation de la publication ». Ainsi, le journaliste pourra retrouver rapidement sa liberté. Ce régime assoupli comporte de réels risques pour les investisseurs. D’une part, l’acquéreur d’une société de presse devra faire face au départ des journalistes qui constituent la valeur majeure d’une telle société. Ces départs peuvent constituer une contrainte importante pour l’avenir d’un journal qui en perdant ses éléments clefs, perdra son public dans la plupart des cas. D’autre part, le départ des journalistes conduira l’acquéreur à devoir régler les indemnités de licenciement à ces journalistes. Ainsi, dès son arrivée l’investisseur se verra confronter à des couts importants. En effet, ce coût ne serait pas signifiant si cette clause n’était utilisée que rarement par les journalistes, cependant, ceux-ci sont des salariés à la personnalité forte qui ne se prive pas de cet avantage. C’est ainsi que le rachat de La République du Centre par le Groupe France La Montagne a conduit 35 journalistes sur 79 à user de cette clause de conscience, autre exemple, lors du rachat des Echos par LVMH, un quart des salariés ont fait jouer leur clause de conscience. En tout état de cause, quiconque désire investir dans le secteur de la presse aura soin, avant de s’engager dans une telle démarche de prendre conscience des risques liées à l’existence de ces clauses de conscience. De plus, la prise en compte de ce risque spécifique semble pouvoir influencer le prix des acquisitions. Le statut juridique des entreprises de presse et de ses salariés constitue donc des contraintes non négligeables pour les investisseurs dans le secteur de la presse qui viennent compléter les difficultés économiques auxquelles ces entreprises atypiques doivent faire face. Le secteur de la presse est donc un secteur difficile à intégrer pour les investisseurs. 48 Chapitre III : La valorisation d’une société de presse : un processus complexe pour les investisseurs Lors d’un processus d’acquisition, l’évaluation de la société cible est certainement l’étape la plus délicate. En effet, c’est sur cette base que vont s’engager les négociations entre acheteurs et vendeurs. Elle doit donc être la plus juste possible afin qu’aucune des deux parties ne soit lésée lors de la transaction. Trois grandes méthodes sont utilisées par les professionnels afin de valoriser une entreprise : l’Actif Net Réévalué, les multiples boursiers et transactionnels ainsi que la méthode des flux de trésoreries futurs. Ces méthodes, complémentaires, fournissent une fourchette de valorisation qui peut être assez large selon les hypothèses retenues. Malgré cela, elles donnent la plupart du temps, une représentation assez juste de la valeur de l’entreprise à acquérir et ne posent généralement pas de difficultés quant à leur utilisation. Cependant, dans le secteur de la Presse les choses sont un peu différentes. En effet, les spécificités liées à ce secteur rendent souvent peu applicables ou peu pertinentes l’utilisation de ces méthodes traditionnelles. L’évaluation d’une société de presse est donc assez complexe. Ceci est d’autant plus vrai qu’un certain nombre de risques spécifiques à ces sociétés semble pouvoir influencer de manière considérable leur valorisation. Les méthodes traditionnelles de valorisation d’investissement ne seront donc pas forcément utiles pour les investisseurs dans le secteur de la presse, voir même risquées (Section 1), de plus, les investisseurs devront prendre en compte les risques liés à cette activité lors de la valorisation de leur éventuel investissement (Section 2). 49 Section 1 - Des méthodes traditionnelles difficilement applicables I. L’actif Net Réévalué Cette méthode consiste, pour une société, à la valoriser à sa « juste valeur », c’est-à-dire à sa valeur de marché. Concrètement, il s’agit de réévaluer chacun des postes du bilan de la société à sa valeur de marché puis d’annuler le montant des actifs dits « sans valeur » comme par exemple, les frais d’établissements, frais de recherche et développement... Un investisseur obtiendra ainsi une idée assez juste de la « valeur présente » de la société qu’il envisage d’acquérir. Il pourra alors formuler une offre sur cette base. Cette méthode est particulièrement pertinente lorsqu’on cherche à évaluer une entreprise dont la valeur repose principalement sur l’existence de biens corporels, notamment immobiliers. En effet, dans ce cas, c’est la valeur comptable des actifs qui figure au bilan de la société. Or celle-ci n’a souvent rien à voir avec leur valeur de marché, les prix sur le marché de l’immobilier ayant plus que doublé au cours des dix dernières années. Une fois réévalués à leur valeur de marché, ces actifs accroîtront donc de manière significative la valeur de la cible ainsi que le montant de la transaction. Mais voilà, dans le secteur de la presse, la valeur d’une entreprise réside davantage dans des actifs incorporels que dans des actifs corporels et c’est pourquoi la méthode n’est peut-être pas la plus pertinente. En effet, ce sont principalement les journalistes, pigistes et autres salariés de la société qui sont à l’origine de la rentabilité et qui créent la valeur d’un journal ou d’un magazine. Sans eux, ceux-ci ne vaudraient pas grand chose. Certes, il existe bien, dans ces sociétés, quelques actifs corporels de valeur comme les machines d’impression par exemple, qui auraient pu justifier l’utilisation de cette méthode. Cependant, dans la mesure où la plupart d’entre elles sont aujourd’hui vétustes et tendent à être remplacées par des outils informatiques dont la valeur n’a plus rien à voir avec celle des instruments d’impression traditionnels, la méthode de l’ Actif Net Réévalué n’est certainement pas la plus pertinente pour évaluer un titre de presse. A moins que celui-ci ne soit propriétaire de son immobilier, la méthode semble donc peu justifiée dans la mesure où, comme nous venons de l’étudier, les principaux actifs créateurs de valeur sont des biens incorporels dont l’évaluation, qui plus est, est loin d’être évidente. La question de l’évaluation d’éléments incorporels constitue une autre problématique à laquelle seront confrontés les 50 investisseurs avec cette première méthode : quelle valeur donner à la création intellectuelle ? Comment évaluer les journalistes ? Si ces derniers participent à la rentabilité du journal, tous ne lui apportent pas, en revanche, la même valeur ajoutée. Avoir Edwy Plenel dans sa rédaction n’est, en effet, pas la même chose qu’avoir comme rédacteur en chef, le dernier sorti de l’ Ecole Supérieure de Journalisme. Ceci ne sera d’ailleurs pas sans conséquences sur la valeur de l’entreprise. Ainsi, on perçoit déjà qu’une société de presse ne peut s’évaluer comme une entreprise « classique ». Le poids des actifs incorporels dans ce type de sociétés rend délicat et complexe le processus d’évaluation dans le secteur de la presse. Cependant, si la méthode de l’ Actif Net Réévalué n’est pas pertinente pour valoriser une société de presse, on pourrait alors chercher à l’évaluer à l’aide des multiples boursiers et transactionnels. Or, comme nous allons le voir, ces méthodes semblent, elles aussi, difficilement applicables dans ce secteur. II. Les multiples : une méthode difficilement applicable au secteur La méthode des multiples est celle qu’on utilise le plus fréquemment pour valoriser une entreprise. Elle consiste, pour une société donnée, à l’évaluer à partir d’un multiple de valorisation, le plus souvent VE/ EBITDA* ou VE/ EBIT*, obtenu à partir d’un échantillon d’entreprises qui lui sont comparables. Il existe deux grandes méthodes : • Les multiples boursiers : la méthode consiste à sélectionner un certain nombre de sociétés cotées du même secteur d’activité que la cible qu’on cherche à évaluer puis à calculer, pour chacune d’entres-elles, plusieurs multiples (VE/ CA* ; VE/ EBITDA* ; VE/ EBIT *) avant d’en déduire une moyenne. De là on connaîtra la valorisation moyenne du secteur dans lequel évolue notre cible et on pourra alors obtenir sa valeur en lui appliquant ce multiple. • Les multiples de transactions : cette méthode consiste à recenser les transactions récentes qui ont eu lieu dans le secteur qui nous intéresse afin de connaître la valeur moyenne à laquelle les entreprises ont été rachetées. De là, on pourra déduire la valeur de notre société. Pour cela, il existe un certain nombre de bases de données telles 51 Mergermarket ou SDC Thomson Research par exemple qui répertorient l’ensemble des deals et fournissent les différents multiples de transactions. Ces deux méthodes sont à priori très pertinentes car elles reflètent la valorisation d’un secteur par le marché à un instant « T ». Ceci à une condition cependant : que notre échantillon soit bien représentatif de l’activité de la cible, en d’autres termes, qu’il soit bien comparable. C’est sur ce point justement que réside la principale difficulté du secteur de la presse. Comme il n’existe dans ce dernier, que peu de « pure players », il sera donc assez difficile de trouver des sociétés réellement comparables. C’est pourquoi la méthode des multiples semble difficilement applicable à ce domaine. Evaluer une entreprise à partir d’un panel de sociétés peu comparables risque fortement de fausser la valorisation. En effet, toute valorisation est fonction de la rentabilité. Ainsi, tous les types de presse ne sont pas valorisés de la même façon. Par exemple, la presse féminine et la presse professionnelle qui sont aujourd’hui les segments les plus rentables du secteur, comme en témoigne l’engouement des fonds d’investissements pour ce type de presse48, seront beaucoup mieux valorisés par les investisseurs que la presse quotidienne, magazines de TV ou de décoration qui affichent actuellement des rentabilités médiocres. Or, l’utilisation des multiples en l’absence de « pure players » ne permettra pas de tenir compte de ces différences de rentabilité lors de l’évaluation. Dès lors, la méthode semble fortement risquée pour les investisseurs, car susceptible de leur faire réaliser un investissement sur une base erronée. On comprend que si un acquéreur envisage d’investir sur un segment moyennement rentable, comme celui de la presse people par exemple, mais qu’il applique pour valoriser la cible, des multiples calculés à partir d’entreprises beaucoup plus rentables car issues de la presse professionnelle et de la presse féminine, il risque de « sur-racheter » la société, de l’acquérir à un prix démesuré. Ainsi, on perçoit bien que l’évaluation d’une entreprise de presse par les multiples n’est pas aussi évidente que dans les autres secteurs. L’investisseur devra donc évaluer business par business le titre qu’il envisage d’acquérir s’il veut éviter que son investissement ne se transforme en véritable gouffre financier. Quant à l’utilisation de la dernière méthode, il s’agit maintenant de montrer en quoi elle est pertinente mais parfois également difficile à utiliser. 48 Les fonds Cinven, Carlyle et Apax Partners ont acquis Aprovia, premier éditeur de presse professionnelle en France qui réalisait en 2002 plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires 52 III. La méthode des Flux futurs de trésoreries Cette méthode consiste à évaluer l’entreprise à partir des flux de trésoreries que celle-ci est censée générer dans un avenir proche (généralement cinq à sept ans). Sur la base d’un business plan qui tiendra compte des orientations stratégiques de la société, l’acquéreur sera donc en mesure de formuler son offre. Mais c’est justement sur ce point que les choses peuvent se compliquer dans le secteur de la presse. En effet, l’élaboration du business plan lors d’un processus d’acquisition est généralement issue d’une négociation avec le management. Or dans ce secteur, notamment celui de la presse quotidienne, ce dernier est souvent peu coopératif et s’opposera la plus part du temps à toute réorientation stratégique au nom du maintien de la ligne éditoriale. Ces questions d’ordre stratégique sont même l’occasion pour certains membres journalistes de l’équipe dirigeante d’exercer la « clause de conscience » dont nous avons parlé précédemment qui leur permet de démissionner tout en percevant des indemnités. Ainsi, l’obtention d’un business plan et l’utilisation des Flux de Trésoreries Futures comme méthode de valorisation d’une société de presse ne sera pas forcément évidente et dépendra en grande partie de la capacité qu’auront les investisseurs à rassurer le management en place et à établir un dialogue avec ce dernier. Ainsi donc, la structure des sociétés de presse (absence de pure players) ainsi que la nature de leurs actifs, rendent complexe la valorisation d’entreprises dans ce secteur. A ces difficultés, il faut ajouter l’existence de nombreux risques pouvant influencer de façon importante la valeur d’un produit de presse compliquant davantage encore la valorisation et les acquisitions dans ce secteur. Section 2 - Des risques à prendre en compte lors de la valorisation Comme nous l’avons expliqué en première partie, le secteur de la presse possède de nombreuses spécificités. Parmi elles, un certain nombre de risques qui doivent être pris en compte par les investisseurs et leurs conseils (financiers et juridiques) lors de l’évaluation d’un journal. En effet, ceux-ci sont directement liés au processus d’acquisition et peuvent, s’ils se concrétisent, générer d’importants coûts pour la cible, une fois la transaction réalisée. C’est pourquoi un investisseur prudent devra tenir compte de ces risques et chercher à les quantifier afin de négocier le prix de son acquisition. Il évitera ainsi que son investissement ne se transforme en « gouffre financier ». 53 Les principaux risques susceptibles d’influencer la valorisation d’une société de presse lors d’une acquisition sont, comme nous allons le voir : le risque d’exercice de la clause de cession (I), celui lié au statut « ambigu » des pigistes (II), ainsi que le risque fiscal (III). I. La clause de cession Le rachat d’une société de presse constitue l’un des cas définis par le Code de Travail qui autorise le journaliste à exercer une « clause de cession » s’il estime que le changement de contrôle qui s’opère au sein de sa publication peut remettre en cause son indépendance. Concrètement, cette clause lui donne le droit de démissionner tout en percevant des indemnités. L’exercice de cette clause suite à la cession d’un journal est donc génératrice de coûts financiers (directs et indirects) pour l’entreprise cédée qui peuvent peser fortement sur sa valeur. Dès lors, ceux-ci doivent être pris en compte lors de la phase de pré-acquisition et sont donc susceptibles d’influencer la valorisation de la cible et par là même le prix d’acquisition. Il faut cependant préciser que ce risque concerne davantage la presse d’information ou d’opinion, où la question du maintien de la ligne éditoriale est cruciale, que les autres types de presse. A. Les coûts financiers directs Le code du Travail prévoit que tout journaliste exerçant ladite « clause de cession» percevra l’équivalent d’un mois de salaire par année d’ancienneté, plafonné à quinze mois de salaires. La sanction financière de cette clause peut donc être très lourde pour les investisseurs. Afin d’optimiser leurs conditions de sortie, ceux-ci devront tenter de quantifier ce risque et le faire supporter, en partie du moins, au cédant en jouant sur la valorisation du journal et sur son prix d’acquisition. Dans le cas contraire, il risque bien d’acquérir un « actif » à un prix P, qui une fois la transaction réalisée, pourrait voir sa valeur largement diminuer du fait des indemnités qu’il sera amené à payer. Cependant, la quantification de ce risque n’est pas facile à définir. Tout d’abord, comment prévoir le nombre exact de journalistes qui envisagent de faire valoir leur droit de démissionner tout en percevant des indemnités ? Ensuite, comment calculer le montant de cette indemnisation ? Un audit social et une discussion avec le management peuvent s’avérer fortement utiles pour les acquéreurs et peuvent les aider à calculer le coût potentiel lié à l’exercice de cette clause de cession. En se penchant sur le Registre du Personnel, par exemple, les investisseurs connaîtront le nombre exact de journalistes, le montant de leurs rémunérations ainsi 54 que leur ancienneté dans le journal, autant de facteurs qui entrent en ligne de compte dans la détermination des indemnités à verser. Ainsi, un journal dans lequel un nombre important de journalistes approchent de l’âge de la retraite représente pour un investisseur, un risque beaucoup plus élevé qu’un journal composé essentiellement de jeunes journalistes. Les premiers, en effet, n’hésiteront pas à saisir l’opportunité que constitue la vente de leur journal pour partir en retraite anticipée avec un bon montant en poche. C’est dans ce type de situation que l’exercice de cette « clause de cession » risque d’influencer le plus le prix d’acquisition et de faire que le montant de la transaction pourra être sensiblement différent de la valeur théorique de la cible (issue d’une évaluation qui ne tiendrait pas compte des coûts susceptibles d’être supportés par la cible après l’acquisition). Cependant, lorsqu’il formulera son offre, l’investisseur devra également prendre en considération le coût financier indirect que risque d’engendrer l’exercice de cette clause. B. Les coûts indirects Les indemnités que la société de presse va devoir payer aux journalistes constituent certes un coût élevé pour cette dernière, mais là n’est pas la principale menace qui pèse sur elle. En effet, le risque pour un journal de voir partir ses meilleurs éléments suite à l’exercice de cette « clause de cession » est hautement plus dangereux. Que vaudra le titre sans ses éléments clefs? En effet, un journaliste ne se remplace pas si facilement. Certes un nombre important de jeunes diplômés n’attendent qu’une chose : se faire embaucher par un journal. Mais comment être sûr qu’ils parviendront à séduire les lecteurs aussi bien que leurs prédécesseurs ? Ceux-ci ont, en effet, acquis expérience et maîtrise des savoirs-faire qui pourront manquer à la nouvelle équipe en place. D’autre part, le départ des journalistes aura certainement un impact important sur le ton et le contenu du titre racheté. Dès lors, les lecteurs continueront-ils de l’acheter ? Quelles conséquences pour lui en terme de rentabilité dans le cas contraire ? Autant de questions qui nous montrent à quel point peut être problématique pour une rédaction le départ de ses journalistes historiques. De même que se passera-t-il si un grand nombre de journalistes décident de quitter le journal le lendemain de son rachat ? Comment celui-ci continuera-t-il de fonctionner ? En effet, sans journalistes plus d’articles et sans articles plus de journal. C’est alors la survie de ce dernier qui est en jeu. Dans les faits certains journaux ont eu à gérer ce type de situations. Ainsi, suite à son rachat par le groupe Rossel en 2000, la Voix du Nord a dû faire face au départ de 120 de ses 285 rédacteurs, ce qui a paralysé pour un temps le fonctionnement du journal. A une moindre mesure, 55 Serge Dassault, suite à son rachat auprès de la famille Hersant de la Socpresse en 2004, a dû remplacer dans l’urgence plus de 10% de ses journalistes. Or, intégrer une nouvelle équipe de journalistes demande du temps. La phase de transition qui suit le départ des journalistes peut donc peser fortement sur la rentabilité d’une société de presse. C’est à cause de ces différents risques financiers qu’un investisseur désirant acheter une société de presse devra accorder une attention particulière à la phase de due diligence. Au cours de celle-ci, il aura accès aux différents documents sociaux de la société et connaîtra ainsi l’âge et l’ancienneté des journalistes, le montant de leurs rémunérations, etc. Il sera alors en mesure de quantifier le coût réel lié à l’exercice de cette « clause de cession ». Des discussions en amont avec le management peuvent également s’avérer très utiles afin de connaître le nombre de journalistes susceptibles de faire valoir cette clause. A partir de là, c’est à l’acheteur de mettre en œuvre ses talents de négociation et de tenter de négocier le prix de son acquisition. Il devra faire valoir le fait que les journalistes font partie de l’actif de la société et qu’en tant qu’actif leur départ est susceptible de réduire considérablement la valeur de l’entreprise. Il faut cependant préciser que ces problématiques et différentes précautions concernent davantage les fonds d’investissement que les industriels. En effet, les premiers investissent dans une logique purement financière et chercheront, lors d’une acquisition, à optimiser leurs conditions de sortie et à s’assurer que leur investissement est rentable. Les industriels, au contraire, sont souvent motivés par d’autres considérations que les seuls aspects financiers lorsqu’ils réalisent une acquisition dans le secteur de la presse. Ce type d’opérations peut constituer pour eux le premier pas vers d’autres acquisitions dans l’univers des media et de la communication. Dès lors, ils accorderont moins d’importance à ces coûts potentiels et pourront acquérir la société sans chercher à en négocier le prix. L’intérêt stratégique qu’ils ont à devenir propriétaire d’une société de presse ainsi que la valeur affective qu’ils portent au journal justifiera d’ailleurs assez souvent le paiement d’une « prime stratégique ». « La clause de cession » n’est pas l’unique facteur susceptible d’intervenir dans la valorisation et l’acquisition d’une société de presse. D’autres problématiques, comme celle liée au statut des pigistes par exemple, peuvent également entrer en ligne de compte et influencer la valorisation d’une entreprise dans ce secteur. 56 II. Le statut ambigu des pigistes Autre problème dans le cadre des acquisitions dans le secteur de la presse : comment doit-on considérer les pigistes ? Salariés de l’entreprise ou non ? Avec quel type de contrat ? Les réponses à ces questions déterminent en effet un certain nombre de conséquences pour le journal : les pigistes seront-ils en droit de revendiquer des indemnités en cas de rupture de contrat ? Pourront-ils exercer la « clause de cession » ? Si tel était le cas, il semble important que l’acquéreur connaisse le nombre exact de pigistes employés par la société qu’il envisage d’acquérir afin d’anticiper le coût potentiel qu’impliquerait, par exemple, une rupture de contrat. La question du statut des pigistes représente donc un autre risque qui doit être pris en compte par les investisseurs lors d’une acquisition. Ceuxci auront tout intérêt à le faire supporter par le cédant en négociant auprès de lui le prix de leur acquisition. Cependant, comme nous allons le voir, la quantification de ce risque est loin d’être une chose évidente. Contrairement aux journalistes, les pigistes ne sont pas rémunérés au temps mais à la tâche, en fonction du nombre et de la qualité des articles fournis. Pendant longtemps s’est posée la question de leur statut au sein de la société de presse sans que le législateur ne puisse y apporter de réponse claire. Cependant, la Cour de cassation49 est venue préciser que les pigistes bénéficiaient d’une présomption de salariat dès lors qu’ils démontraient l’activité de journaliste. Bien que plus « libres » que leurs confrères journalistes, les pigistes n’exercent cependant pas leur activité en toute indépendance puisqu’ils reçoivent, de part de leur employeur, un certain nombre de consignes tant dans le choix de leurs sujets, que dans la rédaction de leurs articles. Leur statut de salarié ne fait aujourd’hui plus aucun doute. C’est à ce titre par exemple qu’ils ont obtenu, grâce aux négociations collectives, l’octroi d’un treizième mois de salaire et de congés payés. Mais cette présomption de salariat entraîne alors d’autres questions : quelle est la nature de leur contrat ? A durée déterminée ou non ? Avec quelles conséquences en terme de préavis de rupture et indemnités de licenciement ? Les réponses à ces questions pourront aider l’investisseur à évaluer le risque lié à son investissement. Mais c’est ici que les choses se compliquent. Le législateur et la jurisprudence ont, semble-t-il, eu des difficultés à trancher sur la nature déterminée ou non du contrat et un « flou juridique » semble aujourd’hui persister autour du statut du pigiste, rendant difficile l’appréciation du risque qui lui est lié. 49 Cass, ch. Soc. 18 janvier 2005 57 Si l’on part du principe que la mission du pigiste au sein de la société de presse est par nature temporaire, la qualification de contrat à durée déterminée paraît parfaitement adaptée pour bon nombre de situations. Cependant, il existe certains cas où la nature déterminée du contrat peut être remise en cause par les pigistes qui seront alors en droit de revendiquer les avantages que confère un contrat à durée indéterminée. La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de Cassation a en effet statué qu’en cas de « collaboration régulière » avec le journal ou le magazine, la société de presse avait l’obligation de procurer du travail au pigiste et devrait tirer toutes les conséquences en cas de non-fourniture de commandes. Dans ce sens également, la Cour d’ Appel de Versailles a établi en 2004 qu’en l’absence de conventions prévoyant un terme précis au contrat et du fait du statut de « journaliste pigiste régulier », la relation de travail avait une durée indéterminée. Cependant, la Cour de Cassation50 est revenue partiellement sur cette position en affirmant que l’employeur d’un pigiste régulier n’est pas tenu de lui fournir un volume constant de travail, en conséquence les diminutions de commande ne modifieront pas le contrat de travail. Cette notion de « collaboration régulière » retenue pour établir qu’un pigiste bénéficie d’un contrat à durée indéterminée, ne permet pas d’établir clairement combien de pigistes jouissent de ce type de contrat. En effet, à partir de quand peut-on parler de régularité ? Vingt ans ? Dix ans ? Trois ans ? La justice n’a, à ce jour, encore donné aucune réponse. Ainsi un « flou juridique » demeure autour du statut du pigiste qui constitue une véritable contrainte pour les investisseurs. Malgré la part de subjectivité qu’il existe dans l’appréciation d’une « collaboration régulière », toute personne investissant dans une société de presse devra porter une attention particulière aux documents sociaux du journal dans lequel il souhaite investir afin d’évaluer au mieux le nombre de pigistes récurrents susceptibles de faire valoir la « clause de cession » (un contrat à durée indéterminée leur donnant la possibilité d’exercer cette clause) ou de demander des indemnités en cas de rupture de contrat. Ayant quantifié ce risque, l’investisseur pourra « affiner » son offre et proposer un prix qui tiendra compte du coût potentiel que pourraient engendrer les pigistes une fois l’acquisition réalisée. Il faut cependant souligner que cette appréciation du risque reste problématique puisque les documents sociaux et plus particulièrement le Registre du Personnel ne font que très rarement référence au recours aux pigistes. Seule la Déclaration Annuelle des Données Sociales permettra au repreneur d’évaluer le plus justement possible le nombre de pigistes pouvant poser problème et représenter un coût futur pour le journal. 50 Cass, ch. Soc., 29 sept. 2009 58 Ainsi donc, le « flou juridique » qu’il existe autour du statut des pigistes est un nouvel élément qui rend complexe l’acquisition d’une société de presse et qui peut influencer l’offre formulée par le repreneur. Cependant, outre les aspects sociaux qu’un acquéreur devra prendre en compte lors d’une acquisition dans le secteur de la presse, celui devra porter une attention particulière aux risques liés aux avantages fiscaux accordés aux entreprises dans ce secteur. En effet, ces régimes avantageux sont conditionnés au respect d’un certain nombre de principes et sont donc susceptibles d’être remis en cause. Avant de formuler son offre et afin de sécuriser son investissement, un acquéreur devra s’assurer que le titre qu’il va racheter remplit bien les critères nécessaires à l’octroi de ces régimes avantageux. Le « risque fiscal » constitue dès lors un autre facteur pouvant influencer le prix d’acquisition d’une société de presse. III. Le risque fiscal Le régime fiscal de faveur dont les entreprises de presse jouissent constitue certainement l’un des plus grands avantages qui leurs sont accordés. Ainsi, les entreprises de presse sont soumises à l’application d’un taux de TVA réduit de 2,1% sur les ventes au numéro et par abonnement. Ce qu’il faut garder en mémoire lors d’une acquisition, est que ce privilège reste conditionné à l’obtention d’un numéro de commission paritaire (la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse « CPPAP » étudie en effet si le journal satisfait aux critères qui lui permettent de bénéficier du taux réduit de TVA) ainsi qu’à l’agrément de l’administration fiscale. Plusieurs critères doivent donc être remplis par l’entreprise de presse pour pouvoir appliquer un taux de TVA réduit. La Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse impose notamment que : a. Le contenu rédactionnel représente au moins le tiers du contenu total du quotidien ou magazine (la publicité ne devant, par conséquence, excéder les 2/3) • Le journal ou magazine ait un caractère d’intérêt général Le problème majeur lié à ce privilège fiscal tient au fait que chaque titre de presse est tenu de repasser devant la Commission Paritaire tous les cinq ans avec le risque pour lui de se voir retirer 59 cet avantage s’il ne satisfait plus aux critères définis par la Commission. C’est pourquoi tout acquéreur dans le secteur de la presse devra réaliser un audit minutieux sur ce point afin de s’assurer que les privilèges fiscaux dont bénéficient la cible ne seront pas remis en cause lors de son prochain passage devant la Commission Paritaire. En effet, en 5 ans, la ligne éditoriale du titre a pu changer et ce dernier ne répond peut-être plus au critère d’intérêt général exigé par la CPPAP. Or, le risque de non renouvellement de ce taux préférentiel n’est pas à prendre à la légère par un investisseur puisqu’il génèrerait directement une baisse de plus de 17% de la marge de l’entreprise et pourrait donc remettre en cause sa rentabilité. Ainsi, un acquéreur qui se rendrait compte que les conditions d’application de ce régime ne sont pas respectées par le journal ou magazine qu’il envisage d’acquérir devra formuler une offre en rapport et proposer un prix qui lui assurera un investissement rentable. Ajoutons également que l’administration fiscale peut remettre en cause ce tarif préférentiel à n’importe quel moment et est en mesure de réclamer des indemnités si elle juge que le titre a bénéficié, injustement, de ce privilège fiscal. Le délai de prescription étant de trois ans dans l’administration fiscale, ce risque n’est donc pas anodin. Il devra être pris en compte par l’investisseur notamment lors de la négociation de la « clause de garantie de passif ». Cette clause, qui constitue l’une des dernières étapes du processus d’acquisition, consiste pour l’acquéreur, à s’assurer que les coûts liés à une situation qui précède l’acquisition mais qui surviendront postacquisition seront pris en charge par le cédant. Concrètement ce dernier ne percevra pas la totalité du montant de la transaction réalisée : une partie restera bloquée sur un compte afin d’indemniser l’acquéreur si les risques précédemment évoqués venaient à se concrétiser. Ainsi donc, le risque fiscal constitue un autre facteur susceptible d’influencer le prix d’acquisition d’un titre de presse de façon non négligeable. 60 Chapitre IV : L’espoir d’une reprise ? Ces dernières années ont mené la presse vers une dérive économique que les maîtres du secteur ne semblent pouvoir contenir. Afin de venir en aide à ces entreprises en difficultés, les pouvoirs publics ont décidé de prendre les devants au cours des Etats Généraux de la Presse d’une part et en commandant un certain nombre de rapport auprès de Commissions spécialisées. Bien que chacun des rapports remis au pouvoir exécutif au cours de ces dernières années n’aient été consacrés par le législateur, ceci ont permis d’élaborer plusieurs pistes de sortie de crise. Par ailleurs, les Etats généraux de la presse qui se sont déroulés en janvier 2009 ont donné lieu à la mise en place de plusieurs mesures qui nourrissent un espoir de reprise dans le secteur. Ainsi, d’un avis général l’avenir de la presse est incertain (Section 1), notamment au regard des chiffres de la presse quotidienne d’information de ce début d’année, cependant, les mesures mises en œuvre par les Etats Généraux de la Presse conduisent certains professionnels a espérer une reprise (Section 2). Section 1 - Des perspectives peu rassurantes Les perspectives du secteur de la presse quotidienne sont peu encourageantes. En effet, la consommation des ménages en journaux semble à nouveau reculer en 2010. La montée du chômage et la crise économique à laquelle les ménages doivent faire face ne conduisent pas la population vers les kiosques. Les ménages sont en effet, plus attirés par d’autres moyens d’information tel que la presse gratuite, la télévision, internet. Cependant, la baisse de consommation des ménages ne constitue pas le seul élément qui laisse penser que la crise n’est pas terminée. Les recettes publicitaires dont les entreprises dépendent fortement comme nous l’avons vu risquent de continuer de baisser au cours de cette année 2010. En effet, la baisse des recettes publicitaires de la presse quotidienne d’information s'est dramatiquement amplifiée à partir de 2008 et en 2009 avec la crise économique et financière, entraînant pour certains titres des chutes de chiffres d'affaires publicitaires allant jusqu'à 30%, voir 61 40%51. En effet, en 2009 les professionnels de la finance annonçaient que les premiers chiffres font apparaître un net repli des investissements publicitaires bruts des secteurs des services, de la finance, de la distribution ou encore de l’immobilier52. En conséquence, la désaffectation des annonceurs pour la presse risque de se traduire par une diminution du poids de la presse sur le marché publicitaire. Par ailleurs, l’évolution de la structure économique du secteur démontre que bien que le nombre d’entreprises de presse ait sensiblement augmenté (5 nouvelles sociétés entre 2000 et 2007) au cours des dernières années, le nombre des salariés a lui diminué sur la même période. En effet, confrontés à des difficultés financières, les éditeurs de presse ont dû multiplié les plans et programmes de réduction de coûts via des plan de restructuration. Ces données sont d’autant plus inquiétantes que les forces du secteur sont elles aussi touchées par ces difficultés, voir même plus que les petites structures. En effet, le secteur presse quotidienne d’information est dominé par 8 grands: Groupe le Monde, Editions P.Amaury, EBRA, Groupe La Voix du Nord, SIPA/ Ouest France, le Groupe SUD OUEST, le Groupe Figaro et le Groupe Hersant Média. Groupes qui depuis quelques années ne cessent de rencontrer des difficultés économiques nécessitant l’appel aux investissements de tiers. Le fait plus récent et peut être la plus marquant, est le cas du Groupe Le Monde qui a dû faire appel à des investisseurs pour éviter le redressement judiciaire qui sans accord serait intervenu en septembre 2010. L’accord conclu en juillet 2010 avec les investisseurs Bergé, Niel et Pigasse fait donc entrer de nouveaux investisseurs dans le groupe ce qui permet de le sauver. Ces perspectives semblent donc peu rassurantes pour le futur de la presse, cependant, un grand nombre de professionnels du secteur semblent nourrir un espoir quant à la reprise de l’activité. 51 Laurent HOUSSAY, Cession, recapitalisation... Le paysage des quotidiens nationaux en pleine recomposition 52 Etude Xerfi 700, juil. 2009 ; Scénario prévisionnel 62 Section 2 - Des mesures d’aide pour une sortie de crise Bien que les chiffres ne soient pas rassurants pour l’avenir de la presse certains continuent de penser que le secteur ne peut descendre plus bas et que par conséquent la reprise devrait bientôt pointer le bout de son nez. D’une part, certains professionnels de la finance considèrent que la quasi absence du secteur des médias dans les opérations de fusion-acquisiton en 2009 va nécessairement faire de l’année 2010, l’année des acquisitions dans ce secteur. En effet, Hervé Colson base son analyse sur le fait que le secteur des médias a besoin de renouveau pour modifier son modèle économique, de sorte que les entreprises de médias devront permettre l’intervention dans leurs capitaux des investisseurs en provenance d’autres secteurs d’une part, et d’autre part que ces entreprises de médias devront investir dans le domaine du numérique qui leur permettra d’accroître leur efficacité et de gagner du terrain dans un domaine spécifique. De plus, il avance qu’à l’issue des restructurations opérées par le secteur, les banques sont aujourd’hui les partenaires financiers d’un certain nombre de sociétés des médias. Ainsi, elles pèseront donc largement sur l’avenir de ces entreprises, notamment lorsqu’elles chercheront à vendre. Leur priorité pour les 12 à 18 prochains mois est le recouvrement du capital privilégié et la réduction de l’endettement dans une optique de vente. Les experts de la finance se projettent ainsi dans l’avenir : Avec la part toujours croissante du numérique dans le marché publicitaire français et l’évolution des groupes de médias en sa faveur, nous pourrions observer un rebond des fusions et acquisitions en 201053. Si ces prévisions se réalisaient, les liquidités pourraient venir nourrir les déficits accumulés par les entreprises de presse au cours de ces dernières années, de sorte que ces apports combinés au mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics pourraient permettre une sortie de crise pour le secteur de la presse. Les deux mesures « urgentes » issues des Etats généraux de la presse pourraient en effet limiter les dégâts de ces dernières années. Ces mesures concernent la neutralisation des augmentations tarifaires de l’abonnement postal dont nous avons déjà traité et le doublement des dépenses publicitaires du gouvernement en direction de presse. 53 Pricewaterhouse Coopers, Communiqué de presse 2010 63 Enfin, la mesure d’aide à la presse en ligne pourrait aussi venir renforcer la reprise. En effet, le secteur de la presse qui semble avoir être moins sceptique à l’égard d’internet, tente de se développer dans ce domaine. Cependant, ce développement représente des coûts considérables auxquels les entreprises de presse ne peuvent faire face en l’état actuel. Un statut d’éditeur de presse en ligne a donc été crée fin octobre et une enveloppe de 20 millions d’euros sera distribuée aux sites éligibles. Cette aide sera apportée à hauteur de 40% des dépenses éligibles qui consistent en des investissements en équipement et investissements immatériels notamment les dépenses de logiciels et de développements informatiques, dépenses permettant la numérisation des contenus, et des dépenses d’exploitation telles que la location de matériel informatique, l’hébergement et l’exploitation de serveur, des dépenses d’études, de recherches et de conseils, des actions de formation professionnelle, des actions de promotion et marketing et les salaires bruts de journalistes. Ainsi, les mesures d’aides combinées à la reprise des investissements dans le secteur de la presse permettent d’envisager une reprise de l’activité de la presse quotidienne d’information. Cependant, le statut juridique de la presse et les mesures anti-concentration constitueront toujours un barrage aux investissements dans ce secteur. Bien que l’on ne puisse que saluer l’objectif pour lequel ces mesures ont vu le jour, il en reste qu’elles constituent des contraintes importantes pour la reprise des investissements dans le secteur, privant ainsi les publications de liquidité dont elles ont plus que jamais besoin. 64 Conclusion En définitive, l’acquisition d’une société de presse est relativement complexe. Les spécificités juridiques qui entourent cette activité afin d’assurer son indépendance constituent de véritables contraintes lors d’une acquisition. Son mode de fonctionnement risqué ainsi que les nombreux défis que le secteur doit aujourd’hui relever, sont également des problématiques importantes auxquelles seront confrontés les investisseurs. Cependant, là ne s’arrêtent pas les difficultés pour qui souhaite investir dans le secteur de la presse. Le principal problème résidera en fait dans la valorisation de l’entreprise à acquérir. Un certain nombre de précautions devront être prises lors de cette phase du processus d’acquisition et c’est pourquoi il peut s’avérer très utile de s’entourer de conseillers ayant acquis une expertise dans ce domaine. L’existence de risques spécifiques au secteur de la presse semble en effet pouvoir influencer considérablement l’évaluation de la cible et devront être pris en compte lors de celle-ci. 65 ANNEXES : Annexe 1 : Article L. 430- 1 du Code de Commerce Annexe 2 : Article 11 de la loi du 1er aout 1986 Annexe 3 : Règle des « deux sur trois » Annexe 4 : Article 7 de la loi du 1er aout 1986 66 Annexe 1 : Article L. 430- 1 du Code de Commerce Une opération de concentration est réalisée : 1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ; 2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises. II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article. III. - Aux fins de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment : - des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ; - des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise. 67 Annexe 2 : Article 11 de la loi du 1er aout 1986 modifié par Ordonnance n°2000-912 du 18 septembre 2000 - art. 3 (V) JORF 21 septembre 2000 Est interdite, à peine de nullité, l'acquisition, la prise de contrôle ou la prise en locationgérance d'une publication quotidienne imprimée d'information politique et générale lorsque cette opération a pour effet de permettre à une personne physique ou morale ou à un groupement de personnes physiques ou morales de posséder, de contrôler, directement ou indirectement, ou d'éditer en location-gérance des publications quotidiennes imprimées d'information politique et générale dont le total de la diffusion excède 30 % de la diffusion sur le territoire national de toutes les publications quotidiennes imprimées de même nature. Cette diffusion est appréciée sur les douze derniers mois connus précédant la date d'acquisition, de prise de contrôle ou de prise en location-gérance. Le contrôle mentionné à l'alinéa précédent s'apprécie au regard des critères figurant à l'article L. 233-3 du code de commerce ou s'entend de toute situation dans laquelle une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales aurait placé une publication sous son autorité ou sa dépendance. 68 Annexe 3 : Règle des « deux sur trois » 69 Annexe 4 : Article 7 de la loi du 1er aout 1986 Sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France et comportant soit une clause d'assimilation au national, soit une clause de réciprocité dans le domaine de la presse, les étrangers ne pourront [*interdiction*], à compter de la publication de la présente loi, procéder à une acquisition ayant effet de porter, directement ou indirectement, leur part à plus de vingt pour cent [*pourcentage*] du capital social ou des droits de vote d'une entreprise éditant une publication de langue française. Pour l'application du précédent alinéa, est étrangère [*définition*] toute société dont la majorité du capital social ou des droits de vote est détenue par des étrangers ainsi que toute association dont la majorité des dirigeants est étrangère. 70 Lexique : Mid-cap : Sociétés de moyenne capitalisation, sociétés réalisant entre et millions d’euros M&A : Mergers and Acquisitions (fusions et acquisition) Buyer-log : Liste d’acquéreurs potentiels dans laquelle sont détaillées l’activité de l’entreprise, sa stratégie, sa présence géographique ainsi que ses opérations récentes de croissance externe VE/ CA : Valeur d’entreprise / Chiffre d’affaires VE/ EBITDA: Valeur d’entreprise/ EBE VE/EBIT : Valeur d’entreprise/ Résultat d’exploitation Due Diligence: L’une des phases du processus d’acquisition au cours de laquelle les acquéreurs potentiels ont à leur disposition l’ensemble des informations financières, sociales, juridiques relatives à l’entreprise qu’ils envisagent d’acquérir Garantie de Passif : Clause négociée lors du processus d’acquisition par lequel le cédant s’engage à prendre à sa charge l’ensemble des coûts liés à une situation née avant l’acquisition qui surviendraient après la transaction CPPAP : Commission Paritaire des Publications des Agences de Presse qui décide si la société de presse remplit les conditions qui lui permettent de bénéficier d’un régime fiscal de faveur Clause d’agrément : Clause qui prévoit que toute cession de société de presse quotidienne d’information constituée en Société Anonyme doit recevoir l’accord de la totalité des membres du conseil d’administration ou de surveillance. 71 Clause de cession : Droit particulier reconnu aux journalistes de démissionner tout en percevant des indemnités suite à la cession de leur journal ou magazine Clause de conscience : Droit particulier reconnu aux journalistes de démissionner en percevant des indemnités en cas de changement notable dans l’orientation du journal ou magazine si ce changement est susceptible de porter atteinte à sa réputation ou à ses intérêts moraux. 72 Bibliographie : Presse et édition en France : Fusions et Acquisitions Magazines La presse française : Pierre Albert (La Documentation française) La Presse écrite : Michel Pellaton (Broché) La Presse : Pierre Albert (Que sais-je) La Presse quotidienne Jean Marie Charon (Poche) Presse Quotidienne : Etude de marché Xerfi 700 (juillet 2009) Economie de la Presse : Patrick de Floch et Nathalie Sonnac (la découverte) Les problèmes de concentration dans les médias : Rapport de Monsieur le Professeur A. Lancelot (Décembre 2005) Garantir le pluralisme et l’indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir : Rapport de M. M. Muller (juin 2005) 73 Table des Matières REMERCIEMENTS .........................................................................................................................2 SOMMAIRE : ....................................................................................................................................3 INTRODUCTION .............................................................................................................................4 CHAPITRE I : LA PRESSE : UN MODELE ECONOMIQUE ATYPIQUE .............................6 SECTION 1‐ DES DEPENSES FORCEES ............................................................................................................................. 7 I. L’information : un produit comme les autres ?.............................................................................................................................. 7 A. L’information : un produit éphémère ................................................................................................................................................ 7 B. L’information : une valeur « inévaluable » ...................................................................................................................................... 9 II. Des coûts fixes élevés ........................................................................................................................................................................... 10 A. Les coûts de production d’un titre ................................................................................................................................................... 10 1. Le premier exemplaire................................................................................................................................................... 10 2. Les coûts de « production intellectuelle » ............................................................................................................. 11 3. Les coûts d’impression................................................................................................................................................... 11 B. Une distribution coûteuse.................................................................................................................................................................... 13 SECTION 2 – DES RESSOURCES EN BAISSE .................................................................................................................. 16 I. La vente des journaux............................................................................................................................................................................ 16 II. La dépendance à l’égard des annonceurs : un risque majeur............................................................................................. 18 CHAPITRE II : UN REGIME JURIDIQUE SPECIFIQUE POUR LA PRESSE :UNE CONTRAINTE POUR LES ACQUISITIONS .............................................................................21 SECTION 1 – UN REGIME DEROGATOIRE AU DROIT DES SOCIETES ......................................................................... 22 I. Un objet social mixte .............................................................................................................................................................................. 22 A. Une prise en compte tardive de l’entreprise de presse........................................................................................................... 23 B. L’entreprise de presse soumise aux enjeux liés à l’intérêt général.................................................................................... 25 II. Une nécessaire conciliation des principes fondamentaux ................................................................................................... 28 A. Le pluralisme : outil indispensable à la liberté d’expression ............................................................................................... 29 B. Des limitations nécessaires au principe de la liberté d’entreprendre.............................................................................. 31 1. Les mesures anti‐concentration ................................................................................................................................ 32 a) Le dispositif anti‐concentration spécifique à la presse............................................................................. 32 ‐ Un champ d’application restreint : ....................................................................................................................... 33 ‐ Définition du seuil de concentration :................................................................................................................. 34 b) Les concentrations « pluri‐médias »................................................................................................................. 35 2. Les limitations aux prises de participations étrangères ................................................................................. 36 3. L’agrément de toute cession d’action ...................................................................................................................... 37 SECTION 2 – LES JOURNALISTES : DES SALARIES ATYPIQUES ................................................................................. 40 I. Le statut du journaliste professionnel : consécration de son indépendance ................................................................ 41 A. La définition de l’activité de journaliste ........................................................................................................................................ 41 1. Les bénéficiaires du statut de journaliste professionnel ............................................................................... 41 2. Le contrat de travail des journalistes professionnels : sauvegarde de l’indépendance intellectuelle ........................................................................................................................................................................................... 43 B. Des salariés à la personnalité forte .................................................................................................................................................. 44 II. Un pouvoir fort sur le sort des investissements....................................................................................................................... 46 A. La démission du journaliste : nouvel avantage........................................................................................................................... 46 B. La mise en œuvre de la clause de conscience : contrainte pour les investisseurs ...................................................... 48 74 CHAPITRE III : LA VALORISATION D’UNE SOCIETE DE PRESSE :UN PROCESSUS COMPLEXE POUR LES INVESTISSEURS ...............................................................................49 SECTION 1 ‐ DES METHODES TRADITIONNELLES DIFFICILEMENT APPLICABLES ................................................ 50 I. L’actif Net Réévalué ................................................................................................................................................................................ 50 II. Les multiples : une méthode difficilement applicable au secteur..................................................................................... 51 III. La méthode des Flux futurs de trésoreries ............................................................................................................................... 53 SECTION 2 ‐ DES RISQUES A PRENDRE EN COMPTE LORS DE LA VALORISATION ................................................. 53 I. La clause de cession................................................................................................................................................................................ 54 A. Les coûts financiers directs ................................................................................................................................................................. 54 B. Les coûts indirects................................................................................................................................................................................... 55 II. Le statut ambigu des pigistes............................................................................................................................................................ 57 III. Le risque fiscal ....................................................................................................................................................................................... 59 CHAPITRE IV : L’ESPOIR D’UNE REPRISE ?........................................................................61 SECTION 1 ‐ DES PERSPECTIVES PEU RASSURANTES ................................................................................................ 61 SECTION 2 ‐ DES MESURES D’AIDE POUR UNE SORTIE DE CRISE ............................................................................. 63 CONCLUSION ................................................................................................................................65 ANNEXES : ......................................................................................................................................66 Annexe 1 : Article L. 430‐ 1 du Code de Commerce........................................................................................................................... 67 Annexe 2 : Article 11 de la loi du 1er aout 1986 modifié par Ordonnance n°2000‐912 du 18 septembre 2000 .... 68 Annexe 3 : Règle des « deux sur trois » ................................................................................................................................................... 69 Annexe 4 : Article 7 de la loi du 1er aout 1986 ..................................................................................................................................... 70 LEXIQUE :.......................................................................................................................................71 BIBLIOGRAPHIE : ........................................................................................................................73 TABLE DES MATIERES...............................................................................................................74 75