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INSTITUT DE RECHERCHE ET D'ETUDES EN DROIT DE L'INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
LES PROBLEMATIQUES LIEES AUX
ACQUISITIONS DE SOCIETES DE
PRESSE
Mémoire réalisé par Melle Chloé GILLIARD
Sous la direction de M. AGOSTINELLI
Master II « Droit des médias et des télécommunications »
Parcours Médias Professionnel
Aix-en-Provence
Faculté de Droit et de Science
Politique d’Aix-Marseille
2009-2010
Remerciements
Je remercie Monsieur Agostinelli pour avoir accepté de diriger ce mémoire, l’ensemble de
l’équipe pédagogique de l’Institut de Recherche et d’Études en Droit de l’Information et de la
Communication pour tout ce qu’ils ont pu m’apprendre au cours de cette année universitaire.
Je tiens à remercier plus particulièrement Monsieur le Professeur J. Frayssinet, Directeur du
Master Professionnel Droit des Médias, Monsieur le Professeur H. Isar ainsi que M. Laurie.
Je remercie également tous les professeurs et intervenants du Master qui m’ont permis
d’acquérir des connaissances et compétences nécessaires pour commencer ma vie professionnelle.
Je remercie enfin Madame Catherine Bouchet qui s’est rendu très disponible et qui a toujours
su être à l’écoute des étudiants au cours de cette année universitaire.
2
SOMMAIRE :
Introduction
Chapitre I : La presse un modèle économique atypique
Section 1- Des dépenses forcées
Section 2 - Des ressources en baisse
Chapitre II : Un régime juridique spécifique de la presse : une
contrainte pour les acquisitions
Section 1 : Un régime dérogatoire au droit des sociétés
Section 2 - Les journalistes des salariés atypiques
Chapitre III : La valorisation d’une société de presse : un processus
complexe pour les investisseurs
Section 1 - Des méthodes traditionnelles difficilement applicables
Section 2 - Des risques à prendre en compte lors de la valorisation
Chapitre IV : L’espoir d’une reprise ?
Section 1- Des perspectives peu rassurantes
Section 2 - Des mesures d’aide pour sortir de la crise
Conclusion
3
Introduction
« J’ai aidé à conquérir celle de vos libertés qui les vaut toutes, la liberté de la presse »
(Chateaubriand 1768-1848)1.
Cette citation date du dix huitième siècle et trouve pourtant toujours son importance dans
notre siècle et peut être même plus à l’heure où la crise touche de plein fouet la presse écrite.
La liberté de la presse concourt directement à la liberté d’expression et à la liberté de
communication, toutefois elle relève de bien d’autres domaines. En effet, la crise que traverse la
presse ne nuit par directement à la liberté d’expression dans le sens où internet déborde de
journalistes en « herbe », toutefois en imposant des difficultés économiques aux entreprises de
presse, cette crise nuit gravement à l’exercice de la liberté de presse par les journalistes
professionnels.
La diffusion de l’information est un produit éphémère qui fait de la presse un produit
économiquement atypique.
Un marché de biens d’équipement subissant la crise sera toujours susceptible d’intéresser des
investisseurs qui pourront évaluer les perspectives de relance du secteur par le biais d’outils
financiers. Il en est différemment pour la presse écrite et plus particulièrement pour la presse
quotidienne d’information. En effet, la spécificité du marché le rend difficilement accessible aux
investisseurs. Qui plus est, la révolution numérique bouleverse davantage les règles du jeu de ce
marché difficile par nature.
L’organisation économique et sociale des industries de la culture est en pleine mutation2. La
profusion de la presse gratuite et l’accès à l’information en temps réel sont révélateurs du
bouleversement économique du secteur de la presse. Face à ces difficultés, les éditeurs de presse
peinent à remettre en ordre de marche leur modèle économique. Ceux-ci ont besoin de liquidité afin
de pouvoir alimenter leur structure et de permettre la continuité de l’exercice de la liberté de la
presse. Cependant, le statut particulier des entreprises de presse et de leurs composantes pose des
difficultés quant à la recherche de fonds.
1
Mémoires d’Outre tombe
2
L’économie de la presse : vers un nouveau monde d’affaires (Sonnac Nathalie, Université Paris 2)
4
De manière générale, l’acquisition d’une société par un investisseur ne présente pas de réelles
difficultés, toutefois certains secteurs d’activités comme la presse revêtent un caractère contraignant
pour les investisseurs.
Ces dernières années ont été marquées par l’entrée de nouveaux acteurs économiques dans les
groupes de presse : groupes étrangers, industries et fonds d’investissement marquant ainsi la fin
d’une époque où les entreprises de presse étaient détenues par des groupes familiaux indépendants à
l’image du groupe Hersant.
Comme dans les autres secteurs la croissance externe est devenue un enjeu majeur pour la
presse, leur permettant ainsi d’affronter la concurrence internationale, c’est pourquoi ces entreprises
atypiques ont peu à peu intégré l’idée qu’il était nécessaire d’attirer de nouveaux capitaux.
Cependant, le statut particulier des entreprises de presse les rend moins accessibles pour les
investisseurs, les acquisitions dans ce secteur sont trop souvent confrontées à des difficultés.
Par ailleurs, la presse française revêt différents aspects, en effet, la presse magazine, la presse
quotidienne d’information nationale et régionale, la presse spécialisée sont autant de branches de ce
secteur atypique. Chacune de ces branches fait actuellement face à de grandes difficultés
financières qui reposent toutes d’une façon générale, sur les mêmes problématiques. Cependant, les
difficultés économiques rencontrées par la presse quotidienne d’information sont certainement les
plus importantes. D’autre part, au regard de notre sujet « les problématiques liées à l’acquisition
d’entreprise de presse », il est plus pertinent de ce concentrer sur le secteur de la presse quotidienne
d’information. En effet, celle-ci répond à certaines spécificités tant économiques que juridiques qui
rendent l’acquisition de ces sociétés plus risquée pour les investisseurs.
Ainsi, qu’elles sont ces difficultés que peuvent rencontrer les investisseurs désirant acquérir
une entreprise de presse française ? En quoi ces spécificités du secteur peuvent-elles faire échouer
ou limiter des acquisitions ?
Afin de répondre à ces questions, il est nécessaire de comprendre en quoi la presse repose sur
un modèle économique atypique qui en fait un secteur d’activité précaire (Chapitre 1). Ensuite, les
entreprises de presse font l’objet de nombreuses spécificités juridiques (Chapitre 2). Nous verrons
donc qu’au regard de ces spécificités économiques et juridiques, la presse est un secteur comportant
des « barrages » à l’investissement (Chapitre 3). Toutefois, à l’issue des Etats Généraux de la presse
des mesures ont été élaborées afin d’aider les entreprises de presse, ces mesures pourraient alléger
les contraintes auxquelles sont confrontés les investisseurs, un espoir est né (Chapitre 4).
5
Chapitre I :
La presse : un modèle économique atypique
Les transactions dans le secteur des médias enregistraient en 2009 une baisse de 37 %3 des
volumes de transaction par rapport à l’année précédente. Cette forte diminution des transactions
dans le secteur des médias et notamment dans le domaine de l’édition est dû à un surendettement de
sociétés dans le secteur de l’édition, selon Hervé Colson. Cette forte diminution des transactions
s’accompagne d’une baisse du chiffre d’affaire de la presse quotidienne payante de 4 %4.
Ces chiffres révèlent la grande fragilité de la presse quotidienne française, cependant cette
fragilité renforcée par la crise certes, n’est pas nouvelle. En effet, le modèle économique de la
presse quotidienne d’information repose sur des coûts et des ressources qui peinent à s’équilibrer
d’une façon générale.
Les entreprises de presse ont des prérogatives de deux ordres. En effet, celles-ci ont pour
objet principal l’information du public, cette activité repose donc sur la délivrance d’un bien
informationnel. Ensuite, les entreprises de presse française disposent aussi d’une fonction
commerciale, en effet, bien que le journal ait été conçu, afin d’assurer sa diffusion la société va
devoir le diffuser et ainsi en assurer sa vente.
Cette dualité de fonctions multiplie les coûts auxquels ces entreprises doivent faire face et
rend l’équilibre de leurs recettes et de leurs dépenses difficiles à atteindre.
C’est donc l’objet même de la presse qui en fait un modèle économique atypique, en effet, la
« fabrication » de l’information et sa diffusion ne pourrait reposer sur le même modèle économique
que celui de la fabrication de prêt-à-porter qui permet une rationalisation des coûts.
Le modèle économique de la presse quotidienne d’information revêt des caractères
particuliers rendant les acquisitions difficiles dans ce secteur. Mais quels sont ces caractères qui
font du modèle économique de la presse une contrainte pour les investisseurs ?
Tout d’abord, la production d’un journal quotidien nécessite des dépenses importantes
(Section 1) qui ne sont que très rarement compensées par des recettes actuellement en chute libre
(section 2).
3
Communiqué de presse de PricewaterhouseCoopers ( 4 février 2010)les
4
Etude Xerfi 700 (Juillet 2009 /JBE/ DTA)ige
6
Section 1- Des dépenses forcées
La presse quotidienne d’information dans son ensemble (Presse quotidienne Nationale et
Régionale) est soumise à un grand nombre de contrainte relevant de son objet même. En effet,
l’édition d’un journal quotidiennement s’accompagne d’une part d’un stress quasi permanent pour
les directions de rédaction mais aussi de lourdes contraintes financières. Ces contraintes financières
sont de deux ordres. D’une part, de lourdes dépenses doivent être faites par les entreprises de presse
pour palier les difficultés relevant de l’essence même de l’information : produit éphémère et
inquantifiable (I), d’autre part, la conception et la diffusion de l’information produisent des coûts
fixes élevés auxquels les entreprises de presse ne peuvent échapper (II).
I.
L’information : un produit comme les autres ?
L’information est un produit difficilement abordable. En effet, celle-ci ne peut être palpable
dans le monde du commun des mortels alors qu’elle est pourtant le produit le plus répandu dans
notre société. Les caractères de l’information en font un produit coûteux. D’une part, le caractère
éphémère de l’information conduit les entreprises de presse à effectuer des dépenses importantes
pour la délivrer (A), ensuite, l’information qui est impalpable ne permet pas l’évaluation de sa
qualité par les consommateurs, de cette façon les entreprises de presse doivent conduire celui-ci à
elle, ce qui se révèle être très couteux (B).
A. L’information : un produit éphémère
L’information n’est pas un produit comme les autres, sa durée de vie est courte. En effet,
l’entreprise de presse dont l’objet est la collecte, l’impression et la diffusion de l’information est
confronté à une problématique particulière : la « fraicheur » de l’information. C’est cette
« fraicheur » qui donne la valeur du papier et plus particulièrement dans la presse quotidienne
d’information. En effet, un journal révélant les nouvelles du jour n’aura que très peu de chance
d’être acheté par un consommateur le lendemain du jour où il a été mis en kiosque. Ce principe
vaut également pour la presse magazine et notamment la presse people. Ainsi quel consommateur
voudra acheter un journal qui annoncera la mise en examen de F. Ribéry une semaine après que le
scoop soit tombé ?
7
L’activité des entreprises de presse repose donc sur un produit qui est sensé faire sa
rentabilité, cependant son caractère éphémère engendre des dépenses importantes.
D’une part, la collecte de cette information nécessite une réactivité importante des rédactions
et par conséquent impose aux entreprises de presse de se doter de « chercheurs d’information »
capable de trouver l’information et de la publier en quelques heures. Cette question tenant à
l’embauche des journalistes sera soulevée postérieurement.
D’autre part, le caractère éphémère de l’information soulève un autre problème. En effet, dès
lors que l’information a perdu de sa fraicheur, les journaux ne seront plus vendus. Les invendus du
jour constituent pour la presse des pertes définitives qui pèsent lourdement sur la rentabilité d’une
entreprise de presse. En effet, alors que dans la plupart des autres pays européens le système de
vente ferme au diffuseur est pratiqué, il n’existe pas en France. Le système de diffusion de la presse
vendue au numéro en France est régi par la loi du 2 avril 1947 dite loi « Bichet », celle-ci organise
la distribution de la presse par le biais d’une cascade de mandats liant chaque membre du réseau à
l’éditeur de presse qui garde la pleine propriété des journaux tout au long du circuit. Ainsi, les
invendus restent à la charge de l’éditeur. Cette « spécificité » à la française constitue un risque
important pour les investisseurs étrangers qui ne connaissent pas forcément cette « règle ». Or le
cout de ce risque est élevé puisqu’il peut parfois atteindre le tiers du chiffre d’affaire des entreprises
de presse.
Au regard de ce coût important, un éventuel investisseur devra garder en mémoire cet élément
de façon à étudier la répartition des revenus de l’entreprise qu’il envisage d’acquérir afin
d’apprécier le niveau de risque en matière de déchets de commercialisation.
Le caractère éphémère de l’information conduit donc les entreprises de presse à assumer des
coûts important liés aux invendus, l’information du fait de son essence même ne peut être évaluée
par les consommateurs, les entreprises doivent donc mettre en œuvre des dispositifs de façon à
attirer le consommateur vers leur journal.
8
B. L’information : une valeur « inévaluable »
Une autre caractéristique de la presse relève de l’impossibilité d’évaluer sa valeur. En effet, la
valeur du produit de la presse ne peut être évaluée avant son achat5. Le consommateur est sollicité
par une multitude de quotidien d’information dont il ne peut évaluer la qualité avant de procéder à
son achat. En effet, le consommateur qui achète une paire de chaussures pourra l’essayer pour
évaluer son rapport qualité/prix, alors que lors de l’achat d’un journal le consommateur ne pourra
en évaluer sa qualité avant d’en avoir fait sa lecture, ce qui est exactement l’objet de son achat.
La valeur du bien informationnel6 ne pouvant pas être évaluée, les entreprises de presse ont
dû faire appel à des éléments particuliers de façon d’une part à attiser le désir des lecteurs et d’autre
part à permettre aux consommateurs de se repérer dans les étalages des kiosques.
Les entreprises de presse ont donc fait appel à des procédures de sélection et de signalétique,
des logos, des campagnes promotionnelles, etc. de façon à attirer les lecteurs vers leurs journaux.
Ceux-ci s’appuient sur l’identification des composantes du journal : titre de presse, nom des
journalistes, marques du groupe, format du journal. En effet, les produits les mieux signalés seront
les mieux vendus, de sorte que les entreprises de presse consacrent une forte proportion de leur
chiffre d’affaire au marketing et aux campagnes promotionnelles.
Ces dépenses importantes sont souvent considérées comme des dépenses superflues et plus
particulièrement en ces périodes de crise, toutefois celles-ci permettent aux titres de presse de
bénéficier d’une renommée sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour développer leurs titres.
La nature même de l’information conduit donc les entreprises de presse à faire face à des
dépenses importantes, toutefois ces dépenses sont variables. En effet, les pertes définitives dues aux
invendus varient d’un jour à l’autre et les dépenses de promotion et de marketing s’inscrivent dans
des périodes bien déterminées, alors que l’essentielle des dépenses des entreprises de presse
relèvent des coûts fixes qui se révèlent très lourd pour ces sociétés atypiques.
5
R.Craves Creatives Industries (2000).
6
L’économie de la presse : vers un nouveau monde d’affaires (Sonnac Nathalie, Université Paris 2)
9
II.
Des coûts fixes élevés
Les entreprises de presses doivent faire face à des dépenses importantes qui rendent difficile
l’équilibre de ses ressources et de ses dépenses. En effet, comme nous l’avons vu précédemment
alors qu’une partie des revenus d’un titre n’est pas assurée (invendus), les coûts de production et de
distribution d’un titre sont fortement élevés. C’est la raison pour laquelle la rentabilité est si
difficilement accessible pour ces entreprises.
Les coûts fixes d’une entreprise de presse relèvent d’une part des coûts de production (A) et
d’autre part des coûts de distribution (B).
A. Les coûts de production d’un titre
Le caractère périssable de l’information oblige les entreprises de presse à mettre en place une
infrastructure de production couteuse. Ceci se traduit par l’embauche d’un nombre suffisant de
journalistes afin de collecter l’information, la traiter, l’imprimer et la diffuser rapidement. Ainsi on
peut distinguer deux catégories de coûts de production d’un titre, d’une part, les coûts de
« production intellectuelle » (2) et d’autre part, les coûts de d’impression du journal (3). Cependant,
avant d’étudier ces deux catégories de dépenses auxquelles sont confrontées les entreprises de
presse, il est nécessaire de s’arrêter quelque temps sur le cas du « coût du premier titre » qui
apparaît comme un coût fixe (1).
1. Le premier exemplaire
Le coût du premier exemplaire, le prototype est une dépense importante pour l’entreprise de
presse dont elle ne peut s’exonérer quelque soit le nombre d’exemplaires produits. En effet, la
conception et la production de ce premier exemplaire imposent aux entreprises de presse des
dépenses importantes du fait de l’importance de son coût unitaire, dépenses qui pourront toutefois
être allégées. En effet, le coût unitaire de production est très élevé lorsque le nombre d’exemplaires
produits est faible, en revanche ce coût unitaire diminuera quand il sera réparti sur un nombre élevé
d’exemplaires produits. Ainsi, le rapprochement entre les entreprises de presse va permettre la non
duplication de ce coût fixe élevé et par conséquent les entreprises de grandes tailles pourront
bénéficier de cette efficacité économique.
10
Le rapprochement de plusieurs entreprises de presse permettra ainsi de réduire l’impact de ce
coût important sur le chiffre d’affaire de ces entreprises. Cet aspect concourt donc à la
multiplication des rapprochements dans ce secteur, encourageant ainsi les fusions acquisitions dans
ce secteur. C’est d’ailleurs l’une des justifications au fait que le marché de la presse quotidienne
d’information est détenu en grande partie par huit groupes de presse. Toutefois, ces rapprochements
sont freinés par les mesures anti-concentration qui ont été mises en place par le législateur. Le
dispositif anti-concentration fera l’objet d’un développement spécifique dans le chapitre suivant
compte tenu de son importance et de son impact sur les acquisitions dans le secteur.
2. Les coûts de « production intellectuelle »
La production intellectuelle est la composante principale des entreprises de presse. En effet,
les journalistes créent la valeur des journaux pour lesquels ils travaillent, parfois même c’est la
renommée du journaliste qui va permettre d’augmenter les ventes d’un journal. De plus, les
journalistes d’une rédaction reflètent l’image même du journal.
Ces dépenses de coût de production intellectuelle représentent 15 à 20 % des coûts d’un
journal. Ce taux doit être perçu de façon relative puisqu’il ne prend pas en compte les dépenses de
production intellectuelle consacrées aux pigistes et aux activités connexes de celles de journalistes.
3. Les coûts d’impression
L’entreprise de presse est confrontée à plusieurs contraintes liées à son mode de production.
Tout d’abord, celui-ci exige des investissements importants dans des équipements d’impression
souvent très couteux. En effet, la production d’un titre suppose l’installation de rotatives dans le but
d’assurer la reproduction d’un titre en nombre d’exemplaires qui permettra de couvrir la demande.
Ces coûts élevés ont d’ailleurs occupé les réflexions menées lors des États Généraux de la
presse de 2009. En effet, conscient que les coûts d’impression élevés de l’information paralysent
l’équilibre économique des entreprises de presse, les pouvoirs publics ont mis en place une aide à la
modernisation des imprimeries. Ainsi une enveloppe de 75 millions d’euros a été prévue afin
d’accompagner les entreprises de presse dans la modernisation de l’impression des titres. Parmi ces
75 000 millions d’euros, une partie sera destinée à financer le départ d’une partie des ouvriers du
secteur. En effet, la modernisation suppose que la main d’œuvre sera remplacée par les techniques
11
technologiques moins couteuses, de sorte que des restructurations sont indispensables à la survie de
ces entreprises7.
Il existe cependant d’autres contraintes en terme de coûts qui ne semble pas pouvoir
disparaître. En effet, la matière première du journal : le papier est une source de dépense très
importante. La faiblesse de la production de la presse réside dans la dépendance de celle-ci à
l’égard du papier. Sans papier, pas d’impression, sans impression, pas de journal. Or le prix du
papier peut être amené à varier fortement du fait notamment de l’évolution du taux de change et/ou
du cours du pétrole. Ainsi, son prix a augmenté de 42,4% entre 1994 et 1996, avec toutes les
conséquences qu’on imagine pour la trésorerie des sociétés de presse. On comprend alors pourquoi
le papier est la principale source de préoccupations des dirigeants dans ce secteur d’activité. Il faut
également ajouter que, dès lors qu’on est dépendant de ses fournisseurs, comme c’est le cas pour les
sociétés de presse, le rapport de force joue en faveur de ces derniers qui sont en mesure de
maintenir les prix à des niveaux élevés.
Ceci est encore plus vrai si le secteur est concentré. Or, le secteur du papier est justement très
concentré en France. Les groupes UPM- Kymmene et Norske Skog produisent à eux seuls 85 % du
papier journal et le groupe suédois Stora Enzo contrôle 100 % de la production du papier magazine.
Cette concentration contribue à maintenir des prix de papier élevés que les sociétés de presse
continueront pourtant de payer. Les coûts d’impression représentent environ le quart des revenus
d’un journal ou magazine ce qui laisse présager d’une structure de coûts risqués dans ce secteur
d’activité. Ceci peut d’ors et déjà peser dans le choix d’un investisseur.
7
Les échos. Communication (mardi 2 février 2010)
12
B. Une distribution coûteuse
Toute société productrice est confrontée au problème de distribution, cependant il semble que
les modes de distribution utilisés par les entreprises de presse soient plus couteux et par conséquent
plus risqué pour leur rentabilité.
On distingue trois grands modes de diffusion de la presse, certains plus contraignant que
d’autres et plus couteux. La diffusion de la presse relève là encore d’une contrainte pour les
éventuels investisseurs.
Tout d’abord, « la vente au numéro » se révèle être le mode de distribution de la presse le
plus couteux. En effet, la vente au numéro nécessite la mise en place d’une lourde logistique
combinant plusieurs moyens de transport et d’un réseau complexe de distribution. Les dépositaires
sont approvisionnés soit directement par l’éditeur soit par l’intermédiaire de messageries. Les deux
principales messageries de presse sont Presstalis ( Ex Nouvelles Messageries de Presse Parisienne)
et les Messageries Lyonnaise de presse. Celles-ci devront donc acheminer les journaux chez les
dépositaires qui les distribueront auprès des 29 651 diffuseurs français.
Le risque majeur de ce mode de distribution réside dans le fait que les invendus restent à la
charge de l’éditeur, de sorte que ces pertes définitives viendront s’ajouter aux frais de diffusion.
La loi de finance rectificative pour 20048 a mis en place une aide directe afin de contribuer à
la modernisation du réseau de distribution de la presse. Cette aide est attribuée sous condition aux
diffuseurs en vue de rénover leur espace de vente ou d’optimiser leur gestion des produits de
presse. Les modalités de calcul du montant de cette aide ont évolué depuis le 27 mai 2009,
désormais les 40% des dépenses sont prises en charge dans la limite du plafond fixé par la loi. De
plus, les exploitants de kiosques de journaux et les diffuseurs de presse de petites superficies sont
éligibles à l’aide.
Par ailleurs, l’explosion d’internet a conduit au bouleversement du système de distribution de
la presse au numéro. En effet, le système basé sur la coopération et la péréquation supposant la
8
Article 134 créé par Loi 2004-1485 2004-12-30 finances rectificative pour 2004 JORF 31
décembre 2004
13
mutualisation des coûts est désormais bouleversé. Le coût de la distribution de la presse représente
34% du prix de vente d’un journal, ce coût, bien qu’inférieur à celui pratiqué en Allemagne et au
Royaume-Uni, paralyse le système du fait de la faiblesse des ventes. A l’issue des Etats Généraux
de la Presse, une commission a alors été nommée par le Premier ministre afin de réformer la
distribution de la presse.
Presstalis organise le transfert des journaux des imprimeurs vers les dépôts régionaux. Le
coût de ce transfert calculé sur le prix de vente des journaux, se base sur le principe de la
péréquation, principe fondamental qui conduit à la mutualisation des coûts et permet ainsi d’établir
la solidarité entre les titres distribués. Cependant, ce système qui fonctionnait bien lorsque la presse
se vendait bien, provoque des tensions entre les différents acteurs du secteur. En effet, les plus gros
refusent désormais de payer pour les plus petits. Ainsi, la commission présidée par B. Mettling
préconise de modifier l’assiette de calcul des coûts facturés à l’éditeur au profit d’un prix plus en
rapport avec la prestation fournie.
Par ailleurs, la diminution des ventes a accéléré la baisse de l’adéquation de telle façon que
les dépôts sont désormais en grande difficulté d’une part, et d’autre part que Pressatlis a vu ses
recettes diminuées de 25% depuis 2004. En effet, la situation de Presstalis est telle que début 2010,
la diminution de ses capitaux propres nécessitait une recapitalisation. Face à la situation
problématique de la société, les pouvoirs publics ont injecté 35 millions d’euros dans la société
Pressatlis, ceux-ci se cumulant aux 25 millions apportés par Lagardère, actionnaire de la société.
Ainsi, ces apports permettent à Prestalis d’échapper au dépôt de bilan et de mettre en place les
mesures de réforme de la distribution.
La vente au numéro est donc une pratique de distribution très couteuse et très contraignante.
Ensuite, le « portage » consiste à livrer les journaux à domicile par l’intermédiaire de
« porteurs ». Ce système est moins complexe que la vente au numéro mais il peut toutefois être
couteux. Le portage comporte de réels enjeux pour les entreprises de presse. En effet, l’efficacité du
portage permet au consommateur de bénéficier d’une satisfaction qu’il ne trouvera pas dans l’envoi
du journal par la poste. D’autant plus qu’à l’heure de l’information en continue, il est indispensable
pour les entreprises de presse de permettre à leurs clients d’accéder à cette information dans les
meilleurs délais. Pour favoriser cette efficacité, les pouvoirs publics ont attribué une enveloppe de
70 millions d’euros à l’amélioration du portage. Cette subvention va ainsi permettre de rééquilibrer
14
les coûts, d’autant plus que le tarif préférentiel accordé par la Poste aux éditeurs pour la distribution
par abonnement postal va bientôt prendre fin.
Enfin, « l’abonnement postal » est un système relativement sécurisant pour l’entreprise de
presse puisqu’il procure des revenus récurrents et la préserve des risques d’invendus. Ce mode de
distribution de la presse bénéficiait jusque là de facilités permises par un accord « poste-presse ».
Ainsi au titre de cette accord les entreprises de presse bénéficiait de tarifs préférentiels pour
l’envoie de leurs journaux aux abonnés. Cet accord devait prendre fin dès cette année, ainsi les
coûts postaux devaient progressivement augmenter conformément à l’accord, toutefois au regard
des difficultés que traverse la presse un report d’un an de cette augmentation à été négocié suite aux
Etats Généraux de la presse.
Au regard de ces éléments, les entreprises de presse devraient se reporter rapidement sur le
portage, qui bénéficiant des aides d’Etats devrait s’avérer plus avantageux. Au regard de ces
dispositifs de distribution couteux, il est normal que certaines sociétés de presse tentent l’aventure
de la presse tout numérique. En effet, à l’image de Rupert Murdoch qui a déclaré vouloir créer un
journal essentiellement accessible par les tablettes numériques et smartphone, il semble que toutes
les sociétés de presse voudront à terme tenter l’expérience.
Les coûts de production et de distribution de l’information constituent donc un frein à la
croissance des entreprises de presse, ceci est d’ailleurs accentué par des ressources en baisse.
15
Section 2 – Des ressources en baisse
La presse est un domaine peu propice aux investissements au regard des dépenses spécifiques
auxquels elle doit faire face. Cependant, ces dépenses ne sont pas les seules barrières aux
acquisitions dans ce secteur, le revenu de la presse en est une aussi. En effet, la difficulté principale
tient au fait que le grand nombre de coûts auquel les entreprises doivent subvenir ne parvient pas à
s’équilibrer ou difficilement avec les recettes qu’elle perçoit.
Ces ressources se composent de deux catégories de revenus : la vente (I) et la publicité (II).
I.
La vente des journaux
Les ventes de journaux constituaient 56,9% du chiffre d’affaire des éditeurs de presse
quotidienne française en 2009. Cette proportion reflète une diminution des ventes de journaux de
1,2% en valeur sur l’année précédente.
Afin de mieux comprendre cette diminution, il est nécessaire de distinguer les ventes au
numéro et les ventes abonnements qui ont été définies précédemment.
En effet, comme nous l’avons vu les ventes au numéro constituent une charge importante
pour les entreprises de presse, il est donc nécessaire que les recettes issues de ces ventes équilibrent
les coûts engagés.
La vente au numéro constitue la première source de revenu de la presse quotidienne.
Cependant, les ressources issues de ces ventes ont vu leur poids diminué au cours de ces dernières
années. En effet, alors que les ventes au numéro représentaient 41% du chiffre d’affaires des
éditeurs en 1990, elles atteignaient tout juste les 36% en 2007. Cette diminution est révélatrice de la
crise à laquelle la presse quotidienne d’information générale et politique traverse. Les études
montrent en effet, que la disparition de nombreux points de vente, l’augmentation du prix de vente
des quotidiens et le report de la consommation des ménages vers d’autres biens culturels sont les
principaux facteurs de cette chute des ressources issues de la vente au numéro.
La vente à l’abonnement constitue une valeur sure pour les entreprises de presse, en effet elle
permet de fournir un indicateur de diffusion et par conséquent d’éviter le problème des invendus
que nous avons déjà traité. Par ailleurs, les revenus issus de la vente à l’abonnement constituent une
16
avance de trésorerie pour les entreprises de presse qui en ont besoin en ces temps de crises. Ainsi,
c’est en partie grâce à ces revenus que les entreprises de presse réussissent à se maintenir depuis ces
dernières années puisque les revenus issus de ces ventes ont plus que doublé entre 1990 et 2007.
Cette nette augmentation est due à la multiplication des formules d’abonnement et au coté pratique
de ce mode de vente.
Les abonnements à la presse en ligne commencent à se démocratiser toutefois, ces revenus ne
permettent pas de compenser les diminutions successives des ventes au numéro. De plus, nous ne
les traiterons pas ici compte du fait que la diffusion des titres en ligne ne repose pas exactement sur
le même modèle que la presse papier. En effet, la presse en ligne ne nécessite pas ces nombreuses
dépenses d’impression et de diffusion, de sorte que les dépenses et les revenus des entreprises de
presse ne se compensent pas de la même façon. De plus, certes ce nouveau mode de presse est en
développement et fait des adeptes toutefois, il ne permet pas encore d’équilibrer les coûts de
production de telle façon que ce sont les structures traditionnellement qui permettent de développer
la presse en ligne en absorbant les coûts fixes.
Les ventes qu’elles soient au numéro ou à l’abonnement représentaient 58,3% du chiffre
d’affaires des entreprises de presse, cette part non négligeable certes ne permet pas cependant à ces
entreprises de survivre. La publicité, seconde partie de leur revenu est donc indispensable à la
survie de la presse. Les entreprises de presse dépendent donc énormément des annonceurs qui eux
aussi doivent face à la crise en optant pour des procédés moins couteux.
17
II.
La dépendance à l’égard des annonceurs : un risque
majeur
Nouvelle spécificité du secteur de la presse, nouveau risque aussi : sa dépendance vis à vis
des annonceurs. Le temps où l’on entendait maintenir son journal à l’écart du monde financier et de
la publicité au nom du respect de l’indépendance journalistique (Jean Paul Sartre fonda Libération
dans cet esprit) est bel est bien révolu.
La publicité représente désormais une source de revenu importante pour la presse et
notamment la presse quotidienne. Un grand nombre de quotidiens ne seraient pas rentables sans les
annonceurs. En effet, le coût d’un journal fabrication et distribution est souvent supérieur à son prix
de vente.
D’autre part, le prix de vente d’un journal n’est pas fixé en fonction de son prix de revient.
Les annonceurs subventionnent en quelque sorte le titre de presse puisqu’en apportant une source
supplémentaire de revenus aux entreprises de presse, ceux-ci leur permettent de proposer un prix
moins élevé que si ces derniers devaient compter uniquement sur leur vente pour assurer leur
rentabilité. Ainsi, les annonceurs servent indirectement l’intérêt général car ils facilitent l’accès à
l’information d’un bon nombre des citoyens. Cependant, cette relation entre les annonceurs et la
presse crée, à l’égard des annonceurs une réelle dépendance qui peut s’avérer fortement
problématique pour les éditeurs de presse. En effet, l’éviction des dépenses publicitaires a un effet
considérable sur la rentabilité d’un titre de presse, pour preuve les chiffres de ces dernières années,
les revenus issus de la publicité représentaient 48,5% du chiffre d’affaires des la presse quotidienne
en 1990, alors qu’elle ne représentaient que 42,7%9 du chiffre d’affaire de la presse quotidienne en
2007.
9
Etude Xerfi 700 La presse Quotidienne Régionale et Nationale (juillet 2009)
18
Cette chute des revenus publicitaires a été provoquée en premier lieu par le contexte de crise.
En effet, chacun sait que touché par la crise, la première restriction budgétaire des annonceurs se
fera sur le budget publicitaire.
D’autre part, les ressources publicitaires de la presse sont de deux types : la publicité
commerciale et les petites annonces. Or, le secteur des petites annonces a trouvé dans internet, une
meilleure vitrine, qui plus est moins couteuse, c’est donc le secteur des petites annonces qui a le
plus pesé sur la diminution des recettes publicitaires de la presse quotidienne.
La publicité commerciale, elle aussi a vu sa part des ressources de la presse diminuer. En
effet, comme nous l’avons vu cette baisse tient au fait que les annonceurs ont restreint leur budget
publicitaire pour pouvoir faire face à la crise. Cependant, ceci n’est pas le seul facteur, internet
permet désormais de pratiquer la publicité différemment, de sorte que la clientèle peut être
beaucoup plus ciblée que dans un journal quotidien même d’opinon. Ainsi, les recettes publicitaires
d’internet ont progressé de 32%10 entre 2006 et 2007 en France alors que les recettes publicitaires
des quotidiens nationaux ont enregistré une baisse de 8,6% à la même période.
Ainsi donc, les liens qu’entretiennent presse et publicité apparaissent bien comme une
spécificité du secteur de la presse et représentent pour celui-ci un risque majeur. L’originalité d’une
entreprise de presse réside ici dans le fait que ses clients finaux, ceux pour qui elle produit
l’information, sont loin d’être ses seuls générateurs de revenus à la différence des secteurs
d’activité plus classiques. Une part importante de ses recettes dépendent en effet du bon vouloir
d’annonceurs qui, lorsque la prospérité économique n’est pas au rendez-vous, n’hésitent pas réduire
leur budget publicitaire, menaçant ainsi la rentabilité d’un journal, voir sa survie.
Un espoir se laisse toutefois entrevoir puisqu’en avril 2010, l’institut Yacast rapportait que les
recettes publicitaires avant négociation commerciales avaient progressé de 9% au premier trimestre
2010 sur un an. A la même époque l’année dernière, ces recettes accusaient un repli de 5,1%11.
10
Publicité classique, hors liens sponsorisés et hors shopping. Source : Irep 2007
11
La tribune.fr, 8 avril 2010
19
Le modèle économique sur lequel repose la presse quotidienne d’information est donc fondé
sur des recettes et des coûts atypiques qui en font un modèle particulier. En effet, les dépenses
auxquelles doivent faire face les entreprises de presse sont considérables et parviennent
difficilement à être équilibrées par les revenus issus de la vente des quotidiens et de recettes
publicitaires. Ces spécificités font des entreprises de presse des entités difficilement accessibles par
les investisseurs.
En effet, les acquisitions dans ce secteur sont difficilement accessibles par des investisseurs
désireux de procéder à des placements rapporteurs et surs. Le modèle économique sur lequel la
presse repose révèle en effet de nombreuses contraintes pour les investisseurs, toutefois le modèle
économique n’est pas la seule contrainte à des acquisitions dans ce secteur, le régime juridique qui
régie la presse fait aussi de la presse un secteur particulier qui peut apparaître comme contraignant
pour d’éventuels investisseurs.
20
Chapitre II :
Un régime juridique spécifique pour la presse :
une contrainte pour les acquisitions
L’activité des entreprises de presse réside dans une dualité d’objectifs. En effet, les sociétés
de presse sont des entreprises au sens du droit commercial et donc doivent répondre à des objectifs
de rentabilité et de productivité au même titre que les industries. Par ailleurs, les entreprises de
presse doivent servir l’intérêt général : l’information du public, l’exercice de la liberté d’expression,
le droit à l’information sont autant de droits consacrés par notre droit constitutionnel qui ont été mis
à la charge de ces entreprises atypiques. Afin de permettre la conciliation de ces deux caractères des
entreprises de presse, le législateur a établi un régime juridique particulier du secteur de la presse.
Les entreprises de presse ne sont donc pas des entreprises comme les autres, c’est d’ailleurs
pourquoi elles bénéficient depuis la Libération (aout 1944) d’un statut juridique particulier destiné à
stimuler la création journalistique tout en protégeant sa liberté.
Les entreprises de presse sont donc d’une façon générale régie par le droit commun auquel le
législateur a introduit au cours des années des dérogations de façon à assurer les principes auxquels
elles sont soumises. Ce régime dérogatoire au droit commun impose aux entreprises de presse
d’exercer leur activité dans le respect du pluralisme, de l’indépendance de leurs salariés, autant de
spécificités que nous allons étudier dans ce développement. Ce régime atypique bien que
parfaitement compréhensible au regard des principes fondamentaux pour lesquels il a été mis en
œuvre, constitue une véritable contrainte pour les investisseurs.
Ainsi, nous allons voir dans quelle mesure ce régime dérogatoire au droit commun constitue
un « barrage » aux acquisitions dans le secteur de la presse.
Le législateur a donc entrepris depuis de nombreuses années de consacrer un régime juridique
particulier à la presse. Ainsi, la presse est soumise à un régime dérogatoire au droit commercial
(section 1), de plus, nous verrons que compte tenu de la personnalité atypique des salariés du
secteur de la presse et de façon à préserver l’objet même de la profession de journaliste :
l’indépendance intellectuelle, le législateur a aménagé leurs conditions de travail (section 2).
21
Nous verrons que ces spécificités juridiques ne sont pas sans causer des difficultés quant aux
acquisitions dans ce secteur. En effet, ce régime atypique constitue une réelle contrainte pour les
investissements dans ce secteur.
Section 1 – Un régime dérogatoire au droit des sociétés
Les entreprises de presse, bien qu’ayant un objet spécifique n’en sont pas moins des entités
économiques soumissent aux contraintes de l’économie basée sur un système libérale nécessitant
ainsi une rentabilité et un productivité accrue afin de survivre. Sur ce point, on peut donc dire que
les entreprises de presse sont bien des sociétés comme les autres. Une question se pose donc faut-il
abandonner complètement l'entreprise de presse à la stratégie commerciale et aux règles du
libéralisme économique ?
Le législateur a traditionnellement répondu à la négative à cette question, considèrent que le
produit « information » ne devait pas être banalisé12 comme les autres produits de l’industrie.
Le statut hybride des entreprises de presse a donc conduit le législateur à lui « façonner » des
règles spécifiques de façon à concilier son double objet social. Ainsi, le régime dérogatoire de
l’entreprise de presse est le résultat de son objet social mixte (I) qui nécessite que son statut
juridique concilie le pluralisme outil indispensable à l’exercice de la liberté d’expression et la
liberté d’entreprendre, principe fondamental à valeur constitutionnel (II).
I.
Un objet social mixte
Les entreprises de presse bénéficient d’un objet social mixte nécessitant ainsi la conciliation
de leur objet commercial et de la mission d’intérêt général qui leur a été confiée en 1881. Cette
mixité de l’objet sociale de l’entreprise de presse en fait une entreprise atypique difficilement
abordable pour les investisseurs.
L’entreprise de presse a à l’origine, été considérée comme une
entreprise à part entière par le législateur (A), cependant l’évolution de ces sociétés s’est avérée de
plus en plus dangereuse pour la liberté de la presse et pour le respect du pluralisme (B).
12
J. Cluzel, L'Ètat de la presse au printemps 1991 : Le Monde, 4 juin 1991.
22
A. Une prise en compte tardive de l’entreprise de presse
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 aout 1789 a d’abord consacré la
liberté de la presse dans son article 11. En effet, celle-ci proclamait que La libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc
parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi.
Bien que cette déclaration ait pris toute son importance dans notre siècle, elle ne constituait
au XVIII
ème
siècle qu’une déclaration sans avoir de force juridique. Ainsi, les régimes se sont
succédés en alternant libéralisme et répression de la presse. La liberté de la presse bien que
solennellement déclarée, ne disposait donc d’aucun moyen juridique susceptible de la protégées des
atteintes constantes.
La loi du 29 juillet 188113 est venue donner les instruments juridiques nécessaires à la
sauvegarde de la liberté de la presse. C’est en effet après une longue lutte et le renforcement des
institutions républicaines que la loi sur la liberté de la presse a vu le jour14.
C’est ainsi que le premier l'article de la loi dispose : « L'imprimerie et la presse sont libres ».
L'article 5 ajoute que la presse vit sous le régime de la déclaration et non pas de l'autorisation
préalable.
Bien que la loi de 1881 constitue une grande avancé pour le statut de la presse, il n’en est pas
de même pour le statut des entreprises de presse. En effet, le législateur a complètement ignoré les
entreprises de presse dans sa loi fondatrice du statut de la presse. Cette ignorance a d’ailleurs
perduré tout au long du dix neuvième siècle.
Le législateur de l’époque considérait en effet que la liberté d’entreprendre devait découler
naturellement du plein exercice de la liberté d’expression. Sur la base de ce postulat, le législateur a
alors considéré que l’unique protection dont devait faire l’objet la presse tenait dans la protection de
la presse face aux ingérences des pouvoirs publics. C’est ainsi que le législateur de 1881 a fait de la
presse une activité soumise à un régime de déclaration.
13
Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : Journal Officiel 30 Juillet 1881
14
Estelle Revel-Menard, Jurisclasseur Communication, fasc. 4000 STATUT DES ENTREPRISES DE PRESSE
23
La loi de 1881 avait en définitif, pour objet de libérer la presse et non de se préoccuper de
l’organisation juridique et financière des entreprises de presse. Ainsi l’objectif de la loi de 1881
était de permettre la liberté de la presse, son indépendance et sa pluralité sans entraver leur liberté
d'entreprendre c’est ainsi que la loi de 1881 a placé l'entreprise de presse sous le droit commun des
professions commerciales et industrielles.
La presse est alors devenue une industrie importante exerçant son objet commercial et
effectuant des profits sur la base de son produit : « l’information ». Cette expansion des entreprises
de presse a alors nécessité des capitaux importants et a conduit la presse à se confronter à des
contraintes économiques. Ces contraintes ont alors mis la presse face à une menace pour son
indépendance et sa pluralité.
Ce système ignorant la spécificité des entreprises de presse a alors perduré jusqu’à la
Libération. En effet, la seconde Guerre Mondiale a vu une partie de la presse collaborer15 avec
l’ennemie. Bien que la plupart de ces « intelligences avec l’ennemie » résultaient d’influence
essentiellement financières, les résistants ont souhaité procéder à un « nettoyage » de la presse
française. C’est ainsi qu’une interdiction provisoire de publier a été imposée aux journaux ayant vu
le jour à partir du 25 juin 1940 notamment, la résistance a alors procédé à l’épuration
professionnelle.
La période de la Libération n’a toutefois pas eu pour unique effet d’épurer le monde du
journalisme, puisque c’est cette période qui a vu naître les prémices d’un statut particulier des
entreprises de presse. En effet, l’ordonnance du 26 août 1944 sur « l'organisation de la presse
française »16 transforme considérablement les structures de la presse française. En effet,
l’ordonnance a pour ambition de faire des sociétés de presse des « maisons de verre 17» en obligeant
ainsi les entreprises de presse à une transparence financière.
Bien que cette ordonnance ait permis de faire apparaître un nouveau statut des entreprises de
presse, celle-ci n’a pas produit les effets escomptés. En effet, ces nouvelles règles de transparence
des entreprises de presse se révèlent rapidement inadaptées et ne reçoivent qu'une application très
partielle en raison du nombre trop important de prescriptions et de l'absence d'adoption des décrets
15
Le Matin, L'oeuvre, Le Petit Parisien, Le cri du peuple, Les nouveaux Temps ont collaboré avec l’ennemi
durant l’occupation.
16
Ordonnance du 26 août 1944 : Journal Officiel 30 Aout 1944 ; BLD 1944, p. 220. - G. Levasseur,
L'ordonnance du 26 août 1944 : L'Ècho de la presse et de la publicité, 4 oct. 1976. - F. Terrou,. - E. Derieux, Statut des
entreprises de presse : Petites affiches 7 décembre 1983, p. 7
17
Lamy Droit des médias et de la communication (212-2)
24
d'application. Ainsi, elles ne seront d'aucune efficacité lors du rachat par Robert Hersant du Figaro,
de L'Aurore, et de France Soir par sociétés interposées. Pour preuve les plaintes déposées contre M.
Hersant au titre de ces acquisitions resteront sans suite.
Cette situation engendre d'importants mouvements de concentration de la presse française et
les entreprises de presse continuent par conséquent d’être en grande partie régies par le droit
commun des sociétés. L’entreprise de presse a alors continué d’être dépourvue de définition jusqu’à
la loi du 23 octobre 1984.
Loi du 23 octobre 198418 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence
financière et le pluralisme des entreprises de presse a alors pris en compte la nécessité de concilier
l’activité économique de l’entreprise de presse et son objet premier qui est de servir l’intérêt
général. C’est ainsi que l’entreprise de presse va alors se doter d’une définition juridique et que la
création d’un statut juridique spécifique va être amorcée par le législateur.
B. L’entreprise de presse soumise aux enjeux liés à l’intérêt général
La loi de 1884 est venue définir l’entreprise de presse comme « une personne physique ou
morale ou un groupement de droit ou de fait de personnes physiques ou morales (…) qui édite ou
exploite une ou plusieurs publication ». La définition retenue par la loi est très large et permet ainsi
de faire rentrer dans le champ d’application de la loi un grand nombre de société de presse.
Cette loi ne procède pas seulement à une définition des entreprises de presse mais impose des
limites aux concentrations dans le secteur des quotidiens Nationaux ou Régionaux. En effet, la loi
de 1984 renoue avec le principe qui avait dominé les ordonnances de 1944 : « un homme, un
journal ».
Ainsi, la loi imposait un certain nombre de restrictions aux acquisitions dans ce secteur,
c’est d’ailleurs à partir de cette loi que les acquisitions dans le secteur de la presse sont devenues de
véritables contraintes pour les investisseurs.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a censuré la plupart des dispositions essentielles de la loi
dans une décision des 10 et 11 octobre 198419 et notamment son article 13 alinéa 2 qui imposait aux
entreprises de presse dépassant le seuil de concentration imposé par la loi avant la promulgation de
la loi, à se conformer à ces seuils. Ainsi, la loi imposait aux entreprises de presse ayant acquis au
18
19
Loi n°84-937
Cons. Const., 10 oct. 1984, N°DC, Entreprises de presse, Jo 13 oct.
25
delà des seuils auparavant, à remettre en cause leur situation rétroactivement. Bien qu’ayant privé la
loi de ses effets, le Conseil Constitutionnel a profité de l’opportunité que lui offrait ce contrôle afin
de reconnaître à la liberté de la presse une valeur constitutionnelle. Ainsi, lors de cette décision, le
Conseil constitutionnel fait de la liberté de la presse une condition première de l’épanouissement de
l’ensemble des droits fondamentaux, en concourant directement à la formation de l’opinion public
qu’elle éclaire20. Le conseil procède aussi à la consécration du principe du droit des lecteurs à
l’information en précisant qu’ils sont les destinataires de la liberté de la presse.
La loi de 1984 a alors subi la malédiction de toutes les précédentes tentatives de
réglementation des entreprises de presse en ne produisant que des effets mineurs sur la
réglementation des entreprises de presse.
Enfin, les lois des 1er août et 27 novembre 198621 ont consacré un véritable statut juridique
aux entreprises de presse. Ce statut a alors consisté en la conciliation de l’activité économique des
entreprises de presse et les enjeux liés à l’intérêt générale. Ainsi la loi du 1er aout 1986 définit
l’entreprise de presse de façon plus précise qu’en 1984. En effet, elle définie en premier lieu
l’entreprise de presse comme une « entité juridique et économique éditant une publication de
presse », pour ensuite définir l’expression « d’entreprise éditrice comme toute personne physique
ou morale ou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire-gérant, une
publication de presse » dans son article 2. Cette définition est en effet nettement plus restrictive que
la définition adoptée en 1984.
Au delà, de la définition des entreprises de presse, la loi du 1er août 1986 dote l’entreprise
d’un véritable statut juridique en imposant un seuil de concentration de 30% dans les entreprises de
presse. Cependant, ce point fera l’objet d’un développement particulier compte tenu de son
importance pour le développement des acquisitions dans ce secteur.
La loi du 1er aout 1986 a aussi permis au Conseil Constitutionnel de réaffirmer la valeur
constitutionnelle de l’objectif de pluralisme considéré comme une garantie fondamentale du droit à
l’information des lecteurs. C’est d’ailleurs sur ce point que le Conseil se fonde pour déclarer
contraire à la Constitution l’article 11 de la loi.
20
Lebreton
21
Loi n°86-897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse
26
Dès lors, le législateur a ainsi adopté un certain nombre de mesures visant à protéger et à
assurer l’indépendance de la presse et du pluralisme des courants de pensées et d’opinions. En effet,
le journaliste a vocation à stimuler le débat public et à nourrir la santé démocratique de la nation, de
sorte qu’il est indispensable de sauvegarder son indépendance intellectuelle. Cette indépendance
s’est d’ailleurs manifestée durant de nombreuses années par la détention de sociétés de rédactions
par les journalistes eux-mêmes. En effet, l’indépendance du journaliste est essentielle à l’exercice
de la liberté de la presse, c’est ce qui a motivé l’adoption des lois anti-concentration dans ce
secteur. Le cas de la société Socpresse amène à une réflexion, comment un journaliste d’une
rédaction détenue par Serge Dassault osera t-il aborder des sujets susceptible de « froisser » son
actionnaire principal ?
Ainsi, liberté de la presse et intérêt économique ne font pas bon ménage, c’est la raison pour
laquelle le législateur a mis en place un dispositif permettant de limiter les effets des prises de
participation d’investisseurs puissant dans les entreprises presse et plus généralement dans le
secteur des médias.
27
II.
Une
nécessaire
fondamentaux
conciliation
des
principes
La liberté de la presse et ses corollaires ont fait l’objet d’un grand nombre de textes en droit
interne et en droit international, de sorte que ce principe fondamental est la condition première de
l’épanouissement de l’ensemble des droits fondamentaux, en courant directement à la formation de
l’opinion publique qu’elle éclaire.22
Par ailleurs, la liberté d’entreprendre a été elle aussi, consacrée par une multitude de texte et
notamment par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. La jurisprudence
par la suite a alors fait découler de ce principe la liberté de commerce et de l’industrie au fil de ces
décisions. En effet, Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie a été consacré, par le
Conseil d ’Etat, en tant que principe général du droit applicable même sans texte23 .
Ainsi, le secteur de la presse repose comme nous l’avons vu sur une activité hybride qui mêle
un objet commercial indispensable à sa survie et la nécessaire réalisation d’un objectif d’intérêt
général. Le législateur aguillé par la jurisprudence a donc dû procéder à une conciliation de ces
deux principes fondamentaux.
En effet, le principe de pluralisme consacré comme outil indispensable à la liberté de la
presse (A) a dû être concilié avec la liberté d’entreprendre, toutefois, il semble que le principe de
pluralisme ait été plus fort que le principe de la liberté de commerce et de l’industrie, puisque le
législateur a été amené à limiter ce principe par des mesures de nature à sauvegarder la liberté de la
presse dans un système libéral tel que le notre (B).
22
Lamy Droit des médias et de la communication – juin 2007 (203-31)
23
Conseil d ’Etat. Ass. 22 juin 1951, Daudignac ;
Conseil d ’Etat. ass.13 mai 1983, société René Moline
28
A. Le pluralisme : outil indispensable à la liberté d’expression
Le principe de pluralisme des courants de pensées et d’opinions ne figurait pas dans l’article
11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui consacrait une conception classique
de la liberté de la presse. Dès lors, c’est à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi de
1984 que le principe de pluralisme est alors apparu comme corollaire du principe de la liberté
d’expression pour ne pas dire son outil de réalisation. En effet, dans sa décision des 10 et 11
octobre 1984, le Conseil Constitutionnel a affirmé que « le pluralisme des quotidien d’information
politique et générale (…) est en lui-même un objectif à valeur constitutionnelle ; qu’en effet la libre
communication des pensées et des opinions garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen, ne serait effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’étaient
pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères
différents ». C’est ainsi que le Conseil procède à une conception duale et extensive de la liberté de
la presse.
De plus, la reconnaissance d’objectif de valeur constitutionnel du principe de pluralisme rend
compte de la volonté du Conseil d’encourager la compétence du pouvoir législatif. En effet, la
notion d’objectif à valeur constitutionnelle dégagée par le Conseil au regard du Préambule de 1946,
dans une décision de 1971 qui a intégré ledit Préambule à la Constitution de la Vème République
fait ainsi rentrer dans le champ des normes auxquelles le législateur est tenu de se conformer24, le
principe de liberté de la presse et le principe de pluralisme.
La doctrine du Conseil Constitutionnel a alors été confirmée chaque fois qu’il en a eu
l’occasion. C’est ainsi qu’en 1986, le Conseil rappelle que le droit à l’information des lecteurs est
garanti par l’objectif à valeur constitutionnel de pluralisme.
Parallèlement à la consécration jurisprudentielle du principe de pluralisme par les sages du
Conseil, ces derniers ont peu à peu admis une restriction au principe de liberté d’entreprendre
lorsque ces restrictions tenaient à un objectif d’intérêt général. Cette position a d’abord été prise
lors de l’examen de la loi modifiant la loi de privatisation de 1986, en effet, le Conseil retenait que
« la liberté d'entreprendre n'est ni générale, ni absolue ; qu'il est loisible au législateur d'y apporter
des limitations exigées par l'intérêt général à la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence
24
Rapport A. Lancelot (décembre 2005)
29
d'en dénaturer la portée
25
». Ainsi cette admission de la restriction de la liberté d’entreprendre au
profit de l’intérêt général avait une portée générale en 1989.
Ces restrictions ont été admises en 2000 dans le cadre spécifique de la conciliation avec
l’objectif à valeur constitutionnel de pluralisme. En effet, dans sa décision du 20 juillet 200026, le
Conseil considérait que « la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen ; qu'il est cependant loisible au législateur de lui apporter des limitations
justifiées par l'intérêt général ou liées à des exigences constitutionnelles ; (...) que, par suite, il
incombe au législateur, en fixant les règles tendant à la préservation du caractère pluraliste des
courants d'expression socioculturels, de veiller à ce que leur application ne limite pas la liberté
d'entreprendre dans des proportions excessives au regard de l'objectif constitutionnel du
pluralisme ». Ainsi, le Conseil vient ici confirmer la possibilité pour le législateur de prendre des
mesures restrictives quant à la liberté d’entreprendre tout en imposant que ces mesures soit
proportionnées à l’objectif recherché.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a elle aussi, permis de conférer au principe de
pluralisme une force telle qu’elle impose la restriction mesurée de la liberté d’entreprendre. En
effet, l’analyse de la jurisprudence de cette juridiction démontre sa volonté de protéger et de
promouvoir de la manière la plus effective qui soit la liberté de la presse et des médias27.
En effet, dans l’affaire Handyside c/ Royaume-Uni, la Cour définit le pluralisme comme l’un
des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son
progrès.
A partir de cette décision du 7 décembre 1976, la Cour Européenne des Droits de l’Homme
n’a cessé d’interpréter l’article 10 de la Convention de manière extensive afin de protéger la liberté
d’expression au sein de l’Europe. En effet, la protection de la liberté d’expression par la Cour s’est
alors peu à peu développée au regard des droits des journalistes (secret des sources et liberté
d’opinion) et du droit à l’information du public28. Il convient toutefois, de relever que le
paragraphe2 de l’article 10 de la Convention permet des dérogations à ce principe de la liberté de la
presse. Cependant, ces restrictions au principe de liberté de la presse sont soumises à un contrôle
strict de la Cour E.DH et des juridictions internes. En effet, au fil de sa jurisprudence la Cour est
25
Décision n° 89-254 DC du 4 juillet 1989
26
Décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000
27
Lamy droit des médias et de la communication. Juin 2007 ; 203-33.
28
CEDH, 26 nov. 1991, Sunday Times n°2
30
venue préciser que ces restrictions devaient répondre à des critères strictes. En conséquence,
l’ingérence doit être prévue par la loi, cette loi doit être prévisible, précise et accessible, d’autre
part l’ingérence dans la liberté de la presse doit viser un but légitime et être proportionnée et
nécessaire dans une société démocratique29.
Au regard de l’importance que les Hautes juridictions Nationales et Internationales ont
conférées au principe du pluralisme, il a semblé nécessaire pour le législateur de mettre en œuvre ce
principe en imposant certaines restrictions au principe de liberté d’entreprendre. En effet, alors que
le droit commercial commun consacre ce principe, des mesures dérogatoires ont été prises par les
pouvoirs publics afin de préserver le pluralisme dans la presse.
B. Des limitations nécessaires au principe de la liberté d’entreprendre
L’objectif à valeur constitutionnelle du principe de pluralisme a conduit le législateur à
prendre des mesures permettant d’atteindre cet objectif. Comme nous l’avons vu précédemment, les
influences financières qui ont eu lieu lors de la seconde Guerre Mondiale a conduit le secteur de la
presse à perdre son indépendance. Dès lors, il est apparu indispensable pour les pouvoirs publics de
mettre en œuvre des mesures permettant l’indépendance éditoriale de la presse.
D’une façon générale, le législateur a mis en place un régime spécifique des entreprises de
presse. Ces mesures spécifiques résident dans un régime dérogatoire au droit de la concurrence
limitant les concentrations dans le secteur (1) ainsi que les prises de participations étrangères (2) et
dans un aménagement spécifique des transmissions de société (3).
Ces mesures guidées par la volonté de préserver l’indépendance de la presse et donc par
conséquent d’atteindre l’objectif de pluralisme, sont cependant de réelles contraintes pour les
investisseurs dans le secteur de la presse alors que face à la crise, ces entreprises ont besoin de
fonds pour survivre.
29
CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France
31
1. Les mesures anti-concentration
La presse fait l’objet de mesures très protectrices quant aux concentrations dans son secteur,
en effet, celle-ci se voit imposer une mesure anti-concentration spécifique à la presse (a), ainsi
qu’une mesure anti-concentration globale à tous les médias (b).
a) Le dispositif anti-concentration spécifique à la presse
La notion de concentration est définie par l’article L.430-1 du Code de Commerce30, ainsi la
concentration peut intervenir par fusion, prise de contrôle ou création de filiales communes
accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome31. Celleci est apparue dangereuse pour la sauvegarde de l’indépendance de la presse, de sorte que le
législateur est intervenu à de multiples reprises afin de réduire ce risque.
Ainsi, les mesures anti-concentration consistent en la limitation des participations financières
dans le secteur des médias, de sorte que « les puissances d’argent » ne puissent opérer un contrôle
total sur le contenu rédactionnel des publications.
La première intervention des pouvoirs publics dans ce domaine remonte à l’ordonnance de
1944 qui avait fait du principe « un homme, un journal » le principe à adopter. Cependant,
l’ordonnance n’a pas produit les effets escomptés de sorte que le législateur a souhaité intervenir en
1984.
Cette tentative de 1984 a toutefois était déjouée par le Conseil Constitutionnel qui a censuré
partiellement la loi visant à réduire les concentrations dans le secteur de la presse. Toutefois,
certains aspects de la loi de 1984 sont de nos jours toujours en vigueur. En effet, la mesure anticoncentration élaborée en 1984 visait les publications quotidiennes d’information politique et
générale, excluant ainsi la presse magazine et spécialisée.
Cette mesure avait donc pour objet de limiter les prises de participation dans les entreprises
de presse, cette limitation a alors mise en œuvre par la fixation d’un seuil, principe qui est toujours
en vigueur actuellement, bien que le seuil lui-même ait été modifié par la loi de 1986. Enfin, la
nature des mesures destinées à en garantir le respect mêlant ainsi sanctions civiles et pénales a été
maintenue dans le dispositif actuel.
30
Annexe 1
31
Rapport M. Lancelot sur les problèmes de concentration dans les médias
32
Ainsi, alors que la loi de 1984 avait posé les principes de cette mesure anti-concentration, la
loi du 1er aout 1986 est venue l’adapter au regard d’une part des observations faite par le Conseil
Constitutionnel et des circonstances de l’époque.
L’article 11 de la loi de 198632 interdit donc , à peine de nullité, l’acquisition, la prise de
contrôle ou la prise en location-gérance d’une publication quotidienne imprimée d’information
politique et générale lorsque cette opération a pour effet de permettre à une personne physique ou
morale ou à un groupement de personnes physiques ou morales de contrôler, directement ou
indirectement, des publications quotidiennes imprimées d’information politique et générale dont le
totale de diffusion excède 30% de la diffusion sur le territoire national de toutes les publications
imprimées de même nature. Ce dispositif amène plusieurs observations.
- Un champ d’application restreint :
Tout d’abord, les mesures anti-concentration ne visent que la presse « quotidienne
imprimée », cette expression sous-entend donc que leur zone de diffusion est indifférente de sorte
que cette mesure s’applique autant à la presse régional que nationale. Cette notion exclue en
revanche toute la presse hebdomadaire ou mensuelle d’une part et la presse en ligne qui n’est pas
imprimée.
Ensuite, le dispositif vise « la presse d’information politique et générale ». En effet,
l’indépendance de la presse prend toute son importance dans ce type de presse, bien plus que dans
la presse people. Toutefois, ce point a fait l’objet de controverse puisque la loi n’a pas défini la
notion de presse d’information politique et générale. Certains auteurs en ont déduit une définition
de cette notion au regard de la notion de « périodique » défini par la loi du 27 décembre 1977, ainsi
pour eux, cette notion renverrait à des publication apportant des informations et des commentaires
tendant à éclairer le jugement des citoyens, qui consacrent en moyenne à cet objet plus du tiers de
leur surface rédactionnelles et qui présente un intérêt dépassant d’une façon manifeste les
préoccupations d’une catégorie particulière des lecteurs33.
Cette définition a par la suite, été précisée par la jurisprudence de Cour de Cassation qui dans
un arrêt du 20 décembre 1988 a défini les publications d’information politique et générale comme
« des publications qui par leur contenu, leur présentation et leur distinction, constituent des porteurs
32
Annexe 2
33
Loi du 27 déc. 1977 relative au régime fiscal des publications périodiques
33
d’informations coordonnées et systématisées et des supports de réflexion destinés à ceux qui, du
fait de pouvoir de décision, exercent une action ou une influence politique au sens large »34.
- Définition du seuil de concentration :
Le seuil de concentration est fixé par rapport à la diffusion sur le territoire national de toutes
les publications quotidiennes d’information politique et générale. Ainsi, la diffusion sera
représentée par le nombre d’exemplaires vendus ou par le pourcentage de la totalité des ventes
ayant donnée lieu à paiement, quelque soit le mode de diffusion (vente au numéro, abonnement,
portage et diffusion gratuite).
Ainsi, une personne morale ou physique ou un groupement ne pourra contrôler directement
ou indirectement plus de 30% de la diffusion des publications quotidiennes d’information générale
et politique. Toutefois, au regard de la fluctuation des ventes dans le secteur de la presse, une
période de référence a dû être définie de façon à ce que le taux de diffusion puisse être fondé, le
législateur a donc posé comme période de référence à cette évaluation « les douze derniers mois
connus ».
Par ailleurs, afin de donner une efficacité effective à ce texte, la loi a ajouté une disposition
interdisant les conventions de prête-nom. En effet, cette disposition a pour objet de ne pas permettre
un détournement de la loi qui consisterait à déclarer une acquisition par une personne morale ou
physique permettant un contrôle indirect d’un investisseur ayant déjà atteint le seuil imposé.
D’autre part, afin d’assurer l’effectivité de cette disposition, l’article 4 de la loi impose que les
actions souscrites soit nominative, de cette façon les acquisitions dans les sociétés par actions
pourront être contrôlées et sanctionnées pénalement.
Cependant, la notion de « groupement de droit » conduit à exclure des opérations visées les
participations financières des groupements de fait. Cette ignorance de la loi a donc du être corrigée
par la jurisprudence. En effet, le Tribunal de Grande Instance de Paris est venu préciser que
constitue un groupement toute coopération ou concentration, quelle qu’en soit la forme, entre des
personnes physiques et/ou morales en vue d’une action commune ou d’actions coordonnées35. Bien
que cette définition ait été saluée par une partie des auteurs, d’autres ont relevé que cette définition
trop large ne permet pas la mise en œuvre du dispositif efficacement, c’est d’ailleurs ceci qui a
éviter la sanction pour le groupe Hersant en 1998. En effet, l’impossibilité de caractériser les « liens
34
Cass. com, 20 déc. 1988
35
TGI Paris, 1er ch., 28 janv. 1998, Légipresse 1998, n°152, III, p.82
34
fonctionnels » prouvant un groupement prohibé n’a pas permis d’appliquer le dispositif à ce
groupe.
b) Les concentrations « pluri-médias »
Le législateur a institué des seuils contraignants à la prise de participation directe ou indirecte
dans le capital dans des sociétés du secteur de médias pouvant constituer des concentrations.
Cette mesure plus communément appelée « la règle du 2 sur 3 »36 créer par la loi du 9 juillet
200437 a pour objet de limiter les acquisitions dans le secteur des médias afin de permettre
l’exercice du pluralisme des courants de pensée et d’opinion dans le secteur des médias.
Ainsi, un opérateur devra faire un choix quant aux acquisitions qu’il voudra effectuer dans ce
secteur. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, régulateur des secteurs de l’audiovisuel et de la
radiophonie est chargé de contrôler le respect de cette mesure. De sorte, qu’il sera tenu de refuser
les demandes d’autorisation d’usage de fréquence pour des services de télévision ou de radio
diffusés par voie hertzienne mode analogique ou numérique lorsque l’autorisation aurait pour effet
de placer l’opérateur dans plus de deux des trois situations posées par le texte. En effet, ces trois
situations consistent en :
- l’édition d’un ou plusieurs services de télévision hertzienne desservant au moins 4 millions
d’habitants ;
- l’édition d’une ou plusieurs stations de radio desservant au moins 30 millions d’habitants ;
- l’édition ou le contrôle des quotidiens d’information politique et générale représentant plus
de 20% de la diffusion nationale.
Ce régime anti-concentration pluri-médias a fait l’objet d’un grand nombre de rapports
commandés par les gouvernements successifs afin de modifier le dispositif en place, toutefois
aucun de ces propositions n’ont donné lieu à une réforme.
36
37
Tableau Annexe 3
Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de
communication audiovisuelle
35
Ces mesures anti-concentration ont donc pour objet de permettre la sauvegarde du principe de
pluralisme dans le secteur de la presse et des médias, toutefois ce n’est pas le seul dispositif que le
législateur a mis en place.
2. Les limitations aux prises de participations étrangères
La loi du 1er août 1986 a ajouté une autre spécificité au statut des entreprises de presse. En
effet, alors que les mesures anti-concentration constituent des règles de concurrence spécifique du
secteur de la presse et des médias, la loi est venue imposer la limitation des investissements
étrangers dans les entreprises de presse française.
Dans la poursuite de l’objectif d’indépendance de la presse, l’ordonnance d’après guerre avait
prohibé toutes influences étrangères sur la presse française. Cette mesure qui, comme nous l’avons
vu n’a pas produit ses effets à l’époque, a été allégée par le législateur de 1986. En effet, l’article
738 de la loi de 1986 a limité à 20% les participations financières étrangère dans la presse.
La disposition vise uniquement « les prises de participation dans des entreprises existantes
éditant une publication française », de sorte que seules les acquisitions sont visées par ce texte. A
contrario, les étrangers sont libres de créer une entreprise de presse en France.
Par ailleurs, la loi vient limiter les participations étrangères à 20%, ce taux doit donc être
entendu de façon restrictive. C’est à dire que dans une entreprise éditrice de presse française, les
participations étrangères tous pays confondus ne pourront dépasser 20% du capital social de
l’entreprise ou des droits de vote.
Ainsi, la loi dispose que ceux qui en leur nom personnel ou comme représentant d’une
personne morale, auront été partie à une convention contraire à la limitation des participations
étrangères dans les entreprises de presse encourent un an de prison et une amende de 30 000 Euros.
La notion d’étranger, nécessite cependant d’être précisée. En effet, les ressortissants de
l’Union Européenne sont assimilés aux nationaux par application de l’article 53 du Traité des
Communautés Européennes, qui prohibe les restrictions à liberté d’établissement au sein de
l’Union. Par conséquent, au titre de ce principe rappelé par la Cour de Justice de la Communauté
Européenne dans un arrêt du 21 juin 1974 (Reyners c/ Etat Belge), la limitation instituée par la loi
de 1986 ne s’appliquera pas aux personnes morales et physiques ressortissantes de l’Union
Européenne.
38
Annexe 4
36
La notion de nationalité impose de rester quelques instant sur le problème des sociétés
holding. La nationalité de la société holding permettra ainsi de déterminer si la société est ou non
soumise à cette limitation. Ainsi, la nationalité de la société holding sera déterminée en fonction de
la nationalité de son actionnaire majoritaire. Ceci peut permettre à des sociétés de contourner cette
règle puisque peu importe que les actionnaires étrangers puissent indirectement détenir plus de 20%
du capital social ou des droits de vote de l’entreprise de presse à travers leurs participations dans la
holding tant que l’actionnaire principal est de nationalité française ou assimilée.
Cette brèche pourrait alors permettre à des étrangers de prendre indirectement le contrôle des
entreprises françaises de presse.
Ces mesures limitant la participation financière dans les entreprises de presse constituent
donc de réelles contraintes pour les investisseurs. En effet, l’objectif d’indépendance de la presse a
conduit le législateur à adopter un régime restrictif du droit du droit de la concurrence dans le
secteur de la presse. Toutefois, ce n’est pas le seul aspect de ce régime spécifique, le législateur a
en effet, établie un dispositif spécifique à la transmission des actions détenues par des actionnaires
dans les entreprises de presse.
3. L’agrément de toute cession d’action
Au titre de la nécessaire transparence de la propriété et de l’exploitation des entreprises de
presse, le législateur a adopté des règles plus restrictives que le droit commun des sociétés.
Alors que les opérations de prête-nom ne constituent pas en principe une cause de nullité de
cessions pratiquées par son intermédiaire39, le législateur de 1986 est venu prohiber cette pratique
pour les entreprises de presse. Ainsi, une telle opération effectuée dans une entreprise de presse
constitue une violation de la loi sanctionnée par la nullité de la cession en cause, et d’une sanction
pénale d’un an de prison et de 30 000 euros d’amende.
Par ailleurs, la transmission des parts sociales détenues dans une entreprise de presse fait
l’objet d’un dispositif spécial imposé par le législateur. En effet, l’article 4 de la loi du 1er aout 1986
impose la mise au nominatif des actions ainsi qu’un agrément du conseil d’administration ou de
surveillance pour toute cession même entre actionnaire.
39
Cass. Com, 26 mars 1996
37
Ces obligations s’inscrivent dans la ligne droite de la liberté de la presse et visent ainsi à
protéger les entreprises de presse de l’intrusion forcée de tiers susceptibles de remettre en cause la
ligne éditoriale du journal.
L’article 4 impose donc un agrément obligatoire à toute cession d’actions. Cette disposition
constitue une dérogation au droit commun des sociétés. En effet, le droit des sociétés établi comme
principe la libre cessibilité des actions dans les sociétés anonymes sauf en cas d’existence d’une
clause d’agrément dans les statuts de la société. Le but du législateur est donc encore bien affirmé :
la limitation des acquisitions dans le secteur de la presse. La jurisprudence justifie d’ailleurs cette
restriction par le fait que l’absence d’agrément serait contraire au principe selon lequel dans une
société de presse, l’acheteur d’actions choisi par le cédant ne peut en aucun cas être imposé à la
société qui ne l’a pas agrée40.
Il faut cependant relever que cet agrément forcé à la transmission d’action pose un problème
d’équilibre entre la liberté de l’actionnaire et la nécessaire transparence des opérations de
financement dans les entreprises de presse. En effet, cette obligation d’agrément peut priver
l’actionnaire de se libérer de ses actions en absence d’accord préalable des autres actionnaires.
L’agrément obligatoire imposé par le texte a pour effet de limiter les participations dans les
entreprises de presse, cependant son effet est double puisque l’agrément constitue d’une part une
barrière quant à l’accès des investisseurs à ces entreprises, et d’autre part, elle est une source de
préoccupation pour l’investisseur tout au long de sa présence dans la société compte tenu du fait
qu’il ne pourra pas céder librement ces actions.
De plus, le texte vise « toute cession », ce qui implique que les transferts successoraux seront
eux aussi soumis à l’agrément des actionnaires de la société de presse. En droit commun des
sociétés, la clause d’agrément est par principe écartée en cas de succession, de liquidation de
régime matrimonial ou de cession à un conjoint, ascendant et descendant, or la notion de « toute
cession » exclut ce principe dans le cadre des cessions d’actions dans les entreprises de presse. Ceci
a d’ailleurs été confirmé par la Cour d’Appel par un arrêt du 1er mars 1995.
Une solution permet toutefois de contourner cette obligation d’agrément à toute cession
d’action. En effet, la prise de contrôle d’une société contrôlant une société de presse peut permettre
de contourner l’agrément imposé par la loi du 1er août 1986. En effet, cette solution a été retenue
par la Cour de Cassation dans l’affaire du Midi Libre, la Cour a considéré que la prise de
40
TGI Nancy, 25 avr. 1984
38
participation, même majoritaire, dans le capital d’une ou plusieurs sociétés actionnaires d’une
autre société ne constitue pas, par elle seule, une fraude ayant pour objet ou effet d’éluder des
clauses statuaires de cette société, à défaut d’élément permettant de caractériser cette fraude41.
En définitif, l’obligation d’agrément à toute action d’une entreprise de presse constitue une
véritable contrainte pour les investisseurs. En effet, alors que les autres mesures consistent en la
limitation des acquisitions dans le secteur, cette mesure conduit l’acquéreur à mesurer et à réfléchir
à ces investissements avant d’y procéder, de façon à ce qu’il ne soit pas « coincé » dans une
situation complexe.
Le législateur a donc institué un régime juridique spécifique aux entreprises de presse, en
effet, ce régime dérogatoire au droit commun de société a pour objet de favoriser la transparence du
financement et de la direction des entreprises de presse. Cette transparence qui a animé le
législateur depuis 1944 a pour objectif de protéger l’indépendance de la presse.
Cette indépendance de la presse bien qu’elle réside en grande partie dans le contrôle des
entreprises de presse, nécessite aussi la préservation de l’indépendance de « la création
intellectuelle » que constitue les journalistes, éléments indispensables à l’exercice de la liberté
d’expression, c’est pour cette raison que le législateur a aménagé un régime particulier du droit
social des journalistes.
41
Cass ; com 13 déc. 1994
39
Section 2 – Les journalistes : des salariés atypiques
L’indépendance du journaliste est une question cruciale puisqu’elle est la condition même de
la liberté d’expression. En effet, cette indépendance des journalistes concomitante de leur liberté
d’expression a été à de nombreuses reprises consacrée par la jurisprudence de la Cour Européenne
des Droits de l’Homme notamment. En effet, la conception de cette liberté d’expression est parfois
même considérée comme trop laxiste.
Dans l’affaire Fuentes Bobo c/ Espagne du 29 février 200042, la Cour a en effet admis que des
paroles dénigrantes proférées par un journaliste à l’égard de son employeur à la radio ne constituent
pas une cause de licenciement. Au regard de cette position, on peut constater que la Cour a en effet
une vision extensive de la liberté d’expression des journalistes. En effet, le journaliste est un salarié
particulier puisqu’en ce que le concerne sa qualité de salarié ne relève pas de l’existence d’un lien
de subordination.
Les journalistes professionnels sont donc des salariés atypiques pour lesquels le législateur a
du élaborer un régime dérogatoire au droit social. Ce régime a pour objet de sauvegarder
l’indépendance du journaliste dans l’exercice de ses fonctions, toutefois cette nouvelle spécificité
constitue là aussi une contrainte importante pour les acquisitions dans le secteur de la presse.
Afin de comprendre dans quelles mesures ces spécificités renforcent les contraintes des
investisseurs dans le secteur de la presse, il est nécessaire de définir le statut des journalistes
professionnels (I), pour ensuite apprécier quel est leur pouvoir face aux acquisitions des entreprises
de presse dans lesquelles ils exerce leurs activités (II).
42
Recueil Dalloz Sirey, n° 7 , 15 fév. 2001, pp. 574-579
40
I.
Le statut du journaliste professionnel : consécration
de son indépendance
Une autre manière de promouvoir le pluralisme dans le domaine de presse consiste à garantir
l’indépendance éditoriale des publications.
L’indépendance éditoriale des titres a donc été garantie notamment par la construction d’un
statut particulier des journalistes professionnels. En effet, depuis 1935 les journalistes
professionnels bénéficient d’un régime social spécifique.
Ainsi, le statut des journalistes professionnel revêt une spécificité d’une part du fait de son
activité atypique (A), d’autre part les journalistes eux même constituent des salariés atypiques à la
personnalité forte qui n’est pas sans risque pour d’éventuels investisseurs (B).
A. La définition de l’activité de journaliste
1. Les bénéficiaires du statut de journaliste professionnel
Le statut juridique des journalistes professionnels n’a pas vu le jour en une nuit. En effet, le
statut des journalistes tel que nous le connaissons aujourd’hui a été élaboré à travers trois textes
fondamentaux.
Tout d’abord, la loi du 29 mars 1935 dite « loi Brachard » a initié un statut juridique des
journalistes professionnels, celle-ci a ensuite été complété par la loi du 4 juillet 1974 par la loi
« Cressard » qui reste le pilier numéro un de ce statut particulier. Enfin, la Convention Nationale
des Journalistes signée le 11 novembre 1976 et étendue en 1988 par arrêté ministériel constitue le
dernier pilier sur lequel repose le statut juridique des journalistes professionnels.
La profession de journaliste soulève en premier lieu une particularité dans la façon d’acquérir
le statut du journaliste. En effet, pour les journalistes c’est l’activité de ces derniers qui leur
permettra d’acquérir la qualité de journaliste et par conséquent de pouvoir bénéficier des avantages
que procure cette qualité. Les articles L. 7111-3 al.1 et L. 7111-5 du Code du travail définissent
ainsi le journaliste comme étant la personne qui a pour activité principal, régulière et rétribuée,
l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de publication quotidienne
41
ou périodique ou dans une agence de presse ou encore dans une ou plusieurs entreprises de
communication au public par voie électronique et qui tirent l’essentiel de ses ressources.
Cette définition paraît toutefois vague, de sorte que la jurisprudence est intervenue pour
clarifier la situation des journalistes. En effet, alors qu’un grand nombre de journalistes ont tenté de
se faire reconnaître la qualité de journaliste au motif qu’ils étaient titulaires d’une carte de presse, le
Conseil d’Etat est venu rappeler que la détention de cette carte ne permet pas en elle-même de
conférer à son titulaire la qualité de journaliste.
La jurisprudence a alors « complété » les dispositions législative en retenant des critères
d’identification de la profession de journaliste. Ainsi, trois critères cumulatifs ont été retenus.
En premier lieu la qualité de journaliste sera définie en fonction de la nature de l’activité de
journaliste. En effet, la jurisprudence a d’abord définie l’activité de journaliste comme une activité
constituant une collaboration intellectuelle et permanente à un publication en vue d’informer les
lecteurs. On remarque bien qu’ici le Conseil d’Etat a réuni tous les éléments fondamentaux qui font
du journaliste un salarié atypique.
Ensuite, le second critère réside dans les caractéristiques de l’activité de journaliste. En
effet, la jurisprudence a dégagé quatre conditions cumulatives qui une fois réunies permettront de
remplir de caractériser l’activité de journaliste. L’activité de journaliste est caractérisée par une
activité principale, régulière, rétribuée dont le journaliste tire ses principales ressources. Ces
critères sont appréciés de façon très stricte par la jurisprudence qui procède à une évaluation de
chacun des critères. En conséquence pour déterminer si l’activité de journaliste est régulière, les
juridictions s’appuient sur la durée de travail effectuée par le journaliste ainsi que sur le volume de
la production. En effet, la Cour d’Appel de Paris a refusé de reconnaître la qualité de journaliste à
une personne ayant exercé cette activité 40 heures sur le mois.
La qualité de journaliste sera de plus, attribuée en fonction de la qualité du bénéficiaire de
cette activité. C’est à dire que les juges vérifieront si le journaliste a bien effectué son activité pour
le compte d’une entreprise ou une agence de presse ou une entreprise de communication au public
par voie électronique. Cette dernière nécessite que l’on s’y arrête quelque instants, en effet alors
que la presse écrite subit de plein fouet l’évolution de la presse sur internet, il était nécessaire de
savoir si les « cybers journalistes » pouvaient accéder à ce statut particulier. Alors que la loi était
42
restée silencieuse sur ce point, le Conseil d’Etat43 a précisé que le mode de diffusion de la presse sur
internet ne fait pas obstacle à la qualité de journaliste. Toutefois, le cyber journaliste ne devra pas
se contenter de mettre en ligne de l’information brute, cette activité doit en effet, être le résultat
d’un travail de sélection, de hiérarchisation, d’analyse et de mise en forme de l’information.
Le Code du travail permet aussi à certaines professions assimilées de bénéficier du statut de
journaliste, dés lors que ceux-ci sont correspondants à l’étranger ou locaux des journaux
nationaux44 et collaborateurs direct des rédactions45.
2. Le contrat de travail des journalistes professionnels : sauvegarde de l’indépendance
intellectuelle
Les journalistes, dès lors que leur activité répond aux critères définis précédemment, sont
soumis au droit du travail, toutefois compte tenu de leur spécificité ils bénéficient d’un régime
dérogatoire au droit commun du travail. En effet, les journalistes ne sont pas des salariés comme les
autres, ils doivent pouvoir garder leur indépendance intellectuelle intacte pour servir l’intérêt
général.
Dés lors, les journalistes professionnels bénéficie d’une présomption de salariat. Cette
présomption résulte du fait qu’il travail dans des circonstances si particulières qu’ils sont parfois à
la limite de l’indépendance. Le législateur conscient que cette indépendance de fait pouvait
conduire les journalistes dans des situations précaires, a institué cette présomption de salariat en
1974. Ainsi, le journaliste professionnel bénéficie des avantages du salariat en l’absence de contrat
de travail d’une part et d’autre part en l’absence de lien de subordination. Cette absence de lien de
subordination est en effet indispensable à l’indépendance intellectuelle des journalistes
professionnels, c’est pourquoi le législateur a élaboré ce régime particulier.
Bien que cette présomption ne soit qu’une présomption simple, la jurisprudence vient
régulièrement la protéger. En effet, en 2004, la Cour de Cassation46 est venue confirmer que cette
présomption avait un caractère d’ordre public et par conséquent les parties ne pouvaient y déroger.
Outre la présomption de salariat qui constitue un avantage considérable pour les journalistes,
ceux-ci se sont vus appliquer un régime plus souple concernant le contrat de travail lui-même. En
43
CE, 26 juil. 2007
44
Cass. ch. soc, 31 juil. 2007
45
Art. 7111-4 Code du travail
46
Cass. ch. Soc, 3 mars 2004
43
effet, compte tenu du caractère temporaire de l’activité, le législateur autorise de façon plus large
qu’en droit commun le recours au Contrats à Durée Indéterminée.
Ces spécificités permettent donc aux journalistes d’exercer leur activité dans des conditions
plus souples que les travailleurs traditionnels. La phase de rupture du contrat de travail des
journaliste constitue elle aussi une particularité de ce statut. C’est d’ailleurs, ce point qui permet
aux journalistes de « jouer » sur les acquisitions dans le secteur de la presse. Ce point sera donc
détailler dans un autre point.
Les journalistes se voient donc conférer un statut particulier qui leur permet de bénéficier du
statut de salariés sans que ceux-ci ne soient soumis aux contraintes traditionnelles des salariés.
Ainsi, cette spécificité vient renforcer la personnalité forte dont sont dotés les journalistes.
B. Des salariés à la personnalité forte
Dans le secteur de la presse, les employés ne sont donc pas des employés « classiques »,
puisqu’ils jouissent d’un statut social comme nous l’avons vu. En effet, la « clause de conscience »
que nous étudierons plus tard, est un exemple du pouvoir qu’ils détiennent sur l’avenir des
entreprises dont ils « dépendent ».
Ce qu’il est important de souligner ici est que le secteur de la presse est l’un de ceux où l’on
rencontre des personnalités fortes et qu’il s’agit donc d’un univers fortement syndiqué, ce qui peut
effrayer plus d’un investisseur. Il semble logique en effet que le journaliste, qui se bat au quotidien
pour défendre ses convictions politiques et s’engage dans chacun de ses écrits, sache également se
mobiliser pour défendre ses intérêts. C’est d’ailleurs grâce à leur mobilisation historique et leur
appartenance à différents syndicats, que ces derniers ont pu obtenir certains avantages sur le plan
salarial par exemple. Ainsi, ont-ils obtenu le droit de percevoir un 13ème mois.
La puissance des syndicats dans ce secteur se perçoit en premier lui par leur nombre.
44
On compte en France six syndicats de journalistes :
- Le Syndicat national des journalistes : qui est le syndicat le plus important et qui est le seul
syndicat autonome
- Le SNJ-CGT
- Le Syndicat des journalistes- FO
- L’Union syndicale des journalistes- CFDT
- Le Syndicat des journalistes- CFTC
- Le Syndicat des journalistes- CGC
Mais l’important n’est pas tant le nombre de syndicats que celui des syndiqués. En effet, plus
de la moitié des journalistes sont syndiqués. Ainsi, quiconque souhaitant investir dans ce secteur
sera tôt ou tard confronté aux problèmes des grèves et revendications salariales. On se souvient par
exemple des grèves des salariés de France Soir qui s’étaient mobilisés contre le plan de
restructuration envisagé par la Direction pour sauver le journal. Mais la situation où la grève a le
plus de chance d’éclater demeure la vente du journal et c’est pourquoi elle constitue une réelle
contrainte et menace pour les investisseurs. En effet, craignant un changement de la ligne éditoriale
suite à l’entrée d’investisseurs extérieurs dans le capital de leur journal, les journalistes n’hésiteront
pas à lancer un mouvement de grève afin d’éviter la cession envisagée. Ainsi, les journalistes de
Libération se sont-ils mis en grève en 1995 afin d’empêcher Messieurs Riboud et Seydoux de
racheter leur journal. Par ailleurs, les salariés d’ Emap France, que sa maison mère voulait céder, se
sont mis en grève exigeant l’adoption et la signature par les repreneurs d’une charte sociale portant
sur la garantie de leurs emplois, la pérennité des accords collectifs mais aussi sur le versement
d’une prime de transition substantielle : de quoi effrayer les repreneurs potentiels notamment les
fonds d’investissement ! Notons cependant que certains investisseurs parviennent parfois à rassurer
la rédaction et à éviter les grèves lors du processus d’acquisition. Ainsi, lorsqu’il est entré au capital
de Libération, Edmond de Rothschild s’est engagé à ne jamais détenir plus de 40 % des droits de
vote du journal, ce qui a satisfait la majorité des salariés et a permis un processus d’acquisition
paisible. D’autres solutions peuvent être envisagées afin d’apaiser le climat social lors d’une
acquisition comme par exemple la mise en place d’un système d’intéressement.
Il faut ajouter cependant que les journalistes ne sont pas les seuls à savoir se mobiliser. Leurs
confrères imprimeurs semblent eux aussi tout à fait capables de faire valoir leurs intérêts. En effet,
45
l’organisation syndicale des ouvriers de l’édition est très ancienne et fût renforcée par la création de
la Fédération des Ouvriers du Livre qui leur a permis d’obtenir un certain nombre de privilèges
salariaux. Ces syndiqués du monde de l’imprimerie se mettent régulièrement en grève et s’opposent
notamment aujourd’hui aux modernisations des ateliers et du système de distribution de la presse
dont dépend pourtant la survie de la profession. C’est ainsi que la grève des imprimeurs du Monde a
conduit la rédaction à mettre en place une édition PDF le 5 janvier 2010.
Ainsi, le poids des syndicats est historiquement élevé dans le secteur de la presse et de
l’édition en France et en ce sens peut représenter une véritable contrainte pour les investisseurs. Si
les investisseurs français n’ignorent en général pas cette spécificité, les investisseurs étrangers eux,
n’en sont pas toujours conscients. On ne saurait que trop leur conseiller de prendre en compte la
puissance syndicale dans ce secteur avant d’investir dans une société de presse française.
II.
Un pouvoir fort sur le sort des investissements
Le statut atypique des journalistes professionnel leur confère comme nous l’avons vu une
liberté considérable dans l’exercice de leur profession. Ce pouvoir est de plus renforcé dans le cadre
de la rupture du contrat de travail qui les lie à leur rédaction. C’est ce pouvoir considérable qui
constitue une difficulté supplémentaire pour les acquisitions dans ce secteur. En effet, le statut
particulier des journalistes comporte des risques important pour les investisseurs dans ce secteur.
Ces risques sont de deux ordres : d’une part, les salariés des entreprises de presse bénéficient d’un
régime d’indemnisation important qui constitue des charges importantes pour les entreprises,
d’autre part, ce régime prévoit la possibilité pour les journalistes de démissionner dans le cas où
l’entreprise subirait des changement auxquels ils n’adhèrent pas. Cette faculté constitue en effet, un
risque important pour l’investisseur qui peut voir la colonne vertébrale de l’entreprise qu’il souhaite
acquérir quitter le navire.
A. La démission du journaliste : nouvel avantage
La démission des journalistes constitue un aspect important du statut social des journalistes.
Alors que le droit commun du droit du travail fait de la démission une réelle contrainte pour les
salariés en leur retirant tous droit à des indemnités, le régime dérogatoire des journalistes en fait un
avantage.
46
En effet, au titre de l’article L. 7112-5 du Code du travail permet aux journalistes de
démissionner tout en bénéficiant des indemnités de chômage et de licenciement. Cette mesure
dérogatoire, communément appelée « la clause de conscience » pourra se voir réaliser dans trois
circonstances posées par le texte.
La clause de cession pourra donc être mise en œuvre par le journaliste, tout d’abord dans
l’hypothèse de la cession de l’entreprise de presse. Cette possibilité laissée aux journalistes est
dérogatoire à la règle d’ordre public qui impose par principe le transfert automatique des contrats
de travail. Toutefois, la jurisprudence est venue préciser que la « cession » doit s’entendre comme
la prise de contrôle de la société éditrice de publication.
Ensuite, une autre situation est envisagée par le texte. La cessation de la publication permet
au journaliste de faire jouer sa clause de conscience, cependant cette circonstance comporte un
intérêt marginal puisque dans l’hypothèse d’une cessation de publication, le journaliste sera
licencié.
Enfin, la clause de conscience pourra être utilisée par le journaliste dans le cas où un
changement notable de caractère ou d’orientation de l’entreprise de presse dans laquelle il travail
serait de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation et à ses intérêts moraux. Cette notion
de « changement notoire d’orientation » relève une difficulté d’appréciation. En effet, afin que cette
justification soit recevable, il est nécessaire que ce changement ait été perçu par tous et non pas
seulement par le journaliste en question. La Chambre Sociale 47 qui a régulièrement dû interpréter
cette notion semble cependant tendre vers une appréciation large de ce changement d’orientation.
C’est dans ce cadre que la Cour d’Appel de Paris a récemment admis le recours à la « clause de
conscience » de F.Aubenas face au rachat du quotidien Libération en 2006 par E. de Rothshild dont
il est désormais propriétaire à 38,9%.
Cette faculté offerte aux journalistes a donc pour objet de leur permettre de démissionner sans
perdre les avantages acquis par leur ancienneté. La mise en œuvre de cette clause fait peser
d’importants risques sur les entreprises de presse et plus précisément sur les investisseurs puisque
compte tenu de sa définition elle sera le plus souvent invoquée lors de l’apparition de nouveaux
acquéreurs.
47
Ch. Soc, 17 avr. 1996 ; la Cour a admis l’exercice de la clause de conscience d’un journaliste dont le
changement d’orientation prenait la forme d’un magazine à un magazine people.
47
B. La mise en œuvre de la clause de conscience : contrainte pour les
investisseurs
La clause de cession n’est soumise à aucun formalisme particulier, de sorte qu’aucun délai
n’est imposé au journaliste pour la lever. En effet, la jurisprudence a précisé ce point à travers un
arrêt du 30 novembre 2004 à propos des journalistes de Radio Monte Carlo, toutefois elle a précisé
que la clause ne pouvait pas être invoqué avant que la cession ait eu lieu à propos de la cession
d’RTL.
Le journaliste qui souhaitera démissionner devra respecter un préavis d’un mois sauf dans
l’hypothèse où la raison pour laquelle il invoque la clause de conscience est « le changement
notoire de caractère er d’orientation de la publication ». Ainsi, le journaliste pourra retrouver
rapidement sa liberté.
Ce régime assoupli comporte de réels risques pour les investisseurs. D’une part, l’acquéreur
d’une société de presse devra faire face au départ des journalistes qui constituent la valeur majeure
d’une telle société. Ces départs peuvent constituer une contrainte importante pour l’avenir d’un
journal qui en perdant ses éléments clefs, perdra son public dans la plupart des cas.
D’autre part, le départ des journalistes conduira l’acquéreur à devoir régler les indemnités de
licenciement à ces journalistes. Ainsi, dès son arrivée l’investisseur se verra confronter à des couts
importants. En effet, ce coût ne serait pas signifiant si cette clause n’était utilisée que rarement par
les journalistes, cependant, ceux-ci sont des salariés à la personnalité forte qui ne se prive pas de cet
avantage. C’est ainsi que le rachat de La République du Centre par le Groupe France La Montagne
a conduit 35 journalistes sur 79 à user de cette clause de conscience, autre exemple, lors du rachat
des Echos par LVMH, un quart des salariés ont fait jouer leur clause de conscience.
En tout état de cause, quiconque désire investir dans le secteur de la presse aura soin, avant de
s’engager dans une telle démarche de prendre conscience des risques liées à l’existence de ces
clauses de conscience. De plus, la prise en compte de ce risque spécifique semble pouvoir
influencer le prix des acquisitions.
Le statut juridique des entreprises de presse et de ses salariés constitue donc des contraintes
non négligeables pour les investisseurs dans le secteur de la presse qui viennent compléter les
difficultés économiques auxquelles ces entreprises atypiques doivent faire face. Le secteur de la
presse est donc un secteur difficile à intégrer pour les investisseurs.
48
Chapitre III :
La valorisation d’une société de presse :
un processus complexe pour les investisseurs
Lors d’un processus d’acquisition, l’évaluation de la société cible est certainement l’étape la
plus délicate. En effet, c’est sur cette base que vont s’engager les négociations entre acheteurs et
vendeurs. Elle doit donc être la plus juste possible afin qu’aucune des deux parties ne soit lésée lors
de la transaction.
Trois grandes méthodes sont utilisées par les professionnels afin de valoriser une entreprise :
l’Actif Net Réévalué, les multiples boursiers et transactionnels ainsi que la méthode des flux de
trésoreries futurs. Ces méthodes, complémentaires, fournissent une fourchette de valorisation qui
peut être assez large selon les hypothèses retenues. Malgré cela, elles donnent la plupart du temps,
une représentation assez juste de la valeur de l’entreprise à acquérir et ne posent généralement pas
de difficultés quant à leur utilisation.
Cependant, dans le secteur de la Presse les choses sont un peu différentes. En effet, les
spécificités liées à ce secteur rendent souvent peu applicables ou peu pertinentes l’utilisation de ces
méthodes traditionnelles. L’évaluation d’une société de presse est donc assez complexe. Ceci est
d’autant plus vrai qu’un certain nombre de risques spécifiques à ces sociétés semble pouvoir
influencer de manière considérable leur valorisation.
Les méthodes traditionnelles de valorisation d’investissement ne seront donc pas forcément
utiles pour les investisseurs dans le secteur de la presse, voir même risquées (Section 1), de plus, les
investisseurs devront prendre en compte les risques liés à cette activité lors de la valorisation de
leur éventuel investissement (Section 2).
49
Section 1 - Des méthodes traditionnelles difficilement
applicables
I.
L’actif Net Réévalué
Cette méthode consiste, pour une société, à la valoriser à sa « juste valeur », c’est-à-dire à sa
valeur de marché. Concrètement, il s’agit de réévaluer chacun des postes du bilan de la société à sa
valeur de marché puis d’annuler le montant des actifs dits « sans valeur » comme par exemple, les
frais d’établissements, frais de recherche et développement... Un investisseur obtiendra ainsi une
idée assez juste de la « valeur présente » de la société qu’il envisage d’acquérir. Il pourra alors
formuler une offre sur cette base.
Cette méthode est particulièrement pertinente lorsqu’on cherche à évaluer une entreprise dont
la valeur repose principalement sur l’existence de biens corporels, notamment immobiliers. En
effet, dans ce cas, c’est la valeur comptable des actifs qui figure au bilan de la société. Or celle-ci
n’a souvent rien à voir avec leur valeur de marché, les prix sur le marché de l’immobilier ayant plus
que doublé au cours des dix dernières années. Une fois réévalués à leur valeur de marché, ces actifs
accroîtront donc de manière significative la valeur de la cible ainsi que le montant
de la
transaction.
Mais voilà, dans le secteur de la presse, la valeur d’une entreprise réside davantage dans des
actifs incorporels que dans des actifs corporels et c’est pourquoi la méthode n’est peut-être pas la
plus pertinente. En effet, ce sont principalement les journalistes, pigistes et autres salariés de la
société qui sont à l’origine de la rentabilité et qui créent la valeur d’un journal ou d’un magazine.
Sans eux, ceux-ci ne vaudraient pas grand chose. Certes, il existe bien, dans ces sociétés, quelques
actifs corporels de valeur comme les machines d’impression par exemple, qui auraient pu justifier
l’utilisation de cette méthode. Cependant, dans la mesure où la plupart d’entre elles sont
aujourd’hui vétustes et tendent à être remplacées par des outils informatiques dont la valeur n’a
plus rien à voir avec celle des instruments d’impression traditionnels, la méthode de l’ Actif Net
Réévalué n’est certainement pas la plus pertinente pour évaluer un titre de presse. A moins que
celui-ci ne soit propriétaire de son immobilier, la méthode semble donc peu justifiée dans la mesure
où, comme nous venons de l’étudier, les principaux actifs créateurs de valeur sont des biens
incorporels dont l’évaluation, qui plus est, est loin d’être évidente. La question de l’évaluation
d’éléments incorporels constitue une autre problématique à laquelle seront confrontés les
50
investisseurs avec cette première méthode : quelle valeur donner à la création intellectuelle ?
Comment évaluer les journalistes ? Si ces derniers participent à la rentabilité du journal, tous ne lui
apportent pas, en revanche, la même valeur ajoutée. Avoir Edwy Plenel dans sa rédaction n’est, en
effet, pas la même chose qu’avoir comme rédacteur en chef, le dernier sorti de l’ Ecole Supérieure
de Journalisme. Ceci ne sera d’ailleurs pas sans conséquences sur la valeur de l’entreprise.
Ainsi, on perçoit déjà qu’une société de presse ne peut s’évaluer comme une entreprise
« classique ». Le poids des actifs incorporels dans ce type de sociétés rend délicat et complexe le
processus d’évaluation dans le secteur de la presse.
Cependant, si la méthode de l’ Actif Net Réévalué n’est pas pertinente pour valoriser une
société de presse, on pourrait alors chercher à l’évaluer à l’aide des multiples boursiers et
transactionnels. Or, comme nous allons le voir, ces méthodes semblent, elles aussi,
difficilement applicables dans ce secteur.
II.
Les multiples : une méthode difficilement applicable
au secteur
La méthode des multiples est celle qu’on utilise le plus fréquemment pour valoriser une
entreprise. Elle consiste, pour une société donnée, à l’évaluer à partir d’un multiple de valorisation,
le plus souvent VE/ EBITDA* ou VE/ EBIT*, obtenu à partir d’un échantillon d’entreprises qui lui
sont comparables.
Il existe deux grandes méthodes :
•
Les multiples boursiers : la méthode consiste à sélectionner un certain nombre de
sociétés cotées du même secteur d’activité que la cible qu’on cherche à évaluer puis à
calculer, pour chacune d’entres-elles, plusieurs multiples (VE/ CA* ; VE/ EBITDA* ;
VE/ EBIT *) avant d’en déduire une moyenne. De là on connaîtra la valorisation
moyenne du secteur dans lequel évolue notre cible et on pourra alors obtenir sa valeur
en lui appliquant ce multiple.
•
Les multiples de transactions : cette méthode consiste à recenser les transactions
récentes qui ont eu lieu dans le secteur qui nous intéresse afin de connaître la valeur
moyenne à laquelle les entreprises ont été rachetées. De là, on pourra déduire la valeur
de notre société. Pour cela, il existe un certain nombre de bases de données telles
51
Mergermarket ou SDC Thomson Research par exemple qui répertorient l’ensemble des
deals et fournissent les différents multiples de transactions.
Ces deux méthodes sont à priori très pertinentes car elles reflètent la valorisation d’un secteur
par le marché à un instant « T ». Ceci à une condition cependant : que notre échantillon soit bien
représentatif de l’activité de la cible, en d’autres termes, qu’il soit bien comparable.
C’est sur ce point justement que réside la principale difficulté du secteur de la presse. Comme
il n’existe dans ce dernier, que peu de « pure players », il sera donc assez difficile de trouver des
sociétés réellement comparables. C’est pourquoi la méthode des multiples semble difficilement
applicable à ce domaine. Evaluer une entreprise à partir d’un panel de sociétés peu comparables
risque fortement de fausser la valorisation. En effet, toute valorisation est fonction de la rentabilité.
Ainsi, tous les types de presse ne sont pas valorisés de la même façon. Par exemple, la presse
féminine et la presse professionnelle qui sont aujourd’hui les segments les plus rentables du secteur,
comme en témoigne l’engouement des fonds d’investissements pour ce type de presse48, seront
beaucoup mieux valorisés par les investisseurs que la presse quotidienne, magazines de TV ou de
décoration qui affichent actuellement des rentabilités médiocres. Or, l’utilisation des multiples en
l’absence de « pure players » ne permettra pas de tenir compte de ces différences de rentabilité lors
de l’évaluation. Dès lors, la méthode semble fortement risquée pour les investisseurs, car
susceptible de leur faire réaliser un investissement sur une base erronée. On comprend que si un
acquéreur envisage d’investir sur un segment moyennement rentable, comme celui de la presse
people par exemple, mais qu’il applique pour valoriser la cible, des multiples calculés à partir
d’entreprises beaucoup plus rentables car issues de la presse professionnelle et de la presse
féminine, il risque de « sur-racheter » la société, de l’acquérir à un prix démesuré.
Ainsi, on perçoit bien que l’évaluation d’une entreprise de presse par les multiples n’est pas
aussi évidente que dans les autres secteurs. L’investisseur devra donc évaluer business par business
le titre qu’il envisage d’acquérir s’il veut éviter que son investissement ne se transforme en
véritable gouffre financier. Quant à l’utilisation de la dernière méthode, il s’agit maintenant de
montrer en quoi elle est pertinente mais parfois également difficile à utiliser.
48
Les fonds Cinven, Carlyle et Apax Partners ont acquis Aprovia, premier éditeur de presse professionnelle
en France qui réalisait en 2002 plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires
52
III. La méthode des Flux futurs de trésoreries
Cette méthode consiste à évaluer l’entreprise à partir des flux de trésoreries que celle-ci est
censée générer dans un avenir proche (généralement cinq à sept ans). Sur la base d’un business plan
qui tiendra compte des orientations stratégiques de la société, l’acquéreur sera donc en mesure de
formuler son offre. Mais c’est justement sur ce point que les choses peuvent se compliquer dans le
secteur de la presse. En effet, l’élaboration du business plan lors d’un processus d’acquisition est
généralement issue d’une négociation avec le management. Or dans ce secteur, notamment celui de
la presse quotidienne, ce dernier est souvent peu coopératif et s’opposera la plus part du temps à
toute réorientation stratégique au nom du maintien de la ligne éditoriale. Ces questions d’ordre
stratégique sont même l’occasion pour certains membres journalistes de l’équipe dirigeante
d’exercer la « clause de conscience » dont nous avons parlé précédemment qui leur permet de
démissionner tout en percevant des indemnités. Ainsi, l’obtention d’un business plan et l’utilisation
des Flux de Trésoreries Futures comme méthode de valorisation d’une société de presse ne sera pas
forcément évidente et dépendra en grande partie de la capacité qu’auront les investisseurs à rassurer
le management en place et à établir un dialogue avec ce dernier.
Ainsi donc, la structure des sociétés de presse (absence de pure players) ainsi que la nature de
leurs actifs, rendent complexe la valorisation d’entreprises dans ce secteur. A ces difficultés, il faut
ajouter l’existence de nombreux risques pouvant influencer de façon importante la valeur d’un
produit de presse compliquant davantage encore la valorisation et les acquisitions dans ce secteur.
Section 2 - Des risques à prendre en compte lors de la
valorisation
Comme nous l’avons expliqué en première partie, le secteur de la presse possède de
nombreuses spécificités. Parmi elles, un certain nombre de risques qui doivent être pris en compte
par les investisseurs et leurs conseils (financiers et juridiques) lors de l’évaluation d’un journal. En
effet, ceux-ci sont directement liés au processus d’acquisition et peuvent, s’ils se concrétisent,
générer d’importants coûts pour la cible, une fois la transaction réalisée. C’est pourquoi un
investisseur prudent devra tenir compte de ces risques et chercher à les quantifier afin de négocier
le prix de son acquisition. Il évitera ainsi que son investissement ne se transforme en « gouffre
financier ».
53
Les principaux risques susceptibles d’influencer la valorisation d’une société de presse lors
d’une acquisition sont, comme nous allons le voir : le risque d’exercice de la clause de cession (I),
celui lié au statut « ambigu » des pigistes (II), ainsi que le risque fiscal (III).
I.
La clause de cession
Le rachat d’une société de presse constitue l’un des cas définis par le Code de Travail qui
autorise le journaliste à exercer une « clause de cession » s’il estime que le changement de contrôle
qui s’opère au sein de sa publication peut remettre en cause son indépendance. Concrètement, cette
clause lui donne le droit de démissionner tout en percevant des indemnités. L’exercice de cette
clause suite à la cession d’un journal est donc génératrice de coûts financiers (directs et indirects)
pour l’entreprise cédée qui peuvent peser fortement sur sa valeur. Dès lors, ceux-ci doivent être pris
en compte lors de la phase de pré-acquisition et sont donc susceptibles d’influencer la valorisation
de la cible et par là même le prix d’acquisition. Il faut cependant préciser que ce risque concerne
davantage la presse d’information ou d’opinion, où la question du maintien de la ligne éditoriale est
cruciale, que les autres types de presse.
A. Les coûts financiers directs
Le code du Travail prévoit que tout journaliste exerçant ladite « clause de cession» percevra
l’équivalent d’un mois de salaire par année d’ancienneté, plafonné à quinze mois de salaires. La
sanction financière de cette clause peut donc être très lourde pour les investisseurs. Afin
d’optimiser leurs conditions de sortie, ceux-ci devront tenter de quantifier ce risque et le faire
supporter, en partie du moins, au cédant en jouant sur la valorisation du journal et sur son prix
d’acquisition. Dans le cas contraire, il risque bien d’acquérir un « actif » à un prix P, qui une fois la
transaction réalisée, pourrait voir sa valeur largement diminuer du fait des indemnités qu’il sera
amené à payer. Cependant, la quantification de ce risque n’est pas facile à définir.
Tout d’abord, comment prévoir le nombre exact de journalistes qui envisagent de faire valoir
leur droit de démissionner tout en percevant des indemnités ? Ensuite, comment calculer le montant
de cette indemnisation ? Un audit social et une discussion avec le management peuvent s’avérer
fortement utiles pour les acquéreurs et peuvent les aider à calculer le coût potentiel lié à l’exercice
de cette clause de cession. En se penchant sur le Registre du Personnel, par exemple, les
investisseurs connaîtront le nombre exact de journalistes, le montant de leurs rémunérations ainsi
54
que leur ancienneté dans le journal, autant de facteurs qui entrent en ligne de compte dans la
détermination des indemnités à verser.
Ainsi, un journal dans lequel un nombre important de journalistes approchent de l’âge de la
retraite représente pour un investisseur, un risque beaucoup plus élevé qu’un journal composé
essentiellement de jeunes journalistes. Les premiers, en effet, n’hésiteront pas à saisir l’opportunité
que constitue la vente de leur journal pour partir en retraite anticipée avec un bon montant en
poche. C’est dans ce type de situation que l’exercice de cette « clause de cession » risque
d’influencer le plus le prix d’acquisition et de faire que le montant de la transaction pourra être
sensiblement différent de la valeur théorique de la cible (issue d’une évaluation qui ne tiendrait pas
compte des coûts susceptibles d’être supportés par la cible après l’acquisition).
Cependant, lorsqu’il formulera son offre, l’investisseur devra également prendre en
considération le coût financier indirect que risque d’engendrer l’exercice de cette clause.
B. Les coûts indirects
Les indemnités que la société de presse va devoir payer aux journalistes constituent certes un
coût élevé pour cette dernière, mais là n’est pas la principale menace qui pèse sur elle. En effet, le
risque pour un journal de voir partir ses meilleurs éléments suite à l’exercice de cette « clause de
cession » est hautement plus dangereux. Que vaudra le titre sans ses éléments clefs? En effet, un
journaliste ne se remplace pas si facilement. Certes un nombre important de jeunes diplômés
n’attendent qu’une chose : se faire embaucher par un journal. Mais comment être sûr qu’ils
parviendront à séduire les lecteurs aussi bien que leurs prédécesseurs ? Ceux-ci ont, en effet, acquis
expérience et maîtrise des savoirs-faire qui pourront manquer à la nouvelle équipe en place.
D’autre part, le départ des journalistes aura certainement un impact important sur le ton et le
contenu du titre racheté. Dès lors, les lecteurs continueront-ils de l’acheter ? Quelles conséquences
pour lui en terme de rentabilité dans le cas contraire ? Autant de questions qui nous montrent à quel
point peut être problématique pour une rédaction le départ de ses journalistes historiques. De même
que se passera-t-il si un grand nombre de journalistes décident de quitter le journal le lendemain de
son rachat ? Comment celui-ci continuera-t-il de fonctionner ? En effet, sans journalistes plus
d’articles et sans articles plus de journal. C’est alors la survie de ce dernier qui est en jeu.
Dans les faits certains journaux ont eu à gérer ce type de situations. Ainsi, suite à son rachat
par le groupe Rossel en 2000, la Voix du Nord a dû faire face au départ de 120 de ses 285
rédacteurs, ce qui a paralysé pour un temps le fonctionnement du journal. A une moindre mesure,
55
Serge Dassault, suite à son rachat auprès de la famille Hersant de la Socpresse en 2004, a dû
remplacer dans l’urgence plus de 10% de ses journalistes. Or, intégrer une nouvelle équipe de
journalistes demande du temps. La phase de transition qui suit le départ des journalistes peut donc
peser fortement sur la rentabilité d’une société de presse.
C’est à cause de ces différents risques financiers qu’un investisseur désirant acheter une
société de presse devra accorder une attention particulière à la phase de due diligence. Au cours de
celle-ci, il aura accès aux différents documents sociaux de la société et connaîtra ainsi l’âge et
l’ancienneté des journalistes, le montant de leurs rémunérations, etc. Il sera alors en mesure de
quantifier le coût réel lié à l’exercice de cette « clause de cession ». Des discussions en amont avec
le management peuvent également s’avérer très utiles afin de connaître le nombre de journalistes
susceptibles de faire valoir cette clause. A partir de là, c’est à l’acheteur de mettre en œuvre ses
talents de négociation et de tenter de négocier le prix de son acquisition. Il devra faire valoir le fait
que les journalistes font partie de l’actif de la société et qu’en tant qu’actif leur départ est
susceptible de réduire considérablement la valeur de l’entreprise.
Il faut cependant préciser que ces problématiques et différentes précautions concernent
davantage les fonds d’investissement que les industriels. En effet, les premiers investissent dans
une logique purement financière et chercheront, lors d’une acquisition, à optimiser leurs conditions
de sortie et à s’assurer que leur investissement est rentable. Les industriels, au contraire, sont
souvent motivés par d’autres considérations que les seuls aspects financiers lorsqu’ils réalisent une
acquisition dans le secteur de la presse. Ce type d’opérations peut constituer pour eux le premier
pas vers d’autres acquisitions dans l’univers des media et de la communication. Dès lors, ils
accorderont moins d’importance à ces coûts potentiels et pourront acquérir la société sans chercher
à en négocier le prix. L’intérêt stratégique qu’ils ont à devenir propriétaire d’une société de presse
ainsi que la valeur affective qu’ils portent au journal justifiera d’ailleurs assez souvent le paiement
d’une « prime stratégique ».
« La clause de cession » n’est pas l’unique facteur susceptible d’intervenir dans la
valorisation et l’acquisition d’une société de presse. D’autres problématiques, comme celle liée au
statut des pigistes par exemple, peuvent également entrer en ligne de compte et influencer la
valorisation d’une entreprise dans ce secteur.
56
II.
Le statut ambigu des pigistes
Autre problème dans le cadre des acquisitions dans le secteur de la presse : comment doit-on
considérer les pigistes ? Salariés de l’entreprise ou non ? Avec quel type de contrat ? Les réponses à
ces questions déterminent en effet un certain nombre de conséquences pour le journal : les pigistes
seront-ils en droit de revendiquer des indemnités en cas de rupture de contrat ? Pourront-ils exercer
la « clause de cession » ? Si tel était le cas, il semble important que l’acquéreur connaisse le nombre
exact de pigistes employés par la société qu’il envisage d’acquérir afin d’anticiper le coût potentiel
qu’impliquerait, par exemple, une rupture de contrat. La question du statut des pigistes représente
donc un autre risque qui doit être pris en compte par les investisseurs lors d’une acquisition. Ceuxci auront tout intérêt à le faire supporter par le cédant en négociant auprès de lui le prix de leur
acquisition. Cependant, comme nous allons le voir, la quantification de ce risque est loin d’être une
chose évidente.
Contrairement aux journalistes, les pigistes ne sont pas rémunérés au temps mais à la tâche,
en fonction du nombre et de la qualité des articles fournis. Pendant longtemps s’est posée la
question de leur statut au sein de la société de presse sans que le législateur ne puisse y apporter de
réponse claire. Cependant, la Cour de cassation49 est venue préciser que les pigistes bénéficiaient
d’une présomption de salariat dès lors qu’ils démontraient l’activité de journaliste.
Bien que plus « libres » que leurs confrères journalistes, les pigistes n’exercent cependant pas
leur activité en toute indépendance puisqu’ils reçoivent, de part de leur employeur, un certain
nombre de consignes tant dans le choix de leurs sujets, que dans la rédaction de leurs articles. Leur
statut de salarié ne fait aujourd’hui plus aucun doute. C’est à ce titre par exemple qu’ils ont obtenu,
grâce aux négociations collectives, l’octroi d’un treizième mois de salaire et de congés payés.
Mais cette présomption de salariat entraîne alors d’autres questions : quelle est la nature de
leur contrat ? A durée déterminée ou non ? Avec quelles conséquences en terme de préavis de
rupture et indemnités de licenciement ? Les réponses à ces questions pourront aider l’investisseur à
évaluer le risque lié à son investissement. Mais c’est ici que les choses se compliquent. Le
législateur et la jurisprudence ont, semble-t-il, eu des difficultés à trancher sur la nature déterminée
ou non du contrat et un « flou juridique » semble aujourd’hui persister autour du statut du pigiste,
rendant difficile l’appréciation du risque qui lui est lié.
49
Cass, ch. Soc. 18 janvier 2005
57
Si l’on part du principe que la mission du pigiste au sein de la société de presse est par nature
temporaire, la qualification de contrat à durée déterminée paraît parfaitement adaptée pour bon
nombre de situations. Cependant, il existe certains cas où la nature déterminée du contrat peut être
remise en cause par les pigistes qui seront alors en droit de revendiquer les avantages que confère
un contrat à durée indéterminée. La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de Cassation a
en effet statué qu’en cas de « collaboration régulière » avec le journal ou le magazine, la société de
presse avait l’obligation de procurer du travail au pigiste et devrait tirer toutes les conséquences en
cas de non-fourniture de commandes. Dans ce sens également, la Cour d’ Appel de Versailles a
établi en 2004 qu’en l’absence de conventions prévoyant un terme précis au contrat et du fait du
statut de « journaliste pigiste régulier », la relation de travail avait une durée indéterminée.
Cependant, la Cour de Cassation50 est revenue partiellement sur cette position en affirmant que
l’employeur d’un pigiste régulier n’est pas tenu de lui fournir un volume constant de travail, en
conséquence les diminutions de commande ne modifieront pas le contrat de travail.
Cette notion de « collaboration régulière » retenue pour établir qu’un pigiste bénéficie d’un
contrat à durée indéterminée, ne permet pas d’établir clairement combien de pigistes jouissent de ce
type de contrat. En effet, à partir de quand peut-on parler de régularité ? Vingt ans ? Dix ans ? Trois
ans ? La justice n’a, à ce jour, encore donné aucune réponse. Ainsi un « flou juridique » demeure
autour du statut du pigiste qui constitue une véritable contrainte pour les investisseurs.
Malgré la part de subjectivité qu’il existe dans l’appréciation d’une « collaboration
régulière », toute personne investissant dans une société de presse devra porter une attention
particulière aux documents sociaux du journal dans lequel il souhaite investir afin d’évaluer au
mieux le nombre de pigistes récurrents susceptibles de faire valoir la « clause de cession » (un
contrat à durée indéterminée leur donnant la possibilité d’exercer cette clause) ou de demander des
indemnités en cas de rupture de contrat. Ayant quantifié ce risque, l’investisseur pourra « affiner »
son offre et proposer un prix qui tiendra compte du coût potentiel que pourraient engendrer les
pigistes une fois l’acquisition réalisée.
Il faut cependant souligner que cette appréciation du risque reste problématique puisque les
documents sociaux et plus particulièrement le Registre du Personnel ne font que très rarement
référence au recours aux pigistes. Seule la Déclaration Annuelle des Données Sociales permettra au
repreneur d’évaluer le plus justement possible le nombre de pigistes pouvant poser problème et
représenter un coût futur pour le journal.
50
Cass, ch. Soc., 29 sept. 2009
58
Ainsi donc, le « flou juridique » qu’il existe autour du statut des pigistes est un nouvel
élément qui rend complexe l’acquisition d’une société de presse et qui peut influencer l’offre
formulée par le repreneur.
Cependant, outre les aspects sociaux qu’un acquéreur devra prendre en compte lors d’une
acquisition dans le secteur de la presse, celui devra porter une attention particulière aux risques liés
aux avantages fiscaux accordés aux entreprises dans ce secteur. En effet, ces régimes avantageux
sont conditionnés au respect d’un certain nombre de principes et sont donc susceptibles d’être remis
en cause. Avant de formuler son offre et afin de sécuriser son investissement, un acquéreur devra
s’assurer que le titre qu’il va racheter remplit bien les critères nécessaires à l’octroi de ces régimes
avantageux. Le « risque fiscal » constitue dès lors un autre facteur pouvant influencer le prix
d’acquisition d’une société de presse.
III. Le risque fiscal
Le régime fiscal de faveur dont les entreprises de presse jouissent constitue certainement l’un
des plus grands avantages qui leurs sont accordés. Ainsi, les entreprises de presse sont soumises à
l’application d’un taux de TVA réduit de 2,1% sur les ventes au numéro et par abonnement. Ce
qu’il faut garder en mémoire lors d’une acquisition, est que ce privilège reste conditionné à
l’obtention d’un numéro de commission paritaire (la Commission Paritaire des Publications et
Agences de Presse « CPPAP » étudie en effet si le journal satisfait aux critères qui lui permettent de
bénéficier du taux réduit de TVA) ainsi qu’à l’agrément de l’administration fiscale.
Plusieurs critères doivent donc être remplis par l’entreprise de presse pour pouvoir appliquer
un taux de TVA réduit.
La Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse impose notamment que :
a. Le contenu rédactionnel représente au moins le tiers du contenu total du quotidien
ou magazine (la publicité ne devant, par conséquence, excéder les 2/3)
•
Le journal ou magazine ait un caractère d’intérêt général
Le problème majeur lié à ce privilège fiscal tient au fait que chaque titre de presse est tenu de
repasser devant la Commission Paritaire tous les cinq ans avec le risque pour lui de se voir retirer
59
cet avantage s’il ne satisfait plus aux critères définis par la Commission. C’est pourquoi tout
acquéreur dans le secteur de la presse devra réaliser un audit minutieux sur ce point afin de
s’assurer que les privilèges fiscaux dont bénéficient la cible ne seront pas remis en cause lors de son
prochain passage devant la Commission Paritaire. En effet, en 5 ans, la ligne éditoriale du titre a pu
changer et ce dernier ne répond peut-être plus au critère d’intérêt général exigé par la CPPAP. Or,
le risque de non renouvellement de ce taux préférentiel n’est pas à prendre à la légère par un
investisseur puisqu’il génèrerait directement une baisse de plus de 17% de la marge de l’entreprise
et pourrait donc remettre en cause sa rentabilité. Ainsi, un acquéreur qui se rendrait compte que les
conditions d’application de ce régime ne sont pas respectées par le journal ou magazine qu’il
envisage d’acquérir devra formuler une offre en rapport et proposer un prix qui lui assurera un
investissement rentable.
Ajoutons également que l’administration fiscale peut remettre en cause ce tarif préférentiel à
n’importe quel moment et est en mesure de réclamer des indemnités si elle juge que le titre a
bénéficié, injustement, de ce privilège fiscal. Le délai de prescription étant de trois ans dans
l’administration fiscale, ce risque n’est donc pas anodin. Il devra être pris en compte par
l’investisseur notamment lors de la négociation de la « clause de garantie de passif ». Cette clause,
qui constitue l’une des dernières étapes du processus d’acquisition, consiste pour l’acquéreur, à
s’assurer que les coûts liés à une situation qui précède l’acquisition mais qui surviendront postacquisition seront pris en charge par le cédant.
Concrètement ce dernier ne percevra pas la totalité du montant de la transaction réalisée : une
partie restera bloquée sur un compte afin d’indemniser l’acquéreur si les risques précédemment
évoqués venaient à se concrétiser.
Ainsi donc, le risque fiscal constitue un autre facteur susceptible d’influencer le prix
d’acquisition d’un titre de presse de façon non négligeable.
60
Chapitre IV :
L’espoir d’une reprise ?
Ces dernières années ont mené la presse vers une dérive économique que les maîtres du
secteur ne semblent pouvoir contenir. Afin de venir en aide à ces entreprises en difficultés, les
pouvoirs publics ont décidé de prendre les devants au cours des Etats Généraux de la Presse d’une
part et en commandant un certain nombre de rapport auprès de Commissions spécialisées.
Bien que chacun des rapports remis au pouvoir exécutif au cours de ces dernières années
n’aient été consacrés par le législateur, ceci ont permis d’élaborer plusieurs pistes de sortie de crise.
Par ailleurs, les Etats généraux de la presse qui se sont déroulés en janvier 2009 ont donné lieu à la
mise en place de plusieurs mesures qui nourrissent un espoir de reprise dans le secteur.
Ainsi, d’un avis général l’avenir de la presse est incertain (Section 1), notamment au regard
des chiffres de la presse quotidienne d’information de ce début d’année, cependant, les mesures
mises en œuvre par les Etats Généraux de la Presse conduisent certains professionnels a espérer une
reprise (Section 2).
Section 1 - Des perspectives peu rassurantes
Les perspectives du secteur de la presse quotidienne sont peu encourageantes. En effet, la
consommation des ménages en journaux semble à nouveau reculer en 2010. La montée du chômage
et la crise économique à laquelle les ménages doivent faire face ne conduisent pas la population
vers les kiosques. Les ménages sont en effet, plus attirés par d’autres moyens d’information tel que
la presse gratuite, la télévision, internet.
Cependant, la baisse de consommation des ménages ne constitue pas le seul élément qui
laisse penser que la crise n’est pas terminée. Les recettes publicitaires dont les entreprises
dépendent fortement comme nous l’avons vu risquent de continuer de baisser au cours de cette
année 2010. En effet, la baisse des recettes publicitaires de la presse quotidienne d’information s'est
dramatiquement amplifiée à partir de 2008 et en 2009 avec la crise économique et financière,
entraînant pour certains titres des chutes de chiffres d'affaires publicitaires allant jusqu'à 30%, voir
61
40%51. En effet, en 2009 les professionnels de la finance annonçaient que les premiers chiffres font
apparaître un net repli des investissements publicitaires bruts des secteurs des services, de la
finance, de la distribution ou encore de l’immobilier52. En conséquence, la désaffectation des
annonceurs pour la presse risque de se traduire par une diminution du poids de la presse sur le
marché publicitaire.
Par ailleurs, l’évolution de la structure économique du secteur démontre que bien que le
nombre d’entreprises de presse ait sensiblement augmenté (5 nouvelles sociétés entre 2000 et 2007)
au cours des dernières années, le nombre des salariés a lui diminué sur la même période. En effet,
confrontés à des difficultés financières, les éditeurs de presse ont dû multiplié les plans et
programmes de réduction de coûts via des plan de restructuration.
Ces données sont d’autant plus inquiétantes que les forces du secteur sont elles aussi touchées
par ces difficultés, voir même plus que les petites structures. En effet, le secteur presse quotidienne
d’information est dominé par 8 grands: Groupe le Monde, Editions P.Amaury, EBRA, Groupe La
Voix du Nord, SIPA/ Ouest France, le Groupe SUD OUEST, le Groupe Figaro et le Groupe
Hersant Média. Groupes qui depuis quelques années ne cessent de rencontrer des difficultés
économiques nécessitant l’appel aux investissements de tiers. Le fait plus récent et peut être la plus
marquant, est le cas du Groupe Le Monde qui a dû faire appel à des investisseurs pour éviter le
redressement judiciaire qui sans accord serait intervenu en septembre 2010. L’accord conclu en
juillet 2010 avec les investisseurs Bergé, Niel et Pigasse fait donc entrer de nouveaux investisseurs
dans le groupe ce qui permet de le sauver.
Ces perspectives semblent donc peu rassurantes pour le futur de la presse, cependant, un
grand nombre de professionnels du secteur semblent nourrir un espoir quant à la reprise de
l’activité.
51
Laurent HOUSSAY, Cession, recapitalisation... Le paysage des quotidiens nationaux en pleine
recomposition
52
Etude Xerfi 700, juil. 2009 ; Scénario prévisionnel
62
Section 2 - Des mesures d’aide pour une sortie de crise
Bien que les chiffres ne soient pas rassurants pour l’avenir de la presse certains continuent de
penser que le secteur ne peut descendre plus bas et que par conséquent la reprise devrait bientôt
pointer le bout de son nez.
D’une part, certains professionnels de la finance considèrent que la quasi absence du secteur
des médias dans les opérations de fusion-acquisiton en 2009 va nécessairement faire de l’année
2010, l’année des acquisitions dans ce secteur. En effet, Hervé Colson base son analyse sur le fait
que le secteur des médias a besoin de renouveau pour modifier son modèle économique, de sorte
que les entreprises de médias devront permettre l’intervention dans leurs capitaux des investisseurs
en provenance d’autres secteurs d’une part, et d’autre part que ces entreprises de médias devront
investir dans le domaine du numérique qui leur permettra d’accroître leur efficacité et de gagner du
terrain dans un domaine spécifique.
De plus, il avance qu’à l’issue des restructurations opérées par le secteur, les banques sont
aujourd’hui les partenaires financiers d’un certain nombre de sociétés des médias. Ainsi, elles
pèseront donc largement sur l’avenir de ces entreprises, notamment lorsqu’elles chercheront à
vendre. Leur priorité pour les 12 à 18 prochains mois est le recouvrement du capital privilégié et la
réduction de l’endettement dans une optique de vente.
Les experts de la finance se projettent ainsi dans l’avenir : Avec la part toujours croissante du
numérique dans le marché publicitaire français et l’évolution des groupes de médias en sa faveur,
nous pourrions observer un rebond des fusions et acquisitions en 201053.
Si ces prévisions se réalisaient, les liquidités pourraient venir nourrir les déficits accumulés
par les entreprises de presse au cours de ces dernières années, de sorte que ces apports combinés au
mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics pourraient permettre une sortie de crise pour le
secteur de la presse.
Les deux mesures « urgentes » issues des Etats généraux de la presse pourraient en effet
limiter les dégâts de ces dernières années. Ces mesures concernent la neutralisation des
augmentations tarifaires de l’abonnement postal dont nous avons déjà traité et le doublement des
dépenses publicitaires du gouvernement en direction de presse.
53
Pricewaterhouse Coopers, Communiqué de presse 2010
63
Enfin, la mesure d’aide à la presse en ligne pourrait aussi venir renforcer la reprise. En effet,
le secteur de la presse qui semble avoir être moins sceptique à l’égard d’internet, tente de se
développer dans ce domaine. Cependant, ce développement représente des coûts considérables
auxquels les entreprises de presse ne peuvent faire face en l’état actuel. Un statut d’éditeur de
presse en ligne a donc été crée fin octobre et une enveloppe de 20 millions d’euros sera distribuée
aux sites éligibles. Cette aide sera apportée à hauteur de 40% des dépenses éligibles qui consistent
en des investissements en équipement et investissements immatériels notamment les dépenses de
logiciels et de développements informatiques, dépenses permettant la numérisation des contenus, et
des dépenses d’exploitation telles que la location de matériel informatique, l’hébergement et
l’exploitation de serveur, des dépenses d’études, de recherches et de conseils, des actions de
formation professionnelle, des actions de promotion et marketing et les salaires bruts de
journalistes.
Ainsi, les mesures d’aides combinées à la reprise des investissements dans le secteur de la
presse permettent d’envisager une reprise de l’activité de la presse quotidienne d’information.
Cependant, le statut juridique de la presse et les mesures anti-concentration constitueront toujours
un barrage aux investissements dans ce secteur. Bien que l’on ne puisse que saluer l’objectif pour
lequel ces mesures ont vu le jour, il en reste qu’elles constituent des contraintes importantes pour la
reprise des investissements dans le secteur, privant ainsi les publications de liquidité dont elles ont
plus que jamais besoin.
64
Conclusion
En définitive, l’acquisition d’une société de presse est relativement complexe. Les spécificités
juridiques qui entourent cette activité afin d’assurer son indépendance constituent de véritables
contraintes lors d’une acquisition. Son mode de fonctionnement risqué ainsi que les nombreux défis
que le secteur doit aujourd’hui relever, sont également des problématiques importantes auxquelles
seront confrontés les investisseurs. Cependant, là ne s’arrêtent pas les difficultés pour qui souhaite
investir dans le secteur de la presse. Le principal problème résidera en fait dans la valorisation de
l’entreprise à acquérir. Un certain nombre de précautions devront être prises lors de cette phase du
processus d’acquisition et c’est pourquoi il peut s’avérer très utile de s’entourer de conseillers ayant
acquis une expertise dans ce domaine. L’existence de risques spécifiques au secteur de la presse
semble en effet pouvoir influencer considérablement l’évaluation de la cible et devront être pris en
compte lors de celle-ci.
65
ANNEXES :
Annexe 1 : Article L. 430- 1 du Code de Commerce
Annexe 2 : Article 11 de la loi du 1er aout 1986
Annexe 3 : Règle des « deux sur trois »
Annexe 4 : Article 7 de la loi du 1er aout 1986
66
Annexe 1 : Article L. 430- 1 du Code de Commerce
Une opération de concentration est réalisée :
1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou
lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise
de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de
l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises.
II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les
fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article.
III. - Aux fins de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou
autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de
droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et
notamment :
- des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ;
- des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les
délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise.
67
Annexe 2 : Article 11 de la loi du 1er aout 1986 modifié par
Ordonnance n°2000-912 du 18 septembre 2000 - art. 3 (V) JORF 21
septembre 2000
Est interdite, à peine de nullité, l'acquisition, la prise de contrôle ou la prise en locationgérance d'une publication quotidienne imprimée d'information politique et générale lorsque cette
opération a pour effet de permettre à une personne physique ou morale ou à un groupement de
personnes physiques ou morales de posséder, de contrôler, directement ou indirectement, ou
d'éditer en location-gérance des publications quotidiennes imprimées d'information politique et
générale dont le total de la diffusion excède 30 % de la diffusion sur le territoire national de toutes
les publications quotidiennes imprimées de même nature. Cette diffusion est appréciée sur les
douze derniers mois connus précédant la date d'acquisition, de prise de contrôle ou de prise en
location-gérance.
Le contrôle mentionné à l'alinéa précédent s'apprécie au regard des critères figurant à l'article
L. 233-3 du code de commerce ou s'entend de toute situation dans laquelle une personne physique
ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales aurait placé une publication sous
son autorité ou sa dépendance.
68
Annexe 3 : Règle des « deux sur trois »
69
Annexe 4 : Article 7 de la loi du 1er aout 1986
Sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France et comportant soit une
clause d'assimilation au national, soit une clause de réciprocité dans le domaine de la presse, les
étrangers ne pourront [*interdiction*], à compter de la publication de la présente loi, procéder à une
acquisition ayant effet de porter, directement ou indirectement, leur part à plus de vingt pour cent
[*pourcentage*] du capital social ou des droits de vote d'une entreprise éditant une publication de
langue française.
Pour l'application du précédent alinéa, est étrangère [*définition*] toute société dont la
majorité du capital social ou des droits de vote est détenue par des étrangers ainsi que toute
association dont la majorité des dirigeants est étrangère.
70
Lexique :
Mid-cap :
Sociétés de moyenne capitalisation, sociétés réalisant entre et
millions d’euros
M&A :
Mergers and Acquisitions (fusions et acquisition)
Buyer-log :
Liste d’acquéreurs potentiels dans laquelle sont détaillées l’activité
de l’entreprise, sa stratégie, sa présence géographique ainsi que ses
opérations récentes de croissance externe
VE/ CA :
Valeur d’entreprise / Chiffre d’affaires
VE/ EBITDA:
Valeur d’entreprise/ EBE
VE/EBIT :
Valeur d’entreprise/ Résultat d’exploitation
Due Diligence:
L’une des phases du processus d’acquisition au cours de laquelle les
acquéreurs potentiels ont à leur disposition l’ensemble des
informations financières, sociales, juridiques relatives à l’entreprise
qu’ils envisagent d’acquérir
Garantie de Passif :
Clause négociée lors du processus d’acquisition par lequel le cédant
s’engage à prendre à sa charge l’ensemble des coûts liés à une
situation née avant l’acquisition qui surviendraient après la
transaction
CPPAP :
Commission Paritaire des Publications des Agences de Presse qui
décide si la société de presse remplit les conditions qui lui permettent
de bénéficier d’un régime fiscal de faveur
Clause d’agrément :
Clause qui prévoit que toute cession de société de presse quotidienne
d’information constituée en Société Anonyme doit recevoir l’accord
de la totalité des membres du conseil d’administration ou de
surveillance.
71
Clause de cession :
Droit particulier reconnu aux journalistes de démissionner tout en
percevant des indemnités suite à la cession de leur journal ou
magazine
Clause de conscience :
Droit particulier reconnu aux journalistes de démissionner en
percevant des indemnités en cas de changement notable dans
l’orientation du journal ou magazine si ce changement est susceptible
de porter atteinte à sa réputation ou à ses intérêts moraux.
72
Bibliographie :
Presse et édition en France : Fusions et Acquisitions Magazines
La presse française : Pierre Albert (La Documentation française)
La Presse écrite : Michel Pellaton (Broché)
La Presse : Pierre Albert (Que sais-je)
La Presse quotidienne Jean Marie Charon (Poche)
Presse Quotidienne : Etude de marché Xerfi 700 (juillet 2009)
Economie de la Presse : Patrick de Floch et Nathalie Sonnac (la découverte)
Les problèmes de concentration dans les médias : Rapport de Monsieur le Professeur A. Lancelot
(Décembre 2005)
Garantir le pluralisme et l’indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir :
Rapport de M. M. Muller (juin 2005)
73
Table des Matières
REMERCIEMENTS .........................................................................................................................2
SOMMAIRE : ....................................................................................................................................3
INTRODUCTION .............................................................................................................................4
CHAPITRE I : LA PRESSE : UN MODELE ECONOMIQUE ATYPIQUE .............................6
SECTION
1‐
DES
DEPENSES
FORCEES ............................................................................................................................. 7
I.
L’information
:
un
produit
comme
les
autres
?.............................................................................................................................. 7
A.
L’information
:
un
produit
éphémère ................................................................................................................................................ 7
B.
L’information
:
une
valeur
«
inévaluable
» ...................................................................................................................................... 9
II.
Des
coûts
fixes
élevés ........................................................................................................................................................................... 10
A.
Les
coûts
de
production
d’un
titre ................................................................................................................................................... 10
1.
Le
premier
exemplaire................................................................................................................................................... 10
2.
Les
coûts
de
«
production
intellectuelle
» ............................................................................................................. 11
3.
Les
coûts
d’impression................................................................................................................................................... 11
B.
Une
distribution
coûteuse.................................................................................................................................................................... 13
SECTION
2
–
DES
RESSOURCES
EN
BAISSE .................................................................................................................. 16
I.
La
vente
des
journaux............................................................................................................................................................................ 16
II.
La
dépendance
à
l’égard
des
annonceurs
:
un
risque
majeur............................................................................................. 18
CHAPITRE II : UN REGIME JURIDIQUE SPECIFIQUE POUR LA PRESSE :UNE
CONTRAINTE POUR LES ACQUISITIONS .............................................................................21
SECTION
1
–
UN
REGIME
DEROGATOIRE
AU
DROIT
DES
SOCIETES ......................................................................... 22
I.
Un
objet
social
mixte .............................................................................................................................................................................. 22
A.
Une
prise
en
compte
tardive
de
l’entreprise
de
presse........................................................................................................... 23
B.
L’entreprise
de
presse
soumise
aux
enjeux
liés
à
l’intérêt
général.................................................................................... 25
II.
Une
nécessaire
conciliation
des
principes
fondamentaux ................................................................................................... 28
A.
Le
pluralisme
:
outil
indispensable
à
la
liberté
d’expression ............................................................................................... 29
B.
Des
limitations
nécessaires
au
principe
de
la
liberté
d’entreprendre.............................................................................. 31
1.
Les
mesures
anti‐concentration ................................................................................................................................ 32
a)
Le
dispositif
anti‐concentration
spécifique
à
la
presse............................................................................. 32
‐
Un
champ
d’application
restreint
: ....................................................................................................................... 33
‐
Définition
du
seuil
de
concentration
:................................................................................................................. 34
b)
Les
concentrations
«
pluri‐médias
»................................................................................................................. 35
2.
Les
limitations
aux
prises
de
participations
étrangères ................................................................................. 36
3.
L’agrément
de
toute
cession
d’action ...................................................................................................................... 37
SECTION
2
–
LES
JOURNALISTES
:
DES
SALARIES
ATYPIQUES ................................................................................. 40
I.
Le
statut
du
journaliste
professionnel
:
consécration
de
son
indépendance ................................................................ 41
A.
La
définition
de
l’activité
de
journaliste ........................................................................................................................................ 41
1.
Les
bénéficiaires
du
statut
de
journaliste
professionnel ............................................................................... 41
2.
Le
contrat
de
travail
des
journalistes
professionnels
:
sauvegarde
de
l’indépendance
intellectuelle ........................................................................................................................................................................................... 43
B.
Des
salariés
à
la
personnalité
forte .................................................................................................................................................. 44
II.
Un
pouvoir
fort
sur
le
sort
des
investissements....................................................................................................................... 46
A.
La
démission
du
journaliste
:
nouvel
avantage........................................................................................................................... 46
B.
La
mise
en
œuvre
de
la
clause
de
conscience
:
contrainte
pour
les
investisseurs ...................................................... 48
74
CHAPITRE III : LA VALORISATION D’UNE SOCIETE DE PRESSE :UN PROCESSUS
COMPLEXE POUR LES INVESTISSEURS ...............................................................................49
SECTION
1
‐
DES
METHODES
TRADITIONNELLES
DIFFICILEMENT
APPLICABLES ................................................ 50
I.
L’actif
Net
Réévalué ................................................................................................................................................................................ 50
II.
Les
multiples
:
une
méthode
difficilement
applicable
au
secteur..................................................................................... 51
III.
La
méthode
des
Flux
futurs
de
trésoreries ............................................................................................................................... 53
SECTION
2
‐
DES
RISQUES
A
PRENDRE
EN
COMPTE
LORS
DE
LA
VALORISATION ................................................. 53
I.
La
clause
de
cession................................................................................................................................................................................ 54
A.
Les
coûts
financiers
directs ................................................................................................................................................................. 54
B.
Les
coûts
indirects................................................................................................................................................................................... 55
II.
Le
statut
ambigu
des
pigistes............................................................................................................................................................ 57
III.
Le
risque
fiscal ....................................................................................................................................................................................... 59
CHAPITRE IV : L’ESPOIR D’UNE REPRISE ?........................................................................61
SECTION
1
‐
DES
PERSPECTIVES
PEU
RASSURANTES ................................................................................................ 61
SECTION
2
‐
DES
MESURES
D’AIDE
POUR
UNE
SORTIE
DE
CRISE ............................................................................. 63
CONCLUSION ................................................................................................................................65
ANNEXES : ......................................................................................................................................66
Annexe
1
:
Article
L.
430‐
1
du
Code
de
Commerce........................................................................................................................... 67
Annexe
2
:
Article
11
de
la
loi
du
1er
aout
1986
modifié
par
Ordonnance
n°2000‐912
du
18
septembre
2000 .... 68
Annexe
3
:
Règle
des
«
deux
sur
trois
» ................................................................................................................................................... 69
Annexe
4
:
Article
7
de
la
loi
du
1er
aout
1986 ..................................................................................................................................... 70
LEXIQUE :.......................................................................................................................................71
BIBLIOGRAPHIE : ........................................................................................................................73
TABLE DES MATIERES...............................................................................................................74
75
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