Le cours classique au Petit Séminaire de Chicoutimi. - Web

LE COURS CLASSIQUE AU PETIT SÉMINAIRE DE CHICOUTIMI.
CINQUANTE ANS APS, QUELS REGARDS?
« Rosa, rosa, rosae, rosae, rosa, rosam, »
Introduction
Distance entre le monde du Séminaire et celui de la vie concrète, p.3
La vie quotidienne très ordonnée du Petit Séminaire, p.5
La discipline et l’autorité, p.8
Les professeurs, p.10
Les pratiques pédagogiques, p.11
Le programme d’étude, p.13
La religion, p.17
Le climat moral, p.19
Les loisirs, les jeux, les sports et les activités parascolaires, p.22
Les expériences culturelles, p.23
L’ouverture sur le monde, p.26
Les choix de vie, p.27
Nos années de Petit Séminaire furent-elles heureuses?, p.28
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Introduction
En octobre 2010, par hasard, je lis dans le journal de l’université du Québec à Montréal,
un article intitulé : " Louise Bienvenue, historienne des identités". En parcourant le texte
je découvre que la professeure Bienvenue effectue des recherches sur l’histoire des
collèges classiques au Québec, des institutions pour garçons qui ont formé l’élite
masculine depuis le début de la colonie jusqu’à la révolution tranquille.
L’intérêt de ces recherches, selon la professeure, « est d’analyser d’un point de vue
historique la formation entre hommes, car l’enseignement était donné par des prêtres. Il
s’agissait donc d’un bassin de recrutement pour la prêtrise et cet enseignement a eu une
influence sur la formation des jeunes garçons, sur leur sociabilité, sur leur vision de la
femme.»
En novembre 2011, j’apprends par le Devoir que Guillaume Lavoie, un jeune trentenaire,
char de cours à l’École nationale d’administration publique et originaire de la route
numéro 4 au Saguenay, est l’instigateur du Collège néo-classique. Ce collège vise à offrir
le meilleur des études classiques aux leaders de la génération montante. L’étincelle de ce
projet lui est venu de sa fascination pour ce qu’était nos études classiques. «Je voyage
beaucoup et je rencontre des gens qui ont fait les études classiques et je vois toute la
profondeur et les outils que ça leur a donnés que je n’ai pas eus ».
Ces deux articles ont piqué ma curiosité et je me suis dit qu’il serait intéressant
d’explorer ce que fut le cours classique que nous avons vécu au Petit Séminaire de
Chicoutimi de 1954 à 1962.
Ce qui a ajouté aussi au goût de faire cette réflexion, c’est la célébration du
cinquantenaire de la fin de notre cours classique lors de notre prochain conventum en mai
2012. Quelle belle occasion de revisiter ensemble nos années de Petit Séminaire et
d’essayer d’en trouver les acquis essentiels :
Comment on a été initié aux "humanités classiques"?
Qu’est-ce que nous avons appris en plus du grec, du latin et de la religion?
Quelle place occupait les sciences? Les réalités sociales?
Comment ces études ont-elles fait de nous les personnes que nous sommes devenues?
Que nous reste-t-il de huit années de travaux scolaires et d’enthousiasmes intellectuels et
culturels?
Peut-être que certains parmi vous imputeront ces questions à une nostalgie
quotidiennement renforcée par l’écoulement brutalement irréversible de nos soixante et
dix ans. C’est sûr que tout retour d’une personne sur son passé, son enfance ou son
adolescence est teinté d’une forme ou d’une autre de nostalgie. Mais cette réflexion sur
ce que fut notre cours classique, si elle comporte une part de nostalgie, se veut avant tout
une démarche pour mieux connaître et comprendre l’expérience d’éducation que nous
avons vécue et peut-être pour en tirer quelques leçons, si cela se peut.
Le cours classique au Petit Séminaire de Chicoutimi nous a appris des choses importantes
et il a assuré notre formation. Cependant, que de limites et de carences l’on accompagné
et nous marquent encore peut-être aujourd’hui! C’est cela que je voudrais circonscrire.
Comment retracer nos souvenirs du Petit Séminaire cinquante ans après? L’idée m’est
venue qu’avant d’entreprendre cette démarche, il serait intéressant d’examiner comment
d’autres jeunes, comme nous à travers le Québec, qui ont fait leur cours classique dans
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les séminaires à la même époque, ont brossé un tableau de leurs études classiques, de leur
expérience de vie et de leur formation.
Ce fut une heureuse idée parce ce qu’en examinant ce qui restait dans la mémoire des
autres, cela m’a permis de mieux discerner ce que je pouvais retrouver dans la mienne.
D’ailleurs je citerai à quelques occasions des témoignages de jeunes provenant d’autres
séminaires que le nôtre.
Un ouvrage m’a été particulièrement utile pour repérer et accéder rapidement à l’essentiel
des écrits pertinents pour ma flexion. Il s’agit de la minutieuse et éclairante étude
doublée d’une bibliographie particulièrement détaillée du sociologue Claude Corbo : La
mémoire du cours classique. Les années aigres-douces des récits autobiographiques. En
deuxième lieu, j’ai obtenu beaucoup d’informations en consultant les Annuaires et l'Alma
Mater du Petit Séminaire de Chicoutimi des années 1954-1962.
De plus en scrutant la mémoire des autres jeunes qui ont vécu à peu près le même cours
classique que nous, j’ai constaté qu’il y avait un certain nombre de thèmes qui revenaient
assez souvent : le collège classique comme un monde en retrait du monde; la vie
quotidienne dans le séminaire; la réalité de l’autorité et de la discipline; les professeurs et
ceux qui ont figure de maître véritable; les programmes d’études et l’enseignement; la
présence souvent envahissante de la religion; les jeux, le sport et les loisirs; l’univers de
la culture; les découvertes essentielles. Dans cette réflexion j’essaierai de voir comment
la mémoire tire inspiration de ces thèmes, aptes à faire surgir de loin le souvenir et le
regard sur nos années d’étude au Petit Séminaire de Chicoutimi.
Enfin je remercie de tout cœur Kristiane, ma conjointe, qui a lu attentivement le
document et m'a suggéré plusieurs améliorations très pertinentes.
Distance entre le monde du Séminaire et celui de la vie concrète
Au Petit Séminaire de Chicoutimi, j’ai eu le sentiment de vivre une vie un peu
particulière en regard de celle du reste de la société. J’étais plongé dans un univers
culturel et moral qui m’isolait de mon monde familial et social, j’étais dans un monde
totalement masculin voué à une mission élitiste.
D’abord en entrant au Petit Séminaire de Chicoutimi, on sentait bien la différence de
rythme entre la vie de cette institution et la vie du monde ambiant qui nous parvenait de
plus en plus fortement par la radio, le cinéma et la télévision. Je trouvais qu'il y avait une
distance entre le Séminaire par rapport au monde de la vie quotidienne et à celui de
l’univers familial et social d'où je provenais.
On se faisait dire qu’on était des privilégiés, même si nous étions issus de milieux
modestes, et qu’on devait s’initier aux humanités classiques c’est à dire à la grande
culture qui nous apparaissait bien éloignée de notre culture environnante. On nous
projetait aussi un idéal de vie qui était en rupture avec le monde réel de la société.
Par exemple nos professeurs n’avaient pas à se préoccuper de gagner leur vie, même si
souvent ils travaillaient très fort. Le fait que nos maîtres étaient soustraits aux impératifs
économiques quotidiens et protégés des soucis ordinaires et terre à terre qui étaient le lot
de la grande majorité des citoyens et citoyennes, accroissaient l’image que le Petit
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Séminaire était une communauté sise hors du monde ordinaire.
On vivait donc une expérience de déracinement vis-à-vis ce qui nous était familier depuis
l’enfance. Plus j’avançais dans les études, plus je participais à un univers complètement
étranger à mes parents. C’était une expérience de choc culturel parce que cette culture des
classes privilégiées n’avait pas pénétré le milieu plus modeste je vivais. Je contractais
aussi des désirs et des attentes qui n’avaient rien à voir avec la vie vécue de mes parents.
Enfin le Petit Séminaire tenait grandement à préserver cette distance par rapport à la
société. Les pensionnaires avaient des rapports avec la ville qu’en de rares occasions. Les
journaux n’étaient pas nécessairement bienvenus.
Le Petit Séminaire me laisse aussi un souvenir d’une institution élitiste. D’abord le
recrutement était réservé à l'élite des adolescents, capable de passer les tests de quotient
intellectuel et douée aussi d'une motivation et d'un caractère approprié. En se référant à
des études réalisées aux États-Unis, on évoquait la nécessité, pour réussir le cours
classique, d'un quotient intellectuel de l'ordre de 110 à 120 contre une moyenne de 100
dans la population. Avec ces tests, administrés indépendamment du contexte socio-
culturel d'où nous venions, le cours classique visait les "intelligences supérieurs."
De plus le cours classique n'était pas seulement très sélectif dès le départ dans le choix
des élèves, il le demeurait tout au long de son déroulement, car une proportion
appréciable des admis initiaux décrochaient en cours de route. En 1954-1955, nous étions
121 élèves dans les trois Éléments latins. En Philosophie II : 46 finissants.
À cela s’ajoutait les considérations financières. Vers 1950, une famille normale a besoin
d’un revenu annuel d’environ 2250$ pour vivre correctement. Les frais de scolarité se
situant entre 400$ et 600$ par année, seule une famille disposant d’environ 3000$ pouvait
inscrire leur enfant au Séminaire. Par exemple en 1951, le revenu moyen de cent mille
propriétaires d'exploitations agricoles était de 1512$. Si plus de 50% des administrateurs
et professionnels disposent d'un revenu annuel de 3000$, c'est le cas d'à peine 15% des
cols blancs, de 11% des cols bleus et de 1% des ouvriers non spécialisés. (Claude Corbo,
Les Jésuites québécois et le cours classique après 1945, Septentrion, p: 66, 2004).
Enfin la mission poursuivie par le Petit Séminaire dans la société était bien claire : former
une élite parmi laquelle se trouvait la relève du clergé. Il s'agissait de former ceux qui
dirigeraient la société. Il fallait doter la société de personnes capables de la diriger dans
toutes les sphères d’activité, sur la base d’un héritage culturel, assimilé et inspirant. Sans
levain, la pâte ne lève pas. Combien de fois nos professeurs nous ont dit que nous étions
appelés à constituer "l’élite de demain" et qu’il était important d’exceller. On finissait par
le croire. " La fierté de faire partie d'un groupe d'élite" était mentionnée comme telle par
les élèves du petit Séminaire dans une enquête menée par l'Alma Mater en 1961 au sujet
de la meilleure façon de contrer les divisions entre eux.
Bien plus, ce privilège d’être " l’élite de demain" commençait en quelque sorte dès notre
entrée au Séminaire.
« On a un peu oublié, aujourd’hui, le prestige dont faisaient l’objet les élèves du
classique. Ils avaient droit au respect que commandait l’étude des matières aussi
rebutantes que le latin, le grec, la littérature, l’apologétique, la physique, la chimie et la
philosophie. Je me souviens de certains discours de rentrée scolaire qui saluaient en nous
" les élites de demain" et nous congratulaient de pouvoir fréquenter désormais Aristote,
Tite-Live et Corneille, le tout agrémenté de citations de Sertillanges sur les exigences du
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travail intellectuel….Le fait est que les élèves du classique jouissaient d’un prestige
spécial » (Lucien Bouchard, À visage découvert, Boréal, 1992. 379 p., p. 23-24)
On était donc appelé à un destin particulier, différent du plus grand nombre de nos
concitoyens. Autour de nous dans la société, c'était bien différent. La fréquentation
scolaire du secondaire demeurait très limitée et l'entrée hâtive dans le monde du travail
s'imposait comme loi incontournable à la très grande majorité.
Une autre caractéristique du séminaire qui le singularisait par rapport à la société c'est
qu'il était un monde exclusivement masculin. Les seules femmes qu’on voyait, à part des
professeures de piano, violon et d'orgue, étaient les Sœurs Antoniennes de Marie,
confinées à des tâches modestes et souvent rudes, que l’on s’efforçait de rendre aussi peu
visibles que possible (à la cuisine, au ménage, à l’entretien et au lavage).
«…..À l'époque, les sœurs ont la charge de 525 élèves du cours classique. Elles veillent
au bon soin des 75 prêtres, des 75 séminaristes et des élèves de l'établissement…. Après
une demi-heure de prière et la messe, la journée de travail commence à 7 heures pour se
terminer à 19 heures…. Les repas des élèves se font dans une ambiance de bruits, de
dégâts et de coups, et ce, malgré la présence de maîtres de salle. Les conditions de
travail dans la cuisine changent peu entre 1904 et 1964. Les religieuses portaient de
lourds habits, une longue robe blanche à laquelle on ajoute un tablier rayé à manches
longues, ce qui dans les cuisines surchauffées était peu confortables: les " genoux
chauffaient" et elles étaient souvent en sueur(Extrait d'une entrevue avec Sœur Cécile
Paradis, Antoniennes de Marie, responsable de la cuisine du Petit Séminaire de
Chicoutimi de 1955 à 1966. Cette entrevue intitulée " Cuisiner dans un séminaire:
l'exemple de Chicoutimi," est parue dans Patrimoine immatériel religieux du Québec,
récit de pratique culturelle, 8 avril 2009).
Le cours classique signifiait donc l’absence de femmes. On ne retrouvait aucune auteure
dans le monde grec et latin, presque pas non plus dans la littérature française et
canadienne française.
Avec ce monde d'hommes, le séminaire finissait par constituer une communauté humaine
tricotée serrée où s’affirmait, pour certains, un fort sentiment d'appartenance. Cette
communauté établissait une forme d'intimité entre professeurs et élèves et créait des
appartenances destinées à durer longtemps, malgré ce que chacun devenait au cours de
son existence. Cette vie intensément communautaire du Séminaire entraînait, à certains
égards, un repli sur soi et tendait à creuser encore plus une distance entre nous et le
monde extérieur, particulièrement, concernant les nouveautés qui apparaissaient comme
par exemple le «Rock 'n' Roll». Je me rappelle d'un professeur en colère qui s'était
fracturé un doigt en frappant sur le bureau contre Elvis Presley et sa musique «Rock
'n' Roll».
La vie quotidienne très ordonnée du Petit Séminaire
Le Petit Séminaire n’était pas seulement un monde à part du monde environnant mais
aussi un monde l’on s’efforçait de faire régner un ordre omniprésent, appuyé par une
discipline omniprésente qui laissait peu de place à la fantaisie et à l’oisiveté.
Tout au long des rythmes de la vie quotidienne, dans ses espaces divers, dans ses
activités, le Petit Séminaire se présentait comme un monde ordonné.
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