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Ecole d’Enseignement et de Promotion sociale
de la Communauté Française
Rue Saint-Brice, 53
7500 Tournai
Enseignement Supérieur Paramédical
Cadre en soins de santé
Soigner ou Éduquer
Faut-il choisir ?
Travail de fin d’études réalisé par Régine Lamant
En vue de l’obtention du diplôme de cadre
en soins de santé
Année scolaire : 2009-2010
« Dans la logique de la découverte,
l'important n'est pas tant le but du voyage
que le voyage en tant que tel.»1
1
"L’accompagnement a supplanté l'obéissance", entretien avec François de Singly, in Le Monde, 29/09/2009, p. 26
http://www.lereservoir.eu/articles/singly.pdf. Cette phrase n’est pas choisie au hasard, elle concorde avec notre
cheminement tant estudiantin que professionnel, elle sera développée ultérieurement dans ce travail.
INTRODUCTION _______________________________________________ 1
CHAPITRE I
LE SOIN ___________________________________________ 5
I.1
LA RELATION DE SOIN ______________________________________________ 15
I.2
LE SOIGNÉ ______________________________________________________ 20
I.3
LE SOIGNANT ____________________________________________________ 27
I.4
LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA RELATION DE SOIN ___________________ 29
I.4.1
LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES____________________________________ 29
I.4.2
MODÈLES DE RELATION MÉDECIN-PATIENT ______________________________ 31
CHAPITRE II
LA SOCIOLOGIE ____________________________________ 34
II.1
LE DÉTERMINISME_________________________________________________ 36
II.2
L’INTERACTIONNISME ______________________________________________ 36
CHAPITRE III LA MALADIE _______________________________________ 39
III.1
LA MALADIE _____________________________________________________ 39
III.2
LE MODÈLE BIOMÉDICAL_____________________________________________ 41
III.3
LA SANTÉ _______________________________________________________ 42
III.4
LE MODÈLE GLOBAL ________________________________________________ 45
CHAPITRE IV L’ÉDUCATION ______________________________________ 48
IV.1
QU’EST-CE QUE L’ÉDUCATION ? _______________________________________ 48
IV.2
LES MODÈLES D’APPRENTISSAGE ______________________________________ 55
IV.2.1
DU DÉTERMINISME… _____________________________________________ 59
IV.2.1.1
LE BEHAVIORISME ___________________________________________ 59
IV.2.1.2
LE COGNITIVISME ____________________________________________ 61
IV.2.2
À L’INTERACTIONNISME ___________________________________________ 63
IV.2.2.1
LE CONSTRUCTIVISME _________________________________________ 63
IV.2.2.2
LE SOCIOCONSTRUCTIVISME ____________________________________ 65
SYNTHÈSE
QUAND NOUS ASSOCIONS L’ÉDUCATION ET LA SANTÉ ____________________ 69
CONCLUSIONS _______________________________________________ 80
PERSPECTIVES _______________________________________________ 83
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE
ANNEXE I _____________________________________________________________ I
ANNEXE II _____________________________________________________________ II
ANNEXE III ___________________________________________________________ III
ANNEXE IV ___________________________________________________________ IV
ANNEXE V ___________________________________________________________ VII
ANNEXE VI __________________________________________________________ VIII
ANNEXE VII ___________________________________________________________ IX
ANNEXE VIII __________________________________________________________ X
Exercice de conciliation tenant lieu de préface
Envisageons que cette épreuve dite intégrée soit un échange. Certes ou sans doute, elle
est échange puisqu’elle représente un rite de passage, y compris avec son cérémonial,
son « institutionnalité ». Echange, elle l’est aussi dans votre discours, écrit puis oral,
préparant le débat et ses questions qu’il est méthodologique de considérer comme une
discussion et même comme un dialogue entre professionnels !
Nous l’avons souvent ressenti, l’avouant ou non ; nous n’aimons guère douter. Nous
avons même peur du doute, peut-être souffririons-nous d’avoir tort (et le tort tue !).
Ainsi, il n’est pas aisé de confronter, de se confronter ; il l’est bien plus de se conforter !
La dialectique, plus vieille que Socrate, est une forme de raisonnement basé sur le
questionnement. Forme relativement périlleuse, elle utilise contraires, contradictions et
autres oppositions pour (mieux) les dépasser. Forme périlleusement aboutie, c’est
l’acmé de nos lectures : le plan dialectique avec sa thèse, elle pose, son antithèse, elle
oppose, et sa synthèse (dans son noble sens), elle compose … et ici, quatre fois !
En sciences comme en profession, l’acte de foi, même si il est légitime, ne suffit pas. Il
ne peut suffire ni dans l’échange, ni dans le développement. La dialectique, ou disputer
ses divergences, est indubitablement propice à la pensée comme à la nuance. De la
nuance naît la tolérance à la différence, à l’altérité. N’est-elle pas, cette dernière,
fondement de notre identité, fondement de notre humanité ?
La dialectique est donc un processus dynamique (tautologie) donnant naissance à la
réciprocité, conçue par Lévi-Strauss comme « la synthèse de deux caractères
contradictoires, inhérents à l’ordre naturel ». Comme s’il fallait, pour découvrir notre
culture, imiter la nature. Aux extrémités opposées (tautologie) de sa rotondité, la Terre
compte bien ses deux pôles « et pourtant, elle tourne ! ». Aux extrémités de notre
biologie, notre humanité dénombre bien deux sexes, deux genres. Et pourtant, nous
regarderons la dialectique comme une scène de ménage qui tourne …
Bonne lecture en compagnie de Régine, une Funambule.
PATRICK
INTRODUCTION
Infirmière de formation, notre vision s’est orientée sur le patient et son positionnement au
sein de nos pratiques soignantes. Comment l’intégrons-nous2 dans nos soins ? Sommesnous dans un modèle prescriptif, laissant le patient objet de nos intentions ? Est-il acteur,
auteur en partenariat avec le soignant ? Cette réflexion nous a conduits à une recherche
sur l’éducation du patient qui nous permet d’élargir notre vision.
Nous envisagerons différentes notions en essayant de les conceptualiser à partir de
plusieurs sources, tout en gardant une approche discussive. Effectivement, notre méthode
se base sur l’exploration dialectique, du mot grec διαλ́εγειν, composé de λ́εγειν ; « parler,
discourir » et du préfixe δια qui indique l'idée d'un « échange ». Etymologiquement donc,
la dialectique est un échange de paroles ou de discours c'est-à-dire une discussion. C’est
la technique voire l’art du dialogue, la rhétorique.
Nous chercherons à repérer les contradictions inhérentes à chaque notion. Souvent, nous
nous focaliserons sur un seul aspect parce que nos représentations conditionnent notre
capacité à observer le réel. Dans notre développement, nous tenterons de saisir les
significations d’une notion en identifiant ses contradictions pour éclairer le débat. La
méthode dialectique correspond à notre recherche personnelle par le doute et l’analyse
qu’elle suscite. Notre raisonnement et notre réflexion aboutiront à des propositions parfois
analogues, parfois contradictoires à celles récoltées. La finalité de la démarche est de
soulever une problématique, de susciter le questionnement, de semer le doute pour
permettre de relancer la réflexion et de réorienter les recherches. Le survol de tous ces
concepts sera nécessairement caricatural ou plus exactement idéal-typique, au sens où
Weber3 utilise ce terme. C’est pourquoi, sans volonté d’exhaustivité, par la réduction de
certaines analyses, ce travail privilégiera les concepts qui semblent aujourd’hui les plus
significatifs pour comprendre les fondements de nos démarches soignantes. Cette
approche se veut le complément d’autres travaux effectués, particulièrement, sur
l’éducation du patient4.
Depuis vingt ans, de nombreux scientifiques réfléchissent sur ces concepts, élaborent des
stratégies et formations à mettre en place tant sur les terrains institutionnels, que dans les
2
Dans ce travail, nous utiliserons le « nous ». Ce nous se veut pluriel, il représente le fruit de nombreuses interactions
avec les personnes malades, les collègues et les professeurs. Ce travail est loin d’être un cheminement solitaire.
3
L' « idéal-type » est une forme particulière de classification, concept sociologique défini par Weber M., modèle qui
n’existe pas à l’état pur mais qui est une figure de référence utile pour l’étude de la réalité empirique.
4
Verstraete I., « Organisation hospitalière de l'éducation du patient : le point de vue des infirmiers-chefs »présenté en
juin 2008.
1
structures de proximité du patient. La mise en place de cet encadrement nécessite des
consensus avec les pouvoirs dirigeants. L’objectif est une amélioration de la prise en
charge des pathologies mais aussi de la santé en général, ce qui permettrait une
stabilisation voire une baisse des coûts de santé, actuellement en croissance
exponentielle.
Force est de constater que les travaux de ces scientifiques n’influencent pas encore nos
pratiques. Dès lors, nous nous interrogerons sur la place effective du patient au cœur de
nos pratiques5 soignantes.
L’éducation du patient ne constitue pas un exercice systématique dans nos institutions de
soins et même si elle fait partie des intentions des soignants, elle reste trop peu exploitée.
Isabelle Verstraete dans son TFE6 « Organisation hospitalière de l'éducation du patient : le
point de vue des infirmiers-chefs »présenté en juin 2008 nous dit ceci : « Pratiquement,
nous informons bien plus que nous n’éduquons et clairement, ce qui ressort de l’étude
c’est que, oui, cela se pratique mais de façon non professionnelle, peu organisée, peu
structurée, insuffisamment coordonnée et de manière intuitive et isolée. (…) chacun
fonctionne comme il le sent, de façon intuitive et spontanée sans se préoccuper de savoir
comment cela se fait ailleurs et de ce qui se pratique dans l’unité d’à côté. Chacun travaille
dans le cadre de sa spécificité ».
Ce constat établi, les connaissances acquises durant la formation de cadres ainsi que les
interactions vécues au cours de cette période nous ont amenés à creuser les fondements
de nos pratiques. Notre motivation de cadre serait d’amener les infirmiers 7 à privilégier les
relations et la dimension humaines, à leur insuffler la notion de partenariat dans leur
rapport avec le soigné, à le considérer dans sa singularité. Le challenge constitue à faire
émerger la capacité humaine des soignants souvent masquée par de nombreuses autres
considérations comme le manque de temps, la technicité, le manque de moyens ; autant
d’arguments qui cachent peut-être la peur d’entrer en relation. Pour ce faire, nous ne
souhaitons pas agir de manière directive, ce qui nous ferait tomber dans les travers que
nous dénonçons. Notre recherche tente de comprendre les raisons qui poussent les
infirmiers à aborder l’éducation du patient soit d’une manière plus prescriptive, instructive,
sous la forme unique de l’information ou alors dans le sens d’un cheminement en
compagnie du patient. Ces visions s’opposent apparemment mais la réalité se situe
souvent entre les deux. Notre parcours professionnel a été jalonné de différents ressentis
5
Pratiques : « activités volontaires visant à des résultats concrets »Le Petit robert, à ne pas confondre avec techniques.
Travail de fin d’études.http://www.lereservoir.eu/BASE%20TFE%20CADRES/ISABELLE%20VERSTRAETE.pdf
7
Bien que préférant le terme infirmière, nous respecterons la règle grammaticale et utiliserons le terme infirmier dans
ce travail, il englobera le terme infirmier-infirmière.
6
2
et expériences tantôt plus près de la technicité, tantôt plus près d’une démarche
humaniste. À ce stade, il nous semble important de rappeler que les fondements qui
motivent l’action des infirmiers ne sont pas les seuls en cause dans l’interaction ; les
représentations du patient le sont tout autant ; cependant, nous n’aborderons pas ce
versant dans ce travail et nous nous limiterons à l’action infirmière.
Comme dans les autres champs du savoir humain, l’éducation du patient s'insère dans un
réseau de représentations mentales souvent implicites. Ainsi, travailler sur les modèles
sous-jacents à nos pratiques soignantes, s'appliquer à expliciter ce qui les fonde
constituent nos enjeux. L'intérêt d'une étude des différents modèles théoriques soutenant
l'action est donc de rendre possible le passage de l'implicite à l'explicite, de permettre
d'identifier dans quel but et sur quelles bases les interventions sont construites et d’ouvrir
un accès à différentes théories qui peuvent orienter nos nouvelles pratiques soignantes.
Comprendre et expliciter ces modèles qui guident les actions et qui conditionnent
l’approche éducative nous permettra d’élaborer à partir de leurs représentations des
formations adaptées qui aideront les soignants à évoluer vers un partenariat dans la
relation.
Le présent travail est composé de cinq chapitres. Le premier sera consacré au soin,
assise des pratiques infirmières, dont nous reverrons l’évolution dans le temps avant de le
conceptualiser. Nous aborderons ensuite la relation singulière qui se joue entre le soignant
et le soigné. Après avoir détaillé les enjeux de la relation, nous terminerons par les deux
protagonistes de celle-ci : le soigné et le soignant.
Le deuxième chapitre présentera les deux paradigmes dominants de la sociologie dont les
caractéristiques se retrouvent également dans les autres modèles présentés, les modèles
de santé et d’apprentissage.
Quatre parties structurent le troisième chapitre où nous aborderons la maladie, le modèle
biomédical, la santé pour terminer par le modèle global.
Le quatrième chapitre sera consacré à l’objet de notre recherche, l’éducation que nous
tenterons de définir et la démarche éducative telle que nous la concevons. Ces
procédures s’inspirent des modèles d’apprentissage. Ces modèles ont évolué depuis
cinquante ans laissant la place à l’acteur principal, l’apprenant. Nous passons
progressivement d’un apprenant objet à un apprenant sujet.
Notre synthèse rassemble les concepts d’Éducation et de Santé. Nous tentons une
réflexion autour de ces deux termes si souvent utilisés et quelquefois galvaudés. Elle
s’illustrera dans le modèle allostérique de l’apprentissage proposé par Giordan. Ce
3
modèle tente d’intégrer un maximum d’éléments déterminants et favorables à
l’apprentissage se rapprochant du modèle global de santé.
Notre rôle de cadre se situe dans la prise de recul nécessaire à la remise en question.
Conduire ce projet, c’est amener un changement. Il importe de donner les justifications,
d’expliquer les améliorations que ce changement peut amener autant pour le soigné que
pour le soignant. Le partenariat soignant-soigné est susceptible de soutenir l’adaptation du
patient à la maladie, d’augmenter son adhésion au traitement, sa connaissance de la
maladie, sa satisfaction, voire d’influencer l’évolution de son état de santé. Cette
communication influence également la qualité de vie du soignant qui devant des
pathologies plus lourdes ou incurables se trouve souvent dans un inconfort et un état de
malaise voire de mal-être. Le cadre de santé peut faciliter l'émergence de cette approche
globale de la personne malade dans son environnement en réfléchissant avec son équipe
et ses pairs sur ses pratiques, en redéfinissant l'objet de sa profession, et en actualisant
les pratiques soignantes en fonction des besoins du soigné.
4
CHAPITRE I LE SOIN
Il nous semble inconcevable d’amorcer une réflexion sur l’éducation du patient sans
d’abord s’arrêter sur le soin qui est le fondement de notre démarche infirmière. Nous
allons tenter dans ce paragraphe d’en retracer l’évolution dans le temps et de le
conceptualiser.
Pendant des milliers d’années, le soin n’était pas le propre d’une profession mais bien le
fait de toute personne qui aidait quelqu’un d’autre à assurer tout ce qui lui était nécessaire
pour continuer sa vie. Le soin, comme le définit Collière8, « est un acte de vie ».
L’histoire du soin commence dès que l’être humain apparaît sur terre. Depuis que
l’Homme existe, il y a eu des souffrants, des malades et des mourants, et ce sont les
femmes qui en prenaient soin. Aux femmes, l’intérieur, la cuisine, les enfants, les malades
et les mourants ; aux hommes, l’extérieur, la chasse, la guerre. Cette attribution du rôle de
soignant à la femme constitue une lame de fond toujours présente dans l’image que nous
nous faisons encore maintenant du soignant. Longtemps, les valeurs attribuées à la
soignante furent en phase avec les valeurs attribuées à la femme ; affectivité, douceur,
disponibilité, générosité, abnégation, discrétion, soumission. Soigner comme éduquer
garantit la continuité de l’identité du groupe devenu communauté, entretient donc la vie en
satisfaisant un ensemble de besoins indispensables à celle-ci. Soigner représente une
multitude d’actes qui ont pour fonction d’entretenir la vie des êtres vivants afin de leur
permettre de se reproduire et perpétuer l’existence symbolique du groupe. Dans cette
approche, le patient est couché, le soignant debout. Ce dernier répond aux besoins du
patient, la relation peut dévier vers une relation parent/enfant où le soignant connaît ce qui
est bon pour le patient. L’objectif du soin est le rétablissement à l’état antérieur sinon le
réconfort. L’approche est maternante.
A partir du Ve siècle, les communautés religieuses accaparent le soin. Sous l’influence de
l’Eglise, apparaît une nouvelle conception des soins qui octroie la suprématie à l’esprit,
reléguant le corps impur. Le corps doit connaître souffrance et douleur pour se racheter.
Le sens du soin est obligatoirement d’entretenir la vie à tout prix puisque la vie est don de
Dieu. La maladie est perçue comme le signe d’une faute, d’un péché : les maladies
honteuses. L’Eglise exprime un mépris pour tout ce qui est charnel ; comme, dans la
société patriarcale, c’est la femme qui est symbole et lieu de sexualité, ce sont les femmes
8
Collière M.-F., Promouvoir la vie, inter éditions, 1992, 391p.
5
qui assurent donc les soins pour le rachat de leurs âmes. À cette époque apparaissent les
femmes damnées ou sorcières qui vont se partager le territoire avec les « vierges
consacrées » qui dédient leur vie à Dieu et aux œuvres. Soigner devient une vocation
avec des notions telles que l’assistance, la bienfaisance, la charité, l’humilité et
l’obéissance. La notion de vocation reste encore d’actualité, elle ne fait plus référence à un
«appel» mais à un ressenti, à une disposition plus ou moins naturelle à prendre soin de
l’autre. Beaucoup de ces valeurs sont toujours en vigueur parmi les soignants telle l’idée
chez certains de devoir à tout prix soigner le patient, et même parfois contre son gré.
L’obéissance aux prescriptions médicales relève aussi de cet idéal ; elle s’inscrit dans
l’idée que seul le prescripteur peut raisonner, avoir la sagesse et le bon sens. Rappelons
que la prescription est une « autorisation à », une recommandation9 et non un ordre.
Ce désintérêt envers le corps remet radicalement en cause les pratiques de soins fondées
sur l’unité du corps et de l’esprit. Les pratiques d’hygiène seront délaissées laissant la
place aux recommandations basées sur les principes des valeurs morales et religieuses.
Les soins s’adressent aux corps souffrants, misérables, images du Christ souffrant dans
sa passion, ils perdent leur caractère d’agrément et par là même leur fonction de
développer et entretenir la vie10. La maladie est perçue comme un moyen de rédemption,
en réparation des fautes et des péchés. La douleur est en quelque sorte salvatrice mais
mérite aussi d’être soulagée. Le rôle des religieuses reste ambigu, car si leur fonction est
de soigner des corps, leur mission est avant tout de sauver les âmes. C’est ainsi que les
religieuses, se consacrant aux âmes par la prière et les sacrements, ont peu à peu
délégué les soins du corps à un personnel laïc placé directement sous leur autorité. Une
forme de division de travail allait progressivement s’opérer dans les hôpitaux. L’abord du
soin reste maternant mais de nouvelles valeurs sont introduites, certaines sont encore
prédominantes actuellement.
À la fin du XIXe siècle, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme le développement des
découvertes scientifiques modifient en profondeur la pratique des soins et le rôle infirmier.
Les soins ne seront plus centrés sur le malade mais bien sur la maladie. Elle devient
l’objet d’investigations et le sujet vivant la maladie n’est qu’un épiphénomène. La maladie
devient une entité objective 11, indépendante du patient et du médecin. La maladie se situe
alors au centre du système médical bénéficiant de classifications, mesures et
expérimentations cliniques. L’intérêt du médecin se déplace du malade vers le mal et
9
Le nouveau petit Robert, 1997.
Collière M.-F., op. cit. p 65.
11
Illich I., Némésis médicale in œuvres complètes volume 1, Fayard, 2003, p 735.
10
6
l’hôpital devient lieu propice à l’étude des « cas ». Le champ médical s’amplifie, use de
techniques de plus en plus élaborées, délègue les tâches routinières au personnel
infirmier. L’infirmière devient l’auxiliaire médicale, main-d’œuvre maintenue en dehors des
savoirs et des connaissances dont le seul but est d’être au service des médecins. Le
malade est considéré comme un ensemble d’organes à analyser, diagnostiquer et traiter.
La maladie est perçue comme une aberration du corps, elle met le corps ou un de ses
organes hors norme qu’il convient de corriger au plus vite, la guérison constituant le retour
à la norme. Le vécu du malade n’intéresse pas le médecin. Il est vu comme un enfant, un
être non-responsable, peu motivé à se prendre en charge. C’est le règne de l’objectivité,
maître mot de toute démarche scientifique, de l’efficacité et de la technicité. Au nom de la
science, le médecin propose, voire impose les examens menant au diagnostic et les
traitements découlant de ce diagnostic. Les malades font l’objet d’hyper protection ou de
délaissement, la prise en charge étant régulée par des attitudes oblatives12.
L’imprégnation des valeurs morales restant très présente, le discernement est fait entre
bon et mauvais malade selon sa soumission aux consignes données, son respect des
valeurs morales ou religieuses. L’infirmière a le souci constant de soulager la souffrance
mais non de l’éviter. Les soins restent curatifs, n’envisageant aucune prévention et encore
moins une éducation.
Cette tendance scientifique autour de la maladie continue à se développer durant une
bonne partie du XXe siècle, l’approche de la maladie influençant les modes d’organisation
du travail ; les services hospitaliers s’ordonnent autour de grands patrons médecins, les
malades sont répartis selon l’organe à réparer. Le soin infirmier devient plus technique,
constitué de tâches prescrites par le médecin pour diagnostiquer, traiter le trouble. La
maladie justifie l’action infirmière, les tâches de nursing, ignorées du médecin, sont
souvent reléguées à un second plan ou confiées à des aides. Ce manque de connexion
entre les soins requis par la maladie et non par le malade, explique qu’il y ait une perte de
sens, d’orientation. Le soin est désincarné, il y a une carence de lien entre le patient et la
maladie. L’infirmière reste partagée entre l’apprentissage des activités techniques
prescrites par le corps médical et les impératifs idéologiques de servir le malade. Les
patients perdent ce qui fonde habituellement leur identité pour endosser l’identité maladie,
ils sont assimilés à leur pathologie et l’infirmière est assimilable à la maladie qu’elle traite.
Alors que le développement des sciences exactes génère un flot de technicité centrée sur
la réparation des organes lésés par la maladie, les sciences humaines et sociales
12
Qui est mis au service d'une personne ou d'une idée, charitable.
7
entrouvrent les chemins de la personnalité, suppléent aux carences d’un savoir que ne
peut combler la seule morale professionnelle. La tâche est difficile face aux sciences
exactes et les besoins de relations interpersonnelles ne sont que tardivement prises en
compte dans le soin. Vers 1970, seulement, se profile une revalorisation de la relation
soignant-soigné dans nos écoles et institutions. La pratique infirmière reconquiert sa
raison d’être13; la personne soignée. Le malade est le référant, point de départ et
aboutissement des soins. Il s’agit de reconnaître la personne soignée en ce qu’elle
représente, en ne la considérant plus comme un objet inconditionnel des soins mais
comme un sujet. C’est la relation avec le malade qui devient le pivot des soins, moyen de
connaître le malade, de le comprendre ; donnée de base du travail infirmier, elle devient
soignante. Cette relation n’est plus maternante comme à l’origine des soins, elle évolue
vers un professionnalisme en sciences humaines qui permet à l’infirmier d’entrer dans une
relation de partenariat avec le malade. Durant cette époque de transition, où la technicité
est encore très présente, la relation avec le malade apparaît pour beaucoup comme une
autre option à la pratique des soins, option qui s’oppose à la technicité, accule l’infirmier à
faire choix d’être technicien ou travailleur social.
Le dernier courant que nous avons rencontré se situe au cours des années 1980-2000,
durant lesquelles la réflexion se détache du malade et de la maladie pour une vision plus
macroscopique. Les hôpitaux sont gérés de manière plus managériale, il est question de
rentabilité, productivité, performance, concurrence, prestige, rationalisation, spécialisation.
Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût. Les soignants sont confrontés à des équipes de
direction, à des nouveaux métiers comme l’infirmier hygiéniste, des responsables de
formation continue,…Le rapport au patient peut se modifier, il devient client, certains
clients étant moins intéressants que d’autres.
Parallèlement, un ensemble de valeurs, en résonance avec la réflexion culturelle du
moment, envahit le monde des soins. L’autonomie du patient est prônée, il est la seule
personne à savoir ce qui est bon et bien pour lui et in fine, c’est à lui et à lui seul de
donner ou non son consentement14 aux soins proposés. Le soignant prendra le temps
d’éclairer le patient en répondant à ses questions. Ce consentement, la personne
requérant les soins ne pourra le donner qu’après avoir été correctement informé, d’une
manière claire, la plus complète possible et de façon compréhensible.
13
Collière M.-F., op. cit. p155.
er
Loi relative aux droits du patient, le 22/08/2002, art 8 §1 Le patient a le droit de consentir librement à toute
intervention du praticien professionnel moyennant une information préalable, in Florin C., cours «Ethique Déontologie».
14
8
Ce courant humaniste est caractérisé part le concept de l’autonomie du patient, par
l’attitude empathique du soignant et par la place donnée à la maladie dans l’histoire du
patient, maladie qui pourrait s’inscrire comme un facteur de développement personnel.
Toutes ces valeurs gravitant autour du soin au cours de son évolution dans le temps, nous
les retrouvons encore aujourd’hui à l’hôpital dans des proportions très variables.
Les infirmiers s’identifient selon deux approches assez distinctes du soin : la prise en
charge technique et relationnelle des patients. Durant l’histoire, nous constatons que l’une
ou l’autre des orientations a prévalu au point parfois de nier l’autre. Actuellement, nous
sommes plus dans une phase d’équilibre où ces deux pôles sont reconnus et la posture
soignante s’adapte à l’individu requérant les soins dans un contexte précis, selon
l’environnement et les attentes singulières. La profession infirmière recouvre des actes et
des lieux d’exercice divers qui constituent parfois des métiers différents.
Le premier courant est lié à la technique, l’abord centré sur la maladie. La préoccupation
reste le malade mais en tant que porteur d’une maladie. C’est autour de celle-ci que
s’organisent les connaissances nécessaires. La pratique infirmière valorise la technicité
mais cette approche maintient l’infirmier dans une position d’auxiliaire médicale, il n’a pas
accès à toute la démarche analytique. Il se situe au niveau de l’organisation et la
réalisation de toutes les tâches prescrites par le médecin dans un but d’investigation, de
traitement et de surveillance de la maladie. La répartition du travail se fait par tranches
d’horaire ; toutes les toilettes le matin, la prise de température chez tout le monde à une
telle heure, …Le cheval de bataille reste la maladie, toutes les énergies se concentrent
pour lutter contre celle-ci. Dans ce flot techniciste, nous retrouvons peu de connexions
entre les diverses tâches qui sont de plus scindées et réalisées par des personnes
différentes. Tous les soins d’hygiène, toutes les attentes ou besoins des patients sont
souvent relégués au second plan ou confiés à du personnel soignant non infirmier comme
des élèves infirmiers en début de formation ou des aides-soignantes. Cette absence de
lien nuit à la « compréhension de qui est le malade et de la maladie qu’il a »15. Cette
séparation entre les différentes tâches entraîne une perte de sens, le travail devient
routinier, la personne requérant les soins peu prise en compte.
L’enseignement dispensé dans la formation des infirmiers nous oriente vers ce type de
fonctionnement puisque qu’après les connaissances théoriques centrées sur la maladie,
elle se complète par des connaissances pratiques sur les techniques. Nous sommes
15
Collière M.-F., op. cit.
9
davantage formés pour assurer l’auxiliariat médical que pour mener une réflexion visant à
guider et enrichir l’action infirmière. Cet aspect du soin est encore actuellement valorisé
puisque, pour travailler en unité de soins intensifs ou aux urgences, un diplôme
supplémentaire, basé sur l’apprentissage de techniques, est demandé. Cette formation est
encouragée financièrement, contrairement à d’autres formations qui abordent plus le
niveau relationnel comme la formation en gériatrie ou aux soins palliatifs. Malgré cette
approche technique, les infirmiers s’efforcent de préserver les relations interpersonnelles
avec les personnes requérant leurs soins, mais ces relations en «marge» du travail,
souvent ne font pas l’objet d’écrits et peuvent difficilement être intégrées au travail
professionnel. Les médecins, par contre, sont friands de récolter ces observations
infirmières précieuses pour apprécier l’évolution de la maladie du patient. Dans la
réalisation de ce versant technique du soin, l’infirmier cherche à se construire une identité
proche de celle du médecin en se référant aux mêmes sources de savoir comme en
réalisant des tâches qui naguère étaient réalisées par les médecins. La technicité repose
sur
l’acquisition
de
compétences
qui
sont
reconnues
socialement,
souvent
économiquement et donc valorisantes pour les infirmiers. En fonction de la complexité
technique acquise, les infirmiers accèdent à des responsabilités analogues à la
hiérarchisation propre à l’industrie.
Dans cette approche du soin, l’intérêt se concentre sur la déficience organique au
détriment des perturbations ressenties dans la vie quotidienne du fait de cette maladie.
Patients et soignants sont catégorisés en fonction de l’organe atteint, ce qui renforce la
déconnexion des soins du contexte de vie et donc souvent au long terme à une perte de
sens. Cette idéalisation de la technique la rend prééminente, remède unique à tous les
maux, la personne requérant nos soins confie son corps aux puissants appareillages et
aux personnes qui les manipulent. Le danger sera la vision fragmentée du problème de
santé de la personne et son maintien dans un rôle passif puisqu’il est face aux experts et
peu interpellé sur son vécu.
Le deuxième versant du soin prend apparemment le contre-pied, s’intéressant plus à la
personne soignée qu’à sa maladie. Elle n’est plus objet des soins mais sujet de soins 16. Le
malade n’est plus un objet porteur d’une maladie mais il est l’intention des soins qui ne
prennent sens que par lui. La relation devient le générateur de soins dans le sens où c’est
elle qui détient le moyen de connaître la personne et de comprendre ce qu’elle a. Aider
l’individu dans le maintien ou la restauration de sa santé exige de connaître ses besoins
16
Collière M.-F., op. cit.
10
mais comment les connaître sans aborder la relation avec lui ? Nous ne parlons pas de
relation amicale mais bien d’une relation de soin, une relation professionnelle qui permet
une réutilisation des informations récoltées. La relation soignant-soigné n’est pas un
recueil de confidences mais bien d’un ensemble d’éclaircissements qui vont nous aider à
mieux cerner le patient, à comprendre son problème de santé ainsi que ses attentes par
rapport à sa requête de soins. Elle ne prend sens que si elle permet d’établir des liens
entre les diverses données concernant la personne et sa maladie, ceci en concertation
avec tous les soignants, le patient et son entourage. Cette relation contribue à la continuité
des soins et incite la collaboration effective de la personne requérant des soins. La
personne malade devient le référant du soin, sa finalité. Elle participe aux décisions
concernant sa propre santé. Ce temps relationnel ne peut se concevoir comme un
complément au soin technique mais bien comme une activité soignante à part entière,
avec des temps forts selon certaines pathologies ou à des moments particuliers du suivi
de la personne comme l’accueil, l’annonce d’un diagnostic ou la préparation à la sortie.
Cette approche nécessite une réorganisation de la pratique soignante ; d’un
fonctionnement en tâches fragmentées, standardisées et répétitives comme toutes les
injections, la distribution des médicaments, la réfection des pansements,…l’infirmier arrive
à une prise en charge « globale » d’un nombre déterminé de patients. Il répond ainsi à
l’ensemble des besoins en soins requis par leur état. Il n’est pas possible de connaître
chaque patient du service et de bien comprendre ses perspectives en passant de temps
en temps pour accomplir une tâche ponctuelle. Cette subdivision au sein des équipes
soignantes ne se passe pas sans difficulté et différentes formes de résistances se
profilent ; le manque de temps, le manque de personnel, une infrastructure peu
adaptée,…sont invoqués. La difficulté réside dans le bouleversement que cette
«sectorisation»17 apporte dans les unités de soins ; toute la hiérarchisation construite
autour de la distribution des tâches ponctuelles s’effondre ; les aides-soignantes se
voyaient confier les toilettes, les étudiants récoltaient température et prise de tension
artérielle, les infirmières, auxiliaires médicales, assuraient les « techniques » plus
complexes, plus valorisantes à leurs yeux. En quête perpétuelle de leur identité, cette
position hiérarchique les rassurait.
La compréhension du contenu des informations recueillies durant la relation soignantsoigné remet en cause les croyances du personnel soignant et suscite son
questionnement. L’infirmier n’est pas exempt de sentiments tels que la sympathie, le rejet,
17
Collière M.-F., op. cit.
11
le déplaisir, la satisfaction : soigner, c’est prendre en compte les deux partenaires du soin.
Soigner n’est pas uniquement une fonction d’exécution de tâches mais inclut la relation
individuelle spécifique du soignant avec les soignés ainsi que tout le travail qui est
nécessaire pour rendre possible les interventions de l’ensemble des intervenants qu’ils
soient professionnels ou non. L’infirmier est appelé à jouer un rôle d’intermédiaire.
L’infirmier est amené à se poser des questions, à vérifier les données recueillies pour
chercher la nature des soins à prodiguer. Son identité peut ici retrouver son essence, il
passe d’un rôle « exécutant passif18 » à une responsabilité de « pensant actif ».
T
E
C
H
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I
Q
U
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L
A
T
I
O
N
N
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L
18
Interprétation toute personnelle et quelque peu caricaturale, tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir.
12
Commentaire
Nous venons de parcourir deux aspects du soin apparemment opposés ; la réalité est
toute autre : la technique ne peut se passer de la relation et la pratique soignante est faite
de techniques. Notre identité professionnelle se construit dans le lien que nous établissons
avec la personne requérant nos soins en utilisant techniques et technologies qui se
justifient. Le maintien de la santé ou la récupération de celle-ci mérite que toutes les voies
soient explorées, que la technique reste au service de la personne malade comme la
relation professionnelle que le soin demande. Il est indispensable de se questionner sur le
sens de nos démarches et de leurs finalités dans le respect de l’altérité, c’est-à-dire voir
en autrui autre chose qu’un instrument ou un non-sujet.
Worms définit le soin comme « toute pratique tendant à soulager un être vivant de ses
besoins matériels ou de ses souffrances vitales, et cela, par égard pour cet être
même. »19. La relation établie avec le patient nous permet d’évaluer la nécessité de soins
non techniques comme elle contribue à favoriser la compréhension et l’acceptation par le
malade des actes techniques essentiels voire vitaux. Même si une attirance plus
particulière vers un pôle plutôt qu’un autre peut se concevoir, l’infirmier n’a pas à choisir
entre une activité technique, d’auxiliariat médical, et une fonction plus relationnelle pour
consolider son identité professionnelle. Malgré les avancées récentes perçues dans le DIRHM où les aspects relationnels et éducatifs sont reconnus et valorisés au même titre que
des actes techniques, nos institutions de soins comme le système de santé ne peuvent
concevoir l’activité infirmière uniquement dans un rôle de coordination et de relation. Selon
notre parcours personnel et professionnel, nous pouvons vaciller vers un côté plutôt qu’un
autre selon une géométrie variable. Des infirmiers ayant travaillé dans des services de
haute technicité peuvent être en recherche d’une activité où la relation est plus essentielle,
la vérité se retrouve aussi dans l’autre sens. Certains arrivent à harmoniser les deux
aspects. La valorisation de la relation soignant-soigné nous a permis un questionnement
sur nos pratiques infirmières souvent inféodées au joug médical. En replaçant la personne
requérant nos soins au centre de nos préoccupations, elle rétablit un équilibre salutaire et
bénéfique à la reconnaissance de notre profession.
Le soin contribue à rétablir un bien-être, voire à rendre la vie mais c’est bien autre chose
qu’une simple intervention physique, qu’une tâche à effectuer : il est une réponse humaine
à une défaillance elle-même humaine. Cette réponse humaine n’arrive pas par abnégation
ou charité mais elle émane de vrais professionnels qui inscrivent leurs pratiques dans
19
Worms F. cité par Svandra P. in perspective soignante N° 30, décembre 2007, p 128.
13
l’histoire de vie de la personne soignée en soutenant cette dernière dans une construction
de sens. Nous devons laisser la porte ouverte à tous les possibles, c’est
vraisemblablement le comportement plus porteur de significations et d’espoirs. Cette
singularité fait de l’acte soignant une démarche difficilement évaluable et objectivable. Le
soin doit soutenir l’émergence d’un sens, qui permette la construction de la relation, de la
personne soignée et de la personne soignante20.
20
Curchot C., relations soignants-soignés, prévenir et dépasser les conflits, Masson, 2009, p 71.
14
I.1 La relation de soin
Les soins s’inscrivent dans le cadre de la relation et dans l’intimité du face à face. Cette
relation a évolué au cours du temps d’une relation hiérarchisée, où le soignant détenteur
de la connaissance infériorisait le patient, à une relation plus égalitaire grâce au
développement
de
notions
telles
l’égalité
entre
les
citoyens,
les
relations
intergénérationnelles, l’autonomie. Toute situation de soins est la rencontre de personnes
cherchant leur complémentarité par rapport à un besoin de santé21.
La relation de soin est une relation qui relève du champ professionnel et implique des
rapports sociaux codifiés, fixant par avance l’identité sociale des acteurs22 : le soignant et
le soigné. La relation de soin ne relève pas du hasard, elle fait partie de la prise en charge
de la personne soignée. Elle s’applique à tout professionnel qui se propose de prendre
soin d’une personne. La famille peut être soignante, surtout après l’œuvre de l’éducation,
sans être professionnelle, mais nous ne qualifions pas ces moments de relation de soin.
Cette relation est imposée car ni le soigné, ni le soignant n’ont choisi d’entrer en relation
avec l’autre, avec la nuance que pour ce dernier, elle fait partie de ses fonctions. Elle
détermine le travail du soignant qui consiste à accompagner le patient vers l’autonomie.
La difficulté peut venir des acteurs qui sont appelés à jouer des rôles parfois imposés et
sont amenés à collaborer étroitement avec des personnes dont les valeurs ou les buts
sont différents. Le patient ne choisit pas davantage d’être malade qu’il ne choisit ceux qui
vont le seconder dans les soins. La difficulté peut également venir des institutions qui
imposent des logiques de marché à un domaine fondé sur l’humain. Pour la personne
malade qui est prise en charge, le métier du soignant importe peu. Elle confie à des mains
compétentes a priori, son corps, sa vulnérabilité et sa confiance. Notre profession,
symbolisée par le tablier blanc, se retrouve dans un rôle, une représentation que le soigné
se fait de nous. S’éloigner du personnage représenté, de la place que le soigné nous
donne peut le déstabiliser. À l’hôpital, le patient se met à nu dans tous les sens du terme
et quelquefois ses besoins primaires sont réalisés par d’autres; ces repères, ces règles
de bienséance disparus peuvent être intolérables pour certains ou même vécus comme de
la violence. Nous, soignants, ne prêtons plus toujours suffisamment d’attention à ce qui
nous semble « coutumier ». Le début de la relation a donc toute son importance pour
évacuer au maximum cette asymétrie de fait qui existe entre les deux protagonistes. Le
21
Collière M.-F., op. cit.
Formarier Monique, Méthodologie : La relation de soin, concepts et finalités, Recherche en soins infirmiers, N°89,
juin 2007, pp33-42.
22
15
temps des présentations, avec l’expression des attentes, est un passage essentiel à l’un
comme à l’autre pour permettre de se reconnaître comme humain, acteur.
Cette pause permet au soigné d’identifier la « blouse blanche » et de ne plus la voir
comme la représentation d’une autorité. Parler avec le patient, c’est lui témoigner notre
attention, le reconnaître en tant que semblable. Cette part très naturelle de l’échange
permet de mettre les maux en mots, d’exprimer ses craintes, ses appréhensions,
d’envisager l’avenir et l’élaboration d’une relation de confiance qui lui donne son sens.
L’écoute est une facette importante de la relation. Il ne s’agit pas d’une écoute
bienveillante mais bien d’une écoute qui engage et suscite. Le soignant sera disponible
tant au niveau temporel qu’au niveau intellectuel et moral. Soigner implique l’acceptation
des opinions de l’autre, de ses décisions, de ne porter aucun jugement.
Les voies de la relation sont nombreuses : la parole, le respect des silences, du rythme
d’assimilation, le toucher, le regard, les intonations, les gestes. La relation passe par la
communication verbale comme la communication non-verbale. La communication nonverbale véhicule plus d’affectivité, elle traduit nos sentiments, apporte des informations sur
notre état intérieur. Ce langage quasi universel renforce et valide le message verbal. Dans
certaines situations, la communication non verbale peut décrédibiliser le message si elle
est inadaptée, si elle véhicule le contraire de ce qui est dit oralement. Ce lien s’établit
entre des êtres humains, dont certains demandent à être soignés alors que d’autres
offrent de répondre à leurs besoins.
La relation de soin ne pourra être harmonieuse et constructive que dans une dimension de
partenariat portée par la confiance, et sous-tendue par une éthique consciente de sa
responsabilité et soucieuse du bien de l’autre. C’est l’éthique de la relation qui permet
l’établissement d’une relation de confiance dans laquelle les partenaires établissent une
alliance. L’éthique correspond à cette exigence intérieure qui fait que l’homme prend
conscience de ses valeurs et le rend responsable de ses actes. Prendre soin du malade
requiert de prendre soin de sa maladie, mais aussi de sa personne en favorisant son
autonomie, son implication dans les soins, en faisant preuve d’empathie face à des
situations personnelles parfois difficiles. L’empathie23 s’exprime dans l’acte de
compréhension que le soignant met en place pour percevoir la souffrance de l’autre, se
mettre dans sa peau pour comprendre ce qu’il vit et pouvoir le rejoindre à son niveau de
communication, dans sa solitude, dans ses peurs. L’infirmier devient le médiateur du
23
« L’empathie, cela signifie entrer dans le monde personnel, perçu par autrui et s’y trouver comme chez soi. »Rogers
C. cité par Poeydomenge M-L., l’éducation selon Rogers, les enjeux de la non-directivité, Dunod, Paris, 1984, p 86.
16
patient. Face à la relation, de prime abord, inégale entre le soignant et le patient, ce
dernier aura tendance à mettre en place des mécanismes de défense qui limiteront la
relation de confiance. Dans la relation de soin, la confiance est le postulat qui permet une
alliance c’est-à-dire une promesse réciproque ; l’engagement du soignant à exercer son
rôle avec conscience, honnêteté et professionnalisme face à l’engagement du patient à se
conduire comme agent actif de son propre traitement. Les anglo-saxons utilisent le terme
d’empowerment24, pour désigner ce processus par lequel une personne malade, au départ
d’une situation ou d’un sentiment d’impuissance, augmente sa capacité à identifier et
satisfaire ses besoins, exprime cette volonté de devenir acteur dans sa thérapie de
manière à avoir le sentiment de contrôler sa propre vie. L.’empowerment exprime la
croyance dans les performances des personnes et renvoie au fait de « donner le pouvoir »
afin de susciter la motivation. Ce concept est souvent traduit en français par
responsabilisation ou implication. Ce dernier intègre également la notion d’autonomie. Le
réflexe de maîtrise est une étape normale et nécessaire dans le processus d’acceptation
de la maladie mais le processus d’empowerment s’observe à mesure que le patient
apprend à mener une vie satisfaisante, en tenant compte des contraintes et des limites
imposées par la maladie, sans pour autant renoncer à l’ensemble des projets et
aspirations qui comptent pour lui. C’est la capacité de “lâcher prise” c’est-à-dire la capacité
de reconnaître et d’accepter que éléments échappent à toute possibilité de contrôle qui
s’accompagne en même temps d’une prise de conscience de ses ressources et de ses
possibilités.
La relation de soin nécessite l’engagement des deux parties dans un véritable partenariat.
Elle présente des risques pour chacun des partenaires : le patient fragilisé par sa
pathologie se sentira souvent infériorisé face à un soignant fort de ses connaissances et
de sa position : l’uniforme contre le pyjama, la verticalité contre la position couchée,... Le
soignant25, dont le but est d’aider l’individu malade ou en santé au maintien ou au
recouvrement de celle-ci, attend de l’efficacité de son action. Il pourra se sentir frustré
devant la progression du mal malgré ses efforts. La prise de conscience de nos propres
fonctionnements, modes de pensée, automatismes de réaction nous aidera à mieux nous
connaître nous-mêmes26 et ouvrira la porte au décryptage d’autrui. Cette compréhension
de l’autre permettra au soignant d’adopter une attitude de sollicitude préventive du double
24
Terme fréquemment rencontré dans nos lectures sur la relation éducative et qui a fait l’objet d’une thèse de
doctorat en santé publique, option : éducation du patient, présentée par Aujoulat I., en janvier 2007.
25
Nous utilisons ce vocable qui peut englober toutes les professions paramédicales et médicales, nous l’attribuons
dans ce travail particulièrement à l’infirmier. Nous allons le conceptualiser après avoir évoqué le soigné.
26
Le «  » « Connais-toi toi-même » de Socrate.
17
écueil décrit ci-dessus. Il est indispensable de pouvoir s’appuyer sur un socle de
connaissances en sciences humaines pour appréhender la complexité, mais aussi la
richesse de l’être humain. La relation de soin ne pourra jamais se résumer à un simple
exercice technique, chaque nature humaine étant unique. Il convient à la fois de respecter
et la parole du malade et la parole du soignant, ainsi que l’autonomie de l’un et de l’autre,
à valeur égale. L’infirmier et le malade représentent deux subjectivités inscrites dans
l’histoire et dans le temps. L’être humain, qu’il soit soignant ou soigné, baigne dans une
culture, une langue et une histoire. Il n’y a jamais de création ex nihilo, mais un train en
marche que nous prenons. Autrement dit, nous partons tous avec nos fondements, notre
éducation, nos représentations et nos expériences de vie qui par leurs différences
apporteront difficultés et richesses à la relation. Le soignant inscrit sa pratique à partir d’un
modèle médical, une idéologie dominante mais aussi dans sa sensibilité propre, le malade
inscrit son vécu dans une histoire personnelle et sociale.
L’ouverture à l’autre constitue la pierre d’angle de la relation. Elle est propice aux partages
d’information, à la compréhension et à la construction d’un sens commun. Le tact, le
respect, l’empathie favoriseront l’instauration d’un climat bénéfique qui permettra aux
partenaires de fonder la relation et d’en déduire un sens. Dans de telles conditions, le
soignant et le soigné pourront exprimer leurs préoccupations, leurs besoins, leurs
préférences et ainsi préciser leur pensée et réfléchir avec l’autre. La confiance s’installe et
l’élaboration de décisions mutuellement satisfaisantes se constitue. Dans la relation, le
patient est accepté tel qu’il est, avec ses caractéristiques, ses valeurs et sa culture,
l’infirmier peut préserver sa propre intégrité et se développer sainement à travers les soins
qu’il réalise.
La relation de soin reste un chemin en construction tant les écueils peuvent être nombreux
comme les peurs, les susceptibilités, les incompréhensions, les représentations sociales
des uns et des autres, les règles mal explicitées. Les blocages sont souvent dus à une
méconnaissance des besoins et des projets de la personne soignée ou à une
incompréhension par celle-ci des intentions des soignants. Par leur mission et leurs
compétences, les soignants ont une responsabilité particulière pour renouer les fils du
dialogue quand la relation se dégrade. De nombreux facteurs, autres qu’humains, peuvent
rendre difficile la relation soignant-soigné comme l’organisation du travail et le climat au
sein de l’équipe. Charge aux soignants d’identifier les freins organisationnels qui
pourraient altérer la relation de soin et si possible de tout mettre en œuvre pour les
aplanir. Dans la conjoncture actuelle, les institutions hospitalières revoient leurs systèmes
de gestion sur des modèles qui visent la rentabilité et la performance. Toutefois, les
18
difficultés d’épanouissement de la dimension relationnelle à l’hôpital ne sauraient trouver
leur origine uniquement dans un manque de temps. Ce sont les mentalités qui évoluent
avec la tendance grandissante à l’individualisme. L’hôpital devient un lieu de prestations
de services, sa mission change. Pour les soignants au chevet du patient, la tâche est
d’autant plus ardue, ils sont souvent tiraillés entre une volonté d’aider le patient et la
difficulté à maintenir ce positionnement. L’infirmier doit être amené à réfléchir en
profondeur à sa relation avec le patient et à l’importance de la confiance dans sa prise en
charge. Le rôle qu’il va jouer auprès du patient lui confère un pouvoir dont il doit être
conscient. La relation de confiance ne peut s’établir dans les soins que si elle portée par
un engagement des deux acteurs du soin. Chacun doit prendre sa part et s’engager avec
ses propres ressources. Cette rencontre vise une identification, celle que le soignant et le
soigné poursuivent en tendant à devenir l’un par l’autre deux personnes dans la relation
de soin. Nous allons définir les acteurs de la relation de soin sans lesquels celle-ci ne
serait pas, le soigné et le soignant.
19
I.2 Le soigné
Dans ce paragraphe, nous tentons de conceptualiser la notion de soigné, malade, patient,
etc. Quels termes peuvent nommer cette personne qui requiert nos soins et que nous
souhaitons acteur, sujet et auteur de son projet de santé? Aucun vocable ne semble
approprié pour qualifier l’individu, porteur d’une maladie, caractéristique qui s’ajoute à son
identité mais qui ne modifie pas en profondeur celle-ci. Le terme soigné, que nous
utiliserons fréquemment dans ce travail, ne correspond pas à nos attentes puisque le
participe passé souligne la passivité alors que dans soignant, participe présent, nous
retrouvons l’action et donc le pouvoir. Cette dualité soignant-soigné, par la construction
grammaticale, renforce la représentation d’une relation asymétrique entre les deux
protagonistes. Nous ne le souhaitons pas. Néanmoins, nous suggérons de lire
indistinctement dans ce travail, le mot «soigné », « patient », « malade » avec l’intention et
le sens que nous leur attribuons, c’est-à-dire comme une personne requérant nos soins.
De nombreux soignants utilisent ces termes qui relèguent la personne malade dans un
rôle passif, objet de soins mais alors qu’ils considèrent la personne qui est devant eux
comme sujet de soins, auteur de sa vie. Ces mots, installés dans notre jargon
professionnel, ne sont plus pris stricto sensu par beaucoup d’entre nous. Nous avons vu
que le sens des termes malades, patients ont évolué dans le temps, passant d’une vision
globale, à une dualité, une approche mécaniciste et enfin humaniste. Derrière ces
vocables se situe une personne et selon les représentations27 que le soignant se fait de la
personne malade, ils prennent une signification plus mécaniciste ou humaniste.
Pour Deccache et Lavendhomme « Le patient, c’est d’abord la personne malade »28 :
nous parlons ici de la personne qui est engagée dans une relation de soin suite à un
problème de santé. Les auteurs englobent dans la définition la famille et l’entourage de
celui-ci. Personnellement, nous qualifierons également de patient la personne qui consulte
un médecin sans problème de santé quand il s’agit par exemple d’une consultation
prénatale ou d’une visite de contrôle. Nous préférons donc dire que ce qui caractérise le
terme de patient, c’est toute personne qui entre dans une relation de soin avec un
professionnel de la santé.
27
Les représentations sociales sont explicitées en page 27.
Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De
Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, p 65.
28
20
Malade29, patient, usager, bénéficiaire, client, nombreux sont les termes qui tentent de
définir le patient d’aujourd’hui. Leur ordre d’apparition et leur diffusion ont suivi l’évolution
du soin au cours des siècles, gardant les mêmes logiques. Cette multitude de mots cache
la même réalité mais le sens qui se trouve derrière ces expressions peut radicalement
différer ; or chaque mot a son importance et son impact, il peut modifier la perception et
l’action selon le ressenti de chacun. Nous allons définir ces différents vocables.
Le terme malade désigne une personne dont l'état de santé est altéré. L’origine
étymologique est le mot latin male habitus, envahi par quelque chose de mauvais, qui
connaît un trouble de l’organisme.
Le terme patient, issu aussi du latin patiens, illustre celui qui a de la patience, qui est
passif. Le patient désigne davantage une personne qui subit, qui est statique. C’est lui que
la médecine côtoie depuis des siècles, lui qui supporte l’asymétrie qui caractérise la
relation soignant-soigné.
L’évolution du statut du malade est liée à l’évolution de l’hôpital. Nous sommes loin de
l’hôpital-hospice où le patient sacralisait le médecin ; désormais, l’intégration des
nouveaux modes de gestion comme la comptabilité analytique, la forfaitarisation incite
l’émergence du concept hôpital-entreprise. Les patients sont mieux informés, non
seulement parce que leur niveau d’instruction moyen s’est élevé, mais aussi parce que la
formation médicale s’est largement diffusée dans les médias à destination du grand public.
Ils manifestent une exigence croissante quant à la qualité des prestations et de l’hôtellerie.
Dans le même sens, les directions d’hôpitaux accentuent l’aspect commercial par des
questionnaires de satisfaction, galeries marchandes ou encore analyse des plaintes.
Chaque patient revendique le droit à des soins plus performants et, en même temps, il
accepte de moins en moins les échecs. Peu à peu, le système de soins de santé est
passé d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Le concept de patient
migre vers la notion d’usager, bénéficiaire et client.
Le terme usager30 est une personne qui a un droit réel d’usage, qui utilise quelque chose,
un service public. Ce terme semble peu adapté si ce n’est dans le sens où les patients
recevaient, donc faisaient usage des prestations ou soins reçus dans les hôpitaux publics.
29
Dossier : Patient, usager…client ? La demande des personnes, la réponse des soignants in Soins cadre n°36 & 37
2000/2001.
30
Le Robert, 1997.
21
Le bénéficiaire, personne qui bénéficie d’un droit, d’un avantage, nous semble sur le
même niveau. Ces dénominations sont utilisées au Québec où une certaine catégorie de
patients peut bénéficier de soins de base prolongés qui imposent une prise en charge par
la société. Nous pouvons l’imaginer chez nous par le biais d’assurances ou de mutuelles.
L’arrivée du rapport contractuel dans le consentement éclairé, la notion de libre-choix,
l’évolution de l’hôpital-entreprise et le coût de plus en plus élevé des soins de santé à
travers la forfaitarisation et la participation financière des patients transforment le patient
en client.
Dans la société romaine, le plébéien qui se plaçait sous la protection du patricien était son
cliens ; maintenant il s’agit d’une personne qui achète des services moyennant rétribution.
Si la qualité du service n’atteint pas ses espérances, le client recherche un autre
fournisseur : la compétition est ouverte. Le fournisseur met en œuvre des techniques de
fidélisation pour garder sa « clientèle ». Ne parle-t-on pas de patientèle?
Le terme client est issu de l’entreprise, nous le retrouvons donc dans l’hôpital-entreprise.
Néanmoins, même si nos dirigeants s’orientent de plus en plus dans cette direction à
cause de contraintes budgétaires et d’efficience, cette politique commerciale, comme les
termes qui y sont associés, ne sont pas encore complètement arrivés au cœur des unités
de soins.
Commentaire
L’évolution est certaine, en témoignent notamment ces changements linguistiques. Les
notions de rentabilité et de production sont de plus en plus présentes dans nos hôpitaux et
l’activité médicale évolue dans ce sens. Malgré tout, le binôme client-prestataire de
services nous semble inadéquat pour établir une véritable relation soignant-soigné. La
rétribution ne peut être l’unique moteur de nos pratiques car la dérive d’une médecine
seulement accessible aux personnes ayant les moyens de payer est envisageable. Le
deuxième danger de cette relation client-prestataire est la surconsommation d’actes
techniques très lucratifs qui, à terme, nous le savons, sont sources de danger voire
iatrogènes pour le « client ». La nature des biens et des services dans le domaine
sanitaire restent totalement différents des terrains commerciaux classiques. Nous parlons
ici d’humain, de santé, de vie et nous avons charge de recentrer nos activités vers ces
pôles en nous préservant de dérive extrême de notre système de santé. L’évolution vers
les équilibres budgétaires et l’efficience est indispensable. Elle demandera probablement
dans le futur encore de nombreuses modifications, réorganisations, comme l’évaluation
22
tant du fonctionnement que de la qualité des pratiques mais nous devons promouvoir une
saine confiance, basée sur le dialogue dans la relation soignant-soigné.
L’utilisation du langage est importante et caractérise le sens qui traduit la conception que
nous avons de la personne en face de nous. Les mots utilisés traduiront notre posture
comme la représentation que nous nous faisons de la personne malade. Aucun vocable
ne sera suffisant et satisfaisant ; autant le patient révèlera la passivité peut être attendue
de celui-ci, autant le client nous transportera au sein d’une entreprise commerciale. La
dénomination utilisée nous indiquera le projet sur l’autre, le regard singulier pour mener
notre prise en charge.
Mieux informé, impliqué, plus critique, le malade devient un sujet, acteur, expert du vécu
de sa maladie. Cette mutation permet un rééquilibrage des interactions et des
engagements. Le déplacement se fait d’un maternalisme à une ambiance plus
contractuelle où la négociation est présente ; le mot « partenariat » est de plus en plus
présent dans le langage professionnel. Par partenariat, nous devons entendre, partager
en parties, partage de ressources, de tâches, de projets. La répartition entre les
différentes parties ne sera pas égale, les savoirs des uns ne sont pas comparables aux
savoirs des autres, mais la parole de l’un est égale à la parole de l’autre dans un climat de
confiance. Cette interdépendance s’impose doucement comme essentielle à l’obtention de
résultats satisfaisants31 ainsi l’adhésion des personnes malades aux thérapies prescrites.
Notre système de santé arrive au seuil d'une ère nouvelle, il doit s'adapter aux nouvelles
exigences des patients mués en consommateurs sans renier les valeurs humanistes qui
ont présidé à sa création. L'enjeu est de taille mais cette évolution est parfois mal perçue
par les soignants qui considèrent ces revendications comme une absence de confiance et
une intrusion dans leur territoire. Or, pour arriver à une phase de négociation et de
coopération, nous devrons annihiler tout enjeu de pouvoir d’un côté comme de l’autre. Les
informations, que les personnes requérant nos soins nous transmettent, nous permettent
d’adapter nos soins à leur situation particulière et donc apporte plus d’efficacité voire de
l’efficience pour les deux partenaires. Dans une perspective d’interaction, les besoins et
les attentes du soignant vont s'articuler à ceux de la personne soignée ; le lien va
permettre développement et croissance pour chacun d’eux.
31
Curchot C., relations soignants-soignés, prévenir et dépasser les conflits, Masson, 2009, p 110.
23
Et si être malade était un métier…
Voila une proposition qu’Herzlich32 nous soumet dans sa classification des types de
représentation de la maladie par le sens que la personne donne à l’inactivité que celle-ci
engendre. Selon Herzlich, la maladie peut être vécue comme destructrice, libératrice ou
encore comme un métier.
 La maladie-destructrice
L’individu ne voit aucune possibilité de restaurer son identité, du fait de sa maladie, il se
sent exclu de la société. Le malade sent l’inactivité, l’abandon de son rôle social comme
imposés, «comme violence qui lui est faite ». Il se sent diminué, sans énergie, dépendant ;
il refuse de savoir, de s’informer sur son état. La guérison devient l’affaire des autres. La
passivité est une caractéristique principale de cette représentation, le malade se
transforme en objet.
 La maladie-libératrice
L’individu perçoit dans la maladie l’occasion d’échapper à un rôle social étouffant, il désire
s’évader dans la pathologie au lieu de la refuser. Il ressent l’allègement des charges qui
pèsent sur lui. Les soins rendent la présence de la maladie évidente, ils forment «la règle
de vie de cet univers privilégié »33. Dans cette perspective, il y a un accueil de la maladie ;
le malade accepte voire souhaite ce phénomène exceptionnel qui a valeur formatrice et lui
apporte un enrichissement personnel.
 La maladie-métier
La fonction du patient devient combattre la maladie ; comme dans un métier, où il est
demandé au travailleur d’être actif et ingénieux, l’accent est mis d’emblée sur la lutte
active du malade. Le patient sera acteur et responsable de son parcours, mobilisant toute
son énergie, organique et psychologique. Les rapports avec les soins sont conçus en
coopération et échange, le malade est aussi actif que le soignant. Dans cette
représentation, le malade accepte la maladie, ce qui en retour lui donne du pouvoir sur
elle. Par sa lutte, le malade participe à sa guérison. L’orientation vers la guérison est un
32
Herzlich C., Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, La Haye, Mouton, 1969, pp139-164. Cette
référence qui date de plus de trente ans nous semble encore pleinement d’actualité ; nous rencontrons encore ces
différentes représentations de la maladie chez les personnes requérant nos soins.
33
Ibidem, p 155.
24
des traits distinctifs de cette conception. La maladie est une épreuve mais elle n’est pas,
en elle-même, menace d’anéantissement.
Le malade apprend à lutter, devient plus fort, autre parallèle avec le monde du travail. Il
est en apprentissage.
Nous pouvons compléter ce tableau par quelques éléments qui renforcent encore cette
assertion. Premièrement, de même qu’un métier mobilise une partie importante du temps
quotidien, la maladie occupe très largement les journées du patient. Le ballet des
examens, radios, prélèvements, hospitalisations et rendez-vous médicaux réquisitionnent
des plages importantes de temps. Le métier s’exerce quarante heures par semaine, la
maladie, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les malades gagnent une certaine liberté à
gérer leur maladie en dehors des soignants, mais cette liberté a un prix, car ils vivent
désormais avec la contrainte d’apprendre de gré ou de force un nouveau métier à mettre
en œuvre au quotidien. En effet, la prise en charge de leur santé implique souvent un réel
travail infirmier, paramédical et éducatif.
Deuxièmement, de même que tout métier auquel la personne se donne et dans lequel elle
se réalise est source d’épanouissement et de découverte de soi, la maladie peut être un
temps de travail intérieur et de mûrissement personnel. L’accompagnement attentif,
l’écoute, la compréhension sont indispensables pour soutenir le patient dans cette
démarche mais celui-ci se retrouve in fine seul face au chemin à parcourir. C’est lui seul
qui s’approprie cette réalité qui l’oblige à traverser des étapes pénibles comme le choc, le
déni, la révolte ou la dépression. S’appuyant sur son observation clinique, Lacroix 34 nous
dit, en 2002, que tous les malades n’évoluent pas vers le stade final d’acceptation en
donnant un sens à ce vécu comme dans le modèle de Kübler-Ross35. Certains suivent un
processus de distanciation qui les conduit dans un état de résignation 36 avec une attitude
docile qui peut être perçue pour de l’acceptation alors qu’elle manifeste la dépression.
Sans secours extérieur, sans intervention adéquate du soignant les stratégies d’évitement
vont perdurer. Ces états risquent de se figer et de se maintenir, il est donc important de
les déceler et de les aborder dans la relation en suscitant l’espoir par la disponibilité
relationnelle.
34
Lacroix A., J.-P. Assal. J.-P, L’éducation thérapeutique des patients. Nouvelles approches de la maladie chronique,
édition complétée, Maloine, 2003, p 25.
35
Ce modèle mentionne les étapes du deuil dans l’ordre chronologique où elles se présentent habituellement : choc
initial, déni, révolte, marchandage, tristesse, acceptation.
36
Annexe I.
ème
2
25
Un dernier élément commun à la maladie et au métier consiste dans l’activité économique
qu’ils génèrent. Tout deux permettent la création d’emplois et le développement de
services les plus divers.
26
I.3 Le soignant
Le petit Robert définit le soignant comme la personne « chargée des soins aux malades
dans un établissement hospitalier ». La définition ne mentionne pas le diplôme requis pour
exercer cette fonction, ni tous les soignants qui réalisent des soins à l’extérieur des
institutions hospitalières. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le soigné ou son
entourage peut avoir une activité soignante mais dans cet écrit nous réservons le terme
soignant au professionnel.
Le terme soignant englobe toutes les personnes dont la profession implique une relation
de soin. Afin de cerner notre exploration, nous nous arrêtons à la profession infirmière vu
l’intérêt que nous lui portons, sans pour cela renier les autres. Il s'agit d'une profession,
rétribuée, s'exerçant dans un cadre légal, défini. Elle doit avant tout respecter les règles et
les lois en vigueur. Même si dans nos représentations, nous pensons encore bienfaisance,
abnégation,…, il est essentiel de se rappeler que nous exerçons une activité
professionnelle avec des droits certes, mais également des obligations comme définies
dans la loi et le code de déontologie.
Selon Deccache et Lavendhomme ; « Chaque catégorie de soignants possède ses
activités propres, ses centres d’intérêt, ses besoins d’éduquer, ses objectifs et ses
relations avec le patient et les autres soignants »37. En fonction du secteur où ils
travaillent, les soignants ont leurs centres d’intérêt et leurs compétences. Ceci pose le
problème de la subjectivité du soignant dans ses pratiques, puisque celles-ci dépendent
de ces différents critères. La subjectivité, nécessaire pour personnaliser le soin, devient
néfaste
si elle
l’oriente dans une approche personnelle, dédaignant l’éthique
professionnelle. Selon la fonction qu’il exerce, le service dans lequel il travaille, la
perception de son rôle peut également être très diversifiée. Le soignant, lors de
l’accomplissement d’une tâche, accordera plus ou moins d’importance à l’aspect
technique ou au contact relationnel en fonction de sa propre échelle de valeurs. Il garde,
lors de son activité professionnelle, son cadre de référence qui continue à donner un sens
à ses actes. La constitution d’un écart entre l’idéal soignant et la réalité de l’exercice
professionnel est susceptible d’entrainer une perte de sens de ses actions. Néanmoins, le
soignant, en tant que professionnel, réfléchira à ses propres valeurs afin de garder une
attitude équilibrée, adaptée dans ses prestations de soins. Dans le cadre de ce travail,
nous entendrons par soignant, le personnel infirmier gradué ou breveté, tel que défini dans
37
Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De
Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, p 66.
27
l’Arrêté Royal du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des soins de santé (article 78),
modifié par l’Arrêté Royal du 10 août 200138. Ce choix s’explique par la volonté de réduire
le champ d’exploration à notre profession. Notre souhait n’est nullement d’exclure les
professions paramédicales et médicales de la démarche éducative que nous tenterons
d’expliciter, mais nous craignons de nous disperser si nous abordons tous les points de
vue.
Selon l’évolution du soin au cours des siècles, la perception de la profession d’infirmier
s’est transformée parallèlement à la modification des pratiques. Peu à peu, la spécificité
de leur savoir comme le développement de leur rôle propre les renforcent dans
l’acquisition d’un statut de professionnel de la santé.
Il reste du chemin à parcourir pour affirmer notre identité professionnelle et cela passera
par la démarcation de l’ascendant médical. La valorisation de la relation soignant-soigné
permet à l’infirmier de se nourrir à d’autres sources de connaissances que celle de la
science médicale comme les sciences humaines. Pour accéder à un domaine d’activité
qui lui est propre, la profession infirmière ne doit pas rechercher un autre modèle dominant
mais bien clarifier sa pratique qui est plus dans l’ordre du soin que de la guérison. En nous
distançant du modèle médical, ne cherchons pas d’autres références d’identification mais
bien une maîtrise d’une pratique professionnelle identifiée.39
Nous terminons ce point sur l’infirmier en citant Florence Nightingale40 ;
« …les notes qui suivent ne sauraient en aucun cas constituer une règle de pensée ».
Alors qu’elle est statisticienne, elle n’utilise pas des mots comme catégorie, procédure ou
norme. Elle ne donne pas de « modèle », de système de pensée mais préfère procurer
des repères qui peuvent expliquer la maladie, elle insiste sur l’importance de
l’observation : apprendre comment observer et quoi observer. A partir de ces indications, il
est possible de penser à des suggestions pour éviter la maladie 41. Chaque infirmier peut
construire son processus de soins à partir de ses connaissances, dans la singularité de la
situation, en discernant les éléments qui interagissent sans se référer à un protocole
préétabli. Professionnel doté des savoirs et des techniques de sa profession, l’infirmier
peut exercer cette dernière en habitant sa fonction, en se voulant l’auteur de ses pratiques
qu’il adapte en situation de soins. Ces écrits ont plus d’un siècle mais il nous semble d’une
grande fraicheur et d’actualité ; notre autonomie professionnelle n’est-elle pas là ?
38
http://www.hrzkmo.fgov.be/Portals/hrzkmo/fr/Legislation/Prof%20intellectuelles/Medecin.pdf consulté le 04 avril
2010.
39
Collière M.-F., Promouvoir la vie, inter éditions, 1992, p 197.
40
Florence Nightingale (1820 – 1910), pionnière des soins infirmiers modernes et statisticienne ...
41
Ibidem, p221.
28
I.4 Les représentations sociales de la relation de soin
Déjà citées de nombreuses fois, nous souhaitons redéfinir ce que nous entendons par
représentations sociales puisqu’elles influencent fondamentalement la relation entre
l’infirmier et le patient surtout quand elle devient éducative. Nous suivrons avec la
présentation des différents modèles de la relation.
I.4.1 Les représentations sociales
Ce qui est perçu par les uns n’est pas perçu de la même façon par les autres.
La représentation sociale est un ensemble d’idées, d’images, d’opinions, d’attitudes
articulées entre elles, elle résulte d’une activité mentale socialement élaborée par laquelle
l’individu reconstitue le concret et lui donne une signification42.
Pour Moscovici43, c’est un système de valeurs et de pratiques ayant un double rôle. Tout
d’abord d’instaurer une échelle normée qui donne aux individus la possibilité de s’orienter
dans l’environnement social, ensuite d’assurer la communication entre les membres d’une
communauté en leur proposant un code pour leurs échanges. Nous pensons au « jargon »
utilisé fréquemment au sein de nos institutions hospitalières qui est complètement
hermétique pour les profanes que sont les patients. Certains demandent parfois des
explications voire une « traduction » mais bien souvent les soignés restent avec ce
sentiment d’incompréhension et de frustration. Si nous souhaitons vivre une relation
égalitaire, en partenariat avec l’autre, une attention toute particulière sera portée à
expliciter ces codes de communication qui nous enferment et nous protègent. Garder ce
langage hermétique face aux soignés renforce le pouvoir du soignant, la relation
asymétrique et le maintien du bénéficiaire de soins dans une position passive.
Ces représentations permettent au soignant et au soigné d’orienter et d’organiser leur
comportement. Elles constituent donc un mélange de convictions et de préjugés. Nous
pouvons les ressentir comme des grilles de lecture qui influencent et organisent nos
perceptions. Grâce à ce décodage, nous pouvons comprendre et expliquer la réalité et
ainsi guider nos comportements et nos pratiques. La détermination de nos choix, souvent
de l’ordre de l’implicite, emprunte sa source dans nos représentations individuelles et
collectives. Sans ces représentations, sans cette grille de lecture du monde, le réel ne
peut nous être intelligible.
42
http://www.europsy.org/marc-alain/represoc.html consulté le 16 mars 2010.
Moscovici S. cité par Herzlich C., Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, La Haye, Mouton,
1969, p 11.
43
29
L’étude des représentations sociales des deux partenaires de la relation permet de cerner
les images qui influencent les choix de ceux-ci, leurs orientations et leurs réactions. Elles
sont à la fois partagées, car collectives44 et sociales45, mais aussi particulières et
singulières du fait des différences individuelles.
Elles permettent de codifier, classer, communiquer, et jouent un rôle comme système
d'attente de notre comportement et de celui des autres : toute réponse d'autrui est filtrée
par rapport à la correspondance avec le schème attendu l'adéquation classifiant la
réponse comme "normale", l'inadéquation la qualifiant "d'anormale". Ces représentations
sont donc à la fois normalisatrices pour l’individu et le groupe selon qu’elles soient
individuelles ou collectives et justificatrices, les références qui les sous-tendent ne peuvent
prétendre à la vérité, savoir scientifique inclus. Professionnels, nous ne détenons pas la
vérité et la toute-puissance malgré nos savoirs emmagasinés. Elles permettent de donner
du sens au réel mais parallèlement, elles occultent d’autres manières de voir le monde.
Quelles représentations sociales, quelles convictions constituent la base de la relation ?
Ces questions relèvent de la psychologie sociale et de la sociologie. Aucune décision n’est
neutre. La compréhension et la prise en considération des conceptions et valeurs des
sujets à qui s’adressent les soins demeurent les prémices de toute relation. Il y a
beaucoup à gagner à identifier et à comprendre les représentations que les individus se
font de la maladie surtout quand la relation de soin se veut relation éducative. Comprendre
la perspective du patient est une chose mais il s’agit certainement aussi pour le soignant,
d’expliciter la sienne dans un langage accessible. De cette façon, il permettra au soigné
de donner du sens à la pratique infirmière, de fonder sa confiance, obligatoire dans toute
relation. La maladie pour le patient reste une expérience unique et singulière construite à
partir de son propre vécu, de son histoire et de celle de son entourage. Partager une
même conception de la maladie est à la base d’une relation de partenariat et de confiance
entre le patient et le soignant.
La gentillesse, la disponibilité, la compassion, la bonne volonté ne suffisent pas pour aider
les patients. L’infirmier ne peut se limiter à être un confident, sans maîtrise sur les finalités
de la relation qui perdrait alors tout son sens. Notre travail de cadre se situe à ce niveau
aussi de recentrage des pratiques comme de la mise en place de formation continuée qui
vont permettre la
prise de conscience et le recul nécessaire. Ces qualités humaines
doivent être optimisées par un savoir professionnel en sciences humaines centré sur les
44
45
Emile Durkheim (1858-1917).
Serge Moscovici.
30
soins et qui englobe les différents types de relation les plus souvent rencontrés dans la
relation soignant-soigné.
I.4.2 Modèles de relation médecin-patient
Nous pouvons aisément étendre à la relation infirmier-malade les différents modèles de la
relation médecin-malade46 car les infirmiers s’identifient souvent ou du moins ont un
comportement similaire aux médecins.
Le modèle fonctionnel de Parsons.
Pour Parsons47, il existe un modèle unique de relation dans laquelle chacun joue un rôle
social attendu. Médecin et malade ont le même but : la guérison. A partir de l’observation
des pratiques, Parsons déduit un modèle qui permet de comprendre la relation
médecin/malade. Il analyse le rôle et la place de la maladie et de la médecine dans la
société. Ainsi, patient et soignant jouent chacun un rôle. Le patient n’est pas responsable
de son incapacité et est déchargé par la société de ses responsabilités habituelles, car la
maladie est un état de perturbation du fonctionnement normal de l’être humain. Le
médecin, représentant des valeurs culturelles dominantes, est chargé de rétablir l’ordre
social menacé par la déviance que représente la maladie. Ce modèle est asymétrique, le
médecin possède la compétence, le patient est un ignorant consensuel, chacun accepte le
rôle de l’autre, puisqu’ils sont complémentaires. Le patient souhaite guérir et le médecin
possède le savoir qui permet la guérison.
La certification médicale des symptômes du malade l’exempte des obligations liées à son
rôle social et le dispense de participer à ses activités normales. Il est dégagé de toute
responsabilité envers sa maladie et il n’est pas censé recouvrer la santé par lui-même.
Le modèle de Szasz et Hollender.
Dans ce modèle fonctionnel, Szasz et Hollender48 complètent la théorie de Parsons en
décrivant trois types de conception de la relation. Ceux-ci se différencient selon l'axe
activité-passivité entre les deux personnes. Pour eux, il existe trois rapports différents
entre les deux intervenants selon que chacun de ces acteurs soit plus ou moins passif,
actif ou qu’ils coopèrent. Cet axe d'interaction n'est pas spécifique à la relation soignantsoigné ; il se retrouve dans toutes les relations humaines.
46
Bury J. A., éducation pour la santé, De Boeck université, 1988, 235p.
Sociologue américain (1951).
48
Sociologues américains (1956).
47
31
-L’axe activité-passivité :
Dans ce type, on ne parle pas de relation puisqu’il est constitué par l’action d’une
personne sur une autre sans contribution mutuelle. Le soignant est actif, il est dans un
contrôle absolu de la situation, le patient est passif.
-L’axe direction-coopération :
C’est le modèle que nous rencontrons le plus fréquemment dans nos pratiques curatives.
Le malade se présente pour un problème quelconque : il est disposé à coopérer à l’aide
que le soignant peut lui offrir en plaçant même ce dernier dans une position de pouvoir et
d’autorité par rapport à lui. Le patient comprend les consignes, il est capable de porter un
jugement mais le soignant attend de lui observance et obéissance. Il n’y a plus de pouvoir
absolu mais un pouvoir exercé sous le couvert du bien.
-L’axe participation mutuelle
Dans ce modèle, l’expérience propre du patient devient un élément essentiel de la relation
de soin. Le patient doit prendre en charge lui-même son traitement et l’adapter aux
différents événements de la vie quotidienne. Il y a réciprocité entre les deux partenaires.
Le médecin aide le patient à s’aider lui-même. Sur le plan psychologique, cette
collaboration repose sur le processus complexe d’identification et/ou d’empathie, qui
facilite la compréhension entre les êtres humains, tout en maintenant une distance
minimale entre eux.
Le modèle structurel de Freidson.
Freidson49, tient compte de la structure sociale dans laquelle se situe l’interaction. Ce
modèle s’appuie sur une hypothèse : les différents groupes sociaux, les malades et les
médecins ont des intérêts divergents et s’opposent. Il parle d’un réseau profane où le
malade se considère comme compétent, il se soigne lui-même, voire fait appel à d’autres
profanes, le médecin de famille siégeant au sommet de cette pyramide. Si ce praticien
renonce à résoudre lui-même le problème, il fait appel au réseau professionnel où le
malade sera de moins en moins libre de contrôler ce qui lui est fait. Ici la relation médecinmalade est conflictuelle, il y a une opposition entre la culture profane et la culture
professionnelle : une logique médicale faites d’examens et de traitements, la logique du
49
Sociologue américain (1971).
32
patient qui est de se soigner tout en respectant les exigences de sa vie quotidienne. Ce
modèle s’oppose à l’évolution sociale vers l’autodétermination et l’autonomisation du
soigné mais Freidson le présente comme un constat des comportements dans la réalité,
jugeant les autres modèles de comportements idéaux.
Commentaire
Soulignons l’aspect normatif de ces outils et laissons-les ouverts, la réalité est bien plus
complexe, aucune typologie ou modèle ne donne une traduction exhaustive du réel et
aucune singularité n’entre totalement dans un moule. L’évolution de la société, l’autodétermination50 tendent à privilégier le modèle de participation mutuelle comme l’idéal
mais les circonstances en rendent éventuellement l’application difficile ou nuisible. En
effet, la relation pourrait se déplacer vers un type direction-coopération et éventuellement
activité-passivité selon le degré d’urgence des décisions à prendre. Cette précision nous
semble essentielle afin de ne pas critiquer d’autres soignants sur leur pratique
relationnelle, car certaines circonstances comme la réanimation ou les soins palliatifs
amènent à adopter un mode de relation plutôt qu’un autre.
Il nous paraît fondamental d’attirer l’attention sur le sens à donner à ces différents
vocables. Si le mode de participation mutuelle nous semble idéal au cœur d’une relation
équilibrée, nous ne pensons pas à une participation en tant que consommateur de
solutions proposées, ni même une coopération mais bien à une appropriation par le
patient qui passe par la reconnaissance de sa capacité à créer du sens et par la
relativisation des savoirs du soignant. On ne décrète pas la coopération de l’autre !
50
« La théorie de l’auto-détermination affirme que l’individu éprouve le besoin inné d’être la cause de ses actes ; qu’il a
besoin de se considérer comme compétent ; qu’il a besoin d’être considéré par autrui. » Raynal F., Rieunier A.,
ème
Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p 305.
33
CHAPITRE II LA SOCIOLOGIE
«Tout progrès scientifique est cumulatif; il n’est pas l’œuvre d’un homme mais d’une
quantité de gens, qui révisent, qui critiquent, qui ajoutent et qui élaguent. Pour faire date, il
faut associer son travail à ce qui a été fait et à ce qui se fait. Il le faut pour dialoguer, il le
faut pour l’objectivité. » Wright Mills C.51
Un détour par la sociologie nous semble important avant d’aborder les différents modèles
médicaux et d’apprentissage pour commencer notre travail de réflexion et d’explicitation
des différents concepts qui motivent notre façon, chaque fois singulière, d’aborder
l’éducation du patient.
La sociologie est la science qui étudie le fonctionnement de la société et des faits
sociaux52. Elle se préoccupe d’analyser les phénomènes sociaux et étudie le
comportement humain dans chaque situation sociale, les déterminants collectifs de l’action
individuelle.
Toute
activité
humaine
signifiante
peut
être
analysée
en
termes
sociologiques. Malgré cela, la sociologie est encore perçue comme un savoir détaché des
soins aux malades et des soignants. Les soignants, de par leur formation, sont beaucoup
plus proches de la psychologie ; celle-ci envisage la relation individuelle lors du soin.
L'hôpital avec les acteurs de la santé constituent un excellent terrain pour l'observation et
pour l'étude des faits sociaux. Il est certain que l’évolution de la société et donc du
système de santé nous oblige à avoir une vision plus macroscopique. Les enjeux sont de
taille tant dans le financement de la santé publique que dans la qualité des prestations de
soin. Cette approche du système et de l’acteur est d’un grand intérêt pour le cadre en
soins de santé qui se situe toujours à la croisée des chemins entre le patient et l’institution
voire le système de santé. Connaître et comprendre les enjeux de tous l’aideront à se
positionner et à travailler avec efficience. En tant que professionnels, nous nous devons
d’être éclairés sur ce qui se joue pour les patients et pour nous soignants, lorsque nous
sommes confrontés aux relations d'autorité et de pouvoir. La sociologie est inscrite dans
notre cursus de cadre en soins de santé ; elle apporte le recul nécessaire au futur
manager que nous souhaitons devenir. La sociologie, par définition, s'intéresse à de
nombreux faits de société comme le chômage, la famille, la religion. Notre profession qui
51
ème
Cité par Lallement M. Histoire des idées sociologiques des origines à Weber, Nathan, 2 édition, 2003, 238 p.
Comte A., cité par Vantomme P., cours de « Sociologie de la Santé », Institut d’Enseignement et de Promotion
Sociale de la Communauté Française, section cadre en soins de santé, Tournai, 2007-2008.
52
34
se cherche une identité entre conservatisme et opportunisme est proprement
sociologique.
La sociologie voit cohabiter deux pôles entre lesquels se situent la plupart des recherches
menées : le pôle déterministe et le pôle interactionniste. Ces deux paradigmes
apparaissent comme utilisés à travers toute l’histoire de la sociologie, même si, selon les
époques, l’un des deux domine.
Du grec ancien παράδειγμα , modèle, exemple, le terme paradigme vient de la grammaire
et signifie « mot-type qui est donné pour modèle pour une déclinaison, une
conjugaison »53. Un paradigme est un ensemble de croyances, de savoirs, de
représentations légitimés, à un moment donné, par une communauté de savants en
théorie dominante. Le modèle perdure ou s’épuise : les scientifiques le font évoluer pour
en proposer un autre. C’est une représentation du monde, une manière de voir les choses,
un modèle cohérent qui repose sur un modèle théorique ou courant de pensée.
« Ils doivent se voir comme les deux extrémités d’un continuum 54». Ils se distinguent
selon la préférence accordée à la structure sociale plutôt qu’à l’individu et sur la façon de
considérer le conflit dans les rapports sociaux. Ces deux pôles structurent le champ de la
sociologie. Ils ont été complétés par beaucoup d’autres approches et permettent de
classer les travaux des sociologues selon le paradigme dominant leur conception du
social.
Comme dans toute la suite de ce travail, nous ne souhaitons émettre un jugement de
valeur quant à la supériorité d’une tendance par rapport à l’autre. Nous présentons à
chaque fois les deux extrêmes d’un continuum, la vérité reste individuelle et se situe
toujours entre les deux, tantôt plus vers l’un, tantôt plus vers l’autre. Cette assertion est
valable pour la présentation des différents concepts théoriques, mais personnellement, au
niveau de la sociologie, nous nous situons plus dans une vision interactionniste, postulant
que la société est le produit de l’action culturelle et sociale des acteurs individuels et
collectifs55, l’approche déterministe enfermant l’homme dans un schéma privé de toutes
dimensions culturelles. Toutefois, nous devons tempérer ce propos car ces deux
paradigmes entraînent une vision partielle de la réalité et nous pouvons envisager la
relation entre l’individu et la société de façon beaucoup plus interactive.
53
Le petit robert, 1997.
Vantomme P., op cit.
55
«Infirmière : une profession en mouvement » Vantomme P., 1992-1993.
54
35
Les faits sociaux seraient le résultat de l’interaction56 entre les acteurs individuels et
collectifs et la société.
II.1 Le Déterminisme
L’approche déterministe se fonde essentiellement sur deux propositions : tout fait social
s’explique par des phénomènes qui lui sont antérieurs et l’individu intériorise le caractère
extérieur de ces phénomènes pour orienter son action. Des contraintes pèsent sur les
individus et les poussent à agir dans un sens ou dans un autre. Cette théorie, proposée
par Emile Durkheim, qui est un auteur marquant de cette tendance, conduit à nier la
créativité humaine puisqu’elle repose sur une vision des hommes déterminés par leurs
antécédents. Il croit à l’égalité de tous devant la loi, ainsi qu’au respect des droits civiques.
Naturellement, il a un goût pour la pédagogie, technique qui lui paraît être un des vecteurs
privilégiés de l’intégration sociale. Dans le cadre déterministe, l’école apparaît comme
remède à l’injustice sociale comme à l’immoralité ou à la délinquance. La logique
déterministe est une approche qui met en valeur les contraintes sociales qui pèsent sur les
individus et conditionne en grande partie leur manière de penser et d'agir même s'ils n'en
sont pas conscients : l'appartenance à une certaine classe sociale influence le choix
politique, la pratique de tel ou tel sport. Le déterminisme refuse de manière explicite et
implicite toute forme d’autonomie, toute liberté. Tout se passe comme si l’individu est un
acteur passif, soumis de façon plus ou moins absolue aux influences des facteurs
antérieurs. L’approche est mécaniciste, ne laissant pas d’intentionnalité à l’acteur. Tout est
déterminé, préétabli à l’avance.
II.2 L’interactionnisme
L’interactionnisme, appelé aussi actionnalisme, est un courant d’analyse sociologique
centrant son étude sur les relations entre les acteurs sociaux. Il soutient la thèse opposée
à celle de Durkheim : il n’y a de réalité que la réalité de l’individu, rien ne pèse sur
l’individu. Pour les interactionnistes, les individus ne subissent pas les faits sociaux, ils les
produisent. Pour comprendre l’action des hommes du point de vue du sens et des valeurs
et non simplement à partir des contraintes extérieures. Il soutient l’idée selon laquelle la
société n’est pas établie mais se construit sans cesse à travers la dynamique des actes
sociaux, ou échanges entre les personnes, c’est-à-dire les interactions. Le paradigme
56
Phénomène qui consiste dans la réciprocité de l'influence des comportements entre deux ou plusieurs individus ou
groupes, action réciproque qu’exercent entre eux des êtres, des personnes et des groupes.
http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp consulté le13/07/2010.
36
interactionniste introduit les notions clés de liberté, d’autonomie, d’intentionnalité et de
choix de l’acteur engagé dans une action donnée. Ce sont les hommes qui construisent le
réel en le confrontant.
Ici, l’individu est considéré comme un acteur agissant qui n’est pas réductible aux effets
d’un conditionnement, qui dispose d’une certaine autonomie d’action et de représentation.
En sociologie, les différents courants se situent entre ces deux extrêmes, plus ou moins
proches de l’un ou de l’autre selon leur orientation.
D
É
T
E
R
M
I
N
I
S
M
E
I
T
E
N
R
A
C
T
I
O
N
N
I
S
M
E
37
Commentaire
Le duel d’écoles, l’existence de paradigmes alternatifs ne sont pas l’apanage de la
sociologie. Toutes les disciplines sont le théâtre d’incessants débats théoriques. Le
consensus théorique parmi les chercheurs n’est jamais ni parfait, ni permanent, toute
théorie scientifique a un caractère nécessairement relatif et historique. Dans l’histoire des
sciences nous retrouvons une succession de paradigmes dominants : les mouvements de
l’histoire et de la société contribuent à créer continuellement de nouveaux problèmes, à
invalider certains schémas anciens et à stimuler de nouvelles analyses. L’histoire des
sciences ne peut se concevoir sur le simple modèle d’une accumulation linéaire, régulière
d’un savoir que nous pourrions considérer comme établi. Il est rare de se ranger, de
manière systématique et exclusive, sous l'une ou l’autre bannière. Le plus souvent, nous
oscillons entre deux pôles. Il s'agit en fait de positions extrêmes. Le paradigme est propre
à toute discipline scientifique et nous retrouverons dans la suite de ce travail semblable
dichotomie dans les modèles médicaux et d’apprentissage. La caractéristique commune à
travers les différentes disciplines est la place réelle attribuée à l’acteur. En sociologie,
nous avons vu que dans un modèle, le système prévaut et, dans l’autre, l’acteur. La
sociologie n’est pas la seule science à être divisée entre ces conceptions opposées. Dans
les modèles médicaux et d’apprentissage nous retrouverons le même phénomène partant
d’une absence de prise en compte de l’individu à une émergence et reconnaissance
essentielle de son rôle.
38
CHAPITRE III LA MALADIE
Si le soin est le fondement de la démarche infirmière, la maladie en est devenue la
motivation. Nous dénommons ce chapitre « la maladie » puisque historiquement c’est elle
qui a mobilisé les pratiques soignantes et qui a permis une reconnaissance des soins
infirmiers mais personnellement, nous sommes tentés de le dénommer «la santé » dans la
mesure où, pour nous, ce concept est beaucoup plus général et qu’il peut englober des
épisodes plus ou moins longs de maladie dans une « vie en santé ». La maladie et son
corollaire, la santé, sont des notions qui paraissent évidentes pour le sens commun. Mais
c’est en voulant définir ces concepts que se révèlent leur complexité et la diversité de
leurs significations. C’est en fonction de ce qui sera perçu comme normal et pathologique
que se détermineront les représentations, les attitudes, les choix et les actions des
patients ainsi que des professionnels de la santé. Jusque ces dernières décennies, le
concept de santé préoccupait fort peu le médecin. Dans une perspective pragmatique,
seule comptait la maladie économiquement porteuse surtout depuis l’arrivée de la sécurité
sociale.
III.1 La maladie
Historiquement et sociologiquement, c’est cette conception qui a défini la santé et le
modèle biomédical. Analyser la maladie comme un concept, impose de voir que ce mot
n’est qu’une manière de définir une réalité complexe qui véhicule des normes, des
croyances, des valeurs qu’il convient de mettre à jour. Le terme maladie est marqué d’un
sceau négatif de part son étymologie « male habitus » et les expressions courantes qui
l’accompagne comme « avoir mal, cela va mal, se sentir mal, être perturbé...). Le concept
de maladie n’a pas le même sens pour le malade et pour le médecin, il n’est pas non plus
identique d’un malade à l’autre, d’un médecin à l’autre. Spontanément nous savons tous
ce qu’est une maladie puisque, nous avons tous été malades, ou connu quelqu’un ayant
eu une longue maladie ; cela donne une définition de la maladie qui relève du sens
commun : la maladie est un état affectant le corps d’un individu, « une altération organique
ou fonctionnelle considérée dans son évolution, et comme une entité définissable57.»
Rappelons que la classification des maladies s’appuie sur des normes et des présupposés
de la société dans laquelle nous vivons. Une altération organique déterminée peut être
considérée comme maladie en Europe mais pas en Asie, et vice-versa. De même dans
57
Le petit Robert, 1997.
39
une même société, les normes peuvent varier d’une classe d’individus à une autre : les
mêmes maladies seront perçues différemment selon l’occupation professionnelle, les
normes familiales et culturelles. Dans l’histoire, au sein même de la communauté
médicale, nous rencontrons de nombreux exemples de fluctuation de ces normes.
L’asthme par exemple, a longtemps été considéré comme une maladie psychosomatique,
l’épilepsie cataloguée de psychiatrique. Les débats actuels sur la légitimité de maladies
comme le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie nous rappellent cette dichotomie
entre maladies réelles, c’est-à-dire ayant une identité biologique inattaquable, et celles qui
sont considérées comme imaginaires. Cette approche impose aux individus comme aux
professionnels de comprendre et d’accepter la souffrance dans ces termes et pas à partir
de faits quantifiables. En l’absence d’un diagnostic objectivable par la biomédecine, les
patients sont perçus comme des malades imaginaires, souvent considérés comme
responsables de leur maladie alors que ceux qui souffrent d’une maladie « reconnue »sont
plutôt des victimes.
La maladie suppose une expérience subjective et un dérèglement physiologique ou
psychique, mais aussi une reconnaissance sociale, administrative ou médicale. Etre
malade signifie être perçu comme tel par les autres, c’est un ensemble de signes que
l’individu reçoit en retour. Dans l’épreuve de la maladie, l’individu est appelé à vivre selon
des normes de vie différentes, c’est bien souvent l’entrée dans un monde de douleur
physique et de souffrance morale. La maladie est une histoire indissociable du sujet qui la
vit.
Nous terminerons ce paragraphe en citant Canguilhem58 qui nous parle de guérison :
« En tout cas, aucune guérison n’est retour à l’innocence biologique. Guérir, c’est se
donner de nouvelles normes de vie, parfois supérieures aux anciennes. Il y a irréversibilité
de la normativité biologique. » La nouvelle santé n’est pas l’ancienne, un nouveau jeu de
normes s’est mis en place.
Il existe en médecine deux modèles complémentaires : le modèle biomédical et
biopsychosocial. Historiquement, ils se succèdent, le second englobant, complétant le
premier mais dans l’enseignement des facultés de médecine comme dans nos pratiques,
le paradigme biomédical est encore bien présent.
58
Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1988, p156.
40
III.2 Le modèle biomédical59
Il procède de l'application en médecine de la méthode analytique des sciences exactes.
Ce modèle, aussi appelé modèle médical est décrit comme :
-
un modèle fermé,
-
dans lequel la maladie est conçue comme purement ou principalement un problème
organique,
-
affectant des individus,
-
qui doit être diagnostiqué et traité,
-
par des médecins,
-
dans un système de santé centré autour d’une organisation dirigée par des
médecins d’hôpital, et dans lequel les efforts doivent être orientés vers les aspects
curatifs.
Dans ce modèle, la maladie est une perturbation des organes, la santé une absence de
maladie, nous retrouvons une relation de cause à effet. La maladie est celle du corps,
l’esprit n’existe pas. Les solutions sont dans les mains des médecins, dans un système de
santé centré sur les hôpitaux. Les médecins sont les experts, les malades sont les
profanes ; un rapport d’autorité régit leurs relations. Sous celle-ci arrive la dépendance de
l’individu, l’être humain dans sa complexité n’apparaît pas, de même que des intervenants
autres que médicaux. L’approche est mécaniciste, le malade est considéré comme une
machine que l’on peut démonter et réparer. La singularité de l’individu est absente, il n’est
pas considéré dans sa globalité ; c’est un organe que l’on soigne, les actions sont
centrées sur l’objectivation de la maladie dans le corps.
Dans cette logique, l’infirmier est un agent qui doit respecter les prescriptions issues du
savoir scientifique. Il détient le savoir et sait ce qui est bon pour son patient. Les discours
sont dogmatiques : « il faut maigrir, vous devez arrêter de fumer, »etc. La culpabilisation
est employée pour inciter le patient à suivre les traitements prescrits. Il y a un respect des
procédures et protocoles établis sans adaptation. Dans ce modèle, nous ne pouvons pas
parler d’éducation du patient mais tout au plus d’information qui sera de type prescriptive,
voulant faire passer des savoirs scientifiques du professionnel au profane. Le programme
éducatif est conçu dans une approche académique et s’attache à utiliser les résultats de la
science pour informer les patients des savoirs nécessaires à la prévention des
59
Bury, op cit, p 30, annexe II.
41
complications. Il tend à rechercher l’adhésion du patient aux prescriptions et
recommandations médicales, forme de soumission aux normes scientifiques.
III.3 La santé
Il est impossible de définir la santé d'une manière univoque, valable pour tous, en tout lieu
et en tout temps. La santé d’une personne est nécessairement particulière à cette dernière
en l’existence singulière qui est la sienne et, elle ne saurait, dès lors, être contenue dans
aucune définition généralisable, ni faire l’objet d’une forme de mainmise par les
professionnels.
C'est un concept très large influencé de manière complexe par la santé physique du sujet,
son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales ainsi que sa
relation aux éléments essentiels de son environnement. La santé est un objet socialement
élaboré qui nous interroge sur la notion de norme60. De tous temps, la notion de santé a
été l’objet de débats positionnant des approches conceptuelles différentes. Pour certains
philosophes grecs, la santé est un bien suprême, qui relève d’une harmonie entre les
différents éléments fondamentaux61. Hippocrate la définira comme le résultat d’un
équilibre entre les différentes humeurs composant l’être humain. La santé est alors le
résultat de cette harmonie. La maladie n'était pas une punition infligée par les dieux, mais
plutôt la conséquence de facteurs environnementaux, de l'alimentation et des habitudes
de vie. Elle est appréhendée de manière plus globale. L’état de santé était lié à la capacité
du sujet à s'adapter au monde dans lequel il vivait. Par la suite, les évolutions, que nous
avons évoquées supra, ont focalisé la vision sur la maladie, la santé étant un état passif
défini par l’absence de maladie.
« La santé, c’est la vie dans le silence des organes » comme l’indiquait Leriche (1937)62.
Dans une vision négative, la santé est définie par son contraire, l’absence de maladie,
perçue comme un accident dans ce trajet linéaire qui rejoint la naissance à la mort. Il faut
attendre la période qui suit la deuxième guerre mondiale pour retrouver une approche
globale de la santé
60
Comportement prescrit par une société à une époque donnée. Elle a généralement un caractère implicite et est
intériorisée par les individus. Elle s’inscrit dans l’inconscient collectif. Patrick Trefois, in Bruxelles Santé N° spécial, 2008.
61
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hippocrate, http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_humeurs, consulté le 28
mars 2010.
62
Bury J., Education pour la santé. Concepts, enjeux, planifications, De Boeck Université, Collection « Savoirs et
Santé », 1988, p11.
42
En 1946, L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)63 introduit la dimension sociale et
mentale ; la santé est définie comme « un état de complet bien-être physique, mental et
social et qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Cette définition précipite le basculement vers une conception positive de la santé en
référence au bien-être qu'il importe de préserver. Comme c’est le cas pour beaucoup de
concepts ou de définitions, ce n’est pas la définition de l’OMS qui fait changer les
mentalités, la définition matérialise les évolutions sociales et culturelles de l’époque. Elle a
la vertu de décrire les différentes composantes d'un état de santé et d'avoir contribué à
l'évolution du concept de santé vers une représentation positive de la santé. Bury la
qualifie d’utopique à cause de la notion de bien-être proposé pour tous les champs de
l’existence humaine, espaces physique, mental et social. Le consensus sur la notion de
bien-être dans toutes les sphères est impossible à réaliser, il doit rester un idéal à
poursuivre même s’il n’est pas totalement accessible. Différents facteurs vont influencer la
santé comme les facteurs démographiques, psychoculturels, sanitaires, géographiques,
politiques et socio-économiques.
En 1975, Illich64 s’inscrit en rupture et introduit dans la définition de la santé, la notion
d’autonomie.
« L’état de santé est le niveau d’autonomie avec lequel l’individu adapte son état interne
aux conditions de l’environnement tout en s’engageant dans le changement de ces
conditions pour rendre son adaptation plus agréable et plus effective. » L’autonomie
permet au sujet de s’adapter aux différents changements pour maintenir son état de santé.
La santé est préalable à toute pathologie, elle ne peut donc être assimilée à une absence
de maladie mais à un dynamisme vital par lequel le vivant fait face à ce qui le déséquilibre
en se réorganisant.
En 1978, la déclaration d’Alma-Ata réaffirme que :
« La santé qui est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste
pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité, est un droit fondamental de l'être
humain, et l'accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social
extrêmement important…65 »
Elle demande une contribution des personnes :
63
Organisation Mondiale de la Santé, annexe III.
Bury J., Education pour la santé. Concepts, enjeux, planifications, De Boeck Université, Collection « Savoirs et
Santé », 1988, p 20.
65
Annexe IV.
64
43
« Tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à
la planification et à la mise en œuvre des mesures de protection sanitaire qui lui sont
destinées. »
Les individus doivent participer à leur propre santé et à son amélioration. C’est une notion
dynamique qui varie d’une personne à l’autre, suivant les époques et les civilisations.
L’individu est considéré dans sa relation dynamique à son milieu, comme un état
d’équilibre qui n’est jamais définitif. L’être humain est inséré dans un environnement sur
lequel il agit et qui agit sur lui. On parle alors de santé globale qui fait le constat de la
complexité des déterminants biologiques, psychologiques, socioculturels, voire spirituels.
De nombreux auteurs ont tenté des définitions mais celle qui nous semble la plus proche
de notre réflexion est celle-ci :
« La santé, c’est cette capacité de maintenir et de rétablir à tout moment l’équilibre de
bien-être remis en question par les évènements extérieurs, en s’adaptant ou en modifiant
l’environnement66. »
Nous retrouvons ici la notion de capacité, de potentialité d’énergie, d’équilibre sans cesse
menacé et non plus un état avec tout ce que ce mot peut représenter de statique, l’individu
est sujet, capable de protéger son potentiel santé et sa qualité de vie ; le bien-être n’est
qu’un
état
passager,
à
reconquérir
sans
cesse.
Nous
percevons
la
notion
d’accommodation. La capacité à surmonter les crises, les épreuves sont des indicateurs
de santé comme l’appropriation du mode de vie et de l’environnement : toutes ces
interactions sont essentiellement dynamiques. La santé correspond à une expérience
autonome personnelle, une réelle quête de soi et recherche permanente d'un bien-être.
Être en santé, c’est être capable d’assurer des ajustements et rééquilibres entre son
organisme et l’environnement, même en devant assumer, paradoxalement, une maladie
chronique ; c’est réunir et maintenir d’un certain nombre de conditions souvent relatives et
subjectives, de bien-être physique et psychique. Autrement dit, pour nous, l’individu peut
être en santé, même atteint d’une maladie, quand il arrive à s’accommoder et à trouver les
ajustements nécessaires à son équilibre tant physique que psychique. La santé est une
norme individuelle difficilement objectivable. Elle ne peut être définie de l'extérieur, elle est
une construction singulière par la personne en fonction de sa propre histoire. Elle n’est
donc pas un état, mais un processus dynamique qui permet à chacun de s'adapter à son
environnement.
66
Cotton cité par Minder M., Champs d’action pédagogique, de Boeck, 2008, p31.
44
L’évolution historique et culturelle vers la notion et la prise en compte de la santé a incité
un changement de paradigme : du modèle biomédical nous passons au modèle global qui
fait apparaître des principes qui ont toujours été présents, mais que nous n’avions pas
reconnus. Il inclut l’ancienne conception comme une vérité partielle, comme un aspect de
la réalité, en acceptant aussi un autre fonctionnement. Au cours du siècle dernier, les
conceptions de la santé ont suivi une évolution proche de celles de l’éducation. Nous
sommes ainsi passés de la domination d’un modèle biomédical, unidimensionnel,
prescriptif et moralisateur, à l’acceptation d’un modèle biopsychosocial qui comprend la
santé comme un processus dynamique impliquant de multiples facteurs individuels ou
environnementaux.
III.4 Le modèle global
Ce modèle est également appelé modèle bio-psycho-social comme à l’OMS ou holistique
Pour qu’il puisse être qualifié de global, cela suppose qu’il donne une importance à une
approche intégrée pour une meilleure compréhension de la personne soignée mais aussi
pour la mise en place de stratégies de soins plus adaptées et donc à terme moins
coûteuses.
C’est un
-
modèle ouvert,
-
dans lequel la maladie est conçue comme un phénomène complexe, impliquant une
série de facteurs venant de l’individu, de sa famille, de son environnement plus
large, et ceci tant au niveau de l’étiologie que du traitement et de son évolution.
-
Sans négliger l’aspect organique, le modèle tient compte également des aspects
humains et sociaux qui interviennent dans le comportement de l’individu et de sa
famille,
-
au niveau de la prévention, de la réadaptation et de la continuité des soins, de la
réhabilitation dans les maladies chroniques comme du traitement des maladies
aiguës.
-
Le système de santé à son tour est un système ouvert, qui n’est plus autonome et
médicalement centré, mais en relation avec les autres professionnels de la santé,
-
la communauté et les autres secteurs de l’activité publique de la société tout
entière.
Dans ce modèle, la médecine prend en considération l'articulation des différents niveaux
constitutifs du sujet en tenant compte des facteurs psychologiques et physiques. Santé et
45
maladie sont envisagées davantage comme mode de relation de l’homme avec son milieu.
Cette relation peut être équilibrée ou déséquilibrée. L’approche est plus humaine, ouverte
aux autres professionnels. L’objet principal devient la santé et non plus la maladie. Dans
ce paradigme, le soigné est actif, il est considéré comme une « personne-ressource ». Les
notions de prévention, réadaptation et de réhabilitation sont prises en compte comme
l’éducation. Tous les professionnels de la santé, la famille, l’entourage, la société et
l’environnement sont acteurs du processus. L’individu participe à la gestion de sa maladie
en collaboration avec le soignant, il est co-auteur de son projet de soin.
Dans ce paradigme, l’infirmier n’est plus un agent qui transmet des prescriptions, il devient
auteur, à l’écoute des demandes et attentes du soigné. Dans la relation de soin, il identifie
les représentations et les croyances de celui-ci pour pouvoir adapter ses protocoles de
soins. Le projet de vie de la personne requérant des soins est respecté, elle est au cœur
du dispositif éducationnel. La relation ne se limite pas au patient mais intègre autant que
possible la famille et l’entourage proche. La démarche éducative sera construite par les
deux protagonistes, chacun étant co-auteur.
Nous voyons que le modèle holistique ne remplace pas le modèle médical mais il l’intègre
et l’élargit. Nous y retrouvons l’extension du concept de santé. La prévention comme la
promotion de la santé y trouvent une place de choix. L’éducation du patient privilégie le
transfert des compétences entre soignant et soigné, considéré comme partenaire.
L’autonomie du patient se construit dans la connaissance de soi, dans un
accompagnement par les professionnels de santé dans ses prises de décision, ses
expériences de santé.
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46
Commentaire
Ces modèles se retrouvent rarement à l’état pur. Le modèle biomédical représente un
certain idéal de la médecine, plus précisément son idéal de scientificité. Or, être malade,
ce n’est pas simplement avoir une maladie. Quand nous parlons de maladie, nous
catégorisons la personne selon une seule caractéristique, nous utilisons un langage
normatif, un code qui n’est accessible qu’aux professionnels qui fonctionnent avec ce type
de vocabulaire. Être malade, c’est bien sûr avoir une maladie mais c’est surtout être dans
une réalité personnelle, familiale, sociale et professionnelle particulière, donc normée.
C’est vivre avec sa souffrance, ses ressentis, ses projets et ses craintes ; la maladie est
présente mais dans la trajectoire de vie singulière de la personne qui l’appréhende à
travers les représentations qui lui sont propres. La maladie ne peut devenir l’élément qui
façonne l’individu dans un moule unique, le rendant semblable à une autre personne
partageant la même pathologie.
Gageons que les nouvelles générations seront formées dans un modèle qui intègre à la
fois la scientificité et la dimension d’expérience humaine car la vérité se situe
probablement, en fonction des situations, plutôt vers l’un ou plutôt vers l’autre ; il n’existe
pas de modèle parfait.
Nous retrouvons dans nos fonctionnements deux conceptions différentes de la santé et de
la maladie : le modèle médical et le modèle global. Les infirmiers se situent vers l’un ou
l’autre pour justifier leurs pratiques. Or pour l’éducation du patient, la référence à l’un
plutôt qu’à l’autre va en théorie modifier les approches éducatives. La démarche éducative
ne peut s’intégrer que dans le modèle global, dans la vision biomédicale, il n’y place que
pour l’information et l’instruction. À ce stade-ci de la réflexion, il nous semble opportun
pour le cadre de pouvoir identifier ces orientations chez les infirmiers avant d’entreprendre
des formations à la démarche éducative. Effectivement, ceux qui fonctionneront dans le
modèle médical auront une approche centrée sur la maladie, la médecine étant une
science ; a contrario, dans le modèle global ou holistique, la médecine est considérée
comme une pratique et l’approche reste centrée sur le malade. Comme nous l’avons vu
précédemment dans le chapitre des représentations sociales, le cadre qui souhaite
progresser avec son personnel vers une vision globale de la personne soignée, en la
plaçant auteur de sa vie, discernera auparavant la conception du modèle de santé auquel
il se rattache. Les paradigmes sous-jacents de la santé et de la maladie seront identifiés.
Ces éléments nous paraissent essentiels avant d’envisager la formation continue
notamment pour l’aspect éducationnel.
47
CHAPITRE IV L’ÉDUCATION
Dans ce chapitre, nous arrivons au cœur de notre problématique ; la première partie
propose la définition du concept d’éducation, soulevant sa complexité et sa richesse pour
ensuite nous attarder sur la démarche éducative dans nos pratiques soignantes.
IV.1 Qu’est-ce que l’éducation ?
L’éducation, c’est la « mise en œuvre de moyens propres à assurer la formation et le
développement d’un être humain.»67 Emprunt au latin : Educare : nourrir, élever, dans le
sens maintenir en vie et du fréquentatif de ex-ducere : faire sortir, conduire hors de, dans
le sens de l’action. Nous retrouvons une double symbolique dans la définition entre
nourrir, maintenir en vie et conduire hors de, par l’action. La tentation de directivité peut
être grande mais l’éducateur est là pour influer sur le cours des choses et non les diriger.
Le terme éducation se réfère au processus qui relie d’une façon prévue ou imprévue deux
êtres humains et qui les met en communication, en situation d’échanges et de
modifications réciproques. L’éducation déborde très largement le système scolaire, c’est
un processus très général qui s’observe dans toutes les circonstances de la vie humaine.
Pour Develay68, « l’éducation est la capacité à faire émerger de l’altérité dans une relation
de parité asymétrique.» Et pour plus de clarté, il approfondit chaque terme de sa
définition : l’altérité, c’est l’envie de faire exister l’autre comme différent de soi, comme
autonome. Pour lui, il n’y a pas d’éducation sans intention de faire exister de l’imprévisible,
elle aboutit à une transformation de l’éduqué et de l’éducateur. La parité sous-entend le
côte à côte, une posture de proximité entre les deux, une relation asymétrique par le projet
que l’éducateur a par rapport à l’éduqué et parce qu’il n’attend rien en retour.
Une autre définition a particulièrement retenu notre attention, c’est celle de Barbier69 qui
propose : « l’éducation est le processus qui exprime la dynamique de la vie intérieure en
contact avec le monde extérieur. Elle ne saurait être définie par des disciplines
scientifiques ou des catégories de pensée instituées. Elle est de l’ordre du devenir
improbable pour chaque personne. Elle n’existe pas a priori, mais se fonde dans son
mouvement même. »
67
Le Robert, 1997.
Develay M. cité par Sandrin-Berthon B., l’éducation du patient au secours de la médecine, puf, 2000, 198p.
69
http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/article.php3?id_article=24, consulté le 03 janvier 2009.
68
48
Nous retrouvons dans cette citation, toute l’essence même d’un terme souvent utilisé de
façon péremptoire y compris par nous-mêmes. À l’extrême, l’éducation peut être une
manifestation très rigide s’exerçant sur une personne dépendante ou sur un profane de la
part d’un « professionnel », un expert. Nous pensons que l’étymologie nous apporte un
autre éclairage : l’éducation, « ex-ducere », conduire hors de, ne peut se conclure que par
l’ex-istence (de « ex-sistere »: sortir de, s'élever de; se dresser, se montrer, se manifester)
d’une individualité libre.
À ce stade, il est d’ailleurs souhaitable de faire la distinction entre instruire et éduquer.
Instruire, c'est rendre l'autre savant, transmettre des savoirs objectifs, préexistants,
socialement reconnus comme légitimes. Le formateur-instructeur en arrive très vite à
vouloir inculquer ses savoirs, c’est la transmission. Il entre, sans s'en rendre compte, dans
la problématique de l'acquisition d’informations. Éduquer au contraire, c'est à partir de
savoirs identifiés et reconnus chez l’autre, viser la construction d'autres savoirs. Éduquer
va plus loin que transmettre, c’est être là pour que l'autre reste maître de son propre
changement, c'est accompagner70 l’autre pour qu'il trouve son propre chemin, son
développement, ses sens. Éduquer est un projet. Éduquer signifie se tenir dans une
relation imprévisible, fragile, dans l’inachèvement en visant l’autonomie des personnes
dans un processus d’émancipation. Le savoir n'est qu'un tremplin pour chercher du sens.
Choisir d'éduquer, c'est accepter de rechercher continuellement un équilibre entre notre
projet éducatif et la liberté en construction de l’autre.
La démarche éducative dans nos pratiques soignantes
« Longtemps, nous avons essayé de croire qu’il suffisait d’informer, d’instruire un sujet
d’un danger pour qu’il en tire profit. Il a fallu se rendre à l’évidence et admettre que
l’éducation à la santé ne pouvait pas se réduire à un sermon, à une prescription. Pour agir,
il faut être motivé, surtout quand le geste nous coûte.»71
Éduquer dans le champ de la Santé ne peut se réduire à informer la personne requérant
nos soins pour qu’elle sache ce qu’est sa maladie, son traitement, ses risques. Notre
mission ne peut se réduire à faire savoir ce qu’est la pratique attendue de prévention ou
de soin, l’observance souhaitée, car nous confondons alors instruction et éducation. Nous
nous retrouvons ici, de nouveau, face à deux manières différentes d’aborder l’éducation
70
Ardoino, cité par Vial M., Eduquer à ou pour la santé, quels enjeux pour la formation et pour la recherche ?in
Questions vives n°5, pp 49-82.
71
Manderschield JC., Quelles recherches pour l’éducation à la santé, in revue française de pédagogie, vol 114, 1996, pp
53-65.
49
du patient. Le professionnel de la santé, dans une position d’expert décide ce qui est
« bon » pour le patient et lui transmet les informations qui lui semblent utiles à l’involution
de la maladie ou il accompagne la personne requérant ses soins sur les chemins plus
difficiles de l’humain confronté à un problème de santé. Notre comparaison s’arrête là car
quand nous parlons de la démarche éducative, nous avons d’emblée une vision globale
du problème de santé dans une approche interactionniste. Il s’agit pour l’infirmier d’utiliser
ses connaissances et son savoir-faire en regardant résolument dans la direction de la
personne qui requiert ses soins, en l’assistant dans le processus, dans le chemin vers la
gestion de la maladie. Cette prise de position est plutôt une explicitation des termes
utilisés, nous revendiquons l’absence de jugement quant aux manières de procéder car si
chaque personne est singulière, chaque situation l’est tout autant. La posture 72 du
soignant sera celle qu’il trouvera opportune dans une conjoncture donnée. Sur le
continuum de l'éducation, nous pouvons placer l’information plus près du paradigme
déterministe sans pour autant la rejeter. L’information fait partie de la démarche éducative
qui l’intègre et l’élargit tout comme le fait le modèle global avec le modèle médical.
Informer n’est pas éduquer mais éduquer englobe l’information.
Information
Démarche
Éducative
Pour Deccache,73 il y a trois types de relations éducatives comme celles du modèle de
Szasz et Hollender74 : le type activité-passivité où le soignant fournit au soigné des
informations de dédramatisation pour diminuer son anxiété avant un soin ou un examen ; il
ne qualifie pas cette activité d’éducative. Le deuxième type, dénommé direction72
La posture n’est pas une position figée mais davantage une façon d’être, une attitude, une façon d’aborder les
choses, un état d’esprit.
73
Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De
Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, 239 p.
74
Supra, p 30.
50
participation se produit quand le soigné coopère mais en obéissant au soignant qui
détermine ses besoins : il y a, ici, peu de place pour l’autonomie. C’est dans le type de
participation mutuelle que Deccache qualifie la relation d’éducative, quand une
communication s’établit avec une interdépendance entre soigné et soignant, une égalité
dans l’engagement qui apporte satisfaction aux deux partenaires de la relation.
Mettre en œuvre une démarche éducative nécessite que nous ayons un projet, une
intention vis-à-vis du patient que nous côtoyons. La démarche éducative est plus qu’une
application de programmes et d’apprentissages, elle est avant tout une rencontre entre
des personnes, entre leurs compétences et leurs projets. Cette intention ne peut pas se
limiter à la normalisation de paramètres biologiques mais bien au maintien ou à la
restauration de la santé, elle concerne la personne dans toute sa complexité. La
démarche éducative suppose une relation de confiance, un apprivoisement. De ces
entrevues entre le soignant et le soigné naîtront des réponses originales, uniques,
adaptées aux uns et aux autres. La rencontre nous invite à explorer l’organisation des
connaissances de l’autre, savoirs qui sont vrais chez celui qui les possède. La rencontre
conduit à déstabiliser l’organisation des acquis pour en faire une zone de compréhension.
À partir de là, nous pouvons nous appuyer sur ces zones de compréhension pour créer de
nouvelles représentations, organisations de connaissances, tenant compte des demandes
du patient.
Cet échange ne peut se faire que dans une relation d’équivalence et de parité, la relation
éducative est incompatible avec une relation de pouvoir, de domination ou de chantage.
Elle nécessite la construction d’un cadre favorable à l’expression de chacun, elle ne
s’improvise pas. Il nous semble important notamment d’adopter une posture de nonjugement, d’aider les personnes à approfondir leur réflexion. Pour nous, soignants, cette
démarche n’est pas facile : nous y sommes peu préparés, souvent mal à l’aise, plus dans
l’action que dans la réflexion par notre formation. Nous croyons que le cadre de proximité
a, ici, un rôle important à jouer pour soutenir son équipe soignante dans cette approche de
l’autre par sa propre posture et l’encouragement à cette prise de recul nécessaire à la
réflexion. L’écoute attentive est déjà d’un grand soutien, les soignés n’attendent pas des
réponses à toutes les questions.
La finalité de l’éducation (ex-ducere) est de conduire la personne malade hors du système
de soins vers l’autonomie et l’autogestion. Une approche éducative qui se voudrait
protectrice, prévenant les attentes et les besoins du sujet, créerait in fine, un état de
51
dépendance et donc une réduction de l’autonomie. À ce stade, elle ne s’appellerait plus
éducation au sens où nous l’entendons mais bien instruction, favorisant l’asymétrie de
l’expert-soignant au profane-soigné. L’éducation est un projet réflexif et citoyen.
L’éducateur ne crée pas l’autonomie, il met en scène des moyens pour que l’autre la
développe, la réoriente. C’est un des critères de réussite de la relation éducative. Dans les
situations de vulnérabilité qui caractérisent souvent les situations de soin, créer les
conditions de déploiement de l’autonomie de l’autre sous-entend que nous postulons
inconditionnellement cette capacité de l’autre. Ce postulat est une décision éthique,
responsable. Quelles que soient la nature et le degré de sa dépendance, nous
considérons que l’être humain qui est en face de nous est la mesure du sens qu’il donne à
son existence. Si le soignant interpelle le soigné comme sujet75, alors celui-ci peut se
mettre debout et devenir auteur et acteur de ses comportements de santé. L’idée est que
cette capacité d’agir par soi-même n’est pas conférée de l’extérieur mais qu’elle est le fruit
d’une négociation entre la personne et le soignant. L’autonomie n’est pas quelque chose
que nous donnons, mais c’est une relation que nous co-instituons. « L’autonomie c’est la
liberté pour le bien : être autonome, c’est obéir à la partie de soi qui est libre, (…) cette
autonomie n’est jamais donnée : elle est à faire, et, toujours à refaire. Il n’y a pas
d’autonomie ; il n’y a qu’un processus, toujours inachevé, d’autonomisation (…). »76 Elle
ne peut se développer qu’en connaissance … y compris de l’environnement qui limite
notre liberté !
Le travail éducatif reste le projet d’aider l’autre à s’épanouir, à trouver sa propre voie, sa
propre vie et donc à se libérer mais la situation dans laquelle nous nous trouvons lors de
nos contacts avec les personnes malades crée souvent un paradoxe. Ne sont-elles pas
dans une position d’infériorité face aux savoirs experts? La réponse se trouvera dans
notre façon de construire, de prendre soin de la relation éducative, laissant une large
plage à l’expression de chacun, même sur des désaccords. Parcourir ce chemin vers
l’affranchissement, l’autonomie du patient peut être vécu comme une situation stressante
chez le soignant face aux multiples contraintes de charges de travail, au déficit de
motivation, à la perte de l’autorité. Ainsi, dans les observations de sa recherche, Isabelle
Verstraete relate : « le manque de volonté, manque de personnel, de temps, de moyens
75
L’agent désigne le rouage d’une machine, il est compétent et ne pense pas trop. L’acteur a une intentionnalité, il
réfléchit, prend des initiatives, il reste exécutant (donc il reste agi), il joue un rôle mais n’est pas créateur. L’auteur est
la véritable origine de l’action, sujet –créateur. Pourtois J.P., Desmet H., L’éducation postmoderne, puf, 1999, p
306.
76
Comte-Sponville A., Dictionnaire philosophique PUF 2001, p. 74-75.
52
comme freins exprimés à la réalisation de l’éducation du patient. »77 Le professionnel doit
renoncer à une certaine culture soignante basée sur le faire, il doit s’efforcer de prendre
de la distance, de regarder faire le patient même si celui-ci fait des erreurs ou si ses
gestes ne sont pas toujours parfaits. L’impression de perte de temps suscitée par cette
approche n’est qu’illusoire car un soigné qui regagne de l’autonomie « libèrera » le
personnel soignant pour d’autres missions. La résistance au changement du soignant peut
s’expliquer par le déséquilibre, la rupture que cette évolution va engendrer. L’autonomie
du patient en dehors du système de soins n’est-elle pas une perte de pouvoir pour le
soignant ?
L’infirmier se situe dans cette médiation qui permet de générer du sens, en créant des
espaces transitionnels, des espaces de liberté autour du patient, il devient un facilitateur,
un passeur de connaissances avec l’un de ses semblables. Après le bouleversement que
représente pour lui la maladie, le patient a besoin de temps pour se reconstruire, se
réorganiser. Offrons-lui cette possibilité, cette disponibilité78. Former autour du patient une
carapace provisoire, qui favorise son évolution personnelle tant physique que
psychologique, nous semble une phase importante de la démarche éducative. Il s’agit
pour le soignant-éducateur d’aider le patient à trouver une satisfaction, de l’intérêt pour les
apprentissages, à les intégrer dans son projet de vie, à les situer par rapport à son passé,
à son histoire personnelle, familiale et à sa culture. Nous devons donner sens et
cohérence à notre action plus que d’appliquer des recettes ou des modèles.
Très souvent, le soignant est interventionniste, il tient un discours, respecte les normes
établies face au patient qui se complaît dans un rôle passif. À distance de cette rencontre,
la personne malade réaménage les prescriptions pour la recherche d’un quotidien qui ait
du goût et du sens pour elle. Sur le plan éducatif, fournir des explications qui ne sont pas
applicables parce que détachées du contexte de vie, c’est réaliser un travail vain et
démotivant pour tous deux. Le transfert de connaissances du soignant au malade est voué
à l’échec et n’occasionne pas la rencontre. Nous pouvons faire ici un parallèle79 avec le
management80 du cadre : c’est grâce à un management participatif que le cadre facilitera
l’éducation de ses collaborateurs par l’implication de ceux-ci que ce management
77
Verstraete I., Organisation hospitalière de l'éducation du patient : le point de vue des infirmiers-chefs, TFE présenté
en juin 2008.
78
« Qui n’est lié ou engagé par rien, dont on peut disposer, libre.» Le Robert, 1997.
79
La comparaison peut se poursuivre dans tout le travail car quelque soit le contenu, ce sont les processus qui
importent. Le cadre qui adopte une démarche éducative vis-à-vis des équipes soignantes est dans le même processus
que l’infirmier face au soigné et vice-versa.
80
4 styles de management : le directif, le persuasif, le participatif et le délégatif. Annexe VI.
53
suppose, en favorisant la communication et l’autonomie. Le style participatif encourage les
échanges d’idées et la collaboration de chacun. La démarche éducative sera cet instant
privilégié de passages entre deux univers de connaissances, il est impératif de ne pas
gâcher ce moment par une attitude inadéquate comme de l’ironie ou une intervention
intempestive. Au contraire, c’est le moment de l’exploration des connaissances de l’autre
qui doit être faite dans le respect et l’authenticité. Il faut saisir toutes les opportunités
d’éducation, repérer tous les passages81 autrement dit profiter au mieux de toutes les
occasions éducatives informelles, de tout instant privilégié de passage entre deux univers
de connaissances. Cette rencontre n’est pas toujours facile pour l’infirmier qui n’a pas été
formé dans ce modèle, qui n’est pas préparé à entendre les attentes du patient.
Notre rôle de cadre peut ici trouver toute sa raison d’être dans ces nouveaux chemins de
la relation à découvrir. En invitant nos collaborateurs à devenir des « éducateurs », nous
participons à leur éducation. Nous devons guider nos équipes à s’essayer à une rencontre
et pour cela bousculer les rôles convenus et conventionnels du malade et du soignant.
Cette mutation n’est pas aisée pour l’infirmier, car il éprouve souvent des difficultés à se
rendre disponible tant physiquement que mentalement. En soignant, l’infirmier est
constamment interpellé par des expériences humaines qui posent des questions
fondamentales comme celles du sens de la vie, de la santé, de la souffrance et de la mort.
Ces questions se posent pour les personnes qu’il soigne mais aussi pour lui-même. Or
pour écouter vraiment, il faut se décentrer pour entendre et comprendre l’autre dans ses
développements. L’objectif est de s’interdire tout jugement, de placer l’autre dans une
relation de confiance et de favoriser son expression. De telles relations, qui aboutissent à
une négociation, ne s’improvisent pas et demandent au professionnel d’abord de faire
connaissance avec lui-même, avec ses propres représentations et de connaître ses limites
à pratiquer l’éducation. En général, le patient estime ces moments où il se sent objet
d’intérêt, ces attentions qui dépassent le niveau purement biologique.
Un frein supplémentaire à cette communication soignant-soigné est la peur de la part du
professionnel d’entendre ce que le patient va lui exprimer. L’attitude d’écoute est
suffisante, il n’est pas essentiel d’avoir une réponse à toutes les questions, toutes les
demandes. Le cadre doit se le dire et le redire aux équipes. Nous sommes dans une
relation d’humains, chacun ayant ses propres limites. L’infirmier-éducateur se retrouve
devant la complexité d’anticiper les émotions que de tels échanges peuvent engendrer. Le
81
Passage : quand la rencontre nous invite à explorer l’organisation des connaissances de l’autre. Gagnayre R., cité par
Sandrin-Berthon B., l’éducation du patient au secours de la médecine, puf, 2000, p 138.
54
lien relationnel, qui est important puisque les protagonistes sont en recherche de sens,
doit toujours garder une certaine distance, laissant la possibilité de passer le relais ; il n’y
aura jamais d’exclusive. L’éducation du patient ne repose pas sur un seul soignant mais
bien sur une équipe, idéalement pluridisciplinaire, qui pour ce projet devient équipe
éducative. Cette équipe amène une pluralité de regards, d’approches et chaque
professionnel pourra bénéficier des apports, de l’éclairage, des outils de chacun. La
démarche éducative sera toujours menée conjointement par différents professionnels soit
de manière continue ou, de façon sporadique, pour proposer une réponse adaptée à une
demande particulière. Quand nous parlons d’équipe, nous parlons de dialogue et de
concertation et surtout des écrits qui feront traces de nos objectifs, actions et ressentis.
Pour nous, infirmiers, si appréhender la rencontre avec le soigné fait partie de nos
prérogatives, aborder les théories de l’apprentissage nous semble beaucoup plus éloigné
de notre formation initiale. Or, il nous semble essentiel d’approcher et d’intégrer ces
théories pour comprendre comment apprendre à apprendre et quel processus le soigné
utilisera pour élaborer ses nouveaux savoirs.
IV.2 Les modèles d’apprentissage
S’attarder sur les modèles d’apprentissage nous semble un passage obligatoire afin
d’expliciter nos modes de fonctionnement. Ces théories82 nous aident à comprendre
comment nous nous y prenons pour apprendre. Cette culture sera utile pour nous cadre
afin de continuer à nous professionnaliser. Se professionnaliser ne va pas de soi : les
théories nous permettent de nous dégager du sens commun, des idées toutes faites et les
théories de l’apprentissage nous aideront à relativiser l’importance du détenteur du savoir
sur celui qui apprend. La finalité est double puisque le cadre a la préoccupation
d’accompagner le personnel dans sa formation continue, comme le souci de promouvoir et
faciliter l’éducation en santé des patients dans nos lieux de soins. La théorie est un
élément de référence, un élément qui permet de construire du sens dans sa pratique.
Dans notre formation initiale de soignant, nous n’avons jamais eu l’occasion d’approcher
ces différentes théories et maintenant nous sommes appelés à les utiliser pour
accompagner au mieux la personne requérant nos soins. La théorie ne dicte pas les
pratiques mais au lieu de fonctionner à partir d’a priori sur ce qu’est apprendre, nous
82
« Une théorie ne vaut pas plus qu’une autre, elle ne sert pas à faire prévaloir un point de vue sur un autre concernant
la façon dont on apprend, elle doit permettre à l’observateur de penser autrement, de faire en sorte que le phénomène
signifie davantage ».Donnadieu B., Genthon M., Vial M., Les théories de l’apprentissage, quel usage pour les cadres de
santé, Masson, 1998, p 17.
55
pouvons essayer de repérer dans le labyrinthe des théories de l’apprentissage celles qui
peuvent enrichir et éclairer notre expérience.
Notre intention est d’essayer de les résumer afin d’en comprendre les concepts. Ces
modèles développés nous parlent d’enseignant et d’élève. Ces vocables semblent nous
éloigner de la démarche éducative par des ressentis d’instruction, de conduite comme de
prescription qui peuvent graviter autour de ces termes. Au cours de la lecture, il est
essentiel de rompre avec cette représentation dominante de la relation pédagogique selon
laquelle l’enseignant, « celui qui sait », serait celui qui apporterait le savoir à l’élève,
« celui qui ne sait pas ». N’est-ce pas là un reliquat de l’image que nous pouvons nous
faire de l’enseignement comme étant un modèle rigide et directif ?
Pour notre recherche, nous souhaitons transférer ces rôles d’enseignant et d’élève au
soignant que nous qualifierons d’éducateur et au soigné que nous pouvons appeler
apprenant.
Afin de faciliter la compréhension et pour éviter confusion et amalgame, nous allons
redéfinir le sens que nous donnons à quelques mots utilisés fréquemment dans ce
chapitre.
« Enseigner » est souvent défini comme transmettre un message. Cette définition nous
semble réductrice et nous souhaitons utiliser ce mot en élargissant sa signification. Nous
utiliserons le terme enseigner, enseignement, enseignant selon la définition de Gagné83
« enseigner, c’est organiser des situations d’apprentissage ». Enseigner, c’est procurer à
la personne différentes situations qui vont faciliter l’apprentissage attendu. Nous verrons
par la suite que selon la conception que nous avons de la manière dont le sujet apprend,
nous adopterons notre modèle d’enseignement84. Pour Altet, l’enseignement est
également un processus interpersonnel et intentionnel, qui utilise la situation pédagogique,
la communication pour provoquer, favoriser l’apprentissage.85
« Apprendre » vient du latin : ad : à et prehendere : saisir, prendre. « Prendre avec soi »
suppose une appropriation de savoirs qui permettent d’élaborer des connaissances. C’est
traiter l’information de manière à pouvoir la mémoriser et la réutiliser ultérieurement dans
d’autres situations86. La définition varie selon l’approche behavioriste, cognitiviste, nous en
débattrons ultérieurement.
83
ème
Gagné cité in Raynal F., Rieunier A., Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p 177.
Terme proche de la méthode pédagogique, organisation codifiée de techniques et de moyens visant à faciliter
l’action éducative.
85
Altet, M., Les pédagogies de l’apprentissage, Puf, 1997, p 8.
86
ème
Raynal F., Rieunier A., Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p 34.
84
56
« L’apprentissage » a un sens différent dans le langage commun et dans le langage des
sciences de l’éducation. Pour le sens commun, le terme d’apprentissage est étroitement
lié à l’idée de métier manuel ou de formation sur le tas. Dans notre approche,
l’apprentissage peut être défini comme un processus d’acquisition et un processus de
changement qui constitue son résultat. Il y a apprentissage lorsque les savoirs appris sont
disponibles en permanence pour agir sans que le sujet n’ait à refaire le chemin de leur
acquisition. Si apprendre est un processus individuel, l’apprentissage s’organise, lui, entre
des personnes, dans un contexte. Comprendre l’apprentissage, c’est établir des liens
entre
les
explications
du
mécanisme
individuel
d’acquisition
et
les
situations
institutionnelles dans lesquelles un sujet humain, toujours particulier, transforme par son
projet le savoir en connaissance. Comme pour apprendre, selon le courant de pensée,
nous passerons d’une vision behavioriste réductrice ; changement de comportement
mesurable, à une vision plus en accord avec le courant de pensée cognitiviste ;
modification durable des représentations et des schèmes d’action.
Comme nous l’avons vu précédemment, nous ne pourrons qualifier le soignant
d’éducateur que si son « enseignement » emploie des situations pédagogiques favorables
à l’éducation, autrement dit assure la formation et le développement d’un être humain.
Les sciences de l’éducation puisent leurs fondements théoriques, entre autres, dans la
psychologie, la sociologie, la philosophie et les sciences cognitives. Cette diversité de
champs théoriques à la base des différentes approches de l’enseignement et de
l’apprentissage peut parfois être confondante dans la mesure où certains auteurs peuvent
se retrouver à l’intérieur de plus d’un courant théorique. Actuellement, une majorité de
théoriciens en éducation s’accordent pour regrouper les modèles de l’enseignement et de
l’apprentissage selon quatre courants : le courant béhavioriste, le courant cognitiviste, le
courant constructiviste et le courant socioconstructiviste.
Ces théories étudient les facteurs susceptibles de favoriser la transmission et l’acquisition
des savoirs dans le processus d’apprentissage. Ces approches, qui se sont suivies
chronologiquement au cours du vingtième siècle, peuvent être situées sur un continuum
plutôt que d’être des positions tranchées. L’évolution la plus marquante a été le passage
de l’approche behavioriste de l’apprentissage à l’approche cognitiviste qui a été
prolongée par l’approche constructiviste et socioconstructiviste. Cette évolution porte à la
fois sur le rôle des activités mentales, sur le rôle de l’apprenant et sur le rôle de
l’enseignant.
57
Les théories de l’apprentissage se distinguent l’une de l’autre essentiellement par le
processus qu’elles invoquent pour expliquer l’apparition du comportement nouveau qui en
constitue le résultat. Nous distinguons deux théories ; celles qui font appel au
conditionnement, laissant dans l’ombre la participation consciente du sujet dans
l’élaboration des réponses et celles qui retiennent la compréhension et le raisonnement
comme mode de construction de la réponse insistant au contraire sur le rôle joué par le
sujet dans sa conception.
Nous ne pouvons en aucun cas nous enfermer dans un cadre, il n’y a pas de modèle pur.
S’intéresser aux modèles d’apprentissage nous donnera les moyens de faire des choix, de
prendre des décisions par l’actualisation de nos connaissances. Cette approche nous
permet de repenser nos démarches éducatives, soignantes, thérapeutiques… et de mener
une réflexion sur nos pratiques professionnelles.
58
IV.2.1
Du déterminisme…
IV.2.1.1
Le behaviorisme
Le behaviorisme ou comportementalisme est apparu dans les années 1930 et il a gardé
une position dominante jusque dans les années cinquante. Le behaviorisme est un
courant qui a recherché l’explication des phénomènes d’apprentissage au niveau des
comportements. Il est introduit par le psychologue américain John Watson influencé par
les travaux du physiologiste russe Ivan Pavlov sur le conditionnement des animaux. Le
behaviorisme
considère
l’apprentissage
comme
une
modification
durable
du
comportement résultant d’un entraînement particulier. C’est le concept de conditionnement
répondant. Skinner a modifié ce schéma très linéaire de l’apprentissage en y ajoutant le
conditionnement opérant, selon lequel l’apprentissage consiste à établir une relation stable
entre la réponse souhaitée et les stimuli présentés, à l’aide de renforçateurs positifs ou
négatifs. Dans le behaviorisme, les connaissances s’accumulent comme des objets et
doivent être restituées par l’apprenant sans modification. Les nouveaux savoirs s’empilent
sans se mélanger. Des tâches, de complexité progressive, sont fournies pour renforcer les
compétences que l’on souhaite développer ; la répétition permet l’automatisation.
Cette approche enlève à l’individu la responsabilité de ses actes. L’autonomie et le librearbitre sont exclus. Le comportement de l’homme est le produit de contingences
organisées et contrôlées.
Pour en arriver à ce résultat, l'enseignant s'appuie principalement sur des méthodes
pédagogiques telles l’exposé magistral, modèle de l’empreinte, et la pratique répétée,
modèle du conditionnement, afin d’augmenter la rétention des apprentissages. Il utilise
aussi une méthode de renforcements : il récompense les bonnes réponses par des
moyens
verbaux
et
non
verbaux.
C’est
une
approche
transmissive,
passive,
principalement orientée et contrôlée par l’enseignant. L’erreur sera considérée comme une
faute, avec la notion de culpabilité, plaçant l’apprenant en position d’infériorité. Dans
l’éducation du patient, les termes de « mauvaise compliance87 » seront utilisés quand
celui-ci ne reproduira pas le comportement attendu à savoir appliquer le traitement
prescrit. L’apprenant subit, il n'est pas partie prenante du projet éducatif, il est mis en
position d'ignorance. La fonction de l’apprenant sera d’effectuer, reproduire le
comportement et de s’exercer pour obtenir un transfert des acquisitions dans d’autres
87
Aptitude d'une cavité organique à changer de volume sous l'influence d'une variation de pression. Ici, le terme a un
autre sens quand il est utilisé dans le langage médical : respect par le malade d'une prescription. Observance est un
synonyme, nous préférons utiliser le terme d’adhésion.
59
conditions que celle de l’apprentissage. Le rôle de l’enseignant, hormis l’organisation du
travail, est principalement celui de contrôleur afin de ne pas laisser l’apprenant se
conditionner dans des chemins inappropriés. Il a également une responsabilité de soutien
en proposant des activités de récupération. Les principales carences de cette approche
sont le peu de place laissé à la personne. Les croyances, mais également les désirs et les
intentions de l’apprenant, sont peu pris en compte. Toutefois, cette pratique garde sa
place pour l’apprentissage d’un geste technique. Pour le reste, elle reste très insuffisante
puisqu’elle ne part pas du sujet et travaille peu la motivation. Dans ce courant, proche du
déterminisme et du modèle biomédical, puisque le sujet n’est pas pris en compte, nous ne
pourrons pas parler d’éducation du patient en santé telle que nous le concevons mais au
mieux d’une information dispensée au patient ou d’une formation à une technique.
Modélisons ce courant au niveau de la problématique d’éducation en santé.
Le behaviorisme
Conditionnement répondant – conditionnement opérant – transmission
Pour le
éducateur
soignant
–
Il va créer et renforcer
des comportements
adéquats qui pourront
être observés.
De la théorie à la
pratique.
Il transmet l’information,
s’adapte aux besoins du
patient en aplanissant les
difficultés.
Pour l’apprenant, la
personne requérant
des soins
Il associera sa
bonne observance à
une récompense,
une félicitation.
Il écoute, regarde, et
tente de reproduire.
Les limites
Acquisitions
locales, ne
s’intéresse pas à
la motivation.
Désirs et
intentions du
patient peu
considérés.
Utilité
Apprentissage d’un
geste technique.
Les formations courtes à
caractère technique
avec l'obtention d'un
nouvel automatisme.
60
IV.2.1.2
Le cognitivisme
Le cognitivisme émerge, en réaction au behaviorisme, sous l’influence de l’intérêt
croissant pour le traitement de l’information. L’intérêt pour l’apprentissage dépasse les
simples comportements observés pour se centrer sur ce qui se passe au niveau
mental ; comprendre comment les comportements sont produits et identifier les activités
mentales mises en jeu en situation d’apprentissage. L’esprit humain est un système de
transformation des données et la démarche structurée d’apprentissage se fait par
l’appropriation graduelle et progressive de stratégies mentales. Le cognitivisme a pour
objets d’étude la connaissance, la mémoire, la perception et le raisonnement. Celui qui
apprend sera motivé s’il fait quelque chose qui a du sens pour lui, s’il est partie prenante
dans le projet. Dans l’éducation en santé de la personne requérant nos soins, il est donc
essentiel de donner du sens au projet éducatif dans lequel nous nous engageons
mutuellement, soignant et soigné.
Le cognitivisme s’appuie sur des grands principes clés : l’apprentissage est un
processus actif et constructif : comme pour les béhavioristes, il existe une réalité objective
externe, mais ici l’apprenant va intégrer cette réalité à ses propres schémas mentaux
plutôt qu’acquérir des comportements observables. C’est donc un changement dans les
structures mentales de l’élève qui caractérise l’apprentissage. L’apprentissage est
l’établissement de liens entre les nouvelles informations et les connaissances antérieures
pour peu que l’on prenne soin d’intégrer les connaissances nouvelles grâce au
phénomène d’ancrage. Cela se fait par les représentations structurantes ; schémas ou
graphiques, présentés en début d’apprentissage, qui vont faciliter la mise en relation des
éléments de l’apprentissage avec les éléments déjà maîtrisés disponibles dans la
structure cognitive de l’individu. Dans le cadre de l’éducation en santé du patient, il est
suggéré d’identifier les idées importantes en présentant des schémas organisateurs au
moment d’aborder un nouveau contenu, d’encourager le patient à souligner les données
principales et de lui demander régulièrement de résumer ce qu’il a appris. Pour les
cognitivistes, l'apprenant est un système actif de traitement de l'information, semblable à
un ordinateur : il perçoit des informations qui lui proviennent du monde extérieur, les
reconnaît, les emmagasine en mémoire, puis les récupère de sa mémoire lorsqu'il en a
besoin pour comprendre son environnement ou résoudre des problèmes.
61
L’apprentissage concerne autant les stratégies cognitives et métacognitives88 que les
connaissances
déclaratives,
procédurales
et
conditionnelles89.
Les
stratégies
métacognitives permettent à l’apprenant de réfléchir sur sa manière de penser et de
travailler, d’en évaluer l’efficacité, puis d’apporter des ajustements pour l’améliorer. Nous
nous éloignons du mode de transmission de l’information, le sujet est acteur mais la réalité
objective reste externe et il n’y a aucune interaction avec l’environnement du patient.
Le cognitivisme
Transformation des données, stratégie mentale, ancrage, représentations structurantes
Pour le soignant -éducateur
Il présente l’information de
façon structurée,
hiérarchique, démonstration,
présentation de schémas,
soulignement des idées
importantes.
Il favorise la rétroaction,
résolution de problèmes.
Pour l’apprenant, la
personne requérant
des soins
Les limites
Participation.
Analyse.
Collaboration.
Patient acteur.
Difficile
d’accéder aux
processus
cognitifs.
Autoquestionnement.
Différence entre
les objectifs
finaux et ceux
de l’apprenant.
Résumés.
Utilité
Développement de
la capacité
d’apprendre, de
comprendre et
d’analyser.
88
Cognition : fonction complexe multiple incluant autant l'ensemble des connaissances que les processus qui
permettent leur apprentissage et leur manipulation.
Métacognition : se rapporte à la connaissance qu´on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits et de tout
ce qui touche, par exemple, les propriétés pertinentes pour l´apprentissage d´informations et de données. La
métacognition se rapporte entre autre chose, à l´évaluation active, à la régulation et l´organisation de ces processus
en fonction des objets cognitifs ou des données sur lesquelles ils portent, habituellement pour servir un but ou un
ème
objectif concret. Flavell J., in Raynal F., Rieunier A., Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p
290.
89
Les connaissances déclaratives correspondent à des connaissances théoriques, de faits, de règles, de lois, de
principes, les connaissances procédurales répondent aux étapes pour réaliser une action, les connaissances
conditionnelles se réfèrent aux conditions de l’action, le quand et le pourquoi. Tardif J., cité par Bru M., les méthodes
en pédagogie, puf 2006, p 61.
62
IV.2.2
À l’interactionnisme
IV.2.2.1
Le constructivisme
Le terme constructivisme est entré dans le champ de la didactique et des sciences de
l’éducation dans les années 70. Il développe le concept de l’apprentissage dans
l’action et met l’accent sur l’importance des expériences en situation réelle.
Contrairement au modèle comportementaliste, le modèle constructiviste privilégie le
sujet, comme acteur volontaire du processus d'apprentissage. Il a pour objet l'adaptation
du sujet au monde, à son environnement et non pas la découverte d'une réalité pour elle
même. Les constructivistes postulent que chaque apprenant construit la réalité en se
basant sur sa perception d’expériences passées. Deux auteurs, tout deux psychologues,
sont à la base de l’approche constructiviste : J. Piaget et J. Bruner. Dans le
constructivisme, l’apprenant construit ses connaissances par son action propre dans un
certain ordre. L’accent est mis sur le rôle actif de l’apprenant ; il est le premier agent
de son apprentissage. L’approche constructiviste considère que les nouvelles
connaissances s’acquièrent graduellement par une mise en relation avec les
connaissances faites de représentations antérieures. L’apprentissage est un processus
d’adaptation qui s’appuie sur l’expérience que l’apprenant a du monde et qui est en
constante modification. Apprendre signifie donc construire du sens. La connaissance n’est
pas une simple activité cérébrale ou intellectuelle consciente, elle est la recherche des
manières de se comporter et de penser qui conviennent par rapport aux buts que l’on
poursuit ou à une situation que l’on a besoin de gérer 90, circonstances dans lesquelles se
retrouve le patient quand il est face à la maladie. Pour Bruner, l’apprenant choisit et
transforme l’information, il émet des hypothèses et prend des décisions selon la structure
de ses schémas mentaux. Cette structure l’aide à donner du sens aux nouvelles
informations et lui procure des points de repère pour l’organiser et pour aller au-delà de
celles-ci. La structure des schémas mentaux sert, en quelque sorte, de cadre conceptuel
qui permet d’interpréter le monde. Dans cette approche, l’important n’est pas d’apprendre
le maximum ou d’optimiser les résultats mais avant tout d’apprendre à apprendre 91. Pour
Piaget, deux actions contribuent à l’apprentissage, l’assimilation et l’accommodation.
90
Von Glasersfeld E., la relation éducative et l’intention d’empowerment, in bulletin d’éducation du patient, vol 17,
n°3, 1998, p 91.
91
Piaget cité par Crahay M., psychologie de l’éducation, puf, 1999, p195-196.
63
L’assimilation correspond à la modification qu’un individu opère dans ses schèmes de
pensée et d’action quand il se confronte à la réalité. Il invente alors de nouvelles façons
de penser et d’agir qui augmentent son potentiel.
L’accommodation, c’est relever le défi : reconnaître que ses concepts se heurtent à une
réalité imprévue et qu’il convient de les transformer. C’est la recherche du meilleur
équilibre possible entre l'individu et son milieu de vie, ou entre l'individu et la situationproblème à laquelle il se trouve confronté. C'est une action de l'environnement sur
l'individu qui va avoir pour effet de provoquer des ajustements dans la manière de voir,
de faire, de penser du sujet, en vue de prendre en compte ces données nouvelles
quelque peu perturbantes.
Ce courant est proche de notre vision de l’éducation du patient en santé : le sujet
apprend à apprendre en confrontation avec la réalité. Le bémol que nous pouvons
émettre est que l’apprentissage reste individuel : nous ne pouvons laisser l’entourage du
patient comme son environnement en dehors de la démarche éducative.
Le constructivisme
Assimilation – accommodation
Pour le soignant –
éducateur
L’apprentissage est
centré sur la
personne, l’acteur.
Dialogue, l’erreur est
retravaillée en
commun.
De la pratique à la
théorie.
Pour l’apprenant,
la personne
requérant des
soins
Motivation.
Pas de
culpabilité.
Processus actif.
Les limites
Utilité
L’apprentissage est
individuel.
L’apprenant ne se laisse
pas facilement
déposséder de ses
représentations.
Processus endogène,
pour lequel
l'environnement social
est sans influence.
L’apprentissage se fait à
partir du vécu, de la
façon de procéder du
patient.
64
IV.2.2.2
Le socioconstructivisme
Le socioconstructivisme est une approche qui met l’accent sur la dimension
relationnelle de l’apprentissage. Issue en partie du constructivisme, il ajoute la
dimension du contact avec les autres afin de construire ses connaissances. Cette
approche psycho-sociale des activités cognitives remet en cause certains principes du
cognitivisme, centrés sur des mécanismes individuels. Le développement cognitif se
construit au contact d’interactions sociales et au sein d’un contexte socio-historique. La
construction d’un savoir, bien que personnelle, s’effectue dans un cadre social. Les
informations sont en lien avec le milieu social, le contexte culturel et proviennent à la
fois de ce que l’on pense et de ce que les autres apportent comme interactions. L’idée
essentielle qui fonde le socioconstructivisme est que pour comprendre l’apprenant il
est nécessaire d’étudier son comportement psycho-cognitif dans le contexte de ses
relations, expériences familiales, éducatives, sociales et culturelles. Dans l’éducation
en santé du patient, une attention toute particulière sera portée au contexte de vie du
patient, à son entourage familial et social. Les facteurs sociaux constituent des
éléments « médiateurs » qui influencent la construction des capacités cognitives des
sujets. Contemporain de Piaget, Vygotsky
92
a posé les premiers jalons de la théorie
socioconstructiviste. Deux éléments importants ressortent de ce paradigme : la zone
proximale de développement, qui est la distance à parcourir entre ce que l’apprenant
peut faire seul et ce qu'il serait en mesure de réaliser avec la médiation d'autrui, et le
conflit socio-cognitif, qui souligne l’importance de la confrontation entre individus dans
l’acquisition des savoirs. Quand il y a une opposition, l’apprenant reconsidère son
propre point de vue grâce à des phénomènes d’argumentation et de communication.
La primauté est donnée à l’apprenant. Ici, le modèle pédagogique est appelé
constructiviste interactif et rassemble les théories de la pédagogie de la découverte,
pédagogie ouverte, de type incitatif et associatif. Dans l’éducation du patient, le soignantéducateur aura une vision claire des finalités éducatives ainsi qu’une connaissance réelle
des sujets apprenants. Si l’on veut que l’apprenant s’approprie réellement le savoir, cela
nécessite une transformation en situations à vivre avec décloisonnement des branches et
interdisciplinarité. La prise en compte des représentations de l’apprenant est un pré-requis
incontournable. L’implication du soignant dans ce modèle sera tout d’abord le soutien
affectif pour l’apprenant. Il sera un confident qui écoute et met en confiance, parfois
92
Crahay M., Psychologie de l’éducation, puf, 1999, 373 p.
65
coopérant pour affronter des difficultés. Il cherchera à développer la sécurité dans le
risque, donnant une valeur positive à l’erreur, étape indispensable à tout apprentissage.
Un autre rôle important est de veiller à maintenir la poursuite du travail en semant le
doute, en cherchant avec l’apprenant. La dernière mission reste l’évaluation. Celle-ci sera
formative93 pour établir un dialogue adéquat avec l’apprenant, son but étant de l’informer
du degré d’atteinte des objectifs. Nous sommes ici dans le courant qui correspond à notre
vision de l’éducation en santé du patient avec d’une part un sujet acteur, auteur de son
apprentissage mais aussi toute la prise en compte de ses valeurs, de sa réalité, contexte
de vie familial et social.
Le socioconstructivisme
Zone proximale de développement – conflit socio-cognitif
Pour le soignant –
éducateur
Pour l’apprenant, la
personne requérant
des soins
L’éducation du patient
passe également par les
groupes de patients, les
associations. Il encourage
la prise en charge
pluridisciplinaire.
Tutorat et
accompagnement.
Auteur
Ses apprentissages
ont du sens, le
soignant est une
personne ressource,
un guide. Les solutions
trouvées sont uniques.
Les limites
Difficile d’accéder
aux processus
cognitifs.
La peur de la
transformation,
les habitudes
d’évitement
d’efforts
Utilité
Développement de
la capacité
d’apprendre, de
comprendre et
d’analyser.
93
L’évaluation est une action consistant à attribuer une valeur à une production, faire le point sur les acquisitions des
apprenants. Nous distinguons deux types d’évaluation : l’évaluation sommative qui a un but de sanction positive ou
négative. Elle sera utilisée dans l’approche behavioriste. La seconde est l’évaluation formative qui a pour but
d’informer l’apprenant du degré d’atteinte de ses objectifs lui permettant de prendre conscience de ses erreurs, de
ses progrès et de ses réussites. Ce type d’évaluation est un allié puissant vers l’autonomie car elle stimule la prise de
conscience et l’analyse de ses actions. Cette évaluation sera employée dans le constructivisme et le
socioconstructivisme.
66
Commentaire
Les modèles d’apprentissages ont progressé grâce aux recherches et découvertes
effectuées sur le comportement humain. Nous remarquons que l’évolution sur le siècle
dernier a été de passer d’un apprenant soumis, passif, inexistant à un acteur de son
apprentissage, moteur de son développement. La direction des opérations a presque
changé de côté ; idéalement, apprendre est une collaboration entre l’apprenant et son
environnement, l’enseignant94 reste une pièce maîtresse dans la facilitation et l’éveil. On
n’apprend pas seul.
Après ce tour d’horizon des principaux concepts, il est sans doute opportun de se
poser la question du modèle à privilégier. La réponse n’est pas simple et repose sur
plusieurs facteurs. Elle nécessite une analyse attentive de la situation, la prise en
considération des ressources à disposition, du temps et des croyances qui servent de
cadre de référence aux intervenants. L’intérêt est de permettre une ouverture à une
diversité d'approches que l'expérience ne permet pas toujours de découvrir. Ces
modèles théoriques présentent un intérêt pour le soignant-éducateur car travailler en les
ignorant le rend peu critique de sa propre action. A l'inverse, ne jurer que par un modèle
référent serait réducteur. Il n’est pas nécessaire que les infirmiers soient des spécialistes
des théories de l’apprentissage, mais il est essentiel de continuellement se questionner
sur ses pratiques par la référence à des pratiques d’expériences et à des théories, dans
une approche résolument réflexive.
Mais qu’est-ce qu’une pratique réflexive ? Il s’agit d’une posture critique, un regard sur
l’action avant, pendant et après, un apprentissage à partir de ses pratiques. La
transformation de l’expérience saisie s’effectue à la fois par l’action et par la réflexion. En
somme, l’action alimente la réflexion et la réflexion influence l’action, le tout dans un
cycle95 incessant, d’autant plus source d’apprentissage qu’il s’enrichit à la fois de la
pratique et de la théorie. L’action est ici considérée comme une expérimentation active
liée à un moment d’observation réflexive. Un praticien réflexif est désireux et capable de
se prendre pour objet de sa réflexion. La pensée réflexive est issue du cycle de Kolb:
après chaque geste, il s’agit de réfléchir au déroulement de l’action, d’élaborer des
hypothèses basées sur les connaissances scientifiques et selon le résultat positif, mitigé
ou négatif d’envisager le réajustement à apporter à l’acte. Le but est d’apprendre de
94
Rappelons que derrière ce vocable nous entendons le soignant – éducateur qui accompagne les personnes
requérant ses soins mais aussi le cadre en soin de santé qui guide les soignants au quotidien et dans leur formation
continue.
95
Cycle de Kolb, pratiques découvertes lors de notre stage au C.H.U.V. à Lausanne. Annexe 3.
67
l’expérience pour développer de nouvelles stratégies face à une situation ou pour
comprendre l’écart entre les objectifs et les acquis des apprenants. Pour l’éducation du
patient en santé, notre posture sera réflexive car constamment nous devrons nous
mobiliser dans ces théories de l’apprentissage pour répondre de la façon la plus
adéquate possible aux attentes de la personne requérant nos soins et à son entourage.
Quand l’éducation privilégie l’acquisition des savoirs nécessaires à la prévention des
complications de la maladie d’un patient considéré a priori comme ignorant, le soignant
prend la posture d’un transformateur du niveau de connaissance du patient ; le soigné se
retrouve alors dans une posture passive. Nous sommes plus dans l’information,
l’instruction que dans l’éducation.
Chaque fois que l’éducation se focalise sur l’obtention des comportements adaptés au
problème de santé du patient, elle s’inscrit dans une approche behavioriste. Elle vise la
suppression de l’erreur et l’adoption de bonnes conduites et s’appuie sur le renforcement
positif tels que : « c’est bien, continuez comme cela » ou le renforcement négatif comme
«cela fait pourtant plusieurs fois que je vous explique». Le soignant devient alors le
transformateur des comportements de l’autre. Nous nous retrouvons plus dans un mode
de conditionnement que dans une démarche éducative.
Si l’éducation est conçue dans la connaissance de soi du patient, elle s’inscrit dans une
approche psychosociale en se centrant sur la capacité du patient à agir sur son
environnement. L’activité éducative s’ajuste au processus d’apprentissage des patients,
visant l'estime de soi, la confiance en soi, le sentiment d’efficacité personnelle, l’autodétermination afin de l’aider à se sentir maître de son projet de santé et de sa qualité de
vie. Ici, nous rejoignons pleinement le concept d’éducation tel que nous l’avons défini
précédemment : accompagner l’autre pour qu'il trouve son propre chemin. Éduquer
signifie se tenir dans une relation imprévisible, en visant l’autonomie des personnes dans
un processus d’émancipation.
Tous ces modèles sont utilisés, voire combinés par les soignants qui ont plus ou moins
connaissance de leurs fondements. Ils orientent les pratiques éducatives et les dispositifs,
en laissant plus ou moins de place aux savoirs que les patients élaborent en vivant au
quotidien avec un problème de santé. Notre souhait avec la réalisation de ce travail, est
d’expliciter et de souligner l’importance de la place du sujet apprenant afin de cheminer
vers un projet éducatif satisfaisant pour les deux partenaires soigné et soignant. Le soigné
sera impliqué dans le processus et le sens sera perceptible pour les deux partenaires de
la relation éducative.
68
SYNTHÈSE
QUAND NOUS ASSOCIONS L’ÉDUCATION ET LA SANTÉ
Du grec, ζύνθεζις, synthèse signifie littéralement "le fait de mettre ensemble, de
composer, de combiner, d'arranger"; de ζύν "avec" et ηίθημι "mettre, disposer, placer":
opération qui procède du simple au composé, de l’élément au tout
96
, par laquelle se
rassemble en un tout, divers éléments de connaissance sur le sujet et qui veut donner une
vue, qui veut faire le point sur les différentes notions proposées à la réflexion. Après la
critique97 des différents termes et concepts, nous formulons une nouvelle proposition
différente de celles qui ont été analysées.
Il convient de s’entendre sur les mots qui fondent notre réflexion. La démarche éducative
est un processus complexe, en pleine évolution, peut être encore en quête d’identité. C’est
à partir des mots et de leur sémantique, qu’il est envisageable de se dé-former pour
reconstruire une nouvelle approche. L’union de ces deux vocables débouche sur de
nombreuses expressions que nous allons tenter de cerner.
« À, pour, en », trois prépositions entre les deux concepts que sont l’Éducation et la Santé
changent le sens du message que nous voulons passer. Dans la pratique, nous utilisons
indifféremment ces expressions qui peuvent être source d’opacité, car elles créent de la
confusion dans les pratiques, des malentendus. Les personnes requérant nos soins
peuvent percevoir un sens différent de celui attribué par le soignant. Pour éviter la
discordance entre l’expression et le modèle, nous allons y réfléchir.
Nous relions la notion d’éducation à la santé à la préposition ad. Elle précise la direction
de l’acte éducatif, l’idée de diriger vers un but ou l’objet auquel elle se rapporte : la santé.
La santé de l’autre est alors l’aboutissement de l’éducation. Elle devient une chose, un
objet à acquérir. La notion de santé perd sa dimension dynamique, le terme éducation
prend une coloration de conduite et d’instruction.
L’expression éducation pour la santé relate le plus souvent un lien de but entre éducation
et santé, «dans l’intérêt de, en faveur de,… ». La santé devient la finalité de l’éducation.
L’intention de l’éducateur envers l’éduqué sera celle d’acquérir une meilleure santé par
96
97
Le petit Robert, 1997.
Dans le sens de l’analyse et de l’opinion que nous pouvons avoir sur un concept.
69
l’acquisition d’un comportement conforme aux normes assurant une « bonne » santé,
nous restons à nouveau dans le mode formatif. A contrario, le « pour la santé » pourrait
être entendu comme l’accompagnement au pari que le sujet travaille à son bien-être, nous
arrivons alors dans une démarche éducative qui tend vers la santé comme un processus
dynamique qui permet à chacun de s'adapter à son environnement.
Dans l’éducation en santé, la préposition nous suggère le domaine, le champ98, la
discipline concernée par l’éducation ; la santé est considérée comme une spécialité de
l’éducation99, une composante de la société. Le champ de la santé peut être décrit comme
un espace de relation où chaque personne qui entre dans ce milieu doit en maîtriser les
codes et les règles internes. L’utilisation du « en », semble augurer d’un modèle moins
centré sur le « vouloir pour l’autre », de l’action menée sur l’autre pour qu’il acquière la
santé. L’éducation en santé s’adresse à des sujets afin de leur permettre de s’approprier
la connaissance en matière de santé comme à des personnes confrontées à des
déficiences, pathologies, afin de les accompagner dans le processus de changement
qu’elles sont en train de vivre.
Ce n’est pas qu’une simple histoire de mots, c’est la conception que nous nous faisons de
l’action soignante. Nous n’aurons pas la même attitude, nous ne construirons pas les
mêmes situations selon que nous installons avec l’autre soit des rapports mécaniques, soit
des relations humaines et sociales.
L’éducation thérapeutique du patient est une expression fréquemment utilisée surtout
dans la littérature française. Elle touche à la partie de l’éducation directement liée au
traitement. C’est un ensemble de pratiques visant à permettre au patient l’acquisition de
compétences, afin de pouvoir prendre en charge de manière active sa maladie, ses soins
et sa surveillance en partenariat avec les soignants. Elle fait partie de la fonction
soignante. Dans le contexte des soins, les recommandations sont centrées sur le rôle
propre des soignants. Les termes éducation thérapeutique sont définis par l’OMS, comme
l’action étant centrée sur le traitement de la maladie.
Il ne peut y avoir de relation éducative dans le rapport thérapeutique. Thérapeutique, « qui
concerne le traitement des maladies» selon le Robert, crée avec éducation un oxymore ;
procédé stylistique qui consiste en une alliance de mots contraires. Un terme annule
l’autre, l’adjectif dénature le nom. Comme nous l’avons vu précédemment l’éducation est
98
Bourdieu P., éditions sciences humaines, 2008 p13. : « Un champ est un microcosme autonome à l'intérieur du
macrocosme social.»
99
Eymard C., Essai de modélisation des liens entre éducation et santé, in questions vives, n°5, pp13-34.
70
synonyme d’accompagnement, de recherche de sens, vise l’autonomie de la personne ; la
qualifier de thérapeutique, c’est confondre éduquer avec instruire. Éduquer n’est pas
seulement donner les procédures pour que le patient les respecte et s'y conforme dans
une pensée réduite au curatif. Dans l’éducation thérapeutique, l’activité « éducative » se
construit autour de savoirs savants à transmettre au détriment des savoirs expérientiels, le
soignant prend une posture d’enseignant. La finalité sera de rechercher l’adhésion du
patient aux prescriptions médicales, le renforcement positif des comportements souhaités
dans le souci d’éviter la progression de la maladie et la survenue des complications. Nous
restons, ici, dans une vision médicale, behavioriste, plus déterministe qu’interactionniste.
Deccache et Lavendhomme nous livrent cette définition100 : « L’éducation du patient est
donc un processus par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un
ensemble d’activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide
psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation
et procédures hospitalières, les comportements de santé et ceux liés à la maladie et
destinées à aider le patient (et sa famille) à comprendre la maladie et les traitements, à
collaborer aux soins, prendre en charge son état de santé, et favoriser un retour aux
activités normales ». Cette définition répond à divers objectifs qui se catégorisent de deux
façons ; tout d’abord dans une tendance plus biomédicale, le souhait de compréhension
de la maladie, du traitement et la collaboration du patient. D’un autre côté, dans une vision
beaucoup plus interactionniste, nous trouvons un patient chargé de prendre en charge son
état de santé et envisagé dans son environnement puisque les auteurs prennent en
compte sa famille et ses activités habituelles. Cette définition insiste sur l’intégration de
l’éducation dans la démarche en soins et envisage le processus éducatif dans sa globalité.
Les termes éducation du patient correspondent à notre conception avec cette démarche
éducative au cœur de nos soins, pour le patient et son entourage, dans une vision de
santé et non uniquement de maladie et qui comprendrait tous les aspects de la prévention
et du bien-être psycho-social au même degré que la maladie qui a permis cette rencontre
entre le soignant et le malade. L’expression éducation du patient apparaît comme un
concept charnière entre l’attitude paternaliste, qui fut longtemps prédominante et qui
reposait sur la prétention du soignant à exercer un pouvoir sur son patient au nom de
l’autorité que lui conférait son savoir médical et un courant plus actuel fondé sur
100
Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De
Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, p 45.
71
l’autonomie du malade et orienté vers une prise en charge plus active de sa maladie par le
patient lui-même et son entourage.
L’expression qui nous semble le mieux répondre à notre réflexion actuelle est :
« éducation en santé du patient ». Le but de cette éducation est que toute personne qui
consulte un professionnel de santé101 dans une institution hospitalière ou dans tout autre
endroit, quel que soit son état de santé, soit en mesure de contribuer elle-même à
maintenir ou à améliorer sa qualité de vie. Elle s’adresse au patient et à son entourage et
ne concerne pas uniquement la maladie qui a permis cette relation de soin mais bien la
Santé dans toute son approche dynamique et singulière comme nous l’avons évoqué
précédemment. Cette éducation part de la personne et s’adresse à elle, singulière dans
son contexte de vie, avec ses capacités, ses ressources, ses envies et ses projets.
L’éducation en santé du patient, n’est pas un endoctrinement mais bien une sollicitation à
la réflexion et une émancipation de l’individu, vers plus d’autonomie. En raison de cette
singularité, l’éducation du patient en santé ne peut relever d’une science qu’elle soit
médicale ou pédagogique ; en revanche, elle relève de l’art de soigner, elle ne se fonde
pas que sur la connaissance mais aussi sur la disposition à saisir, dans l’inattendu et le
particulier, les éléments qui seront utiles et porteurs. Le talent de l’infirmier-éducateur sera
d’aider la personne requérant ses soins à trouver de nouvelles normes de vie acceptables
qui ne seront ni les normes fixées par la médecine ni les normes du patient. Elles
constituent cet inattendu qui émergera de la relation éducative. Nous considérons que
cette définition correspond le plus à la réflexion que nous voulons mener dans ce travail.
Un modèle pour le soignant
Comme nous l’avons explicité, notre rôle de soignant-éducateur102 consiste à
accompagner le soigné et son entourage dans son cheminement, de le stimuler dans son
désir d’apprendre et surtout de l’aider à trouver du sens aux changements proposés. Nous
savons que notre mission est de produire les conditions pour que se développent les
processus d’apprentissage autrement dit, de créer les conditions pour permettre
l’appropriation de savoirs, d’attitudes, de gestes, de compétences. Dans la perspective où
le soigné-apprenant donne sens à l’information qui lui arrive, et non pas l’inverse, il faut
101
Nous avons réduit ce champ à l’infirmier dans le cadre de ce travail.
L’éducateur est celui qui a pour mission d’installer une intervention éducative quels que soient son statut ou son
titre. C’est pour signaler une posture. Il est essentiel de le distinguer des travailleurs dont le titre officiel est «
éducateur.» L’éducation du patient n’est pas le propre d’une profession particulière, c’est un travail réparti entre
diverses professions et diverses activités.
102
72
pouvoir « entrer en contact » avec lui. L’environnement, que nous pouvons développer
autour du soigné, lui fournira des supports nécessaires pour rendre possible cette création
de signification. L’environnement didactique103 qu’il est souhaitable de créer autour du
soigné va le stimuler dans son désir d’apprendre et donner du sens aux changements
proposés. Cet environnement ne peut être envisagé a priori104, il est indispensable qu’il
interagisse avec le schème de pensée de la personne malade pour le conduire à élaborer
des croyances de santé plus adéquates pour vivre en santé avec sa maladie. Voici toute
la complexité de la démarche éducative appliquée au soin. Ce modèle rassemble les
concepts que nous avons évoqués tant sur le soin que sur l’éducation avec les modèles
d’apprentissage pour nous proposer une synthèse propice à aider la personne malade
requérant nos soins. L’environnement, que nous, soignants, constituons, stimulera le
soigné à apprendre et l’aidera aux changements de comportement bénéfiques pour sa
santé dans le respect de sa spécificité.
Le modèle allostérique de l’apprentissage105
Giordan106 nous propose un « modèle allostérique de l’apprentissage » : il compare
l’apprentissage à la propriété de protéines dont le site actif varie en fonction de
l’environnement. Il conçoit ce modèle comme un ensemble de conditions propres à
générer des apprentissages. Nous retrouvons dans ce modèle des concepts perçus dans
tous les théories précitées et l’élément sur lequel Giordan insiste c’est l’environnement
facilitant développé autour de l’apprenant. Ce n’est pas un nouveau modèle mais une
modélisation des concepts évoqués précédemment Ces éléments modélisés vont nous
aider au transfert dans notre démarche éducative et de transposer ces notions
enseignant/apprenant à nos pratiques quelques fois maladroites ou hésitantes d’éducation
du patient en santé.
103
La didactique s’élabore entre le maître et le savoir qui lui faut repenser pour être transmissible : Beauté J., les
courants de la pédagogie contemporaine, chronique sociale, 1994, p 22. Art de bien faire passer un message. « Une
anticipation de ce qui va se passer en classe »Tochon cité par Donnadieu B., Genthon M., Vial M., Les théories de
l’apprentissage, quel usage pour les cadres de santé ? Masson, 1998, p 65.
Schématiquement, la pédagogie définit des méthodes, des démarches qui permettent de guider l'élève dans des
apprentissages. La didactique, quant à elle, s'affirme davantage comme une réflexion sur ce que l'on nomme les «
savoirs savants » et la façon de les transposer afin de les rendre accessibles aux élèves.
104
Aucune procédure figée ne peut être adoptée compte tenu de la diversité des soignés et des situations. Si
l’ambition de l’éducation en santé du soigné est d’accroître son autonomie et sa qualité de vie, les moyens pour y
parvenir ne peuvent être définis que conjointement par le soigné et les soignants.
105
Le vocable « apprentissage allostérique », provient d'une métaphore biochimique. André Giordan a utilisé cette
métaphore lors d'une série de conférences, en 1988. Elle concerne la structure et le fonctionnement de certaines
protéines dites "allostériques". Ces molécules enzymatiques, fondamentales pour la vie, changent de forme, et donc
de fonction, suivant les conditions de l'environnement dans lequel elles se trouvent. Annexe VII.
106
Né en 1946, agrégé de biologie, président de la Section des Sciences de l’Education à Genève.
73
Trois
idées
principales
constituent
le
modèle.
Tout
d’abord
les
principales
caractéristiques de l’acte d’apprendre ensuite les obstacles qui peuvent nuire à cet
apprentissage et enfin les indications pratiques sur les environnements éducatifs. Ce
dernier aspect du modèle, appelé environnement didactique, nous semble d’ailleurs très
intéressant car il propose un ensemble de conditions propres à générer les
apprentissages.
Nous allons passer en revue les grandes lignes de ce modèle en le transposant dans le
cadre de la relation éducative qui réunit soigné et soignant.
Les principales caractéristiques de l’acte d’apprendre
Comme nous l’avons vu dans le modèle interactionniste, apprendre est un processus de
déconstruction parallèle à celui de construction, le but étant de changer les
représentations ou conceptions107. Le soigné ne part pas de rien, il possède ses
conceptions qui lui fournissent son cadre de références. C’est à travers elles qu’il
interprète les situations auxquelles il est confronté et qu’il décode les nouvelles
informations. Inutile d’imaginer un grand nettoyage de ces conceptions pour amener un
nouveau savoir. L’infirmier-éducateur peut multiplier les arguments, les exposés, le patient
ne se débarrasse pas facilement de ses croyances. Il importe d’en avoir conscience et de
tenter de faire évoluer ses conceptions. Un patient aurait par exemple une crainte
démesurée vis-à-vis de l’oxygène parce quelqu’un dans son entourage a été brûlé alors
qu’il fumait avec l’oxygène. L’infirmier ne peut ignorer cette croyance, il doit la transformer
au risque que le patient n’utilise pas ce traitement qui lui sera bénéfique.
Apprendre, c’est donc autant de la déconstruction que de la construction : cette activité est
difficile, une croyance de santé ne s’ébranle pas après un premier entretien. Nous
retrouvons, ici, le conflit cognitif108 : le conflit d’idées, l’affrontement d’opinions peut opérer
une rééquilibration majorante c’est-à-dire un dépassement de la pensée. En éducation du
patient en santé, le travail de groupe comme l’intervention de différents soignants 109
contribue comme déclencheur. La confrontation, que ces interactions engendrent, va
encourager la motivation. Ces rencontres donnent envie au soigné de défendre ses idées,
de les argumenter au point de provoquer chez lui des perturbations de ses conceptions
sur des points qu’il pensait maîtriser. Ceci conduit à une transformation des idées et
107
Écart entre la pensée de l’apprenant et la pensée scientifique. Giordan utilise le terme conception trouvant le
vocable représentation trop polysémique.
108
Cf. le socioconstructivisme, supra p 64.
109
Nous parlons, ici, non seulement des infirmiers mais aussi des kinésithérapeutes, diététiciens, psychologues, aidessoignants, médecins, etc.
74
amène de nouveaux savoirs. Ces apports sont d’autant plus efficaces qu’ils sont
nombreux et indirects.
Le conflit est l’instant initiateur de la négociation et de l’apprentissage ; il ne suffit pas au
processus d’apprentissage, une activité d’élaboration doit se mettre en place en parallèle.
Cette activité réalisée par la personne se fait en confrontant les connaissances mobilisées
et les informations nouvelles mises à disposition par le soignant-éducateur. Dans le même
temps, ce n’est que lorsqu’une connaissance revêt pour lui un sens, quand il perçoit un
bénéfice qu’il se l’approprie. Apprendre est un processus personnel mais qui ne peut se
passer de l’autre et d’un environnement propice.
Le rôle du soignant-éducateur sera d’accompagner le patient avec un mot, une émotion,
une écoute, des documents appropriés, tout élément susceptible d’interférer avec ses
conceptions. Les croyances de santé du patient participent à son équilibre et même à sa
sécurité de base. Nous devons être attentifs : toute remise en question est vécue comme
déstabilisante et même être spontanément évitée. Notre implication se situe donc dans le
décodage de ces conceptions, par l’écoute et le dialogue. Nous devons accompagner le
patient dans la prise de conscience du bénéfice à se traiter. C’est la personne malade qui
s’engage personnellement dans un processus d’appropriation de sa maladie, par le biais
d’une modification de ses croyances de santé. L’infirmier doit repérer les circonstances
estimées comme facilitant l’éducation du patient mais également les points de résistance,
les évitements et les fuites. Tous ces éléments ouvrent le dialogue et permettent
l’évolution de la démarche éducative.
Les obstacles à l’apprentissage
En premier lieu, le patient peut manquer d’information, mais quelquefois, même si cette
information est disponible, il ne souhaite pas changer de conception, il croit savoir, ne se
pose pas de question. Nous rencontrons souvent des patients qui sont préoccupés par
d’autres problèmes110 et donc peu motivés face au nouvel apprentissage. Rappelons
également que le vocabulaire ou jargon utilisé par les soignants laissent peu de place à la
compréhension du soigné qui « n’ose » pas toujours demander des compléments
d’information ou une reformulation. Enfin, il peut posséder des conceptions qui
l’empêchent de percevoir ou d’intégrer une nouvelle information, il ne détient pas les outils
nécessaires pour comprendre et intégrer.
110
Revoir les stades d’acceptation de la maladie.
75
La conception que la personne malade a de sa maladie, du traitement ou de la santé est
souvent peu explicitée. Or, ce sont souvent ces aspects qui sont des obstacles. Notre rôle
de soignant se situe là, permettant l’expression des attentes, suscitant l’échange ; il s’agit
d’établir une relation de confiance pour que le soigné puisse formuler ses ressentis, ses
craintes et ses questions. L’appréhension des conceptions du soigné est une étape
primordiale dans la démarche éducative. Le patient ne cherche pas toujours à comprendre
le pourquoi de ses façons de faire. À partir des motivations du patient, il est possible de
trouver une accroche qui facilite les apprentissages. Le soignant-éducateur doit amener le
patient à réfléchir sur la maladie, à l’impact qu’elle peut avoir sur sa vie ; l’important est de
tenir un discours proche de la réalité. Avec l’aide du soignant, le patient doit prendre du
recul sur ses connaissances, ses croyances et valeurs. Cette distanciation va lui permettre
de mieux intégrer la maladie et son traitement et l’amener à modifier son comportement.
Le soignant, en aidant le patient à s’auto-observer, va l’aider à prendre conscience de ses
valeurs, de ses peurs ce qui va aboutir à une réflexion sur lui-même. Le corps est le lieu
de la santé ou de la maladie111. L’important pour la personne malade est d’apprendre à
être à l’écoute de son corps, à ressentir les sensations. La perception des ressentis
désagréables comme la manifestation d’un symptôme ou agréables par l’efficacité d’un
traitement va participer à l’apprentissage du patient. Remettre son corps en perception va
permettre à la personne d’analyser, de s’expliquer le moindre signe et va donc lui donner
les moyens de contrôle.
111
Golay A., Lagger G., Giordan A., Comment motiver le patient à changer ?, Maloine, 2010, p 55.
76
L’environnement éducatif « allostérique »
Le processus d’apprentissage du patient est facilité par un environnement favorable.
Giordan parle d’un environnement didactique facilitateur112. Il s’agit de mettre en relation
différents paramètres pour apprendre.
En quelques mots, nous allons expliciter ces paramètres qui sont énumérés de façon
aléatoire, chacun ayant la même importance.
J’ai confiance
(Moi, situation, médiateur)
Je suis concerné,
interpellé, questionné
J’y trouve un plus
(intérêt, plaisir, sens
Je fais des liens
Je prends appui sur
mes conceptions
Je me lâche
J’ancre les
données
J’apprends
si…
Je trouve des aides à
penser
(Symboles, schémas,
analogies, métaphores,
modèles)
Je me confronte
(Autres, réalité,
informations)
Je mobilise
mon savoir
Je prends conscience du
savoir
(Intérêt, structure, processus)
Je prends appui sur mes conceptions : la personne agit en cohérence avec sa façon de
penser.
Je me confronte : la confrontation permet l’expression, engendre la motivation. Le patient
n’entre pas en confrontation quand il nie113 la réalité parce que celle-ci lui fait peur ou le
déstabilise.
Je me lâche : il est important d’introduire une dissonance qui va perturber la validité des
croyances du patient et qui va lui permettre de lâcher prise.
112
113
Giordan A., Saltet J., Apprendre à apprendre, librio, 2007, p 19.
Cf. les stades d’acceptation de la maladie, annexe I.
77
J’y trouve un plus : dans la mesure où il demande des efforts, l’acte d’apprendre ne peut
se réaliser que s’il apporte un plus. Le processus est facilité par des situations donnant du
sens, qui concernent le patient et le questionnent, qui déclenchent son intérêt et sa
curiosité.
Je mobilise mon savoir : le savoir acquis doit être mobilisé à intervalles réguliers, réutilisé
dans des situations différentes, dans des imprévus. L’échange de connaissances entre les
patients est aussi une autre forme de mobilisation : chaque patient a des savoirs qui vont
intéresser les autres.
Je prends conscience du savoir : au cours de ce transfert de connaissances, le patient
devient non seulement acteur mais aussi auteur de ses savoirs. Il est intéressant que le
patient reformule des résumés de ses apprentissages.
Je fais des liens : apprendre, c’est relier les nouvelles informations à sa propre histoire.
Dans le cadre de l’éducation du patient en santé, il est important qu’il puisse faire un lien
entre les symptômes et le bénéfice du traitement.
Je trouve des aides à penser : ce sont des schémas, des modèles que l’infirmier met à
disposition du patient pour l’aider à penser. Les métaphores, les images l’aideront à
comprendre certaines situations et participeront à sa réflexion.
Je suis concerné, interpellé, questionné : les situations, défis qui questionnent le patient,
déclenchent l’envie d’apprendre.
J’ai confiance : la confiance que peut donner le soignant est très importante pour la mise
en place de la dynamique d’apprentissage. Le but est d’aider le patient à s’auto-observer :
métacognition114, une démarche de zoom arrière qui le conduit à une réflexion sur l’image
et l’estime de soi.
J’ancre les données : apprendre conduit à penser autrement. Le but est d’élaborer de
nouvelles explications pour guider ses actions ou prendre ses décisions de manière plus
satisfaisante.
Tous ces principes énumérés succinctement sont essentiels pour apprendre. Toutefois,
tous ces éléments peuvent être présents et rien ne se passe. Nous l’avons suffisamment
souligné, chaque soigné est différent et tout se joue dans cette singularité. Pour
apprendre, il faut être perturbé dans ses certitudes mais trop de confrontations peuvent
paralyser. Tout bouleversement doit aller de pair avec une confiance en soi et l’assurance
114
Cf., p 60.
78
d’un accompagnement115, dans le sens « aller avec », avec cette idée de mouvement,
d’une chose qui commence et dont on ne connaît pas l’aboutissement. Tout changement
de conception ou de comportement s’opère de façon discontinue. La connaissance des
conceptions permet au soignant de choisir les environnements didactiques les mieux
adaptés pour faciliter l’accompagnement. L’erreur ne doit pas être un frein mais bien
productrice de sens. Elle fait partie du parcours didactique du soigné, loin d’être un
obstacle, elle sera explorée pour devenir un levier. Rappelons que le soigné n’est pas le
seul à présenter une résistance au changement, les résistances sont également présentes
chez les soignants qui n’acceptent pas toujours les erreurs, craignant que l’idée fausse ne
s’ancre plus chez le soigné. De nouveau, la compréhension et l’explicitation de tous ces
concepts par le cadre de santé permettra une meilleure prise en charge par le soignant et
finalement soignant et soigné en seront les bénéficiaires.
115
« L’accompagnement se constitue dans une logique intégrant l’incertitude, l’aléa, le non-ordre et incite à la
modestie : il est possible que quelque chose échappe.» Hévin & Turner cité par Vial M. La dame de compagnie et la
princesse. Qui accompagne qui ? http://www.michelvial.com/boite_06_10/2010La_dame_de_compagnie_et_la_princesse_Qui%20accompagne_qui.pdf, consulté le 13 août 2010.
79
CONCLUSIONS
Phénomène récemment conceptualisé, l’éducation du patient a beaucoup évolué ces
dix dernières années : partant de pratiques où elle était centrée essentiellement sur
l’enseignement de notions, progressivement s’est imposée l’idée que le soignant ne
se substitue pas au patient ce qui aboutit à une démarche centrée sur
l’accompagnement de l’autre en interaction avec sa propre expérience. Cette
mutation n’est pas encore arrivée au cœur de nos soins. Ce sont quelques
tentatives, ici, une philosophie d’institution de soins plus orientée vers ce paradigme,
là-bas des personnalités convaincues développant des initiatives individuelles mais
nous sommes encore loin d’une politique éducative généralisée dans le système de
soin actuel116. L’éducation du patient en santé semble un concept simple mais pour
l’infirmier, visiter la pédagogie, s’interroger, adopter une attitude réflexive, repartir du
ressenti des personnes malades relève du défi dans notre culture de l’acte et de la
prescription.
Quels comportements le soignant doit-il adopter pour aider la personne confrontée à
une maladie? Quel chemin doit-il parcourir pour l’aider à vivre en santé? Vers quel
compromis se diriger, tiraillé par des conceptions souvent tellement opposées ?
Toutes ces questions seront suscitées, encouragées par le cadre en soins de santé.
C’est en partenariat avec les membres de l’équipe soignante que le cadre clarifiera
ces questions afin de trouver des réponses satisfaisantes aux attentes du soigné et
des soignants.
Dans l’accompagnement de la personne malade vers un changement de
comportement, le soignant-éducateur détient un rôle primordial. Le soigné reste le
seul véritable auteur de sa formation, nous ne pouvons pas apprendre à sa place,
mais, comme nous l’avons détaillé dans les concepts de l’apprentissage, il ne peut
apprendre seul. La personne malade ne pourra pas découvrir elle-même tous les
éléments nécessaires pour (com)prendre sa maladie et son traitement. Le soigné
n’engagera une modification de comportement que s’il a une bonne estime de lui et
une confiance suffisante en sa capacité à mettre en œuvre le changement. Le
116
Ordre National des Infirmiers, n°2, mai 2010, p 4 : En France, la loi Bachelot de juillet 2009 fait de
« l’éducation thérapeutique » une des priorités des politiques de santé publique. L’ordre infirmier constate,
dans les faits, le rôle central de l’infirmier dans cette activité. Il remarque également que ce rôle est peu
reconnu et pas valorisé. L’Ordre Infirmier français prône une prise en compte de cette activité tant dans les
institutions de soins que dans le cadre d’une « consultation infirmière », cette activité éducative faisant partie
intégrante de son rôle propre et autonome.
80
soignant veillera à susciter et encourager sa motivation117, il cherchera à interpeller
le patient sur ses projets et l’amènera à une phase de questionnement. Les
situations éducatives doivent motiver, amener de la nouveauté. Des énoncés
péremptoires du soignant placent la personne malade dans une position de
consommateur voire d’assisté. Le processus éducationnel doit susciter la curiosité,
permettre à la personne d’opérer des choix. La motivation même de l’infirmier
constitue un élément positif dans l’apprentissage. Un soignant compétent et motivé
permet au patient de se dépasser.
Le progrès, la réussite que la personne118 rencontre sont aussi des éléments positifs
de motivation. Ils donnent au patient un ressenti agréable et de l’assurance. Les
bénéfices trouvés auprès du traitement permettent au patient de déceler du sens à
ses actions et à son tour, le sens stimule la motivation.
Cette conception de l’éducation suppose une écoute active, un dialogue entre le
soignant et le soigné, une réflexion conjointe pour définir les pratiques qu’il faut
respecter de part et d’autre.
La formation de l’éducateur ne peut se fonder uniquement sur des connaissances et
compétences théoriques, elle se base aussi sur un mode expérientiel : c’est par la
rencontre de situations toujours différentes que se cultive l’aptitude à comprendre
l’autre. C’est du soigné, de ce qui fait son histoire et sa singularité, que le soignant
apprend à devenir éducateur et ainsi l'aider à définir de nouvelles normes de vie.
L’éducation, c’est l’ouverture vers une altérité que l’on cherche à comprendre pour
mieux accompagner. Au départ, le soignant et le soigné ont chacun une perception
de la maladie ; que le premier aborde avec un regard scientifique, et le second
comme un vécu, un ressenti. L’éducateur est amené à prendre en considération ce
vécu, sans pour autant renoncer à une approche objective de la pathologie. Les
paroles du soigné seront entendues par le soignant-éducateur s’il veut en
comprendre toute la portée et prendre en compte le poids de la souffrance qu’elles
recèlent. Le refus de modifier son mode de vie et l’absence d’adhésion aux
traitements signent la difficulté du patient à intégrer la maladie dans le scénario de
son existence, voire un sentiment de révolte face à une situation qu’il ne parvient pas
à accepter : difficulté à accepter l’irréversible lors de l’annonce d’un diagnostic, à
117
Giordan A., Saltet J., Apprendre à apprendre, librio, 2007, p 25.Annexe VIII.
Derrière ce vocable, nous pouvons deviner le soigné mais aussi le soignant qui retirera assurance et
motivation grâce à la réussite de la démarche éducative.
118
81
renoncer à ce qui fut jusque là constitutif d’une identité, à accepter une réalité qui
altère en profondeur la représentation que l’on se fait de sa propre existence.
Pour l’éducation du patient, l’infirmier est à la fois ingénieur et bricoleur119 : il
élaborera des plans d’action, des préparations de séquences, une organisation de
progression, actions qui rappellent l’ingénierie ; comme un bricoleur, il utilisera les
moyens du bord quand il n’a pas à disposition les outils escomptés. Sans cesse,
l’infirmier-éducateur combinera les protocoles rationnels avec des espaces de
créativité où les connexions imprévues, l’émotionnel, l’affectif trouvent toute leur
place. Il rassemblera les éléments appartenant à des modèles et des concepts
différents, en évaluant leur signification et en les réutilisant.
Nous terminons cette réflexion par les propos de Lecorps120 qui résume nos propos :
« Penser l’éducation, c’est accepter le patient comme sujet désirant, l’accompagner
pas à pas dans son effort de se réapproprier la vie que la souffrance et la maladie
ont momentanément ou pour toujours perturbée. C’est le patient dans son
aveuglement même qui est le guide, car lui seul est à même d’indiquer le sens. »
Soignants, nous souhaiterions avoir devant nous un soigné rationnel, voulant son
« bien » pour pouvoir le soulager et le soigner. L’expérience quotidienne est souvent
déroutante et éloignée de ce postulat. La personne qui requiert nos soins est un
sujet-désirant121, auteur de sa vie, sujet humain. Dans la démarche éducative, le
soignant n’est pas dans la recherche de la maîtrise de tous les compartiments de la
vie du patient, il accompagne un sujet en souffrance pour l’aider à trouver de
nouvelles normes compatibles avec sa vie. La démarche éducative est un vécu et
dans ce sens, elle se situe aussi dans un continuum entre « être avec,
accompagner122 » et « guider123 », entre un « être là » qui vise à aider l’autre à
opérer son remaniement, à grandir et le souhait du soignant à guider le soigné vers
des savoirs à acquérir. La position sur ce continuum n’est pas fixée, elle dépendra du
soigné comme du soignant, elle leur appartient dans leur singularité.
119
Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, Paris, Ed. Plon, 1960, p 27.
Lecorps P. cité par Sandrin-Berthon B., l’éducation du patient au secours de la médecine, puf, 2000, 197p.
121
Lecorps op cit.
122
Accompagner : se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui. (le petit Robert).
L’accompagnateur ne dirige pas celui qu’il accompagne, il ne lui indique ni vers où ni comment il doit marcher.
123
Guider : accompagner quelqu’un en montrant le chemin (Le petit Robert) consiste à montrer, autrement dit à
mettre devant les yeux, à présenter ou à déployer, à disposer de telle sorte qu’un observateur puisse voir. Cela
suppose que, sur ce chemin, le guide avance en éclaireur parce qu’il a la pratique du chemin.
120
82
PERSPECTIVES
En Belgique, un Arrêté Royal124 du 15 décembre 2008 reconnaît la consultation infirmière
dans le cadre des soins à domicile. Cette prestation comprend la détermination des
problèmes infirmiers de santé du patient et la formulation d’objectifs de soins en
concertation avec le patient et/ou son entourage. Cette prestation peut être attestée pour
tout patient à qui un soin d'hygiène est dispensé au minimum deux fois par semaine et
pour autant que les soins d'hygiène soient dispensés pendant une période ininterrompue
de 28 jours. L’A.R. ne parle pas d’éducation mais il reconnaît la prestation « intellectuelle»,
ce qui est déjà un grand pas car toute la liste d’actes est composée d’actes
« techniques ». Ce temps reconnu, qui n’est pas lié à une activité technique, constitue une
évolution dans la reconnaissance de l’activité infirmière vers plus d’autonomie. De plus,
cette prestation fait partie de son rôle propre, elle ne nécessite pas de prescription
médicale. Par la fixation d’objectifs de soins et le partenariat avec le soigné, cette
disposition facilitera la démarche éducative de l’infirmier auprès du patient et de son
entourage.
Élaborée en 2007, la version actualisée de l’outil DI-RHM125 avec ses 79 items reconnaît
l’éducation du patient comme activité infirmière. Elle est proposée dans tous les domaines
du soin. Sa pratique consiste à évaluer les connaissances du patient ou de sa famille et
ensuite informer, sensibiliser ou permettre d’acquérir certaines connaissances, capacités
ou compétences au niveau d’une fonction comme l’alimentation, l’élimination, etc. Après le
soin éducationnel, une évaluation est demandée. Le temps reconnu pour l’acte
éducationnel est important, de l’ordre du temps nécessaire pour la réalisation d’un soin
technique.
Ces deux récentes avancées nous semblent de bon augure pour le développement du
concept de l’éducation en santé du patient car la reconnaissance « officielle » va
encourager sa pratique. Le phénomène sera double, les institutions, demanderesses
d’activités reconnues par les pouvoirs subsidiants encourageront la formation permanente
sur ces sujets auparavant délaissés, et les infirmiers, reconnus dans leurs démarches,
renforceront cette activité.
124
http://www.infi-services.org/admin/uploads/pdf/21_AR20081215ConsultationInfirmi%C3%A8re.pdf consulté le 24
août 2010.
125
Données Infirmières du Résumé Hospitalier Minimal.
http://www.belspo.be/belspo/home/publ/pub_ostc/AP/rAP17_nl.pdf consulté le 23 mars 2010.
83
La perspective de ce travail reste le questionnement que nous voulons introduire dans les
pratiques soignantes. La formation, permettant d'initier les professionnels à des concepts
qu’ils maîtrisent peu, nous aidera à faire évoluer nos pratiques soignantes, contribuant
ainsi à notre développement professionnel et identitaire. Le cadre de santé exerce une
profession qui constitue l’évolution d’une autre profession, pour nous, infirmière. Notre
cursus professionnel nous porte naturellement vers l’attention à l’autre. Cadres, nous
sommes garants du respect des valeurs dans la relation soignant-soigné, soyons de la
même façon garants de la relation soignant-soignant par notre management.
Entreprendre les études de cadre, c’est faire un pas de côté, s’arrêter et réfléchir. Après
quelque temps, nous percevons le groupe dont nous sommes issus, la profession
infirmière, avec un peu de recul, de façon plus globale et critique. Critique n’est pas à lire
dans un sens négatif mais bien dans le sens de l’analyse, de l’estimation, de l’évaluation
et de l’opinion que nous pouvons avoir de celle-ci. La critique relève autant les points forts
que les points faibles. Nous sommes dans la logique de la découverte et le voyage est
plus ou moins long selon l’envie et la détermination qui nous poussent. Le but du voyage
est devant nous mais les chemins de traverses à parcourir sont nombreux, et eux-mêmes
sources d’enseignement et de nouveaux défis. L’épreuve intégrée, au bout de ce cycle
d’« apprentissage », nous relance de façon toute personnelle vers une expédition plus
individuelle qui nous fait parcourir des voies déjà explorées. Nous découvrons alors avec
un autre regard, avec de nouvelles significations, mobilisant d’autres ressources. Tout au
long de la route, nous avons découvert et exploré des concepts qui sous-tendent cette
démarche éducative. Ce travail a essayé de vous faire partager, non pas nos certitudes,
mais bien notre recherche et notre cheminement. Durant ce voyage, la route était
sinueuse, souvent en friche et l’exploration comme le tâtonnement nous ont permis des
découvertes personnelles et humaines. Je vous ai emmené sur le sentier, quelque peu
éclairci de ma réflexion sur l’éducation du patient.
«Dans la logique de la découverte, l'important n'est pas tant le but du voyage que le
voyage en tant que tel.»
Venez nombreux, il reste beaucoup à visiter et le voyage vous ravira !
84
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 http://www.belspo.be/belspo/home/publ/pub_ostc/AP/rAP17_nl.pdf consulté le 23
mars 2010.
ANNEXE
Annexe I
Le résultat de deux processus différents face à la maladie.126

126
Lacroix A., J.-P. Assal. J.-P, L’éducation thérapeutique des patients. Nouvelles approches de la maladie
ème
chronique, 2 édition complétée, Maloine, 2003, 240 p.
I
Annexe II
Modèle Médical
127
Caractéristiques
Description
L’objet principal est
la maladie
La santé est vue comme l’absence de
maladie. Le traitement a priorité sur la
prévention
Doctrine des
causes spécifiques
Les séquelles physiques du traitement ou
du non traitement reçoivent plus de
considération que les préoccupations
psychologiques, économiques ou de la
qualité de vie
La biochimie, l’histologie et l’anatomie
reçoivent plus d’attention dans
l’éducation médicale.
La maladie est
comprise en termes
réductionnistes.
La maladie est
fondamentalement
un phénomène
biologique.
La maladie est provoquée par un agent
causatif unique.
Modèle Global
Caractéristiques
Description
L’objet principal est la
La santé est un état positif basé sur un
santé
bien-être physique, social et mental.
La prévention et la promotion de la santé
ont la priorité
Les personnes
doivent être
comprises dans
une perspective
holistique
Le
consommateur
est une personne
avec de
nombreuses
pensées, valeurs,
aspirations,
croyances et
sentiments.
La maladie est vue comme ayant une
cause multifactorielle. Elle est fréquemment
une réponse adaptative à des dislocations
dans l’environnement du patient.
La santé est une valeur parmi d’autres en
compétition
Nature dualiste de
l’esprit et du corps.
Le corps est sujet aux mêmes lois
naturelles que les animaux et peut être
considéré séparément de l’esprit.
Le corps et
l’esprit ne
peuvent être
séparés.
La maladie a une composante
psychologique et physique. Il n’est pas utile
d’ignorer l’une ou l’autre sur les plans
conceptuels, cliniques ou des programmes.
Paternalisme.
Le médecin sait plus que le patient à
propos de sa maladie, des traitements et
agit au mieux des intérêts du patient. Le
physicien connait le mieux le cours du
traitement.
Le soignant est
une personne
ressource.
L’éducateur est vu comme une personne
qui a un savoir et des aptitudes dans le
domaine de la santé pour aider le patient à
changer de comportement et faire face à la
maladie.
Leur pouvoir a des bases différentes. Pour
le praticien, le pouvoir vient de son savoir
supérieur sur la santé et la maladie et de sa
capacité à fournir de l’assistance dans les
moments de détresse. Le pouvoir du
patient vient du fait qu’en fin de compte il
décide de suivre ou non les conseils du
soignant.
Les pouvoirs du
clinicien et du
patient sont les
mêmes.
Patient passif
Les patients ne doivent pas avoir un rôle
actif dans le diagnostic et les traitements.
Le patient est
actif.
Le patient choisit les mesures préventives
et thérapeutiques à suivre.
Orientation sur
l’individu.
Intérêts du patient.
Biais d’action.
Le traitement
médical n’assiste
pas seulement le
corps pour guérir
mais prend le
dessus sur les
fonctions
corporelles

127
Le traitement de la maladie est centré sur
le patient individuel. Une considération
moindre est accordée à l’environnement
de la personne sociale et physique.
Le médecin est avant tout l’avocat des
intérêts du patient avec une
considération moindre pour les intérêts
de la société.
L’intervention médicale est préférable à
l’absence d’intervention. Il vaut mieux
diagnostiquer la maladie chez une
personne bien portante que de passer à
côté d’une maladie chez une personne
malade.
L’homme est le maître de la nature, le
corps est manipulé de l’extérieur.
La plupart des
mesures de
santé, promotion,
prévention et
traitement sont
choisies et
entreprises par le
consommateur.
L’information et
les autres
expériences
éducatives
peuvent ellesmêmes être
thérapeutiques.
Seul un faible pourcentage des problèmes
de santé demande l’attention des
professionnels. Dans beaucoup de cas, le
consommateur est le fournisseur des soins
de santé.
Informer le patient du diagnostic et du
pronostic peut en soi-même apporter un
soulagement.
Bury J., Education pour la santé. Concepts, enjeux, planifications, De Boeck Université,
Collection « Savoirs et Santé », 1988, p 35.
II
Annexe III
La définition de la santé de l'OMS128
La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.
La citation bibliographique correcte de cette définition est la suivante :
Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la
Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946
par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la
Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948.
La définition n'a pas été modifiée depuis 1946.
128
http://www.who.int/about/definition/fr/print.html
III
Annexe IV
Déclaration d'Alma-Ata (Organisation Mondiale de la Santé - 12 septembre 1978).
http://cyes.info/themes/promotion_sante/declaration_alma-ata.php
La conférence internationale sur les soins de santé primaires, réunie à Alma-Ata ce 12
septembre 1978, soulignant la nécessité d'une action urgente de tous les gouvernements,
de tous les personnels de secteurs de santé et du développement, ainsi que de la
communauté mondiale pour protéger et promouvoir la santé de tous les peuples du
monde, déclare ce qui suit :
1. La conférence réaffirme avec force que la santé, qui est un état de complet bien-être
physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou
d'infirmité, est un droit fondamentale de l'être humain, et que l'accession au niveau de
santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important qui intéresse le
monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socio-économiques autres
que celui de la santé.
2. Les inégalités flagrantes dans la situation sanitaire des peuples, aussi bien entre pays
développés et pays en développement qu'à l'intérieur même des pays, sont politiquement,
socialement et économiquement inacceptables et constituent de ce fait un sujet de
préoccupation commun à tous les pays.
3. Le développement économique et social, fondé sur un nouvel ordre économique
international, revêt une importance fondamentale si l'on veut donner à tous, le niveau de
santé le plus élevé possible et combler le fossé qui sépare sur le plan sanitaire les pays en
développement et les pays développés. La promotion et la protection de la santé des
peuples sont la condition sine qua non d'un progrès économique et social soutenu en
même temps qu'elles contribuent à une meilleure qualité de la vie et à la paix mondiale.
4. Tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la
planification et à la mise en œuvre des mesures de protection sanitaire qui lui sont
destinées.
5. Les gouvernements ont vis-à-vis de la santé des populations une responsabilité dont ils ne
peuvent s'acquitter qu'en assurant des prestations sociales adéquates. L'un des
principaux objectifs sociaux des gouvernements, des organisations internationales et de la
communauté internationale tout entière au cours des prochaines décennies doit être de
donner à tous les peuples du monde, d'ici l'an 2000, un niveau de santé qui leur permette
de mener une vie socialement et économiquement productive. Les soins de santé
primaires sont le moyen qui permettra d'atteindre cet objectif dans le cadre d'un
développement conforme à la justice sociale.
6. Les soins de santé primaires sont des soins de santé essentiels fondés sur des méthodes
et une technologie pratiques, scientifiquement valables et socialement acceptables,
rendus universellement accessibles aux individus et aux familles dans la communauté par
leur pleine participation et à un coût que la communauté et le pays puissent assumer à
tous les stades de leur développement dans un esprit d'auto responsabilité et
d'autodétermination. Ils font partie intégrante tant du système de santé national, dont ils
IV
sont la cheville ouvrière et le foyer principal, que du développement économique et social
d'ensemble de la communauté. Ils sont le premier niveau de contacts des individus, de la
famille et de la communauté avec le système national de santé, rapprochant le plus
possible les soins de santé des lieux où les gens vivent et travaillent, et ils constituent le
premier élément d'un processus ininterrompu de protection sanitaire.
7. Les soins de santé primaires :
1. reflètent les conditions économiques et les caractéristiques socioculturelles et
politiques du pays et des communautés dont ils émanent et sont fondés sur l'application
des résultats pertinents de la recherche sociale et biomédicale et de la recherche sur les
services de santé, ainsi que sur l'expérience de la santé publique ;
2. visent à résoudre les principaux problèmes de santé de la communauté, en assurant
les services de promotion, de prévention, de soins et de réadaptation nécessaires à cet
effet,
3. comprennent au minimum : une éducation concernant les problèmes de santé qui se
posent ainsi que les méthodes de prévention et de lutte qui leur sont applicables, la
promotion de bonnes conditions alimentaires et nutritionnelles, un approvisionnement
suffisant en eau saine et des mesures d'assainissement de base, la protection maternelle
et infantile y compris la planification familiale, la vaccination contre les grandes maladies
infectieuses, la prévention et le contrôle des endémies locales, le traitement des maladies
et lésions courantes et la fourniture de médicaments essentiels ;
4. font intervenir, outre le secteur de la santé, tous les secteurs et domaines connexes du
développement national et communautaire, en particulier l'agriculture, l'élevage, la
production alimentaire, l'industrie, l'éducation, le logement, les travaux publics et les
communications, et requièrent l'action coordonnée de tous ces secteurs ;
5. exigent et favorisent au maximum l'autoresponsabilité de la collectivité et des individus
et leur participation à la planification, à l'organisation, au fonctionnement et au contrôle
des soins de santé primaires, en tirant le plus large parti possible des ressources locales,
nationales et autres, et favorisent à cette fin, par une éducation appropriée, l'aptitude des
collectivités à participer,
6. doivent être soutenus par des systèmes d'orientation/recours intégrés, fonctionnels et
se soutenant mutuellement, afin de parvenir à l'amélioration progressive de services
médico-sanitaires complets accessibles à tous et accordant la priorité aux plus démunis,
7. font appel tant à l'échelon local qu'à celui des services de recours aux personnels de
santé - médecins, infirmières, sages-femmes, auxiliaires et agents communautaires, selon
le cas, ainsi que s'il y a lieu, praticiens traditionnelles - tous préparés socialement et
techniquement à travailler en équipe et à répondre aux besoins de santé exprimés par la
collectivité.
8. Tous les gouvernements se doivent d'élaborer au plan national des politiques, des
stratégies et des plans d'action visant à introduire et à maintenir les soins de santé
primaires dans un système national de santé complet et à les coordonner avec l'action
d'autres secteurs. A cette fin, il sera nécessaire que s'affirme la volonté politique de
mobiliser les ressources du pays et d'utiliser rationnellement les ressources extérieures
disponibles.
9. Tous les pays se doivent de coopérer dans un esprit de solidarité et de service en vue de
faire bénéficier des soins de santé primaires l'ensemble de leur population, puisque
V
l'accession de la population d'un pays donné à un niveau de santé satisfaisant intéresse
directement tous les autres pays et leur profite à tous. Dans ce contexte, le rapport
conjoint FISE/OMS sur les soins de santé primaires constitue une base solide pour l'avenir
du développement de la mise en œuvre des soins de santé primaires dans le monde
entier.
10. L'humanité tout entière pourra accéder à un niveau acceptable de santé en l'an 2000 si
l'on utilise de façon plus complète et plus efficace les ressources mondiales dont une part
considérable est actuellement dépensée en armements et en conflits armés. Une politique
authentique d'indépendance, de paix, de détente et de désarmement pourrait et devrait
permettre de dégager des ressources supplémentaires qui pourraient très utilement être
consacrées à des fins pacifiques et en particulier à
11. l'accélération du développement économique et social dont les soins en santé primaires,
qui en sont un élément essentiel, devraient recevoir la part qui leur revient.
VI
Annexe V
Le cycle de Kolb129
129
http://pedagogieuniversitaire.wordpress.com/2009/05/24/reflechir-a-son-enseignement/
VII
Annexe VI
Privilégier le relationnel
Types de management130 :
Management Participatif
Management Persuasif
Négociation, conseils, écoute active,
Formation, mobilisation,
implication des acteurs, autonomie
convictions, paternalisme,
des collaborateurs, communication,
négociation permanente avec les
échange, tolérance et complicité,
partenaires.
partage des idées et prises de
décision.
Management Délégatif
Management Directif
Responsabilités, initiatives, risques,
Instructions, contrôle, organisation,
communication
partage,
faible marge d’autonomie, valeurs
délégation de pouvoir, valorisation
préconçues et figées, respect de la
des potentiels, responsabilisation et
hiérarchie,
confiance.
communication.
et
absence
de
Privilégier la réalisation de la tâche
130
Vantomme P., Affirmation de soi & gestion des émotions, Institut d’Enseignement et de Promotion Sociale de la
Communauté Française, section cadre en soins de santé, Tournai, 2007-2008.
VIII
Annexe VII
Le modèle allostérique d’apprentissage de Giordan.131
Ne part pas de zéro, dispose de
savoirs et de savoirs faire qu’il
peut mobiliser.
Ne reçoit pas les savoirs ou les
savoirs faire mais les élabore
pour son compte à sa façon, à
son propre rythme pour répondre
à ses questions ou à ses besoins.
Apprenant
Savoirs
Tout apprentissage significatif
est la résultante d’une activité
personnelle de l’apprenant qui
produit du sens à partir des
conceptions mobilisées en
fonction des situations, des
activités rencontrées et des
informations glanées.
compétences
Environnement
La personne apprend par
adaptations successives en
confrontant ses ressources
potentielles à un
environnement agencé mis
en place par l’enseignant.
Didactique
Cocktail d’éléments susceptibles
d’interférer avec la structure
comportementale et conceptuelle de
l’apprenant pour la transformer.
131
Le savoir est rarement le produit
d’une simple transmission, c’est
le résultat d’un processus de
transformation…transformation
de
questions,
d’idées
préalables,
de
façon
de
raisonner et de se comporter de
l’apprenant.
http://www.ldes.unige.ch/publi/rech/depConstruct/depConstruct.htm
IX
Annexe VIII
Nous terminons sur les paramètres qui facilitent le désir d’apprendre ; ce désir peut
être trouvé en soi (cercle intérieur) et il peut être suscité de l’extérieur (cercle
extérieur). Ce cas de figure est souvent celui que nous rencontrons auprès des
personnes malades, c’est pourquoi, il nous semble important de rappeler les
différentes attitudes qui faciliteront la motivation du soigné.
J’ai
Je me sens apprécié
confiance
situation
et
en
en
la
mes
enseignants
Je
sens
mon
J’ai
enseignant
bonne
motivé
estime
J’ai
un
J’ai confiance dans les
une
J’ai
J’ai confiance en
ressenti,
mes capacités, je
une
réussis
attente
me
sens
accompagné
de
enseignants
en moi
de moi
besoin, un
Je
compétences
confiance
J’ai un objectif, un
projet
J’ai du désir
à apprendre
si…
pour choisir
J’y trouve un
Je bénéficie d’un
plus, un sens,
environnement
un plaisir
favorable
Je sais
appréhender
Je me sens
mes peurs,
interpellé,
mes
angoisses
Je me sens
autonome
questionné
On
m’offre
un
Je me sens respecté,
environnement pour
écouté
apprendre
qui
me
stimule
Je me sens soutenu
Paramètres qui facilitent le désir d’apprendre132
132
Giordan A., Saltet J., Apprendre à apprendre, librio, 2007, p 25.
X
mes
L’échelle visuelle analogique constitue le fil rouge de ce travail :
normée entre deux extrêmes, oui et non, positif et négatif entre
lesquels un curseur peut se déplacer, elle illustre notre démarche
dialectique et elle est un outil familier des soignants qui l’utilisent afin
de situer les ressentis des soignés au niveau de la douleur, de la
dyspnée,…
Notre réflexion sur les différents concepts qui sous-tendent les
pratiques soignantes et éducatives a voyagé sur le curseur de
l’échelle analogique, tantôt vers un pôle, tantôt vers l’autre, dans le
continuum entre des paradigmes contraires et/ou complémentaires.
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