Ecole d’Enseignement et de Promotion sociale de la Communauté Française Rue Saint-Brice, 53 7500 Tournai Enseignement Supérieur Paramédical Cadre en soins de santé Soigner ou Éduquer Faut-il choisir ? Travail de fin d’études réalisé par Régine Lamant En vue de l’obtention du diplôme de cadre en soins de santé Année scolaire : 2009-2010 « Dans la logique de la découverte, l'important n'est pas tant le but du voyage que le voyage en tant que tel.»1 1 "L’accompagnement a supplanté l'obéissance", entretien avec François de Singly, in Le Monde, 29/09/2009, p. 26 http://www.lereservoir.eu/articles/singly.pdf. Cette phrase n’est pas choisie au hasard, elle concorde avec notre cheminement tant estudiantin que professionnel, elle sera développée ultérieurement dans ce travail. INTRODUCTION _______________________________________________ 1 CHAPITRE I LE SOIN ___________________________________________ 5 I.1 LA RELATION DE SOIN ______________________________________________ 15 I.2 LE SOIGNÉ ______________________________________________________ 20 I.3 LE SOIGNANT ____________________________________________________ 27 I.4 LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA RELATION DE SOIN ___________________ 29 I.4.1 LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES____________________________________ 29 I.4.2 MODÈLES DE RELATION MÉDECIN-PATIENT ______________________________ 31 CHAPITRE II LA SOCIOLOGIE ____________________________________ 34 II.1 LE DÉTERMINISME_________________________________________________ 36 II.2 L’INTERACTIONNISME ______________________________________________ 36 CHAPITRE III LA MALADIE _______________________________________ 39 III.1 LA MALADIE _____________________________________________________ 39 III.2 LE MODÈLE BIOMÉDICAL_____________________________________________ 41 III.3 LA SANTÉ _______________________________________________________ 42 III.4 LE MODÈLE GLOBAL ________________________________________________ 45 CHAPITRE IV L’ÉDUCATION ______________________________________ 48 IV.1 QU’EST-CE QUE L’ÉDUCATION ? _______________________________________ 48 IV.2 LES MODÈLES D’APPRENTISSAGE ______________________________________ 55 IV.2.1 DU DÉTERMINISME… _____________________________________________ 59 IV.2.1.1 LE BEHAVIORISME ___________________________________________ 59 IV.2.1.2 LE COGNITIVISME ____________________________________________ 61 IV.2.2 À L’INTERACTIONNISME ___________________________________________ 63 IV.2.2.1 LE CONSTRUCTIVISME _________________________________________ 63 IV.2.2.2 LE SOCIOCONSTRUCTIVISME ____________________________________ 65 SYNTHÈSE QUAND NOUS ASSOCIONS L’ÉDUCATION ET LA SANTÉ ____________________ 69 CONCLUSIONS _______________________________________________ 80 PERSPECTIVES _______________________________________________ 83 BIBLIOGRAPHIE ANNEXE ANNEXE I _____________________________________________________________ I ANNEXE II _____________________________________________________________ II ANNEXE III ___________________________________________________________ III ANNEXE IV ___________________________________________________________ IV ANNEXE V ___________________________________________________________ VII ANNEXE VI __________________________________________________________ VIII ANNEXE VII ___________________________________________________________ IX ANNEXE VIII __________________________________________________________ X Exercice de conciliation tenant lieu de préface Envisageons que cette épreuve dite intégrée soit un échange. Certes ou sans doute, elle est échange puisqu’elle représente un rite de passage, y compris avec son cérémonial, son « institutionnalité ». Echange, elle l’est aussi dans votre discours, écrit puis oral, préparant le débat et ses questions qu’il est méthodologique de considérer comme une discussion et même comme un dialogue entre professionnels ! Nous l’avons souvent ressenti, l’avouant ou non ; nous n’aimons guère douter. Nous avons même peur du doute, peut-être souffririons-nous d’avoir tort (et le tort tue !). Ainsi, il n’est pas aisé de confronter, de se confronter ; il l’est bien plus de se conforter ! La dialectique, plus vieille que Socrate, est une forme de raisonnement basé sur le questionnement. Forme relativement périlleuse, elle utilise contraires, contradictions et autres oppositions pour (mieux) les dépasser. Forme périlleusement aboutie, c’est l’acmé de nos lectures : le plan dialectique avec sa thèse, elle pose, son antithèse, elle oppose, et sa synthèse (dans son noble sens), elle compose … et ici, quatre fois ! En sciences comme en profession, l’acte de foi, même si il est légitime, ne suffit pas. Il ne peut suffire ni dans l’échange, ni dans le développement. La dialectique, ou disputer ses divergences, est indubitablement propice à la pensée comme à la nuance. De la nuance naît la tolérance à la différence, à l’altérité. N’est-elle pas, cette dernière, fondement de notre identité, fondement de notre humanité ? La dialectique est donc un processus dynamique (tautologie) donnant naissance à la réciprocité, conçue par Lévi-Strauss comme « la synthèse de deux caractères contradictoires, inhérents à l’ordre naturel ». Comme s’il fallait, pour découvrir notre culture, imiter la nature. Aux extrémités opposées (tautologie) de sa rotondité, la Terre compte bien ses deux pôles « et pourtant, elle tourne ! ». Aux extrémités de notre biologie, notre humanité dénombre bien deux sexes, deux genres. Et pourtant, nous regarderons la dialectique comme une scène de ménage qui tourne … Bonne lecture en compagnie de Régine, une Funambule. PATRICK INTRODUCTION Infirmière de formation, notre vision s’est orientée sur le patient et son positionnement au sein de nos pratiques soignantes. Comment l’intégrons-nous2 dans nos soins ? Sommesnous dans un modèle prescriptif, laissant le patient objet de nos intentions ? Est-il acteur, auteur en partenariat avec le soignant ? Cette réflexion nous a conduits à une recherche sur l’éducation du patient qui nous permet d’élargir notre vision. Nous envisagerons différentes notions en essayant de les conceptualiser à partir de plusieurs sources, tout en gardant une approche discussive. Effectivement, notre méthode se base sur l’exploration dialectique, du mot grec διαλ́εγειν, composé de λ́εγειν ; « parler, discourir » et du préfixe δια qui indique l'idée d'un « échange ». Etymologiquement donc, la dialectique est un échange de paroles ou de discours c'est-à-dire une discussion. C’est la technique voire l’art du dialogue, la rhétorique. Nous chercherons à repérer les contradictions inhérentes à chaque notion. Souvent, nous nous focaliserons sur un seul aspect parce que nos représentations conditionnent notre capacité à observer le réel. Dans notre développement, nous tenterons de saisir les significations d’une notion en identifiant ses contradictions pour éclairer le débat. La méthode dialectique correspond à notre recherche personnelle par le doute et l’analyse qu’elle suscite. Notre raisonnement et notre réflexion aboutiront à des propositions parfois analogues, parfois contradictoires à celles récoltées. La finalité de la démarche est de soulever une problématique, de susciter le questionnement, de semer le doute pour permettre de relancer la réflexion et de réorienter les recherches. Le survol de tous ces concepts sera nécessairement caricatural ou plus exactement idéal-typique, au sens où Weber3 utilise ce terme. C’est pourquoi, sans volonté d’exhaustivité, par la réduction de certaines analyses, ce travail privilégiera les concepts qui semblent aujourd’hui les plus significatifs pour comprendre les fondements de nos démarches soignantes. Cette approche se veut le complément d’autres travaux effectués, particulièrement, sur l’éducation du patient4. Depuis vingt ans, de nombreux scientifiques réfléchissent sur ces concepts, élaborent des stratégies et formations à mettre en place tant sur les terrains institutionnels, que dans les 2 Dans ce travail, nous utiliserons le « nous ». Ce nous se veut pluriel, il représente le fruit de nombreuses interactions avec les personnes malades, les collègues et les professeurs. Ce travail est loin d’être un cheminement solitaire. 3 L' « idéal-type » est une forme particulière de classification, concept sociologique défini par Weber M., modèle qui n’existe pas à l’état pur mais qui est une figure de référence utile pour l’étude de la réalité empirique. 4 Verstraete I., « Organisation hospitalière de l'éducation du patient : le point de vue des infirmiers-chefs »présenté en juin 2008. 1 structures de proximité du patient. La mise en place de cet encadrement nécessite des consensus avec les pouvoirs dirigeants. L’objectif est une amélioration de la prise en charge des pathologies mais aussi de la santé en général, ce qui permettrait une stabilisation voire une baisse des coûts de santé, actuellement en croissance exponentielle. Force est de constater que les travaux de ces scientifiques n’influencent pas encore nos pratiques. Dès lors, nous nous interrogerons sur la place effective du patient au cœur de nos pratiques5 soignantes. L’éducation du patient ne constitue pas un exercice systématique dans nos institutions de soins et même si elle fait partie des intentions des soignants, elle reste trop peu exploitée. Isabelle Verstraete dans son TFE6 « Organisation hospitalière de l'éducation du patient : le point de vue des infirmiers-chefs »présenté en juin 2008 nous dit ceci : « Pratiquement, nous informons bien plus que nous n’éduquons et clairement, ce qui ressort de l’étude c’est que, oui, cela se pratique mais de façon non professionnelle, peu organisée, peu structurée, insuffisamment coordonnée et de manière intuitive et isolée. (…) chacun fonctionne comme il le sent, de façon intuitive et spontanée sans se préoccuper de savoir comment cela se fait ailleurs et de ce qui se pratique dans l’unité d’à côté. Chacun travaille dans le cadre de sa spécificité ». Ce constat établi, les connaissances acquises durant la formation de cadres ainsi que les interactions vécues au cours de cette période nous ont amenés à creuser les fondements de nos pratiques. Notre motivation de cadre serait d’amener les infirmiers 7 à privilégier les relations et la dimension humaines, à leur insuffler la notion de partenariat dans leur rapport avec le soigné, à le considérer dans sa singularité. Le challenge constitue à faire émerger la capacité humaine des soignants souvent masquée par de nombreuses autres considérations comme le manque de temps, la technicité, le manque de moyens ; autant d’arguments qui cachent peut-être la peur d’entrer en relation. Pour ce faire, nous ne souhaitons pas agir de manière directive, ce qui nous ferait tomber dans les travers que nous dénonçons. Notre recherche tente de comprendre les raisons qui poussent les infirmiers à aborder l’éducation du patient soit d’une manière plus prescriptive, instructive, sous la forme unique de l’information ou alors dans le sens d’un cheminement en compagnie du patient. Ces visions s’opposent apparemment mais la réalité se situe souvent entre les deux. Notre parcours professionnel a été jalonné de différents ressentis 5 Pratiques : « activités volontaires visant à des résultats concrets »Le Petit robert, à ne pas confondre avec techniques. Travail de fin d’études.http://www.lereservoir.eu/BASE%20TFE%20CADRES/ISABELLE%20VERSTRAETE.pdf 7 Bien que préférant le terme infirmière, nous respecterons la règle grammaticale et utiliserons le terme infirmier dans ce travail, il englobera le terme infirmier-infirmière. 6 2 et expériences tantôt plus près de la technicité, tantôt plus près d’une démarche humaniste. À ce stade, il nous semble important de rappeler que les fondements qui motivent l’action des infirmiers ne sont pas les seuls en cause dans l’interaction ; les représentations du patient le sont tout autant ; cependant, nous n’aborderons pas ce versant dans ce travail et nous nous limiterons à l’action infirmière. Comme dans les autres champs du savoir humain, l’éducation du patient s'insère dans un réseau de représentations mentales souvent implicites. Ainsi, travailler sur les modèles sous-jacents à nos pratiques soignantes, s'appliquer à expliciter ce qui les fonde constituent nos enjeux. L'intérêt d'une étude des différents modèles théoriques soutenant l'action est donc de rendre possible le passage de l'implicite à l'explicite, de permettre d'identifier dans quel but et sur quelles bases les interventions sont construites et d’ouvrir un accès à différentes théories qui peuvent orienter nos nouvelles pratiques soignantes. Comprendre et expliciter ces modèles qui guident les actions et qui conditionnent l’approche éducative nous permettra d’élaborer à partir de leurs représentations des formations adaptées qui aideront les soignants à évoluer vers un partenariat dans la relation. Le présent travail est composé de cinq chapitres. Le premier sera consacré au soin, assise des pratiques infirmières, dont nous reverrons l’évolution dans le temps avant de le conceptualiser. Nous aborderons ensuite la relation singulière qui se joue entre le soignant et le soigné. Après avoir détaillé les enjeux de la relation, nous terminerons par les deux protagonistes de celle-ci : le soigné et le soignant. Le deuxième chapitre présentera les deux paradigmes dominants de la sociologie dont les caractéristiques se retrouvent également dans les autres modèles présentés, les modèles de santé et d’apprentissage. Quatre parties structurent le troisième chapitre où nous aborderons la maladie, le modèle biomédical, la santé pour terminer par le modèle global. Le quatrième chapitre sera consacré à l’objet de notre recherche, l’éducation que nous tenterons de définir et la démarche éducative telle que nous la concevons. Ces procédures s’inspirent des modèles d’apprentissage. Ces modèles ont évolué depuis cinquante ans laissant la place à l’acteur principal, l’apprenant. Nous passons progressivement d’un apprenant objet à un apprenant sujet. Notre synthèse rassemble les concepts d’Éducation et de Santé. Nous tentons une réflexion autour de ces deux termes si souvent utilisés et quelquefois galvaudés. Elle s’illustrera dans le modèle allostérique de l’apprentissage proposé par Giordan. Ce 3 modèle tente d’intégrer un maximum d’éléments déterminants et favorables à l’apprentissage se rapprochant du modèle global de santé. Notre rôle de cadre se situe dans la prise de recul nécessaire à la remise en question. Conduire ce projet, c’est amener un changement. Il importe de donner les justifications, d’expliquer les améliorations que ce changement peut amener autant pour le soigné que pour le soignant. Le partenariat soignant-soigné est susceptible de soutenir l’adaptation du patient à la maladie, d’augmenter son adhésion au traitement, sa connaissance de la maladie, sa satisfaction, voire d’influencer l’évolution de son état de santé. Cette communication influence également la qualité de vie du soignant qui devant des pathologies plus lourdes ou incurables se trouve souvent dans un inconfort et un état de malaise voire de mal-être. Le cadre de santé peut faciliter l'émergence de cette approche globale de la personne malade dans son environnement en réfléchissant avec son équipe et ses pairs sur ses pratiques, en redéfinissant l'objet de sa profession, et en actualisant les pratiques soignantes en fonction des besoins du soigné. 4 CHAPITRE I LE SOIN Il nous semble inconcevable d’amorcer une réflexion sur l’éducation du patient sans d’abord s’arrêter sur le soin qui est le fondement de notre démarche infirmière. Nous allons tenter dans ce paragraphe d’en retracer l’évolution dans le temps et de le conceptualiser. Pendant des milliers d’années, le soin n’était pas le propre d’une profession mais bien le fait de toute personne qui aidait quelqu’un d’autre à assurer tout ce qui lui était nécessaire pour continuer sa vie. Le soin, comme le définit Collière8, « est un acte de vie ». L’histoire du soin commence dès que l’être humain apparaît sur terre. Depuis que l’Homme existe, il y a eu des souffrants, des malades et des mourants, et ce sont les femmes qui en prenaient soin. Aux femmes, l’intérieur, la cuisine, les enfants, les malades et les mourants ; aux hommes, l’extérieur, la chasse, la guerre. Cette attribution du rôle de soignant à la femme constitue une lame de fond toujours présente dans l’image que nous nous faisons encore maintenant du soignant. Longtemps, les valeurs attribuées à la soignante furent en phase avec les valeurs attribuées à la femme ; affectivité, douceur, disponibilité, générosité, abnégation, discrétion, soumission. Soigner comme éduquer garantit la continuité de l’identité du groupe devenu communauté, entretient donc la vie en satisfaisant un ensemble de besoins indispensables à celle-ci. Soigner représente une multitude d’actes qui ont pour fonction d’entretenir la vie des êtres vivants afin de leur permettre de se reproduire et perpétuer l’existence symbolique du groupe. Dans cette approche, le patient est couché, le soignant debout. Ce dernier répond aux besoins du patient, la relation peut dévier vers une relation parent/enfant où le soignant connaît ce qui est bon pour le patient. L’objectif du soin est le rétablissement à l’état antérieur sinon le réconfort. L’approche est maternante. A partir du Ve siècle, les communautés religieuses accaparent le soin. Sous l’influence de l’Eglise, apparaît une nouvelle conception des soins qui octroie la suprématie à l’esprit, reléguant le corps impur. Le corps doit connaître souffrance et douleur pour se racheter. Le sens du soin est obligatoirement d’entretenir la vie à tout prix puisque la vie est don de Dieu. La maladie est perçue comme le signe d’une faute, d’un péché : les maladies honteuses. L’Eglise exprime un mépris pour tout ce qui est charnel ; comme, dans la société patriarcale, c’est la femme qui est symbole et lieu de sexualité, ce sont les femmes 8 Collière M.-F., Promouvoir la vie, inter éditions, 1992, 391p. 5 qui assurent donc les soins pour le rachat de leurs âmes. À cette époque apparaissent les femmes damnées ou sorcières qui vont se partager le territoire avec les « vierges consacrées » qui dédient leur vie à Dieu et aux œuvres. Soigner devient une vocation avec des notions telles que l’assistance, la bienfaisance, la charité, l’humilité et l’obéissance. La notion de vocation reste encore d’actualité, elle ne fait plus référence à un «appel» mais à un ressenti, à une disposition plus ou moins naturelle à prendre soin de l’autre. Beaucoup de ces valeurs sont toujours en vigueur parmi les soignants telle l’idée chez certains de devoir à tout prix soigner le patient, et même parfois contre son gré. L’obéissance aux prescriptions médicales relève aussi de cet idéal ; elle s’inscrit dans l’idée que seul le prescripteur peut raisonner, avoir la sagesse et le bon sens. Rappelons que la prescription est une « autorisation à », une recommandation9 et non un ordre. Ce désintérêt envers le corps remet radicalement en cause les pratiques de soins fondées sur l’unité du corps et de l’esprit. Les pratiques d’hygiène seront délaissées laissant la place aux recommandations basées sur les principes des valeurs morales et religieuses. Les soins s’adressent aux corps souffrants, misérables, images du Christ souffrant dans sa passion, ils perdent leur caractère d’agrément et par là même leur fonction de développer et entretenir la vie10. La maladie est perçue comme un moyen de rédemption, en réparation des fautes et des péchés. La douleur est en quelque sorte salvatrice mais mérite aussi d’être soulagée. Le rôle des religieuses reste ambigu, car si leur fonction est de soigner des corps, leur mission est avant tout de sauver les âmes. C’est ainsi que les religieuses, se consacrant aux âmes par la prière et les sacrements, ont peu à peu délégué les soins du corps à un personnel laïc placé directement sous leur autorité. Une forme de division de travail allait progressivement s’opérer dans les hôpitaux. L’abord du soin reste maternant mais de nouvelles valeurs sont introduites, certaines sont encore prédominantes actuellement. À la fin du XIXe siècle, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, comme le développement des découvertes scientifiques modifient en profondeur la pratique des soins et le rôle infirmier. Les soins ne seront plus centrés sur le malade mais bien sur la maladie. Elle devient l’objet d’investigations et le sujet vivant la maladie n’est qu’un épiphénomène. La maladie devient une entité objective 11, indépendante du patient et du médecin. La maladie se situe alors au centre du système médical bénéficiant de classifications, mesures et expérimentations cliniques. L’intérêt du médecin se déplace du malade vers le mal et 9 Le nouveau petit Robert, 1997. Collière M.-F., op. cit. p 65. 11 Illich I., Némésis médicale in œuvres complètes volume 1, Fayard, 2003, p 735. 10 6 l’hôpital devient lieu propice à l’étude des « cas ». Le champ médical s’amplifie, use de techniques de plus en plus élaborées, délègue les tâches routinières au personnel infirmier. L’infirmière devient l’auxiliaire médicale, main-d’œuvre maintenue en dehors des savoirs et des connaissances dont le seul but est d’être au service des médecins. Le malade est considéré comme un ensemble d’organes à analyser, diagnostiquer et traiter. La maladie est perçue comme une aberration du corps, elle met le corps ou un de ses organes hors norme qu’il convient de corriger au plus vite, la guérison constituant le retour à la norme. Le vécu du malade n’intéresse pas le médecin. Il est vu comme un enfant, un être non-responsable, peu motivé à se prendre en charge. C’est le règne de l’objectivité, maître mot de toute démarche scientifique, de l’efficacité et de la technicité. Au nom de la science, le médecin propose, voire impose les examens menant au diagnostic et les traitements découlant de ce diagnostic. Les malades font l’objet d’hyper protection ou de délaissement, la prise en charge étant régulée par des attitudes oblatives12. L’imprégnation des valeurs morales restant très présente, le discernement est fait entre bon et mauvais malade selon sa soumission aux consignes données, son respect des valeurs morales ou religieuses. L’infirmière a le souci constant de soulager la souffrance mais non de l’éviter. Les soins restent curatifs, n’envisageant aucune prévention et encore moins une éducation. Cette tendance scientifique autour de la maladie continue à se développer durant une bonne partie du XXe siècle, l’approche de la maladie influençant les modes d’organisation du travail ; les services hospitaliers s’ordonnent autour de grands patrons médecins, les malades sont répartis selon l’organe à réparer. Le soin infirmier devient plus technique, constitué de tâches prescrites par le médecin pour diagnostiquer, traiter le trouble. La maladie justifie l’action infirmière, les tâches de nursing, ignorées du médecin, sont souvent reléguées à un second plan ou confiées à des aides. Ce manque de connexion entre les soins requis par la maladie et non par le malade, explique qu’il y ait une perte de sens, d’orientation. Le soin est désincarné, il y a une carence de lien entre le patient et la maladie. L’infirmière reste partagée entre l’apprentissage des activités techniques prescrites par le corps médical et les impératifs idéologiques de servir le malade. Les patients perdent ce qui fonde habituellement leur identité pour endosser l’identité maladie, ils sont assimilés à leur pathologie et l’infirmière est assimilable à la maladie qu’elle traite. Alors que le développement des sciences exactes génère un flot de technicité centrée sur la réparation des organes lésés par la maladie, les sciences humaines et sociales 12 Qui est mis au service d'une personne ou d'une idée, charitable. 7 entrouvrent les chemins de la personnalité, suppléent aux carences d’un savoir que ne peut combler la seule morale professionnelle. La tâche est difficile face aux sciences exactes et les besoins de relations interpersonnelles ne sont que tardivement prises en compte dans le soin. Vers 1970, seulement, se profile une revalorisation de la relation soignant-soigné dans nos écoles et institutions. La pratique infirmière reconquiert sa raison d’être13; la personne soignée. Le malade est le référant, point de départ et aboutissement des soins. Il s’agit de reconnaître la personne soignée en ce qu’elle représente, en ne la considérant plus comme un objet inconditionnel des soins mais comme un sujet. C’est la relation avec le malade qui devient le pivot des soins, moyen de connaître le malade, de le comprendre ; donnée de base du travail infirmier, elle devient soignante. Cette relation n’est plus maternante comme à l’origine des soins, elle évolue vers un professionnalisme en sciences humaines qui permet à l’infirmier d’entrer dans une relation de partenariat avec le malade. Durant cette époque de transition, où la technicité est encore très présente, la relation avec le malade apparaît pour beaucoup comme une autre option à la pratique des soins, option qui s’oppose à la technicité, accule l’infirmier à faire choix d’être technicien ou travailleur social. Le dernier courant que nous avons rencontré se situe au cours des années 1980-2000, durant lesquelles la réflexion se détache du malade et de la maladie pour une vision plus macroscopique. Les hôpitaux sont gérés de manière plus managériale, il est question de rentabilité, productivité, performance, concurrence, prestige, rationalisation, spécialisation. Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût. Les soignants sont confrontés à des équipes de direction, à des nouveaux métiers comme l’infirmier hygiéniste, des responsables de formation continue,…Le rapport au patient peut se modifier, il devient client, certains clients étant moins intéressants que d’autres. Parallèlement, un ensemble de valeurs, en résonance avec la réflexion culturelle du moment, envahit le monde des soins. L’autonomie du patient est prônée, il est la seule personne à savoir ce qui est bon et bien pour lui et in fine, c’est à lui et à lui seul de donner ou non son consentement14 aux soins proposés. Le soignant prendra le temps d’éclairer le patient en répondant à ses questions. Ce consentement, la personne requérant les soins ne pourra le donner qu’après avoir été correctement informé, d’une manière claire, la plus complète possible et de façon compréhensible. 13 Collière M.-F., op. cit. p155. er Loi relative aux droits du patient, le 22/08/2002, art 8 §1 Le patient a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant une information préalable, in Florin C., cours «Ethique Déontologie». 14 8 Ce courant humaniste est caractérisé part le concept de l’autonomie du patient, par l’attitude empathique du soignant et par la place donnée à la maladie dans l’histoire du patient, maladie qui pourrait s’inscrire comme un facteur de développement personnel. Toutes ces valeurs gravitant autour du soin au cours de son évolution dans le temps, nous les retrouvons encore aujourd’hui à l’hôpital dans des proportions très variables. Les infirmiers s’identifient selon deux approches assez distinctes du soin : la prise en charge technique et relationnelle des patients. Durant l’histoire, nous constatons que l’une ou l’autre des orientations a prévalu au point parfois de nier l’autre. Actuellement, nous sommes plus dans une phase d’équilibre où ces deux pôles sont reconnus et la posture soignante s’adapte à l’individu requérant les soins dans un contexte précis, selon l’environnement et les attentes singulières. La profession infirmière recouvre des actes et des lieux d’exercice divers qui constituent parfois des métiers différents. Le premier courant est lié à la technique, l’abord centré sur la maladie. La préoccupation reste le malade mais en tant que porteur d’une maladie. C’est autour de celle-ci que s’organisent les connaissances nécessaires. La pratique infirmière valorise la technicité mais cette approche maintient l’infirmier dans une position d’auxiliaire médicale, il n’a pas accès à toute la démarche analytique. Il se situe au niveau de l’organisation et la réalisation de toutes les tâches prescrites par le médecin dans un but d’investigation, de traitement et de surveillance de la maladie. La répartition du travail se fait par tranches d’horaire ; toutes les toilettes le matin, la prise de température chez tout le monde à une telle heure, …Le cheval de bataille reste la maladie, toutes les énergies se concentrent pour lutter contre celle-ci. Dans ce flot techniciste, nous retrouvons peu de connexions entre les diverses tâches qui sont de plus scindées et réalisées par des personnes différentes. Tous les soins d’hygiène, toutes les attentes ou besoins des patients sont souvent relégués au second plan ou confiés à du personnel soignant non infirmier comme des élèves infirmiers en début de formation ou des aides-soignantes. Cette absence de lien nuit à la « compréhension de qui est le malade et de la maladie qu’il a »15. Cette séparation entre les différentes tâches entraîne une perte de sens, le travail devient routinier, la personne requérant les soins peu prise en compte. L’enseignement dispensé dans la formation des infirmiers nous oriente vers ce type de fonctionnement puisque qu’après les connaissances théoriques centrées sur la maladie, elle se complète par des connaissances pratiques sur les techniques. Nous sommes 15 Collière M.-F., op. cit. 9 davantage formés pour assurer l’auxiliariat médical que pour mener une réflexion visant à guider et enrichir l’action infirmière. Cet aspect du soin est encore actuellement valorisé puisque, pour travailler en unité de soins intensifs ou aux urgences, un diplôme supplémentaire, basé sur l’apprentissage de techniques, est demandé. Cette formation est encouragée financièrement, contrairement à d’autres formations qui abordent plus le niveau relationnel comme la formation en gériatrie ou aux soins palliatifs. Malgré cette approche technique, les infirmiers s’efforcent de préserver les relations interpersonnelles avec les personnes requérant leurs soins, mais ces relations en «marge» du travail, souvent ne font pas l’objet d’écrits et peuvent difficilement être intégrées au travail professionnel. Les médecins, par contre, sont friands de récolter ces observations infirmières précieuses pour apprécier l’évolution de la maladie du patient. Dans la réalisation de ce versant technique du soin, l’infirmier cherche à se construire une identité proche de celle du médecin en se référant aux mêmes sources de savoir comme en réalisant des tâches qui naguère étaient réalisées par les médecins. La technicité repose sur l’acquisition de compétences qui sont reconnues socialement, souvent économiquement et donc valorisantes pour les infirmiers. En fonction de la complexité technique acquise, les infirmiers accèdent à des responsabilités analogues à la hiérarchisation propre à l’industrie. Dans cette approche du soin, l’intérêt se concentre sur la déficience organique au détriment des perturbations ressenties dans la vie quotidienne du fait de cette maladie. Patients et soignants sont catégorisés en fonction de l’organe atteint, ce qui renforce la déconnexion des soins du contexte de vie et donc souvent au long terme à une perte de sens. Cette idéalisation de la technique la rend prééminente, remède unique à tous les maux, la personne requérant nos soins confie son corps aux puissants appareillages et aux personnes qui les manipulent. Le danger sera la vision fragmentée du problème de santé de la personne et son maintien dans un rôle passif puisqu’il est face aux experts et peu interpellé sur son vécu. Le deuxième versant du soin prend apparemment le contre-pied, s’intéressant plus à la personne soignée qu’à sa maladie. Elle n’est plus objet des soins mais sujet de soins 16. Le malade n’est plus un objet porteur d’une maladie mais il est l’intention des soins qui ne prennent sens que par lui. La relation devient le générateur de soins dans le sens où c’est elle qui détient le moyen de connaître la personne et de comprendre ce qu’elle a. Aider l’individu dans le maintien ou la restauration de sa santé exige de connaître ses besoins 16 Collière M.-F., op. cit. 10 mais comment les connaître sans aborder la relation avec lui ? Nous ne parlons pas de relation amicale mais bien d’une relation de soin, une relation professionnelle qui permet une réutilisation des informations récoltées. La relation soignant-soigné n’est pas un recueil de confidences mais bien d’un ensemble d’éclaircissements qui vont nous aider à mieux cerner le patient, à comprendre son problème de santé ainsi que ses attentes par rapport à sa requête de soins. Elle ne prend sens que si elle permet d’établir des liens entre les diverses données concernant la personne et sa maladie, ceci en concertation avec tous les soignants, le patient et son entourage. Cette relation contribue à la continuité des soins et incite la collaboration effective de la personne requérant des soins. La personne malade devient le référant du soin, sa finalité. Elle participe aux décisions concernant sa propre santé. Ce temps relationnel ne peut se concevoir comme un complément au soin technique mais bien comme une activité soignante à part entière, avec des temps forts selon certaines pathologies ou à des moments particuliers du suivi de la personne comme l’accueil, l’annonce d’un diagnostic ou la préparation à la sortie. Cette approche nécessite une réorganisation de la pratique soignante ; d’un fonctionnement en tâches fragmentées, standardisées et répétitives comme toutes les injections, la distribution des médicaments, la réfection des pansements,…l’infirmier arrive à une prise en charge « globale » d’un nombre déterminé de patients. Il répond ainsi à l’ensemble des besoins en soins requis par leur état. Il n’est pas possible de connaître chaque patient du service et de bien comprendre ses perspectives en passant de temps en temps pour accomplir une tâche ponctuelle. Cette subdivision au sein des équipes soignantes ne se passe pas sans difficulté et différentes formes de résistances se profilent ; le manque de temps, le manque de personnel, une infrastructure peu adaptée,…sont invoqués. La difficulté réside dans le bouleversement que cette «sectorisation»17 apporte dans les unités de soins ; toute la hiérarchisation construite autour de la distribution des tâches ponctuelles s’effondre ; les aides-soignantes se voyaient confier les toilettes, les étudiants récoltaient température et prise de tension artérielle, les infirmières, auxiliaires médicales, assuraient les « techniques » plus complexes, plus valorisantes à leurs yeux. En quête perpétuelle de leur identité, cette position hiérarchique les rassurait. La compréhension du contenu des informations recueillies durant la relation soignantsoigné remet en cause les croyances du personnel soignant et suscite son questionnement. L’infirmier n’est pas exempt de sentiments tels que la sympathie, le rejet, 17 Collière M.-F., op. cit. 11 le déplaisir, la satisfaction : soigner, c’est prendre en compte les deux partenaires du soin. Soigner n’est pas uniquement une fonction d’exécution de tâches mais inclut la relation individuelle spécifique du soignant avec les soignés ainsi que tout le travail qui est nécessaire pour rendre possible les interventions de l’ensemble des intervenants qu’ils soient professionnels ou non. L’infirmier est appelé à jouer un rôle d’intermédiaire. L’infirmier est amené à se poser des questions, à vérifier les données recueillies pour chercher la nature des soins à prodiguer. Son identité peut ici retrouver son essence, il passe d’un rôle « exécutant passif18 » à une responsabilité de « pensant actif ». T E C H N I Q U E R E L A T I O N N E L 18 Interprétation toute personnelle et quelque peu caricaturale, tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir. 12 Commentaire Nous venons de parcourir deux aspects du soin apparemment opposés ; la réalité est toute autre : la technique ne peut se passer de la relation et la pratique soignante est faite de techniques. Notre identité professionnelle se construit dans le lien que nous établissons avec la personne requérant nos soins en utilisant techniques et technologies qui se justifient. Le maintien de la santé ou la récupération de celle-ci mérite que toutes les voies soient explorées, que la technique reste au service de la personne malade comme la relation professionnelle que le soin demande. Il est indispensable de se questionner sur le sens de nos démarches et de leurs finalités dans le respect de l’altérité, c’est-à-dire voir en autrui autre chose qu’un instrument ou un non-sujet. Worms définit le soin comme « toute pratique tendant à soulager un être vivant de ses besoins matériels ou de ses souffrances vitales, et cela, par égard pour cet être même. »19. La relation établie avec le patient nous permet d’évaluer la nécessité de soins non techniques comme elle contribue à favoriser la compréhension et l’acceptation par le malade des actes techniques essentiels voire vitaux. Même si une attirance plus particulière vers un pôle plutôt qu’un autre peut se concevoir, l’infirmier n’a pas à choisir entre une activité technique, d’auxiliariat médical, et une fonction plus relationnelle pour consolider son identité professionnelle. Malgré les avancées récentes perçues dans le DIRHM où les aspects relationnels et éducatifs sont reconnus et valorisés au même titre que des actes techniques, nos institutions de soins comme le système de santé ne peuvent concevoir l’activité infirmière uniquement dans un rôle de coordination et de relation. Selon notre parcours personnel et professionnel, nous pouvons vaciller vers un côté plutôt qu’un autre selon une géométrie variable. Des infirmiers ayant travaillé dans des services de haute technicité peuvent être en recherche d’une activité où la relation est plus essentielle, la vérité se retrouve aussi dans l’autre sens. Certains arrivent à harmoniser les deux aspects. La valorisation de la relation soignant-soigné nous a permis un questionnement sur nos pratiques infirmières souvent inféodées au joug médical. En replaçant la personne requérant nos soins au centre de nos préoccupations, elle rétablit un équilibre salutaire et bénéfique à la reconnaissance de notre profession. Le soin contribue à rétablir un bien-être, voire à rendre la vie mais c’est bien autre chose qu’une simple intervention physique, qu’une tâche à effectuer : il est une réponse humaine à une défaillance elle-même humaine. Cette réponse humaine n’arrive pas par abnégation ou charité mais elle émane de vrais professionnels qui inscrivent leurs pratiques dans 19 Worms F. cité par Svandra P. in perspective soignante N° 30, décembre 2007, p 128. 13 l’histoire de vie de la personne soignée en soutenant cette dernière dans une construction de sens. Nous devons laisser la porte ouverte à tous les possibles, c’est vraisemblablement le comportement plus porteur de significations et d’espoirs. Cette singularité fait de l’acte soignant une démarche difficilement évaluable et objectivable. Le soin doit soutenir l’émergence d’un sens, qui permette la construction de la relation, de la personne soignée et de la personne soignante20. 20 Curchot C., relations soignants-soignés, prévenir et dépasser les conflits, Masson, 2009, p 71. 14 I.1 La relation de soin Les soins s’inscrivent dans le cadre de la relation et dans l’intimité du face à face. Cette relation a évolué au cours du temps d’une relation hiérarchisée, où le soignant détenteur de la connaissance infériorisait le patient, à une relation plus égalitaire grâce au développement de notions telles l’égalité entre les citoyens, les relations intergénérationnelles, l’autonomie. Toute situation de soins est la rencontre de personnes cherchant leur complémentarité par rapport à un besoin de santé21. La relation de soin est une relation qui relève du champ professionnel et implique des rapports sociaux codifiés, fixant par avance l’identité sociale des acteurs22 : le soignant et le soigné. La relation de soin ne relève pas du hasard, elle fait partie de la prise en charge de la personne soignée. Elle s’applique à tout professionnel qui se propose de prendre soin d’une personne. La famille peut être soignante, surtout après l’œuvre de l’éducation, sans être professionnelle, mais nous ne qualifions pas ces moments de relation de soin. Cette relation est imposée car ni le soigné, ni le soignant n’ont choisi d’entrer en relation avec l’autre, avec la nuance que pour ce dernier, elle fait partie de ses fonctions. Elle détermine le travail du soignant qui consiste à accompagner le patient vers l’autonomie. La difficulté peut venir des acteurs qui sont appelés à jouer des rôles parfois imposés et sont amenés à collaborer étroitement avec des personnes dont les valeurs ou les buts sont différents. Le patient ne choisit pas davantage d’être malade qu’il ne choisit ceux qui vont le seconder dans les soins. La difficulté peut également venir des institutions qui imposent des logiques de marché à un domaine fondé sur l’humain. Pour la personne malade qui est prise en charge, le métier du soignant importe peu. Elle confie à des mains compétentes a priori, son corps, sa vulnérabilité et sa confiance. Notre profession, symbolisée par le tablier blanc, se retrouve dans un rôle, une représentation que le soigné se fait de nous. S’éloigner du personnage représenté, de la place que le soigné nous donne peut le déstabiliser. À l’hôpital, le patient se met à nu dans tous les sens du terme et quelquefois ses besoins primaires sont réalisés par d’autres; ces repères, ces règles de bienséance disparus peuvent être intolérables pour certains ou même vécus comme de la violence. Nous, soignants, ne prêtons plus toujours suffisamment d’attention à ce qui nous semble « coutumier ». Le début de la relation a donc toute son importance pour évacuer au maximum cette asymétrie de fait qui existe entre les deux protagonistes. Le 21 Collière M.-F., op. cit. Formarier Monique, Méthodologie : La relation de soin, concepts et finalités, Recherche en soins infirmiers, N°89, juin 2007, pp33-42. 22 15 temps des présentations, avec l’expression des attentes, est un passage essentiel à l’un comme à l’autre pour permettre de se reconnaître comme humain, acteur. Cette pause permet au soigné d’identifier la « blouse blanche » et de ne plus la voir comme la représentation d’une autorité. Parler avec le patient, c’est lui témoigner notre attention, le reconnaître en tant que semblable. Cette part très naturelle de l’échange permet de mettre les maux en mots, d’exprimer ses craintes, ses appréhensions, d’envisager l’avenir et l’élaboration d’une relation de confiance qui lui donne son sens. L’écoute est une facette importante de la relation. Il ne s’agit pas d’une écoute bienveillante mais bien d’une écoute qui engage et suscite. Le soignant sera disponible tant au niveau temporel qu’au niveau intellectuel et moral. Soigner implique l’acceptation des opinions de l’autre, de ses décisions, de ne porter aucun jugement. Les voies de la relation sont nombreuses : la parole, le respect des silences, du rythme d’assimilation, le toucher, le regard, les intonations, les gestes. La relation passe par la communication verbale comme la communication non-verbale. La communication nonverbale véhicule plus d’affectivité, elle traduit nos sentiments, apporte des informations sur notre état intérieur. Ce langage quasi universel renforce et valide le message verbal. Dans certaines situations, la communication non verbale peut décrédibiliser le message si elle est inadaptée, si elle véhicule le contraire de ce qui est dit oralement. Ce lien s’établit entre des êtres humains, dont certains demandent à être soignés alors que d’autres offrent de répondre à leurs besoins. La relation de soin ne pourra être harmonieuse et constructive que dans une dimension de partenariat portée par la confiance, et sous-tendue par une éthique consciente de sa responsabilité et soucieuse du bien de l’autre. C’est l’éthique de la relation qui permet l’établissement d’une relation de confiance dans laquelle les partenaires établissent une alliance. L’éthique correspond à cette exigence intérieure qui fait que l’homme prend conscience de ses valeurs et le rend responsable de ses actes. Prendre soin du malade requiert de prendre soin de sa maladie, mais aussi de sa personne en favorisant son autonomie, son implication dans les soins, en faisant preuve d’empathie face à des situations personnelles parfois difficiles. L’empathie23 s’exprime dans l’acte de compréhension que le soignant met en place pour percevoir la souffrance de l’autre, se mettre dans sa peau pour comprendre ce qu’il vit et pouvoir le rejoindre à son niveau de communication, dans sa solitude, dans ses peurs. L’infirmier devient le médiateur du 23 « L’empathie, cela signifie entrer dans le monde personnel, perçu par autrui et s’y trouver comme chez soi. »Rogers C. cité par Poeydomenge M-L., l’éducation selon Rogers, les enjeux de la non-directivité, Dunod, Paris, 1984, p 86. 16 patient. Face à la relation, de prime abord, inégale entre le soignant et le patient, ce dernier aura tendance à mettre en place des mécanismes de défense qui limiteront la relation de confiance. Dans la relation de soin, la confiance est le postulat qui permet une alliance c’est-à-dire une promesse réciproque ; l’engagement du soignant à exercer son rôle avec conscience, honnêteté et professionnalisme face à l’engagement du patient à se conduire comme agent actif de son propre traitement. Les anglo-saxons utilisent le terme d’empowerment24, pour désigner ce processus par lequel une personne malade, au départ d’une situation ou d’un sentiment d’impuissance, augmente sa capacité à identifier et satisfaire ses besoins, exprime cette volonté de devenir acteur dans sa thérapie de manière à avoir le sentiment de contrôler sa propre vie. L.’empowerment exprime la croyance dans les performances des personnes et renvoie au fait de « donner le pouvoir » afin de susciter la motivation. Ce concept est souvent traduit en français par responsabilisation ou implication. Ce dernier intègre également la notion d’autonomie. Le réflexe de maîtrise est une étape normale et nécessaire dans le processus d’acceptation de la maladie mais le processus d’empowerment s’observe à mesure que le patient apprend à mener une vie satisfaisante, en tenant compte des contraintes et des limites imposées par la maladie, sans pour autant renoncer à l’ensemble des projets et aspirations qui comptent pour lui. C’est la capacité de “lâcher prise” c’est-à-dire la capacité de reconnaître et d’accepter que éléments échappent à toute possibilité de contrôle qui s’accompagne en même temps d’une prise de conscience de ses ressources et de ses possibilités. La relation de soin nécessite l’engagement des deux parties dans un véritable partenariat. Elle présente des risques pour chacun des partenaires : le patient fragilisé par sa pathologie se sentira souvent infériorisé face à un soignant fort de ses connaissances et de sa position : l’uniforme contre le pyjama, la verticalité contre la position couchée,... Le soignant25, dont le but est d’aider l’individu malade ou en santé au maintien ou au recouvrement de celle-ci, attend de l’efficacité de son action. Il pourra se sentir frustré devant la progression du mal malgré ses efforts. La prise de conscience de nos propres fonctionnements, modes de pensée, automatismes de réaction nous aidera à mieux nous connaître nous-mêmes26 et ouvrira la porte au décryptage d’autrui. Cette compréhension de l’autre permettra au soignant d’adopter une attitude de sollicitude préventive du double 24 Terme fréquemment rencontré dans nos lectures sur la relation éducative et qui a fait l’objet d’une thèse de doctorat en santé publique, option : éducation du patient, présentée par Aujoulat I., en janvier 2007. 25 Nous utilisons ce vocable qui peut englober toutes les professions paramédicales et médicales, nous l’attribuons dans ce travail particulièrement à l’infirmier. Nous allons le conceptualiser après avoir évoqué le soigné. 26 Le « » « Connais-toi toi-même » de Socrate. 17 écueil décrit ci-dessus. Il est indispensable de pouvoir s’appuyer sur un socle de connaissances en sciences humaines pour appréhender la complexité, mais aussi la richesse de l’être humain. La relation de soin ne pourra jamais se résumer à un simple exercice technique, chaque nature humaine étant unique. Il convient à la fois de respecter et la parole du malade et la parole du soignant, ainsi que l’autonomie de l’un et de l’autre, à valeur égale. L’infirmier et le malade représentent deux subjectivités inscrites dans l’histoire et dans le temps. L’être humain, qu’il soit soignant ou soigné, baigne dans une culture, une langue et une histoire. Il n’y a jamais de création ex nihilo, mais un train en marche que nous prenons. Autrement dit, nous partons tous avec nos fondements, notre éducation, nos représentations et nos expériences de vie qui par leurs différences apporteront difficultés et richesses à la relation. Le soignant inscrit sa pratique à partir d’un modèle médical, une idéologie dominante mais aussi dans sa sensibilité propre, le malade inscrit son vécu dans une histoire personnelle et sociale. L’ouverture à l’autre constitue la pierre d’angle de la relation. Elle est propice aux partages d’information, à la compréhension et à la construction d’un sens commun. Le tact, le respect, l’empathie favoriseront l’instauration d’un climat bénéfique qui permettra aux partenaires de fonder la relation et d’en déduire un sens. Dans de telles conditions, le soignant et le soigné pourront exprimer leurs préoccupations, leurs besoins, leurs préférences et ainsi préciser leur pensée et réfléchir avec l’autre. La confiance s’installe et l’élaboration de décisions mutuellement satisfaisantes se constitue. Dans la relation, le patient est accepté tel qu’il est, avec ses caractéristiques, ses valeurs et sa culture, l’infirmier peut préserver sa propre intégrité et se développer sainement à travers les soins qu’il réalise. La relation de soin reste un chemin en construction tant les écueils peuvent être nombreux comme les peurs, les susceptibilités, les incompréhensions, les représentations sociales des uns et des autres, les règles mal explicitées. Les blocages sont souvent dus à une méconnaissance des besoins et des projets de la personne soignée ou à une incompréhension par celle-ci des intentions des soignants. Par leur mission et leurs compétences, les soignants ont une responsabilité particulière pour renouer les fils du dialogue quand la relation se dégrade. De nombreux facteurs, autres qu’humains, peuvent rendre difficile la relation soignant-soigné comme l’organisation du travail et le climat au sein de l’équipe. Charge aux soignants d’identifier les freins organisationnels qui pourraient altérer la relation de soin et si possible de tout mettre en œuvre pour les aplanir. Dans la conjoncture actuelle, les institutions hospitalières revoient leurs systèmes de gestion sur des modèles qui visent la rentabilité et la performance. Toutefois, les 18 difficultés d’épanouissement de la dimension relationnelle à l’hôpital ne sauraient trouver leur origine uniquement dans un manque de temps. Ce sont les mentalités qui évoluent avec la tendance grandissante à l’individualisme. L’hôpital devient un lieu de prestations de services, sa mission change. Pour les soignants au chevet du patient, la tâche est d’autant plus ardue, ils sont souvent tiraillés entre une volonté d’aider le patient et la difficulté à maintenir ce positionnement. L’infirmier doit être amené à réfléchir en profondeur à sa relation avec le patient et à l’importance de la confiance dans sa prise en charge. Le rôle qu’il va jouer auprès du patient lui confère un pouvoir dont il doit être conscient. La relation de confiance ne peut s’établir dans les soins que si elle portée par un engagement des deux acteurs du soin. Chacun doit prendre sa part et s’engager avec ses propres ressources. Cette rencontre vise une identification, celle que le soignant et le soigné poursuivent en tendant à devenir l’un par l’autre deux personnes dans la relation de soin. Nous allons définir les acteurs de la relation de soin sans lesquels celle-ci ne serait pas, le soigné et le soignant. 19 I.2 Le soigné Dans ce paragraphe, nous tentons de conceptualiser la notion de soigné, malade, patient, etc. Quels termes peuvent nommer cette personne qui requiert nos soins et que nous souhaitons acteur, sujet et auteur de son projet de santé? Aucun vocable ne semble approprié pour qualifier l’individu, porteur d’une maladie, caractéristique qui s’ajoute à son identité mais qui ne modifie pas en profondeur celle-ci. Le terme soigné, que nous utiliserons fréquemment dans ce travail, ne correspond pas à nos attentes puisque le participe passé souligne la passivité alors que dans soignant, participe présent, nous retrouvons l’action et donc le pouvoir. Cette dualité soignant-soigné, par la construction grammaticale, renforce la représentation d’une relation asymétrique entre les deux protagonistes. Nous ne le souhaitons pas. Néanmoins, nous suggérons de lire indistinctement dans ce travail, le mot «soigné », « patient », « malade » avec l’intention et le sens que nous leur attribuons, c’est-à-dire comme une personne requérant nos soins. De nombreux soignants utilisent ces termes qui relèguent la personne malade dans un rôle passif, objet de soins mais alors qu’ils considèrent la personne qui est devant eux comme sujet de soins, auteur de sa vie. Ces mots, installés dans notre jargon professionnel, ne sont plus pris stricto sensu par beaucoup d’entre nous. Nous avons vu que le sens des termes malades, patients ont évolué dans le temps, passant d’une vision globale, à une dualité, une approche mécaniciste et enfin humaniste. Derrière ces vocables se situe une personne et selon les représentations27 que le soignant se fait de la personne malade, ils prennent une signification plus mécaniciste ou humaniste. Pour Deccache et Lavendhomme « Le patient, c’est d’abord la personne malade »28 : nous parlons ici de la personne qui est engagée dans une relation de soin suite à un problème de santé. Les auteurs englobent dans la définition la famille et l’entourage de celui-ci. Personnellement, nous qualifierons également de patient la personne qui consulte un médecin sans problème de santé quand il s’agit par exemple d’une consultation prénatale ou d’une visite de contrôle. Nous préférons donc dire que ce qui caractérise le terme de patient, c’est toute personne qui entre dans une relation de soin avec un professionnel de la santé. 27 Les représentations sociales sont explicitées en page 27. Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, p 65. 28 20 Malade29, patient, usager, bénéficiaire, client, nombreux sont les termes qui tentent de définir le patient d’aujourd’hui. Leur ordre d’apparition et leur diffusion ont suivi l’évolution du soin au cours des siècles, gardant les mêmes logiques. Cette multitude de mots cache la même réalité mais le sens qui se trouve derrière ces expressions peut radicalement différer ; or chaque mot a son importance et son impact, il peut modifier la perception et l’action selon le ressenti de chacun. Nous allons définir ces différents vocables. Le terme malade désigne une personne dont l'état de santé est altéré. L’origine étymologique est le mot latin male habitus, envahi par quelque chose de mauvais, qui connaît un trouble de l’organisme. Le terme patient, issu aussi du latin patiens, illustre celui qui a de la patience, qui est passif. Le patient désigne davantage une personne qui subit, qui est statique. C’est lui que la médecine côtoie depuis des siècles, lui qui supporte l’asymétrie qui caractérise la relation soignant-soigné. L’évolution du statut du malade est liée à l’évolution de l’hôpital. Nous sommes loin de l’hôpital-hospice où le patient sacralisait le médecin ; désormais, l’intégration des nouveaux modes de gestion comme la comptabilité analytique, la forfaitarisation incite l’émergence du concept hôpital-entreprise. Les patients sont mieux informés, non seulement parce que leur niveau d’instruction moyen s’est élevé, mais aussi parce que la formation médicale s’est largement diffusée dans les médias à destination du grand public. Ils manifestent une exigence croissante quant à la qualité des prestations et de l’hôtellerie. Dans le même sens, les directions d’hôpitaux accentuent l’aspect commercial par des questionnaires de satisfaction, galeries marchandes ou encore analyse des plaintes. Chaque patient revendique le droit à des soins plus performants et, en même temps, il accepte de moins en moins les échecs. Peu à peu, le système de soins de santé est passé d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Le concept de patient migre vers la notion d’usager, bénéficiaire et client. Le terme usager30 est une personne qui a un droit réel d’usage, qui utilise quelque chose, un service public. Ce terme semble peu adapté si ce n’est dans le sens où les patients recevaient, donc faisaient usage des prestations ou soins reçus dans les hôpitaux publics. 29 Dossier : Patient, usager…client ? La demande des personnes, la réponse des soignants in Soins cadre n°36 & 37 2000/2001. 30 Le Robert, 1997. 21 Le bénéficiaire, personne qui bénéficie d’un droit, d’un avantage, nous semble sur le même niveau. Ces dénominations sont utilisées au Québec où une certaine catégorie de patients peut bénéficier de soins de base prolongés qui imposent une prise en charge par la société. Nous pouvons l’imaginer chez nous par le biais d’assurances ou de mutuelles. L’arrivée du rapport contractuel dans le consentement éclairé, la notion de libre-choix, l’évolution de l’hôpital-entreprise et le coût de plus en plus élevé des soins de santé à travers la forfaitarisation et la participation financière des patients transforment le patient en client. Dans la société romaine, le plébéien qui se plaçait sous la protection du patricien était son cliens ; maintenant il s’agit d’une personne qui achète des services moyennant rétribution. Si la qualité du service n’atteint pas ses espérances, le client recherche un autre fournisseur : la compétition est ouverte. Le fournisseur met en œuvre des techniques de fidélisation pour garder sa « clientèle ». Ne parle-t-on pas de patientèle? Le terme client est issu de l’entreprise, nous le retrouvons donc dans l’hôpital-entreprise. Néanmoins, même si nos dirigeants s’orientent de plus en plus dans cette direction à cause de contraintes budgétaires et d’efficience, cette politique commerciale, comme les termes qui y sont associés, ne sont pas encore complètement arrivés au cœur des unités de soins. Commentaire L’évolution est certaine, en témoignent notamment ces changements linguistiques. Les notions de rentabilité et de production sont de plus en plus présentes dans nos hôpitaux et l’activité médicale évolue dans ce sens. Malgré tout, le binôme client-prestataire de services nous semble inadéquat pour établir une véritable relation soignant-soigné. La rétribution ne peut être l’unique moteur de nos pratiques car la dérive d’une médecine seulement accessible aux personnes ayant les moyens de payer est envisageable. Le deuxième danger de cette relation client-prestataire est la surconsommation d’actes techniques très lucratifs qui, à terme, nous le savons, sont sources de danger voire iatrogènes pour le « client ». La nature des biens et des services dans le domaine sanitaire restent totalement différents des terrains commerciaux classiques. Nous parlons ici d’humain, de santé, de vie et nous avons charge de recentrer nos activités vers ces pôles en nous préservant de dérive extrême de notre système de santé. L’évolution vers les équilibres budgétaires et l’efficience est indispensable. Elle demandera probablement dans le futur encore de nombreuses modifications, réorganisations, comme l’évaluation 22 tant du fonctionnement que de la qualité des pratiques mais nous devons promouvoir une saine confiance, basée sur le dialogue dans la relation soignant-soigné. L’utilisation du langage est importante et caractérise le sens qui traduit la conception que nous avons de la personne en face de nous. Les mots utilisés traduiront notre posture comme la représentation que nous nous faisons de la personne malade. Aucun vocable ne sera suffisant et satisfaisant ; autant le patient révèlera la passivité peut être attendue de celui-ci, autant le client nous transportera au sein d’une entreprise commerciale. La dénomination utilisée nous indiquera le projet sur l’autre, le regard singulier pour mener notre prise en charge. Mieux informé, impliqué, plus critique, le malade devient un sujet, acteur, expert du vécu de sa maladie. Cette mutation permet un rééquilibrage des interactions et des engagements. Le déplacement se fait d’un maternalisme à une ambiance plus contractuelle où la négociation est présente ; le mot « partenariat » est de plus en plus présent dans le langage professionnel. Par partenariat, nous devons entendre, partager en parties, partage de ressources, de tâches, de projets. La répartition entre les différentes parties ne sera pas égale, les savoirs des uns ne sont pas comparables aux savoirs des autres, mais la parole de l’un est égale à la parole de l’autre dans un climat de confiance. Cette interdépendance s’impose doucement comme essentielle à l’obtention de résultats satisfaisants31 ainsi l’adhésion des personnes malades aux thérapies prescrites. Notre système de santé arrive au seuil d'une ère nouvelle, il doit s'adapter aux nouvelles exigences des patients mués en consommateurs sans renier les valeurs humanistes qui ont présidé à sa création. L'enjeu est de taille mais cette évolution est parfois mal perçue par les soignants qui considèrent ces revendications comme une absence de confiance et une intrusion dans leur territoire. Or, pour arriver à une phase de négociation et de coopération, nous devrons annihiler tout enjeu de pouvoir d’un côté comme de l’autre. Les informations, que les personnes requérant nos soins nous transmettent, nous permettent d’adapter nos soins à leur situation particulière et donc apporte plus d’efficacité voire de l’efficience pour les deux partenaires. Dans une perspective d’interaction, les besoins et les attentes du soignant vont s'articuler à ceux de la personne soignée ; le lien va permettre développement et croissance pour chacun d’eux. 31 Curchot C., relations soignants-soignés, prévenir et dépasser les conflits, Masson, 2009, p 110. 23 Et si être malade était un métier… Voila une proposition qu’Herzlich32 nous soumet dans sa classification des types de représentation de la maladie par le sens que la personne donne à l’inactivité que celle-ci engendre. Selon Herzlich, la maladie peut être vécue comme destructrice, libératrice ou encore comme un métier. La maladie-destructrice L’individu ne voit aucune possibilité de restaurer son identité, du fait de sa maladie, il se sent exclu de la société. Le malade sent l’inactivité, l’abandon de son rôle social comme imposés, «comme violence qui lui est faite ». Il se sent diminué, sans énergie, dépendant ; il refuse de savoir, de s’informer sur son état. La guérison devient l’affaire des autres. La passivité est une caractéristique principale de cette représentation, le malade se transforme en objet. La maladie-libératrice L’individu perçoit dans la maladie l’occasion d’échapper à un rôle social étouffant, il désire s’évader dans la pathologie au lieu de la refuser. Il ressent l’allègement des charges qui pèsent sur lui. Les soins rendent la présence de la maladie évidente, ils forment «la règle de vie de cet univers privilégié »33. Dans cette perspective, il y a un accueil de la maladie ; le malade accepte voire souhaite ce phénomène exceptionnel qui a valeur formatrice et lui apporte un enrichissement personnel. La maladie-métier La fonction du patient devient combattre la maladie ; comme dans un métier, où il est demandé au travailleur d’être actif et ingénieux, l’accent est mis d’emblée sur la lutte active du malade. Le patient sera acteur et responsable de son parcours, mobilisant toute son énergie, organique et psychologique. Les rapports avec les soins sont conçus en coopération et échange, le malade est aussi actif que le soignant. Dans cette représentation, le malade accepte la maladie, ce qui en retour lui donne du pouvoir sur elle. Par sa lutte, le malade participe à sa guérison. L’orientation vers la guérison est un 32 Herzlich C., Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, La Haye, Mouton, 1969, pp139-164. Cette référence qui date de plus de trente ans nous semble encore pleinement d’actualité ; nous rencontrons encore ces différentes représentations de la maladie chez les personnes requérant nos soins. 33 Ibidem, p 155. 24 des traits distinctifs de cette conception. La maladie est une épreuve mais elle n’est pas, en elle-même, menace d’anéantissement. Le malade apprend à lutter, devient plus fort, autre parallèle avec le monde du travail. Il est en apprentissage. Nous pouvons compléter ce tableau par quelques éléments qui renforcent encore cette assertion. Premièrement, de même qu’un métier mobilise une partie importante du temps quotidien, la maladie occupe très largement les journées du patient. Le ballet des examens, radios, prélèvements, hospitalisations et rendez-vous médicaux réquisitionnent des plages importantes de temps. Le métier s’exerce quarante heures par semaine, la maladie, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les malades gagnent une certaine liberté à gérer leur maladie en dehors des soignants, mais cette liberté a un prix, car ils vivent désormais avec la contrainte d’apprendre de gré ou de force un nouveau métier à mettre en œuvre au quotidien. En effet, la prise en charge de leur santé implique souvent un réel travail infirmier, paramédical et éducatif. Deuxièmement, de même que tout métier auquel la personne se donne et dans lequel elle se réalise est source d’épanouissement et de découverte de soi, la maladie peut être un temps de travail intérieur et de mûrissement personnel. L’accompagnement attentif, l’écoute, la compréhension sont indispensables pour soutenir le patient dans cette démarche mais celui-ci se retrouve in fine seul face au chemin à parcourir. C’est lui seul qui s’approprie cette réalité qui l’oblige à traverser des étapes pénibles comme le choc, le déni, la révolte ou la dépression. S’appuyant sur son observation clinique, Lacroix 34 nous dit, en 2002, que tous les malades n’évoluent pas vers le stade final d’acceptation en donnant un sens à ce vécu comme dans le modèle de Kübler-Ross35. Certains suivent un processus de distanciation qui les conduit dans un état de résignation 36 avec une attitude docile qui peut être perçue pour de l’acceptation alors qu’elle manifeste la dépression. Sans secours extérieur, sans intervention adéquate du soignant les stratégies d’évitement vont perdurer. Ces états risquent de se figer et de se maintenir, il est donc important de les déceler et de les aborder dans la relation en suscitant l’espoir par la disponibilité relationnelle. 34 Lacroix A., J.-P. Assal. J.-P, L’éducation thérapeutique des patients. Nouvelles approches de la maladie chronique, édition complétée, Maloine, 2003, p 25. 35 Ce modèle mentionne les étapes du deuil dans l’ordre chronologique où elles se présentent habituellement : choc initial, déni, révolte, marchandage, tristesse, acceptation. 36 Annexe I. ème 2 25 Un dernier élément commun à la maladie et au métier consiste dans l’activité économique qu’ils génèrent. Tout deux permettent la création d’emplois et le développement de services les plus divers. 26 I.3 Le soignant Le petit Robert définit le soignant comme la personne « chargée des soins aux malades dans un établissement hospitalier ». La définition ne mentionne pas le diplôme requis pour exercer cette fonction, ni tous les soignants qui réalisent des soins à l’extérieur des institutions hospitalières. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le soigné ou son entourage peut avoir une activité soignante mais dans cet écrit nous réservons le terme soignant au professionnel. Le terme soignant englobe toutes les personnes dont la profession implique une relation de soin. Afin de cerner notre exploration, nous nous arrêtons à la profession infirmière vu l’intérêt que nous lui portons, sans pour cela renier les autres. Il s'agit d'une profession, rétribuée, s'exerçant dans un cadre légal, défini. Elle doit avant tout respecter les règles et les lois en vigueur. Même si dans nos représentations, nous pensons encore bienfaisance, abnégation,…, il est essentiel de se rappeler que nous exerçons une activité professionnelle avec des droits certes, mais également des obligations comme définies dans la loi et le code de déontologie. Selon Deccache et Lavendhomme ; « Chaque catégorie de soignants possède ses activités propres, ses centres d’intérêt, ses besoins d’éduquer, ses objectifs et ses relations avec le patient et les autres soignants »37. En fonction du secteur où ils travaillent, les soignants ont leurs centres d’intérêt et leurs compétences. Ceci pose le problème de la subjectivité du soignant dans ses pratiques, puisque celles-ci dépendent de ces différents critères. La subjectivité, nécessaire pour personnaliser le soin, devient néfaste si elle l’oriente dans une approche personnelle, dédaignant l’éthique professionnelle. Selon la fonction qu’il exerce, le service dans lequel il travaille, la perception de son rôle peut également être très diversifiée. Le soignant, lors de l’accomplissement d’une tâche, accordera plus ou moins d’importance à l’aspect technique ou au contact relationnel en fonction de sa propre échelle de valeurs. Il garde, lors de son activité professionnelle, son cadre de référence qui continue à donner un sens à ses actes. La constitution d’un écart entre l’idéal soignant et la réalité de l’exercice professionnel est susceptible d’entrainer une perte de sens de ses actions. Néanmoins, le soignant, en tant que professionnel, réfléchira à ses propres valeurs afin de garder une attitude équilibrée, adaptée dans ses prestations de soins. Dans le cadre de ce travail, nous entendrons par soignant, le personnel infirmier gradué ou breveté, tel que défini dans 37 Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, p 66. 27 l’Arrêté Royal du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des soins de santé (article 78), modifié par l’Arrêté Royal du 10 août 200138. Ce choix s’explique par la volonté de réduire le champ d’exploration à notre profession. Notre souhait n’est nullement d’exclure les professions paramédicales et médicales de la démarche éducative que nous tenterons d’expliciter, mais nous craignons de nous disperser si nous abordons tous les points de vue. Selon l’évolution du soin au cours des siècles, la perception de la profession d’infirmier s’est transformée parallèlement à la modification des pratiques. Peu à peu, la spécificité de leur savoir comme le développement de leur rôle propre les renforcent dans l’acquisition d’un statut de professionnel de la santé. Il reste du chemin à parcourir pour affirmer notre identité professionnelle et cela passera par la démarcation de l’ascendant médical. La valorisation de la relation soignant-soigné permet à l’infirmier de se nourrir à d’autres sources de connaissances que celle de la science médicale comme les sciences humaines. Pour accéder à un domaine d’activité qui lui est propre, la profession infirmière ne doit pas rechercher un autre modèle dominant mais bien clarifier sa pratique qui est plus dans l’ordre du soin que de la guérison. En nous distançant du modèle médical, ne cherchons pas d’autres références d’identification mais bien une maîtrise d’une pratique professionnelle identifiée.39 Nous terminons ce point sur l’infirmier en citant Florence Nightingale40 ; « …les notes qui suivent ne sauraient en aucun cas constituer une règle de pensée ». Alors qu’elle est statisticienne, elle n’utilise pas des mots comme catégorie, procédure ou norme. Elle ne donne pas de « modèle », de système de pensée mais préfère procurer des repères qui peuvent expliquer la maladie, elle insiste sur l’importance de l’observation : apprendre comment observer et quoi observer. A partir de ces indications, il est possible de penser à des suggestions pour éviter la maladie 41. Chaque infirmier peut construire son processus de soins à partir de ses connaissances, dans la singularité de la situation, en discernant les éléments qui interagissent sans se référer à un protocole préétabli. Professionnel doté des savoirs et des techniques de sa profession, l’infirmier peut exercer cette dernière en habitant sa fonction, en se voulant l’auteur de ses pratiques qu’il adapte en situation de soins. Ces écrits ont plus d’un siècle mais il nous semble d’une grande fraicheur et d’actualité ; notre autonomie professionnelle n’est-elle pas là ? 38 http://www.hrzkmo.fgov.be/Portals/hrzkmo/fr/Legislation/Prof%20intellectuelles/Medecin.pdf consulté le 04 avril 2010. 39 Collière M.-F., Promouvoir la vie, inter éditions, 1992, p 197. 40 Florence Nightingale (1820 – 1910), pionnière des soins infirmiers modernes et statisticienne ... 41 Ibidem, p221. 28 I.4 Les représentations sociales de la relation de soin Déjà citées de nombreuses fois, nous souhaitons redéfinir ce que nous entendons par représentations sociales puisqu’elles influencent fondamentalement la relation entre l’infirmier et le patient surtout quand elle devient éducative. Nous suivrons avec la présentation des différents modèles de la relation. I.4.1 Les représentations sociales Ce qui est perçu par les uns n’est pas perçu de la même façon par les autres. La représentation sociale est un ensemble d’idées, d’images, d’opinions, d’attitudes articulées entre elles, elle résulte d’une activité mentale socialement élaborée par laquelle l’individu reconstitue le concret et lui donne une signification42. Pour Moscovici43, c’est un système de valeurs et de pratiques ayant un double rôle. Tout d’abord d’instaurer une échelle normée qui donne aux individus la possibilité de s’orienter dans l’environnement social, ensuite d’assurer la communication entre les membres d’une communauté en leur proposant un code pour leurs échanges. Nous pensons au « jargon » utilisé fréquemment au sein de nos institutions hospitalières qui est complètement hermétique pour les profanes que sont les patients. Certains demandent parfois des explications voire une « traduction » mais bien souvent les soignés restent avec ce sentiment d’incompréhension et de frustration. Si nous souhaitons vivre une relation égalitaire, en partenariat avec l’autre, une attention toute particulière sera portée à expliciter ces codes de communication qui nous enferment et nous protègent. Garder ce langage hermétique face aux soignés renforce le pouvoir du soignant, la relation asymétrique et le maintien du bénéficiaire de soins dans une position passive. Ces représentations permettent au soignant et au soigné d’orienter et d’organiser leur comportement. Elles constituent donc un mélange de convictions et de préjugés. Nous pouvons les ressentir comme des grilles de lecture qui influencent et organisent nos perceptions. Grâce à ce décodage, nous pouvons comprendre et expliquer la réalité et ainsi guider nos comportements et nos pratiques. La détermination de nos choix, souvent de l’ordre de l’implicite, emprunte sa source dans nos représentations individuelles et collectives. Sans ces représentations, sans cette grille de lecture du monde, le réel ne peut nous être intelligible. 42 http://www.europsy.org/marc-alain/represoc.html consulté le 16 mars 2010. Moscovici S. cité par Herzlich C., Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, La Haye, Mouton, 1969, p 11. 43 29 L’étude des représentations sociales des deux partenaires de la relation permet de cerner les images qui influencent les choix de ceux-ci, leurs orientations et leurs réactions. Elles sont à la fois partagées, car collectives44 et sociales45, mais aussi particulières et singulières du fait des différences individuelles. Elles permettent de codifier, classer, communiquer, et jouent un rôle comme système d'attente de notre comportement et de celui des autres : toute réponse d'autrui est filtrée par rapport à la correspondance avec le schème attendu l'adéquation classifiant la réponse comme "normale", l'inadéquation la qualifiant "d'anormale". Ces représentations sont donc à la fois normalisatrices pour l’individu et le groupe selon qu’elles soient individuelles ou collectives et justificatrices, les références qui les sous-tendent ne peuvent prétendre à la vérité, savoir scientifique inclus. Professionnels, nous ne détenons pas la vérité et la toute-puissance malgré nos savoirs emmagasinés. Elles permettent de donner du sens au réel mais parallèlement, elles occultent d’autres manières de voir le monde. Quelles représentations sociales, quelles convictions constituent la base de la relation ? Ces questions relèvent de la psychologie sociale et de la sociologie. Aucune décision n’est neutre. La compréhension et la prise en considération des conceptions et valeurs des sujets à qui s’adressent les soins demeurent les prémices de toute relation. Il y a beaucoup à gagner à identifier et à comprendre les représentations que les individus se font de la maladie surtout quand la relation de soin se veut relation éducative. Comprendre la perspective du patient est une chose mais il s’agit certainement aussi pour le soignant, d’expliciter la sienne dans un langage accessible. De cette façon, il permettra au soigné de donner du sens à la pratique infirmière, de fonder sa confiance, obligatoire dans toute relation. La maladie pour le patient reste une expérience unique et singulière construite à partir de son propre vécu, de son histoire et de celle de son entourage. Partager une même conception de la maladie est à la base d’une relation de partenariat et de confiance entre le patient et le soignant. La gentillesse, la disponibilité, la compassion, la bonne volonté ne suffisent pas pour aider les patients. L’infirmier ne peut se limiter à être un confident, sans maîtrise sur les finalités de la relation qui perdrait alors tout son sens. Notre travail de cadre se situe à ce niveau aussi de recentrage des pratiques comme de la mise en place de formation continuée qui vont permettre la prise de conscience et le recul nécessaire. Ces qualités humaines doivent être optimisées par un savoir professionnel en sciences humaines centré sur les 44 45 Emile Durkheim (1858-1917). Serge Moscovici. 30 soins et qui englobe les différents types de relation les plus souvent rencontrés dans la relation soignant-soigné. I.4.2 Modèles de relation médecin-patient Nous pouvons aisément étendre à la relation infirmier-malade les différents modèles de la relation médecin-malade46 car les infirmiers s’identifient souvent ou du moins ont un comportement similaire aux médecins. Le modèle fonctionnel de Parsons. Pour Parsons47, il existe un modèle unique de relation dans laquelle chacun joue un rôle social attendu. Médecin et malade ont le même but : la guérison. A partir de l’observation des pratiques, Parsons déduit un modèle qui permet de comprendre la relation médecin/malade. Il analyse le rôle et la place de la maladie et de la médecine dans la société. Ainsi, patient et soignant jouent chacun un rôle. Le patient n’est pas responsable de son incapacité et est déchargé par la société de ses responsabilités habituelles, car la maladie est un état de perturbation du fonctionnement normal de l’être humain. Le médecin, représentant des valeurs culturelles dominantes, est chargé de rétablir l’ordre social menacé par la déviance que représente la maladie. Ce modèle est asymétrique, le médecin possède la compétence, le patient est un ignorant consensuel, chacun accepte le rôle de l’autre, puisqu’ils sont complémentaires. Le patient souhaite guérir et le médecin possède le savoir qui permet la guérison. La certification médicale des symptômes du malade l’exempte des obligations liées à son rôle social et le dispense de participer à ses activités normales. Il est dégagé de toute responsabilité envers sa maladie et il n’est pas censé recouvrer la santé par lui-même. Le modèle de Szasz et Hollender. Dans ce modèle fonctionnel, Szasz et Hollender48 complètent la théorie de Parsons en décrivant trois types de conception de la relation. Ceux-ci se différencient selon l'axe activité-passivité entre les deux personnes. Pour eux, il existe trois rapports différents entre les deux intervenants selon que chacun de ces acteurs soit plus ou moins passif, actif ou qu’ils coopèrent. Cet axe d'interaction n'est pas spécifique à la relation soignantsoigné ; il se retrouve dans toutes les relations humaines. 46 Bury J. A., éducation pour la santé, De Boeck université, 1988, 235p. Sociologue américain (1951). 48 Sociologues américains (1956). 47 31 -L’axe activité-passivité : Dans ce type, on ne parle pas de relation puisqu’il est constitué par l’action d’une personne sur une autre sans contribution mutuelle. Le soignant est actif, il est dans un contrôle absolu de la situation, le patient est passif. -L’axe direction-coopération : C’est le modèle que nous rencontrons le plus fréquemment dans nos pratiques curatives. Le malade se présente pour un problème quelconque : il est disposé à coopérer à l’aide que le soignant peut lui offrir en plaçant même ce dernier dans une position de pouvoir et d’autorité par rapport à lui. Le patient comprend les consignes, il est capable de porter un jugement mais le soignant attend de lui observance et obéissance. Il n’y a plus de pouvoir absolu mais un pouvoir exercé sous le couvert du bien. -L’axe participation mutuelle Dans ce modèle, l’expérience propre du patient devient un élément essentiel de la relation de soin. Le patient doit prendre en charge lui-même son traitement et l’adapter aux différents événements de la vie quotidienne. Il y a réciprocité entre les deux partenaires. Le médecin aide le patient à s’aider lui-même. Sur le plan psychologique, cette collaboration repose sur le processus complexe d’identification et/ou d’empathie, qui facilite la compréhension entre les êtres humains, tout en maintenant une distance minimale entre eux. Le modèle structurel de Freidson. Freidson49, tient compte de la structure sociale dans laquelle se situe l’interaction. Ce modèle s’appuie sur une hypothèse : les différents groupes sociaux, les malades et les médecins ont des intérêts divergents et s’opposent. Il parle d’un réseau profane où le malade se considère comme compétent, il se soigne lui-même, voire fait appel à d’autres profanes, le médecin de famille siégeant au sommet de cette pyramide. Si ce praticien renonce à résoudre lui-même le problème, il fait appel au réseau professionnel où le malade sera de moins en moins libre de contrôler ce qui lui est fait. Ici la relation médecinmalade est conflictuelle, il y a une opposition entre la culture profane et la culture professionnelle : une logique médicale faites d’examens et de traitements, la logique du 49 Sociologue américain (1971). 32 patient qui est de se soigner tout en respectant les exigences de sa vie quotidienne. Ce modèle s’oppose à l’évolution sociale vers l’autodétermination et l’autonomisation du soigné mais Freidson le présente comme un constat des comportements dans la réalité, jugeant les autres modèles de comportements idéaux. Commentaire Soulignons l’aspect normatif de ces outils et laissons-les ouverts, la réalité est bien plus complexe, aucune typologie ou modèle ne donne une traduction exhaustive du réel et aucune singularité n’entre totalement dans un moule. L’évolution de la société, l’autodétermination50 tendent à privilégier le modèle de participation mutuelle comme l’idéal mais les circonstances en rendent éventuellement l’application difficile ou nuisible. En effet, la relation pourrait se déplacer vers un type direction-coopération et éventuellement activité-passivité selon le degré d’urgence des décisions à prendre. Cette précision nous semble essentielle afin de ne pas critiquer d’autres soignants sur leur pratique relationnelle, car certaines circonstances comme la réanimation ou les soins palliatifs amènent à adopter un mode de relation plutôt qu’un autre. Il nous paraît fondamental d’attirer l’attention sur le sens à donner à ces différents vocables. Si le mode de participation mutuelle nous semble idéal au cœur d’une relation équilibrée, nous ne pensons pas à une participation en tant que consommateur de solutions proposées, ni même une coopération mais bien à une appropriation par le patient qui passe par la reconnaissance de sa capacité à créer du sens et par la relativisation des savoirs du soignant. On ne décrète pas la coopération de l’autre ! 50 « La théorie de l’auto-détermination affirme que l’individu éprouve le besoin inné d’être la cause de ses actes ; qu’il a besoin de se considérer comme compétent ; qu’il a besoin d’être considéré par autrui. » Raynal F., Rieunier A., ème Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p 305. 33 CHAPITRE II LA SOCIOLOGIE «Tout progrès scientifique est cumulatif; il n’est pas l’œuvre d’un homme mais d’une quantité de gens, qui révisent, qui critiquent, qui ajoutent et qui élaguent. Pour faire date, il faut associer son travail à ce qui a été fait et à ce qui se fait. Il le faut pour dialoguer, il le faut pour l’objectivité. » Wright Mills C.51 Un détour par la sociologie nous semble important avant d’aborder les différents modèles médicaux et d’apprentissage pour commencer notre travail de réflexion et d’explicitation des différents concepts qui motivent notre façon, chaque fois singulière, d’aborder l’éducation du patient. La sociologie est la science qui étudie le fonctionnement de la société et des faits sociaux52. Elle se préoccupe d’analyser les phénomènes sociaux et étudie le comportement humain dans chaque situation sociale, les déterminants collectifs de l’action individuelle. Toute activité humaine signifiante peut être analysée en termes sociologiques. Malgré cela, la sociologie est encore perçue comme un savoir détaché des soins aux malades et des soignants. Les soignants, de par leur formation, sont beaucoup plus proches de la psychologie ; celle-ci envisage la relation individuelle lors du soin. L'hôpital avec les acteurs de la santé constituent un excellent terrain pour l'observation et pour l'étude des faits sociaux. Il est certain que l’évolution de la société et donc du système de santé nous oblige à avoir une vision plus macroscopique. Les enjeux sont de taille tant dans le financement de la santé publique que dans la qualité des prestations de soin. Cette approche du système et de l’acteur est d’un grand intérêt pour le cadre en soins de santé qui se situe toujours à la croisée des chemins entre le patient et l’institution voire le système de santé. Connaître et comprendre les enjeux de tous l’aideront à se positionner et à travailler avec efficience. En tant que professionnels, nous nous devons d’être éclairés sur ce qui se joue pour les patients et pour nous soignants, lorsque nous sommes confrontés aux relations d'autorité et de pouvoir. La sociologie est inscrite dans notre cursus de cadre en soins de santé ; elle apporte le recul nécessaire au futur manager que nous souhaitons devenir. La sociologie, par définition, s'intéresse à de nombreux faits de société comme le chômage, la famille, la religion. Notre profession qui 51 ème Cité par Lallement M. Histoire des idées sociologiques des origines à Weber, Nathan, 2 édition, 2003, 238 p. Comte A., cité par Vantomme P., cours de « Sociologie de la Santé », Institut d’Enseignement et de Promotion Sociale de la Communauté Française, section cadre en soins de santé, Tournai, 2007-2008. 52 34 se cherche une identité entre conservatisme et opportunisme est proprement sociologique. La sociologie voit cohabiter deux pôles entre lesquels se situent la plupart des recherches menées : le pôle déterministe et le pôle interactionniste. Ces deux paradigmes apparaissent comme utilisés à travers toute l’histoire de la sociologie, même si, selon les époques, l’un des deux domine. Du grec ancien παράδειγμα , modèle, exemple, le terme paradigme vient de la grammaire et signifie « mot-type qui est donné pour modèle pour une déclinaison, une conjugaison »53. Un paradigme est un ensemble de croyances, de savoirs, de représentations légitimés, à un moment donné, par une communauté de savants en théorie dominante. Le modèle perdure ou s’épuise : les scientifiques le font évoluer pour en proposer un autre. C’est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent qui repose sur un modèle théorique ou courant de pensée. « Ils doivent se voir comme les deux extrémités d’un continuum 54». Ils se distinguent selon la préférence accordée à la structure sociale plutôt qu’à l’individu et sur la façon de considérer le conflit dans les rapports sociaux. Ces deux pôles structurent le champ de la sociologie. Ils ont été complétés par beaucoup d’autres approches et permettent de classer les travaux des sociologues selon le paradigme dominant leur conception du social. Comme dans toute la suite de ce travail, nous ne souhaitons émettre un jugement de valeur quant à la supériorité d’une tendance par rapport à l’autre. Nous présentons à chaque fois les deux extrêmes d’un continuum, la vérité reste individuelle et se situe toujours entre les deux, tantôt plus vers l’un, tantôt plus vers l’autre. Cette assertion est valable pour la présentation des différents concepts théoriques, mais personnellement, au niveau de la sociologie, nous nous situons plus dans une vision interactionniste, postulant que la société est le produit de l’action culturelle et sociale des acteurs individuels et collectifs55, l’approche déterministe enfermant l’homme dans un schéma privé de toutes dimensions culturelles. Toutefois, nous devons tempérer ce propos car ces deux paradigmes entraînent une vision partielle de la réalité et nous pouvons envisager la relation entre l’individu et la société de façon beaucoup plus interactive. 53 Le petit robert, 1997. Vantomme P., op cit. 55 «Infirmière : une profession en mouvement » Vantomme P., 1992-1993. 54 35 Les faits sociaux seraient le résultat de l’interaction56 entre les acteurs individuels et collectifs et la société. II.1 Le Déterminisme L’approche déterministe se fonde essentiellement sur deux propositions : tout fait social s’explique par des phénomènes qui lui sont antérieurs et l’individu intériorise le caractère extérieur de ces phénomènes pour orienter son action. Des contraintes pèsent sur les individus et les poussent à agir dans un sens ou dans un autre. Cette théorie, proposée par Emile Durkheim, qui est un auteur marquant de cette tendance, conduit à nier la créativité humaine puisqu’elle repose sur une vision des hommes déterminés par leurs antécédents. Il croit à l’égalité de tous devant la loi, ainsi qu’au respect des droits civiques. Naturellement, il a un goût pour la pédagogie, technique qui lui paraît être un des vecteurs privilégiés de l’intégration sociale. Dans le cadre déterministe, l’école apparaît comme remède à l’injustice sociale comme à l’immoralité ou à la délinquance. La logique déterministe est une approche qui met en valeur les contraintes sociales qui pèsent sur les individus et conditionne en grande partie leur manière de penser et d'agir même s'ils n'en sont pas conscients : l'appartenance à une certaine classe sociale influence le choix politique, la pratique de tel ou tel sport. Le déterminisme refuse de manière explicite et implicite toute forme d’autonomie, toute liberté. Tout se passe comme si l’individu est un acteur passif, soumis de façon plus ou moins absolue aux influences des facteurs antérieurs. L’approche est mécaniciste, ne laissant pas d’intentionnalité à l’acteur. Tout est déterminé, préétabli à l’avance. II.2 L’interactionnisme L’interactionnisme, appelé aussi actionnalisme, est un courant d’analyse sociologique centrant son étude sur les relations entre les acteurs sociaux. Il soutient la thèse opposée à celle de Durkheim : il n’y a de réalité que la réalité de l’individu, rien ne pèse sur l’individu. Pour les interactionnistes, les individus ne subissent pas les faits sociaux, ils les produisent. Pour comprendre l’action des hommes du point de vue du sens et des valeurs et non simplement à partir des contraintes extérieures. Il soutient l’idée selon laquelle la société n’est pas établie mais se construit sans cesse à travers la dynamique des actes sociaux, ou échanges entre les personnes, c’est-à-dire les interactions. Le paradigme 56 Phénomène qui consiste dans la réciprocité de l'influence des comportements entre deux ou plusieurs individus ou groupes, action réciproque qu’exercent entre eux des êtres, des personnes et des groupes. http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp consulté le13/07/2010. 36 interactionniste introduit les notions clés de liberté, d’autonomie, d’intentionnalité et de choix de l’acteur engagé dans une action donnée. Ce sont les hommes qui construisent le réel en le confrontant. Ici, l’individu est considéré comme un acteur agissant qui n’est pas réductible aux effets d’un conditionnement, qui dispose d’une certaine autonomie d’action et de représentation. En sociologie, les différents courants se situent entre ces deux extrêmes, plus ou moins proches de l’un ou de l’autre selon leur orientation. D É T E R M I N I S M E I T E N R A C T I O N N I S M E 37 Commentaire Le duel d’écoles, l’existence de paradigmes alternatifs ne sont pas l’apanage de la sociologie. Toutes les disciplines sont le théâtre d’incessants débats théoriques. Le consensus théorique parmi les chercheurs n’est jamais ni parfait, ni permanent, toute théorie scientifique a un caractère nécessairement relatif et historique. Dans l’histoire des sciences nous retrouvons une succession de paradigmes dominants : les mouvements de l’histoire et de la société contribuent à créer continuellement de nouveaux problèmes, à invalider certains schémas anciens et à stimuler de nouvelles analyses. L’histoire des sciences ne peut se concevoir sur le simple modèle d’une accumulation linéaire, régulière d’un savoir que nous pourrions considérer comme établi. Il est rare de se ranger, de manière systématique et exclusive, sous l'une ou l’autre bannière. Le plus souvent, nous oscillons entre deux pôles. Il s'agit en fait de positions extrêmes. Le paradigme est propre à toute discipline scientifique et nous retrouverons dans la suite de ce travail semblable dichotomie dans les modèles médicaux et d’apprentissage. La caractéristique commune à travers les différentes disciplines est la place réelle attribuée à l’acteur. En sociologie, nous avons vu que dans un modèle, le système prévaut et, dans l’autre, l’acteur. La sociologie n’est pas la seule science à être divisée entre ces conceptions opposées. Dans les modèles médicaux et d’apprentissage nous retrouverons le même phénomène partant d’une absence de prise en compte de l’individu à une émergence et reconnaissance essentielle de son rôle. 38 CHAPITRE III LA MALADIE Si le soin est le fondement de la démarche infirmière, la maladie en est devenue la motivation. Nous dénommons ce chapitre « la maladie » puisque historiquement c’est elle qui a mobilisé les pratiques soignantes et qui a permis une reconnaissance des soins infirmiers mais personnellement, nous sommes tentés de le dénommer «la santé » dans la mesure où, pour nous, ce concept est beaucoup plus général et qu’il peut englober des épisodes plus ou moins longs de maladie dans une « vie en santé ». La maladie et son corollaire, la santé, sont des notions qui paraissent évidentes pour le sens commun. Mais c’est en voulant définir ces concepts que se révèlent leur complexité et la diversité de leurs significations. C’est en fonction de ce qui sera perçu comme normal et pathologique que se détermineront les représentations, les attitudes, les choix et les actions des patients ainsi que des professionnels de la santé. Jusque ces dernières décennies, le concept de santé préoccupait fort peu le médecin. Dans une perspective pragmatique, seule comptait la maladie économiquement porteuse surtout depuis l’arrivée de la sécurité sociale. III.1 La maladie Historiquement et sociologiquement, c’est cette conception qui a défini la santé et le modèle biomédical. Analyser la maladie comme un concept, impose de voir que ce mot n’est qu’une manière de définir une réalité complexe qui véhicule des normes, des croyances, des valeurs qu’il convient de mettre à jour. Le terme maladie est marqué d’un sceau négatif de part son étymologie « male habitus » et les expressions courantes qui l’accompagne comme « avoir mal, cela va mal, se sentir mal, être perturbé...). Le concept de maladie n’a pas le même sens pour le malade et pour le médecin, il n’est pas non plus identique d’un malade à l’autre, d’un médecin à l’autre. Spontanément nous savons tous ce qu’est une maladie puisque, nous avons tous été malades, ou connu quelqu’un ayant eu une longue maladie ; cela donne une définition de la maladie qui relève du sens commun : la maladie est un état affectant le corps d’un individu, « une altération organique ou fonctionnelle considérée dans son évolution, et comme une entité définissable57.» Rappelons que la classification des maladies s’appuie sur des normes et des présupposés de la société dans laquelle nous vivons. Une altération organique déterminée peut être considérée comme maladie en Europe mais pas en Asie, et vice-versa. De même dans 57 Le petit Robert, 1997. 39 une même société, les normes peuvent varier d’une classe d’individus à une autre : les mêmes maladies seront perçues différemment selon l’occupation professionnelle, les normes familiales et culturelles. Dans l’histoire, au sein même de la communauté médicale, nous rencontrons de nombreux exemples de fluctuation de ces normes. L’asthme par exemple, a longtemps été considéré comme une maladie psychosomatique, l’épilepsie cataloguée de psychiatrique. Les débats actuels sur la légitimité de maladies comme le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie nous rappellent cette dichotomie entre maladies réelles, c’est-à-dire ayant une identité biologique inattaquable, et celles qui sont considérées comme imaginaires. Cette approche impose aux individus comme aux professionnels de comprendre et d’accepter la souffrance dans ces termes et pas à partir de faits quantifiables. En l’absence d’un diagnostic objectivable par la biomédecine, les patients sont perçus comme des malades imaginaires, souvent considérés comme responsables de leur maladie alors que ceux qui souffrent d’une maladie « reconnue »sont plutôt des victimes. La maladie suppose une expérience subjective et un dérèglement physiologique ou psychique, mais aussi une reconnaissance sociale, administrative ou médicale. Etre malade signifie être perçu comme tel par les autres, c’est un ensemble de signes que l’individu reçoit en retour. Dans l’épreuve de la maladie, l’individu est appelé à vivre selon des normes de vie différentes, c’est bien souvent l’entrée dans un monde de douleur physique et de souffrance morale. La maladie est une histoire indissociable du sujet qui la vit. Nous terminerons ce paragraphe en citant Canguilhem58 qui nous parle de guérison : « En tout cas, aucune guérison n’est retour à l’innocence biologique. Guérir, c’est se donner de nouvelles normes de vie, parfois supérieures aux anciennes. Il y a irréversibilité de la normativité biologique. » La nouvelle santé n’est pas l’ancienne, un nouveau jeu de normes s’est mis en place. Il existe en médecine deux modèles complémentaires : le modèle biomédical et biopsychosocial. Historiquement, ils se succèdent, le second englobant, complétant le premier mais dans l’enseignement des facultés de médecine comme dans nos pratiques, le paradigme biomédical est encore bien présent. 58 Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1988, p156. 40 III.2 Le modèle biomédical59 Il procède de l'application en médecine de la méthode analytique des sciences exactes. Ce modèle, aussi appelé modèle médical est décrit comme : - un modèle fermé, - dans lequel la maladie est conçue comme purement ou principalement un problème organique, - affectant des individus, - qui doit être diagnostiqué et traité, - par des médecins, - dans un système de santé centré autour d’une organisation dirigée par des médecins d’hôpital, et dans lequel les efforts doivent être orientés vers les aspects curatifs. Dans ce modèle, la maladie est une perturbation des organes, la santé une absence de maladie, nous retrouvons une relation de cause à effet. La maladie est celle du corps, l’esprit n’existe pas. Les solutions sont dans les mains des médecins, dans un système de santé centré sur les hôpitaux. Les médecins sont les experts, les malades sont les profanes ; un rapport d’autorité régit leurs relations. Sous celle-ci arrive la dépendance de l’individu, l’être humain dans sa complexité n’apparaît pas, de même que des intervenants autres que médicaux. L’approche est mécaniciste, le malade est considéré comme une machine que l’on peut démonter et réparer. La singularité de l’individu est absente, il n’est pas considéré dans sa globalité ; c’est un organe que l’on soigne, les actions sont centrées sur l’objectivation de la maladie dans le corps. Dans cette logique, l’infirmier est un agent qui doit respecter les prescriptions issues du savoir scientifique. Il détient le savoir et sait ce qui est bon pour son patient. Les discours sont dogmatiques : « il faut maigrir, vous devez arrêter de fumer, »etc. La culpabilisation est employée pour inciter le patient à suivre les traitements prescrits. Il y a un respect des procédures et protocoles établis sans adaptation. Dans ce modèle, nous ne pouvons pas parler d’éducation du patient mais tout au plus d’information qui sera de type prescriptive, voulant faire passer des savoirs scientifiques du professionnel au profane. Le programme éducatif est conçu dans une approche académique et s’attache à utiliser les résultats de la science pour informer les patients des savoirs nécessaires à la prévention des 59 Bury, op cit, p 30, annexe II. 41 complications. Il tend à rechercher l’adhésion du patient aux prescriptions et recommandations médicales, forme de soumission aux normes scientifiques. III.3 La santé Il est impossible de définir la santé d'une manière univoque, valable pour tous, en tout lieu et en tout temps. La santé d’une personne est nécessairement particulière à cette dernière en l’existence singulière qui est la sienne et, elle ne saurait, dès lors, être contenue dans aucune définition généralisable, ni faire l’objet d’une forme de mainmise par les professionnels. C'est un concept très large influencé de manière complexe par la santé physique du sujet, son état psychologique, son niveau d'indépendance, ses relations sociales ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement. La santé est un objet socialement élaboré qui nous interroge sur la notion de norme60. De tous temps, la notion de santé a été l’objet de débats positionnant des approches conceptuelles différentes. Pour certains philosophes grecs, la santé est un bien suprême, qui relève d’une harmonie entre les différents éléments fondamentaux61. Hippocrate la définira comme le résultat d’un équilibre entre les différentes humeurs composant l’être humain. La santé est alors le résultat de cette harmonie. La maladie n'était pas une punition infligée par les dieux, mais plutôt la conséquence de facteurs environnementaux, de l'alimentation et des habitudes de vie. Elle est appréhendée de manière plus globale. L’état de santé était lié à la capacité du sujet à s'adapter au monde dans lequel il vivait. Par la suite, les évolutions, que nous avons évoquées supra, ont focalisé la vision sur la maladie, la santé étant un état passif défini par l’absence de maladie. « La santé, c’est la vie dans le silence des organes » comme l’indiquait Leriche (1937)62. Dans une vision négative, la santé est définie par son contraire, l’absence de maladie, perçue comme un accident dans ce trajet linéaire qui rejoint la naissance à la mort. Il faut attendre la période qui suit la deuxième guerre mondiale pour retrouver une approche globale de la santé 60 Comportement prescrit par une société à une époque donnée. Elle a généralement un caractère implicite et est intériorisée par les individus. Elle s’inscrit dans l’inconscient collectif. Patrick Trefois, in Bruxelles Santé N° spécial, 2008. 61 http://fr.wikipedia.org/wiki/Hippocrate, http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_humeurs, consulté le 28 mars 2010. 62 Bury J., Education pour la santé. Concepts, enjeux, planifications, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1988, p11. 42 En 1946, L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)63 introduit la dimension sociale et mentale ; la santé est définie comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Cette définition précipite le basculement vers une conception positive de la santé en référence au bien-être qu'il importe de préserver. Comme c’est le cas pour beaucoup de concepts ou de définitions, ce n’est pas la définition de l’OMS qui fait changer les mentalités, la définition matérialise les évolutions sociales et culturelles de l’époque. Elle a la vertu de décrire les différentes composantes d'un état de santé et d'avoir contribué à l'évolution du concept de santé vers une représentation positive de la santé. Bury la qualifie d’utopique à cause de la notion de bien-être proposé pour tous les champs de l’existence humaine, espaces physique, mental et social. Le consensus sur la notion de bien-être dans toutes les sphères est impossible à réaliser, il doit rester un idéal à poursuivre même s’il n’est pas totalement accessible. Différents facteurs vont influencer la santé comme les facteurs démographiques, psychoculturels, sanitaires, géographiques, politiques et socio-économiques. En 1975, Illich64 s’inscrit en rupture et introduit dans la définition de la santé, la notion d’autonomie. « L’état de santé est le niveau d’autonomie avec lequel l’individu adapte son état interne aux conditions de l’environnement tout en s’engageant dans le changement de ces conditions pour rendre son adaptation plus agréable et plus effective. » L’autonomie permet au sujet de s’adapter aux différents changements pour maintenir son état de santé. La santé est préalable à toute pathologie, elle ne peut donc être assimilée à une absence de maladie mais à un dynamisme vital par lequel le vivant fait face à ce qui le déséquilibre en se réorganisant. En 1978, la déclaration d’Alma-Ata réaffirme que : « La santé qui est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité, est un droit fondamental de l'être humain, et l'accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important…65 » Elle demande une contribution des personnes : 63 Organisation Mondiale de la Santé, annexe III. Bury J., Education pour la santé. Concepts, enjeux, planifications, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1988, p 20. 65 Annexe IV. 64 43 « Tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des mesures de protection sanitaire qui lui sont destinées. » Les individus doivent participer à leur propre santé et à son amélioration. C’est une notion dynamique qui varie d’une personne à l’autre, suivant les époques et les civilisations. L’individu est considéré dans sa relation dynamique à son milieu, comme un état d’équilibre qui n’est jamais définitif. L’être humain est inséré dans un environnement sur lequel il agit et qui agit sur lui. On parle alors de santé globale qui fait le constat de la complexité des déterminants biologiques, psychologiques, socioculturels, voire spirituels. De nombreux auteurs ont tenté des définitions mais celle qui nous semble la plus proche de notre réflexion est celle-ci : « La santé, c’est cette capacité de maintenir et de rétablir à tout moment l’équilibre de bien-être remis en question par les évènements extérieurs, en s’adaptant ou en modifiant l’environnement66. » Nous retrouvons ici la notion de capacité, de potentialité d’énergie, d’équilibre sans cesse menacé et non plus un état avec tout ce que ce mot peut représenter de statique, l’individu est sujet, capable de protéger son potentiel santé et sa qualité de vie ; le bien-être n’est qu’un état passager, à reconquérir sans cesse. Nous percevons la notion d’accommodation. La capacité à surmonter les crises, les épreuves sont des indicateurs de santé comme l’appropriation du mode de vie et de l’environnement : toutes ces interactions sont essentiellement dynamiques. La santé correspond à une expérience autonome personnelle, une réelle quête de soi et recherche permanente d'un bien-être. Être en santé, c’est être capable d’assurer des ajustements et rééquilibres entre son organisme et l’environnement, même en devant assumer, paradoxalement, une maladie chronique ; c’est réunir et maintenir d’un certain nombre de conditions souvent relatives et subjectives, de bien-être physique et psychique. Autrement dit, pour nous, l’individu peut être en santé, même atteint d’une maladie, quand il arrive à s’accommoder et à trouver les ajustements nécessaires à son équilibre tant physique que psychique. La santé est une norme individuelle difficilement objectivable. Elle ne peut être définie de l'extérieur, elle est une construction singulière par la personne en fonction de sa propre histoire. Elle n’est donc pas un état, mais un processus dynamique qui permet à chacun de s'adapter à son environnement. 66 Cotton cité par Minder M., Champs d’action pédagogique, de Boeck, 2008, p31. 44 L’évolution historique et culturelle vers la notion et la prise en compte de la santé a incité un changement de paradigme : du modèle biomédical nous passons au modèle global qui fait apparaître des principes qui ont toujours été présents, mais que nous n’avions pas reconnus. Il inclut l’ancienne conception comme une vérité partielle, comme un aspect de la réalité, en acceptant aussi un autre fonctionnement. Au cours du siècle dernier, les conceptions de la santé ont suivi une évolution proche de celles de l’éducation. Nous sommes ainsi passés de la domination d’un modèle biomédical, unidimensionnel, prescriptif et moralisateur, à l’acceptation d’un modèle biopsychosocial qui comprend la santé comme un processus dynamique impliquant de multiples facteurs individuels ou environnementaux. III.4 Le modèle global Ce modèle est également appelé modèle bio-psycho-social comme à l’OMS ou holistique Pour qu’il puisse être qualifié de global, cela suppose qu’il donne une importance à une approche intégrée pour une meilleure compréhension de la personne soignée mais aussi pour la mise en place de stratégies de soins plus adaptées et donc à terme moins coûteuses. C’est un - modèle ouvert, - dans lequel la maladie est conçue comme un phénomène complexe, impliquant une série de facteurs venant de l’individu, de sa famille, de son environnement plus large, et ceci tant au niveau de l’étiologie que du traitement et de son évolution. - Sans négliger l’aspect organique, le modèle tient compte également des aspects humains et sociaux qui interviennent dans le comportement de l’individu et de sa famille, - au niveau de la prévention, de la réadaptation et de la continuité des soins, de la réhabilitation dans les maladies chroniques comme du traitement des maladies aiguës. - Le système de santé à son tour est un système ouvert, qui n’est plus autonome et médicalement centré, mais en relation avec les autres professionnels de la santé, - la communauté et les autres secteurs de l’activité publique de la société tout entière. Dans ce modèle, la médecine prend en considération l'articulation des différents niveaux constitutifs du sujet en tenant compte des facteurs psychologiques et physiques. Santé et 45 maladie sont envisagées davantage comme mode de relation de l’homme avec son milieu. Cette relation peut être équilibrée ou déséquilibrée. L’approche est plus humaine, ouverte aux autres professionnels. L’objet principal devient la santé et non plus la maladie. Dans ce paradigme, le soigné est actif, il est considéré comme une « personne-ressource ». Les notions de prévention, réadaptation et de réhabilitation sont prises en compte comme l’éducation. Tous les professionnels de la santé, la famille, l’entourage, la société et l’environnement sont acteurs du processus. L’individu participe à la gestion de sa maladie en collaboration avec le soignant, il est co-auteur de son projet de soin. Dans ce paradigme, l’infirmier n’est plus un agent qui transmet des prescriptions, il devient auteur, à l’écoute des demandes et attentes du soigné. Dans la relation de soin, il identifie les représentations et les croyances de celui-ci pour pouvoir adapter ses protocoles de soins. Le projet de vie de la personne requérant des soins est respecté, elle est au cœur du dispositif éducationnel. La relation ne se limite pas au patient mais intègre autant que possible la famille et l’entourage proche. La démarche éducative sera construite par les deux protagonistes, chacun étant co-auteur. Nous voyons que le modèle holistique ne remplace pas le modèle médical mais il l’intègre et l’élargit. Nous y retrouvons l’extension du concept de santé. La prévention comme la promotion de la santé y trouvent une place de choix. L’éducation du patient privilégie le transfert des compétences entre soignant et soigné, considéré comme partenaire. L’autonomie du patient se construit dans la connaissance de soi, dans un accompagnement par les professionnels de santé dans ses prises de décision, ses expériences de santé. D É T E R M I N I S M E B I O M E D I C A L G L O B A L I T E N R A C T I O N N I S M E 46 Commentaire Ces modèles se retrouvent rarement à l’état pur. Le modèle biomédical représente un certain idéal de la médecine, plus précisément son idéal de scientificité. Or, être malade, ce n’est pas simplement avoir une maladie. Quand nous parlons de maladie, nous catégorisons la personne selon une seule caractéristique, nous utilisons un langage normatif, un code qui n’est accessible qu’aux professionnels qui fonctionnent avec ce type de vocabulaire. Être malade, c’est bien sûr avoir une maladie mais c’est surtout être dans une réalité personnelle, familiale, sociale et professionnelle particulière, donc normée. C’est vivre avec sa souffrance, ses ressentis, ses projets et ses craintes ; la maladie est présente mais dans la trajectoire de vie singulière de la personne qui l’appréhende à travers les représentations qui lui sont propres. La maladie ne peut devenir l’élément qui façonne l’individu dans un moule unique, le rendant semblable à une autre personne partageant la même pathologie. Gageons que les nouvelles générations seront formées dans un modèle qui intègre à la fois la scientificité et la dimension d’expérience humaine car la vérité se situe probablement, en fonction des situations, plutôt vers l’un ou plutôt vers l’autre ; il n’existe pas de modèle parfait. Nous retrouvons dans nos fonctionnements deux conceptions différentes de la santé et de la maladie : le modèle médical et le modèle global. Les infirmiers se situent vers l’un ou l’autre pour justifier leurs pratiques. Or pour l’éducation du patient, la référence à l’un plutôt qu’à l’autre va en théorie modifier les approches éducatives. La démarche éducative ne peut s’intégrer que dans le modèle global, dans la vision biomédicale, il n’y place que pour l’information et l’instruction. À ce stade-ci de la réflexion, il nous semble opportun pour le cadre de pouvoir identifier ces orientations chez les infirmiers avant d’entreprendre des formations à la démarche éducative. Effectivement, ceux qui fonctionneront dans le modèle médical auront une approche centrée sur la maladie, la médecine étant une science ; a contrario, dans le modèle global ou holistique, la médecine est considérée comme une pratique et l’approche reste centrée sur le malade. Comme nous l’avons vu précédemment dans le chapitre des représentations sociales, le cadre qui souhaite progresser avec son personnel vers une vision globale de la personne soignée, en la plaçant auteur de sa vie, discernera auparavant la conception du modèle de santé auquel il se rattache. Les paradigmes sous-jacents de la santé et de la maladie seront identifiés. Ces éléments nous paraissent essentiels avant d’envisager la formation continue notamment pour l’aspect éducationnel. 47 CHAPITRE IV L’ÉDUCATION Dans ce chapitre, nous arrivons au cœur de notre problématique ; la première partie propose la définition du concept d’éducation, soulevant sa complexité et sa richesse pour ensuite nous attarder sur la démarche éducative dans nos pratiques soignantes. IV.1 Qu’est-ce que l’éducation ? L’éducation, c’est la « mise en œuvre de moyens propres à assurer la formation et le développement d’un être humain.»67 Emprunt au latin : Educare : nourrir, élever, dans le sens maintenir en vie et du fréquentatif de ex-ducere : faire sortir, conduire hors de, dans le sens de l’action. Nous retrouvons une double symbolique dans la définition entre nourrir, maintenir en vie et conduire hors de, par l’action. La tentation de directivité peut être grande mais l’éducateur est là pour influer sur le cours des choses et non les diriger. Le terme éducation se réfère au processus qui relie d’une façon prévue ou imprévue deux êtres humains et qui les met en communication, en situation d’échanges et de modifications réciproques. L’éducation déborde très largement le système scolaire, c’est un processus très général qui s’observe dans toutes les circonstances de la vie humaine. Pour Develay68, « l’éducation est la capacité à faire émerger de l’altérité dans une relation de parité asymétrique.» Et pour plus de clarté, il approfondit chaque terme de sa définition : l’altérité, c’est l’envie de faire exister l’autre comme différent de soi, comme autonome. Pour lui, il n’y a pas d’éducation sans intention de faire exister de l’imprévisible, elle aboutit à une transformation de l’éduqué et de l’éducateur. La parité sous-entend le côte à côte, une posture de proximité entre les deux, une relation asymétrique par le projet que l’éducateur a par rapport à l’éduqué et parce qu’il n’attend rien en retour. Une autre définition a particulièrement retenu notre attention, c’est celle de Barbier69 qui propose : « l’éducation est le processus qui exprime la dynamique de la vie intérieure en contact avec le monde extérieur. Elle ne saurait être définie par des disciplines scientifiques ou des catégories de pensée instituées. Elle est de l’ordre du devenir improbable pour chaque personne. Elle n’existe pas a priori, mais se fonde dans son mouvement même. » 67 Le Robert, 1997. Develay M. cité par Sandrin-Berthon B., l’éducation du patient au secours de la médecine, puf, 2000, 198p. 69 http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/article.php3?id_article=24, consulté le 03 janvier 2009. 68 48 Nous retrouvons dans cette citation, toute l’essence même d’un terme souvent utilisé de façon péremptoire y compris par nous-mêmes. À l’extrême, l’éducation peut être une manifestation très rigide s’exerçant sur une personne dépendante ou sur un profane de la part d’un « professionnel », un expert. Nous pensons que l’étymologie nous apporte un autre éclairage : l’éducation, « ex-ducere », conduire hors de, ne peut se conclure que par l’ex-istence (de « ex-sistere »: sortir de, s'élever de; se dresser, se montrer, se manifester) d’une individualité libre. À ce stade, il est d’ailleurs souhaitable de faire la distinction entre instruire et éduquer. Instruire, c'est rendre l'autre savant, transmettre des savoirs objectifs, préexistants, socialement reconnus comme légitimes. Le formateur-instructeur en arrive très vite à vouloir inculquer ses savoirs, c’est la transmission. Il entre, sans s'en rendre compte, dans la problématique de l'acquisition d’informations. Éduquer au contraire, c'est à partir de savoirs identifiés et reconnus chez l’autre, viser la construction d'autres savoirs. Éduquer va plus loin que transmettre, c’est être là pour que l'autre reste maître de son propre changement, c'est accompagner70 l’autre pour qu'il trouve son propre chemin, son développement, ses sens. Éduquer est un projet. Éduquer signifie se tenir dans une relation imprévisible, fragile, dans l’inachèvement en visant l’autonomie des personnes dans un processus d’émancipation. Le savoir n'est qu'un tremplin pour chercher du sens. Choisir d'éduquer, c'est accepter de rechercher continuellement un équilibre entre notre projet éducatif et la liberté en construction de l’autre. La démarche éducative dans nos pratiques soignantes « Longtemps, nous avons essayé de croire qu’il suffisait d’informer, d’instruire un sujet d’un danger pour qu’il en tire profit. Il a fallu se rendre à l’évidence et admettre que l’éducation à la santé ne pouvait pas se réduire à un sermon, à une prescription. Pour agir, il faut être motivé, surtout quand le geste nous coûte.»71 Éduquer dans le champ de la Santé ne peut se réduire à informer la personne requérant nos soins pour qu’elle sache ce qu’est sa maladie, son traitement, ses risques. Notre mission ne peut se réduire à faire savoir ce qu’est la pratique attendue de prévention ou de soin, l’observance souhaitée, car nous confondons alors instruction et éducation. Nous nous retrouvons ici, de nouveau, face à deux manières différentes d’aborder l’éducation 70 Ardoino, cité par Vial M., Eduquer à ou pour la santé, quels enjeux pour la formation et pour la recherche ?in Questions vives n°5, pp 49-82. 71 Manderschield JC., Quelles recherches pour l’éducation à la santé, in revue française de pédagogie, vol 114, 1996, pp 53-65. 49 du patient. Le professionnel de la santé, dans une position d’expert décide ce qui est « bon » pour le patient et lui transmet les informations qui lui semblent utiles à l’involution de la maladie ou il accompagne la personne requérant ses soins sur les chemins plus difficiles de l’humain confronté à un problème de santé. Notre comparaison s’arrête là car quand nous parlons de la démarche éducative, nous avons d’emblée une vision globale du problème de santé dans une approche interactionniste. Il s’agit pour l’infirmier d’utiliser ses connaissances et son savoir-faire en regardant résolument dans la direction de la personne qui requiert ses soins, en l’assistant dans le processus, dans le chemin vers la gestion de la maladie. Cette prise de position est plutôt une explicitation des termes utilisés, nous revendiquons l’absence de jugement quant aux manières de procéder car si chaque personne est singulière, chaque situation l’est tout autant. La posture 72 du soignant sera celle qu’il trouvera opportune dans une conjoncture donnée. Sur le continuum de l'éducation, nous pouvons placer l’information plus près du paradigme déterministe sans pour autant la rejeter. L’information fait partie de la démarche éducative qui l’intègre et l’élargit tout comme le fait le modèle global avec le modèle médical. Informer n’est pas éduquer mais éduquer englobe l’information. Information Démarche Éducative Pour Deccache,73 il y a trois types de relations éducatives comme celles du modèle de Szasz et Hollender74 : le type activité-passivité où le soignant fournit au soigné des informations de dédramatisation pour diminuer son anxiété avant un soin ou un examen ; il ne qualifie pas cette activité d’éducative. Le deuxième type, dénommé direction72 La posture n’est pas une position figée mais davantage une façon d’être, une attitude, une façon d’aborder les choses, un état d’esprit. 73 Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, 239 p. 74 Supra, p 30. 50 participation se produit quand le soigné coopère mais en obéissant au soignant qui détermine ses besoins : il y a, ici, peu de place pour l’autonomie. C’est dans le type de participation mutuelle que Deccache qualifie la relation d’éducative, quand une communication s’établit avec une interdépendance entre soigné et soignant, une égalité dans l’engagement qui apporte satisfaction aux deux partenaires de la relation. Mettre en œuvre une démarche éducative nécessite que nous ayons un projet, une intention vis-à-vis du patient que nous côtoyons. La démarche éducative est plus qu’une application de programmes et d’apprentissages, elle est avant tout une rencontre entre des personnes, entre leurs compétences et leurs projets. Cette intention ne peut pas se limiter à la normalisation de paramètres biologiques mais bien au maintien ou à la restauration de la santé, elle concerne la personne dans toute sa complexité. La démarche éducative suppose une relation de confiance, un apprivoisement. De ces entrevues entre le soignant et le soigné naîtront des réponses originales, uniques, adaptées aux uns et aux autres. La rencontre nous invite à explorer l’organisation des connaissances de l’autre, savoirs qui sont vrais chez celui qui les possède. La rencontre conduit à déstabiliser l’organisation des acquis pour en faire une zone de compréhension. À partir de là, nous pouvons nous appuyer sur ces zones de compréhension pour créer de nouvelles représentations, organisations de connaissances, tenant compte des demandes du patient. Cet échange ne peut se faire que dans une relation d’équivalence et de parité, la relation éducative est incompatible avec une relation de pouvoir, de domination ou de chantage. Elle nécessite la construction d’un cadre favorable à l’expression de chacun, elle ne s’improvise pas. Il nous semble important notamment d’adopter une posture de nonjugement, d’aider les personnes à approfondir leur réflexion. Pour nous, soignants, cette démarche n’est pas facile : nous y sommes peu préparés, souvent mal à l’aise, plus dans l’action que dans la réflexion par notre formation. Nous croyons que le cadre de proximité a, ici, un rôle important à jouer pour soutenir son équipe soignante dans cette approche de l’autre par sa propre posture et l’encouragement à cette prise de recul nécessaire à la réflexion. L’écoute attentive est déjà d’un grand soutien, les soignés n’attendent pas des réponses à toutes les questions. La finalité de l’éducation (ex-ducere) est de conduire la personne malade hors du système de soins vers l’autonomie et l’autogestion. Une approche éducative qui se voudrait protectrice, prévenant les attentes et les besoins du sujet, créerait in fine, un état de 51 dépendance et donc une réduction de l’autonomie. À ce stade, elle ne s’appellerait plus éducation au sens où nous l’entendons mais bien instruction, favorisant l’asymétrie de l’expert-soignant au profane-soigné. L’éducation est un projet réflexif et citoyen. L’éducateur ne crée pas l’autonomie, il met en scène des moyens pour que l’autre la développe, la réoriente. C’est un des critères de réussite de la relation éducative. Dans les situations de vulnérabilité qui caractérisent souvent les situations de soin, créer les conditions de déploiement de l’autonomie de l’autre sous-entend que nous postulons inconditionnellement cette capacité de l’autre. Ce postulat est une décision éthique, responsable. Quelles que soient la nature et le degré de sa dépendance, nous considérons que l’être humain qui est en face de nous est la mesure du sens qu’il donne à son existence. Si le soignant interpelle le soigné comme sujet75, alors celui-ci peut se mettre debout et devenir auteur et acteur de ses comportements de santé. L’idée est que cette capacité d’agir par soi-même n’est pas conférée de l’extérieur mais qu’elle est le fruit d’une négociation entre la personne et le soignant. L’autonomie n’est pas quelque chose que nous donnons, mais c’est une relation que nous co-instituons. « L’autonomie c’est la liberté pour le bien : être autonome, c’est obéir à la partie de soi qui est libre, (…) cette autonomie n’est jamais donnée : elle est à faire, et, toujours à refaire. Il n’y a pas d’autonomie ; il n’y a qu’un processus, toujours inachevé, d’autonomisation (…). »76 Elle ne peut se développer qu’en connaissance … y compris de l’environnement qui limite notre liberté ! Le travail éducatif reste le projet d’aider l’autre à s’épanouir, à trouver sa propre voie, sa propre vie et donc à se libérer mais la situation dans laquelle nous nous trouvons lors de nos contacts avec les personnes malades crée souvent un paradoxe. Ne sont-elles pas dans une position d’infériorité face aux savoirs experts? La réponse se trouvera dans notre façon de construire, de prendre soin de la relation éducative, laissant une large plage à l’expression de chacun, même sur des désaccords. Parcourir ce chemin vers l’affranchissement, l’autonomie du patient peut être vécu comme une situation stressante chez le soignant face aux multiples contraintes de charges de travail, au déficit de motivation, à la perte de l’autorité. Ainsi, dans les observations de sa recherche, Isabelle Verstraete relate : « le manque de volonté, manque de personnel, de temps, de moyens 75 L’agent désigne le rouage d’une machine, il est compétent et ne pense pas trop. L’acteur a une intentionnalité, il réfléchit, prend des initiatives, il reste exécutant (donc il reste agi), il joue un rôle mais n’est pas créateur. L’auteur est la véritable origine de l’action, sujet –créateur. Pourtois J.P., Desmet H., L’éducation postmoderne, puf, 1999, p 306. 76 Comte-Sponville A., Dictionnaire philosophique PUF 2001, p. 74-75. 52 comme freins exprimés à la réalisation de l’éducation du patient. »77 Le professionnel doit renoncer à une certaine culture soignante basée sur le faire, il doit s’efforcer de prendre de la distance, de regarder faire le patient même si celui-ci fait des erreurs ou si ses gestes ne sont pas toujours parfaits. L’impression de perte de temps suscitée par cette approche n’est qu’illusoire car un soigné qui regagne de l’autonomie « libèrera » le personnel soignant pour d’autres missions. La résistance au changement du soignant peut s’expliquer par le déséquilibre, la rupture que cette évolution va engendrer. L’autonomie du patient en dehors du système de soins n’est-elle pas une perte de pouvoir pour le soignant ? L’infirmier se situe dans cette médiation qui permet de générer du sens, en créant des espaces transitionnels, des espaces de liberté autour du patient, il devient un facilitateur, un passeur de connaissances avec l’un de ses semblables. Après le bouleversement que représente pour lui la maladie, le patient a besoin de temps pour se reconstruire, se réorganiser. Offrons-lui cette possibilité, cette disponibilité78. Former autour du patient une carapace provisoire, qui favorise son évolution personnelle tant physique que psychologique, nous semble une phase importante de la démarche éducative. Il s’agit pour le soignant-éducateur d’aider le patient à trouver une satisfaction, de l’intérêt pour les apprentissages, à les intégrer dans son projet de vie, à les situer par rapport à son passé, à son histoire personnelle, familiale et à sa culture. Nous devons donner sens et cohérence à notre action plus que d’appliquer des recettes ou des modèles. Très souvent, le soignant est interventionniste, il tient un discours, respecte les normes établies face au patient qui se complaît dans un rôle passif. À distance de cette rencontre, la personne malade réaménage les prescriptions pour la recherche d’un quotidien qui ait du goût et du sens pour elle. Sur le plan éducatif, fournir des explications qui ne sont pas applicables parce que détachées du contexte de vie, c’est réaliser un travail vain et démotivant pour tous deux. Le transfert de connaissances du soignant au malade est voué à l’échec et n’occasionne pas la rencontre. Nous pouvons faire ici un parallèle79 avec le management80 du cadre : c’est grâce à un management participatif que le cadre facilitera l’éducation de ses collaborateurs par l’implication de ceux-ci que ce management 77 Verstraete I., Organisation hospitalière de l'éducation du patient : le point de vue des infirmiers-chefs, TFE présenté en juin 2008. 78 « Qui n’est lié ou engagé par rien, dont on peut disposer, libre.» Le Robert, 1997. 79 La comparaison peut se poursuivre dans tout le travail car quelque soit le contenu, ce sont les processus qui importent. Le cadre qui adopte une démarche éducative vis-à-vis des équipes soignantes est dans le même processus que l’infirmier face au soigné et vice-versa. 80 4 styles de management : le directif, le persuasif, le participatif et le délégatif. Annexe VI. 53 suppose, en favorisant la communication et l’autonomie. Le style participatif encourage les échanges d’idées et la collaboration de chacun. La démarche éducative sera cet instant privilégié de passages entre deux univers de connaissances, il est impératif de ne pas gâcher ce moment par une attitude inadéquate comme de l’ironie ou une intervention intempestive. Au contraire, c’est le moment de l’exploration des connaissances de l’autre qui doit être faite dans le respect et l’authenticité. Il faut saisir toutes les opportunités d’éducation, repérer tous les passages81 autrement dit profiter au mieux de toutes les occasions éducatives informelles, de tout instant privilégié de passage entre deux univers de connaissances. Cette rencontre n’est pas toujours facile pour l’infirmier qui n’a pas été formé dans ce modèle, qui n’est pas préparé à entendre les attentes du patient. Notre rôle de cadre peut ici trouver toute sa raison d’être dans ces nouveaux chemins de la relation à découvrir. En invitant nos collaborateurs à devenir des « éducateurs », nous participons à leur éducation. Nous devons guider nos équipes à s’essayer à une rencontre et pour cela bousculer les rôles convenus et conventionnels du malade et du soignant. Cette mutation n’est pas aisée pour l’infirmier, car il éprouve souvent des difficultés à se rendre disponible tant physiquement que mentalement. En soignant, l’infirmier est constamment interpellé par des expériences humaines qui posent des questions fondamentales comme celles du sens de la vie, de la santé, de la souffrance et de la mort. Ces questions se posent pour les personnes qu’il soigne mais aussi pour lui-même. Or pour écouter vraiment, il faut se décentrer pour entendre et comprendre l’autre dans ses développements. L’objectif est de s’interdire tout jugement, de placer l’autre dans une relation de confiance et de favoriser son expression. De telles relations, qui aboutissent à une négociation, ne s’improvisent pas et demandent au professionnel d’abord de faire connaissance avec lui-même, avec ses propres représentations et de connaître ses limites à pratiquer l’éducation. En général, le patient estime ces moments où il se sent objet d’intérêt, ces attentions qui dépassent le niveau purement biologique. Un frein supplémentaire à cette communication soignant-soigné est la peur de la part du professionnel d’entendre ce que le patient va lui exprimer. L’attitude d’écoute est suffisante, il n’est pas essentiel d’avoir une réponse à toutes les questions, toutes les demandes. Le cadre doit se le dire et le redire aux équipes. Nous sommes dans une relation d’humains, chacun ayant ses propres limites. L’infirmier-éducateur se retrouve devant la complexité d’anticiper les émotions que de tels échanges peuvent engendrer. Le 81 Passage : quand la rencontre nous invite à explorer l’organisation des connaissances de l’autre. Gagnayre R., cité par Sandrin-Berthon B., l’éducation du patient au secours de la médecine, puf, 2000, p 138. 54 lien relationnel, qui est important puisque les protagonistes sont en recherche de sens, doit toujours garder une certaine distance, laissant la possibilité de passer le relais ; il n’y aura jamais d’exclusive. L’éducation du patient ne repose pas sur un seul soignant mais bien sur une équipe, idéalement pluridisciplinaire, qui pour ce projet devient équipe éducative. Cette équipe amène une pluralité de regards, d’approches et chaque professionnel pourra bénéficier des apports, de l’éclairage, des outils de chacun. La démarche éducative sera toujours menée conjointement par différents professionnels soit de manière continue ou, de façon sporadique, pour proposer une réponse adaptée à une demande particulière. Quand nous parlons d’équipe, nous parlons de dialogue et de concertation et surtout des écrits qui feront traces de nos objectifs, actions et ressentis. Pour nous, infirmiers, si appréhender la rencontre avec le soigné fait partie de nos prérogatives, aborder les théories de l’apprentissage nous semble beaucoup plus éloigné de notre formation initiale. Or, il nous semble essentiel d’approcher et d’intégrer ces théories pour comprendre comment apprendre à apprendre et quel processus le soigné utilisera pour élaborer ses nouveaux savoirs. IV.2 Les modèles d’apprentissage S’attarder sur les modèles d’apprentissage nous semble un passage obligatoire afin d’expliciter nos modes de fonctionnement. Ces théories82 nous aident à comprendre comment nous nous y prenons pour apprendre. Cette culture sera utile pour nous cadre afin de continuer à nous professionnaliser. Se professionnaliser ne va pas de soi : les théories nous permettent de nous dégager du sens commun, des idées toutes faites et les théories de l’apprentissage nous aideront à relativiser l’importance du détenteur du savoir sur celui qui apprend. La finalité est double puisque le cadre a la préoccupation d’accompagner le personnel dans sa formation continue, comme le souci de promouvoir et faciliter l’éducation en santé des patients dans nos lieux de soins. La théorie est un élément de référence, un élément qui permet de construire du sens dans sa pratique. Dans notre formation initiale de soignant, nous n’avons jamais eu l’occasion d’approcher ces différentes théories et maintenant nous sommes appelés à les utiliser pour accompagner au mieux la personne requérant nos soins. La théorie ne dicte pas les pratiques mais au lieu de fonctionner à partir d’a priori sur ce qu’est apprendre, nous 82 « Une théorie ne vaut pas plus qu’une autre, elle ne sert pas à faire prévaloir un point de vue sur un autre concernant la façon dont on apprend, elle doit permettre à l’observateur de penser autrement, de faire en sorte que le phénomène signifie davantage ».Donnadieu B., Genthon M., Vial M., Les théories de l’apprentissage, quel usage pour les cadres de santé, Masson, 1998, p 17. 55 pouvons essayer de repérer dans le labyrinthe des théories de l’apprentissage celles qui peuvent enrichir et éclairer notre expérience. Notre intention est d’essayer de les résumer afin d’en comprendre les concepts. Ces modèles développés nous parlent d’enseignant et d’élève. Ces vocables semblent nous éloigner de la démarche éducative par des ressentis d’instruction, de conduite comme de prescription qui peuvent graviter autour de ces termes. Au cours de la lecture, il est essentiel de rompre avec cette représentation dominante de la relation pédagogique selon laquelle l’enseignant, « celui qui sait », serait celui qui apporterait le savoir à l’élève, « celui qui ne sait pas ». N’est-ce pas là un reliquat de l’image que nous pouvons nous faire de l’enseignement comme étant un modèle rigide et directif ? Pour notre recherche, nous souhaitons transférer ces rôles d’enseignant et d’élève au soignant que nous qualifierons d’éducateur et au soigné que nous pouvons appeler apprenant. Afin de faciliter la compréhension et pour éviter confusion et amalgame, nous allons redéfinir le sens que nous donnons à quelques mots utilisés fréquemment dans ce chapitre. « Enseigner » est souvent défini comme transmettre un message. Cette définition nous semble réductrice et nous souhaitons utiliser ce mot en élargissant sa signification. Nous utiliserons le terme enseigner, enseignement, enseignant selon la définition de Gagné83 « enseigner, c’est organiser des situations d’apprentissage ». Enseigner, c’est procurer à la personne différentes situations qui vont faciliter l’apprentissage attendu. Nous verrons par la suite que selon la conception que nous avons de la manière dont le sujet apprend, nous adopterons notre modèle d’enseignement84. Pour Altet, l’enseignement est également un processus interpersonnel et intentionnel, qui utilise la situation pédagogique, la communication pour provoquer, favoriser l’apprentissage.85 « Apprendre » vient du latin : ad : à et prehendere : saisir, prendre. « Prendre avec soi » suppose une appropriation de savoirs qui permettent d’élaborer des connaissances. C’est traiter l’information de manière à pouvoir la mémoriser et la réutiliser ultérieurement dans d’autres situations86. La définition varie selon l’approche behavioriste, cognitiviste, nous en débattrons ultérieurement. 83 ème Gagné cité in Raynal F., Rieunier A., Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p 177. Terme proche de la méthode pédagogique, organisation codifiée de techniques et de moyens visant à faciliter l’action éducative. 85 Altet, M., Les pédagogies de l’apprentissage, Puf, 1997, p 8. 86 ème Raynal F., Rieunier A., Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p 34. 84 56 « L’apprentissage » a un sens différent dans le langage commun et dans le langage des sciences de l’éducation. Pour le sens commun, le terme d’apprentissage est étroitement lié à l’idée de métier manuel ou de formation sur le tas. Dans notre approche, l’apprentissage peut être défini comme un processus d’acquisition et un processus de changement qui constitue son résultat. Il y a apprentissage lorsque les savoirs appris sont disponibles en permanence pour agir sans que le sujet n’ait à refaire le chemin de leur acquisition. Si apprendre est un processus individuel, l’apprentissage s’organise, lui, entre des personnes, dans un contexte. Comprendre l’apprentissage, c’est établir des liens entre les explications du mécanisme individuel d’acquisition et les situations institutionnelles dans lesquelles un sujet humain, toujours particulier, transforme par son projet le savoir en connaissance. Comme pour apprendre, selon le courant de pensée, nous passerons d’une vision behavioriste réductrice ; changement de comportement mesurable, à une vision plus en accord avec le courant de pensée cognitiviste ; modification durable des représentations et des schèmes d’action. Comme nous l’avons vu précédemment, nous ne pourrons qualifier le soignant d’éducateur que si son « enseignement » emploie des situations pédagogiques favorables à l’éducation, autrement dit assure la formation et le développement d’un être humain. Les sciences de l’éducation puisent leurs fondements théoriques, entre autres, dans la psychologie, la sociologie, la philosophie et les sciences cognitives. Cette diversité de champs théoriques à la base des différentes approches de l’enseignement et de l’apprentissage peut parfois être confondante dans la mesure où certains auteurs peuvent se retrouver à l’intérieur de plus d’un courant théorique. Actuellement, une majorité de théoriciens en éducation s’accordent pour regrouper les modèles de l’enseignement et de l’apprentissage selon quatre courants : le courant béhavioriste, le courant cognitiviste, le courant constructiviste et le courant socioconstructiviste. Ces théories étudient les facteurs susceptibles de favoriser la transmission et l’acquisition des savoirs dans le processus d’apprentissage. Ces approches, qui se sont suivies chronologiquement au cours du vingtième siècle, peuvent être situées sur un continuum plutôt que d’être des positions tranchées. L’évolution la plus marquante a été le passage de l’approche behavioriste de l’apprentissage à l’approche cognitiviste qui a été prolongée par l’approche constructiviste et socioconstructiviste. Cette évolution porte à la fois sur le rôle des activités mentales, sur le rôle de l’apprenant et sur le rôle de l’enseignant. 57 Les théories de l’apprentissage se distinguent l’une de l’autre essentiellement par le processus qu’elles invoquent pour expliquer l’apparition du comportement nouveau qui en constitue le résultat. Nous distinguons deux théories ; celles qui font appel au conditionnement, laissant dans l’ombre la participation consciente du sujet dans l’élaboration des réponses et celles qui retiennent la compréhension et le raisonnement comme mode de construction de la réponse insistant au contraire sur le rôle joué par le sujet dans sa conception. Nous ne pouvons en aucun cas nous enfermer dans un cadre, il n’y a pas de modèle pur. S’intéresser aux modèles d’apprentissage nous donnera les moyens de faire des choix, de prendre des décisions par l’actualisation de nos connaissances. Cette approche nous permet de repenser nos démarches éducatives, soignantes, thérapeutiques… et de mener une réflexion sur nos pratiques professionnelles. 58 IV.2.1 Du déterminisme… IV.2.1.1 Le behaviorisme Le behaviorisme ou comportementalisme est apparu dans les années 1930 et il a gardé une position dominante jusque dans les années cinquante. Le behaviorisme est un courant qui a recherché l’explication des phénomènes d’apprentissage au niveau des comportements. Il est introduit par le psychologue américain John Watson influencé par les travaux du physiologiste russe Ivan Pavlov sur le conditionnement des animaux. Le behaviorisme considère l’apprentissage comme une modification durable du comportement résultant d’un entraînement particulier. C’est le concept de conditionnement répondant. Skinner a modifié ce schéma très linéaire de l’apprentissage en y ajoutant le conditionnement opérant, selon lequel l’apprentissage consiste à établir une relation stable entre la réponse souhaitée et les stimuli présentés, à l’aide de renforçateurs positifs ou négatifs. Dans le behaviorisme, les connaissances s’accumulent comme des objets et doivent être restituées par l’apprenant sans modification. Les nouveaux savoirs s’empilent sans se mélanger. Des tâches, de complexité progressive, sont fournies pour renforcer les compétences que l’on souhaite développer ; la répétition permet l’automatisation. Cette approche enlève à l’individu la responsabilité de ses actes. L’autonomie et le librearbitre sont exclus. Le comportement de l’homme est le produit de contingences organisées et contrôlées. Pour en arriver à ce résultat, l'enseignant s'appuie principalement sur des méthodes pédagogiques telles l’exposé magistral, modèle de l’empreinte, et la pratique répétée, modèle du conditionnement, afin d’augmenter la rétention des apprentissages. Il utilise aussi une méthode de renforcements : il récompense les bonnes réponses par des moyens verbaux et non verbaux. C’est une approche transmissive, passive, principalement orientée et contrôlée par l’enseignant. L’erreur sera considérée comme une faute, avec la notion de culpabilité, plaçant l’apprenant en position d’infériorité. Dans l’éducation du patient, les termes de « mauvaise compliance87 » seront utilisés quand celui-ci ne reproduira pas le comportement attendu à savoir appliquer le traitement prescrit. L’apprenant subit, il n'est pas partie prenante du projet éducatif, il est mis en position d'ignorance. La fonction de l’apprenant sera d’effectuer, reproduire le comportement et de s’exercer pour obtenir un transfert des acquisitions dans d’autres 87 Aptitude d'une cavité organique à changer de volume sous l'influence d'une variation de pression. Ici, le terme a un autre sens quand il est utilisé dans le langage médical : respect par le malade d'une prescription. Observance est un synonyme, nous préférons utiliser le terme d’adhésion. 59 conditions que celle de l’apprentissage. Le rôle de l’enseignant, hormis l’organisation du travail, est principalement celui de contrôleur afin de ne pas laisser l’apprenant se conditionner dans des chemins inappropriés. Il a également une responsabilité de soutien en proposant des activités de récupération. Les principales carences de cette approche sont le peu de place laissé à la personne. Les croyances, mais également les désirs et les intentions de l’apprenant, sont peu pris en compte. Toutefois, cette pratique garde sa place pour l’apprentissage d’un geste technique. Pour le reste, elle reste très insuffisante puisqu’elle ne part pas du sujet et travaille peu la motivation. Dans ce courant, proche du déterminisme et du modèle biomédical, puisque le sujet n’est pas pris en compte, nous ne pourrons pas parler d’éducation du patient en santé telle que nous le concevons mais au mieux d’une information dispensée au patient ou d’une formation à une technique. Modélisons ce courant au niveau de la problématique d’éducation en santé. Le behaviorisme Conditionnement répondant – conditionnement opérant – transmission Pour le éducateur soignant – Il va créer et renforcer des comportements adéquats qui pourront être observés. De la théorie à la pratique. Il transmet l’information, s’adapte aux besoins du patient en aplanissant les difficultés. Pour l’apprenant, la personne requérant des soins Il associera sa bonne observance à une récompense, une félicitation. Il écoute, regarde, et tente de reproduire. Les limites Acquisitions locales, ne s’intéresse pas à la motivation. Désirs et intentions du patient peu considérés. Utilité Apprentissage d’un geste technique. Les formations courtes à caractère technique avec l'obtention d'un nouvel automatisme. 60 IV.2.1.2 Le cognitivisme Le cognitivisme émerge, en réaction au behaviorisme, sous l’influence de l’intérêt croissant pour le traitement de l’information. L’intérêt pour l’apprentissage dépasse les simples comportements observés pour se centrer sur ce qui se passe au niveau mental ; comprendre comment les comportements sont produits et identifier les activités mentales mises en jeu en situation d’apprentissage. L’esprit humain est un système de transformation des données et la démarche structurée d’apprentissage se fait par l’appropriation graduelle et progressive de stratégies mentales. Le cognitivisme a pour objets d’étude la connaissance, la mémoire, la perception et le raisonnement. Celui qui apprend sera motivé s’il fait quelque chose qui a du sens pour lui, s’il est partie prenante dans le projet. Dans l’éducation en santé de la personne requérant nos soins, il est donc essentiel de donner du sens au projet éducatif dans lequel nous nous engageons mutuellement, soignant et soigné. Le cognitivisme s’appuie sur des grands principes clés : l’apprentissage est un processus actif et constructif : comme pour les béhavioristes, il existe une réalité objective externe, mais ici l’apprenant va intégrer cette réalité à ses propres schémas mentaux plutôt qu’acquérir des comportements observables. C’est donc un changement dans les structures mentales de l’élève qui caractérise l’apprentissage. L’apprentissage est l’établissement de liens entre les nouvelles informations et les connaissances antérieures pour peu que l’on prenne soin d’intégrer les connaissances nouvelles grâce au phénomène d’ancrage. Cela se fait par les représentations structurantes ; schémas ou graphiques, présentés en début d’apprentissage, qui vont faciliter la mise en relation des éléments de l’apprentissage avec les éléments déjà maîtrisés disponibles dans la structure cognitive de l’individu. Dans le cadre de l’éducation en santé du patient, il est suggéré d’identifier les idées importantes en présentant des schémas organisateurs au moment d’aborder un nouveau contenu, d’encourager le patient à souligner les données principales et de lui demander régulièrement de résumer ce qu’il a appris. Pour les cognitivistes, l'apprenant est un système actif de traitement de l'information, semblable à un ordinateur : il perçoit des informations qui lui proviennent du monde extérieur, les reconnaît, les emmagasine en mémoire, puis les récupère de sa mémoire lorsqu'il en a besoin pour comprendre son environnement ou résoudre des problèmes. 61 L’apprentissage concerne autant les stratégies cognitives et métacognitives88 que les connaissances déclaratives, procédurales et conditionnelles89. Les stratégies métacognitives permettent à l’apprenant de réfléchir sur sa manière de penser et de travailler, d’en évaluer l’efficacité, puis d’apporter des ajustements pour l’améliorer. Nous nous éloignons du mode de transmission de l’information, le sujet est acteur mais la réalité objective reste externe et il n’y a aucune interaction avec l’environnement du patient. Le cognitivisme Transformation des données, stratégie mentale, ancrage, représentations structurantes Pour le soignant -éducateur Il présente l’information de façon structurée, hiérarchique, démonstration, présentation de schémas, soulignement des idées importantes. Il favorise la rétroaction, résolution de problèmes. Pour l’apprenant, la personne requérant des soins Les limites Participation. Analyse. Collaboration. Patient acteur. Difficile d’accéder aux processus cognitifs. Autoquestionnement. Différence entre les objectifs finaux et ceux de l’apprenant. Résumés. Utilité Développement de la capacité d’apprendre, de comprendre et d’analyser. 88 Cognition : fonction complexe multiple incluant autant l'ensemble des connaissances que les processus qui permettent leur apprentissage et leur manipulation. Métacognition : se rapporte à la connaissance qu´on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits et de tout ce qui touche, par exemple, les propriétés pertinentes pour l´apprentissage d´informations et de données. La métacognition se rapporte entre autre chose, à l´évaluation active, à la régulation et l´organisation de ces processus en fonction des objets cognitifs ou des données sur lesquelles ils portent, habituellement pour servir un but ou un ème objectif concret. Flavell J., in Raynal F., Rieunier A., Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7 édition, 2009, p 290. 89 Les connaissances déclaratives correspondent à des connaissances théoriques, de faits, de règles, de lois, de principes, les connaissances procédurales répondent aux étapes pour réaliser une action, les connaissances conditionnelles se réfèrent aux conditions de l’action, le quand et le pourquoi. Tardif J., cité par Bru M., les méthodes en pédagogie, puf 2006, p 61. 62 IV.2.2 À l’interactionnisme IV.2.2.1 Le constructivisme Le terme constructivisme est entré dans le champ de la didactique et des sciences de l’éducation dans les années 70. Il développe le concept de l’apprentissage dans l’action et met l’accent sur l’importance des expériences en situation réelle. Contrairement au modèle comportementaliste, le modèle constructiviste privilégie le sujet, comme acteur volontaire du processus d'apprentissage. Il a pour objet l'adaptation du sujet au monde, à son environnement et non pas la découverte d'une réalité pour elle même. Les constructivistes postulent que chaque apprenant construit la réalité en se basant sur sa perception d’expériences passées. Deux auteurs, tout deux psychologues, sont à la base de l’approche constructiviste : J. Piaget et J. Bruner. Dans le constructivisme, l’apprenant construit ses connaissances par son action propre dans un certain ordre. L’accent est mis sur le rôle actif de l’apprenant ; il est le premier agent de son apprentissage. L’approche constructiviste considère que les nouvelles connaissances s’acquièrent graduellement par une mise en relation avec les connaissances faites de représentations antérieures. L’apprentissage est un processus d’adaptation qui s’appuie sur l’expérience que l’apprenant a du monde et qui est en constante modification. Apprendre signifie donc construire du sens. La connaissance n’est pas une simple activité cérébrale ou intellectuelle consciente, elle est la recherche des manières de se comporter et de penser qui conviennent par rapport aux buts que l’on poursuit ou à une situation que l’on a besoin de gérer 90, circonstances dans lesquelles se retrouve le patient quand il est face à la maladie. Pour Bruner, l’apprenant choisit et transforme l’information, il émet des hypothèses et prend des décisions selon la structure de ses schémas mentaux. Cette structure l’aide à donner du sens aux nouvelles informations et lui procure des points de repère pour l’organiser et pour aller au-delà de celles-ci. La structure des schémas mentaux sert, en quelque sorte, de cadre conceptuel qui permet d’interpréter le monde. Dans cette approche, l’important n’est pas d’apprendre le maximum ou d’optimiser les résultats mais avant tout d’apprendre à apprendre 91. Pour Piaget, deux actions contribuent à l’apprentissage, l’assimilation et l’accommodation. 90 Von Glasersfeld E., la relation éducative et l’intention d’empowerment, in bulletin d’éducation du patient, vol 17, n°3, 1998, p 91. 91 Piaget cité par Crahay M., psychologie de l’éducation, puf, 1999, p195-196. 63 L’assimilation correspond à la modification qu’un individu opère dans ses schèmes de pensée et d’action quand il se confronte à la réalité. Il invente alors de nouvelles façons de penser et d’agir qui augmentent son potentiel. L’accommodation, c’est relever le défi : reconnaître que ses concepts se heurtent à une réalité imprévue et qu’il convient de les transformer. C’est la recherche du meilleur équilibre possible entre l'individu et son milieu de vie, ou entre l'individu et la situationproblème à laquelle il se trouve confronté. C'est une action de l'environnement sur l'individu qui va avoir pour effet de provoquer des ajustements dans la manière de voir, de faire, de penser du sujet, en vue de prendre en compte ces données nouvelles quelque peu perturbantes. Ce courant est proche de notre vision de l’éducation du patient en santé : le sujet apprend à apprendre en confrontation avec la réalité. Le bémol que nous pouvons émettre est que l’apprentissage reste individuel : nous ne pouvons laisser l’entourage du patient comme son environnement en dehors de la démarche éducative. Le constructivisme Assimilation – accommodation Pour le soignant – éducateur L’apprentissage est centré sur la personne, l’acteur. Dialogue, l’erreur est retravaillée en commun. De la pratique à la théorie. Pour l’apprenant, la personne requérant des soins Motivation. Pas de culpabilité. Processus actif. Les limites Utilité L’apprentissage est individuel. L’apprenant ne se laisse pas facilement déposséder de ses représentations. Processus endogène, pour lequel l'environnement social est sans influence. L’apprentissage se fait à partir du vécu, de la façon de procéder du patient. 64 IV.2.2.2 Le socioconstructivisme Le socioconstructivisme est une approche qui met l’accent sur la dimension relationnelle de l’apprentissage. Issue en partie du constructivisme, il ajoute la dimension du contact avec les autres afin de construire ses connaissances. Cette approche psycho-sociale des activités cognitives remet en cause certains principes du cognitivisme, centrés sur des mécanismes individuels. Le développement cognitif se construit au contact d’interactions sociales et au sein d’un contexte socio-historique. La construction d’un savoir, bien que personnelle, s’effectue dans un cadre social. Les informations sont en lien avec le milieu social, le contexte culturel et proviennent à la fois de ce que l’on pense et de ce que les autres apportent comme interactions. L’idée essentielle qui fonde le socioconstructivisme est que pour comprendre l’apprenant il est nécessaire d’étudier son comportement psycho-cognitif dans le contexte de ses relations, expériences familiales, éducatives, sociales et culturelles. Dans l’éducation en santé du patient, une attention toute particulière sera portée au contexte de vie du patient, à son entourage familial et social. Les facteurs sociaux constituent des éléments « médiateurs » qui influencent la construction des capacités cognitives des sujets. Contemporain de Piaget, Vygotsky 92 a posé les premiers jalons de la théorie socioconstructiviste. Deux éléments importants ressortent de ce paradigme : la zone proximale de développement, qui est la distance à parcourir entre ce que l’apprenant peut faire seul et ce qu'il serait en mesure de réaliser avec la médiation d'autrui, et le conflit socio-cognitif, qui souligne l’importance de la confrontation entre individus dans l’acquisition des savoirs. Quand il y a une opposition, l’apprenant reconsidère son propre point de vue grâce à des phénomènes d’argumentation et de communication. La primauté est donnée à l’apprenant. Ici, le modèle pédagogique est appelé constructiviste interactif et rassemble les théories de la pédagogie de la découverte, pédagogie ouverte, de type incitatif et associatif. Dans l’éducation du patient, le soignantéducateur aura une vision claire des finalités éducatives ainsi qu’une connaissance réelle des sujets apprenants. Si l’on veut que l’apprenant s’approprie réellement le savoir, cela nécessite une transformation en situations à vivre avec décloisonnement des branches et interdisciplinarité. La prise en compte des représentations de l’apprenant est un pré-requis incontournable. L’implication du soignant dans ce modèle sera tout d’abord le soutien affectif pour l’apprenant. Il sera un confident qui écoute et met en confiance, parfois 92 Crahay M., Psychologie de l’éducation, puf, 1999, 373 p. 65 coopérant pour affronter des difficultés. Il cherchera à développer la sécurité dans le risque, donnant une valeur positive à l’erreur, étape indispensable à tout apprentissage. Un autre rôle important est de veiller à maintenir la poursuite du travail en semant le doute, en cherchant avec l’apprenant. La dernière mission reste l’évaluation. Celle-ci sera formative93 pour établir un dialogue adéquat avec l’apprenant, son but étant de l’informer du degré d’atteinte des objectifs. Nous sommes ici dans le courant qui correspond à notre vision de l’éducation en santé du patient avec d’une part un sujet acteur, auteur de son apprentissage mais aussi toute la prise en compte de ses valeurs, de sa réalité, contexte de vie familial et social. Le socioconstructivisme Zone proximale de développement – conflit socio-cognitif Pour le soignant – éducateur Pour l’apprenant, la personne requérant des soins L’éducation du patient passe également par les groupes de patients, les associations. Il encourage la prise en charge pluridisciplinaire. Tutorat et accompagnement. Auteur Ses apprentissages ont du sens, le soignant est une personne ressource, un guide. Les solutions trouvées sont uniques. Les limites Difficile d’accéder aux processus cognitifs. La peur de la transformation, les habitudes d’évitement d’efforts Utilité Développement de la capacité d’apprendre, de comprendre et d’analyser. 93 L’évaluation est une action consistant à attribuer une valeur à une production, faire le point sur les acquisitions des apprenants. Nous distinguons deux types d’évaluation : l’évaluation sommative qui a un but de sanction positive ou négative. Elle sera utilisée dans l’approche behavioriste. La seconde est l’évaluation formative qui a pour but d’informer l’apprenant du degré d’atteinte de ses objectifs lui permettant de prendre conscience de ses erreurs, de ses progrès et de ses réussites. Ce type d’évaluation est un allié puissant vers l’autonomie car elle stimule la prise de conscience et l’analyse de ses actions. Cette évaluation sera employée dans le constructivisme et le socioconstructivisme. 66 Commentaire Les modèles d’apprentissages ont progressé grâce aux recherches et découvertes effectuées sur le comportement humain. Nous remarquons que l’évolution sur le siècle dernier a été de passer d’un apprenant soumis, passif, inexistant à un acteur de son apprentissage, moteur de son développement. La direction des opérations a presque changé de côté ; idéalement, apprendre est une collaboration entre l’apprenant et son environnement, l’enseignant94 reste une pièce maîtresse dans la facilitation et l’éveil. On n’apprend pas seul. Après ce tour d’horizon des principaux concepts, il est sans doute opportun de se poser la question du modèle à privilégier. La réponse n’est pas simple et repose sur plusieurs facteurs. Elle nécessite une analyse attentive de la situation, la prise en considération des ressources à disposition, du temps et des croyances qui servent de cadre de référence aux intervenants. L’intérêt est de permettre une ouverture à une diversité d'approches que l'expérience ne permet pas toujours de découvrir. Ces modèles théoriques présentent un intérêt pour le soignant-éducateur car travailler en les ignorant le rend peu critique de sa propre action. A l'inverse, ne jurer que par un modèle référent serait réducteur. Il n’est pas nécessaire que les infirmiers soient des spécialistes des théories de l’apprentissage, mais il est essentiel de continuellement se questionner sur ses pratiques par la référence à des pratiques d’expériences et à des théories, dans une approche résolument réflexive. Mais qu’est-ce qu’une pratique réflexive ? Il s’agit d’une posture critique, un regard sur l’action avant, pendant et après, un apprentissage à partir de ses pratiques. La transformation de l’expérience saisie s’effectue à la fois par l’action et par la réflexion. En somme, l’action alimente la réflexion et la réflexion influence l’action, le tout dans un cycle95 incessant, d’autant plus source d’apprentissage qu’il s’enrichit à la fois de la pratique et de la théorie. L’action est ici considérée comme une expérimentation active liée à un moment d’observation réflexive. Un praticien réflexif est désireux et capable de se prendre pour objet de sa réflexion. La pensée réflexive est issue du cycle de Kolb: après chaque geste, il s’agit de réfléchir au déroulement de l’action, d’élaborer des hypothèses basées sur les connaissances scientifiques et selon le résultat positif, mitigé ou négatif d’envisager le réajustement à apporter à l’acte. Le but est d’apprendre de 94 Rappelons que derrière ce vocable nous entendons le soignant – éducateur qui accompagne les personnes requérant ses soins mais aussi le cadre en soin de santé qui guide les soignants au quotidien et dans leur formation continue. 95 Cycle de Kolb, pratiques découvertes lors de notre stage au C.H.U.V. à Lausanne. Annexe 3. 67 l’expérience pour développer de nouvelles stratégies face à une situation ou pour comprendre l’écart entre les objectifs et les acquis des apprenants. Pour l’éducation du patient en santé, notre posture sera réflexive car constamment nous devrons nous mobiliser dans ces théories de l’apprentissage pour répondre de la façon la plus adéquate possible aux attentes de la personne requérant nos soins et à son entourage. Quand l’éducation privilégie l’acquisition des savoirs nécessaires à la prévention des complications de la maladie d’un patient considéré a priori comme ignorant, le soignant prend la posture d’un transformateur du niveau de connaissance du patient ; le soigné se retrouve alors dans une posture passive. Nous sommes plus dans l’information, l’instruction que dans l’éducation. Chaque fois que l’éducation se focalise sur l’obtention des comportements adaptés au problème de santé du patient, elle s’inscrit dans une approche behavioriste. Elle vise la suppression de l’erreur et l’adoption de bonnes conduites et s’appuie sur le renforcement positif tels que : « c’est bien, continuez comme cela » ou le renforcement négatif comme «cela fait pourtant plusieurs fois que je vous explique». Le soignant devient alors le transformateur des comportements de l’autre. Nous nous retrouvons plus dans un mode de conditionnement que dans une démarche éducative. Si l’éducation est conçue dans la connaissance de soi du patient, elle s’inscrit dans une approche psychosociale en se centrant sur la capacité du patient à agir sur son environnement. L’activité éducative s’ajuste au processus d’apprentissage des patients, visant l'estime de soi, la confiance en soi, le sentiment d’efficacité personnelle, l’autodétermination afin de l’aider à se sentir maître de son projet de santé et de sa qualité de vie. Ici, nous rejoignons pleinement le concept d’éducation tel que nous l’avons défini précédemment : accompagner l’autre pour qu'il trouve son propre chemin. Éduquer signifie se tenir dans une relation imprévisible, en visant l’autonomie des personnes dans un processus d’émancipation. Tous ces modèles sont utilisés, voire combinés par les soignants qui ont plus ou moins connaissance de leurs fondements. Ils orientent les pratiques éducatives et les dispositifs, en laissant plus ou moins de place aux savoirs que les patients élaborent en vivant au quotidien avec un problème de santé. Notre souhait avec la réalisation de ce travail, est d’expliciter et de souligner l’importance de la place du sujet apprenant afin de cheminer vers un projet éducatif satisfaisant pour les deux partenaires soigné et soignant. Le soigné sera impliqué dans le processus et le sens sera perceptible pour les deux partenaires de la relation éducative. 68 SYNTHÈSE QUAND NOUS ASSOCIONS L’ÉDUCATION ET LA SANTÉ Du grec, ζύνθεζις, synthèse signifie littéralement "le fait de mettre ensemble, de composer, de combiner, d'arranger"; de ζύν "avec" et ηίθημι "mettre, disposer, placer": opération qui procède du simple au composé, de l’élément au tout 96 , par laquelle se rassemble en un tout, divers éléments de connaissance sur le sujet et qui veut donner une vue, qui veut faire le point sur les différentes notions proposées à la réflexion. Après la critique97 des différents termes et concepts, nous formulons une nouvelle proposition différente de celles qui ont été analysées. Il convient de s’entendre sur les mots qui fondent notre réflexion. La démarche éducative est un processus complexe, en pleine évolution, peut être encore en quête d’identité. C’est à partir des mots et de leur sémantique, qu’il est envisageable de se dé-former pour reconstruire une nouvelle approche. L’union de ces deux vocables débouche sur de nombreuses expressions que nous allons tenter de cerner. « À, pour, en », trois prépositions entre les deux concepts que sont l’Éducation et la Santé changent le sens du message que nous voulons passer. Dans la pratique, nous utilisons indifféremment ces expressions qui peuvent être source d’opacité, car elles créent de la confusion dans les pratiques, des malentendus. Les personnes requérant nos soins peuvent percevoir un sens différent de celui attribué par le soignant. Pour éviter la discordance entre l’expression et le modèle, nous allons y réfléchir. Nous relions la notion d’éducation à la santé à la préposition ad. Elle précise la direction de l’acte éducatif, l’idée de diriger vers un but ou l’objet auquel elle se rapporte : la santé. La santé de l’autre est alors l’aboutissement de l’éducation. Elle devient une chose, un objet à acquérir. La notion de santé perd sa dimension dynamique, le terme éducation prend une coloration de conduite et d’instruction. L’expression éducation pour la santé relate le plus souvent un lien de but entre éducation et santé, «dans l’intérêt de, en faveur de,… ». La santé devient la finalité de l’éducation. L’intention de l’éducateur envers l’éduqué sera celle d’acquérir une meilleure santé par 96 97 Le petit Robert, 1997. Dans le sens de l’analyse et de l’opinion que nous pouvons avoir sur un concept. 69 l’acquisition d’un comportement conforme aux normes assurant une « bonne » santé, nous restons à nouveau dans le mode formatif. A contrario, le « pour la santé » pourrait être entendu comme l’accompagnement au pari que le sujet travaille à son bien-être, nous arrivons alors dans une démarche éducative qui tend vers la santé comme un processus dynamique qui permet à chacun de s'adapter à son environnement. Dans l’éducation en santé, la préposition nous suggère le domaine, le champ98, la discipline concernée par l’éducation ; la santé est considérée comme une spécialité de l’éducation99, une composante de la société. Le champ de la santé peut être décrit comme un espace de relation où chaque personne qui entre dans ce milieu doit en maîtriser les codes et les règles internes. L’utilisation du « en », semble augurer d’un modèle moins centré sur le « vouloir pour l’autre », de l’action menée sur l’autre pour qu’il acquière la santé. L’éducation en santé s’adresse à des sujets afin de leur permettre de s’approprier la connaissance en matière de santé comme à des personnes confrontées à des déficiences, pathologies, afin de les accompagner dans le processus de changement qu’elles sont en train de vivre. Ce n’est pas qu’une simple histoire de mots, c’est la conception que nous nous faisons de l’action soignante. Nous n’aurons pas la même attitude, nous ne construirons pas les mêmes situations selon que nous installons avec l’autre soit des rapports mécaniques, soit des relations humaines et sociales. L’éducation thérapeutique du patient est une expression fréquemment utilisée surtout dans la littérature française. Elle touche à la partie de l’éducation directement liée au traitement. C’est un ensemble de pratiques visant à permettre au patient l’acquisition de compétences, afin de pouvoir prendre en charge de manière active sa maladie, ses soins et sa surveillance en partenariat avec les soignants. Elle fait partie de la fonction soignante. Dans le contexte des soins, les recommandations sont centrées sur le rôle propre des soignants. Les termes éducation thérapeutique sont définis par l’OMS, comme l’action étant centrée sur le traitement de la maladie. Il ne peut y avoir de relation éducative dans le rapport thérapeutique. Thérapeutique, « qui concerne le traitement des maladies» selon le Robert, crée avec éducation un oxymore ; procédé stylistique qui consiste en une alliance de mots contraires. Un terme annule l’autre, l’adjectif dénature le nom. Comme nous l’avons vu précédemment l’éducation est 98 Bourdieu P., éditions sciences humaines, 2008 p13. : « Un champ est un microcosme autonome à l'intérieur du macrocosme social.» 99 Eymard C., Essai de modélisation des liens entre éducation et santé, in questions vives, n°5, pp13-34. 70 synonyme d’accompagnement, de recherche de sens, vise l’autonomie de la personne ; la qualifier de thérapeutique, c’est confondre éduquer avec instruire. Éduquer n’est pas seulement donner les procédures pour que le patient les respecte et s'y conforme dans une pensée réduite au curatif. Dans l’éducation thérapeutique, l’activité « éducative » se construit autour de savoirs savants à transmettre au détriment des savoirs expérientiels, le soignant prend une posture d’enseignant. La finalité sera de rechercher l’adhésion du patient aux prescriptions médicales, le renforcement positif des comportements souhaités dans le souci d’éviter la progression de la maladie et la survenue des complications. Nous restons, ici, dans une vision médicale, behavioriste, plus déterministe qu’interactionniste. Deccache et Lavendhomme nous livrent cette définition100 : « L’éducation du patient est donc un processus par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble d’activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation et procédures hospitalières, les comportements de santé et ceux liés à la maladie et destinées à aider le patient (et sa famille) à comprendre la maladie et les traitements, à collaborer aux soins, prendre en charge son état de santé, et favoriser un retour aux activités normales ». Cette définition répond à divers objectifs qui se catégorisent de deux façons ; tout d’abord dans une tendance plus biomédicale, le souhait de compréhension de la maladie, du traitement et la collaboration du patient. D’un autre côté, dans une vision beaucoup plus interactionniste, nous trouvons un patient chargé de prendre en charge son état de santé et envisagé dans son environnement puisque les auteurs prennent en compte sa famille et ses activités habituelles. Cette définition insiste sur l’intégration de l’éducation dans la démarche en soins et envisage le processus éducatif dans sa globalité. Les termes éducation du patient correspondent à notre conception avec cette démarche éducative au cœur de nos soins, pour le patient et son entourage, dans une vision de santé et non uniquement de maladie et qui comprendrait tous les aspects de la prévention et du bien-être psycho-social au même degré que la maladie qui a permis cette rencontre entre le soignant et le malade. L’expression éducation du patient apparaît comme un concept charnière entre l’attitude paternaliste, qui fut longtemps prédominante et qui reposait sur la prétention du soignant à exercer un pouvoir sur son patient au nom de l’autorité que lui conférait son savoir médical et un courant plus actuel fondé sur 100 Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, p 45. 71 l’autonomie du malade et orienté vers une prise en charge plus active de sa maladie par le patient lui-même et son entourage. L’expression qui nous semble le mieux répondre à notre réflexion actuelle est : « éducation en santé du patient ». Le but de cette éducation est que toute personne qui consulte un professionnel de santé101 dans une institution hospitalière ou dans tout autre endroit, quel que soit son état de santé, soit en mesure de contribuer elle-même à maintenir ou à améliorer sa qualité de vie. Elle s’adresse au patient et à son entourage et ne concerne pas uniquement la maladie qui a permis cette relation de soin mais bien la Santé dans toute son approche dynamique et singulière comme nous l’avons évoqué précédemment. Cette éducation part de la personne et s’adresse à elle, singulière dans son contexte de vie, avec ses capacités, ses ressources, ses envies et ses projets. L’éducation en santé du patient, n’est pas un endoctrinement mais bien une sollicitation à la réflexion et une émancipation de l’individu, vers plus d’autonomie. En raison de cette singularité, l’éducation du patient en santé ne peut relever d’une science qu’elle soit médicale ou pédagogique ; en revanche, elle relève de l’art de soigner, elle ne se fonde pas que sur la connaissance mais aussi sur la disposition à saisir, dans l’inattendu et le particulier, les éléments qui seront utiles et porteurs. Le talent de l’infirmier-éducateur sera d’aider la personne requérant ses soins à trouver de nouvelles normes de vie acceptables qui ne seront ni les normes fixées par la médecine ni les normes du patient. Elles constituent cet inattendu qui émergera de la relation éducative. Nous considérons que cette définition correspond le plus à la réflexion que nous voulons mener dans ce travail. Un modèle pour le soignant Comme nous l’avons explicité, notre rôle de soignant-éducateur102 consiste à accompagner le soigné et son entourage dans son cheminement, de le stimuler dans son désir d’apprendre et surtout de l’aider à trouver du sens aux changements proposés. Nous savons que notre mission est de produire les conditions pour que se développent les processus d’apprentissage autrement dit, de créer les conditions pour permettre l’appropriation de savoirs, d’attitudes, de gestes, de compétences. Dans la perspective où le soigné-apprenant donne sens à l’information qui lui arrive, et non pas l’inverse, il faut 101 Nous avons réduit ce champ à l’infirmier dans le cadre de ce travail. L’éducateur est celui qui a pour mission d’installer une intervention éducative quels que soient son statut ou son titre. C’est pour signaler une posture. Il est essentiel de le distinguer des travailleurs dont le titre officiel est « éducateur.» L’éducation du patient n’est pas le propre d’une profession particulière, c’est un travail réparti entre diverses professions et diverses activités. 102 72 pouvoir « entrer en contact » avec lui. L’environnement, que nous pouvons développer autour du soigné, lui fournira des supports nécessaires pour rendre possible cette création de signification. L’environnement didactique103 qu’il est souhaitable de créer autour du soigné va le stimuler dans son désir d’apprendre et donner du sens aux changements proposés. Cet environnement ne peut être envisagé a priori104, il est indispensable qu’il interagisse avec le schème de pensée de la personne malade pour le conduire à élaborer des croyances de santé plus adéquates pour vivre en santé avec sa maladie. Voici toute la complexité de la démarche éducative appliquée au soin. Ce modèle rassemble les concepts que nous avons évoqués tant sur le soin que sur l’éducation avec les modèles d’apprentissage pour nous proposer une synthèse propice à aider la personne malade requérant nos soins. L’environnement, que nous, soignants, constituons, stimulera le soigné à apprendre et l’aidera aux changements de comportement bénéfiques pour sa santé dans le respect de sa spécificité. Le modèle allostérique de l’apprentissage105 Giordan106 nous propose un « modèle allostérique de l’apprentissage » : il compare l’apprentissage à la propriété de protéines dont le site actif varie en fonction de l’environnement. Il conçoit ce modèle comme un ensemble de conditions propres à générer des apprentissages. Nous retrouvons dans ce modèle des concepts perçus dans tous les théories précitées et l’élément sur lequel Giordan insiste c’est l’environnement facilitant développé autour de l’apprenant. Ce n’est pas un nouveau modèle mais une modélisation des concepts évoqués précédemment Ces éléments modélisés vont nous aider au transfert dans notre démarche éducative et de transposer ces notions enseignant/apprenant à nos pratiques quelques fois maladroites ou hésitantes d’éducation du patient en santé. 103 La didactique s’élabore entre le maître et le savoir qui lui faut repenser pour être transmissible : Beauté J., les courants de la pédagogie contemporaine, chronique sociale, 1994, p 22. Art de bien faire passer un message. « Une anticipation de ce qui va se passer en classe »Tochon cité par Donnadieu B., Genthon M., Vial M., Les théories de l’apprentissage, quel usage pour les cadres de santé ? Masson, 1998, p 65. Schématiquement, la pédagogie définit des méthodes, des démarches qui permettent de guider l'élève dans des apprentissages. La didactique, quant à elle, s'affirme davantage comme une réflexion sur ce que l'on nomme les « savoirs savants » et la façon de les transposer afin de les rendre accessibles aux élèves. 104 Aucune procédure figée ne peut être adoptée compte tenu de la diversité des soignés et des situations. Si l’ambition de l’éducation en santé du soigné est d’accroître son autonomie et sa qualité de vie, les moyens pour y parvenir ne peuvent être définis que conjointement par le soigné et les soignants. 105 Le vocable « apprentissage allostérique », provient d'une métaphore biochimique. André Giordan a utilisé cette métaphore lors d'une série de conférences, en 1988. Elle concerne la structure et le fonctionnement de certaines protéines dites "allostériques". Ces molécules enzymatiques, fondamentales pour la vie, changent de forme, et donc de fonction, suivant les conditions de l'environnement dans lequel elles se trouvent. Annexe VII. 106 Né en 1946, agrégé de biologie, président de la Section des Sciences de l’Education à Genève. 73 Trois idées principales constituent le modèle. Tout d’abord les principales caractéristiques de l’acte d’apprendre ensuite les obstacles qui peuvent nuire à cet apprentissage et enfin les indications pratiques sur les environnements éducatifs. Ce dernier aspect du modèle, appelé environnement didactique, nous semble d’ailleurs très intéressant car il propose un ensemble de conditions propres à générer les apprentissages. Nous allons passer en revue les grandes lignes de ce modèle en le transposant dans le cadre de la relation éducative qui réunit soigné et soignant. Les principales caractéristiques de l’acte d’apprendre Comme nous l’avons vu dans le modèle interactionniste, apprendre est un processus de déconstruction parallèle à celui de construction, le but étant de changer les représentations ou conceptions107. Le soigné ne part pas de rien, il possède ses conceptions qui lui fournissent son cadre de références. C’est à travers elles qu’il interprète les situations auxquelles il est confronté et qu’il décode les nouvelles informations. Inutile d’imaginer un grand nettoyage de ces conceptions pour amener un nouveau savoir. L’infirmier-éducateur peut multiplier les arguments, les exposés, le patient ne se débarrasse pas facilement de ses croyances. Il importe d’en avoir conscience et de tenter de faire évoluer ses conceptions. Un patient aurait par exemple une crainte démesurée vis-à-vis de l’oxygène parce quelqu’un dans son entourage a été brûlé alors qu’il fumait avec l’oxygène. L’infirmier ne peut ignorer cette croyance, il doit la transformer au risque que le patient n’utilise pas ce traitement qui lui sera bénéfique. Apprendre, c’est donc autant de la déconstruction que de la construction : cette activité est difficile, une croyance de santé ne s’ébranle pas après un premier entretien. Nous retrouvons, ici, le conflit cognitif108 : le conflit d’idées, l’affrontement d’opinions peut opérer une rééquilibration majorante c’est-à-dire un dépassement de la pensée. En éducation du patient en santé, le travail de groupe comme l’intervention de différents soignants 109 contribue comme déclencheur. La confrontation, que ces interactions engendrent, va encourager la motivation. Ces rencontres donnent envie au soigné de défendre ses idées, de les argumenter au point de provoquer chez lui des perturbations de ses conceptions sur des points qu’il pensait maîtriser. Ceci conduit à une transformation des idées et 107 Écart entre la pensée de l’apprenant et la pensée scientifique. Giordan utilise le terme conception trouvant le vocable représentation trop polysémique. 108 Cf. le socioconstructivisme, supra p 64. 109 Nous parlons, ici, non seulement des infirmiers mais aussi des kinésithérapeutes, diététiciens, psychologues, aidessoignants, médecins, etc. 74 amène de nouveaux savoirs. Ces apports sont d’autant plus efficaces qu’ils sont nombreux et indirects. Le conflit est l’instant initiateur de la négociation et de l’apprentissage ; il ne suffit pas au processus d’apprentissage, une activité d’élaboration doit se mettre en place en parallèle. Cette activité réalisée par la personne se fait en confrontant les connaissances mobilisées et les informations nouvelles mises à disposition par le soignant-éducateur. Dans le même temps, ce n’est que lorsqu’une connaissance revêt pour lui un sens, quand il perçoit un bénéfice qu’il se l’approprie. Apprendre est un processus personnel mais qui ne peut se passer de l’autre et d’un environnement propice. Le rôle du soignant-éducateur sera d’accompagner le patient avec un mot, une émotion, une écoute, des documents appropriés, tout élément susceptible d’interférer avec ses conceptions. Les croyances de santé du patient participent à son équilibre et même à sa sécurité de base. Nous devons être attentifs : toute remise en question est vécue comme déstabilisante et même être spontanément évitée. Notre implication se situe donc dans le décodage de ces conceptions, par l’écoute et le dialogue. Nous devons accompagner le patient dans la prise de conscience du bénéfice à se traiter. C’est la personne malade qui s’engage personnellement dans un processus d’appropriation de sa maladie, par le biais d’une modification de ses croyances de santé. L’infirmier doit repérer les circonstances estimées comme facilitant l’éducation du patient mais également les points de résistance, les évitements et les fuites. Tous ces éléments ouvrent le dialogue et permettent l’évolution de la démarche éducative. Les obstacles à l’apprentissage En premier lieu, le patient peut manquer d’information, mais quelquefois, même si cette information est disponible, il ne souhaite pas changer de conception, il croit savoir, ne se pose pas de question. Nous rencontrons souvent des patients qui sont préoccupés par d’autres problèmes110 et donc peu motivés face au nouvel apprentissage. Rappelons également que le vocabulaire ou jargon utilisé par les soignants laissent peu de place à la compréhension du soigné qui « n’ose » pas toujours demander des compléments d’information ou une reformulation. Enfin, il peut posséder des conceptions qui l’empêchent de percevoir ou d’intégrer une nouvelle information, il ne détient pas les outils nécessaires pour comprendre et intégrer. 110 Revoir les stades d’acceptation de la maladie. 75 La conception que la personne malade a de sa maladie, du traitement ou de la santé est souvent peu explicitée. Or, ce sont souvent ces aspects qui sont des obstacles. Notre rôle de soignant se situe là, permettant l’expression des attentes, suscitant l’échange ; il s’agit d’établir une relation de confiance pour que le soigné puisse formuler ses ressentis, ses craintes et ses questions. L’appréhension des conceptions du soigné est une étape primordiale dans la démarche éducative. Le patient ne cherche pas toujours à comprendre le pourquoi de ses façons de faire. À partir des motivations du patient, il est possible de trouver une accroche qui facilite les apprentissages. Le soignant-éducateur doit amener le patient à réfléchir sur la maladie, à l’impact qu’elle peut avoir sur sa vie ; l’important est de tenir un discours proche de la réalité. Avec l’aide du soignant, le patient doit prendre du recul sur ses connaissances, ses croyances et valeurs. Cette distanciation va lui permettre de mieux intégrer la maladie et son traitement et l’amener à modifier son comportement. Le soignant, en aidant le patient à s’auto-observer, va l’aider à prendre conscience de ses valeurs, de ses peurs ce qui va aboutir à une réflexion sur lui-même. Le corps est le lieu de la santé ou de la maladie111. L’important pour la personne malade est d’apprendre à être à l’écoute de son corps, à ressentir les sensations. La perception des ressentis désagréables comme la manifestation d’un symptôme ou agréables par l’efficacité d’un traitement va participer à l’apprentissage du patient. Remettre son corps en perception va permettre à la personne d’analyser, de s’expliquer le moindre signe et va donc lui donner les moyens de contrôle. 111 Golay A., Lagger G., Giordan A., Comment motiver le patient à changer ?, Maloine, 2010, p 55. 76 L’environnement éducatif « allostérique » Le processus d’apprentissage du patient est facilité par un environnement favorable. Giordan parle d’un environnement didactique facilitateur112. Il s’agit de mettre en relation différents paramètres pour apprendre. En quelques mots, nous allons expliciter ces paramètres qui sont énumérés de façon aléatoire, chacun ayant la même importance. J’ai confiance (Moi, situation, médiateur) Je suis concerné, interpellé, questionné J’y trouve un plus (intérêt, plaisir, sens Je fais des liens Je prends appui sur mes conceptions Je me lâche J’ancre les données J’apprends si… Je trouve des aides à penser (Symboles, schémas, analogies, métaphores, modèles) Je me confronte (Autres, réalité, informations) Je mobilise mon savoir Je prends conscience du savoir (Intérêt, structure, processus) Je prends appui sur mes conceptions : la personne agit en cohérence avec sa façon de penser. Je me confronte : la confrontation permet l’expression, engendre la motivation. Le patient n’entre pas en confrontation quand il nie113 la réalité parce que celle-ci lui fait peur ou le déstabilise. Je me lâche : il est important d’introduire une dissonance qui va perturber la validité des croyances du patient et qui va lui permettre de lâcher prise. 112 113 Giordan A., Saltet J., Apprendre à apprendre, librio, 2007, p 19. Cf. les stades d’acceptation de la maladie, annexe I. 77 J’y trouve un plus : dans la mesure où il demande des efforts, l’acte d’apprendre ne peut se réaliser que s’il apporte un plus. Le processus est facilité par des situations donnant du sens, qui concernent le patient et le questionnent, qui déclenchent son intérêt et sa curiosité. Je mobilise mon savoir : le savoir acquis doit être mobilisé à intervalles réguliers, réutilisé dans des situations différentes, dans des imprévus. L’échange de connaissances entre les patients est aussi une autre forme de mobilisation : chaque patient a des savoirs qui vont intéresser les autres. Je prends conscience du savoir : au cours de ce transfert de connaissances, le patient devient non seulement acteur mais aussi auteur de ses savoirs. Il est intéressant que le patient reformule des résumés de ses apprentissages. Je fais des liens : apprendre, c’est relier les nouvelles informations à sa propre histoire. Dans le cadre de l’éducation du patient en santé, il est important qu’il puisse faire un lien entre les symptômes et le bénéfice du traitement. Je trouve des aides à penser : ce sont des schémas, des modèles que l’infirmier met à disposition du patient pour l’aider à penser. Les métaphores, les images l’aideront à comprendre certaines situations et participeront à sa réflexion. Je suis concerné, interpellé, questionné : les situations, défis qui questionnent le patient, déclenchent l’envie d’apprendre. J’ai confiance : la confiance que peut donner le soignant est très importante pour la mise en place de la dynamique d’apprentissage. Le but est d’aider le patient à s’auto-observer : métacognition114, une démarche de zoom arrière qui le conduit à une réflexion sur l’image et l’estime de soi. J’ancre les données : apprendre conduit à penser autrement. Le but est d’élaborer de nouvelles explications pour guider ses actions ou prendre ses décisions de manière plus satisfaisante. Tous ces principes énumérés succinctement sont essentiels pour apprendre. Toutefois, tous ces éléments peuvent être présents et rien ne se passe. Nous l’avons suffisamment souligné, chaque soigné est différent et tout se joue dans cette singularité. Pour apprendre, il faut être perturbé dans ses certitudes mais trop de confrontations peuvent paralyser. Tout bouleversement doit aller de pair avec une confiance en soi et l’assurance 114 Cf., p 60. 78 d’un accompagnement115, dans le sens « aller avec », avec cette idée de mouvement, d’une chose qui commence et dont on ne connaît pas l’aboutissement. Tout changement de conception ou de comportement s’opère de façon discontinue. La connaissance des conceptions permet au soignant de choisir les environnements didactiques les mieux adaptés pour faciliter l’accompagnement. L’erreur ne doit pas être un frein mais bien productrice de sens. Elle fait partie du parcours didactique du soigné, loin d’être un obstacle, elle sera explorée pour devenir un levier. Rappelons que le soigné n’est pas le seul à présenter une résistance au changement, les résistances sont également présentes chez les soignants qui n’acceptent pas toujours les erreurs, craignant que l’idée fausse ne s’ancre plus chez le soigné. De nouveau, la compréhension et l’explicitation de tous ces concepts par le cadre de santé permettra une meilleure prise en charge par le soignant et finalement soignant et soigné en seront les bénéficiaires. 115 « L’accompagnement se constitue dans une logique intégrant l’incertitude, l’aléa, le non-ordre et incite à la modestie : il est possible que quelque chose échappe.» Hévin & Turner cité par Vial M. La dame de compagnie et la princesse. Qui accompagne qui ? http://www.michelvial.com/boite_06_10/2010La_dame_de_compagnie_et_la_princesse_Qui%20accompagne_qui.pdf, consulté le 13 août 2010. 79 CONCLUSIONS Phénomène récemment conceptualisé, l’éducation du patient a beaucoup évolué ces dix dernières années : partant de pratiques où elle était centrée essentiellement sur l’enseignement de notions, progressivement s’est imposée l’idée que le soignant ne se substitue pas au patient ce qui aboutit à une démarche centrée sur l’accompagnement de l’autre en interaction avec sa propre expérience. Cette mutation n’est pas encore arrivée au cœur de nos soins. Ce sont quelques tentatives, ici, une philosophie d’institution de soins plus orientée vers ce paradigme, là-bas des personnalités convaincues développant des initiatives individuelles mais nous sommes encore loin d’une politique éducative généralisée dans le système de soin actuel116. L’éducation du patient en santé semble un concept simple mais pour l’infirmier, visiter la pédagogie, s’interroger, adopter une attitude réflexive, repartir du ressenti des personnes malades relève du défi dans notre culture de l’acte et de la prescription. Quels comportements le soignant doit-il adopter pour aider la personne confrontée à une maladie? Quel chemin doit-il parcourir pour l’aider à vivre en santé? Vers quel compromis se diriger, tiraillé par des conceptions souvent tellement opposées ? Toutes ces questions seront suscitées, encouragées par le cadre en soins de santé. C’est en partenariat avec les membres de l’équipe soignante que le cadre clarifiera ces questions afin de trouver des réponses satisfaisantes aux attentes du soigné et des soignants. Dans l’accompagnement de la personne malade vers un changement de comportement, le soignant-éducateur détient un rôle primordial. Le soigné reste le seul véritable auteur de sa formation, nous ne pouvons pas apprendre à sa place, mais, comme nous l’avons détaillé dans les concepts de l’apprentissage, il ne peut apprendre seul. La personne malade ne pourra pas découvrir elle-même tous les éléments nécessaires pour (com)prendre sa maladie et son traitement. Le soigné n’engagera une modification de comportement que s’il a une bonne estime de lui et une confiance suffisante en sa capacité à mettre en œuvre le changement. Le 116 Ordre National des Infirmiers, n°2, mai 2010, p 4 : En France, la loi Bachelot de juillet 2009 fait de « l’éducation thérapeutique » une des priorités des politiques de santé publique. L’ordre infirmier constate, dans les faits, le rôle central de l’infirmier dans cette activité. Il remarque également que ce rôle est peu reconnu et pas valorisé. L’Ordre Infirmier français prône une prise en compte de cette activité tant dans les institutions de soins que dans le cadre d’une « consultation infirmière », cette activité éducative faisant partie intégrante de son rôle propre et autonome. 80 soignant veillera à susciter et encourager sa motivation117, il cherchera à interpeller le patient sur ses projets et l’amènera à une phase de questionnement. Les situations éducatives doivent motiver, amener de la nouveauté. Des énoncés péremptoires du soignant placent la personne malade dans une position de consommateur voire d’assisté. Le processus éducationnel doit susciter la curiosité, permettre à la personne d’opérer des choix. La motivation même de l’infirmier constitue un élément positif dans l’apprentissage. Un soignant compétent et motivé permet au patient de se dépasser. Le progrès, la réussite que la personne118 rencontre sont aussi des éléments positifs de motivation. Ils donnent au patient un ressenti agréable et de l’assurance. Les bénéfices trouvés auprès du traitement permettent au patient de déceler du sens à ses actions et à son tour, le sens stimule la motivation. Cette conception de l’éducation suppose une écoute active, un dialogue entre le soignant et le soigné, une réflexion conjointe pour définir les pratiques qu’il faut respecter de part et d’autre. La formation de l’éducateur ne peut se fonder uniquement sur des connaissances et compétences théoriques, elle se base aussi sur un mode expérientiel : c’est par la rencontre de situations toujours différentes que se cultive l’aptitude à comprendre l’autre. C’est du soigné, de ce qui fait son histoire et sa singularité, que le soignant apprend à devenir éducateur et ainsi l'aider à définir de nouvelles normes de vie. L’éducation, c’est l’ouverture vers une altérité que l’on cherche à comprendre pour mieux accompagner. Au départ, le soignant et le soigné ont chacun une perception de la maladie ; que le premier aborde avec un regard scientifique, et le second comme un vécu, un ressenti. L’éducateur est amené à prendre en considération ce vécu, sans pour autant renoncer à une approche objective de la pathologie. Les paroles du soigné seront entendues par le soignant-éducateur s’il veut en comprendre toute la portée et prendre en compte le poids de la souffrance qu’elles recèlent. Le refus de modifier son mode de vie et l’absence d’adhésion aux traitements signent la difficulté du patient à intégrer la maladie dans le scénario de son existence, voire un sentiment de révolte face à une situation qu’il ne parvient pas à accepter : difficulté à accepter l’irréversible lors de l’annonce d’un diagnostic, à 117 Giordan A., Saltet J., Apprendre à apprendre, librio, 2007, p 25.Annexe VIII. Derrière ce vocable, nous pouvons deviner le soigné mais aussi le soignant qui retirera assurance et motivation grâce à la réussite de la démarche éducative. 118 81 renoncer à ce qui fut jusque là constitutif d’une identité, à accepter une réalité qui altère en profondeur la représentation que l’on se fait de sa propre existence. Pour l’éducation du patient, l’infirmier est à la fois ingénieur et bricoleur119 : il élaborera des plans d’action, des préparations de séquences, une organisation de progression, actions qui rappellent l’ingénierie ; comme un bricoleur, il utilisera les moyens du bord quand il n’a pas à disposition les outils escomptés. Sans cesse, l’infirmier-éducateur combinera les protocoles rationnels avec des espaces de créativité où les connexions imprévues, l’émotionnel, l’affectif trouvent toute leur place. Il rassemblera les éléments appartenant à des modèles et des concepts différents, en évaluant leur signification et en les réutilisant. Nous terminons cette réflexion par les propos de Lecorps120 qui résume nos propos : « Penser l’éducation, c’est accepter le patient comme sujet désirant, l’accompagner pas à pas dans son effort de se réapproprier la vie que la souffrance et la maladie ont momentanément ou pour toujours perturbée. C’est le patient dans son aveuglement même qui est le guide, car lui seul est à même d’indiquer le sens. » Soignants, nous souhaiterions avoir devant nous un soigné rationnel, voulant son « bien » pour pouvoir le soulager et le soigner. L’expérience quotidienne est souvent déroutante et éloignée de ce postulat. La personne qui requiert nos soins est un sujet-désirant121, auteur de sa vie, sujet humain. Dans la démarche éducative, le soignant n’est pas dans la recherche de la maîtrise de tous les compartiments de la vie du patient, il accompagne un sujet en souffrance pour l’aider à trouver de nouvelles normes compatibles avec sa vie. La démarche éducative est un vécu et dans ce sens, elle se situe aussi dans un continuum entre « être avec, accompagner122 » et « guider123 », entre un « être là » qui vise à aider l’autre à opérer son remaniement, à grandir et le souhait du soignant à guider le soigné vers des savoirs à acquérir. La position sur ce continuum n’est pas fixée, elle dépendra du soigné comme du soignant, elle leur appartient dans leur singularité. 119 Lévi-Strauss C., La pensée sauvage, Paris, Ed. Plon, 1960, p 27. Lecorps P. cité par Sandrin-Berthon B., l’éducation du patient au secours de la médecine, puf, 2000, 197p. 121 Lecorps op cit. 122 Accompagner : se joindre à quelqu’un pour aller où il va en même temps que lui. (le petit Robert). L’accompagnateur ne dirige pas celui qu’il accompagne, il ne lui indique ni vers où ni comment il doit marcher. 123 Guider : accompagner quelqu’un en montrant le chemin (Le petit Robert) consiste à montrer, autrement dit à mettre devant les yeux, à présenter ou à déployer, à disposer de telle sorte qu’un observateur puisse voir. Cela suppose que, sur ce chemin, le guide avance en éclaireur parce qu’il a la pratique du chemin. 120 82 PERSPECTIVES En Belgique, un Arrêté Royal124 du 15 décembre 2008 reconnaît la consultation infirmière dans le cadre des soins à domicile. Cette prestation comprend la détermination des problèmes infirmiers de santé du patient et la formulation d’objectifs de soins en concertation avec le patient et/ou son entourage. Cette prestation peut être attestée pour tout patient à qui un soin d'hygiène est dispensé au minimum deux fois par semaine et pour autant que les soins d'hygiène soient dispensés pendant une période ininterrompue de 28 jours. L’A.R. ne parle pas d’éducation mais il reconnaît la prestation « intellectuelle», ce qui est déjà un grand pas car toute la liste d’actes est composée d’actes « techniques ». Ce temps reconnu, qui n’est pas lié à une activité technique, constitue une évolution dans la reconnaissance de l’activité infirmière vers plus d’autonomie. De plus, cette prestation fait partie de son rôle propre, elle ne nécessite pas de prescription médicale. Par la fixation d’objectifs de soins et le partenariat avec le soigné, cette disposition facilitera la démarche éducative de l’infirmier auprès du patient et de son entourage. Élaborée en 2007, la version actualisée de l’outil DI-RHM125 avec ses 79 items reconnaît l’éducation du patient comme activité infirmière. Elle est proposée dans tous les domaines du soin. Sa pratique consiste à évaluer les connaissances du patient ou de sa famille et ensuite informer, sensibiliser ou permettre d’acquérir certaines connaissances, capacités ou compétences au niveau d’une fonction comme l’alimentation, l’élimination, etc. Après le soin éducationnel, une évaluation est demandée. Le temps reconnu pour l’acte éducationnel est important, de l’ordre du temps nécessaire pour la réalisation d’un soin technique. Ces deux récentes avancées nous semblent de bon augure pour le développement du concept de l’éducation en santé du patient car la reconnaissance « officielle » va encourager sa pratique. Le phénomène sera double, les institutions, demanderesses d’activités reconnues par les pouvoirs subsidiants encourageront la formation permanente sur ces sujets auparavant délaissés, et les infirmiers, reconnus dans leurs démarches, renforceront cette activité. 124 http://www.infi-services.org/admin/uploads/pdf/21_AR20081215ConsultationInfirmi%C3%A8re.pdf consulté le 24 août 2010. 125 Données Infirmières du Résumé Hospitalier Minimal. http://www.belspo.be/belspo/home/publ/pub_ostc/AP/rAP17_nl.pdf consulté le 23 mars 2010. 83 La perspective de ce travail reste le questionnement que nous voulons introduire dans les pratiques soignantes. La formation, permettant d'initier les professionnels à des concepts qu’ils maîtrisent peu, nous aidera à faire évoluer nos pratiques soignantes, contribuant ainsi à notre développement professionnel et identitaire. Le cadre de santé exerce une profession qui constitue l’évolution d’une autre profession, pour nous, infirmière. Notre cursus professionnel nous porte naturellement vers l’attention à l’autre. Cadres, nous sommes garants du respect des valeurs dans la relation soignant-soigné, soyons de la même façon garants de la relation soignant-soignant par notre management. Entreprendre les études de cadre, c’est faire un pas de côté, s’arrêter et réfléchir. Après quelque temps, nous percevons le groupe dont nous sommes issus, la profession infirmière, avec un peu de recul, de façon plus globale et critique. Critique n’est pas à lire dans un sens négatif mais bien dans le sens de l’analyse, de l’estimation, de l’évaluation et de l’opinion que nous pouvons avoir de celle-ci. La critique relève autant les points forts que les points faibles. Nous sommes dans la logique de la découverte et le voyage est plus ou moins long selon l’envie et la détermination qui nous poussent. Le but du voyage est devant nous mais les chemins de traverses à parcourir sont nombreux, et eux-mêmes sources d’enseignement et de nouveaux défis. L’épreuve intégrée, au bout de ce cycle d’« apprentissage », nous relance de façon toute personnelle vers une expédition plus individuelle qui nous fait parcourir des voies déjà explorées. Nous découvrons alors avec un autre regard, avec de nouvelles significations, mobilisant d’autres ressources. Tout au long de la route, nous avons découvert et exploré des concepts qui sous-tendent cette démarche éducative. Ce travail a essayé de vous faire partager, non pas nos certitudes, mais bien notre recherche et notre cheminement. Durant ce voyage, la route était sinueuse, souvent en friche et l’exploration comme le tâtonnement nous ont permis des découvertes personnelles et humaines. Je vous ai emmené sur le sentier, quelque peu éclairci de ma réflexion sur l’éducation du patient. «Dans la logique de la découverte, l'important n'est pas tant le but du voyage que le voyage en tant que tel.» Venez nombreux, il reste beaucoup à visiter et le voyage vous ravira ! 84 BIBLIOGRAPHIE Livres Altet, M., Les pédagogies de l’apprentissage, Puf, 1997, 126 p. Beauté J., Les courants de la pédagogie contemporaine, chronique sociale, 1994, 175 p. Bru M., Les méthodes en pédagogie, puf 2006, 127 p. Bury J., Education pour la santé. Concepts, enjeux, planifications, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1988, 235 p. Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Paris, PUF, 1988, 217p. Crahay M., Psychologie de l’éducation, puf, 1999, 373 p. Collière M.-F., Promouvoir la vie, inter éditions, 1992, 391 p. Curchot C., Relations soignants-soignés, prévenir et dépasser les conflits, Masson, 2009, 212 p. Deccache A., Lavendhomme E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, Bruxelles, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1989, 239 p. d’Ivernois J.-F., Gagnayre R., Apprendre à éduquer le patient, 3ème édition, Maloine, 2008, 146 p. Donnadieu B., Genthon M., Vial M., Les théories de l’apprentissage, quel usage pour les cadres de santé ? Masson, 1998, 128 p. Giordan A., Saltet J., Apprendre à apprendre, librio, 2007, 94 p. Golay A., Lagger G., Giordan A., Comment motiver le patient à changer ?, Maloine, 2010, 247 p. Herzlich C., Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale, Paris, La Haye, Mouton, 1969, 208 p. Lacroix A., J.-P. Assal. J.-P, L’éducation thérapeutique des patients. Nouvelles approches de la maladie chronique, 2ème édition complétée, Maloine, 2003, 240 p. Le Robert, 1997. Lombard J., Vandewalle B., Philosophie et soin, les concepts fondamentaux pour interroger sa pratique, Seli Arslan, 2009, 238 p. Poeydomenge M-L., L’éducation selon Rogers, les enjeux de la non-directivité, Dunod, Paris, 1984, 194 p. Pourtois J.P., Desmet H., L’éducation postmoderne, puf, 1999, 311 p. Raynal F., Rieunier A., Pédagogie, dictionnaire des concepts clés, ESF, 7ème édition, 2009, 507 p. Rohart, J.D., Carl Rogers et l’action éducative, chronique sociale, 2008, 215p. Sandrin-Berthon B., L’éducation du patient au secours de la médecine, puf, 2000, 197p. Stordeur J., Enseigner et/ou apprendre, de Boeck, 1996, 112p. Thomas G., L’éducation du patient, structuration, organisation et développement, soins infirmiers la pratique, éditions Kluwer, 2003, 152 p. Revues Bulletin éducation du patient de 1999 à 2001. Education du Patient & Enjeux de santé de 2002 à 2009. Cultru C., Patient ou consommateur, in Droit, déontologie et soin, vol 4, n°1, mars 2004, pp34-56. Drevet S.et Al., Démarches relationnelles et éducatives in nouveaux cahiers de l’infirmière, n°3, 2002 p195. Eymard C., Essai de modélisation des liens entre éducation et santé, in Questions vives, n°5, pp13-34. Formarier Monique, Méthodologie, La relation de soin, concepts et finalités, in Recherche en soins infirmiers, N°89, juin 2007, pp33-42. Grousset Sylvie, Intégrer la démarche relationnelle dans la démarche clinique in Revue soins n°681, décembre 2003, Masson. Jourdan D., Berger D., De l'utilité de clarifier les référents théoriques de l'éducation pour la santé, in La santé de l’homme 377 | mai/juin 2005, pp 17-20. Manderschield JC., Quelles recherches pour l’éducation à la santé, in Revue française de pédagogie, vol 114, 1996, pp 53-65. Dossier : Patient, usager…client ? La demande des personnes, la réponse des soignants, in Soins cadres n°36 & 37 2000/2001. Vial M., Eduquer à ou pour la santé, quels enjeux pour la formation et pour la recherche ? in Questions vives n°5, pp 49-82. Conférences Colloque PAS, AIEP, le 16 octobre 2008 à Liège. Conférence du CIESP, « Processus d’éducation du patient », le 20 novembre 2008, à Liège. Conférence du CIESP, « Analyse des besoins et processus éducatif », le 26 février 2009, à Bruxelles. Conférence du CIESP, « Construire l’alliance thérapeutique », le 26 mai 2009, à Mon-Godinne. Conférence du CIESP, « Itinéraire clinique & itinéraire thérapeutique », le 29 octobre 2009, à Charleroi. Mémoires Verstraete I., Organisation hospitalière de l'éducation du patient : le point de vue des infirmiers-chefs, TFE présenté en juin 2008. Vantomme P., Infirmière : une profession en mouvement ! année académique 1992-1993 Cours Cours suivis dans le cadre de la formation de cadre en soins de santé, école de promotion sociale de Tournai, années 2007-2010. Sites internet http://www.europsy.org/marc-alain/represoc.html consulté le 16 mars 2010. http://www.hrzkmo.fgov.be/Portals/hrzkmo/fr/Legislation/Prof%20intellectuelles/Med ecin.pdf consulté le 04 avril 2010. http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/article.php3?id_article=24, consulté le 03 janvier 2009. http://fr.wikipedia.org/wiki/Hippocrate, http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_des_humeurs, consulté le 28 mars 2010. http://www.michelvial.com/boite_06_10/2010La_dame_de_compagnie_et_la_princesse_Qui%20accompagne_qui.pdf, consulté le 13 août 2010. http://www.infiservices.org/admin/uploads/pdf/21_AR20081215ConsultationInfirmi%C3%A8re.pdf consulté le 24 août 2010. http://www.belspo.be/belspo/home/publ/pub_ostc/AP/rAP17_nl.pdf consulté le 23 mars 2010. ANNEXE Annexe I Le résultat de deux processus différents face à la maladie.126 126 Lacroix A., J.-P. Assal. J.-P, L’éducation thérapeutique des patients. Nouvelles approches de la maladie ème chronique, 2 édition complétée, Maloine, 2003, 240 p. I Annexe II Modèle Médical 127 Caractéristiques Description L’objet principal est la maladie La santé est vue comme l’absence de maladie. Le traitement a priorité sur la prévention Doctrine des causes spécifiques Les séquelles physiques du traitement ou du non traitement reçoivent plus de considération que les préoccupations psychologiques, économiques ou de la qualité de vie La biochimie, l’histologie et l’anatomie reçoivent plus d’attention dans l’éducation médicale. La maladie est comprise en termes réductionnistes. La maladie est fondamentalement un phénomène biologique. La maladie est provoquée par un agent causatif unique. Modèle Global Caractéristiques Description L’objet principal est la La santé est un état positif basé sur un santé bien-être physique, social et mental. La prévention et la promotion de la santé ont la priorité Les personnes doivent être comprises dans une perspective holistique Le consommateur est une personne avec de nombreuses pensées, valeurs, aspirations, croyances et sentiments. La maladie est vue comme ayant une cause multifactorielle. Elle est fréquemment une réponse adaptative à des dislocations dans l’environnement du patient. La santé est une valeur parmi d’autres en compétition Nature dualiste de l’esprit et du corps. Le corps est sujet aux mêmes lois naturelles que les animaux et peut être considéré séparément de l’esprit. Le corps et l’esprit ne peuvent être séparés. La maladie a une composante psychologique et physique. Il n’est pas utile d’ignorer l’une ou l’autre sur les plans conceptuels, cliniques ou des programmes. Paternalisme. Le médecin sait plus que le patient à propos de sa maladie, des traitements et agit au mieux des intérêts du patient. Le physicien connait le mieux le cours du traitement. Le soignant est une personne ressource. L’éducateur est vu comme une personne qui a un savoir et des aptitudes dans le domaine de la santé pour aider le patient à changer de comportement et faire face à la maladie. Leur pouvoir a des bases différentes. Pour le praticien, le pouvoir vient de son savoir supérieur sur la santé et la maladie et de sa capacité à fournir de l’assistance dans les moments de détresse. Le pouvoir du patient vient du fait qu’en fin de compte il décide de suivre ou non les conseils du soignant. Les pouvoirs du clinicien et du patient sont les mêmes. Patient passif Les patients ne doivent pas avoir un rôle actif dans le diagnostic et les traitements. Le patient est actif. Le patient choisit les mesures préventives et thérapeutiques à suivre. Orientation sur l’individu. Intérêts du patient. Biais d’action. Le traitement médical n’assiste pas seulement le corps pour guérir mais prend le dessus sur les fonctions corporelles 127 Le traitement de la maladie est centré sur le patient individuel. Une considération moindre est accordée à l’environnement de la personne sociale et physique. Le médecin est avant tout l’avocat des intérêts du patient avec une considération moindre pour les intérêts de la société. L’intervention médicale est préférable à l’absence d’intervention. Il vaut mieux diagnostiquer la maladie chez une personne bien portante que de passer à côté d’une maladie chez une personne malade. L’homme est le maître de la nature, le corps est manipulé de l’extérieur. La plupart des mesures de santé, promotion, prévention et traitement sont choisies et entreprises par le consommateur. L’information et les autres expériences éducatives peuvent ellesmêmes être thérapeutiques. Seul un faible pourcentage des problèmes de santé demande l’attention des professionnels. Dans beaucoup de cas, le consommateur est le fournisseur des soins de santé. Informer le patient du diagnostic et du pronostic peut en soi-même apporter un soulagement. Bury J., Education pour la santé. Concepts, enjeux, planifications, De Boeck Université, Collection « Savoirs et Santé », 1988, p 35. II Annexe III La définition de la santé de l'OMS128 La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. La citation bibliographique correcte de cette définition est la suivante : Préambule à la Constitution de l'Organisation mondiale de la Santé, tel qu'adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l'Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. La définition n'a pas été modifiée depuis 1946. 128 http://www.who.int/about/definition/fr/print.html III Annexe IV Déclaration d'Alma-Ata (Organisation Mondiale de la Santé - 12 septembre 1978). http://cyes.info/themes/promotion_sante/declaration_alma-ata.php La conférence internationale sur les soins de santé primaires, réunie à Alma-Ata ce 12 septembre 1978, soulignant la nécessité d'une action urgente de tous les gouvernements, de tous les personnels de secteurs de santé et du développement, ainsi que de la communauté mondiale pour protéger et promouvoir la santé de tous les peuples du monde, déclare ce qui suit : 1. La conférence réaffirme avec force que la santé, qui est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en l'absence de maladie ou d'infirmité, est un droit fondamentale de l'être humain, et que l'accession au niveau de santé le plus élevé possible est un objectif social extrêmement important qui intéresse le monde entier et suppose la participation de nombreux secteurs socio-économiques autres que celui de la santé. 2. Les inégalités flagrantes dans la situation sanitaire des peuples, aussi bien entre pays développés et pays en développement qu'à l'intérieur même des pays, sont politiquement, socialement et économiquement inacceptables et constituent de ce fait un sujet de préoccupation commun à tous les pays. 3. Le développement économique et social, fondé sur un nouvel ordre économique international, revêt une importance fondamentale si l'on veut donner à tous, le niveau de santé le plus élevé possible et combler le fossé qui sépare sur le plan sanitaire les pays en développement et les pays développés. La promotion et la protection de la santé des peuples sont la condition sine qua non d'un progrès économique et social soutenu en même temps qu'elles contribuent à une meilleure qualité de la vie et à la paix mondiale. 4. Tout être humain a le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre des mesures de protection sanitaire qui lui sont destinées. 5. Les gouvernements ont vis-à-vis de la santé des populations une responsabilité dont ils ne peuvent s'acquitter qu'en assurant des prestations sociales adéquates. L'un des principaux objectifs sociaux des gouvernements, des organisations internationales et de la communauté internationale tout entière au cours des prochaines décennies doit être de donner à tous les peuples du monde, d'ici l'an 2000, un niveau de santé qui leur permette de mener une vie socialement et économiquement productive. Les soins de santé primaires sont le moyen qui permettra d'atteindre cet objectif dans le cadre d'un développement conforme à la justice sociale. 6. Les soins de santé primaires sont des soins de santé essentiels fondés sur des méthodes et une technologie pratiques, scientifiquement valables et socialement acceptables, rendus universellement accessibles aux individus et aux familles dans la communauté par leur pleine participation et à un coût que la communauté et le pays puissent assumer à tous les stades de leur développement dans un esprit d'auto responsabilité et d'autodétermination. Ils font partie intégrante tant du système de santé national, dont ils IV sont la cheville ouvrière et le foyer principal, que du développement économique et social d'ensemble de la communauté. Ils sont le premier niveau de contacts des individus, de la famille et de la communauté avec le système national de santé, rapprochant le plus possible les soins de santé des lieux où les gens vivent et travaillent, et ils constituent le premier élément d'un processus ininterrompu de protection sanitaire. 7. Les soins de santé primaires : 1. reflètent les conditions économiques et les caractéristiques socioculturelles et politiques du pays et des communautés dont ils émanent et sont fondés sur l'application des résultats pertinents de la recherche sociale et biomédicale et de la recherche sur les services de santé, ainsi que sur l'expérience de la santé publique ; 2. visent à résoudre les principaux problèmes de santé de la communauté, en assurant les services de promotion, de prévention, de soins et de réadaptation nécessaires à cet effet, 3. comprennent au minimum : une éducation concernant les problèmes de santé qui se posent ainsi que les méthodes de prévention et de lutte qui leur sont applicables, la promotion de bonnes conditions alimentaires et nutritionnelles, un approvisionnement suffisant en eau saine et des mesures d'assainissement de base, la protection maternelle et infantile y compris la planification familiale, la vaccination contre les grandes maladies infectieuses, la prévention et le contrôle des endémies locales, le traitement des maladies et lésions courantes et la fourniture de médicaments essentiels ; 4. font intervenir, outre le secteur de la santé, tous les secteurs et domaines connexes du développement national et communautaire, en particulier l'agriculture, l'élevage, la production alimentaire, l'industrie, l'éducation, le logement, les travaux publics et les communications, et requièrent l'action coordonnée de tous ces secteurs ; 5. exigent et favorisent au maximum l'autoresponsabilité de la collectivité et des individus et leur participation à la planification, à l'organisation, au fonctionnement et au contrôle des soins de santé primaires, en tirant le plus large parti possible des ressources locales, nationales et autres, et favorisent à cette fin, par une éducation appropriée, l'aptitude des collectivités à participer, 6. doivent être soutenus par des systèmes d'orientation/recours intégrés, fonctionnels et se soutenant mutuellement, afin de parvenir à l'amélioration progressive de services médico-sanitaires complets accessibles à tous et accordant la priorité aux plus démunis, 7. font appel tant à l'échelon local qu'à celui des services de recours aux personnels de santé - médecins, infirmières, sages-femmes, auxiliaires et agents communautaires, selon le cas, ainsi que s'il y a lieu, praticiens traditionnelles - tous préparés socialement et techniquement à travailler en équipe et à répondre aux besoins de santé exprimés par la collectivité. 8. Tous les gouvernements se doivent d'élaborer au plan national des politiques, des stratégies et des plans d'action visant à introduire et à maintenir les soins de santé primaires dans un système national de santé complet et à les coordonner avec l'action d'autres secteurs. A cette fin, il sera nécessaire que s'affirme la volonté politique de mobiliser les ressources du pays et d'utiliser rationnellement les ressources extérieures disponibles. 9. Tous les pays se doivent de coopérer dans un esprit de solidarité et de service en vue de faire bénéficier des soins de santé primaires l'ensemble de leur population, puisque V l'accession de la population d'un pays donné à un niveau de santé satisfaisant intéresse directement tous les autres pays et leur profite à tous. Dans ce contexte, le rapport conjoint FISE/OMS sur les soins de santé primaires constitue une base solide pour l'avenir du développement de la mise en œuvre des soins de santé primaires dans le monde entier. 10. L'humanité tout entière pourra accéder à un niveau acceptable de santé en l'an 2000 si l'on utilise de façon plus complète et plus efficace les ressources mondiales dont une part considérable est actuellement dépensée en armements et en conflits armés. Une politique authentique d'indépendance, de paix, de détente et de désarmement pourrait et devrait permettre de dégager des ressources supplémentaires qui pourraient très utilement être consacrées à des fins pacifiques et en particulier à 11. l'accélération du développement économique et social dont les soins en santé primaires, qui en sont un élément essentiel, devraient recevoir la part qui leur revient. VI Annexe V Le cycle de Kolb129 129 http://pedagogieuniversitaire.wordpress.com/2009/05/24/reflechir-a-son-enseignement/ VII Annexe VI Privilégier le relationnel Types de management130 : Management Participatif Management Persuasif Négociation, conseils, écoute active, Formation, mobilisation, implication des acteurs, autonomie convictions, paternalisme, des collaborateurs, communication, négociation permanente avec les échange, tolérance et complicité, partenaires. partage des idées et prises de décision. Management Délégatif Management Directif Responsabilités, initiatives, risques, Instructions, contrôle, organisation, communication partage, faible marge d’autonomie, valeurs délégation de pouvoir, valorisation préconçues et figées, respect de la des potentiels, responsabilisation et hiérarchie, confiance. communication. et absence de Privilégier la réalisation de la tâche 130 Vantomme P., Affirmation de soi & gestion des émotions, Institut d’Enseignement et de Promotion Sociale de la Communauté Française, section cadre en soins de santé, Tournai, 2007-2008. VIII Annexe VII Le modèle allostérique d’apprentissage de Giordan.131 Ne part pas de zéro, dispose de savoirs et de savoirs faire qu’il peut mobiliser. Ne reçoit pas les savoirs ou les savoirs faire mais les élabore pour son compte à sa façon, à son propre rythme pour répondre à ses questions ou à ses besoins. Apprenant Savoirs Tout apprentissage significatif est la résultante d’une activité personnelle de l’apprenant qui produit du sens à partir des conceptions mobilisées en fonction des situations, des activités rencontrées et des informations glanées. compétences Environnement La personne apprend par adaptations successives en confrontant ses ressources potentielles à un environnement agencé mis en place par l’enseignant. Didactique Cocktail d’éléments susceptibles d’interférer avec la structure comportementale et conceptuelle de l’apprenant pour la transformer. 131 Le savoir est rarement le produit d’une simple transmission, c’est le résultat d’un processus de transformation…transformation de questions, d’idées préalables, de façon de raisonner et de se comporter de l’apprenant. http://www.ldes.unige.ch/publi/rech/depConstruct/depConstruct.htm IX Annexe VIII Nous terminons sur les paramètres qui facilitent le désir d’apprendre ; ce désir peut être trouvé en soi (cercle intérieur) et il peut être suscité de l’extérieur (cercle extérieur). Ce cas de figure est souvent celui que nous rencontrons auprès des personnes malades, c’est pourquoi, il nous semble important de rappeler les différentes attitudes qui faciliteront la motivation du soigné. J’ai Je me sens apprécié confiance situation et en en la mes enseignants Je sens mon J’ai enseignant bonne motivé estime J’ai un J’ai confiance dans les une J’ai J’ai confiance en ressenti, mes capacités, je une réussis attente me sens accompagné de enseignants en moi de moi besoin, un Je compétences confiance J’ai un objectif, un projet J’ai du désir à apprendre si… pour choisir J’y trouve un Je bénéficie d’un plus, un sens, environnement un plaisir favorable Je sais appréhender Je me sens mes peurs, interpellé, mes angoisses Je me sens autonome questionné On m’offre un Je me sens respecté, environnement pour écouté apprendre qui me stimule Je me sens soutenu Paramètres qui facilitent le désir d’apprendre132 132 Giordan A., Saltet J., Apprendre à apprendre, librio, 2007, p 25. X mes L’échelle visuelle analogique constitue le fil rouge de ce travail : normée entre deux extrêmes, oui et non, positif et négatif entre lesquels un curseur peut se déplacer, elle illustre notre démarche dialectique et elle est un outil familier des soignants qui l’utilisent afin de situer les ressentis des soignés au niveau de la douleur, de la dyspnée,… Notre réflexion sur les différents concepts qui sous-tendent les pratiques soignantes et éducatives a voyagé sur le curseur de l’échelle analogique, tantôt vers un pôle, tantôt vers l’autre, dans le continuum entre des paradigmes contraires et/ou complémentaires.