Ce qui m’intéresse, c’est l’insatiable lutte de cette femme avec son image. La maîtrise d’elle-même a
remplacé sa vie même. Simplement vouloir être, oui, seulement vouloir être et en plus vouloir être gardée, ce
n’est pas possible. (p.94)
Mais le langage ouvre des brèches. Petit à petit, elle règle ses comptes avec les Kennedy, avec son
éducation, avec le public qui a fait d’elle cette image figée, au dépend d’elle-même.
Si je choisis de le jouer moi, donc de faire revivre cette « Jackie » non pas à la fin de sa vie mais à l’âge de
30 ans, c’est précisément parce qu’il me semble important qu’elle nous donne à voir le « fantasme » d’elle-
même. Elle vient nous parler et prend la forme de cette Jackie-icône, à l’âge où elle arrive à la Maison
Blanche, et où sa mythologie se construit. Pour moi c’est très important de ne pas être dans la reproduction
exacte de Jackie Kennedy, mais plutôt de créer un décalage qui donne à entendre dans toute son ampleur ces
codes d’apparences et l’importance du paraître. Ainsi je jouerai avec quelques éléments très reconnaissables
de Jackie : le tailleur, la perruque, pour petit à petit déconstruire cette figure de magazines, et laisser
apparaître ce qui dérape : les fêlures, la solitude, la perversion de cette image qui l'enferme jusqu'au bord de
la folie.
C’est ainsi que cette confession un peu extraordinaire met en perspective ce mythe « presque parfait » et le
déjoue : une sorte de « Jackie by Jackie » qui tourne à l’obsession.
Il y a une part d’enfance dans cette Jackie, et c’est là que nous nous reconnaîtrons : jouer à être soi, jouer à
être ce que nous rêverions d’être et y croire de plus en plus, rêver.
Elle sera en dialogue avec sa propre représentation sur une couverture de magazine, elle convoque les
images d’elle-même qu’elle aimerait nous montrer. Le spectacle peut alors commencer. Elle crée son
« Jackie by Jackie ».
Je n’ai même pas été capable d’atteindre le morceau de crâne sur le
coffre de la voiture où j’avais grimpé. Le lendemain je ne m’en souvenais plus.
Je n’ai jamais voulu fuir. Je me souviens seulement que je pouvais voir une
partie de l’intérieur de son crâne. (p. 77)
Ce monologue est en réalité un dialogue intérieur livré comme une confidence, mais qui creuse ses brèches
et ne fait que révéler ce vide immense, cette solitude et ce besoin de se rappeler à nous dans tout ce qui
constitue son identité. Ce public à qui elle s’adresse, est fictif. Il n’est là que comme un prétexte, pour
combler cette solitude. Elle s’adresse à nous, mais nous serons les témoins de sa prise de conscience que
nous n’étions que le fruit indispensable de son imagination.