1 Université de NANTES Formation continue Section Lettres et Sciences Humaines 2, bis Léon Bureau 44262 NANTES cedex 2 LA VAE POUR LE METIER D’AIDE-SOIGNANTE Une question de reconnaissance ? Mémoire présenté pour l’obtention du Diplôme d’Enseignement Supérieur Spécialisé Stratégie et Ingénierie de Formation d’Adultes Promotion 2003 – 2005 Directeur de mémoire Charles SUAUD Anne-Marie FRANCES Nantes, Juin 2005 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 2 Remerciements Je tiens à remercier particulièrement : Charles Suaud, pour son accompagnement tout au long de ce travail. Fabienne Pavis, pour son écoute et ses conseils de lecture. Jean-Luc, Marie, Roman, Jean, Mathilde et Matthieu, pour leur impatience stimulante. Angèle, pour ses remarques complémentaires. Nadine, pour son soutien, ses encouragements et ses remarques avisées. Les collègues du SIFA 13 pour la richesse de nos échanges. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 3 SOMMAIRE Introduction D’une trajectoire personnelle et professionnelle à une démarche de recherche 1 - DU CONTEXTE A LA PROBLEMATIQUE …………………………..8 2 - ANALYSE DE LA SITUATION D’ENQUÊTE : UNE ETUDE EMPIRIQUE ………………………………………………………………...133 2.1. La nécessaire réflexion sur des postures multiples ................................. 13 2.2. Méthodes d’investigation........................................................................... 177 2.2.1 L’analyse des textes juridiques .................................................................... 177 2.2.2 Les entretiens ............................................................................................... 177 2.2.3 Les questionnaires ....................................................................................... 188 2.3. Tensions entre terrain et théorie : les limites de la méthode................... 199 Chapitre un L'institutionnalisation d'une activité provisoire : la pérennité sans la reconnaissance 1 - LA DIVISION DU TRAVAIL AU SEIN DE L’HÔPITAL : UNE APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE …………………………………222 1.1 Une organisation liée aux évolutions technologiques et législatives.. 233 1.2 Les différentes étapes de la reconnaissance professionnelle des infirmières................................................................................................................. 288 1.3 La solidarité s’institutionnalise et les ressources de l’hôpital augmentent............................................................................................................... 322 2 - LE METIER D’AIDE-SOIGNANTE DANS CETTE DIVISION DU TRAVAIL………………………………………………………………… 355 2.1 Les liens entre le métier d’infirmière et celui d’aide-soignante............. 355 2.2 C’est le travail auprès du malade qui détermine le métier ..................... 411 2.2.1 Le référentiel d’activité.............................................................................. 411 2.2.2 Le référentiel de compétence................................................................... 455 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 4 2.3 Comment les aides-soignantes donnent sens à leur activité entre travail prescrit et travail réel .............................................................................................. 466 2.3.1 Le rapport au travail.................................................................................. 466 2.3.2 Le rapport à l’équipe................................................................................. 511 2.4 Ce qui fonde la reconnaissance ?............................................................. 566 CONCLUSION ………………………………………………………...611 Chapitre deux Le processus de certification d'un métier peu qualifié 1- APPROCHE SOCIO-HISTORIQUE DE LA FORMATION POUR ADULTES ………………………………………………………………...655 1.1 Les origines révolutionnaires.................................................................... 655 1.2 Evolution de la formation professionnelle entre les deux guerres ....... 666 1.3 La formation pour adultes à la période contemporaine ......................... 677 1.4 Les contraintes économiques et la validation des acquis ..................... 699 2 - LE PROCESSUS DE FORMATION INITIALE POUR LE METIER D’AIDE-SOIGNANTE ………………………………………………...77 2.1 La formation initiale d’aide-soignante ........................................................ 78 2.2 Qualification et reconnaissance.................................................................. 79 2.3 Le concours d’entrée : une première étape dans un processus de reconnaissance.......................................................................................................... 80 2.4 Une formation professionnelle entre école et terrain ............................. 877 2.4.1 Une formation féminine ........................................................................ 877 2.4.2 Les principes formatifs sous tendus..................................................... 888 2.4.3 Elèves ou étudiants : ce que véhicule le vocabulaire en terme de reconnaissance ....................................................................................................... 89 2.4.5 L’alternance............................................................................................ 90 2.4.6 Les difficultés de l’alternance................................................................. 94 2.5 L’implicite de l’évaluation ............................................................................ 96 2.6 L’épreuve du diplôme professionnel.......................................................... 98 2.6.1 D’où l’importance de définir la compétence ........................................... 99 2.6.2 De la législation à la reconnaissance................................................. 1022 2.6.3 Du diplôme à la compétence, ou de la compétence au diplôme ? .... 1066 3 - CONCLUSION ……………………………………………………….107 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 5 Chapitre trois La VAE pour un métier peu visible 1 - APPROCHE SOCIO-HISTOIRIQUE DE LA VAE .............................. 110 2 - LES SPECIFICITES DE L’ARRETE DU 25 JANVIER 2005 CONCERNANT LES MODALITES DE MISE EN ŒUVRE DE LA VAE POUR L’OBTENTION DU DPAS……………………………………….113 2.1. Une vision réductrice du métier...................................................................... 114 2.2. Des questions liées à des articles spécifiques............................................... 115 2.3. Ce que révèle la procédure de VAE............................................................... 118 2.4. Les aides-soignantes : une population captive. Le «privilège» de la relégation ............................................................................................................................... 120 3 - ENTRE LUTTE CONTRE LES INEGALITES ET RECONNAISSANCE …………………………………………………….127 4 - CONCLUSION ………………………………………………………..131 Chapitre quatre Les effets de la validation des acquis pour le métier d’aidesoignante 1 - LES DIFFICULTES D'UN POSITIONNEMENT ? ………………..1335 1.1 Une translation vers le haut dans la hiérarchie des métiers ? ................... 1357 1.2 Une formation vers le bas ……………………………………………………………140 1.3 Question de reconnaissance et VAE ……………………………………………….142 1.4 Valeur sociale de l'expérience (entre reconnaissance et sacralisation ?)………148 1.4.1 Ce qu'on entend par expérience ………………………………………………14 9 1.4.2 La place des valeurs ................................................................................. 1511 3.3. Qu’entend-on par « savoir » ?...................................................................... 1533 2 - LES EFFETS DE LA VAE SUR LA FORMATION INITIALE : UNE REDEFINITION DU PRESCRIT ? ……………………………….159 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 6 2.1. Une question de temps .............................................................................. 160 2.2. Nouvelles caractéristiques de l’enseignement : l’effet VAE ................ 1622 2.2.1. L’enseignement théorique ........................................................................ 162 2.2.2. L’enseignement pratique .......................................................................... 163 2.2.3. Le référentiel d’évaluation ...................................................................... 1655 3 - CONCLUSION ……………………………………………………….166 Conclusion générale Les aides-soignantes, public "privilégié" de la VAE ? CONCLUSION GENERALE……………………..................................170 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 7 Introduction D’une trajectoire personnelle et professionnelle à une démarche de recherche Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 8 Dans le domaine de la santé, jusqu’à cette année 2005, aucun diplôme n’était accessible par la Validation des acquis de l’expérience (VAE). Le ministère de la santé a mis en place un comité de pilotage pour mettre en œuvre ce dispositif : le premier métier paramédical concerné est celui d’aide-soignante. Pourquoi avoir privilégié ce métier plutôt qu’un autre du secteur paramédical ? Pourquoi ne pas avoir commencé l’application du texte de la loi de modernisation sociale par le métier de cadre de santé ? 1 - Du contexte à la problématique Le métier d’aide-soignante1 est récent dans l’histoire de l’institution hospitalière, c’est un grade qui s’est construit par défaut en 1949. Cette fonction a été exercée jusqu’en 1956, date de création du certificat d’aptitude à la fonction aide-soignante, sans nécessité de suivre une formation et elle est encore aujourd’hui professée par des « faisant-fonctions », c'est-à-dire des agents de service hospitalier travaillant comme aides-soignantes. C’est le métier le plus bas de l’échelle hiérarchique, exercé par un personnel peu visible comme le dit Anne-Marie Arborio2, ce que nous développerons dans la première partie. D’autre part la législation positionne les aides-soignantes comme des collaboratrices des infirmières. Ce terme institue une dépendance d’un métier à l’autre, terme traduit dans la dénomination même du métier : aide-soignante. Celles-ci sont chargées des tâches de l’hygiène et de confort auprès des malades, tâches de faible niveau technique. Elles se trouvent positionnées entre les infirmières à qui l’on reconnaît 1 Nous privilégierons le féminin pour ce métier exercé en majorité par des femmes 2 A. M. Arborio, Un personnel invisible : les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, Anthropos, 2001 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 9 une compétence soignante, technique et qualifiée, et les agents des services hospitaliers normalement chargés des tâches strictement ménagères. Pour la région Bretagne, elles sont pratiquement aussi nombreuses que les infirmières.3 Le nombre important des effectifs aides-soignants ne suffit pas à en faire un métier connu malgré le dynamisme du marché du travail sanitaire. En effet, à cause notamment du vieillissement de la population, il y a nécessité d’un personnel compétent pour l’accompagnement de la dépendance. Ainsi l’offre de postes d’aides soignantes a été important ces cinq dernières années et se maintient, même si l’on voit diminuer les écarts entre l’offre de formation et les besoins en personnel qualifié. A quels besoins répond la mise en œuvre de la VAE pour le métier d’aide-soignant ? Pourquoi cette nouvelle prescription ? Comment les services de soins vont-ils utiliser ce dispositif ? Quels vont être les effets produits par la VAE sur les bénéficiaires ? Ce dispositif va-t-il influer sur la reconnaissance du métier d’aide-soignante à plus ou moins long terme? A partir de ces questions, nous identifions les différents acteurs concernés par la validation des acquis. Les effets de cette dernière varient sensiblement suivant que l’on se place du point de vue de l’institution, de l’instance de formation ou de l’individu. Ce processus nouveau marque un changement dans la possibilité d’accès au diplôme. La validation des acquis n’offre plus seulement la possibilité d’accéder à une formation sans les titres anciennement requis, mais permet d’obtenir partiellement ou totalement un diplôme. La formation n’est plus le préalable à la certification. La reconnaissance des acquis de l’expérience liée à la notion de compétence, permet maintenant l’accès à cette certification. Le 3 En 2002 pour la région Bretagne sont recensées 10 831 infirmières et 10 247 aides-soignantes Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 10 dispositif de VAE et les dispositifs de formation vont-ils être complémentaires ? Permettront-ils une reconnaissance identique ? Travaillant comme formatrice dans une école d’aides-soignantes, nous sommes directement interpellée par ces questions. Nous le sommes d’autant plus que comme infirmière-formatrice nous avons bénéficié pour entrer en DESS SIFA4 d’une mesure proche : la validation des acquis professionnels. La reconnaissance de titre scolaire par l’enseignement supérieur permet de continuer une carrière scolaire et de bénéficier d’une formation universitaire. Pour suivre le DESS nous avons dû constituer un dossier de validation. Cette validation a été pour nous, la possibilité d’accéder à l’espace de formation universitaire, accès impossible par les voies ordinaires de promotion dans la filière infirmière. Mais notre expérience de validation des acquis n’est pas complètement comparable. En effet la VAE des « faisant-fonctions » d’aides-soignantes permettra l’obtention d’une certification alors que la validation que nous avions demandée nous permettait de continuer des études. Nous devrons tenir compte de notre propre parcours et des représentations qu’il engendre, dans l’analyse de l’objet pour prendre conscience de l’impact de la validation des acquis dans le processus de reconnaissance sociale. Cette expérience qui nous a été personnellement bénéfique ne doit pas freiner les questions sur la possibilité de reconnaissance du métier d’aide-soignante à la suite de l’obtention du diplôme par le biais de la VAE. Comment la VAE va t-elle être reçue et utilisée par un personnel en quête de reconnaissance ? En formulant ainsi la question, nous identifions l’influence de notre position d’infirmière par rapport au métier d’aide-soignante, et nous pouvons percevoir comment notre position, notre représentation de la place de la formation dans un parcours professionnel nous permet de poser la problématique et les hypothèses. De notre point de vue, la formation participe à la 4 SIFA : Stratégie Ingénierie de Formation pour Adultes Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 11 qualification d’un métier donc à sa reconnaissance. En effet les infirmières ont accédé à une reconnaissance par le biais de l’instauration d’une formation et d’un diplôme exigé pour exercer. Pour travailler comme infirmière, il faut être détentrice du diplôme d’état acquis à la suite d’une formation scolaire et professionnelle. La reconnaissance des aides-soignantes est-elle en lien avec la formation ou le diplôme ? Notre question de recherche s’articule donc autour d’une problématique de la reconnaissance sociale et professionnelle : la VAE mise en place pour l’obtention du diplôme professionnel d’aidesoignant, pourra-t-elle représenter un facteur de valorisation et de reconnaissance pour ce métier peu visible ? Fera-t-elle entrer dans le métier des professionnelles qui en auraient été exclues ou admises à un moindre titre (faisant-fonction) ? Nous ne pourrons qu’émettre des hypothèses et des pistes de réponses puisque ce dispositif n’a pas encore été mis en pratique. Ce travail se situera donc dans un questionnement prospectif. Une des premières hypothèses que nous émettons est que la validation des acquis de l’expérience permettra aux individus qui suivent ce dispositif d’obtenir un diplôme qui leur donnera une certification au regard des compétences démontrées. Cette certification devrait contribuer à une auto-reconnaissance liée à la reconnaissance institutionnelle elle-même liée au titre, selon la stratégie qui consiste « à tenter d’assimiler l’identité pour autrui à l’identité pour soi. »5 Mais cette reconnaissance pour soi permet-elle une reconnaissance sociale ? En effet on observe à partir de 1936 la mise en œuvre d’une logique de qualification qui va « déboucher sur une 5 C. Dubar, La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, Paris, éd. Armand Colin, 2002, p. 8 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 12 hiérarchisation des salariés selon la durée et le type de formation »6 Une opposition entre travail manuel et intellectuel va s’opérer et conforter la hiérarchie de statut ou de qualification. Le métier d’aidesoignante va s’inscrire dans cette classification des métiers manuels nécessitant peu de temps de formation. Une deuxième hypothèse est que pour ce métier qui n’est pas reconnu socialement, la VAE risque de recréer une subdivision entre les aides-soignantes qui accèdent à la certification par la formation initiale et celles qui y accèderont par la VAE, entraînant par là l’émergence d’une nouvelle sous catégorie d’aides-soignantes. Cette « formation du pauvre » est-elle une répétition de l’histoire qui ne serait pas en faveur d’une reconnaissance sociale d’un métier peu visible ? Pour ce travail nous nous sommes appuyé sur l’ouvrage d’E. Hughes Le regard sociologique. L’intérêt que nous y avons trouvé est l’utilisation de l’observation et de l’approche ethnographique de l’objet qu’il situe dans un contexte large, c'est-à-dire le rôle des « processus macrosociaux » que nous situerons ici dans l’observation de la division du travail à l’hôpital. Cette approche par les détails « interprétables à la lumière de ces processus globaux » nous semblait tout à fait adaptables à notre objet de recherche. La VAE pour les aidessoignantes arrive dans un contexte économique particulier en lien avec des choix en terme de formation continue, l’observation des détails permettra d’identifier des éléments de réponses aux hypothèses que nous avons émises. En effet si nous ne regardons que le dispositif en lui-même et l’intérêt qu’il peut offrir aux individus, nous ne pourrons pas comprendre les effets potentiels sur une reconnaissance d’un métier. Les apports méthodologiques de Hughes permettent de comprendre la division du travail au sein de l’hôpital, donc de situer le métier d’aidesoignante dans la hiérarchie paramédicale. Mais ils nous permettront aussi d’identifier les interactions entre l’institution et ses besoins, et les individus et leurs attentes en terme de reconnaissance. Son travail 6 M. Stroobants, Sociologie du travail, Paris, éd Nathan, 1993, p. 71 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 13 permet de comprendre que les « phénomènes sociaux » sont des processus, qu’ils participent d’un mouvement et qu’ils ne peuvent être réduits à des « structures » dans lesquelles s’exerceraient des rapports de force. Pour lui l’étude sociologique étant une étude de l’action collective. 2 - Analyse de la situation d’enquête : une étude empirique Pour P. Bourdieu dans son ouvrage La misère du monde, « l’enquêteur engage le jeu et institue les règles du jeu ». Cette considération vaut pour l’entretien mais explique certaines orientations que l’enquêteur entend donner à son étude. Il nous semble important de situer comment notre trajectoire personnelle et professionnelle influe notre vision du métier d’aide-soignante et de la VAE et a suscité cette question de recherche. 2.1 La nécessaire réflexion sur des postures multiples Nous avons été infirmière dans différents services de soins et de prévention, puis formatrice dans le secteur éducatif et social et nous sommes actuellement formatrice dans une école d’aides-soignantes. Ce parcours a permis de participer à la vie des équipes de soignants et d’observer les fonctionnements particuliers des différents secteurs d’aide à la personne : secteur sanitaire à travers les soins, secteur éducatif par le biais d’action de prévention auprès de jeunes, secteur social par la formation aux métiers d’aide médico-psychologique (AMP), assistante de vie sociale (AVS) et moniteur éducateur. En parallèle à ces formations initiales nous avons participé à des actions de formation continue dans le champ de la santé. Ainsi c’est la formation initiale et l’exercice du métier d’infirmière qui a permis de déployer une activité de formatrice dans ces différents champs. C’est Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 14 donc à partir d’une posture d’infirmière (donc de soignante), de formatrice (donc d’enseignante) et maintenant d’étudiant chercheur que nous allons pouvoir explorer de l’intérieur et de l’extérieur ces espaces des secteurs sanitaires et de la formation. Au regard de ce parcours un travail de réflexion sur la notion d’identité professionnelle est nécessaire. Comme infirmière l’identité professionnelle est prégnante. De même, la position de formatrice s’inscrit dans la continuité entre cette identité professionnelle née de la formation initiale et une identité visée : celle d’infirmière formatrice. Claude Dubar note que les « identités construites sur le mode de la continuité impliquent un espace potentiellement unifié de réalisation, un système d’emploi à l’intérieur duquel les individus mettent en œuvre des trajectoires continues ».7 Cette observation est marquée par la dénomination du poste : « infirmière-formatrice ». L’espace d’intervention est clairement délimité, les actions de formations effectuées sont destinées à un personnel travaillant dans le domaine sanitaire et médico-social. Ces interventions de formation se situent dans des espaces identifiés : lieux de formation, visites et évaluation sur le terrain (hôpital, services d’aide aux personnes). L’ensemble est institué et garanti par un cadre formalisé. Ce cadre est représenté par l’administration de la santé, elle-même représentée sur le terrain par le contrôle de la DDASS (Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale). Cette identité de formatrice s’inscrit donc dans la continuité de l’identité professionnelle initiale d’infirmière. C’est bien parce que nous sommes infirmière que nous pouvons prétendre à ces postes de formatrice. L’exercice de ces métiers se faisant dans les mêmes espaces institués et identifiés. Claude Dubar explique une autre forme de construction de l’identité professionnelle sur le mode de la rupture. « Les identités 7 C. Dubar, La socialisation, Paris, Ed Armand Colin, 2000, p. 235 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 15 construites sur le mode de la rupture impliquent au contraire, une dualité entre deux espaces et une impossibilité de se construire une identité d’avenir à l’intérieur de l’espace producteur de son identité passée. Pour trouver ou retrouver une identité, il faut changer d’espace. »8 Cette notion d’espace est importante dans la rédaction de ce mémoire puisque notre objet de recherche va se construire à l’intérieur de l’espace premier de notre construction d’identité professionnelle. Et en même temps il nous faudra s’en distancer, sortir de cet espace, se placer aux marges, créer une rupture pour construire une identité d’étudiant à l’université permettant d’analyser notre questionnement. Pour construire cette nouvelle identité, la prise de conscience de cette notion d’espace est fondamentale. Dubar parle de cette rupture comme une possible projection dans l’espace du pouvoir impliquant des reconnaissances de responsabilités, structurantes de l’identité.9 Pour la pertinence de ce travail, il faudra comprendre ces enjeux et nous projeter dans un avenir possible, en somme abandonner l’identité d’infirmière fortement marquée par le rôle prescrit de celle-ci.10 Abandonner le rôle d’exécutant pour passer à un travail d’analyse et oser des hypothèses. Se placer en position d’extériorité pour se questionner et questionner les autres sur la reconnaissance accordée ou pas par une certification. Cette extériorité sera importante car elle permet une certaine objectivité. « Il est plus facile d’écouter hors de son contexte que dans son propre contexte parce qu’on est prisonnier des habitudes et de l’image que les autres ont de nous.»11 En revanche une connaissance des pratiques des infirmières et des aides-soignantes sera un atout. Mais il faudra rester vigilante pour garder une distance 8 . Dubar, La socialisation, Paris, Ed Armand Colin, 2000, p. 236 9 Idem 10 Le rôle prescrit de l’infirmière est le rôle qu’elle assure auprès des patients sur prescription médicale. 11 Michel CROZIER : Directeur de recherche au CNRS et Président du centre de sociologie des organisations. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 16 d’appréciation constante, pour développer une curiosité et construire un regard neuf afin de ne pas passer à côté d’informations qui au premier abord semblent anodines. « S’imposer une polémique incessante contre les évidences aveuglantes qui procurent à bon compte l’illusion du savoir immédiat et de sa richesse indépassable. »12 D’autre part la dépendance du métier d’infirmière à l’égard du corps médical marque fortement certains comportements, en particulier le souhait de mettre en place des pratiques ressemblant aux pratiques médicales comme le diagnostic infirmier ou la création d’un ordre infirmier. D’un autre côté les soins de nursing qui constituent le rôle propre de l’infirmière sont de plus en plus délégués aux aidessoignantes et sont très peu prisés par les infirmières. Ces procédés ne traduisent-ils pas l’ambition d’une reconnaissance qui passerait par une identification aux pratiques du corps médical situé en haut de l’échelle hiérarchique dans le champ de la santé ? Dans ce travail de recherche il sera important de ne pas projeter sur l’objet certaines représentations. Ayant « subi » une socialisation professionnelle où l’infirmière travaille sous l’autorité du médecin tout en faisant valoir son autorité sur les aides-soignantes, nous avons construit une échelle de valeur de ces différents métiers et une représentation de la distribution des rôles dans une pratique soignante. Il faudra tenir compte et identifier l’influence de cette pratique infirmière dans l’élaboration des hypothèses. Ce métier d’infirmière s’est forgé une identité en lien avec les évolutions techniques et les pratiques de la profession médicale et c’est à partir des tâches infirmières qu’a été crée le métier d’aide-soignante. L’observation des dépendances instituées par ces évolutions entre la profession médicale et le métier d’infirmière et en ricochet entre le métier d’infirmière et le métier d’aide-soignant sera importante. 12 Pierre BOURDIEU, Jean Claude CHAMBOREDON, Jean Claude PASSERON, Le métier de sociologue, Paris, 4ème édition , éd. Ecoles des hautes études en sciences sociale, 1983, p. 27 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 17 Nous serons donc amenés à adopter une attitude réflexive pour tenir compte de l’impact d’une certaine subjectivité dans l’analyse de l’objet. C'est-à-dire identifier ce qui dans notre parcours scolaire et professionnel a construit nos représentations de la formation et de la place du diplôme comme moyen de reconnaissance influençant donc notre représentation de la validation des acquis de l’expérience. 2.2 Méthodes d’investigation Pour ce travail nous avons utilisé plusieurs outils d’investigation. L’approche différenciée nous semblait importante, non pas qu’elle est prétention de faire un bilan complet de la situation, mais parce qu’elle est fondée sur deux logiques. Une déterminée par les circonstances dans lesquelles ce travail s’est déroulé, l’autre voulant prendre en compte la pluralité des situations. 2.2.1 L’analyse des textes juridiques Nous avons procédé à l’analyse de l’arrêté du 22 juillet 1994 intitulé « Programme des études conduisant au diplôme professionnel d’aide-soignant » ainsi que des arrêtés relatifs à la VAE et la loi de modernisation sociale. Cette analyse des textes juridiques nous semblait appropriée car nous pensons qu’elle permet de mettre en évidence, par le vocabulaire employé, ce qui peut être sous-tendu. En effet la plupart des textes juridiques entérinent une pratique sociale. 2.2.2 Les entretiens Cette recherche est partie d’une demande du directeur de l’institut où nous travaillons en tant que formatrice, dans le contexte de la mise en œuvre de la VAE pour les aides-soignantes. A partir de cette demande, il nous a semblé important de recueillir les ressentis de différents acteurs autour de cette problématique de la VAE pour l’obtention d’une certification d’un métier peu reconnu sur le plan social. Nous avons donc interrogé les acteurs du champ de la formation aidesoignante et en premier lieu le directeur de l’institut. Parmi ces acteurs Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 18 nous avons aussi interrogé une autre directrice d’école aide-soignante et échangé avec une formatrice. Pour faire le lien entre les propos des professionnels de la formation et des professionnels soignants, nous avons interrogé le médecin inspecteur de la DDAS en tant que garant de la qualité des soins dispensés dans les services. L’intérêt de la participation de ce dernier est d’être à l’interface du champ de la formation et du champ de la pratique soignante. Nous avons interrogé des aides-soignantes et des agents dans des services de réanimation et de long-séjour. Ce choix a été motivé par le souci de conserver la dichotomie existant dans l’institution entre des services dits « prestigieux » (ici la réanimation) par rapport à des services moins « nobles » (service de long-séjour). Au total nous avons interrogé dix-sept personnes, tous les entretiens ont duré en moyenne trois quart d’heure et ont été tous enregistrés sur les lieux de travail avec l’accord des interrogés et des hiérarchiques. Pour garantir l’anonymat les interrogés seront présenté par l’initiale de leur prénom et leur qualification. 2.2.3 Les questionnaires En parallèle à tous ces entretiens nous avons testé la méthode par questionnaire auprès des élèves de l’institut dans lequel nous travaillons entrant et sortant de formations et auprès d’aides-soignantes et d’agents de services de longs séjour (services où l’on trouve le plus d’agents « faisant-fonctions » d’aides-soignantes). L’objectif était de recueillir leur vision sur le dispositif VAE en tant que professionnelles ou futures aides-soignantes diplômées. Lors de l’analyse de ces questionnaires nous avons réalisé leur imperfection donc les difficultés qui en découlent pour une exploitation pertinente. Nous ne l’utiliserons pas comme tel car cet outil d’analyse quantitative n’est pas adapté au recueil de données subjectives. Toutefois il a permis de recueillir quelques indices comme le difficile rapport à l’écrit pour répondre à des questions ouvertes (parallèle que nous pourrons faire avec le livret de Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 19 présentation de l’expérience de la VAE) et aussi de confirmer une position sociale communément identifiée comme basse : parmi tous les questionnaires retournés la moitié de ceux-ci ne renseignent pas les questions sur le niveau scolaire et professionnel familial. Le rapport à l’école peut être là interprété comme étant difficile. 2.3. Tensions entre terrain et théorie : les limites de méthode la Au regard de la méthodologie des entretiens une des premières limites qui apparaît est que nous n’avons pas interrogé des infirmières. Ce fait est-il à mettre au plan de l’acte manqué ? Toutefois sur le plan de la validité de la recherche nous postulons que notre antécédent d’infirmière objectivé par celui de notre collègue a compensé ce manque éventuel. Les lectures des ouvrages de E. Hughes et A.-M. Arborio ont conforté la méthode empirique utilisée pour l’analyse de l’objet. Nous avons utilisé notre connaissance du terrain pour décoder certaines observations et en les mettant en parallèle avec les analyses de E. Hughes nous avons essayé de leur donner une valeur la plus objective possible. Cette connaissance du terrain nous a permis d’avoir accès à des informations plus facilement : facilité pour les rendez-vous en vue des entretiens et pour la distribution des questionnaires. La conscience d’être partie prenante dans l’analyse de la situation a toujours été présente dans la restitution des résultats. Cette part de subjectivité imprègne la démarche de recherche et nous lui accordons une valeur dans l’analyse. Nous pouvons aussi accorder à notre découverte d’une démarche de recherche les tâtonnements, les maladresses dans le déroulement de celle-ci. Avec plus de recul, nous mesurons les imperfections de ce travail quand à la méthodologie. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 20 De même l’utilisation d’un cadre théorique c’est faite elle aussi de façon très empirique. C’est en passant par l’écriture que nous nous sommes petit à petit appropriées notions et concepts. C’est là que nous mesurons l’écart qu’il y a entre ce qui est attendu et ce que nous sommes capable de produire, quand on vient d’une culture différente de la culture universitaire. Nous ne maîtrisons pas les méthodologies, ni le langage, ni les outils d’analyse même si nous commençons à nous les faire siennes. Mais malgré tout, ce travail, enrichi par les réflexions des séminaires de recherche, nous a projetée dans un avenir possible et nous a permis de construire une méthodologie de réflexion transposable dans un cadre professionnel. L’analyse des situations de travail, l’analyse des besoins de formation, la construction d’une argumentation, seront nourries par cette démarche. Au regard de ce que nous venons de dire, il nous semble important, dans le premier chapitre du mémoire, de situer ce métier d’aide-soignante dans l’institution hospitalière. Par l’approche sociohistorique de l’institution et des professions, nous verrons comment est né ce métier et pour quelle finalité. Nous continuerons notre réflexion dans le deuxième chapitre, en analysant le dispositif actuel de la formation, ainsi que le processus de certification pour obtenir le diplôme professionnel d’aide-soignante (DPAS). Après une approche socio-historique de la VAE, nous étudierons ce que révèlent ces textes qui légifèrent la mise en œuvre de la VAE, sur ce métier peu visible. Dans le quatrième chapitre nous analyserons quels seront les effets de la VAE pour ce métier d’aide-soignante en terme de reconnaissance, mais Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 aussi sur la formation initiale. 21 Chapitre un L’institutionnalisation d’une activité provisoire : la pérennité sans la reconnaissance du métier d’aide-soignante Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 22 1 - La division du travail au sein de l’hôpital : une approche sociohistorique L’interrogation de l’histoire éclairera la compréhension de l’organisation des métiers dits paramédicaux. Ce terme de « métiers paramédicaux » permet de distinguer deux entités bien différenciée : le corps médical détenteur d’un pouvoir et d’une place de dominants dans le champ de la santé, et l’entité paramédicale, c’est à dire le corps des infirmiers auquel on ajoute les aides-soignantes. Le corps paramédical est à côté du corps médical, il n’en fait pas partie. Quand nous observons le groupe des métiers paramédicaux, la place des infirmières est facilement identifiable et elle est reconnue socialement à la différence du métier d’aide-soignante. Lors d’un entretien deux aidessoignantes le disaient très bien : Q 40 : Est-ce que pour vous le métier d’aidesoignante est connu ? « S. : Dans l’équipe, oui, mais à l’extérieur, non ! (Ton de voix ferme) L. : Quand on écoute à l’extérieur (de l’hôpital) il n’y a que des infirmières qui travaillent à l’hôpital : et ça c’est toujours vrai. Par contre avec les familles de plus en plus, ils nous voient avec l’équipe soignante et voit la place que l’on a. S. : Pour l’hôpital c’est toujours les infirmières, les aides-soignantes, il n’y en a pas ! C’est l’image que les gens ont. L. : Quand tu dis aide-soignante à l’hôpital on te dis mais non tu es infirmière ? Mais non je suis Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 23 aide-soignante ! Alors on te demande : c’est quoi ça ? »13 Ce constat de professionnelles traduit le manque de visibilité d’un métier peu connu qui connaît un déficit de reconnaissance d’autant plus grand qu’il s’agit d’un métier à la frontière des soins et de l’entretien des locaux. Cette frontière est si ténue que des agents des services hospitaliers, normalement responsables de l’entretien des locaux, font très souvent office d’aides-soignantes sans avoir le diplôme requis. De plus dans le référentiel d’activité sont stipulées les activités de ménage comme constitutive de la fonction aide-soignante. Une approche socio-historique nous permettra d’observer l’institution de la division du travail à l’hôpital pour comprendre en quoi la place du métier d’aide-soignante peut influer sur la reconnaissance de celui-ci par la personne détentrice du poste, mais aussi par les membres de l’équipe hospitalière. 1.1 Une organisation liée technologiques et législatives aux évolutions L’hôpital que nous connaissons aujourd’hui trouve ses racines dans le devoir de charité omniprésent dans l’Europe chrétienne du Moyen-Age et jusque sous l’Ancien Régime. Pendant cette longue période le corps humain est peu valorisé, voire méprisé car il est source de péché et d’abaissement de l’esprit. La pratique des soins va être confiée aux religieuses qui font preuve de dévouement, de bénévolat, de disponibilité et qui sont corvéables à merci. C’est à partir du règne de Louis XIV qu’apparaissent les premiers hôpitaux généraux différents des Hôtels-Dieu créés par le pouvoir religieux. Ces nouveaux hôpitaux vont rassembler en un seul « lieu, les 13 Entretien du 25 avril 2005 avec deux aides-soignantes d’un service de long séjour, réponse 40 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 24 infirmes, les malades indigents, les enfants abandonnés, les aliénés et les mendiants ».14 Ces hôpitaux vont se développer et au XVIIIe siècle on en trouvera dans trente-trois villes françaises. Ils vont accueillir indigents, invalides et vagabonds. Au sein de ces hôpitaux, la fonction religieuse des Hôtels-Dieu du Moyen Age est abandonnée au profit d’une fonction sociale de protection contribuant ainsi au maintien de l’ordre public. On passe d’un accueil du pauvre à assister (au sens de charité chrétienne), à l’enfermement du pauvre menaçant pour protéger la société. C’est ce que M. Foucault appellera « le grand enfermement »15. Nous pouvons ainsi lire implicitement les luttes de pouvoir qu’il pouvait y avoir entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux. Petit à petit va se développer une nouvelle pratique médicale de soin sous l’influence de l’évolution des technologies. Les hôpitaux ne seront plus seulement des lieux d’accueil ou d’enfermement mais vont devenir des lieux de soin. En parallèle à cette médicalisation des pratiques soignantes, les chirurgiens qui se trouvaient au rang de barbier voient leur position sociale évoluer en lien avec l’évolution de la technicité. Ils vont devenir des techniciens du corps hautement qualifiés : dans cette logique de technicisation de la société, ils prennent en quelque sorte du grade. Le 23 août 1843 est crée la Fondation de la Société de Chirurgie par A. Bérard pour répondre aux développements rapides des techniques. Face à toutes ces évolutions, le corps médical va s’organiser et va organiser l’espace hospitalier pour qu’il devienne un lieu thérapeutique. Emergera ainsi la technologie médicale sous la responsabilité de ce corps médical. 14 J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 15. 15 M. Foucault : (1926-1984) Normalien, agrégé de philosophie, professeur au collège de France a fait sa thèse sur l’histoire de la folie. Le « grand enfermement » du XVIIIe siècle qu’il décrit correspondait à un souci sécuritaire. La crise économique avait jeté sur les routes trop de mendiants. La peur du désordre provoque un désir d’expulsion des populations marginales. La collectivité va ériger ces institutions d’accueil pour se protéger. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 25 Le métier de médecin fait partie du petit nombre des métiers prestigieux parce qu’il agit pour le profit d’autrui. E. Hughes rappelle que dans son « usage ancien et plus restreint, le terme de profession se référait au très petit nombre des métiers très prestigieux et qualifié dont les membres agissaient pour le profit d’autrui.16 On ne définira donc plus seulement le métier de médecin de manière descriptive (description des actes effectués pour restaurer la santé, soulager la douleur ou éliminer les humeurs) ; on en parlera en ajoutant une dimension de jugement de valeur attaché à la santé qui est ellemême une valeur dans la société moderne du XXe siècle. La médecine devient ainsi « créatrice de normes et définit de nouveaux besoins en développant ses propres conceptions morales de l’homme idéal. »17 Les médecins, pour E. Freidson18, en arrivent à définir ce qui est bien ou mal pour l’humanité. « Cette prétention renforce leur autonomie et les distingue des autres métiers. »19 E. Hughes continue à définir le terme de profession en ajoutant à cette notion « d’agir pour autrui », celle de mobilité. Avec les progrès de la technologie médicale, on observe une délégation par les médecins de certaines tâches aux infirmières qui, à leur tour, en délèguent d’autres aux femmes de services. D’un côté l’infirmière se rapproche du médecin en s’appropriant les techniques employées par celui-ci et de l’autre, dirige d’autres travailleurs qui font leur entrée dans « la hiérarchie hospitalière pour prendre en charge les tâches abandonnées par les métiers qui ont gravi l’échelle de la mobilité. »20 16 E. Hughes ; Le regard sociologique ; Paris, Editions de l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS) ; 1996 17 J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire …, Paris, éd. L’Harmattan, le travail social, 2002, p. 23 18 E. Freidson, La profession médicale, Paris, éd. Payot, 1984 19 J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire …, Paris, éd. L’Harmattan, le travail social, 2002, p. 23 20 E. Hughes, Le regard sociologique, Paris, Editions de l’école des hautes études en sciences sociales, 1996, p. 65 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 26 Il associe cette notion à celle de trajectoire, en effet soigner n’est pas un travail comme un autre puisqu’il s’applique à un « matériau humain ». : « Le terme de trajectoire fait non seulement référence à l’évolution physiologique de la maladie de tel patient, mais également à toute l’organisation du travail déployée à suivre ce cours, ainsi qu’au retentissement que ce travail et son organisation ne manquent pas d’avoir sur ceux qui s’y trouvent impliqués. »21 Cette mobilité est individuelle et collective et E. Hughes interroge les circonstances permettant aux individus et aux groupes de personnes de construire leur trajectoire et leur ascension sociale. Le corps médical et paramédical répond bien à cette analyse puisque dans les hôpitaux la fonction curative des soins va devenir prédominante et va être développée par ce corps médical durant tout ce XXe siècle. En parallèle à cette fonction curative s’observe un développement de la fonction d’enseignement de la clinique médicale, c'est-à-dire la capacité à examiner un malade pour déterminer de quel mal il souffre. Pour cela il sera nécessaire d’avoir de « vrais malades » et les hospitalisés ne le seront plus uniquement sur des critères sociaux. En effet il faudra que les étudiants en médecine puissent examiner, palper, « curer » des patients. Les indésirables vont petit à petit être repoussés des hôpitaux pour qu’il n’y reste que des malades à soigner. Les médecins vont investir ainsi cet espace, même si on continue de parler d’hôpital-hospice jusque dans les années 1950. Ainsi pendant tout le XIXe siècle, la fonction curative est exercée par les médecins, secondés par une catégorie floue d’acteurs « autres », catégorie dans laquelle nous retrouvons des religieuses soignantes et du personnel de service assurant les prestations d’hôtellerie et d’entretien des locaux. Puis au début du XX e siècle on voit apparaître les premières infirmières laïques entraînant une diversification des métiers hospitaliers paramédicaux. Malgré ces 21 A.L. Strauss, « La trame de la négociation : sociologie qualitative et interactionnisme », in J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire …, Paris, éd. L’Harmattan, le travail social, 2002, p. 24 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 27 évolutions ces différents métiers dits « paramédicaux » « bénéficient d’une représentation populaire qui, aujourd’hui encore, conserve une dimension sacerdotale, une sorte de dévouement. »22 Ces évolutions favorisent le prestige du médecin par rapport au travail des paramédicaux. Ce prestige va être renforcé assez rapidement par le mouvement d’extension et d’amélioration de la législation sanitaire au début du XIXe siècle. Le principal apport de cette période est relatif à la réglementation de l’exercice des professions sanitaires. Le principe posé par la loi du 19 ventôse au XI (19 février 1803) sur l’art médical, exigeait que l’exercice de cette profession soit réglementé, et été autorisé à pratiquer, seulement les praticiens ayant été reçus dans les formes voulues aux écoles et validés par des jurys institués. Cette loi définissait ainsi l’exercice illégal de la médecine. « En énonçant avec autorité ce qu’un être, chose ou personne, est en vérité (verdict), dans sa définition sociale légitime, c'est-à-dire ce qu’il est autorisé à être, ce qu’il est en droit d’être, l’être social qu’il est en droit de revendiquer, de professer, d’exercer (par opposition à l’exercice illégal), l’Etat exerce un véritable pouvoir créateur, quasi-divin. »23 Ce texte de loi légitime la position sociale dominante du corps médical confirmant son prestige lié à son activité. Dans la continuité de cette histoire législative, en lien avec les progrès techniques, dès 1848 germe en France l’idée de la création d’un ministère de la santé qui verra le jour en 1924. Les pouvoirs publics vont accompagner les progrès réalisés dans le domaine de la santé et réglementer l’exercice des différents métiers par l’instauration du Code de la Santé Publique en 1953, qui complète ainsi la loi sur l’exercice illégal de la médecine. Dans ce Code nous trouvons les professions médicales et les métiers paramédicaux réglementés. Pour exercer ces métiers il faut être détenteur du diplôme certifiant une expertise. Le métier d’aide22 J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire ; L’Harmattant, Paris 2002, p. 90 23 Pierre BOURDIEU cité par Joël AUTRET ; Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire, Paris, éd. L’Harmattant, 2002, p. 62 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 28 soignante n’était pas inscrit dans ce Code jusqu’en 2005. Oserionsnous dire que ce métier était dénué d’une expertise puisqu’il ne justifiait pas son inscription ? 1.2 Les différentes étapes de la professionnelle des infirmières reconnaissance L’histoire de ce métier d’infirmière est rythmée par l’évolution des besoins et de la demande sociale. C’est aussi un métier lié à la condition des femmes. A la Révolution l’infériorité des femmes est fondée sur l’idée de nature et du déterminisme biologique. La Révolution va faire naître de grandes espérances et les femmes vont prendre part aux évènements. De cette époque révolutionnaire on gardera en mémoire le souvenir de grandes figures entre autre Olympe de Gouges qui publie la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791).24 Ces espérances ne vont pas se développer et au nom de l’idée de nature, les femmes sont, après cette période révolutionnaire, à nouveau reléguée au rôle domestique et à la maternité. Mais la société évolue, l’essor de l’industrialisation et de l’urbanisation modifie le quotidien de celles-ci. Elles vont investir de nouveaux métiers à l’usine et à la ville. Après les guerres le taux d’activité des femmes ne cesse d’augmenter. La tertiarisation de l’économie ouvre de nouveaux secteurs à l’emploi féminin, sans que soit remise en cause la « vision traditionnelle du genre. »25 C’est dans ce contexte que ce développe l’institution du métier d’infirmière.26 En effet, en parallèle à ces évolutions sociétales, la révolution pasteurienne au cours du XIXe siècle, qui mettant en avant l’importance de l’hygiène et de l’asepsie, instaure un rôle nouveau aux femmes 24 G. Attali, Les femmes marseille.fr/pedago/femmes 25 ou les silences de l’histoire, www.histgea.ac-aix- Idem 24 26 L’apparition du mot « enfermier » date du XIIIe siècle mais c’est à la charnière du XIX e et du XXe siècle que l’appellation d’infirmière sera officiellement adoptée. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 29 travaillant dans ces lieux de soins que sont les hôpitaux. La mise en œuvre des nouvelles pratiques d’hygiène leur sera déléguée. En effet les religieuses se montrent parfois réfractaires aux découvertes pasteuriennes. Ce qui amène les médecins à rechercher des auxiliaires plus dociles. Si la laïcisation des soins marque l’acte de naissance du métier d’infirmière, elle n’est pas immédiate car l’emploi d’infirmière diplômées d’Etat n’est que fortement recommandé et les religieuses resteront dans les lieux de soin encore de longues années. Plus concrètement c’est à la fin de ce XIXe siècle que l’on voit naître en France les premières écoles d’infirmières considérées comme des auxiliaires médicales. Ces infirmières vont progressivement remplacer les religieuses qui jusque là, assuraient la prise en charge des nécessiteux puis des malades. On assiste à la mise en place progressive des premières écoles d’infirmières (la Salpêtrière en 1878, la Pitié en 1881, Lariboisière en 1895). Ces écoles sont conçues à deux niveaux sous l’influence du docteur Bourneville27. Tout d’abord l’école primaire où les élèves apprennent à lire et à écrire à partir de manuels distillant les attitudes et les comportements d’obéissance et de subordination qu’elles doivent acquérir. Puis une école professionnelle qui leur inculque le savoir qui leur est concédé pour mieux servir le médecin. Cet enseignement ne consiste pas à comprendre, et encore moins à questionner, mais uniquement à appliquer les prescriptions. Malgré ce principe le souhait de ce médecin était de soustraire le « personnel inférieur » de son statut de tâcheron pour l’élever à un statut d’auxiliaire du médecin en le faisant accéder à un minimum de savoir. En mettant en place ces écoles, Bourneville participe à la féminisation de la profession car il ne faut pas oublier que l’on trouvait dans les hôpitaux un nombre certain de « servants», tous des hommes. En instituant ce métier comme féminin cela permettait de contre-carrer le pouvoir des femmes qui détenaient des savoirs transmis par la 27 Le docteur Bourneville était officier de Santé, devenu médecin il fut l’instigateur de la circulaire du 28 octobre 1902 faisant obligation de créer des écoles d’infirmières dans toute ville dotée d’une faculté ou d’une école de médecine. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 30 tradition orale (gardes-malades, sages-femmes), en dehors de tout contrôle médical. L’infirmière est donc une auxiliaire de soins technicienne, soumise au corps médical : « une filiation médicale patrilinéaire se superpose à la filiation religieuse matrilinéaire. »28 De fait la divulgation du savoir technique était dans les mains du corps médical, les manuels écrits par les infirmières sont limités aux questions de morale. Pour assurer ce clivage entre la profession médicale et le métier d’infirmière, un manuel de formation du XIXe siècle disait : « seul le mode d’administration doit être connu de l’infirmière. Elle ne doit en aucune façon chercher à connaître ce que le médecin prescrit, chercher à faire des questions indiscrètes et ne solliciter à ce sujet aucune explication du pharmacien dont le devoir est de tenir caché ce que le médecin n’a pas voulu qu’on sût. »29 La technicité continue de se développer multipliant les gestes techniques (injections, prise de sang, sondages) au point que les médecins ne peuvent plus les assurer seuls. Dans le milieu hospitalier ces gestes seront délégués par ceux-ci aux infirmières. E. Hughes explique comment ces tâches sont ainsi déclassées : « Au fur et à mesure que la technologie progresse, certaines tâches spécifiques se trouvent déléguées par le médecin à l’infirmière, c'est-à-dire déclassées. » Pendant cette même période le métier d’infirmière s’est doté d’une déontologie professionnelle. En juillet 1953, le Conseil international des infirmières adopte un code précisant les principes déontologiques appliqués aux soins infirmiers. Ainsi durant toute la première moitié du XXe siècle et jusqu’aux années 1970 la relation de dépendance des infirmières aux médecins est très forte. On ne parle pas de « soins infirmiers » mais de soins donnés par des infirmières qui ont alors un rôle purement d’exécutante. Soumission et obéissance aux médecins sont absolument requises pour exercer ce métier fortement marqué par le modèle religieux. 28 M.F. Collière, Promouvoir la vie, Paris, Inter éditions, 1996, p. 193 29 F. Midy, Les infirmières : image d’une profession, document de travail réalisé dans le cadre d’une formation au CREDES Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 31 A partir des années 1970-1980 on constate une évolution tendant à instaurer une relation de collaboration entre médecin et infirmière qui débouche en 1978 à une modification des textes législatifs. Cette loi reconnaît officiellement le rôle propre de l’infirmière et pose le diagnostic infirmier comme support et témoin de la zone spécifique du rôle propre. Malgré cette loi persiste une ambiguïté dans le statut des infirmières, avec d’une part un rôle propre spécifique proclamé dans les textes et dans les discours infirmiers, et d’autre part une autonomie professionnelle très peu marquée dans la pratique. En lien avec l’évolution législative les pratiques de formation se modifient. L’enseignement n’est plus réservé aux médecins. Ceux-ci continuent d’enseigner les pathologies, mais ce sont les infirmières enseignantes qui prennent en charge le reste de la formation. La réforme de 1972 ouvre « une nouvelle ère pour les infirmières et les infirmiers. Celle d’une rupture avec les formations préparées, guidées, orientées par les médecins depuis 1922 et basées essentiellement sur une discipline, la médecine. »30 En 1991, la loi hospitalière crée une nouvelle direction au sein des administrations : la direction du service de soins infirmiers, qui vient compléter la direction administrative et la direction médicale. Depuis et jusqu’à nos jours le métier d’infirmière milite pour gagner en autonomie par rapport au corps médical. Il semble admis que cette reconnaissance du métier passe par la transformation du système de formation avec l’adoption d’un modèle académique de formation par opposition au modèle d’apprentissage. Ce mouvement est initié par la réforme de 1972 qui instaure des stages extrahospitaliers obligatoires pouvant aboutir à la prise en charge de la formation par le ministère de l’éducation nationale. Mais le corporatisme infirmier français a du mal à se dégager de son histoire hospitalière malgré les enjeux. « Aujourd’hui, cette question ne devrait pas être perdue de vue par la profession. Car dans tous les pays où la formation 30 R. Magnon, Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers. Le bilan d’un siècle, Paris, Masson, 2000, p. 62 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 32 infirmière est sortie du cadre étroit dans lequel elle était cantonnée, c’est à partir de ce moment là qu’elle a pu prendre sa véritable dimension, obtenir une véritable reconnaissance sociale, et que la discipline des soins infirmiers qu’elle est sensée enseigner a pu véritablement s’enrichir d’apports nouveaux. »31 Mais malgré tout, des indices d’une volonté de changement sont perceptibles à travers la terminologie : le décret du 23 mars 1992 instaure le terme d’étudiant à la place de celui d’élève, et celui d’institut de formation en soins infirmiers (IFSI) à la place de celui d’école d’infirmière. De plus en 2002 l’arrêté du 8 janvier stipule que le diplôme d’état d’infirmier donne accès de plein droit en licence de sciences sanitaires et sociales et en licences de sciences de l’éducation ce qui établit un lien entre la formation infirmière et l’université. 1.3 La solidarité s’institutionnalise et les ressources de l’hôpital augmentent Indépendamment de l’organisation des métiers, l’institution va se moderniser en lien avec une augmentation de moyens financiers. Nous observons une continuité de l’histoire dans son principe de solidarité issu de la Révolution de 1789, avec l’instauration d’un système de « sécurité sociale », c'est-à-dire un système permettant à tous les individus d’une collectivité d’accéder aux soins de qualité égale. Notre système de sécurité sociale français est l’héritage de deux modèles : celui de Bismarck (allemand) pour qui la protection sociale est liée au travail par le biais de cotisations obligatoires (cette protection ne s’adresse qu’aux travailleurs) et celui de Beveridge (anglais) pour qui l’ensemble de la population a droit à une sécurité, les cotisations sont prélevées sur les impôts (tout le monde ne paye pas mais tout le monde peut en bénéficier). En France le système de protection 31 R. Magnon, Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers. Le bilan d’un siècle, Paris, éd Masson, 2001, p. 67 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 33 sanitaire et sociale est financé par le travail (par le biais des cotisations) et tout le monde peut en bénéficier par une répartition solidaire. Avec l’émergence de ce système de sécurité sociale à partir des années 1930, les hôpitaux voient leurs ressources augmenter. Ces moyens nouveaux entraînent une modernisation, tant dans le développement des structures que dans l’adaptation et la mise en œuvre de techniques de soin de haute précision. Le nombre des personnels de santé et des travailleurs sociaux s’en trouvent accrus. Il sera associé à cette croissance en nombre, la nécessité d’une qualification du personnel. L’organisation des formations initiales pour les métiers de la santé va se développer et se perfectionner. La formation gagne des lettres de noblesse et devient incontournable pour exercer comme infirmière. En même temps l’augmentation des ressources permet le développement de services à haute technologie dans l’hôpital qui entraîne à son tour une division entre des services prestigieux (ceux à haute technicité) et des services moins prestigieux : il est plus noble d’exercer dans un CHU, dans un service à haute technicité (médecine interne, chirurgie cardio-vasculaire par exemple) que d’exercer comme gériatre dans une maison de retraite rurale. Les paramédicaux travaillant dans ces services de prestige vont bénéficier d’un regard plus positif que ceux exerçant dans des services d’accueil de personnes âgées en long séjour. Une nouvelle hiérarchie s’établit ainsi. A titre d’illustration, aujourd’hui nous pouvons même entendre de la part de responsables hiérarchiques que telle infirmière va être mutée en long séjour par mesure disciplinaire ! C’est une « punition » de travailler dans un tel service. Or J. C. Guillebaud dans son ouvrage Le principe d’humanité, rappelle que toute personne, même diminuée à l’extrême reste membre de la communauté humaine et doit être respectée comme telle. Ce principe, affirme l’auteur, est actuellement attaqué par l’intrication des trois révolutions qui sont celles de l’économie globale, de l’informatique et de la génétique. Ces révolutions ont permis de réaliser des progrès indéniables dans la lutte contre les maladies, mais elles ne peuvent occulter la place des sentiments Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 34 humains qui restent inaccessibles à cette seule dimension technicienne du soin. Nous pouvons constater que cette dimension technicienne est valorisée rendant ainsi plus noble le travail dans des services à haute technicité que ceux où l’écoute et l’émotion n’ont pas pour écran cette technicité. Il est à retenir de cette histoire que dès la fin du XIXe siècle, les techniques de plus en plus complexes permettent de diagnostiquer et de traiter les maladies de façon plus efficace. Pour cela le médecin est obligé de confier certaines tâches comme les examens d’urines, la prise des pulsations, les pansements, etc. à des auxiliaires médicales dont le rôle premier est de servir le médecin. C’est un virage décisif dans la pratique du soin infirmier car celui-ci va s’ordonner autour de l’acte médical. L’observation de ces éléments de l’histoire permet de comprendre la division du travail dans le champ hospitalier. Ces logiques de divisions du travail conduisent les infirmières à déléguer ce qu’elles considèrent comme le « sale boulot », c'est-à-dire à déprécier la qualification de garde malade qui leur vient de Florence Nightintale32 et à en céder les fonctions au petit personnel pour se consacrer aux tâches plus prestigieuses. Ainsi une nouvelle catégorie de personnel va s’installer dans le dispositif hospitalier : les aides-soignantes apparaissent dans le champ de la santé. En quoi consiste ce nouveau métier ? 32 Florence Nightintale (1820 – 1910) est anglaise. Elle devient célèbre lors de la guerre de Crimée en 1854 par la création d’un groupe d’infirmières pour les hôpitaux militaires. En 1856 à son retour en Angleterre, elle va se battre pour le maintien de celles-ci dans les hôpitaux et pour la mise en place de réformes sanitaires. En 1860 elle crée la première école d’infirmières. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 35 2 - Le métier d’aide-soignante dans cette division du travail Nous venons de voir que c’est à la fin du XIXe siècle que le métier d’infirmière apparaît comme tel. « Dans la plupart des pays occidentaux c’est à cette époque que va être inventée l’infirmière laïque : personnel féminin rémunérée et subordonnée à la profession médicale. »33 Les religieuses n’étant tenues qu’à l’obéissance à leur congrégation et malgré leur moindre coût, le corps médical, dans son ensemble, va militer pour leur remplacement par des laïques. Mais ces infirmières laïques se doivent d’avoir les mêmes qualités morales, elles doivent être tout aussi dévouées. Et pour entrer à l’école d’infirmière, il fallait pouvoir présenter un « certificat de bonne vie et mœurs ». 2.1. Les liens entre le métier d’infirmière et celui d’aidesoignant Au début du XXe siècle, Léonie Chaptal ouvre sa première école d’infirmières différente des écoles ouvertes par le docteur Bourneville. Ce modèle a perduré jusqu’à nos jours. Celui-ci va permettre un compromis entre le modèle de formation anglo-saxon qui faisait de l’infirmière l’homologue féminin du médecin dans le domaine du soin et de l’organisation, et le modèle républicain français qui considérait l’infirmière comme subordonnée au médecin. Cette infirmière républicaine n’avait pas besoin de beaucoup d’instruction et restait en quelque sorte un personnel semi-domestique. Mme Chaptal considérait que la pratique infirmière était complémentaire de celle du médecin : « l’infirmière doit savoir tout du malade, non pas tout de la maladie : la maladie, c’est la science du médecin, le malade, c’est l’art de l’infirmière, » dira t-elle. Cette conception va conforter le médecin dans la légitimité de son pouvoir. Au-delà de ce regard, elle va organiser la 33 D. CARRICABURU, M. MENORET, Sociologie de la santé, Paris, Armand Colin, 2004, p. 65 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 36 formation et mettre en place les premiers diplômes officiels qui remplaceront les différents diplômes d’écoles. En effet ces brevets d’école s’attachaient avant tout à donner un minimum d’instruction et dans les manuels on pouvait constater la coexistence de préceptes ménagers avec des enseignements de nature paramédicale. Cette coexistence témoigne de l’ambivalence maintenue dans la fonction d’infirmière. Léonie Chaptal va travailler à unifier cette formation et le décret de 1922 institue le titre d’infirmière diplômée d’état (IDE). Malgré l’instauration de ce titre, le personnel en place est maintenu et continue d’exercer en qualité d’infirmier sans en avoir le titre. Les hôpitaux ne pouvaient pas se séparer de ce personnel. La confusion entre le personnel détenteur d’un titre d’infirmier et les autres génère des tensions que les administrateurs souhaitent régulariser. A.M. Arborio cite dans son livre les propos du président Vidal-Naquet de la fédération hospitalière en 1920 : « Je regrette l’assimilation de l’infirmier, nommé au concours, avec le personnel servant, femmes de ménage, etc. il a passé un concours, reçu un diplôme. »34 Une première distinction avait été faite entre le personnel ouvrier d’entretien et ceux qui s’occupaient des malades, il fallait maintenant instituer une spécificité du personnel infirmier parmi toutes les personnes travaillant auprès des malades. Et on voit alors émerger l’idée d’une mise en ordre hiérarchique d’une part pour stabiliser le personnel formé et le garder, et d’autre part pour rationaliser l’organisation du travail. En effet le travail infirmier pourra être rentabilisé si d’autres le déchargent complètement des tâches domestiques. On voit alors se mettre en place deux grades dans la fonction publique hospitalière : les infirmières et les ASH35. Mais malgré cette tentative de classement, l’hétérogénéité du personnel dans son recrutement et dans sa 34 A.M. ARBORIO, Un personnel invisible, les aides-soignants à l’hôpital , Paris, éd Anthropos, 2001, p. 30 35 ASH : agent des services hospitaliers, terme qui apparaît dans les registres de l’assistance publique de Paris en 1913 éliminant du vocabulaire les termes de filles ou garçons de salle. Mais ce titre ne sera répertorié dans le dictionnaire des métiers et des appellations d’emploi de l’INSEE qu’en 1955. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 37 nomination aux différents postes reste de règle, d’autant plus que la pénurie d’infirmière reste importante. Sous la pression de l’élite infirmière, les pouvoirs publics vont arriver à régulariser petit à petit cette situation et, en 1946, est promulgué une loi qui définit le métier d’infirmière et ses conditions d’exercice. Ne pourront exercer comme infirmières que les seules personnes détentrices du diplôme d’état. L’exercice illégal de la profession est puni. Pour ne pas perdre le personnel dont les hôpitaux ont besoin, des examens et concours vont être organisés, permettant aux infirmières en poste sans diplôme d’état de régulariser leur situation. De même que l’on va susciter la promotion du personnel non qualifié en mettant en place des cours de mise à niveau pour entrer dans les écoles d’infirmières. Mais que va-t-il advenir des personnes qui exerçaient comme infirmière, et qui ne peuvent passer les concours et examens pour obtenir le diplôme d’état ? Devront-elles retrouver le statut d’ASH alors qu’elles avaient exercé comme infirmières ? Ces personnes sont ainsi privées de leur titre mais sont-elles privées de leurs compétences ? Pour répondre à toutes ces questions un arrêté définit le grade d’aidesoignante en janvier 1949. Nous pourrions résumer l’institution de ce grade ainsi : c’est la nécessité de garder ces « faisant-fonctions » d’infirmières qui n’arrivaient pas à obtenir le diplôme d’état qui a entraîné la création de ce grade d’aide-soignante à l’hôpital. A ce grade est associé un avantage financier car les aides-soignantes gagnent plus que les servants de l’assistance publique. Mais d’un autre côté, ce personnel n’est pas associé à un sous-personnel infirmier mais à une catégorie supérieure du personnel non diplômé (ASH). Les aidessoignantes restent du côté du personnel de service. La différence salariale ne comble pas la différence symbolique même si ce personnel dont le grade est validé par le médecin chef de service, assure des soins relevant des tâches infirmières. C’est l’activité antérieure passée au lit du malade qui est prise en compte pour l’obtention de ce certificat Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 38 délivré par le médecin. Pour les hôpitaux cela leur permettait d’avoir suffisamment de personnel pour assurer les soins à moindre coût. Ce grade devait être transitoire, le temps que les faisantfonctions régularisent leur situation et que les hôpitaux réorganisent la distribution du travail. Cet état de fait est corroboré par l’utilisation du vocabulaire : le terme d’aide-soignant est très peu utilisé au bénéfice de celui d’aide-infirmière. Mais ceci évolue en lien avec les besoins en personnel et on voit petit à petit apparaître des demandes de postes d’aide-soignante pour compléter l’équipe d’infirmières. Et on peut trouver une justification de ce poste dans les archives de l’AP36 cité par A.-M. Arborio : « il a été indispensable de prévoir (…) un cadre d’aidesoignant bien que ce cadre ne soit autorisé par la tutelle qu’à titre provisoire. En effet, (…) l’agent féminin qui aide l’infirmière pour les soins élémentaires et les petits pansements est aussi employée au ménage et aux gros travaux. Il ne s’agit ni d’un poste d’infirmière en raison des heures passées à l’entretien des locaux et au nettoyage, ni d’un poste de servante en raison de la participation aux soins et aux remplacements éventuel que l’aide-soignante est appelée à effectuer. »37 De plus si ce personnel bénéficie d’un meilleur salaire que les servantes ou ASH, il ne rejoint pas le salaire des infirmières. Les délégués syndicaux vont s’emparer de cette situation et y associer le deuxième constat suivant : un certain nombre d’ASH assuraient à moindre frais les fonctions d’aide-soignante puisque aucun titre ou diplôme n’était exigé pour assurer ce nouveau grade. (On ne parle pas encore de métier puisque ce grade devait disparaître une fois que les infirmières auraient toutes régularisé leur situation.) Des discussions s’engagent autour de ces différents constats : besoin ou non d’aide pour les infirmières ? Régularisation salariale par l’institution définitive de ce grade ? Pour répondre à ces questions 36 AP : Assistance Publique 37 A.M. ARBORIO, Un personnel invisible, les aides-soignants à l’hôpital ; Paris, éd Anthropos, 2001, p. 41 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 39 l’administration va opter pour la pérennisation de cette nouvelle catégorie de personnel. En janvier 1956 est donc instauré le certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant (CAFAS). Date capitale pour l’évolution de la fonction car pour la première fois on évoque la formation (même si celle-ci est très sommaire) qui de plus est qualifiante. Ce certificat assure un niveau de qualification et entérine les attributions de ce personnel : délivrer des soins d’hygiène en dehors de tout soin médical, sous la responsabilité de l’infirmière. Le personnel en poste à cette date doit passer un examen devant un médecin et une surveillante infirmière pour valider leur position à ce grade. Un peu plus tard et parallèlement à ces régularisations sera mise en place la formation qui institutionnalise le métier d’aide-soignante : elle sera de dix mois dont quarante heures de cours théoriques. Mais malgré l’instauration de cette formation ce personnel aide-soignant reste dans la catégorie du personnel de service. Et dans un déroulement de carrière, ce métier reste l’aboutissement d’un parcours qui a souvent débuté comme agent de service. Très peu de personnes parviennent à entrer à l’école d’infirmière. Il est à noter l’ambiguïté de cette situation : d’un côté ce personnel est associé au monde soignant puisqu’il est en contact avec les malades, et de l’autre il reste proche des agents de services car il garde des tâches liées à l’entretien des locaux. Cette ambiguïté est confirmée par les propos d’une aidesoignante en long séjour : « Je suis aux toilettes le matin. Les38 lever, les habiller, avoir tout le relationnel, voir comment s’est passée leur nuit et après le petit déjeuner, (…) et l’après-midi on a le ménage des chambres, du couloir, puis on a les changes, les couchers, (…)39 38 « les » désigne ici les malades à lever et habiller. 39 Entretien du 25 avril 2005 avec deux aides-soignantes dans un service de long séjour : réponses aux questions 3 et 6. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 40 Ces propos témoignent de l’organisation de certains services où la place des aides-soignants reste une place plus proche des agents de service que de l’infirmière. En parallèle il faut noter une évolution vers les soins infirmiers de plus en plus techniques qui vont absorber complètement l’activité infirmière. Les soins d’hygiène et de confort sont donc de plus en plus du ressort de l’aide-soignant même si la fonction reste imprécise. Ce qui permet d’observer une diversité d’exercice dans ce grade : soit les aides-soignantes ont une activité proche de celle de l’infirmière, soit une activité similaire à celle des agents des services hospitaliers différence liées au service où elles exercent. Au niveau légal ce métier d’aide-soignante ne sera pas situé complètement dans le champ des soignants puisqu’il ne sera pas inscrit au Code de la santé publique comme métier réglementé à la différence du métier d’infirmier : cette inscription protége de l’exercice illégal du métier. Nous ne voyons pas, normalement, d’infirmière exercer sans être en possession du diplôme d’état alors que nous trouvons des agents des services hospitaliers assurant des tâches relevant de la fonction aide-soignante, même si le CAFAS40 est devenu obligatoire pour exercer en 1960. Ce rapide parcours de l’histoire du métier d’aide-soignant met en évidence les liens de dépendance entre les infirmières et les aidessoignantes : l’aide-soignante est défini comme « personnel utilisé sous le contrôle de l’infirmier pour aider celui-ci dans l’exercice de ses tâches. »41 Mais en même temps les aides-soignantes restent indispensables pour assurer l’entretien de locaux et compléter le travail des agents hospitaliers. Nous pourrions aussi dire que c’est un métier créé par défaut pour le personnel qui ne pouvait accéder au diplôme d’état d’infirmière et pour les servants qui justifiaient avoir eu la charge effective d’un groupe de malade pendant au moins un an et l’aptitude à donner des soins. D’autre part nous verrons que le travail d’aide-soignante est très divers 40 CAFAS : certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant 41 Arrêté du 10 juillet 1949 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 41 en fonction des lieux d’exercice et que la définition du métier reste floue malgré les textes législatifs et l’organisation de la formation. 2.2 C’est le travail auprès du malade qui détermine le métier La fonction d’aide-soignante s’inscrit dans le cadre du rôle propre42 de l’infirmier et elle est définie par l’arrêté du 1er février 1982 : « l’aide-soignante assure par délégation de l’infirmier sous sa responsabilité et son contrôle … » C’est bien dans la continuité de l’histoire, donc sous le contrôle de l’infirmier que l’aide-soignante est habilitée à effectuer des soins. L’Arrêté du 22 juillet 2004 va déterminer de façon précise le rôle des aides-soignantes : « Au sein de cette équipe l’aide-soignant contribue à la prise en charge d’une personne ou d’un groupe de personnes et participe, dans le cadre du rôle propre de l’infirmier, en collaboration avec lui et sous sa responsabilité, à des soins visant à répondre aux besoins d’entretien et de continuité de la vie de l’être humain et à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution d’autonomie de la personne. » 2.2.1 Le référentiel d’activité43 Le préambule de ce référentiel élargit la compréhension de l’arrêté de 2004 : les soins devant répondre aux besoins d’entretien de la vie et devant compenser une diminution d’autonomie doivent « s’inscrire dans une approche globale de la personne soignée et prendre en compte la dimension relationnelle des soins. » Cette précision pourrait être interprétée comme une mise en garde d’une dérive technicienne souvent observée dans certains services. Dérive 42 Rôle propre de l’infirmier diplômé d’état est le rôle où l’infirmier a l’initiative des soins envers la personne soignée à la différence du rôle prescrit qui est le rôle qui concerne tous les actes que l’infirmier est habilité à accomplir sur prescription médicale. 43 Annexe IV de l’arrêté du 25 janvier 2005 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 42 technicienne confortée entre autres par la démarche d’accréditation44 où il est demandé aux personnels des services hospitaliers de décrire leurs activités et de traduire sous forme de protocoles un certain nombre de soins. Ce qui peut se comprendre dans le cadre d’une démarche qualité mais qui ne tient pas forcément compte de la difficulté de formuler la dimension impalpable des soins qui est de l’ordre de la relation avec le patient. Il est en effet difficile de décrire une relation, de la traduire sous forme de texte lorsque l’on sait qu’il s’agit de la rencontre entre deux personnes à un moment donné de leur histoire, dans un contexte particulier qui est souvent celui de la maladie ou de la dépendance. Malgré ce référentiel on constate une dérive technicienne souvent liée à la pénurie de personnel : comment privilégier la dimension relationnelle dans un soin lorsque l’on sait que par exemple dans un service de long séjour il n’y a que deux aides-soignantes pour coucher trente patients dépendants, souvent désorientés et nécessitant d’être changés ? Pour faire face à cette difficulté il faut du personnel particulièrement motivé et formé. Le cadre supérieur d’un établissement de long séjour me faisait part de son souci face à une situation de maltraitance et son observation confirmait cette compréhension dans le sens où il constatait que plus le personnel était formé et accompagné, moins il y avait de risque de maltraitance envers les patients dépendants. Nous pouvons donc interpréter ce rappel de la dimension relationnelle des soins dans le référentiel d’activité comme un point important mais qui n’était pas stipulé dans le texte législatif. Pour compléter ce regard global sur la fonction aide-soignante ce même préambule précise que le rôle de l’aide-soignante est d’accompagner la personne dans les activités de la vie quotidienne et de contribuer à son bien-être. Cette dimension donne sens à leur métier. Puis ce référentiel donne la définition du métier qui précise à nouveau la collaboration de l’aide-soignante avec l’infirmière. Le terme 44 Démarche d’accréditation dans le secteur de la santé correspond en quelque sorte à la démarche qualité au sein des entreprises. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 43 de collaboration remplace le terme précédent de délégation. Avant la circulaire de janvier 1996 relative au rôle et missions des aidessoignantes, celles-ci travaillaient par délégation. Qui dit délégation dit transmission d’une responsabilité, d’un pouvoir à quelqu’un. L’infirmière autorisait l’aide-soignante à effectuer une partie des soins qui étaient en son pouvoir. En substituant le terme de collaboration à délégation, le texte législatif donne un nouveau statut au soin de l’aide-soignante. L’aide-soignante partage, met en commun son travail avec celui de l’infirmière. Au niveau législatif elles gagnent en légitimité. Si nous faisons un petit retour sur l’histoire il aura fallu du temps pour que cette catégorie professionnelle accède à un certain statut : entre le moment de l’institution du certificat d’aptitude (CAFAS) en 1956 et ce texte législatif de 1996, quarante ans auront passé. À ce changement de termes pour définir la relation entre les infirmières et les aides-soignantes est associé un changement de dénomination du diplôme qui s’appellera désormais diplôme professionnel d’aidesoignant (DPAS). Ces changements ne sont pas fondamentaux mais traduisent la représentation que les législateurs se font des évolutions des fonctions dans ce secteur hospitalier. De plus ils entérinent la division du travail qu’E. Hughes a bien expliqué où chaque profession qui gagne en prestige se décharge sur le métier subalterne des tâches qui lui semblent moins dignes. Le métier d’aide-soignante est dorénavant complètement institué ayant « récupéré » une partie des soins d’hygiène et de confort relevant du rôle propre de l’infirmière et ayant réduit normalement la part de l’entretien des locaux à l’environnement du malade, se déchargeant ainsi d’une partie de sa fonction sur les agents des services hospitaliers. (Ce constat se faisant au regard des textes car la réalité est souvent différente suivant les lieux d’exercice). Pour revenir à l’étude du référentiel d’activité, après ce préambule et la définition du métier sont décrites les activités du métier. Huit activités sont répertoriées et détaillées. Le constat que l’on peut faire est la séparation entre les tâches techniques pures et la part Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 44 relationnelle des soins. Comme s’il s’agissait de deux activités différenciées, comme si lorsque l’on fait un soin on séparait l’acte technique et le temps de la relation. Ce constat s’inscrit dans l’observation de la démarche qualité instituée dans les services de soins, démarche issue du monde de la production industrielle. Mais cela rejoint aussi la part symbolique de prestige attribué à la technicité. N’oublions pas que c’est cette évolution technique et les performances médicales qui lui ont été associées et qui ont permis à la chirurgie de gagner son prestige par rapport aux autres spécialités médicales. (Au XIXe siècle c’était les barbiers qui assuraient les opérations chirurgicales.) Revenons au référentiel : huit activités sont répertoriées, six d’entre elles décrivent toutes les tâches constitutives du métier : dispenser des soins d’hygiène corporelle, observer l’état de la peau et des muqueuses, assurer l’entretien de la chambre. La septième activité qui définit la part relationnelle du soin est, comme les précédentes, formulée en termes d’objectif d’action : « accueillir, informer et accompagner les personnes et leur entourage »45. Les détails de cette activité sont eux aussi très fonctionnels et nommés « principales opérations constitutives de l’activité ». Ce champ lexical est proche des termes employés dans le secteur de la production industrielle même s’ils essaient de mettre en avant la part de la dimension relationnelle du soin. Par cette analyse du livret nous percevons toute la difficulté pour le personnel actuel de se retrouver dans ces injonctions qui sont souvent paradoxales : soyez efficients en suivant les protocoles, mais n’oubliez pas d’être avant tout « humain ». Alors que l’on peut considérer que de décrire de cette manière une activité soignante lui enlève justement toute sa part de dimension humaine qui sera de toute façon difficilement descriptible puisqu’elle met en cause cette zone d’incertitude qui détermine les rapports humains. 45 Annexe 1 au livret de présentation des acquis de l’expérience. Diplôme professionnel aidesoignant – Référentiel d’activité Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 45 2.2.2 Le référentiel de compétence Nous venons d’étudier le référentiel d’activité et ainsi de nous interroger sur l’impact qu’il pouvait avoir dans la représentation du métier d’aide-soignante. Il nous semble intéressant de compléter cette première analyse par l’étude du référentiel de compétence46. Du référentiel d’activité ont été identifiées huit compétences : accompagner une personne dans les actes essentiels de la vie quotidienne en tenant compte de ses besoins et de son degré d’autonomie ; apprécier l’état clinique d’une personne ; réaliser des soins adaptés à l’état clinique de la personne ; utiliser les techniques préventives de manutention et les règles de sécurité pour l’installation et la mobilisation des personnes ; établir une communication adaptée à la personne et à son entourage ; utiliser les techniques d’entretien des locaux et du matériel spécifique aux établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Même si ces compétences sont déclinées par la suite seulement en termes de savoirs faire, ce référentiel donne une image moins technicienne du métier. Deux compétences insistent sur l’accompagnement et la communication comme éléments importants de la dimension soignante du métier. Malgré tout, le découpage en compétences, annihile la complexité de tout acte de soin à une personne. Cette séparation entre la dimension technique et la dimension relationnelle rend difficile la vision globale du soin. Ne meton pas ainsi en évidence que l’on ne peut pas complètement décrire dans des référentiels, des métiers où la part de la dimension humaine reste prédominante ? Face à ces questions il est important d’identifier les biais induits par notre propre formation et conception des métiers du soin. 46 Référentiel de compétence : Annexe V à l’arrêté du 25 janvier 2005 relatif aux modalités d’organisation de la validation des acquis de l’expérience pour l’obtention du diplôme professionnel d’aide-soignant Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 46 Identification nécessaire pour ne pas risquer de se laisser aller à un jugement de valeur mais garder une certaine objectivité. 2.3 Comment les aides-soignantes donnent sens à leur activité entre travail prescrit et travail réel Pour compléter cette étude des référentiels il nous semble intéressant d’analyser les entretiens où des professionnelles parlent de leur métier. Quelles représentations s’en font-elles et comment elles les traduisent. Cette représentation est fonction du service dans lequel elles exercent ce dont nous avons parlé précédemment. La réanimation reste le service de référence dont la symbolique de prestige est importante. En opposition les services de longs séjours sont souvent les moins prisés et considérés comme les moins prestigieux. Pour autant aucune personne n’a été gênée par cette situation d’entretien ce qui témoigne d’un climat salarial relativement serein. En analysant la retranscription ce qui est frappant c’est la facilité de parole des aides-soignantes de réanimation. Les personnes travaillant en long séjour avaient plus de réserve pour décrire leur travail ou donner leur avis personnel. 2.3.1 Le rapport au travail Lorsqu’on leur pose la question de ce qui fait leur métier, l’influence du lieu d’exercice s’impose : les aides soignantes de réanimation mettent tout de suite en avant la dimension technique de leur travail. Ce qu’elles entendent par dimension technique, ce sont tous les gestes de soins qui prennent une dimension technique, jusque dans les actes quotidiens comme la toilette faite à un patient difficile à manipuler puisqu’il est sédaté47, intubé, ventilé et porteur de sonde : 47 Un malade sédaté est un malade endormi médicalement. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 47 M. : En particulier en réanimation, je crois que le travail est beaucoup plus technique qu’en long séjour ou dans les autres services. En réa. on peut s’occuper correctement du patient. C’est la différence que je vois par rapport au travail en moyen séjour : on a le temps de les bichonner et puis autrement ce que nous on peut apporter c’est après, à leur réveil. Mais c’est aussi pendant, car de toute manière on prend soin de leur corps. (…) Comme on n’a pas réellement de contact verbal avec eux, quoi que là en ce moment on a plus de malades avec qui on peut discuter, c’est la prise en compte de leur corps qui est importante. Quand on a quatre malades intubés, ventilés finalement l’image c’est de s’occuper de leur corps, de leur bien être et puis suivant l’évolution … A. : Oui de bien faire la toilette, de se rendre compte s’il y a besoin d’un shampoing. M. : Et puis suivant l’évolution du patient, on prend plus en charge le côté psychologique. Parce que les malades ont un parcours où ils ont été endormis pendant un certain temps et ils n’ont pas réellement de souvenirs de la réanimation. Et progressivement on les voit qui ouvrent leurs yeux, on leur explique pourquoi il y a telle chose autour d’eux car quand ils se réveillent et quand ils sont « techniqués »48 comme ça ils sont dans l’angoisse, parfois ils ont en plus les mains attachées49. On essaie de calmer leur angoisse car on voit dans leur regard qu’ils sont effrayés comme, je ne dirais pas des animaux, mais ils se posent plein de questions, ils sont affolés et il y a toujours plein de gens autour d’eux et puis on est là, on les aspire, on leur fait des soins de bouche : ça doit être très, très angoissant.50 48 Un malade « techniqué » est un malade intubé, sous ventilation artificielle, perfusé, porteur de sonde digestive et de sonde urinaire. 49 Les malades de réanimation en phase de réveil peuvent arracher inconsciemment les sondes d’intubation ou les perfusions : pour éviter ces risques il y a souvent prescription médicale d’une contention. 50 Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation du 21 avril 2005, réponses 3 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 48 Si on approfondit l’analyse du travail décrit, le côté technique de celui-ci est effectivement mis en avant, tout en étant associé à la dimension d’une prise en charge globale du patient dans un service où les quotas en personnel sont adaptés à la charge de travail : « on peut s’occuper correctement du patient, on a le temps de les bichonner, s’occuper de leur bien-être, on essaie de calmer leur angoisse. » Cette dimension de prise en charge globale est ici valorisée alors qu’elle était peu exprimée dans les référentiels étudiés précédemment. Les détails employés pour dire leur attention au patient « on voit dans leur regard, on leur fait des soins de bouche » traduisent la place qu’occupent ces soignantes auprès des malades. Un peu plus loin dans l’entretien, à une question qui leur demandait ce qui faisait pour elles le cœur de leur métier, leurs propos vont confirmer la place du relationnel : A : d’abord l’écoute s’il est conscient, écouter. M : c’est l’écoute qui prime dans le métier, si vous n’êtes pas à l’écoute du patient ça ne vaut pas la peine de travailler. A : c’est maîtriser les techniques de base : de savoir faire très bien une toilette, savoir préparer le matériel quand il y a un examen ou quelque chose. Mais ça c’est spécifique à la réanimation.51 L’importance de leur rôle dans l’accompagnement du malade est prioritaire et associé à la maîtrise d’une dextérité pratique. Il ne suffit pas simplement de faire une toilette, il faut la faire très bien. Comme si le travail en réanimation exigeait particulièrement cette excellence. Le ton enjoué utilisé dans cet entretien témoigne de l’intérêt pour leur travail qui est aussi traduit par le rythme des paroles et l’envie de dire le plus de choses sur leur métier. Les aides-soignantes interrogées et travaillant en long séjour ont un ton moins enthousiaste pour décrire leur activité. La description du 51 Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation du 21 avril 2005, réponses 8 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 49 contenu de leur travail est une description très technique elle aussi, mais ici ce n’est pas identifié comme tel. Implicitement les gestes sont plus proches du travail domestique que celui effectué en réanimation : il n’y a pas les machines pour valoriser ces gestes. Ici les aidessoignantes sont seules avec les patients, il n’y pas d’intermédiaire pouvant donner un prestige à leur prestation. Le vocabulaire utilisé pour décrire ce travail est un vocabulaire signifiant une certaine distance avec le malade : L. : Moi je suis aux toilettes le matin. Les lever, les habiller, avoir tout le relationnel, voir comment c’est passé leur nuit et après le petit déjeuner, voir s’ils mangent bien et puis après on a le repas du midi. Là ça discute et puis bon (silence) (…) On a le ménage des chambres, du couloir, puis on a les changes, les couchers, puis les derniers à coucher puisqu’on en a trois qui mangent en salle : voilà ! (Silence) (…) l’après-midi c’est plus dur de rester communiquer avec eux parce qu’il faut tous les gérer et puis il faut répondre à toutes les sonnettes, deux c’est juste !52 Le début de la description du travail est très distanciée : « je suis aux toilettes ». Dans ce début de phrase le malade n’est pas évoqué, ce n’est que l’activité qui est annoncée. Puis le descriptif continue et les personnes à lever sont nommées par l’article « les ». La place des relations inter personnelles est aussi évoquée comme un acte technique à effectuer : « avoir tout le relationnel. » Nous retrouvons bien ce qui est décrit dans les référentiels où la place de la relation entre soignant et soigné est décrite comme une activité à effectuer au même titre que les soins d’hygiène mais dissociée de ces soins : il s’agirait de deux activités différentes et non pas d’une activité complexe où la relation interviendrait tout au long d’un soin, serait partie intégrante de ce soin. Cette relation est même identifiée comme une 52 Entretien avec deux aides-soignantes du 25 avril 2005, réponses 3 et 7 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 50 difficulté dans l’organisation du travail : « c’est dur de rester communiquer avec eux, il faut tous les gérer. » Peut-on interpréter cette description comme le résultat des conditions dans lesquelles ces aidessoignantes sont appelées à travailler : elles ne sont que deux personnes responsables de trente résidents dépendants, l’après-midi. Devant la dureté des conditions de travail ne vaut-il pas mieux se protéger en tant que soignant par une prise de distance par rapport au patient ? Cette prise de distance est traduite par le détachement de la relation soignant-soigné, ces sont les gestes techniques à effectuer qui priment. La comparaison avec le travail en réanimation est difficile puisque les aides-soignantes en réanimation ont la responsabilité de quatre malades et ont un travail plus prestigieux puisque associé à une haute technicité. De plus dans ce service de long-séjour la description du travail intègre l’entretien des locaux, part du travail aussi importante que la part de la prise en charge des patients. Cette importance est démontrée par la construction de la phrase où le ménage est associé aux couchers des patients. Pour continuer cette analyse, comparons ce premier entretien avec celui d’une aide-soignante d’un autre service de long-séjour. Le travail est lui aussi décrit de manière très pratique et est comparé à celui pouvant être fait dans une maison de retraite : B. : Dans le privé53 où je travaillais, on prenait peut-être plus en compte - je ne sais pas comment dire – le bien-être, l’apparence des résidents, on prenait peut-être plus de temps à ça, à leur faire plaisir. Q8 : Et ici ? B. : Ici, je pense qu’on voudrait aller vers ça aussi, l’équipe le demande. Mais je pense que non 53 Cette aide-soignante travaillait avant dans une MAPA (maison d’accueil pour personnes âgées) équivalent d’une maison de retraite. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 51 je pense qu’ici on les lave, on les installe et puis point. (Ton ferme et triste)54 Cette comparaison avec le travail pouvant être fait dans une maison de retraite et un service de long séjour confirme que les conditions de travail conditionnent la qualité de la prise en charge. Conditionnent aussi le sentiment de satisfaction de la soignante de pouvoir mettre en oeuvre ce qui est attendu d’elle ou ce qu’elle pense être attendu d’elle. Cette distanciation d’avec les patients n’est pas un manque de volonté : l’équipe le demande, mais une réalité. La construction de la phrase témoigne ici aussi de cette distance dans la relation avec le résidents : on les lave, on les installe et puis point. Ce « point » montre qu’il n’est pas possible d’aller au-delà dans le soin. Cette personne ne s’autorise pas à s’impliquer d’avantage et le dit clairement avec ce terme qui clôture la discussion. Je ne suis pas autorisée à aller plus loin même si j’avais souhaité approfondir et étudier avec elle ce qui pourrait expliquer cette différence dans l’organisation du travail et les répercussions que cela a dans les ressentis des soignants face à l’exercice de leur métier. 2.3.2 Le rapport à l’équipe Si nous regardons de près la description du travail d’équipe nous constatons qu’il est évoqué par toutes les aides-soignantes comme un point fort de leur activité. Mais là aussi il y a une nette différence entre le travail d’équipe en réanimation et celui vécu en long séjour. S. (aide-soignante en long-séjour) : Et puis il y a le travail en équipe : elle surtout (montrant de la tête sa collègue qui travaille dans un secteur où de nombreux résidents sont grabataires). On travaille surtout en binôme, elles sont toujours deux. Une aide-soignante et une agent qui font les toilettes en même temps. 54 Entretien du 23 février 2005, réponses 7 et 8 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 52 A. (aide-soignante de réanimation) : Ce qui est aussi intéressant en réa c’est de travailler avec une infirmière, en binôme. C’est très intéressant et très enrichissant pour notre profession. On apprend tout le temps, on évolue, on n’est pas dans la routine, les choses évoluent, ça c’est très intéressant. Et puis on a différents cas et on est obligé d’apprendre. Et suivant ce que le médecin va demander de préparer l’aide-soignante peut demander à sa collègue infirmière de participer lors de tel ou tel soin et ça je trouve que c’est très bien. On a le chariot d’urgence qu’on connaît et par exemple quand il y a une pose de sonde urinaire, nous on va pouvoir préparer le matériel. On fait aussi la préparation de la peau pour la pose d’un cathéter. S’il y a besoin de raser on va le faire, c’est nous aides-soignantes qui le faisons. On est vraiment partie prenante du travail d’équipe plus que dans un autre service. M. (aide-soignante en réanimation) : On sent ici que c’est un travail d’équipe ; à partir du moment où le médecin donne sa prescription tout se lie, ça fait une chaîne. L’infirmière va faire ça, nous on prépare le matériel et tout s’enchaîne et c’est ça qui est formidable dans ce service où on sent que chacun à sa place et il y a une union. Le premier constat concerne la constitution du « binôme » : en long séjour, il s’agit du binôme aide-soignant / agent (AS / ASH) alors qu’en réanimation c’est un binôme constitué par l’infirmière et l’aidesoignante (IDE / AS). Ces aides-soignantes utilisent malgré tout le même terme. Ceci est une différence importante attachée à la reconnaissance par les aides-soigantes de leur place dans l’équipe. De plus cette référence au binôme renvoie au texte législatif qui institue le travail de l’aide-soignant en collaboration avec l’infirmière. De nombreux articles de revues professionnelles évoquent régulièrement ce travail en binôme et le valorise. L’utilisation de ce terme de « binôme », par les professionnelles de long séjour pour décrire leur activité en partenariat avec les agents illustre clairement le besoin de reconnaissance et de valorisation de leur activité. Dans cette situation de long séjour ce sont ces mêmes aides-soignantes qui sont en Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 53 position hiérarchique supérieure dans ce travail en binôme. Cette situation permet de donner de la valeur à leur travail dans un service de moins grand prestige. En réanimation l’infirmière est nommée « collègue » alors que les aides-soignantes de long séjour n’évoquent pas la place de l’infirmière dans la description de leur travail. Elles n’en parleront qu’à la suite de question sur l’organisation hiérarchique. Dans la description de l’équipe en réanimation le médecin est nommé : « suivant ce que le médecin va demander, le médecin donne sa prescription. » En terme de reconnaissance il est valorisant de montrer que le travail médical est complété par la participation de l’aidesoignante à la chaîne du soin : « tout se lie, ça fait une chaîne. » Cette représentation d’une chaîne dans le travail confirme l’analyse d’E. Hughes quand il décrivait la division du travail médical. En associant cette description de réanimation à celle du travail d’équipe en long séjour nous pouvons dire que nous sommes dans le même schéma. Une chaîne a bien un début et une fin, au début nous retrouvons le médecin, qui représente la partie la plus noble du travail : poser un diagnostic, donner un traitement ; puis il y a l’infirmière qui va exécuter un geste technique de soin sur prescription médicale et l’aide-soignante qui prépare le matériel pour l’infirmière. Mais ici même si l’aidesoignante est au bout de la chaîne elle participe à un travail reconnu et prestigieux puisqu’il est associé au prestige du service et elle est en contact avec le médecin. D’autre part elle fait partie intégrante de l’équipe et n’a pas besoin de revendiquer une place, celle-ci est constitutive du fonctionnement de cette équipe. Ici l’enjeu est de taille car les aides-soignantes côtoient le corps médical. Les analyses de A. Strauss montrent que dans le cadre de l’hôpital moderne la pratique des professionnels devient de plus en plus une pratique d’interdépendance dans la mesure où la prise en charge d’un patient est nécessairement inter disciplinaire, ce qui modifie la nature des tâches. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 54 En long séjour la situation est différente : le médecin n’est pas évoqué spontanément par les professionnelles : il ne fait pas partit du cercle proche comme le reconnaît cette aide-soignante : Q14 : Avez-vous des contacts avec le médecin ? S. : On n’a pas beaucoup de relations avec le médecin : il travaille surtout avec les infirmières. Il fait le staff avec les infirmières et puis nous (silence) : il ne vient pas nous demander. Si, je mens ! Avant quand il y avait la visite, le vendredi les aides-soignantes allaient avec le médecin et il nous demandait des fois : mais ça c’est perdu. Manque de temps, dès fois il arrive il est midi et nous on est à distribuer les repas et on n’est pas disponibles. Mais si on voulait échanger, il nous écoute (ton désabusé). Mais à l’heure où il vient nous on fait autre chose.55 Cette réponse témoigne du ressenti des aides-soignantes de ce service de long séjour : le médecin accorde son intérêt aux infirmières : « il fait le staff avec les infirmières et puis nous… » L’infirmière est identifiée comme la personne de référence pour le corps médical, l’aide-soignante n’apparaît pas dans ce fonctionnement d’équipe : elle lave, change et couche les patients, tâches qui lui ont été reléguées par les infirmières. Ce ressenti confirme les propos de Hughes : « Les infirmières délèguent les plus humbles de leurs tâches traditionnelles aux aides-soignantes et aux femmes de services.»56 En réanimation les aides-soignantes revendiquent des prérogatives allant de pair avec la technicisation de leurs activités. Alors qu’en long séjour les aidessoignantes restent associées aux agents ne pouvant ainsi gravir l’échelle de la mobilité. (…) « Une définition satisfaisante du rôle de ces nouveaux travailleurs fait notoirement défaut, alors qu’une définition rigide des rôles et des grades est de règle dans ce système ».57 55 Entretien du 25 avril 2005, réponse 14 E. Hughes, Le regard sociologique, Paris, éd de l’école des hautes études en sciences sociales, 1996, p. 64 56 57 E. HUGHES, Le regard sociologique, Editions de l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris, 1996 ; p. 65 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 55 E. Hughes montre ici l’importance de compléter l’analyse de la division technique du travail par la définition des rôles : les tâches des aidessoignantes sont décrites clairement dans les référentiels et dans les fiches de poste des différents services, mais leurs rôles sont spécifiques à chaque service et ressenti différemment par les acteurs. B. (aide-soignante de long séjour mais ayant travaillé en maison de retraite) : Alors ici les agents et les aides-soignants travaillent ensemble, font le même travail, chose que dans le privé on ne faisait pas du tout la même chose. Au dessus de nous il y a l’infirmière. Ici on ne travaille pas trop avec l’infirmière parce qu’il y a une seule infirmière pour 68 résidents. Puis il y a le cadre. Je pense que l’un sans l’autre on ne peut pas travailler. L’infirmière ne peut pas travailler sans nous, nous on ne peut pas travailler sans elle, en fait c’est un travail d’équipe.58 Cette description témoigne de la hiérarchisation et de la distribution des rôles propre à chaque service : dans ce service les rôles des aides-soignantes et des agents sont identiques et bien séparés de ceux de l’infirmière à la différence d’un autre service : « chose que dans le privé on ne faisait pas ». Alors que l’attente serait de séparer les rôles des aides-soignants de ceux des agents. Hughes analyse ce flou inhabituel dans les services de soins comme révélateurs de l’impact des changements techniques sur la division du travail réel, changements techniques modifiant les autres rôles des acteurs dans le système de soin. Cette analyse systémique montre que malgré la construction de référentiels il reste toujours des interactions entre les acteurs intervenant sur l’organisation du travail et engendrant cette différence entre travail prescrit et travail réel. 58 Entretien du 23 février 2005, réponse 10 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 56 2.4 Ce qui fonde la reconnaissance ? L’intimité que les aides-soignantes partagent avec les malades lors des soins corporels permet à ce personnel d’être apprécicé par les patients. C’est bien en effet, cette catégorie de personnel qui passe le plus de temps auprès de ces patients au cours d’une journée. Cette représentation est largement reprise pour la justification du choix du métier lors des entretiens du concours d’entrée : « Si je choisis ce métier, c’est parce que l’infirmière va faire plus d’actes techniques, souvent douloureux, alors que l’aide-soignante va pouvoir avoir plus de temps auprès des gens. Quand on fait une toilette, ils (les malades) nous parlent souvent plus facilement, on est plus proches d’eux. »59 Ceci va être confirmé par les propos d’un cadre supérieur de plusieurs services de long séjour et de maisons de retraite à une question sur la place de l’aide-soignante auprès des résidents : R5 : Sa place ? Elle a une place professionnelle située au niveau des soins d’hygiène, au niveau de l’accompagnement de la vie qui est assez prépondérante parce que l’infirmière dans une maison de retraite a en charge un nombre de résidents important. Elle est souvent sur plusieurs unités alors que l’aide soignante est dans l’unité, fait un travail de proximité, fait un travail de proximité sur la durée, c'est-à-dire qu’on ne peut pas se permettre d’avoir autant de turn-over que dans un service classique compte tenu qu’il y a de nécessaires habitudes à prendre : c'est-à-dire connaissance des habitudes et des besoins des résidents d’un côté, et sécurisation pour les résidents de l’autre de voir toujours un peu les mêmes personnes. 60 La proximité de l’aide-soignante avec le résident est attendu et nécessaire à la qualité de l’accompagnement. Ici ce travail est nettement valorisé puisqu’il permet la « sécurisation » des patients. 59 Notes prises lors d’un entretien de recrutement lors de l’oral du concours d’entrée à l’école d’aide-soignant en novembre 2004 60 Entretien avec un cadre supérieur de santé le 31 décembre 2004 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 57 Mais cette représentation est souvent modulée lors de la description des tâches par les professionnels en poste, comme nous l’avons analysé ci-dessus. Nous avons aussi pu constater la difficulté de définir rationnellement ce métier tant la diversité des rôles est grande ; ces rôles intervenant dans le sentiment de reconnaissance. Q9 : Tout à l’heure vous parliez de l’importance d’être présente quand le patient se réveille de sa sédation : c’est un moment important pour l’aide-soignante ? A. : Oui, c’est un moment très fort, très important car la personne est souvent intubée et elle va essayer de comprendre ce qui va lui arriver, parler c’est difficile, elle va se rendre compte qu’elle a très mal à la gorge. Il faut qu’on soit là pour lui expliquer ce qui lui est arrivé. C’est important. M. : Par rapport à l’infirmière je trouve que c’est important. En plus on rentre dans l’intimité de la personne. Pendant la toilette on va lui toucher toute les partie du corps, on va être très proche d’elle. Ce n’est pas toujours évident de se laisser laver par quelqu’un d’étranger. Il faut les rassurer et comme on disait ils sont endormis, mais quand on rentre dans la chambre on dit bonjour même s’ils sont « techniqués », on leur parle, on leur dit ce qu’on fait. Ça c’est important aussi. Ce n’est pas parce qu’ils sont endormis qu’on ne doit pas leur parler, sinon c’est presque une agression. (…)61 La valorisation du travail est placée au niveau du patient et de la qualité de la relation instituée avec lui. « Il faut qu’on soit là pour lui expliquer…on rentre dans l’intimité de la personne… » Au-delà de la relation c’est le travail sur du matériau humain qu’est le malade qui donne valeur à la prestation et qui permet de se situer du côté des soignants et non du côté des agents des services 61 Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation le 21 avril 2005, réponse 9 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 58 hospitaliers. Même si la place de la relation verbale est valorisée, le contact physique avec le malade fait le travail et fait ici, la reconnaissance par la proximité qu’il institue, permettant cette intimité. Et cette intimité fait la différence avec le travail de l’infirmière et participe ainsi à cette reconnaissance : « par rapport à l’infirmière je trouve que c’est important… » Ceci est dit d’une autre façon par une autre aide-soignante de long séjour mais confirme cette première observation : B. : Je pense que ça va dépendre du service, ici dans un service de long séjour c’est sûr que la technique il en faut mais se sera plus le contact humain en fait. Puisqu’il y a des gens qui sont là, qui n’ont même plus de famille et qui nous considèrent un petit peu comme leur famille donc c’est important de parler avec eux, c’est plus important que seulement la technique, voilà.62 Le geste technique est incontournable mais prend sens quand il est associé à la dimension relationnelle du soin et participe ainsi à la valorisation du métier. « C’est en effectuant ces tâches socialement dévalorisées que les aides-soignantes construisent un mode de relation privilégiées avec les malades (…) offrant une ressource pour valoriser leur position.»63 De plus ici la valorisation passe aussi par le fait que l’aide-soignant remplace la famille absente. On peut considérer que dans une certaine mesure c’est l’acteur qui construit ici la reconnaissance de son métier par la valeur qu’il lui attribue. Mais nous ne pouvons nier les difficultés de reconnaissance liées au contexte dans lequel ce travail peut s’effectuer : P. : Deux heures non stop pour mettre tout les gens au lit, sans qu’on ait des lits à changer. Parce 62 Entretien avec une aide-soignante de long-séjour du 23 février 2005, réponse 23 63 D. CARRICABURU, M. MENORET, Sociologie de la Santé : institutions, professions et maladies, Armand Colin, Paris 2004, p.73 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 59 que si on a des lits à changer, si on a énormément de selles alors là c’est deux heures et demie ! (…) Et puis quand on a envoyé tout le monde dans la salle s’il nous reste 10 minutes on doit passer la gaze dans tout un côté de chambre ; pour ramasser la poussière. On fait un côté, l’autre côté est fait l’après-midi. Quand on arrive on fait les transmissions et puis on fait le ménage. (…) De toute façon c’est dur d’être plus près de gens, parce que nous d’après-midi par exemple on va sauter sur le chariot de ménage, ensuite on saute sur le chariot de linge pour commencer les couchers. Si on avait du temps, car ici c’est à la chaîne qu’on les couche, il faut faire vite, parce que autrement on est toujours là et après c’est le repas du soir en chambre.64 Dans cet entretien l’insatisfaction liée aux conditions de travail influence la perception de celui-ci et du coup la reconnaissance qu’on pourrait en retirer. «Si on avait du temps » traduit cette difficulté. Il est difficile de valoriser un travail que l’on souhaiterait faire suivant sa représentation mais que l’on est obligé d’effectuer dans des conditions de pénurie de personnel. Les injonctions paradoxales influencent en négatif la reconnaissance par les acteurs, de leur métier : savoir comment il faudrait faire et ne pouvoir le faire par manque de temps et de moyens. Pour compléter cette analyse d’entretien A. M. Arborio montre dans son ouvrage65 que cette intimité avec le malade permet cette différenciation d’avec les autres professionnels du soin que sont les infirmières, permettant ainsi une valorisation de leur travail donc une reconnaissance. Ce qui souscrit aussi cette valorisation c’est que les aides-soignants travaillent sur le même « matériau » (travail sur l’homme) que le médecin ou l’infirmière et que de son travail dépend celui du supérieur hiérarchique : en effet pour que la visite et l’examen 64 Entretien avec deux aides-soignantes travaillant en long-séjour du 28 avril 2005, réponse 15 65 Ibid 34 : p. 106 – 113 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 60 du malade se fasse au mieux pour le médecin il faut que l’aide-soignant ait lavé, changé le patient, que la température soit prise. Le travail de l’aide-soignante entre donc dans cette chaîne soignante et par delà participe à la valorisation du métier. De plus ce personnel cohabite avec des métiers à haut prestige social assurant ainsi une certaine reconnaissance. L’impact des organisations de services joue un rôle peu négligeable : dans le service de réanimation les aides-soignantes se sentent intégrées dans cette équipe et travaillent en même temps que le médecin alors que dans un des service de long séjour elles ne le rencontre pas66. Une aide-soignante qui a travaillé dans différents services le signifiera clairement : B. : Ici le médecin n’est pas très accessible, c’est un petit peu dommage. Il travaille surtout avec l’infirmière. Le service où j’étais, le service de moyen séjour, le médecin nous parlait et il tenait plus en compte ce qu’on disait. Ici, non, c’est un peu dommage. De nous écouter ça participe à la reconnaissance, on passe beaucoup de temps avec les patients et on sait des choses. Où j’étais avant le médecin participait aux transmissions, on avait des réunions toutes les semaines un petit peu pour faire le point ; ici non, ça n’existe pas.67 Le fait « d’être écouté participe à la reconnaissance » : ceci montre bien que la place accordée aux aides-soignantes est perçue par l’intérêt et l’attention qui leur sont manifestées par la hiérarchie et en particulier par les médecins détenteurs d’un prestige social. De plus, participer aux transmissions avec les médecins et les infirmières rassure sur la place occupée dans l’équipe et amende le travail. « On sait des choses » témoigne également du besoin de valoriser cette participation au travail d’équipe. Seuls les aides-soignants connaissent des « choses » inaccessibles aux autres soignants qui ne partagent pas une intimité avec le patient. 66 Cf. citation d’entretien page 50 67 Entretien avec une aide-soignante de long-séjour du 23 février 2005, réponse 16 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 61 3 - Conclusion On voit donc ici, que ce métier récent, créé à titre provisoire et temporaire se pérennise sans pour autant que la reconnaissance soit effective. La première partie de ce travail situe le métier d’aide-soignante dans la division du travail auprès des malades et des personnes dépendantes, et analyse les représentations des acteurs de leur métier. Cette première approche permet d’identifier le ressenti que ces aidessoignantes ont de leur rôle dans une équipe soignante. Ceci permettait aussi de situer l’aide-soignante, personnel intermédiaire entre l’ASH (agent des services hospitalier) et l’infirmière. « Cependant, tant par son statut (irresponsabilité et travail par délégation) que par sa position dans la division du travail qui l’amène à prendre en charge le dirty-work (le sale boulot), ou par les caractéristiques sociales de ses membres, plus proches de la catégorie des ASH que de celle des infirmières, elle relève plutôt du pôle dominé des personnels de service. »68 A. M. Arborio situe cette catégorie de personnel dans la catégorie du personnel de service plus que dans la catégorie du personnel soignant et met en évidence la difficulté, pour ce personnel, de se situer dans la hiérarchie du travail hospitalier tant les tâches demandées et les rôles sont variables suivant les services où elles exercent. Les entretiens auprès d’aides-soignantes travaillant dans des services très différents (réanimation et long séjour) confirment cette approche. Au regard de ces éléments identifiés comme pouvant participer à la construction d’une reconnaissance ou non, dans l’exercice de ce 68 A. M. ARBORIO, Un personnel invisible : les aides-soignantes à l’hôpital, Anthropos, Paris 2001, p. 294 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 62 métier, il semble important de continuer cette recherche sur le rôle de la formation dans cette reconnaissance et de s’interroger sur les enjeux de la mise en œuvre de la validation des acquis de l’expérience pour l’obtention du DPAS. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 63 Chapitre deux Le processus de sélection et de certification d’un métier peu qualifié Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 64 Après analyse des entretiens il ressort que ce métier représente une chance de pouvoir détenir un travail. Il représente aussi un avantage symbolique lorsqu’il est rapporté à la situation sociale d’origine et à la position d’ASH, souvent occupé dans un premier temps dans la fonction hospitalière. Ceci témoigne de la place prépondérante des trajectoires personnelles de ces aides-soignantes dans la représentation qu’elles ont de leur métier, et entérine les diversités de pratiques observées suivant les services où ce personnel exerce. Cette diversité de particularités liées aux trajectoires sociales personnelles et professionnelles peut-elle être atténuée par une formation commune et l’obtention d’un titre qu’est le DPAS69 ? D’autre part la VAE ne risque-telle pas d’augmenter ces différences et entraîner sur du long terme une diminution d’homogénéité des pratiques de ce métier ? En quelque sorte intervenir d’une certaine manière comme une déqualification du métier jouant sur la reconnaissance ? Pour vérifier cette hypothèse il faut regarder du côté de la formation professionnelle tout au long de la vie et les principes qui ont guidé l’élaboration des concepts - en particulier le concept de compétence liés à l’évolution du contexte socio-économique. Ces concepts sont à situer dans un environnement en pleine mutation et dans une époque où même les intitulés des métiers se révèlent précaires : en effet les organisations professionnelles ont demandé au ministère de revoir le titre d’aide-soignante pour trouver une dénomination plus en lien avec la réalité professionnelle. 69 DPAS : Diplôme professionnel d’aide-soignant Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 65 1 - Approche socio-historique de la formation pour adultes « Nous avons observé que l’instruction ne devait pas abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles, qu’elle devait embrasser tous les âges, qu’il n’y en avait aucun où il ne fut utile d’apprendre … »70 En effet au cours des dernières années de l’Ancien Régime et de la période révolutionnaire, l’instruction des populations va sortir de l’ombre et devenir une question politique de premier plan. Cette compréhension de l’instruction et de la formation des adultes est sous tendue par une conception de l’homme et de la société. La raison d’être de la formation des adultes est sa contribution aux évolutions majeures de ces derniers siècles. Elle participe à « l’avènement de la démocratie et le développement de l’économie, nouveaux paradigmes structurant les rapports sociaux de la fin du millénaire. »71 L’éducation et la formation post-scolaires des adultes ne s’adresse plus seulement à une élite, mais dans cette période révolutionnaire, elles deviennent un projet de société : l’éducation du peuple. Dans ces temps de la Révolution française, Condorcet a posé ce qui mettra deux siècles à mûrir : la notion d’éducation permanente d’où émergera la notion de formation professionnelle tout au long de la vie. 1.1 Les origines révolutionnaires Dans cette période révolutionnaire la formation professionnelle n’était pas prévalente. L’idéal républicain fait appel à la notion de citoyenneté qui nécessite une éducation pour que le citoyen devienne un acteur du progrès économique et social. Une des priorités est alors 70 Condorcet , Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique, présentés au nom du comité d’instruction publique les 20 et 21 avril 1792, Cité par P. CARRE et P. CASPAR, p. 19 71 P. Carré et P Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, 2ème édition, éd Dunod, 2004, p. 19 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 66 de lutter contre l’illettrisme et de faire accéder la population à un niveau élémentaire d’instruction contribuant à une normalisation économique et en contre coup une normalisation socio-politique. « Les progrès de l’industrie seront proportionnels aux progrès de l’instruction générale.»72 A cette idée de l’instruction générale comme moyen de progression économique et sociale sera associée petit à petit l’idée d’une formation professionnelle devant remplacer le système des corporations abolie par la révolution de 1789. On voit ainsi se mettre en place des formations techniques et professionnelles d’adultes souvent nommées écoles de fabrique, avec en parallèle des cours du soir accompagnant les promotions par le rang. Formation largement soutenue par le mouvement syndical naissant qui militera pour cette éducation ouvrière et prendra réellement son essor après la guerre de 1914. A la fin du XIXe siècle la question de la formation du personnel hospitalier se pose. Elle est en lien avec toute cette réflexion générale. C’est à cette même époque que se développent les écoles d’infirmières. 1.2 Evolution de la formation professionnelle entre les deux guerres La période entre les deux guerres est une période de transition pour le système de formation. L’éducation des adultes en cours du soir décline au profit de l’éducation populaire et ouvrière. La crise de 1929 avec la montée du chômage met en évidence un manque de qualification du personnel. Pour faire face à de nouveaux défis économiques mais aussi sociaux, se met en place la formation professionnelle dite accélérée pour la différencier de la formation professionnelle initiale. Mais les entreprises répondent peu à ces injonctions et beaucoup de formations sont des formations sur le tas. Ceci est particulièrement vraie pour la formation des soignants malgré l’institution d’écoles d’infirmières et la création du diplôme d’état. Il 72 V. DURUY, ministre de l’éducation publique de 1863 à 1869, cité par P. CARRE et P. CASPAR, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, 2ème édition, éd Dunod 2004, p. 21 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 67 faudra attendre la période contemporaine pour observer une nouvelle évolution de la conception de la formation pour adulte et en particulier pour la formation du personnel soignant. En effet malgré la création du diplôme d’état d’infirmière en 1922 celui-ci n’était pas obligatoire pour exercer. De plus dans cette période de transition et d’évolution technologiques médicales, les besoins en personnel soignant sont particulièrement grands. Mais les observateurs des hôpitaux vont se faire critiques face aux savoirs de ce personnel et fonder leurs préoccupations sur une amélioration de la formation et du recrutement de ces soignants. Ces inquiétudes vont rejoindre le discours anticlérical et la volonté d’éducation en phase avec le projet de laïcisation et de formation du personnel hospitalier de la IIIe République. 1.3 La formation contemporaine pour adultes à la période Reconstruction et croissance dans cette période d’après-guerre génèrent de nouvelles fonctions de la formation pour adultes, entre autre elle devra permettre de développer l’employabilité des individus. Ceux-ci devront pouvoir s’adapter à un monde du travail en mouvance. La formation pour adultes ne sert plus seulement à combler les manques de qualification mais devient une « nécessité structurelle dans une société à évolution rapide ».73 Cette nouvelle dynamique de la formation professionnelle produit une législation qui s’inscrit dans le Code du travail. Cette notion de formation professionnelle quitte donc peu à peu le seul champ de l’éducation pour entrer de plus en plus dans le champ du travail. Dans les années 1970 la place de l’éducation permanente était prégnante et ses racines se trouvaient dans les thématiques de développement personnel, 73 économique et social, volonté du Y. Palazzeschi, in P. Carré, P. Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, Dunod, 1999, p. 33 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 68 gouvernement de l’époque de modernisation des relations sociales. La loi du 12 juillet 1971 va faire évoluer cette conception d’éducation permanente vers celle de formation tout au long de la vie et y inscrire la formation professionnelle continue. Après cette période on constate un ralentissement de la croissance associé à une course à la productivité. Et d’un autre côté la politique de formation qui avait déjà investi le champ du travail, va soutenir la politique de l’emploi. La formation va donc agir sur deux fronts : accompagner les changements économiques et techniques et assister la politique favorisant l’insertion professionnelle. Dans les années quatre-vingt-dix, les thématiques qui marquent la formation tout au long de la vie sont celles de la flexibilité et de l’employabilité. La formation des adultes va avoir comme mission de lutter contre le chômage et l’exclusion sociale dans une configuration qui place l’économique en premier plan. Le rapport de la Commission Européenne sur la « société cognitive » en donne une idée : « Mondialisation des échanges, société de l’information, progrès scientifique et technique. Tous les jours, nous percevons les changements induits par ces phénomènes (…) Pour l’Europe, pour chacun d’entre nous, l’enjeu est de maîtriser de telles transformations pour ne pas les subir. N’ayant pas su les anticiper, nos pays connaissent un niveau dramatique de chômage et d’exclusion sociale. »74 L’expression récente « éducation et formation tout au long de la vie » témoigne de l’importance d’une vision globale de ce projet même si actuellement cette vision globale est située dans un contexte de rationalisation des dépenses. On peut aussi considérer que cette conception de la résolution du problème du chômage permet de rendre responsable chaque 74 Commission Européenne (1995) Enseigner et apprendre. Vers la société cognitive, Luxembourg, CECA – CE – CEEA (cité par P. CARRE et P. CASPAR , p. 6) Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 69 individu face à sa formation. Toutefois il ne faut pas perdre de vue le sens de celle-ci : « la formation se reproduit comme œuvre civilisatrice. C’est le contenu de l’objet qui change, pas la nature de la fonction. »75 1.4 Les contraintes économiques et la validation des acquis « Jusqu’au milieu des années soixante-dix, l’expansion économique (…) favorise, au sein de l’institution hospitalière, un contexte dans lequel la dimension gestionnaire n’est pas une préoccupation essentielle laissant à la logique professionnelle une influence prépondérante. »76 Les différentes réformes d’après-guerre de l’organisation du secteur sanitaire et social ne seront pas directement liées à la dimension économique : nous sommes alors dans la période des Trente Glorieuses. C’est en 1970 que l’on voit la première grande loi de planification sanitaire et d’encadrement des dépenses. Cette loi renforce la planification hospitalière avec la création d’un Schéma Régional d’Organisation Sanitaire (SROS). En 1996 une ordonnance institue les Agences Régionales de l’Hospitalisation (ARH) et régionalise les budgets. On voit ainsi naître une logique de rationalisation des dépenses qui va se heurter à la logique scientifique et technique détenues par le corps médical. D’un côté un pouvoir économique rationnel et de l’autre un pouvoir médical qui s’appuie sur le symbolisme puissant de pouvoir intervenir quelque peu sur la vie d’un malade. Lors d’une journée de formation nous avons pu entendre un médecin répondre de façon humoristique à un juge (intervenant dans cette formation) : « c’est difficile pour vous, maintenant il n’y a plus que nous, en France, qui avons le droit de vie et de mort ! » Ces deux logiques (gestionnaire et médicale) sont antinomiques si on les situe dans le principe fondateur de l’hôpital du début du XXe 75 Y. Palazzeschi, in P. Carré, P. Caspar, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, Dunod, 1999, p. 39 76 J. Autret, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire, Paris, éd L’Harmattant, 2002, p. 29 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 70 siècle, qui est l’accès à des soins de qualité pour tous. Elles sont d’autant plus contradictoires si on institue comme dogme que la santé n’a pas de prix en oubliant qu’elle a un coût ! (Formule régulièrement rappelée). L’influence économique ne peut être niée et elle entraîne une remise en question des pratiques professionnelles. La dimension charitable de cette institution hospitalière est interrogée par la nécessité d’une gestion économique de la santé. Au-delà de cette logique purement comptable, il faut aussi regarder l’évolution sociétale : en 200277 une nouvelle loi redéfinit les contours des missions des institutions sanitaires et sociales et inscrit une volonté forte de « replacer l’usager au centre du dispositif et de passer d’une logique de protection d’une personne fragile à une logique d’aide à un citoyen en difficulté ».78 Par le choix du vocabulaire, nous pouvons prendre conscience de l’évolution des mentalités dans les choix pour la prise en charge des malades et des exclus sociaux. Nous pouvons faire le lien avec le discours sur l’autonomie, la responsabilité de chacun, la notion d’initiative personnelle : discours largement utilisé dans les entreprises industrielles mais aussi dans toute entreprise. L’institution hospitalière ne devient-elle pas elle aujourd’hui aussi une entreprise productrice de soins ? Ce choix lexical ne traduit-il pas une démarche de résultat comme dans toute entreprise se devant d’être efficiente ? D’une logique de protection on passe à une logique d’aide, qui est en lien avec la valorisation de la technicité. Par exemple on évalue les besoins en personnel en fonction du nombre d’actes de soins techniques à dispenser aux patients sans comptabiliser le temps d’écoute, d’attention, d’information : ce temps est réduit à néant quand cette gestion hospitalière devient trop rationnelle et « se fourvoie dans le taylorisme.».79 77 Loi N° 2002 – 2 – du 2 janvier 2002 rénovant la loi d’orientation de l975 78 M. Pinaud, Le recrutement, la formation, et la professionnalisation des salariés du secteur sanitaire et social, Rapport du 16 juillet 2004 du Conseil Economique et Social, p. II-14 79 N. BENEVISE, « Nos malades », Le monde des débats, 1993, article cité par R. GUEIBE, Psychiatre, dans un article d’Info nursing ; N° 36 de Décembre 1993 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 71 De même l’usager de l’institution soignante n’est plus une personne fragile mais un citoyen en difficulté. Là aussi nous percevons la dimension symbolique où, de personne fragile à protéger, on passe à une personne en difficulté mais capable de se prendre en charge. La logique d’autonomie est sous entendue par ce choix de vocabulaire et rejoint la logique de production. Logique où chacun est responsable, donc capable de produire lui-même les conditions du rétablissement de sa santé. Comment l’institution hospitalière qui devient peu à peu une entreprise productrice de soins peut-elle exprimer son héritage charitable et répondre aux nouveaux besoins d’accueil des exclus grands consommateurs de soins, que produit cette nouvelle société à deux vitesses décrite par R. Castel,80 tout en faisant seulement une gymnastique comptable ? « Les conséquences sociales de la compétition économique mondiale intense et des choix qu’elle a impliqués dans les activités de production, de distribution et de consommation des ressources et des biens, ont conduit à l’augmentation du chômage, de la précarité, de l’exclusion ainsi qu’à une détérioration sensible de l’état sanitaire de certaines populations. Par suite, cette situation a interpellé notre société sur la question de l’égal accès aux soins ».81 Cette évolution de la représentation de personne fragile à citoyen en difficulté, nous interroge quand on sait que notre système de protection sociale qui participe au financement de « l’entreprise hospitalière » est mis à mal par la diminution des cotisants qui sont en majorité des salariés. De plus dans notre représentation, cette institution se doit malgré tout, de proposer un service médical de qualité pour tous. Nous voyons ainsi naître l’obligation de la régulation des dépenses et l’obligation pour cette institution hospitalière, d’évoluer vers une gestion économique de la santé donc vers une évolution de nos représentations. Evolution complexe qui se fait dans un contexte 80 R. CASTEL, La métamorphose de la question, Paris, Gallimard, 2003 81 Ibid 54 : p. II-51 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 72 épidémiologique marqué par l’accroissement des pathologies chroniques et par le vieillissement de la population. Ces contextes sociaux (changement de la société salariale et contexte épidémiologique) ont une large influence sur l’organisation des établissements de santé où la technicisation des pratiques est devenue prédominante et se voit associée dans un même temps à un nécessaire accompagnement sur du long terme des situations chroniques. De nouvelles interactions vont s’installer entre fonctions sociales et fonctions économiques, entre logiques professionnelles et logiques gestionnaires au sein de ce champ de la santé. Interactions entre le champ médical et le champ social puisque les besoins les plus importants se situent à ce carrefour : l’augmentation d’une population précarisée et une démographie vieillissante nécessitent des dispositifs à visées humaines et sociales tout en gardant un regard médical préventif. Nous sommes là au cœur de la complexité du système de soin tenu à certaines pratiques au regard de la Constitution qui rappelle le droit à la santé et aux besoins de gestion. La loi du 2 janvier 2002 qui rénove l’action sociale et médico-sociale a rappelé la politique de notre pays en cette matière : « L’action sociale et médico-sociale est conduite dans le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains avec l’objectif de répondre de façon adaptée aux besoins de chacun d’entre eux et en leur garantissant un accès équitable sur l’ensemble du territoire. »82 Cette double polarité implique les savoirs faire des professionnels et induit de nouvelles conceptions de la formation. Cette première vision macroscopique peut être complétée par une vision plus microscopique. Le pouvoir médical va développer la logique professionnelle et induire une majoration de la technicité, forte d’un pouvoir symbolique de puissance. La logique gestionnaire va interroger ce pouvoir et pousser à développer une gestion rationnelle des services de soins. Se développe alors une nouvelle forme de management participatif influencé par le management industriel. 82 Loi 2002-2 ; Art. L. 116-2 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 73 L’hôpital doit être géré comme une entreprise, il n’est alors pas surprenant que les logiques nées de l’industrie y soient transférées. Ainsi que le note L. Reyes83 « la démarche qualité apparaît à l’origine dans l’industrie et dans les secteurs sensibles (armement, nucléaires…). Il est satisfaisant pour l’esprit de constater que l’on évalue la qualité du soin. La différence est probablement qu’en matière d’armement on se soucie moins de la satisfaction du l’usager. » Nous voyons par cette intervention que la notion de qualité a tout à fait sa raison d’être dans l’institution hospitalière si la priorité est bien l’usager et la qualité des soins qui lui sont dispensés et non pas la seule réduction des dépenses. Ainsi l’obligation de la mise en œuvre des démarches qualité se mettent en place : avec l’accréditation se multiplient les protocoles et les formations de développement des compétences. Les « surveillants » de services deviennent des « cadres de santé », le « pendre soin » se transforme en « production de soins », les « faisantfonctions » d’aides-soignantes doivent être qualifiées pour répondre aux exigences de l’accréditation, tout ceci dans un contexte de réforme qui vise à réduire le déficit chronique de la sécurité sociale tout en exigeant une « rentabilité ». Sans oublier que les évolutions sociétales transforment les pratiques médicales mais aussi les comportements des patients. La santé est devenue un bien de consommation courant. La médecine est devenue performante et audacieuse, repoussant les limites humaines, re-questionnant le « mourir » dans notre société où l’on voudrait occulter la mort et la souffrance. Les individus ont donc une exigence et des attitudes différentes et la « judiciarisation » influence les pratiques donc les métiers, ainsi que la formation tant initiale que continue. Les propos d’un médecin hospitalier illustre ce constat : « Je suis confronté à la prise en charge de patients considérés comme immortels par leurs proches, et d’autre part, dans une même situation médicale, les familles s’inquiètent immédiatement de la 83 Dominique FRIARD, document Internet : www.serpsy.org/piste_recherche/hopital/évaluatuion cite L. REYES ; Histoire, principes et concepts des démarches qualité et de l’accréditation en santé ; Démarche qualité en santé mentale, une politique au service du patient ; Editions Inpress, Paris 2003 ; pages 15-21 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 74 possibilité d’acharnement thérapeutique ». Ces propos concentrent tous les questionnements découlant des interactions des logiques professionnelles, gestionnaires mais aussi sociétales. En parallèle à cette évolution hospitalière, il ne faut pas oublier la situation d’augmentation des pathologies chroniques avec augmentation de la dépendance. On observe alors un décalage entre les objectifs professionnels et le contenu réel des métiers de ce champ de la santé ainsi que des chevauchements d’activités entre certains métiers. Il n’y a pas eu une vraie réflexion sur les besoins mais les différentes études ont surtout porté sur les pratiques conduites à partir de l’offre. La DREES84 fait donc des propositions pour redéfinir les contours de métiers, mettre en place un partage des tâches, créer de nouveaux métiers répondant aux nouveaux besoins, faciliter les passerelles entre les différents secteurs de la santé et du social. Le dispositif de la VAE pour l’accès au Diplôme Professionnel d’Aide-soignante (DPAS) trouve sa place dans ce contexte. « C’est l’économie qui va mener le truc » expliquait le directeur d’un institut de formation lors d’un entretien.85 En effet il faudra tenir compte de l’histoire et des spécificités du secteur mais il faudra aussi inscrire la mise en œuvre de la VAE en lien avec les évolutions structurelles de ce champ sanitaire liées à la situation socio-économique et à la décentralisation. Il faudra répondre, d’un côté, aux exigences de l’accréditation (démarche qualité) nécessitant du personnel qualifié, de l’autre reconnaître un personnel faisant fonction dont on a réellement besoin. Cette analyse du contexte permet de conforter notre problématique : quel sera l’impact de la mise en place du dispositif de VAE sur la reconnaissance du métier d’aide-soignante ? Quoi que l’on puisse penser de la valeur de ce dispositif nous ne pouvons pas oublier 84 DREES : Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques du Ministère de l’emploi et de la solidarité. 85 Entretien avec le directeur d’un institut de formation (21 décembre 2004) Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 75 les pressions gestionnaires des nouvelles politiques de santé et de formation qui peuvent considérer « l’homme comme un moyen et non comme une fin. »86 Comment répondre à l’injonction républicaine qui demande que le malade soit placé au centre des préoccupations si en contre partie on considère le personnel comme une ressource de productivité, de rentabilité ? Comment prendre soin d’un malade si l’institution ne prend pas soin de son personnel qu’elle considèrerait comme un moyen ? La culture87 soignante française porte en elle une représentation de la dimension d’humanité (héritage de l’histoire hospitalière) difficile à intégrer dans une dimension purement comptable et gestionnaire. La fonction économique devient prédominante à la fonction sociale et soignante : il faut les meilleures prestations tant de soins que de formation, au moindre coût tout en sachant qu’il est très difficile d’évaluer qualitativement mais aussi quantitativement l’invisible travail du «prendre soin» qui relève surtout de la qualité de la relation entre un soigné et un soignant. Qualité ellemême dépendante des individus dans un contexte donné. Un jour un patient aura besoin de parler et d’être écouté ce qui augmentera le temps imparti pour l’aide à sa toilette, le lendemain il aura gagné en autonomie et un simple passage dans sa chambre suffira ! Cette dimension de l’imprévu est une partie incontournable de la dimension soignante. Michel Nadot88 situe l’activité soignante dans l’ordre du mouvement perpétuel et du mobile, liant sa complexité à l’objet qui est l’humain inséré dans le cours de la vie. On ne peut donc enfermer cette activité dans des logiques identiques que celles que l’on peut rencontrer dans le monde industriel de la production. On ne peut complètement la présenter sous forme de protocoles ou de procédures. 86 Georges LE MEUR, « La vulgate managériale de la formation », Sciences de l’éducation Université de Nantes 2002 ; page 7 87 Culture au sens d’Edgar MORIN : « La culture est constituée par l’ensemble des savoir, savoirs faire, règles, normes, interdits, stratégies, croyances, idées, valeurs, mythes qui se transmettent de génération en génération, se reproduit en chaque individu. » 88 Michel NADOT : diplômé en soins infirmiers psychiatrique, docteur en histoire et épistémologie en sciences infirmières, professeur et responsable de l’Unité de recherche de la Haute école de santé de Fribourg, associé à l’Université de Laval à Québec Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 76 Les hôpitaux devant faire face à un budget contraint il faudra apprendre à optimiser les ressources : que celles-ci soient visibles comme la technicité des soins ou quelles soient informelles comme la dimension relationnelle de ces mêmes soins. Toute la difficulté va se situer à ce niveau : transposer la logique gestionnaire au plus près de la pratique soignante, donc au plus près du patient. Est-ce que la VAE qui va valider une expérience, permettra au personnel qualifié par ce dispositif d’inscrire cette nouvelle logique dans sa pratique ? Est-ce que ce même personnel aura les moyens d’une analyse réflexive suffisante pour « supporter » ces nouvelles contraintes et les intégrer dans sa pratique soignante et continuer à donner sens à son activité ? Garder une qualité de soin, donc être « qualifié » au sens propre du terme, c'est-à-dire avoir une manière d’être qui donne de la valeur tant sociale, civile que juridique au soin qui est dispensé. Qualification qui participe ainsi à la reconnaissance par l’individu de son métier. Nous venons de voir comment la contrainte budgétaire devenait prégnante et incontournable. Nous savons aussi que toute formation a un coût. Le coût de la formation aide-soignante se répartit entre les frais directement liés à la formation et ceux liés au remplacement du personnel qui quitte l’entreprise pendant une année et doit donc être remplacé. Avec la validation des acquis, de réelles économies pourront être faites puisque l’on considère que les personnes se seront formées elles-mêmes à travers leur expérience. De plus elles ne seront pas absentes pendant une année avant l’obtention de leur diplôme, et pourront utiliser le nouveau dispositif qui est le droit individuel à la formation (DIF). Pour les établissements qui doivent avoir un personnel certifié (oserions-nous dire « certifié conforme » ?), cela est certainement attractif : pas de personnel à remplacer et plus de personnel à inscrire au plan de formation. Le coût de la formation sera ainsi bien moindre par personne. Ce constat va de pair avec la responsabilisation des personnes et l’augmentation de leur autonomie en lien avec une individualisation. Cela pourrait être très positif si la Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 77 réalité était que toute personne pouvait assumer ainsi son évolution professionnelle. Or nous savons que les individus ne sont pas tous égaux et n’ont pas tous la même possibilité de se prendre en charge. Nous verrons quand nous étudierons la mise en place de la VAE qu’un des objectifs de ce dispositif était de réduire les inégalités et nous pourrons nous interroger sur la validité de cet objectif. 2 - Le processus de formation initiale pour le métier d’aide-soignante Nous avons vu dans la partie précédente que l’hôpital était soumis à une rationalisation des dépenses. Il devait donc lui aussi se pencher sur la rentabilisation de ses services donc réfléchir à la professionnalisation du personnel afin d’accéder à une efficience qui lui permettra de rester dans la course technique et économique. En lien avec cette professionnalisation se pose la question de la formation de ce personnel et en particulier du personnel aide-soignant. Ce personnel formé doit être compétent, flexible et employable facilement pour répondre aux besoins de la société. Dans cette nouvelle logique il apparaît que la formation doit de plus en plus se rapprocher du monde du travail, en être pratiquement partie intégrante. La formation aidesoignante était inscrite dans cette logique par sa propre histoire. Elle avait réussi à prendre une distance d’avec la seule dimension de formation opérationnelle par le développement d’une formation théorique à part entière. Cette distance permettait d’essayer de construire une homogénéité des savoir-faire de ce personnel et permettait une professionnalisation en lien avec une théorisation des pratiques. Avec la survenue de ces nouveaux concepts d’employabilité et de compétence générés par les contraintes budgétaires, la formation aide-soignante est réinterrogée dans sa conception même. Cette formation était bien une formation en lien direct avec le monde du travail tout en intégrant l’acquisition de connaissances théoriques Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 78 complémentaires à la dimension opérationnelle, ce qui contribuait à sa valorisation. 2.1 La formation initiale d’aide-soignante Le contexte actuel et les contraintes économiques obligent à revoir la conception de la formation initiale, tout en tenant compte des nouvelles données liées à la loi de modernisation sociale et particulièrement celles liées à la validation des acquis de l’expérience. Mais il est important d'examiner la formation actuelle avant d’observer les évolutions. « Même professionnelle (…), la formation n’échappe pas à son essence éducative, et l’on pourra donc toujours débattre à son propos, comme à propos de toute pratique éducative, de la dialectique entre sa dimension normative et son pouvoir heuristique. »89 Cette réflexion de P. Carré est tout à fait adaptée à la formation aide-soignante. D’un côté cette formation se doit de répondre aux besoins de la société en termes de soins de proximité et de nursing (liés au vieillissement de la population entre autre), tout en étant créateurs d’emplois dans une société où la montée du chômage devient une préoccupation majeure. De l’autre côté elle permet à une population souvent en rupture scolaire de renouer avec la formation académique et d’accéder à un diplôme ayant un certain pouvoir symbolique de valorisation. On peut donc dire que cette formation permet d’accéder à une place identifiée dans la hiérarchie paramédicale tout en donnant du sens à une trajectoire professionnelle. Pour approcher la dimension heuristique de la formation aidesoignante nous allons analyser le dispositif de la formation initiale tel qu’il se présentait avant la mise en œuvre de la validation des acquis. Cette présentation permettra d’établir une étude comparative entre 89 Y. PALAZZESCHI, Traité de sciences et des techniques de la formation, sous la direction de P. CARRE et P. CASPAR, Dunod, Paris 1999, p. 39 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 79 cette formation initiale et les conséquences sur celle-ci de l’arrivée de la VAE. 2.2 Qualification et reconnaissance Dans la première partie de ce mémoire, nous avons vu, par l’approche socio-historique du métier, que ce grade de la fonction hospitalière est défini en 1949. En 1956 un arrêté précise les conditions pour l’obtention du CAFAS90 qui devient obligatoire pour exercer comme aide-soignante. En 1971 la formation qui était de dix mois dont quarante heures de théorie, passe à douze mois dont cent vingt heures de théorie. Ce nouveau programme a le souci de favoriser la complémentarité des fonctions infirmières et aides-soignantes. Avec ce nouveau programme les aides-soignantes psychiatrique, secteur pourront où aussi exercer n’exerçaient que dans des le secteur infirmiers psychiatriques. En 1981 un nouvel arrêté modifie la formation qui doit être alors de douze mois dont 350 heures de théorie et 24 semaines de stage. Une autorisation d’exercer dans les soins à domicile pour la prise en charge de la dépendance des personnes âgées sera associée à ce même arrêté. En 1994 une modification de programme a lieu avec une nette augmentation du temps pour les cours théoriques à six cent trente heures et vingt sept semaines de stages. Cette modification sera suivie par le changement de dénomination du diplôme qui devient le diplôme professionnel d’aide-soignant (DPAS) à la place du certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant (CAFAS). En quarante-cinq ans cette formation passe de quarante à six cent trente heures de cours théoriques, soit une augmentation de cinq cent quatre vingt dix heures. D’autre part au début de l’histoire de cette formation on trouvait associés à ces cours théoriques, des cours de 90 CAFAS : certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 80 démonstration pratique qui en 1971 représentaient cent heures de formation. Ces cours de démonstration pratique ont été remodelés en 1982 pour être transférés en apprentissage opérationnel sous la forme de stages formatifs. Cette histoire de l’institution de la formation d’aide-soignante gagne en visibilité par l’augmentation du nombre d’heures de cours théoriques. Dans le même temps, elle croise les besoins en personnels de ce champ de la santé qui offre de larges possibilités d’emplois. Ces offres d’emplois peu qualifiés suscitent de nombreuses demandes d’embauche tant de la part de personnels déjà certifiés que de personnels non diplômés. Ceux-ci espèrent arriver par la promotion professionnelle, à obtenir un nouveau statut social. Cette dichotomie entre, d’une part un prestige naissant par le biais de la théorisation d’une fonction, et d’autre part la réalité qui est que les postes proposés sont un lieu d’exercice pour les moins qualifiés, va être exacerbée. Néanmoins les différentes trajectoires personnelles témoignent que la formation professionnelle d’aide-soignante peut avoir un rôle symbolique important, et peut permettre une réconciliation, de certaines de ces personnes, avec le système d’apprentissage scolaire. Cette formation ouvre aux individus la possibilité de se situer dans une hiérarchie par un diplôme reconnu. La VAE va réinterroger les ressentis de reconnaissance en proposant de nouveaux parcours de certification. Une comparaison entre le processus de certification par la formation initiale et la certification par la VAE va-t-elle nous permettre d’identifier un sentiment de reconnaissance identique chez les aides-soignantes ? A partir de quoi nous pourrons nous interroger sur une éventuelle création d’une sous catégorie parmi ce personnel aide-soignant ? 2.3 Le concours d’entrée : une première étape dans un processus de reconnaissance L’entrée en école d’aide-soignante est sélective puisqu’il faut se soumettre à un concours. Ce concours a été institué pour déterminer Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 81 parmi tous candidats91 ceux qui répondront au mieux aux attentes des institutions employeur. Il est aussi important de préciser que le nombre de places en école de formation aide-soignant est déterminé par les DRASS92 au regard des évaluations faites en besoin de personnel pour une région. La Région Bretagne disposerait de ressources en personnel suffisantes et des signes annonciateurs de diminution probable de quotas se font sentir. Une étude faite en 2001 par la DRASS Bretagne, montre qu’entre les départs en retraite et le nombre de postes à créer, l’ensemble des besoins serait de 2 944 aides-soignants. Sur cette même période, 3 500 personnes seraient diplômées et mises sur le marché de l’emploi. Il se dégage donc un excédent de six cents professionnels pouvant répondre à d’éventuels ajustements. Mais à une réunion de service en juin 2005, ces chiffres étaient contestés par le directeur d’un institut de formation aides-soignantes. Il les mettait en opposition à d’autres chiffres produits au niveau national. Ces données nationales mettraient en évidence une pénurie liée à de nombreux départs en retraite entre 2010 et 2015. Toujours est-il qu’à ce jour, le nombre de candidats au concours est supérieur aux nombres de places de formation. Après avoir situé le contexte régional, il est nécessaire de revenir aux textes législatifs. Les articles 1 à 12 de l’arrêté du 22 juillet 1994 modifiés par les articles 1 et 2 de l’arrêté du 5 janvier 2004 définissent les conditions d’admission et les épreuves de sélection à l’entrée des 91 Ceci est observable pour la région Bretagne qui voit son activité salariée en pleine mouvance : un certains nombres d’entreprises industrielles ou de l’agro-alimentaire diversifient leur activité ou sont obligées de diminuer la quantité de travail. Par exemple le départ de la flotte de Brest vers le port de Toulon a réduit considérablement l’activité de l’arsenal générant des restructurations, donc des diminutions de postes. Cette diminution a aussi eu des conséquences sur l’activité de sous-traitants causant là aussi des diminutions d’activité. De même d’autres entreprises voient la délocalisation de leur activité entraînant la fermeture de l’usine donc la suppression de nombreux emplois peu qualifiés. Dans un même temps, au regard du vieillissement de la population, les besoins pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes augmentent. Un nombre de ces salariés se tournent alors vers ce nouveau bassin d’emplois, conseiller par les agences pour l’emploi et le nombre de candidats pour les écoles d’aide-soignant augmente ou reste élevé. 92 DRASS : Direction Régionale de l’Action Sanitaire et Sociale Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 82 écoles d’aides-soignantes. Cette législation précise que ce sont les écoles qui organisent les épreuves de sélection, dans le respect du déroulement défini par les textes. Ces épreuves de sélections doivent se dérouler en deux parties. « Une épreuve écrite anonyme d’admissibilité d’une durée de deux heures portant sur le programme de biologie du BEP sanitaire et social »93. Cette première partie du concours s’adresse aux candidats ne possédant pas ce BEP sanitaire et social. Cette épreuve doit permettre d’apprécier les connaissances du candidat, sa faculté de compréhension et de réflexion et sa capacité à s’exprimer par écrit. Face à ces ambitions, les formateurs des écoles souhaiteraient que tous les candidats passent cette partie du concours. Ils pensent que cette mesure assurerait une meilleure égalité des chances entre tous les individus, ainsi qu’une homogénéité de niveau. Il est en effet constaté que certains candidats détenteurs d’un BEP sanitaire et social peuvent présenter en cours de formation des difficultés avec l’écrit. (Recueil de paroles entendues lors de réunions de jury à la DDASS à l’issue du concours et de réunions préparatoires pour la construction de l’épreuve de sélection ; de même cette expression a été entendue lors de réunion du GERACFAS94). Dans un deuxième temps a lieu une épreuve orale d’admission qui consiste en un entretien de 15 minutes avec un jury composé d’un infirmier-formateur et d’un professionnel infirmier exerçant des fonctions d’encadrement dans un établissement accueillant des élèves en stage. Le texte législatif ne précise pas le contenu de cet entretien et les écoles évaluent ainsi suivant leur projet pédagogique, les motivations et les capacités d’expression des candidats ayant le BEP sanitaire et social ou ceux ayant été reçu à l’épreuve d’admissibilité. C’est cette 93 Arrêté du 22 juillet 1994 relatif au certificat d’aptitude aux fonctions d’aide-soignant (CAFAS). Cet arrêté conditionnant les modalités du concours d’entrée a été reconduit lors du changement de dénomination du diplôme pour ce métier d’aide-soignant. Le CAFAS est devenu DPAS en 1996. 94 GERACFA S : Groupe Etude Recherche Action Formation Aide-soignant Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 83 dernière partie du concours qui détermine les candidats admis. Une présentation de la liste de candidats est soumise à signature auprès de la DDASS qui valide le recrutement. L’accès à ce concours d’entrée est une réelle difficulté pour un certain nombre de candidats en rupture scolaire. Cette difficulté est précisée dans les entretiens, elle est donc un élément important dans le processus de reconnaissance du métier pour tous les postulants. En effet il ne faut pas négliger dans ce sentiment de reconnaissance qu’intervient aussi professionnelle. Les deux la trajectoire aides-soignantes personnelle et de réanimation interviewées le disent bien quand elles annoncent rapidement lors de leur présentation qu’elles ont été reçues du premier coup au concours d’entrée et qu’elles ont eu leur diplôme en étant classées dans les premières : A. : J’ai été ASH et devenue titulaire j’ai passé le concours pour entrer à l’école et je l’ai eu du premier coup ! Par chance, mon nom était sur la liste ! (Rire) A ce moment là on était nombreuses puisque nous étions 40, ça date de 1979. J’avais avant un CAP de brodeuse, je brodais, chez Z. et ce qui m’a fait venir à l’hôpital c’est que je voyais qu’au niveau travail l’entreprise évoluait. J’étais toute jeune mais les bureaux étaient près de l’atelier et je voyais que ça n’était pas facile et je me suis dit qu’il fallait peut être voir autre chose avant de ne plus avoir de travail. J’entendais que l’entreprise allait partir et c’est à ce moment que j’ai postulé à l’hôpital, comme ça toute seule, comme une grande, en me disant : « pourquoi ne pas être auprès des malades ». Mais je ne savais pas si cela allait me plaire, ce n’est pas tout de postuler. J’étais jeune, 18 ans, et je me suis dit qu’on pouvait toujours essayer. M. : Moi j’ai commencé tard le métier d’AS parce que avant j’ai fait un BEP de secrétariat et de comptabilité. Ce sont mes parents qui m’ont obligée à ce genre de parcours parce qu’ils tenaient un restaurant. Comme on habitait sur une île je n’avais pas le choix au niveau école et je Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 84 suivais donc des cours par correspondance mais ce truc ne me plaisait pas du tout. Depuis longtemps je voulais rentrer dans le milieu hospitalier, mais cela a bifurqué. (…) et puis après je me suis dit qu’il fallait que je tente le coup au niveau hospitalier. On m’a proposé un petit remplacement en maternité, puis un autre en gynéco. Je me suis sentie tellement bien que je me suis dit que j’allais tenter le concours. Je l’ai tenté et j’ai été reçu, j’ai fait la formation et je suis sortie bien placée et on m’a donné une place, avec d’autres qui étaient aussi dans les premières, en me donnant le choix. (…) quand il y a eu un poste en réa je me suis dit que si je ne tentais pas, je ne pourrais jamais y travailler. J’ai eu la chance d’avoir été retenue parmi les autres candidatures et là je suis dans mon élément aussi, (…)95 Pour ces deux candidates, le choix de suivre une formation pour devenir aide-soignante est moins lié ici à l’obtention d’un diplôme qu’à une volonté de travailler dans le milieu hospitalier. Aujourd’hui le critère de recrutement exige au minimum une qualification de niveau V. Par définition les candidatures potentielles sont de bas niveau : ici un CAP de brodeuse et un BEP de secrétariat. Le parcours scolaire initial est donc peu valorisé car il relève d’une orientation précoce vers la formation professionnelle. Mais il faut aussi considérer d’un autre côté que travailler comme aide-soignante est, dans ces deux trajectoires, une ascension qui équivaut à une valorisaton, par rapport au statut socio-professionnel antérieur. Dans ces parcours personnels ce choix de métier est valorisé d’autant plus qu’elles accèdent du premier coup à la formation et qu’au vu de leurs résultats on leur propose des postes dans des services à haut prestige symbolique. Ce « rite de passage » que peut être le concours est ici amendé puisque réussi, et signifié comme un élément important dans ce parcours : « j’allais tenter le concours. Je l’ai tenté et j’ai été reçue ». 95 Entretien avec deux aides-soignantes de réanimation du 21 avril 2005, réponse 2 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 85 Mais en même temps cette valorisation est tempérée par la formulation de A. : « je l’ai eu du premier coup ! Par chance, mon nom était sur la liste ! (Rire). » Si elle est reçue c’est par chance, ce n’est pas vraiment son mérite qui est ici signifié. Comme si être reçue n’était pas si glorieux, puisque c’est la chance qui est responsable de cette réussite en non sa propre valeur. L’expression est importante à prendre en compte dans l’analyse du ressenti de reconnaissance de ce personnel qui est conscient de sa place hiérarchique dans la division du travail hospitalier. L’analyse des autres entretiens confirme malgré tout que le fait d’être reçue au concours, annoncé à chaque fois, témoigne de l’importance de ce rite identifié comme valorisant : B. : J’ai fait un BEP96 sanitaire et social, puis un CES97 sur l’hôpital X. (…) je n’avais que mon BEP. (…) J’ai travaillé 5 ans en tant qu’agent et j’avais essayé déjà deux fois le concours d’entrée à l’école d’aide soignante que je n’avais pas réussi et la 3ème fois je l’ai eu et je suis partie faire ma formation sur l’hôpital de X. L. : J’ai fait un BEP service aux personnes puis j’ai continué en BTA gestion comptabilité, BTS technico-commerciale, deux ans responsable de magasin fruits et légumes et après j’ai démissionné car ça ne m’intéressait plus et je suis rentrée à l’hôpital en 1999 et en 2001 j’ai fait l’école d’aide-soignante. J’ai passé le concours une fois et j’ai été reçue tout de suite. S. : J’ai passé mon BEP sanitaire et social en 1981 et j’ai commencé tout de suite de travailler à l’hôpital cette même année et je suis AS depuis 1986. J’ai eu 18 ans et le jour même je commençais à l’hôpital, et depuis j’y suis. J’ai fait la formation d’AS en 1986. J’avais fait une seconde qui n’a pas marché et je me suis dirigée vers un BEP et j’ai postulé à l’hôpital la bonne année. J’ai toujours eu envie de faire ça même si dans ma famille personne ne travaillait dans le 96 97 BEP : brevet d’étude professionnel CES : contrat d’emploi solidarisé Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 86 secteur. Moi j’ai passé le concours 3 fois, je n’ai pas été reçue tout de suite ! Cette représentation symbolique de valorisation est comparée avec les résultats des autres candidats qui ne réussissent pas le concours et est mis en avant pour conforter ce sentiment de reconnaissance : Q44 : Comment vous expliquez que ces personnes n’arrivent pas à entrer à l’école ? B. : Je sais déjà qu’une de nos collègues, pour l’entretien elle avait 18,75 sur 20, donc je me demande quel niveau il faut ? Puisque je sais que quand j’ai passé mon entretien j’avais eu 19, et j’étais 3ème sur liste d’attente, donc le niveau est de plus en plus haut.98 Ici, ce ne sont pas tant les capacités des candidats qui sont présentées comme prioritaires que la difficulté de l’épreuve de sélection. L’aide-soignante reçue sur liste d’attente le dit bien : « le niveau est de plus en plus haut. » Cette présentation témoigne de l’importance accordée à ce concours d’entrée dans le processus de reconnaissance. Le ressenti d’élévation du niveau de recrutement valorise cette épreuve qui valorise à son tour ce métier d’aidesoignante. La validation des acquis de l’expérience va interroger ce processus car dans ce nouveau dispositif il n’y aura plus de concours d’entrée. Pour la VAE le point de départ vers une certification sera l’expérience et non plus l’évaluation des pré-requis avant l’entrée en formation. 98 Entretien avec une aide-soignante de long-séjour du 23 février 2005, réponse 44 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 87 2.4 Une formation professionnelle entre école et terrain Depuis la création du grade d’aide-soignante dans la fonction hospitalière, cette formation professionnelle s’est développée et organisée. 2.4.1 Une formation féminine L’évolution de cette formation est à mettre en lien avec la progression des scolarités féminines et la féminisation de la population active. « En France, l’évolution des taux d’activité selon le niveau de diplôme montre que la croissance globale de l’activité des femmes s’est faite par l’augmentation constante et soutenue de l’activité de celles qui ont un diplôme, quel qu’il soit ».99 Niveau de diplôme Aucun diplôme Répartition des diplômes dans l’échantillon des 65 AS et 29 ASH (en nombre de personnes et en pourcentage) 2 CEP 1 BEPC seul 2 2,12 % 1,06 % 2,12 % Diplôme de niveau bac Diplôme de niveau supérieur au bac Ensemble 84 4 1 94 89,36 % 4,25 % 1,06 % 100 % CAP, BEP, DPAS dont 65 DPAS 69,1 % Résultat du questionnaire remis en décembre 2004 au personnel aide-soignante et ASH des services de longs-séjours, et maison de retraite d’un hôpital périphérique de la fonction publique hospitalière. Au regard de ce tableau il n’y a que 2,12 % de femmes sans diplôme. Ce qui va bien dans le sens de l’observation de M. Maruani qui associe l’augmentation du nombre de femmes au travail avec l’augmentation de femmes diplômées. Par contre ce qui est à constater c’est que pour l’exercice de ce métier d’aide-soignante le niveau de formation majoritaire est le niveau V. D’autre part les agents des 99 M. Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, éd La Découverte, Repères, 2000, p. 27 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 88 services hospitaliers détiennent un diplôme même si ceci n’est pas exigé pour assurer ce travail. Les femmes ayant un niveau de scolarité égal ou supérieur au baccalauréat ne sont que 5,31 %. De plus si nous observons la répartition des sexes dans l’institut dans lequel nous travaillons, nous constatons que dans les trois dernières promotions (2003, 2004 et 2005) le nombre d’hommes varie entre un et quatre pour trente cinq élèves. D’autre part même si on constate que les filles sont plus nombreuses à rester à l’école et qu’elles ont une meilleure réussite dans l’ensemble, on observe le maintien d’une ségrégation dans les filières d’enseignement ce qui ici permet d’avoir 90,2 %100 de femmes dans les formations du secteur sanitaire. 2.4.2 Les principes formatifs sous tendus L’annexe à l’arrêté du 22 juillet 1994 présente le programme d’étude. Le préambule de cette présentation met en avant l’importance d’acquérir des compétences en vue de contribuer à la prise en charge globale des personnes101 au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Cette notification place l’aide-soignante dans une dimension d’un travail d’équipe. Mais un peu plus loin il est précisé que son travail doit s’effectuer sous la responsabilité de l’infirmière. La législation ne reconnaît pas à ce métier une autonomie propre. Faut-il comprendre que les enseignements devront s’inscrire dans la formation à cette dépendance ? En même temps les principes pédagogiques stipulent la nécessité de valoriser la créativité. Ces injonctions paradoxales sont inscrites dans le texte qui demande d’être créatif tout en restant dépendant de ses supérieurs hiérarchiques. D’autant plus que dans la 100 M. Maruani, Femmes, genre et sociétés : l’état des savoirs, Paris, éd La Découverte, 2005, p. 252 101 Il est important ici, de souligner que ce préambule ne parle pas de malade, ni de patient mais de personnes. Ceci montre l’évolution dans la conception du métier qui pourra ainsi être exercé dans un champ autre que le seul secteur hospitalier. Cette remarque est à mettre en lien avec les injonctions des différents rapports ministériels qui incitent une mutualisation des pratiques des métiers de niveau V d’aide à la personne (entre autre le rapport Pinaud du conseil économique et social de Juillet 2004). Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 89 même phrase le développement de la créativité est associée à la demande de développer la faculté d’adaptation de l’élève aidesoignante. La « socio-logique » est implacable : ce métier, dès sa formulation légale en terme de formation, est inscrit dans une dépendance au corps infirmier qui borne ainsi tout désir d’autonomisation. 2.4.3 Elèves ou étudiants : ce que véhicule le vocabulaire en terme de reconnaissance Toujours dans l’analyse lexicale de la formulation de ces principes pédagogiques, il est à noter que l’on ne parle pas d’étudiants mais d’élèves aides-soignantes. Le terme étudiant est aujourd’hui réservé aux infirmiers en formation.102 Au niveau étymologique le terme étudiant est utilisé pour nommer une personne qui cherche à augmenter ses connaissances. Dans la logique actuelle ce terme désigne ceux qui suivent des études supérieures. A l’inverse l’élève est celui qui reçoit un enseignement. D’un côté est attribué au mot « étudiant » une autonomie puisqu’il est en devoir de chercher à augmenter ses connaissances, de l’autre côté « l’élève » se doit de recevoir quelque chose qui lui est transmis. Déjà par l’utilisation d’un vocabulaire est institué une dépendance dans le fonctionnement attendu des individus qui vont suivre la formation d’aide-soignante : ils professionnaliser mais ne sont élèves pas étudiants recevant un cherchant à se enseignement, un « formatage » en terme de conduite, de manière de penser et d’exécution de tâches prescrites. La formation conduit à une intériorisation d’une position subalterne. Cette complexité pourrait se traduire ainsi : à l’issue de la formation il est nécessaire d’avoir sur le terrain, auprès des patients, du personnel compétent, capable 102 de développer une logique Au début de l’institution de la formation infirmière le terme d’élèves était employé. Le terme d’étudiant a été utilisé à partir de la réforme du programme qui a allongé les études d’infirmiers à 36 mois et qui a crée un diplôme d’état incluant les infirmiers psychiatriques en 1992 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 90 professionnelle dans le sens d’une créativité mais en même temps ce même personnel doit maîtriser les limites de compétences et ne pas déroger à cette dépendance au corps infirmier. Une telle tension estelle en faveur d’une valorisation et d’une reconnaissance ? 2.4.4 L’alternance Ces élèves aides-soignantes vont suivre une formation en alternance. Les lieux d’apprentissage se répartissent entre l’école et les stages mais le souci de la globalité de la formation est le point central. Cette préoccupation est garantie par l’organisation de la formation qui a comme finalités l’acquisition de compétences et d’une identité professionnelle. Pour cela la particularité du secteur de la santé est que les enseignants du domaine paramédical sont exclusivement des professionnelles (infirmière-formatrice) qui forment des futures professionnelles aides-soignantes. (Sauf dans le cas d’intervention ponctuelle pour des sujets particuliers) La durée de la formation est annoncée dans sa globalité : 1 575 heures de formation réparties entre le terrain et l’enseignement à l’école soit 630 heures pour la formation théorique et 945 heures de formation pratique en stages. La formation pratique est de 315 heures supérieure à la formation théorique. Concernant le contenu de cette formation théorique, l’objectif est d’acquérir « les connaissances indispensables pour participer à la réalisation de soins relevant du rôle propre de l’infirmier. »103 Avant de développer le contenu il est rappelé que cet enseignement s’inscrit dans la dimension du rôle propre de l’infirmière. Il est perpétuellement réaffirmé que l’aide-soignante dépend de celle-ci et que les tâches qui lui sont attribuées ne peuvent empiéter sur le rôle prescrit de l’infirmière. Ainsi elle ne peut exécuter aucune des tâches de plus haute technicité (injection, sondage, pansement stérile). 103 Annexe à l’arrêté du 22 juillet 1994 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 91 Cette introduction est complétée par la description de la répartition de l’enseignement théorique entre cours magistraux, travaux pratiques et travaux dirigés. Ce qui inscrit ce métier dans une dimension pratique dominante. La dimension pratique est renforcée par la définition de la caractéristique des stages qui « constituent au sein de la formation un temps d’apprentissage privilégié d’une pratique professionnelle. » 104 Une évolution est néanmoins à noter : les élèves sont en formation pendant les stages et ne sont plus du personnel actif entre les périodes de cours théoriques ce qui se pratiquait encore dans les années 1980 comme le témoigne cette aide-soignante. Q11 : Avez-vous travaillé dans services avant de travailler ici ? d’autres S. (aide-soignante de 42 ans, mariée, a fait sa formation en 1986) : Oui j’ai fait la réa avant d’aller à l’école, mais pas longtemps et puis j’ai fait différents services pendant la formation. Quand j’étais à l’école ce n’était pas du tout pareil car on travaillait 15 jours dans les services et 15 après on était à l’école. Donc on était à deux dans les services en formation et à deux on assurait un poste dans le service. Après la formation je suis venue en long séjour. C’est un service qui me plait bien, ça le fait ! 105 Il n’y a donc pas encore si longtemps le personnel « s’absentait » quinze jours pour aller en cours, le reste du temps il était en poste dans un service. Aujourd’hui les stages sont bien des temps formatifs à part entière et sont inclus dans la durée globale de formation. Cette caractéristique des stages comme principe formatif est important dans la mesure où l’appareil de formation n’a plus les moyens de suivre toutes les évolutions des pratiques professionnelles et 104 M. Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, éd La Découverte, Repères, 2000 105 Entretien avec deux aides-soignantes de long-séjour du 25 avril 2005, réponse 11 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 92 organisationnelles des services de soins. Sans le concours des professionnels comme tuteurs106 l’enseignement théorique risquerait de devenir obsolète et sclérosé. De même les professionnels se priveraient des questionnements des stagiaires donc d’une incitation à adopter une posture réflexive sur leurs pratiques. Le principe de formation en alternance repose donc sur deux pôles : le centre de formation (école d’aide-soignante) et le lieu de travail (terrains de stage qui sont des lieux de soins). C’est la rencontre de deux milieux ayant chacun leur culture. C’est aussi la rencontre de deux types d’activités : étudier107, et prodiguer des soins en étant accompagné pour le transfert de connaissance dans une situation de travail. La personne en formation passe donc d’un milieu à un autre, d’une activité à une autre. L’alternance c’est précisément l’articulation de ces deux pôles dans une dimension globale de professionnalisation. Ce n’est pas « la juxtaposition de deux formations mais l’intégration organisée de deux systèmes aux logiques différentes : acquérir une compétence professionnelle et un diplôme. »108 C’est dans cet allerretour école / services de soins que se construit une identité professionnelle. Cette notion d’identité professionnelle fait appel au concept de socialisation. E. Hughes109 explique les mécanismes de cette socialisation professionnelle. Il décrit le premier mécanisme comme le temps de l’immersion dans la culture professionnelle qui apparaît alors comme différente de la culture profane avec la question de l’interaction des deux cultures à l’intérieur de l’individu et l’identification progressive avec le nouveau rôle. Il peut y avoir crise si la découverte du monde 106 A comprendre ici dans le sens des « maîtres d’apprentissage » qui est un terme non usité dans le champ de la santé. 107 Etudier dans le sens de s’approprier des connaissances théoriques, d’élaborer une réflexion, de perfectionner des savoirs, de mobiliser des capacités de mémorisation, d’analyse et de conceptualisation. 108 Projet pédagogique des écoles d’aides-soignants 2005 ; IFSO (Institut de Formation Santé de l’Ouest) ; p.10 109 E. HUGHES cité par C. DUBAR ; La socialisation ; Armand Colin, Paris, 2002, p. 139 – 142 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 93 professionnel est trop éloignée de l’idéal construit avant l’entrée en formation rendant l’identification à ces nouveaux rôles difficile. Mais cette rencontre peut être stimulante si elle permet d’anticiper une carrière, de renforcer son image de soi tout en développant une nouvelle conception des rôles. Le second mécanisme serait l’appropriation d’une dualité c'est-àdire incorporer la réalité (construite à partir des tâches quotidiennes) et l’éprouver avec le « modèle idéal » qui caractérise selon lui la « dignité de la profession » constituant la valorisation symbolique du métier. Il faut accepter le travail réel et le mettre en dialogue avec l’idéal symbolique construit et valorisé ce qui donne sens à l’activité exercée. Ceci rejoint l’analyse sur la division du travail qui démontrait comment valoriser son activité en se débarrassant des tâches les moins nobles aux inférieurs hiérarchiques et garder ainsi les tâches prestigieuses. Pour les aides-soignantes permettre à la réalité de rejoindre l’idéal symbolique du métier est souvent difficile puisque ces professionnelles sont assujetties à ces tâches les moins nobles. Lors de la reprise des cours théorique après le premier stage, un retour sur expérience est donc un moment fondamental pour susciter la verbalisation et l’expression des conflits générés par cette dualité. Ce travail d’analyse participe à la construction identitaire par l’élaboration de choix de rôles qui permet de réduire les conflits liés à cette dualité. Il permet aussi le passage d’un modèle à un autre, de la représentation symbolique (et idéale) au réel. Cette verbalisation autorise la construction de sens et initie la valorisation des tâches en théorisant les pratiques. C’est une instance de « légitimation de ses capacités, essentielle pour la gestion de cette dualité.»110 Ce temps d’échange collectif avec le groupe en formation permet la projection dans une carrière. C. Dubar nomme cette projection « logique de frustration relative » : il s’agit de mettre en lien la valorisation symbolique qui représente la dignité du métier d’aidesoignante avec la réalité rencontrée sur les terrains de stages et 110 Ibid 82 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 94 permettre ainsi une installation dans une nouvelle vision professionnelle. Le dernier mécanisme constitue selon Hughes, la « phase de conversion ultime » c'est-à-dire l’ajustement de son identité en construction avec les chances de carrière. Il s’agit pour ces élèves aides-soignantes de construire leur identité professionnelle en intégrant la dualité décrite ci-dessus pour se projeter dans un avenir professionnel possible. Pour les formateurs, tant à l’école que sur les terrains de stages, c’est permettre l’expression de ces conflits intérieurs. C’est aussi accompagner la construction de sens valorisant les pratiques pour permettre à ces élèves d’envisager une carrière en ayant une perception de reconnaissance. Cette incorporation d’un rôle valorisé par soi-même permet de supporter la réalité d’exercice d’un métier lui-même peu valorisé et peu reconnu. Pour les futures professionnelles nous sommes là à un moment décisif pour la maturation du projet professionnel et son maintien. 2.4.5 Les difficultés de l’alternance Il apparaît souvent que l’alternance ne peut se réguler comme système de formation maîtrisé que si les tuteurs dans les services de soin font une séparation entre les contraintes de « productivité » de soins et leur investissement dans la formation de ce public en cursus de formation intégratif et acceptent de considérer ces situations de travail dans leur dimension formative. En effet dans certains services, et en particulier les services d’accueil de personnes âgées dépendantes, le sous-effectif en personnel soignant est important et les élèves soulagent ce manque en participant à part entière au travail attendu. Cette situation pourrait être considérée comme formative, mais le plus souvent la logique temps prime et il est difficile pour ces élèves de mettre en pratique les exigences attendues car ces mêmes exigences sont souvent dévalorisées par les professionnels chargés de l’encadrement sur le terrain : « à l’école on vous dit de faire comme ça, mais ici on n’a pas de temps à perdre alors tu fais comme tu peux ! » Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 95 Phrase entendue dans un service de long séjour à propos du lavage des mains.111 De même pendant les périodes de congé annuel il arrive de trouver les élèves inscrites dans les roulements de service. Cette réalité liée aux contraintes contextuelles pose de vrais problèmes d’organisation et induit une ambivalence travail / formation. Le risque identifié est que les services réduisent la démarche formative du stage à une simple adaptation au poste de travail. Car si la finalité de l’alternance relève du champ de la formation, les situations de travail intégrées au cursus formatif ne doivent pas être régies par les seuls intérêts de gain de temps (pour ne pas dire « économiques »), intérêts immédiats pour les services de soins et donc pour le personnel de ces services. Ces pratiques génèrent ainsi des difficultés pour les élèves. Elles sont tiraillées entre les exigences des formateurs de l’école et les attentes des tuteurs de stages responsables de la note de fin de stage ! Ce constat met en lumière que l’alternance ne peut être efficiente au point de vue formatif que si les services de soins font une séparation entre les contraintes du travail et leur investissement dans la formation des élèves et acceptent de considérer les situations de travail comme formatives ; acceptent donc que les élèves soient en dehors des roulements pour bénéficier de temps d’application des normes professionnelles apprises à l’école et à transférer dans un lieu de soin. De même cette efficience ne peut être atteinte que si les formateurs des écoles prennent en compte ces difficultés liées au contexte, entre autre lors de la construction des parcours de stages. Il est impératif de négocier ces parcours avec les services de soins afin d’adapter le nombre d’élèves aux capacités d’encadrement. Mais aussi d’être vigilants à ne pas discréditer le travail des services tout en accompagnant une réflexion sur les pratiques observées et les adaptations possibles entre ce qui est promu par l’école et la réalité. 111 Pour la prévention des infections nosocomiales des protocoles pour le lavage des mains sont mis en place par les CLIN (Comité de lutte contre les infections nosocomiales). Ces protocoles sont exigeants et le temps pour chaque lavage de mains doit être de 3 minutes. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 96 C'est-à-dire accompagner la logique de frustration décrite si dessus dans une démarche formative. Lors d’une enquête dans un service de réanimation sur les difficultés rencontrées par le personnel dans sa pratique quotidienne, l’encadrement des élèves a été évoqué. Il était nettement explicité que cet encadrement pour être formatif nécessitait du temps ce qui était parfois incompatible avec la charge de travail. Cet exemple exprime le souci que la majorité des professionnels tuteurs ont de leur fonction d’encadrement. Ce souci s’inscrit dans ce double mouvement de l’alternance qui est la transmission vers le formé des règles du travail de soin dans un contexte spécifique, et le repérage ou l’identification des potentiels de compétence des élèves, afin de permettre leur développement dans cette même situation de travail. Le manque de temps est une réelle contrainte pour ces tuteurs qui vivent mal cet aspect de leur mission. 2.5 L’implicite de l’évaluation La formation d’aide-soignante est définie dans l’arrêté du 22 juillet 1994 dont les articles 16 à 20 définissent l’évaluation des connaissances et des aptitudes des élèves. Elle doit se dérouler tout au long de la formation au moyen d’un contrôle continu. Dès le préambule un amalgame est fait entre évaluer et contrôler. La rédaction même de l’article 16 définit la conception de l’évaluation puisque l’outil proposé pour évaluer est le contrôle. Si on admet qu’évaluer c’est « estimer la valeur, le prix d’une chose »112 et que contrôler c’est « établir la conformité (ou la non-conformité) »113 on se situe dans deux logiques différentes. Par exemple la valeur professionnelle des élèves de telle école fait l’objet d’un retour des responsables des services vers les formateurs. Ce retour permet aux formateurs d’évaluer la qualité de la 112 Définition du dictionnaire Littré de 1893, cité par D. PLISSONEAU, intervenant du CAFOC 113 Définition du CAFOC Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 97 formation dispensée. En même temps les formateurs et les professionnels contrôlent la maîtrise et la conformité du soin. A partir de ce texte le risque est de n’être que dans du contrôle négligeant l’aspect évaluatif en lien avec la finalité du métier. L’évaluation est inscrite dans une démarche formative, c’est un processus de recherche de la valeur, c’est s’interroger sur le sens de l’action, c’est se questionner sur les effets de la formation plus que sur les résultats. Mais dans le contexte où les enjeux économiques sont déterminants il faut faire preuve de l’utilité de l’investissement, ici en terme de formation. La rédaction de l’article susnommé entretien l’ambiguïté de ce contexte d’évaluation. L’exigence de la demande sociale d’évaluation participe à la confusion entre contrôle et évaluation. Le contrôle établit une conformité, l’identification à une norme, à un modèle. Dans l’article 16 il est identifié comme un moyen. Le risque implicite d’une telle formulation n’est-il pas d’inscrire l’évaluation de la formation aide-soignante uniquement dans une dimension de contrôle ? Cette dimension ayant une conséquence elle aussi implicite de s’enfermer dans une pédagogie de la transmission : l’élève aidesoignante aurait une tête vide que l’on remplit et le plus important serait le contenu à transmettre, plus que la valeur, le sens à donner à une activité. Pourtant évaluation et contrôle sont deux fonctions indispensables dans un processus de formation. Il est capital d’évaluer, c'est-à-dire de s’interroger sur le sens, les valeurs de tel ou tel apprentissage mais il est aussi nécessaire de contrôler c'est-à-dire de vérifier si la conformité est atteinte. C’est cette nécessité qui a été privilégiée dans la rédaction de l’arrêté, au détriment de la notion d’évaluation puisque dans tous les autres articles le mot évaluation ne sera plus employé, le seul mot contrôle sera utilisé. Cette prédilection a des conséquences implicites dans l’accompagnement formatif des élèves (ce terme d’ailleurs en témoigne : ce ne sont pas des étudiants). Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 98 Cette observation va dans le sens de ce qui a été démontré lors de la présentation des référentiels qui sont déclinés sous la forme de savoirfaire, donc d’éléments contrôlables. Le contrôle de la formation s’effectuera donc tant sur les connaissances théoriques par le biais de quatre devoirs sur table notés, que sur les aptitudes contrôlées par trois mises en situation professionnelles (MSP). La correction des contrôles écrits est assurée par un infirmier participant à la formation des aides-soignantes. Le constat qui peut être fait et qui confirme la logique sociale de la division du travail, est que dans cette démarche de contrôle, les aidessoignantes professionnelles ne sont pas notifiées. Il ne leur est pas reconnu la capacité de contrôler leurs pairs. Les infirmiers ont réussi à se désengager de la prédominance médicale dans leur formation en instituant le statut de cadre infirmier-formateur, mais ils n’ont pas concédé un tel transfert de compétence pour les aides-soignantes, gardant ainsi toutes leurs prérogatives dans le contrôle de cette formation. Une possibilité d’autonomisation est ainsi « contrôlée ». Cet aspect implicite n’induit-il pas, pour les aides-soignantes, une difficulté pour accéder à une reconnaissance ne serait-ce que statutaire ? 2.6 L’épreuve du diplôme professionnel Le système de création des diplômes en France est un système bien particulier. Ce système nécessite de la part de l’administration une consultation des partenaires sociaux représentant les intérêts de la branche professionnelle. C’est le dialogue entre l’administration d’un côté et les représentants de la branche de l’autre, qui donne naissance au diplôme. L’originalité française a généré la séparation de la définition du diplôme d’avec la définition du cursus de formation. La création du diplôme se fait à partir de la compétence attendue. Cette nouvelle définition est issue des travaux de B. Schwartz dans la fin des années 1960, travaux effectués dans le cadre de la reconversion professionnelle des mineurs du bassin lorrain. C’est à cette époque Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 99 qu’apparaît la notion de référentiel de l’emploi et que l’on voit naître la modernisation des diplômes qui jusque là étaient marquée par la prégnance pédagogique. Aujourd’hui la véritable description du diplôme est en lien direct avec le référentiel de compétence. Il donne lieu à l’élaboration d’un référentiel de certification qui a valeur juridique. « Il faut donc bien percevoir que le référentiel d’activité professionnelle est un plus, mais ce qui est le cœur de la définition du diplôme, justement parce qu’il a cette valeur juridique, c’est ce qu’on appelle maintenant le référentiel de certification »114 Cette conception de la création d’un diplôme a été présente dès le début de l’instauration d’un diplôme pour le métier d’aide-soignante puisqu’il s’agissait de certifier un grade de la fonction hospitalière. Cette réflexion sur la création des diplômes expose le vaste mouvement convergent en faveur des approches par compétences115 en tenant compte en particulier des spécificités d’un public relevant des premiers niveaux de qualification. Le diplôme professionnel d’aidesoignante est donc particulièrement concerné par ces réflexions et est construit à partir des analyses de travail et des référentiels de compétences décrits ci-dessus. 2.6.1 D’où l’importance de définir la compétence Puisque le diplôme se construit à partir de cette notion de compétence il est donc incontournable d’identifier de quoi l’on parle. C’est là que les choses se compliquent car la compétence reste un 114 B. HILLAU ; responsable de l’observatoire régional des métiers de Marseille ; La construction de la certification : quelles méthodes, pour quels usages ? Document du CEREQ, N° 161, Février 2002 ; p. 44 115 « Le terme générique « d’approche par compétences » qualifie toute application opérationnelle du concept de compétence, dans le système tant éducatif que productif. Ces approches par compétences se sont ainsi développées dans le système éducatif français dès les années 1990, avec les référentiels d’activités professionnelles. On les a retrouvées ensuite, dans la formation professionnelle et continue, sous la forme des référentiels d’emploi, d’activités et de compétences des titres professionnels. En 1998, le MEDEF a initié une « démarche compétences », afin de promouvoir la gestion des compétences au sein des entreprises. » M. ROBICHON et U. JOSENHANS, ingénieurs de formation, référents méthode auprès du département « Tertiaire » de la direction des études de l’AFPA ; Education Permanente N° 158 ; p. 87 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 100 «concept» quelque peu empirique dans la mesure où il fait intervenir plusieurs approches : économiques.116 des approches Historiquement la cognitives, compétence sociales dérivait de et la qualification. Il faut donc définir ce que l’on entend par qualification : est-ce avoir la qualité requise pour exercer un métier, ou bien détenir une certification c'est-à-dire un titre permettant de travailler ? Ces premières questions montrent les difficulté que peut engendrer le débat. Nous ne nous aventurerons pas sur ce terrain que nous ne maîtrisons pas. Mais il est intéressant de se poser la question car implicitement elle nous renvoie à notre problématique de départ sur la reconnaissance d’un métier interrogée par un nouveau mode de certification. Nous retiendrons pour notre réflexion la définition de la compétence proposée par le CEREQ117 pour qui la compétence est un « savoir en action ». L’action, c'est-à-dire le travail effectué, est le témoin de cette compétence et l’outil de la démonstration d’un savoir préalable. La compétence dépend de l’individu, lui appartient. C’est sa capacité à construire ses savoirs et à mettre en action ce que le système de formation et le lieu d’exercice du métier lui ont transmis. On peut donc dire que les compétences peuvent avoir plusieurs modes et lieux d’acquisition. La notion de compétence fait partie aujourd’hui, des représentations collectives sur la formation et la certification. La formation pour adultes, et particulièrement ici, la formation initiale des aides-soignantes a pour fonction de produire de la compétence. Comme la compétence appartient à l’individu, l’acteur principal du processus de formation va être le sujet social adulte, autrement dit « l’apprenant ». Ceci peut être compris comme la capacité d’autonomie de l’adulte face à sa formation, donc face à sa qualification. Apparaît ici toute l’ambiguïté entre cette conception de la compétence et la réalité 116 M. ROBICHON et U. JOSENHANS, ingénieurs de formation, référents méthode auprès du département « Tertiaire » de la direction des études de l’AFPA ; Education Permanente N° 158 ; p. 89 117 CEREQ : Centre d’étude et de recherches sur les qualifications. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 101 de l’exercice du métier d’aide-soignante dont la conception même est inscrite dans une subordination à un autre métier : celui d’infirmière. Il est possible de continuer le raisonnement qu’engendre l’analyse de la compétence par une réflexion sur la notion d’apprentissage. Puisque c’est à l’individu qu’appartient la compétence il lui revient donc la responsabilité de sa production. P. Carré et P. Caspar118 parlent « d’apprenance » pour définir la production de compétence. Pour eux l’apprenance « serait la posture pro-active, autoformatrice, à laquelle nous invite l’entrée dans une société « cognitive ». Entrer dans une société de la connaissance nécessite de donner du sens à l’activité par la réflexion sur celle-ci, ce qui est en quelque sorte une démarche d’auto-formation. Toute la difficulté pour les professionnelles aides-soignantes en formation ou certifiées sera qu’on leur donne la possibilité d’entrer dans cette dimension d’apprenance, ce qui n’est pas naturel au regard de l’organisation même du métier inscrit dans la dépendance au supérieur hiérarchique (ceci en lien avec son histoire et l’histoire de la division du travail hospitalier). Cette compréhension de la compétence fait aussi appel aux capacités de conceptualisation dans l’action. Une telle compréhension de l’apprenance n’est pas naturelle pour les formateurs de ce public, habitués à transmettre le « faire », au regard du travail demandé et des parcours scolaires des apprenants. Ainsi ces formateurs transmettent le plus souvent des savoirs faire, et font rarement appel à un travail réflexif, ce qui rend difficile l’autonomisation de ce métier, donc une reconnaissance pleine et entière. Mais d’un autre côté l’affirmation de Piaget « l’action est une connaissance autonome »119, permet de concevoir que malgré sa position hiérarchique tant au niveau de l’échelle des formations, que de l’échelle de la division du travail, le métier d’aide-soignante est lui- 118 P. CARRE, P. CASPAR, Traité des sciences et des techniques de la formation, Paris, Dunod, 2004, p. 195-197 119 P. Carré et P. Caspar, Traité des sciences et techniques de la formation, Paris, 2ème édition, éd Dunod, 2004, p. 468 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 102 même producteur de savoirs particuliers. C’est cette capacité qu’il faut mettre en lumière pour favoriser l’émergence d’une reconnaissance. 2.6.2 De la législation à la reconnaissance « Sont autorisés à se présenter aux épreuves finales en vue de l’obtention du DPAS, les élèves qui (…) ont suivi l’ensemble des enseignements et accompli l’ensemble des stages prévus par le programme, et qui ont subi toutes les épreuves de contrôle continu. » Article 28 de l’arrêté du 22 juillet 1994 En terme de reconnaissance l’énonciation de cet arrêté ne place pas les élèves aides-soignantes comme les acteurs de leur certification et ni comme des co-responsables de la validation de leur compétence. Tout d’abord ils « sont autorisés » : c’est la responsabilité des formateurs qui est engagée en premier puisque par cette formulation ce sont ceux-ci qui délivrent l’autorisation de se soumettre aux épreuves. Ceci n’est pas spécifique à la certification aide-soignante et se retrouve dans d’autres modalités diplômantes. Mais dans la pratique cela est important et pour la présentation des élèves au DPAS une vigilance des formateurs est attendue : si un dossier comporte des notes inférieures à ce qui est souhaité et si le comportement120 de l’élève ne correspond pas aux représentations attendues, celui-ci peut être éconduit de la procédure de certification. Si une telle décision doit être est prise, elle se prend en conseil technique de l’école qui réunit le directeur, les formateurs, les représentants des élèves, l’élève concerné et le médecin inspecteur de la DDASS, responsable des formations paramédicales. 120 Des critères comportementaux explicites sont attendus et définis par une grille d’évaluation : par exemple il est stipulé que l’attitude doit être cohérente par rapport au discours et adaptée à la situation, les limites de la fonction doivent être respectées lors des soins, les gestes doivent être respectueux. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 103 Pour obtenir cette autorisation il faut qu’ils aient « subi » les épreuves du contrôle continu. Subir qui vient du latin : aller sous. Cette analyse lexicale montre l’implicite attaché à cette épreuve diplômante. Là encore en terme de reconnaissance, la subjectivité des mots pourrait attester de la difficulté à promouvoir une valeur à un métier issu de la division du travail et héritier dans cette division, des tâches les plus humbles dans les soins à prodiguer aux malades. Cette considération est à rattacher au collectif, à la notion de métier. Métier qui a été maintenu dans la hiérarchie hospitalière alors que le grade devait être provisoire et qui a donc du mal à accéder à une reconnaissance. Par contre si l’on se penche du côté de l’individu et que l’on regarde la question de la certification par cette entrée, alors comme toute « épreuve »121 ce diplôme peut être assimilé à un rite de passage certifiant la compétence acquise en cours de formation et appeler à se développer par l’expérience. Cette notion d’épreuve attribue du sens et de la valeur au diplôme obtenu. Pour l’individu il donne valeur à un parcours et atteste d’une qualification. Le terme de qualification est à comprendre ici, comme l’attribution d’une valeur ou comme l’appréciation sur une grille hiérarchique, de la valeur professionnelle d’un travailleur.122 Le diplôme atteste ici d’une compétence acquise par le processus de formation. Son mécanisme est de présenter ses savoirs, c’est en quelque sorte de faire savoir et faire reconnaître sa capacité à détenir le titre ambitionné : titre correspondant aux compétences professionnelles attendues. Cette approche participe à la démarche identitaire. D’autant plus qu’en France le diplôme détient une place 121 Epreuve : dans le sens de vérifier la valeur de quelque chose ou de quelqu’un. Cette notion d’épreuve finale rejoint la réflexion ci-dessus concernant l’évaluation comme moyen d’estimer la valeur d’une formation ayant permis l’acquisition d’une pratique sociale, nous pourrions dire : une formation ayant permis l’incorporation d’une culture de métier. 122 Définition de la qualification suivant le dictionnaire Petit Larousse, 1993. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 104 honorifique. Détenir un diplôme participe à la fierté que l’on a de son rang tel que le définit P. d’Iribarne dans son livre La logique de l’honneur. Pour définir l’honneur il s’appuie sur Montesquieu : « l’honneur c’est le préjugé de chaque personne et de chaque condition. »123 C’est bien ce que la personne attribue comme valeur au diplôme. Cette valeur attribuée dépend de ce qui permet de se distinguer de l’autre. Ici avoir son diplôme d’aide-soignante permet de se distinguer des agents qui ne l’ont pas. Ce diplôme participe à la fierté d’avoir accédé à un rang supérieur. En cela il est un rite de passage. De plus il inscrit la personne dans cette logique de l’honneur. Logique incarnée en devoirs et prérogatives. Q8 : Où mettez-vous l’importance de ce rôle ? M. : Où ? Il faut être soi-même, c’est important pour l’ensemble. Pour moi l’entretien des locaux ça participe au bien-être du patient. S’il y a des choses qui ne sont pas bien faites ou qui ne sont pas comme il faut : non. Chacun à un rôle à jouer. Et vous vous rendez très bien compte tout de suite dans votre travail au fur et à mesure : oui, je ne sais pas très bien comment m’exprimer, mais pour moi c’est une évidence qu’il faut un travail bien fait et pour moi c’est important. Cette employée d’un service de réanimation témoigne de cette raison : son devoir et ses prérogatives sont d’exécuter un travail « comme il faut », « un travail bien fait ». Ce « comme il faut » est la noblesse du métier, donc la « noblesse » de la personne. Et même si son rôle social n’appartient pas à la classe dominante, le « préjugé » de la valeur de son travail lui permet d’en tirer une reconnaissance : « pour moi, c’est important ». C’est elle qui donne ici la valeur à sa tâche. Ce diplôme professionnel apporte une reconnaissance individuelle suivant ce que chaque personne va lui attribuer comme valeur en fonction de son parcours personnel ; mais d’un autre côté il 123 P. d’Iribarne, La logique de l’honneur, Le Seuil, Essais, Paris, 1989 ; p. 59 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 105 reste un diplôme d’un métier nécessitant peu de qualification, n’ayant pas une grande reconnaissance sociale, un métier d’exécutant. Prendre la mesure des écarts qui peuvent être manifestés suivant les lieux d’où l’on parle incite à la prudence dans la définition de la reconnaissance. Ce qui fait « reconnaissance » pour les uns ne le fait pas de la même manière pour les autres suivant le rang dans lequel on se place et suivant les « préjugés » que l’on a. Pour un médecin le travail de l’aide-soignante est évidement important, il participe au bienêtre du malade mais il est subalterne au sien. Il doit poser un diagnostic et prescrire un traitement adapté, ce qui dans la division du travail se trouve en haut de la représentation sociale. L’aide-soignante a hérité du « sale boulot » qui l’inscrit dans une situation ambivalente. D’un côté elle a conscience de faire ce que les autres ne veulent plus faire et d’un autre côté elle a obtenu des tâches déléguées par l’infirmière. D’un côté elle a conscience d’une position de subordination, de l’autre elle « récupère » un peu du rôle social valorisant qui est la proximité avec le malade, autrefois caractéristique du métier d’infirmière. « Le flou qui entoure le métier d’aide-soignante rencontre ainsi différents intérêts et sa relative invisibilité témoigne d’un certain échec dans la voie de la promotion collective d’un groupe ».124 La valeur de ce diplôme (DPAS), donc la reconnaissance qu’il permet, va se trouver à l’interface entre l’identité que l’élève aidesoignante se constitue, ou se reconnaît et l’identité qu’elle sait ou pense avoir pour autrui comme le démontre C. Dubar. « En terme interactionnistes, la reconnaissance est le produit d’interactions positives entre l’individu visant son identité « réelle » et l’autrui significatif lui conférant son identité « virtuelle » ; la non reconnaissance 124 A.M. ARBORIO, « Processus encore inachevé en France, l’invention du métier d’aidesoignante », Revue Direction(s) ; N° 9 ; juin 2004, p. 46-47 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 106 résulte au contraire d’interactions conflictuelles, de désaccords entre identités « virtuelles » et « réelles ».125 2.6.3 Du diplôme à la compétence, ou de la compétence au diplôme ? Il est observé dans le secteur sanitaire un débat sur la qualification en lien avec le développement des démarches qualité dans les établissements. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, impose aux établissements sanitaires et médicosociaux une évaluation interne de leur qualité et de leurs prestations avec entre autres, une évaluation de leurs ressources humaines. Associé à cette évaluation des ressources humaines il est observé un glissement du modèle de la qualification basée sur la formation et le diplôme vers un modèle de l’expérience et de la compétence. Du point de vue des employeurs l’approche par les compétences de la gestion des ressources humaines, permet une meilleure régulation du marché du travail dès lors que les formations ne sont plus considérées comme un passage obligé : les qualifications se centrent sur la reconnaissance juridique d’un savoir formel qui conduit à l’acquisition d’un statut. Le diplôme devient ainsi l’expression d’un compromis entre compétences et savoirs. Il est construit à partir de ces compétences identifiées et fait référence à des savoirs que le candidat doit avoir construit à partir de son expérience. Dans la logique habituelle ces savoirs sont évalués à la fin d’une formation et le diplôme délivré précède la compétence qui sera développée par une pratique professionnelle. Le mouvement est celui du diplôme vers la compétence. Avec le développement du nouveau modèle de l’expérience et de la compétence, le diplôme viendra confirmer la compétence acquise. Le candidat devra présenter ses savoirs construits à partir de cette expérience. C’est la compétence qui conduira au diplôme. 125 C. DUBAR, Paris, La socialisation, éd. Armand Colin, 2000, p. 236 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 107 C’est dans ce contexte qu’apparaît la loi dite de modernisation sociale du 17 janvier 2002 réformant le dispositif de validation des acquis. 3 - Conclusion Nous avons vu précédemment que la compétence est une notion difficile à manier. On juge une personne comme compétente à partir d’éléments objectifs comme le diplôme ou le savoir-agir. Si les manières d’accéder à la compétence réelle sont diverses, il est pertinent de s’interroger sur les modalités qui légitiment, voire hiérarchisent les « savoir-être » et les « savoir-faire » selon leur lieu d’acquisition. Une question essentielle peut être soulevée : si la compétence professionnelle est quantifiable à partir d’éléments objectifs, elle dépend aussi de représentations sociales. Certains travaux de sociologie de l’école ont montré qu’à diplôme égal un enfant de cadre réussissait mieux qu’un enfant d’ouvrier. Cette constatation simple permet d’affirmer que la compétence s’établit dans une conjugaison entre savoirs-être et savoirs-faire officiellement reconnus (les diplômes et l’expérience validée) et savoirs-être et savoirs-faire officieux, ou du moins qui dépendent d’avantage du réseau de sociabilité. Ce que nous cherchons à montrer c’est que la reconnaissance dépend de compétences officialisées et de compétences socialement attribuées. O. Shwartz dans Le rapport des ouvriers du Nord à la politique expliquait la forte abstention politique des classes populaires par des effets d’auto-exclusion. En fait il montrait que la participation à la vie publique dépendait de la compétence politique que les agents s’auto attribuaient. La corrélation entre cette auto-attribution et la possession de titres scolaires est forte : plus on est diplômé, plus on s’autorise à s’impliquer politiquement. Pour notre réflexion qui s’articule autour de la question de qualification- Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 108 déqualification d’un métier peu qualifié, la compétence est la reconnaissance singulière d’une conjugaison de qualifications. En effet si la compétence est attribuée elle est aussi vécue, les individus s’auto-attribuent une certaine compétence et cette autoattribution influe sur la compétence réelle. La possession de titres scolaires représente pour O. Shwartz, la reconnaissance sociale d’une certaine compétence. Cette possession est transposable : par exemple un médecin sera jugé plus compétent qu’une aide-soignante pour parler de politique. Il reçoit et jouit de cette relative légitimité grâce à des diplômes qui n’ont pourtant aucun rapport avec la connaissance politique. Nous avons montré plus tôt qu’un même titre scolaire n’avait pas la même valeur selon qu’il soit possédé par telle ou telle personne mais aussi selon ses modalités d’acquisition. Par exemple une thèse de sociologie présentée à la Sorbonne à Paris sera plus reconnue qu’une thèse soutenue à l’UBO.126 Plusieurs dynamiques interviennent donc pour comprendre ce mouvement de qualification / déqualification. La possession et le mode d’acquisition de titres scolaires influent sur la compétence auto-attribuée par les agents, et ce dernier indicateur participe à construire la compétence réelle. Actuellement le diplôme d’aide-soignante obtenu à l’issue de la formation initiale est le gage d’une compétence. Avec les modifications de la formation continue, c’est la reconnaissance d’une compétence qui permettrait aussi d’obtenir le DPAS par le processus de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Se dessinent donc deux chemins pour l’obtention du diplôme, celui de la formation initiale et celui de la validation des acquis comme nous le verrons dans la partie suivante. Auront-ils une même valeur socialement reconnue, puisque nous venons de voir que le mode d’acquisition d’un diplôme influençait la reconnaissance de la qualification? 126 UBO : Université Bretagne Ouest Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 109 Chapitre trois La VAE pour un métier peu visible Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 110 Est-ce que la validation des acquis de l’expérience n’est pas un moyen de refuser une certaine légitimité sociale à un titre, de déprécier un diplôme et aussi leur possesseur ? Nous pensons qu’une proposition aussi catégorique ne peut être satisfaisante. Pour autant nous pouvons nous demander si la dévaluation relative du mode d’acquisition du titre d’aide-soignante n’est pas un moyen de conforter leur place de subalterne au sein de la division du travail à l’hôpital ? Cette « seconde chance » d’accéder au diplôme d’aidesoignante ne va-t-elle pas reproduire l’histoire liée à la création du grade au sein de l’hôpital ? Au début de son histoire, ce métier n’a été qu’une simple catégorie administrative pour ne pas priver les hôpitaux de personnel, ayant une certaine maîtrise professionnelle auprès des malades lors de la création du diplôme d’état d’infirmière. Avec la VAE ne risque t-on pas de voir une nouvelle division dans cette catégorie professionnelle entre les aides-soignantes diplômées à la suite d’une formation et les diplômées par validation de leurs compétences acquises par l’expérience ? 1 - Approche socio-historique de la VAE Le principe de la validation des acquis en soi ne date pas d’aujourd’hui : il remonte à 1934 où le diplôme d’ingénieur était accessible par une procédure de rédaction d’un mémoire sans obligation de suivre une formation. Le travail demandé était exigeant et académique et le nombre de bénéficiaires fut relativement limité. En effet les entreprises faisaient évoluer leurs salariés sans forcément les pousser vers le diplôme. Il faut dire qu’à cette date la position professionnelle suffisait. C’est ce que nous avons aussi constaté lors du parcours historique du métier de soignante, où des femmes pouvaient soigner sans détenir obligatoirement le diplôme d’infirmière. On pouvait Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 111 encore à cette époque se projeter dans une évolution professionnelle sans forcément suivre une formation académique. Les choses vont évoluer lentement pour arriver dans les années 1968 à des pratiques de validation des acquis pour l’entrée dans l’enseignement supérieur. Les universités de Vincennes puis de Saint Denis militaient pour que « les travailleurs puissent aller à l’université ». C’est donc au niveau de l’enseignement supérieur que vont se développer ces pratiques de validation qui déboucheront sur la loi de 1984127 avec les décrets d’application de 1985. Cette loi permet l’accès aux différents niveaux de l’enseignement supérieur à des candidats qui ne présentent pas le niveau académique requis, mais qui détiennent une expérience tant professionnelle que personnelle et qui peuvent justifier et expliquer leurs motivations pour intégrer un tel dispositif. Ce texte qui ne peut s’appliquer qu’à l’enseignement supérieur a encore cours à l’université. Il n’a pas été abrogé par la loi de 2002. On peut donc dire que la reconnaissance des expériences non professionnelles existait déjà depuis quelques temps et que cette idée n’est pas si nouvelle que ça. En 1992-1993, la validation des acquis professionnels et personnels (VAPP) va élargir cette notion de validation au-delà des frontières de l’université, et investir l’espace des diplômes professionnels mais à des degrés divers et suivant les positions des différents ministères : par exemple le ministère de la santé ne va pas du tout s’approprier ce texte. Ce texte permet d’être dispensé de suivre certains modules de formation mais le candidat doit passer un examen d’au moins une unité du diplôme visé en ayant suivi l’enseignement. En 2002 est promulguée la loi dite de modernisation sociale : loi où de nombreuses modifications législatives apparaissent et où l’on trouve pêle-mêle des articles concernant tout autant le droit au licenciement, que des textes relatifs au monde médical. Certains 127 Loi d’orientation sur l’enseignement supérieur de 1984. A ce sujet F. Neyrat, Maître de conférence de sociologie à l’université de Limoges, précise dans son article « la VAE : une problématique de la reconnaissance … pour une reconnaissance problématique » que comme dans d’autres domaines, les pratiques ne font pas que résulter des textes juridiques, le droit est souvent officialisation et légalisation de pratiques antérieures, certes souvent marginales. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 112 chapitres sont même nommés : « Diverses mesures d’ordre social » (DMOS). C’est à ce niveau que l’on trouve décrit le dispositif de la validation des acquis de l’expérience. La spécificité de ce texte est l’introduction de la diversité des expériences pouvant être prises en compte pour une validation : expériences professionnelles et personnelles, salariées ou non salariées, bénévoles. Sémantiquement cela veut dire que l’on va pouvoir intégrer dans le processus de validation toutes sortes de pratiques tant professionnelles que sociales et domestiques. Il ne faut pas oublier que ce principe présenté comme novateur était déjà présent dans la loi de 1985. Par contre avec ce texte de 2002, tous les diplômes, titres ou certificats de qualification pourront être validés. Tous, sauf pour des métiers très protégés et réglementés comme les métiers du champ de la santé.128 Ce texte permet aussi la certification intégrale sans passer par un minimum de formation. On observe ainsi une dissociation complète entre le système de formation et le système de certification. « Nicole Péry, secrétaire d’Etat à la formation professionnelle et aux droits des femmes en parle comme d’une petite révolution. »129 Tous les diplômes, de tous les niveaux sont accessibles par cette voie de la validation. La formation n’est plus un préalable à la certification. La certification devient autonome. On va donc pouvoir accéder au diplôme, 128 Le champ du projet initial a été étendu. Au moment de la première présentation du projet de loi devant la Délégation aux Droits des Femmes, Vincent Merle, le directeur de cabinet de Nicole Péry, auditionné, rassurait une parlementaire : « Il ne s’agit pas d’ouvrir l’agrégation de philosophie ou le DEA de sciences sociales par la validation des acquis. Le champ d’application du texte est celui des diplômes à vocation professionnelle ». Et d’ajouter également, en réponse à la question complémentaire de la même parlementaire ( « Le médecin a-t-il un diplôme à vocation générale ou professionnelle ? »), que même certains titres professionnels seraient exclus du champ de la validation (« c’est une profession fermée de toute façon exclue du champ d’application du texte »). Assemblée Nationale, Rapport d’Information n° 2798, opus cité. Par la suite, dans la loi et ses décrets d’application, ces exclusions ont été levées, de sorte que c’est bien désormais la totalité des diplômes de l’enseignement supérieur qui peut donner lieu à une VAE sauf encore certains diplômes relevant du champ de la santé en particulier les diplômes médicaux de niveau I. 129 Audition de Nicole Péry devant la Délégation aux Droits des Femmes et à l’Egalité des Chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée Nationale. Assemblée Nationale, Rapport d’Information n° 2798, enregistré le 13 décembre 2000. In F. Neyrat, La VAE : une problématique de la reconnaissance … pour une reconnaissance problématique. Article extrait de N. Maggi-Germain et A. Pélage (dir.), Les évolutions de la formation professionnelle : regards croisés, La documentation Française 2003, Cahier Travail et Emploi. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 113 titre ou certification par la formation initiale ou continue, par l’apprentissage et maintenant par la VAE. Pour les diplômes délivrés par le ministère de la santé il faut attendre 2004 pour que la réflexion s’engage, et 2005 pour que le diplôme professionnel d’aide-soignante soit accessible par cette voie. Ce qui est présenté comme révolutionnaire reste malgré tout ambivalent, et ce parcours dans l’histoire permet de discerner toutes les ambiguïtés de compréhension et d’interprétation possible. Cette validation permettra-t-elle d’assurer une reconnaissance tant au niveau des individus que du collectif métier ? 2 - Les spécificités de l’arrêté du 25 janvier 2005 concernant les modalités de mise en œuvre de la VAE pour l’obtention du DPAS Cet arrêté développe les modalités pour la mise en œuvre de la VAE en vue de l’obtention du DPAS. Il tient compte des éléments définis par la loi de modernisation sociale mais les complète ou les adapte à la spécificité du secteur sanitaire et en particulier au diplôme professionnel d’aide-soignante. Comme tout arrêté il mentionne en préambule les personnes signataires ainsi que les articles de référence aux autres Codes (Code du travail et de la Santé publique dans ce cas). Parmi les signataires c’est le ministre de la solidarité, de la santé et de la famille qui est présenté comme le garant de ce texte, mais le deuxième signataire mentionné est la commission des infirmiers du conseil supérieur des professions paramédicales consultée. Les aidessoignantes n’apparaissent pas parmi les signataires. Par cette disposition, même si ce métier a été inscrit au Code de la santé publique, ce sont les infirmières qui restent leurs représentantes. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 114 2.1. Une vision réductrice du métier Le premier article définit ce que doit être le rapport direct avec le contenu du diplôme. Un médecin inspecteur de la DDASS, responsable des formations paramédicales, commente cet article : R22 : (…) Je n’ai pas lu le texte, mais quand on voit déjà que on parle juste de soins d’hygiène et de confort, je lis le texte législatif qui commence à l’article 1 : « Le rapport direct avec le diplôme est établi lorsque le candidat justifie avoir réalisé des soins d’hygiène et de confort (toilette, habillage, prise de repas, élimination, déplacement) en établissement ou à domicile » c’est très réducteur. Là ça n’a rien à voir avec une aide soignante qui pourrait exercer en service de médecine, de chirurgie, de réanimation, et c’est vrai qu’il aurait peut-être mieux valu réfléchir sur une fonction d’accompagnement et de soins à la personne âgée par rapport à une mission d’aidesoignante. Pour lui la définition du métier est très réductrice et ne correspond pas à la réalité professionnelle qu’il observe sur le terrain, ni aux besoins attendus par ce service public de santé dont il a, en partie, la responsabilité. Sa formulation est même très précise : « Là ça n’a rien à voir avec une aide-soignante qui pourrait exercer en médecine, chirurgie ou réanimation. » Ce constat n’est contredit à aucun moment dans le texte législatif qui ne donne pas plus de précisions sur le métier. La fin de sa réponse signifierait que les besoins en personnel les plus criants pour lui, correspondent aux besoins d’accompagnement des personnes âgées. La réponse offerte par la validation des acquis, pour certifier un personnel déjà en place, ne semble pas la plus judicieuse. Toujours dans le souci de garantir des soins de qualité, il lui semblerait plus adapté de réfléchir à une formation spécifique d’accompagnement des personnes âgées plutôt que de valider des « faisant-fonction » par un diplôme d’aide-soignante. Son souci sera confirmé lors d’une réunion pour les écoles d’aides-soignantes à la DDASS, au cours de laquelle il reposait à l’ensemble des directeurs et des formateurs, la Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 115 question de la qualité professionnelle des soignants. Il lui semblait nécessaire de réinterroger cette qualité des soins au regard de ses observations.130 2.2. Des questions liées à des articles spécifiques Le texte définit la procédure à suivre pour les candidats qui souhaitent demander une VAE. La différence avec la loi de modernisation sociale de 2002 est notifiée dans l’article 3 : le candidat doit associer à son livret de présentation des acquis de l’expérience, l’attestation de suivi du module obligatoire, ce qui n’est pas exigé pour d’autres certifications. De plus l’article 7, concernant ce module obligatoire, précise que l’enseignement de celui-ci peut être assuré soit par des organismes de formation initiale d’aide-soignante, soit par des organismes de formation professionnelle continue. Cet élargissement des possibilités de formation peut être un outil à double tranchant. D’un côté cela permet au secteur paramédical de s’ouvrir et de recevoir un enseignement dispensé par d’autres professionnels que les seuls formateurs du secteur sanitaire : ce qui est favorable dans l’objectif de favoriser une interdisciplinarité. D’un autre côté, cela interroge la spécificité de la socialisation à une culture soignante puisque les formateurs ne viendraient pas forcément de ce milieu sanitaire. Or on sait que l’activité soignante est complexe parce que son objet est l’humain inséré dans le cours de sa vie. Cette activité est dépendante d’une logique compréhensive et ne se perçoit pas seulement à partir de protocoles définissant uniquement des tâches à effectuer. Comment des formateurs n’ayant pas été eux-mêmes socialisés dans cette culture pourront-ils partager cette dimension contextuelle, conceptuelle et comportementale de l’activité de soigner ? Les articles 4, 5, 6 et 8 définissent le processus de certification. Un premier point est fait sur la composition du jury. Ce qui ressort est le 130 Compte rendu de réunion du 22 mars 2005 à la DDASS Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 116 nombre important de membres : six personnes évaluant à l’oral l’écrit du candidat. Parmi ces six membres du jury un seul est une professionnelle aide-soignante. Là aussi nous pouvons observer le peu de place accordée aux représentantes de ce métier. La composition de ce jury rejoint ce que Bourdieu nommait le « racisme de l’intelligence ». D’un côté des personnes qui détiennent le savoir, donc les capacités à évaluer (ce que l’on pourrait associer à la notion d’intelligence) et de l’autre les « pauvres » qui ne font pas autorité. Elles ne sont pas reconnues par la loi comme ayant crédit pour reconnaître la compétence des postulants. Comme si la capacité d’évaluation des compétences dépendait de cette « intelligence statutaire », reconnue socialement à une catégorie, liée à l’éducation antérieure. Cette compétence est distribuée par la société, les inégalités d’intelligence étant des inégalités sociales. L’idéologie de la compétence convient très bien pour justifier de la place des aides-soignantes dans ces jurys, place peu visible comme leur place dans les équipes professionnelles de l’hôpital. Dans la représentation sociale, la difficulté du rapport à l’école ou à la formation de ce personnel aide-soignant entre pour une grande part dans leur reconnaissance. La société (ici l’ensemble du personnel médical et paramédical) ne lui laisse pas une visibilité possible. De plus leurs antécédents scolaires et sociaux ne les autorisent pas à s’approprier une plus grande visibilité. La « nonplace » des aides-soignants dans le jury est implicitement déterminée, profondément intériorisée et ne choque personne. Les seules remarques entendues lors de réunions de formateurs sur ce texte étaient des inquiétudes sur leur propre représentation dans ces jurys, mais non pas le peu de place accordé aux aides-soignantes ellesmêmes. La suite des articles n’apporte pas d’éléments particuliers par rapport à la loi de modernisation sociale. Le candidat pourra soit valider en une seule fois et obtenir la certification, soit il n’aura qu’une partie du diplôme et devra valider les compétences manquantes dans un deuxième temps par le suivi et l’évaluation du ou des modules de Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 117 formations correspondant aux compétences non validées. Il pourra aussi opter pour une nouvelle validation « pour une expérience professionnelle prolongée ou diversifiée » (Article 6). Par contre dans l’article 8 un point appelle une réflexion. Il est en effet stipulé que « si le candidat opte pour un parcours de formation préparant au diplôme professionnel d’aide-soignant dans le cadre du programme des études conduisant à ce diplôme, il s’inscrit auprès d’une école autorisée à dispenser cette formation. Le candidat est dispensé des épreuves de sélection exigées pour l’accès à la formation initiale. » Cette dispense d’épreuve n’inscrit-elle pas une nouvelle voie de classification entre les aides-soignantes ? Classification déjà annoncée entre celles qui auront suivi la formation initiale et celles qui seront diplômées par la voie de la VAE. Nouvelle classification entre celles qui bénéficient de la légitimité de la certification (même basse et peu prestigieuse) apporté par le diplôme obtenu après sélection et formation et celles qui tentent de faire reconnaître une expérience, en contournant le concours ? Cet apport législatif participe d’une certaine manière à la création d’une nouvelle division dans le groupe des aides-soignantes avec des luttes de placement (non pas de classe), la recherche dans ce classement étant la reconnaissance. La dispense du concours risque d’influencer de façon négative la représentation de la valeur de la certification, comme le confirme des observations faites sur le terrain. Le même médecin inspecteur analysait ce paradoxe né d’une augmentation des tâches exigées des aides-soignantes et des difficultés d’analyse de ces personnes en formation. R.10 : C’est vrai que ce qui est paradoxal c’est que parallèlement à ça on a tendance à vouloir tirer le métier d’aide-soignante vers le haut, et de leur confier des missions qui n’étaient pas les leurs jusqu’à présent : là il y a un paradoxe. D’un côté on dit effectivement on va valider des acquis chez des gens avec un faible niveau qualification Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 118 et puis à côté de ça on voudrait qu’elles fassent plus de choses, qui dépassent souvent leur compétences. Et on le voit bien au travers des formations, je trouve qu’il y a une évolution ces temps ci dans les gens formés : il y a des gens en grande difficulté justement d’analyse, de synthèse : qu’est-ce que ça va pouvoir donner après ? Entre les observations de terrain et l’implicite lié à la mise en œuvre de la VAE on voit naître ce risque d’une nouvelle division. Ceci nous renvoie à l’histoire de ce métier qui a été créé par défaut, pour les infirmières qui n’arrivaient pas à obtenir le diplôme d’état exigé pour exercer. Aujourd’hui la VAE va permettre à des personnes qui ne réussissent pas à entrer à l’école, d’obtenir le DPAS par une autre voie, de se rapprocher par l’obtention du diplôme, du niveau supérieur que représente les infirmières et de s’intégrer dans le groupe constitué des aides-soignantes. Groupe différent du groupe des ASH même si elles en restent très proches. Mais cette translation potentielle vers le haut ne réduit pas les écarts entre ces aides-soignantes et les infirmières, ceux-ci sont maintenus. P. Bourdieu montrait comment le jeu social répondait à un mécanisme de reproduction tel que la position change dans l’espace professionnel, alors que les distances peuvent se maintenir. 2.3. Ce que révèle la procédure de VAE Pour pouvoir poursuivre une validation, les candidats doivent retirer auprès des organismes de tutelle de la santé (DRASS, DDASS, DSDS131) un livret de recevabilité qu’il devra renseigner et renvoyer à l’organisme de tutelle. Ce livret comporte un formulaire d’identification sociale et professionnelle ; une déclaration sur l’honneur attestant de la véracité des renseignements ; des informations sur les conditions pour être candidats ; un récapitulatif des activités exercées en rapport avec 131 DSDS : Direction de la Santé et du Développement Social Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 119 le contenu du diplôme - ce récapitulatif permettra à l’organisme de vérifier si le nombre d’année (comptabilisé en heures) correspond à la législation - une liste de pièces à joindre à ce dossier soit des justificatifs d’identité et d’activités, qu’elles soient salariées ou bénévoles. Cette première étape permet de situer son activité et de visualiser son parcours professionnel ou personnel en lien avec la validation. Là aussi on observe une particularité pour le métier d’aidesoignant par rapport au texte de 2002 : la durée de l’exercice antérieur à la demande de validation doit être de trois ans dans le texte général, elle est de cinq ans pour les aides-soignantes. Mais cette durée sera dégressive, quatre ans en 2006, trois ans en 2007 pour rejoindre le texte général. Comment interpréter une telle mesure ? Faudrait-il du temps pour que le corps paramédical s’imprègne de l’idée de VAE, temps transposé à la procédure ? Puis l’organisme de tutelle a un délai de deux mois pour notifier sa décision au candidat. L’absence de réponse dans ce délai valant une décision implicite de rejet. Là aussi on peut se demander pourquoi les candidats dont la demande est non reconnue comme recevable ne méritent-ils pas une notification écrite ou orale. Comment une non réponse peut-elle être perçue ? Si la demande est recevable un livret de présentation de l’expérience est transmis au candidat. Il dispose alors d’un an pour le compléter et le remettre à l’organisme qui va organiser le jury de validation. Une notice d’accompagnement est jointe à ce livret. Elle comprend les attentes du jury, la description du processus de validation, la méthodologie pour renseigner ce dossier et un tableau permettant de récapituler les pièces jointes au dossier. Le cheminement est balisé. (Nous faisons ici un parallèle avec les protocoles dans les services de soins : nous sommes ici encore, dans des consignes prescrites). Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 120 Le livret est constitué de 17 pages de questions permettant de décrire les compétences acquises. Ces questions sont organisées en lien avec le référentiel de compétence qui est aussi adressé aux candidats. Elles sont très ciblées et les espaces prévus pour les réponses sont relativement restreints. Ces espaces n’invitent pas au développement de l’explicitation de l’expérience et des acquis qui en découlent. Cette présentation est plus proche d’un questionnaire, ce qui risque de rendre difficile l’évaluation du sens que l’individu peut attribuer à son action. De réduire ainsi la présentation de l’expérience à une description de son activité ne dévalorise-t-elle pas les acquis de cette expérience en les reléguant à la seule dimension technique du soin ? Néanmoins pour des personnes n’ayant pas une grande habitude de l’écrit ce livret peut constituer une réelle difficulté. Ce qui donnera de la valeur à la procédure en terme de représentation. Mais une telle procédure n’avalise-t-elle pas que les individus exerçant ce métier sont en quelque sorte relégués à un processus adaptés à leurs capacités ce qui entérinerait là encore, un positionnement bas dans l’espace des métiers paramédicaux ? 2.4. Les aides-soignantes : une population captive. Le «privilège» de la relégation P. Bourdieu a montré que beaucoup de nos comportements, choix, jugements dépendent de notre position dans l’espace social. Pour lui l’habitus est ce qui organise notre manière d’agir. Les aidessoignantes ont intégré la représentation de leur valeur dans l’échelle des métiers paramédicaux. Elles se vivent comme étant un personnel au service des patients mais avant tout de leurs supérieurs hiérarchiques qu’elles déchargent d’un travail moins noble. Cette intériorisation est souvent le résultat d’un parcours scolaire peu valorisé. Les aides-soignantes sont la plus part du temps issues de filières courtes et peu considérées (inférieures le plus souvent au Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 121 baccalauréat). La VAE est un nouveau moyen d’être diplômé tout en évitant un nouveau passage par l’école. En effet ce dispositif est privilégié par les ASH interrogées par questionnaire.132 29 Agents des services hospitaliers (ASH)* Aux questions : oui non Non réponse « Souhaitez-vous devenir aidesoignant ? » 21 soit 72,41 % 6 soit 20,68 % 2 soit 6,89 % « Par quel moyen ? » Formation : 28,7 % 27,7 % VAE : 43,6 % *ASH de l’ensemble des services de moyen séjour, long séjour, et maisons de retraite d’un hôpital périphérique de la fonction publique hospitalière. Ces chiffres témoignent d’une part de la difficulté de se situer entre la formation ou la VAE (27,7 % de non réponse), mais aussi de la prééminence du choix d’être diplômé par VAE (43,6 %). Il aurait été intéressant d’affiner l’enquête en comptabilisant parmi les personnes préférant la VAE à la formation, le nombre de celles qui avaient tenté le concours sans le réussir. Une des ASH interrogée répondait en effet à la question du choix de la formation ou de la VAE en expliquant que, s’il n’y avait pas eu le concours, elle aurait aimé aller en formation : Q23 : S’il n’y avait pas eu le concours vous auriez aimé aller en formation ? 132 231 questionnaires ont été distribués le 30 décembre 2004 aux aides-soignantes et ASH de services de moyens et longs séjours, et dans des maisons de retraite relevant de la fonction publique hospitalière. Ce choix est justifié par le fait que dans ces structures il a peu d’infirmières, et que de nombreuses ASH font « faisant-fonction » d’aides-soignantes. En janvier 2005, 94 questionnaires ont été retournés soit 40,25 % de réponses. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 122 A. : Oh oui, ce n’est pas la formation qui nous gêne. Toi aussi tu as fait pas mal de formation ? J’ai fait la formation sur la communication, j’ai fait pas mal de formation. Ça permet de couper un peu avec l’hôpital et puis c’est une autre façon de voir les choses. P. : Oui, moi aussi j’ai fait des formations continues : plusieurs formations sur la communication, sur la fin de vie, sur la personne démente. Une formation sur l’hygiène : ça c’est automatique. En plus j’étais référent hygiène en rééducation.133 En plus la VAE est un moyen de promotion puisqu’il permet d’être diplômé, et le diplôme permet une reconnaissance salariale : Q22 : Quelles sont vos motivations pour faire une VAE ? (Silence) A. : Ben déjà, je vous dirai franchement depuis le temps qu’on fait le travail, je vais dire franchement, il y a aussi le salaire. P. : Je n’osais par le dire, mais je pense comme A. Au départ c’est quand même ça. C’est normal qu’on n’ait pas le même salaire parce qu’on n’a pas fait la formation. Du coup on voudrait avoir le diplôme pour avoir le salaire. (…) Q26 : Le diplôme reconnaissance ? participe à une A. : Je pense que oui, si on avait notre diplôme. Déjà que certaines nous disent c’est dommage que vous n’ayez pas notre salaire parce que vous faites le même travail. Oui mais justement on n’a pas passé le concours. P. : Mais certaines vont nous dire aussi, mais c’est un an d’étude ! 133 Entretien avec deux ASH du 28 avril 2005, réponses 23 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 123 A. : Non ! P. : Si A., j’ai entendu : ça c’est pas normal, si jamais vous l’avez comme ça. Qu’on vous le donne comme ça. On va nous dire … si, si, si. Jalouse un petit peu. (…) P. : Et puis la prime d’insalubrité, que les aidessoignantes ont, nous on ne l’a pas ! On a besoin d’un peu de reconnaissance ! A notre âge on a donné ! Un peu de reconnaissance avant la retraite. Pour soi, pour se dire qu’on a réussi quand même quelque chose. C’est drôlement important.134 Cette reconnaissance salariale serait la manifestation que l’institution reconnaît le travail qu’elles effectuent depuis de nombreuses années. Cela serait aussi pour elle, le moyen, au-delà de la reconnaissance salariale, d’une auto-reconnaissance sans pour autant dérogé à leur statut social intériorisé puisque cette reconnaissance est vraiment pour elle : « pour soi, pour se dire qu’on a réussi quand même quelque chose. » Le diplôme participe à une certaine reconnaissance statutaire et il ouvre la possibilité d’une reconnaissance sociale et personnelle. Par contre si on questionne des aides-soignantes diplômées à la suite d’une formation initiale les réponses sont plus mitigées et les chiffres sont moins en faveur de la VAE même si le dispositif reste malgré tout privilégié. En sachant que les non réponses sont importantes pour avoir un résultat quantitatif parlant. (Les chiffres sont en valeur absolue et en pourcentage). 134 Idem 131 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 124 65 Aides-soignants diplômés (AS)* « par quel moyen auriez-vous souhaité avoir votre DPAS ? » Formation VAE Non réponse 20 soit 27 soit 18 soit 30,76 % 41,53 % 27,63 % *Aides-soignants de l’ensemble des services de moyen séjour, long séjour, et maisons de retraite d’un hôpital périphérique. Malgré la pertinence réduite de ce matériau, il ressort une difficulté d’opter pour une position tranchée favorisant l’un ou l’autre des moyens d’accès au DPAS. Il semble que la VAE soit préférée à la formation comme si ce public était captif d’une relégation du système de formation et ne s’autorisait pas à valoriser une promotion par une formation académique. Cette interprétation est tempérée par les propos d’une aide-soignante diplômée depuis treize ans : Q36 : Si vous aviez eu l’opportunité d’acquérir votre diplôme d’aide-soignante par la validation des acquis l’auriez-vous fait ? B. (aide-soignante en long-séjour) (R36) : Non, je ne crois pas que j’aurai aimé. (…) (R46) : Je trouve que c’est un petit peu dévaloriser la formation, puisque je sais qu’il y a des agents qui aimeraient être aide-soignante mais sans avoir été à l’école. Je trouve que quand on a pris la peine d’aller à l’école, de suivre la formation il faut reconnaître l’effort, sinon dans ces cas ça n’a plus aucun sens de faire des efforts. Dans ce cas, la formation est valorisée : elle représente un effort qui nécessite une reconnaissance. La crainte sous-jacente est que cet effort ne soit plus reconnu, ce qui participerait à une certaine dévalorisation de la formation. Une autre aide-soignante d’un autre service de long séjour exprimait aussi son inquiétude : Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 125 Q42 : Du coup comment la VAE va jouer sur la perception du métier d’aide-soignant ? S. : On dira que tout le monde est aide-soignante, maintenant. Entre les chiffres qui montrent une certaine préférence pour un accès au diplôme par VAE et les propos qui témoignent de l’importance accordée à la formation, on observe une ambivalence. Lors d’une expression libre (entretien) qui laisse part au cheminement de la réflexion, la formation est favorisée. Les chiffres, résultat d’un questionnaire, témoignent d’une difficulté à opter pour une position tranchée puisqu’ils ne privilégient pas l’un ou l’autre moyen d’accès au diplôme. Ce même questionnaire a été distribué à des élèves à la fin et au début de leur formation. En fin de formation la préférence de l’accès au diplôme par VAE est minoritaire. En début de formation les réponses affirment moins catégoriquement la préférence pour la formation comme moyen d’accès au diplôme. Elèves aides-soignants* I : promotion de 34 élèves en fin de formation II : promotion de 35 élèves en début de formation A la question : « Auriez-vous aimé avoir votre DPAS par VAE ? » oui non Non réponse I 5,8 % 82,2 % 5,8 % II 20,04 % 71,42 % 8,57 % * Elèves d’une école privée d’aide-soignante de la région Bretagne, école ne dépendant pas d’un IFSI. La moyenne d’âge des promotions était de 28 ans. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 126 Les arguments exprimés en faveur de la VAE étaient : ne pas avoir à passer le concours (sept réponses) ; rester sur le terrain, et l’expression de ne pas « aimer » la théorie (deux réponses). Ce qui ressort ici c’est bien la place du concours d’entrée comme difficulté. Pour celles qui privilégiaient la formation les arguments étaient : un manque de théorie quand le diplôme est acquis par VAE (30 réponses) ; une dévalorisation du métier (8 réponses) ; le manque partage des connaissance entre pairs et les échanges de suivi par les formatrices (4 réponses) ; un manque d’analyse de pratique et d’expérience (1 réponse) ; la VAE n’aurait pas permis la satisfaction d’avoir réussi le concours (1 réponse). La place de la formation académique est nettement privilégiée par les élèves que ce soit en début ou en fin de formation (30 réponses, soit 85,71 %). La notion de reconnaissance associée à cette formation théorique ressort aussi assez nettement et est traduite par la peur de voir leur métier dévalorisé s’il devient accessible par VAE. Le premier constat est qu’en début de formation il y a plus d’élèves qui privilégient la VAE par rapport aux résultats des élèves en fin de formation, même si ce dispositif est nettement dévalorisé par rapport à la formation. D’autre part la reconnaissance et l’attente d’une valorisation sont citées quelle que soit la forme de réponse. Nous pouvons retenir que pour les personnes en formation, celle-ci est nettement privilégiée par rapport à la démarche de validation des acquis de l’expérience, ce qui semble légitime pour des élèves. Par rapport aux réponses des questionnaires distribués aux professionnelles diplômées ou aux ASH, on constate que ce public en formation a une autre vision de la VAE. La formation est valorisée. D’avoir été reçue au concours est intériorisé comme une étape dans la promotion sociale. Les objectifs de la VAE, qui étaient de favoriser l’accès à une certification à un public de bas niveau de qualification ou sans qualification confortent cette relégation « privilégiée ». Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 127 3 - Entre lutte contre les inégalités et reconnaissance Il est connu qu’il existe de réelles inégalités en matière de formation initiale liées aux inégalités sociales. Ces inégalités se retrouvent au niveau de la formation post-scolaire et en particulier la formation continue. La trajectoire sociale et culturelle qui intègre le passé familial, scolaire et la carrière professionnelle paraît décisive dans les mécanismes d’accès à la formation continue. En 1997 l’espérance annuelle d’heures de formation continue selon la catégorie sociale était de 5,8 pour un ouvrier non qualifié, de 10,5 pour un employé qualifié, de 22,4 pour un agent de maîtrise.135 Chiffres qui parlent d’eux-mêmes, témoignent de ces inégalités : pour avoir plus de chance de suivre une formation continue il vaut mieux être agent de maîtrise qu’ouvrier. Puisque c’est dans la formation que se forment les inégalités, la dissociation de la formation de la qualification, paraît le moyen de résoudre ce problème. Mais n’est-ce pas un simple déplacement de celui-ci, car l’influence de l’extérieur du système de formation est ainsi niée. Nous avons vu précédemment que les enfants de cadres et ceux d’ouvriers à niveau égal de diplômes ne trouvaient pas de travail de la même façon, les enfants de cadre étant privilégiés dans cette recherche d’emploi. On peut donc s’interroger face à ce premier objectif affiché. Un autre objectif de ce dispositif proposé par les parlementaires, était de favoriser la promotion des individus. Deux points étaient particulièrement mis en avant. Cette loi devait profiter aux personnes ayant un bas niveau de qualification. Nous venons de voir comment cela était contestable au regard des chiffres des bénéficiaires de la formation continue. La 135 C. Dubar, La formation professionnelle continue, Paris, éd La Découverte, 2000, p. 67 (Citant les sources du CEREQ : Statistiques de la FPC financée par les entreprises. Traitement annuel des déclarations d’employeurs 24 83, Paris, octobre 1978 à février 2000) Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 128 deuxième cible était les femmes. Or depuis la fin des années quatrevingt, de nombreux travaux montrent que les femmes sont plus nombreuses à l’école comme à l’université que les hommes et qu’elles y réussissent mieux et ce, dans tous les milieux sociaux.136 En 1971 on compte pour la première fois plus de bachelières que de bacheliers. « Pour autant, malgré ce fait social indiscutable qui semble ébranler les lois de la reproduction sociale, reste que les filles continuent de s’orienter vers les mêmes filières. »137 Depuis lors, les sociologues de l’éducation n’ont cessé de souligner ce double phénomène d’augmentation du capital scolaire des filles et du maintien d’une forte ségrégation au sein des filières du système scolaire, à tous les niveaux de formation. Certains de ces sociologues expliquent ce paradoxe en s’appuyant sur les thèses de P. Bourdieu. Il s’agirait « de la réalisation, dans le cadre scolaire, d’un habitus sexué de soumission et de docilité qui permettrait aux filles de répondre, plus que les garçons aux attentes du système scolaire tout en restant cantonnées dans des filières ‘féminines’. »138 Ceci témoigne de la complexité du problème, car si la mise en œuvre du dispositif de VAE avait pour objectif de favoriser la qualification féminine cela ne correspondait pas à un réel besoin puisque l’on constate une augmentation du capital scolaire des filles en général. En approfondissant l’analyse des besoins, on remarque la nécessité de former rapidement du personnel pour remplacer les départs à la retraite qui s’annoncent dans le secteur de la santé. Il faut aussi noter que dans ce secteur d’activité les postes du bas de l’échelle hiérarchique sont occupés par des femmes peu ou pas qualifiées. Nous avons vu qu’un certains nombre de postes d’aides-soignantes étaient 136 M. Maruani, Travail et emploi des femmes, Paris, éd La Découverte (Repères), 2003, p. 27-30 137 T. Couppié et D. Epiphane, Ségrégation professionnelle des hommes et des femmes : entre héritage éducatif et construction sur le marché du travail ; www.jeunes-etsocietes.cereq.fr/PDF/Couppi%E9-Epiphane.pdf 138 Ibid 121 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 129 occupés par des « faisant-fonctions ». Face à ces deux observations, la VAE répondrait aux objectifs de lutter contre les inégalités de qualification. Mais il faut moduler ce constat car le texte de loi ne précise pas les obligations de l’employeur en terme de reconnaissance. La formation suivie ne confère aucun droit automatique en terme de classement, d’emploi ou de salaire. Le salarié pourra bénéficier d’une promotion lorsque la VAE sera faite à la demande de l’employeur139 ou lorsqu’elle est suivie de sa propre initiative après que l’employeur lui ait garanti une fonction ou un emploi correspondant à son diplôme. Au-delà de la lutte contre les inégalités, il ne faut pas nier que la reconnaissance est aussi liée à la socialisation initiée par la formation initiale. La formation serait comme un rite initiatique qui permettrait d’entrer dans le corps des aides-soignantes. La VAE dispense du temps de formation, elle empêcherait donc une pleine légitimation sociale puisque le diplôme sera acquis sans passer par ce temps de formation, ce temps de socialisation. L’entretien avec deux aidessoignantes de long-séjour argumente cette reconnaissance liée à la socialisation. Q29 : Si vous aviez pu choisir entre avoir votre diplôme par la VAE ou à la suite d’une formation ? L. : Par formation (Ton hésitant) S. : Moi, par formation, quand même. L. : J’aime bien être encadrée, c’est énorme, c’est un apport des autres sur soi, c’est une remise en question aussi. C’est ma préférence. Q30 : Comment ça : « un apport des autres » ? 139 En sachant que la loi précise que la VAE est un droit pour les salariés et qu’en aucun cas il ne peut y avoir obligation de l’employeur. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 130 L. : Ben, celui qui encadre l’élève, c’est son vécu à lui : s’il le dit c’est que ce n’est pas faux quand même. Ça, ça apporte. Q31 : Est-ce que vous pensez qu’avec la VAE il y aura moins ce regard de l’autre ? L. : Il y aura moins le regard de l’autre ; S. : Il n’y en aura pas, s’il n’y a pas de formation ; mais bon, le dossier il faudra bien le monter et tu auras besoin peut-être du regard de l’autre pour t’aider à le monter ? L. : C’est la motivation plus qu’on va noter, c’est leur motivation qu’on va regarder. Q32 : Vous pensez que le regard de l’autre est important dans une formation ? L. : Oui, c’est un regard plus professionnel envers l’élève, j’ai retenu pas mal de trucs que les aidessoignantes ou agents m’ont appris dans les services où je suis passée. Q33 : Et d’être formation ? regardée pendant la L. : Oui on apprend, on fait pleins d’erreurs … S. : Oui et là il y aura moins ça, et elles risquent de continuer sur leur lancée et (Silence), oui, elles ne seront pas formées comme nous on a été formées. Elles continueront sur leurs bases qu’elles ont apprises toutes seules. Le fait de constituer seul son dossier n’est pas une garanti de « professionalité » pour ces diplômées à la suite d’une formation initiale. Il manque le regard de l’autre, surtout celui des formateurs et des tuteurs qui corrigent et expliquent. La constitution du dossier et sa validation nécessiteront le regard de l’autre mais la formulation est interrogative et tempérée par la mise en avant de la motivation. Pour ces aides-soignantes les candidates à la VAE, ne seront pas « formées comme elles ont été formées. » Il manquerait l’interrogation de la Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 131 pratique professionnelle par des pairs et des formateurs. C’est cette confrontation à l’autre qui évite de s’enfermer dans une seule manière de faire ce qui permet ainsi de développer un esprit critique et de construire des savoirs donc de développer des compétences professionnelles. « Elles continueront sur leur bases qu’elles ont appris toute seules ». Cette phrase conforte la place de la réflexivité initiée par la confrontation pendant le temps de formation. Pour cette aidesoignante le risque de la VAE est de ne pas interroger les certitudes personnelles ce qui est fait pendant le temps de formation et qui donne une valeur professionnelle aux actes soignants. La pleine reconnaissance ne peut être attribuée dans ce contexte. 3 – Conclusion La VAE introduit une nouvelle conception de la certification qui peut maintenant être obtenue sans passer par le moindre parcours de formation. La certification est dissociée de la formation académique. Les métiers de la santé sont réglementés et protégés par leur inscription au Code de la santé publique, sauf celui d’aide-soignante avant cette année 2005. Est-ce pour cela qu’il est le premier métier de ce secteur de la santé concerné par la VAE ? Est-il considéré comme un métier ne nécessitant pas un apprentissage académique pour être exercé puisqu’il est peu qualifié ? Lorsque l’on interroge les aides-soignantes diplômées ou en formation et les agents des services hospitaliers, leurs réponses, entre les questionnaires et les entretiens, témoignent d’une position ambivalente par rapport à la VAE. D’un côté la valorisation par l’obtention du DPAS, de leurs pratiques est un atout pour l’expression d’une préférence pour la validation. D’un autre côté, dans les entretiens, elles expriment l’importance de la place de la formation Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 132 académique gage d’une « professionalité » et d’une certaine reconnaissance. Malgré la validation des acquis de l’expérience, la question de la reconnaissance de leur métier reste entière. En effet l’accès à la formation d’aide-soignante ne nécessite pas un niveau scolaire supérieur et il est un métier de service (ici le service s’adresse tant aux patients qu’aux supérieurs hiérarchiques). Ce métier est constitué des tâches les moins nobles de la fonction soignante, tâches que les infirmières ont relégué à ce personnel peu visible. C’est un métier qui reste peu qualifié et peu visible. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 133 Chapitre quatre Les effets de la validation des acquis pour le métier d’aide-soignante Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 134 Dans la partie précédente nous avons vu le processus de sélection et de certification d’un métier peu qualifié au regard de la division du travail hospitalier. C’est un métier qui fait usage de compétences perçues comme « féminines », apparemment « naturelles » et qui ont donc du mal à se faire reconnaître comme vraie qualification. Ce processus de reconnaissance lié à la qualification, est à nouveau interrogé par l’arrivée de la validation des acquis de l’expérience. Nous cherchons à savoir si la reconnaissance officielle des compétences par la VAE entraînerait mécaniquement une modification des hiérarchies hospitalières. Légalement avec la VAE, la certification visée peut être délivrée sans passer par la formation. Mais la VAE peut-elle se réduire à cela ? Pour être validées et acquérir une visibilité sociale, les compétences ne doivent-elles pas être transférables au-delà des situations de travail vécues par le postulant ? Ces questions nous renvoient aux pratiques attendues des jurys qui « devront garantir que ce qui est constaté est à la fois généralisable et reproductible. »140 Bien qu’elle soit interprétée comme une deuxième chance, la problématique de la VAE est ainsi l’occasion d’interrogations sur le sens et sur les orientations de la formation initiale. Sur le plan théorique, l’un des enjeux de la VAE réside dans le regard pluridisciplinaire et multi-référentiel qu’il va falloir porter aux notions d’acquis, de compétences, 140 de savoirs, de reconnaissance. E. Kirsch et A. Savoyant, « Evaluer les acquis de l’expérience. Entre normes de certification et singularité des parcours professionnels », Bref CEREQ, N° 159/1999 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 135 1 - Les difficultés d’un positionnement Pour comprendre la mise en place de la législation de la VAE pour le diplôme d’aide-soignante, il faut observer le rôle des différents acteurs dans la construction du dispositif VAE. La VAE ne peut être exclue du champ sanitaire. Les enjeux sont trop importants et la loi a établi le caractère universel du champ d’application de celle-ci. Le ministère de la santé en a pris conscience tardivement, qui deux ans après la loi de modernisation sociale, a finalement décidé en 2004 de mettre en place la démarche pour l’accès au diplôme d’aide-soignant par VAE. Sous l’égide du ministère, un comité de pilotage a délégué à une équipe projet, composée de représentants de la DGS141 et de la DHOS142, la conduite de deux groupes de travail. Un premier groupe dit de « production », était chargé de recueillir les informations nécessaires à l’élaboration des référentiels d’activité et de compétences, et d’un nouveau référentiel de formation et d’évaluation. Le deuxième groupe, appelé « groupe élargi », avait pour fonction de relire et valider l’ensemble des productions. Dans ces deux groupes de travail les aides-soignantes étaient peu représentées. D’un bilan fait par la fédération des établissements hospitaliers de l’assistance publique (FEHAP),143 il ressort que ce travail a été compliqué par des prises de positions hétérogènes générant de vifs débats, souvent politiques. L’inquiétude des représentants de la FEHAP était que ces débats soient confisqués par les techniciens. Ce bilan est confirmé par un entretien téléphonique144 avec une représentante des 141 DGS : Direction Générale de la Santé 142 DHOS : Direction de l’Hospitalisation et de l’Offre de Soins 143 R. FAURE ; Aides-soignants et VAE ; article d’août 2004 ; www.fehap.fr/inc/art 144 Appel téléphonique non enregistré, toutefois le contenu est ici exploité comme matériau de recherche Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 136 écoles d’aides-soignantes (cadre infirmier) qui a réagi de façon spontanée à une question sur la place des aides-soignantes dans ces groupes de travail. Elle ne voyait pas la réelle utilité d’avoir des représentants syndicaux aides-soignants dans de tels débats, même si elle reconnaissait leur droit légal de cité. Face à cette réaction il est difficile de savoir ce qui agit le plus dans cette exclusion : est-ce la position basse dans la hiérarchie hospitalière ? Est-ce le faible niveau de certification ? Est-ce la combinaison de ces deux hypothèses ? Dans l’article « le racisme de l’intelligence »145, P.Bourdieu montre que l’école est une instance capable de reproduire les hiérarchies du social parce que son fonctionnement tend à « naturaliser les réussites» et donc à légitimer le succès des élèves les plus dotés en capitaux. Chacun croit que sa réussite ou non-réussite dépend d’abord de son intelligence. L’école est une institution qui juge de la valeur d’un individu par rapport à sa proximité avec la culture légitime et ce de manière invisible. C’est pourquoi l’auteur affirme que « les hiérarchies scolaires ne sont que des hiérarchies sociales euphémisées ». La réaction de cette cadre infirmière est symptomatique et montre comment la détention de titres scolaires place, plus ou moins strictement, un individu sur les hiérarchies du social. L’interlocutrice refuse aux aides soignantes une compétence suffisante pour intervenir dans des débats qui décident de la constitution de leur métier ; elle parlait notamment de « la difficulté de travailler (dans ce cadre précis) avec ces gens là », propos parallèles à ceux de la FEHAP qui s’inquiète que les débats « soient confisqués par les techniciens » (ces techniciens ne sont pas des technocrates). Ces propos révèlent que ce n’est pas « l’incompétence » supposée des aides soignantes pour toute discussion technique qui justifierait leur exclusion des négociations, mais bien leur éloignement de la culture légitime. La dynamique est assez intéressante pour comprendre en partie des phénomènes de déqualification. L’institution paramédicale refuse à une partie des aidessoignantes l’accès à une compétence de « soignant ». Pour justifier cet 145 In « question de sociologie », P. Bourdieu Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 137 état des choses l’hôpital évoque le manque de qualification ou de formation technique. Le comité de pilotage en charge de créer le référentiel de formation reconnaît aux aides soignantes la compétence nécessaire pour intervenir dans cette construction, mais cette fois l’exclusion n’est pas justifiée par le manque de qualification technique mais par l’éloignement des aides soignantes de la culture scolaire, en d’autres termes de leur manque de qualification sociale. C’est comme si l’institution scolaire, ici l’instance en charge de créer le référentiel de formation, excluait les agents du bas des hiérarchies sociales et professionnelles pour annuler toute possibilité de promotion. Nous avons simplifié cette analyse en vue de lui attribuer une substance fortement critique. La réalité est sûrement moins déterminée. Ces deux réactions vont dans le sens de ce qui a été démontré précédemment : les aides-soignantes ont peu de place reconnue, n’ont pas une réelle visibilité même quand il s’agit de parler et faire évoluer leur propre métier. Ceci est à mettre en parallèle avec la position des infirmières qui ont eu, elles aussi, des difficultés pour se faire reconnaître comme profession autonome par rapport au corps médical. Cette analyse des relations professionnelles peut éclairer les observations faites sur le terrain et permettre de dépasser une analyse subjective donc restrictive risquant de générer des confusions dans l’interprétation des positions. 1.1 Une translation vers le haut dans la hiérarchie des métiers ? Ce constat permet de continuer notre interrogation dans la répétitivité de l’histoire de ce métier qui a du mal à trouver une autonomie et qui reste sous la dépendance du métier d’infirmière, dépendance, nous l’avons vu, entretenue par la législation actuelle. Législation questionnée aujourd’hui, puisque les branches professionnelles ont demandé l’inscription du métier d’aide-soignante au Code de la santé publique au même titre que celui d’infirmière. Cette Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 138 demande a été acceptée dans le premier trimestre 2005, mais nous n’avons pas encore le texte officiel. L’inscription dans la section VI de ce Code n’entraînera t-elle pas une répercussion sur la division du travail, avec la possibilité d’ouvrir des négociations pour une définition du rôle propre des aidessoignants ? Si le ministère définit un rôle propre pour les aidessoignantes, cela laisserait aux infirmières le rôle prescrit (dépendant des prescriptions médicales), mais permettrait à celles-ci de devenir « prescripteur » de soins d’hygiène et de confort. Cette translation vers le haut va dans le sens des mutations en cours dans le champ de la santé : en effet l’arrêté du 13 décembre 2004 relatif à la coopération entre professionnels de santé, institue deux expérimentations de glissement de fonctions entre médecins et infirmières. Des infirmières d’un service d’hémodialyse et d’un service de gastro-entérologie pourraient prescrire des examens complémentaires et pratiquer des examens cliniques propre à ces spécialités. L’évaluation de l’expérimentation est prévue au bout d’un an de fonctionnement. Le corps médical délègue de nouvelles tâches aux infirmières qui voient ainsi augmenter leurs compétences techniques et leur ouvre l’accès au droit de prescription jusqu’à présent réservé aux médecins et aux sages-femmes. Dans ce même temps le corps professionnel infirmier milite pour la mise en place d’un ordre infirmier. En mars 2005, il essuie un refus en lien avec les difficultés d’harmonisation en son sein des différents groupements professionnels, mais la demande n’a pas été complètement rejetée et est toujours à l’étude. Par ces deux exemples, le glissement de fonction et la demande de la création d’un ordre infirmier, on perçoit la translation vers le haut pour le métier d’infirmier, ce qui pourrait entraîner à sa suite une même translation pour le métier d’aide-soignante. Les infirmières ayant de nouvelles tâches déléguées par le corps médical, délégueraient à leur tour certaines des leurs aux aides-soignantes. Pour autant les infirmières affirment leur « supériorité » en refusant aux aides-soignantes la « valeur » nécessaire pour réaliser Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 139 des tâches plus valorisées. Les logiques de concurrences et de distinction priment-elles sur celles de coopération ? Le repositionnement relatif des aides soignantes sur les hiérarchies hospitalières se construit aussi dans cette dialectique singulière où les mouvements de promotion s’articulent à ceux de relégation avec le maintien de l’écart entre les différents niveaux hiérarchiques. Au regard de ces mouvements qui tendent à montrer une mutation vers le haut de la reconnaissance du métier, on constate des contre-mouvements qui freinent cette translation vers le haut, maintenant le groupe des aides-soignants dans une dépendance au métier d’infirmier et dans une proximité réelle avec les agents des services hospitaliers. « Ce flou qui entoure le métier d’aide-soignante rencontre ainsi différents intérêts et sa relative invisibilité témoigne d’un certain échec dans la voie de la promotion collective du groupe ».146 Nous ne pouvons donc que continuer de nous interroger sur les prolongements possibles de ces déplacements potentiels : verra-t-on ainsi une valorisation du métier d’aide-soignante qui supplanterait sur le long terme le métier d’infirmier relégué aux tâches les plus administratives et techniques, ou aux tâches d’encadrement ? Ce qui ne semble pas être le cas quand on sait par exemple, l’échec à obtenir de l’Etat la possibilité d’un exercice en libéral, domaine réservé aux infirmières libérales soucieuses d’en conserver l’exclusivité. D’un autre côté, dans le prolongement de cette valorisation que deviendront les agents ? Deviendront-ils une nouvelle catégorie « attrape tout »,147 ce qui serait dans la logique développée par E. Hughes quand il explique la division du travail, et qui irait dans le sens des mutations de l’institution hospitalière ? 146 A.-M. ARBORIO, « Processus encore inachevé en France, l’invention du métier d’aidesoignante », Revue Direction N° 9 – juin 2004, p. 47 147 Terme employé par A. M. Arborio dans l’article cité ci-dessus. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 140 1.2. Une formation vers le bas ? Nous venons de montrer les différents mouvements qui entourent le métier d’aide-soignante et les questions que cela suscite comme la possibilité d’une translation vers le haut. Translation fortement contrôlée par le groupe des infirmiers, niveau supérieur dans la hiérarchie des métiers paramédicaux. Ce contrôle est implicitement mis en place par une adaptation de la loi de la VAE. En effet le ministère, conseillé par une cadre de santé conseillère technique en soins infirmiers, a négocié avec les représentants du groupe de travail, l’introduction d’un module obligatoire148. A l’issue des débats il a été convenu que l’attestation de suivi de ce module, devait être jointe au livret de présentation de l’expérience à partir duquel le jury donnerait son avis en vue d’une certification. L’arrêté du 25 janvier 2005 comporte en annexe III les objectifs globaux de ce module réparti en cinq grands thèmes à mener en 70 heures, soit deux semaines pour traiter le « cœur du métier » alors que nous avons vu qu’en quarante ans ce métier avait obtenu un temps de formation rendu visible par un nombre d’heures d’apprentissage conséquent. Nous pouvons nous interroger sur la pertinence de ce module par rapport aux principes de la VAE, qui sont de valider les savoirs acquis d’une expérience ? Pourquoi le ministère voyait la nécessité de mettre en place un module de formation obligatoire dans ce processus de VAE ? L’entretien téléphonique avec un membre du groupe de travail de ministère, témoigne des questions que ce module a soulevées : 148 www.cefiec.fr/cefiec/Actualite/breves3htm : Un communiqué de presse du CEFIEC (comité d’entente des formations infirmières et cadres) datant du 12 octobre 2004 est, on ne peut plus clair : « Face au projet présenté lors de la dernière négociation en septembre avec le ministère, le CEFIEC ne peut qu’exprimer son inquiétude. Rappelons que le DPAS, même dans le cadre de la VAE, ne pourra être délivré avec dispense totale de formation. Par conséquent une formation dite « module obligatoire », doit être dispensé pour tous les candidats. Que nous propose le Ministère ? Un module axé sur des capacités arithmétique (lire, écrire, compter) complété par une analyse de pratique ! Le CEFIEC juge le contenu de ce module inadapté et insuffisant. En effet des capacités telles que lire, écrire ou compter constituent un pré-requis à l’exercice du métier (…). Insuffisant aussi, car l’analyse des pratique à elle seule ne peut constituer un socle de compétences minimum. Le CEFIEC exige que le module obligatoire soit axé sur le cœur du métier d’aide-soignant (…). Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 141 Q3 : Qui a eu l’idée de ce module obligatoire, quels étaient les objectifs attendus ? M. : La première idée c’est quand même le ministère qui l’a eue. La première idée, c’était un module obligatoire de formation devant contenir le cœur du métier. Nous savions qu’il était dérogatoire par rapport à la loi de modernisation sociale de 2002, donc a priori pas forcément retenu ; et puis le CEFIEC149 et le GERACFAS se sont dit : « c’est plutôt une bonne idée ». Donc on a travaillé sur des contenus possibles, et on y a mis plein de choses. Puis tout le monde a fait marche arrière. Effectivement dans les groupes de travail, et là moi j’avoue que ce n’a pas été facile pour moi, et de même pour la collègue du CEFIEC, on nous a dit, pour faire court, ben vous n’avez pas compris grand-chose à la VAE, la VAE c’est pas ça, c’est la validation de l’expérience et il n’est pas question de faire un module supplémentaire en plus des modules de compétences. Q4 : Qui vous le disait ? M. : L’ensemble du groupe, les syndicats, beaucoup, ils n’étaient pas favorables du tout à ce module. Nous à partir du moment où on nous a dit qu’il y avait un module obligatoire on était assez d’accord pour y mettre ce que nous appelions les incontournables. Ce qui n’était pas sûr, parce qu’on avait un peu l’impression qu’on allait brader cette formation. Donc on c’est dit qu’il fallait qu’on profite de ce module pour y mettre des contenus importants. Mais après, bon, il y a eu une réunion clasch : je crois que c’est la dernière. On a passé un sale quart d’heure parce que, au nom du GERACFAS, je me suis opposé au … j’ai dit que j’étais d’accord pour travailler sur le module tel qu’ils nous le présentaient mais que je ne le cautionnais pas, au nom du GERACFAS. Le CEFIEC m’a suivi à ce moment là parce qu’il n’était plus question de cœur du métier mais simplement d’analyse des pratiques. Nous avons donc dit que sur ce qu’on nous avait proposé, nous n’étions pas d’accord. Il y a eu un débat très fort par rapport à ce que nous 149 CEFIEC : Comité d’entente des formations infirmières cadres Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 142 proposions en fait. Nous leur avons dit : « la VAE des huit modules est beaucoup plus sévère que ce que vous proposez au travers du module obligatoire ». Après coup ce n’est pas totalement faux ! J’ai lu beaucoup après ! La crainte au départ, c’était de brader cette formation qu’il n’y ait plus de garde fou. Donc vous avez vu on a un module obligatoire qui n’est pas validable, qui est simplement attestable en terme de présence, qui ne compte pas pour l’évaluation. Il a un contenu intéressant, bon, 70 heures ce n’est pas énorme, mais bon voilà. Ceci dit c’est vrai que dans l’esprit véritable de la VAE, je ne sais pas aujourd’hui si c’est véritablement une bonne chose. Nous avons vu que les métiers du secteur sanitaire sont très encadrés sur le plan réglementaire, ce qui induit des comportements protectionnistes qui se révèlent dans cette injonction de mise en place d’un module « garde-fou ». Une autre question se pose : dans le contexte de restriction budgétaire le coût des formations initiales est important et la VAE peut offrir une certification moins coûteuse. Ce module propose en effet, une mini-formation de 70 heures au lieu des 1 575 heures de formation initiale. La place de ce module permettrait de rassurer les professionnels inquiets pour la qualité des soins. Pour eux cette formation à moindre coût enseignerait les « incontournables du métier ». La translation vers le haut du métier d’aide-soignante est ainsi fortement contrariée par cette formation vers le bas, initiée par cette adaptation de la loi. Les propos du représentant GERACFAS dans le groupe de travail confirment cette analyse : Q5 : Mais pourquoi le ministère avait émis cette idée là ? M. : Je pense que c’est nos collègues infirmières au ministère qui se sont dit : attention ! Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 143 Q6 : Qu’est-ce qui dans le principe VAE les inquiétait pour qu’il y ait ce module ? M. : Ben … (rire) : mais ça n’est que mon point de vue et je ne voudrais pas que vous utilisiez cela à des fins … je pense que la motivation était économique et politique, compte tenu du contexte de pénurie en terme d’AS au niveau national et puis les autres VAE à venir derrière notamment celle d’infirmière. La pression politique elle est toujours là d’ailleurs ! La pression elle est de valider, de diplômer rapidement des gens. La difficulté quand même, sur le plan du contexte a été que la VAE des AS dans le champ sanitaire est la première, donc c’était la première expérience même s’il y a eu des expériences dans le social, dans l’éducation nationale, mais sur ce type de formation il n’y en avait pas. Donc beaucoup de gens se sont dit attention, il faut mettre des gardes fous. Cette obsession de garde fou a conduit à faire des choses extrêmement difficiles. On avait quand même l’impression que eux aussi naviguer à vue, n’avaient pas vraiment l’expérience de tout ça, car il y avait quand même une forte représentation du milieu paramédical en dehors du milieu politique. Donc voilà, il y a eu ce besoin de protéger les métiers. Mais on verra avec l’expérience ; c’est le verre à moitié plein. De toute façon c’est un module qui ne compte pas, bon, il va apporter un peu de contenu et surtout de réflexion puisqu’il reste très accès sur l’analyse des pratiques. Je ne le vois pas de façon négative pour l’instant. Mais rien n’est commencé. Tout dépendra de la façon dont les gens s’en emparent. Ces groupes de travail n’avaient comme objectif affiché que de répondre aux exigences de la DGOS (Direction hospitalière de l’offre de soin) en terme de certification rapide de personnels, mais leurs inquiétudes pour la qualité et la sécurité des soins ont légitimé la mise en place de ce module obligatoire tout en étant conscient de la prégnance économique. Dans cette analyse nous ne pouvons oublier l’histoire du métier : il a fallu du temps pour qu’il bénéficie d’une formation académique visible lui permettant d’accéder à un minimum de Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 144 reconnaissance liée à la culture scolaire légitimée. Aujourd’hui avec cette conception de la VAE ne participe-t-on pas à un retour en arrière ? La pression budgétaire importante, facilite la valorisation de l’expérience comme élément formateur. Ce mouvement risque de repousser la formation initiale dans le seul espace économique (lié au coût financier et de temps). Pourtant l’augmentation progressive du temps de formation pour l’accès au DPAS attestait la nécessité d’une conceptualisation issue de la formation théorique. De plus, un débat interne sur les valeurs est initié par la confrontation à l’autre et permet un choix de posture ayant du sens. On peut penser que le corporatisme, la crainte de voir disparaître le système de formation initiale, les dissensions politiques ou techniques, les frilosités des professionnels sont aussi intervenues dans la demande de ce module obligatoire que la loi de modernisation sociale sur la VAE n’exige absolument pas. 1.3 Question de reconnaissance et VAE La mise en place de ce module obligatoire pour la VAE en vue de l’obtention du DPAS nécessite une réflexion sur le sens que l’on donne à la validation des acquis de l’expérience. Tout d’abord on peut dire que ce dispositif VAE se situe à l’interaction de l’espace travail et de l’espace formation, puisqu’il va s’agir de valider une expérience formatrice permettant d’attester la compétence, c'est-à-dire l’adaptabilité à une situation de travail. Toutefois ce n’est pas parce ce dispositif se situe à l’interaction de ces espaces qu’il doit se substituer ou s’opposer à la formation initiale, présentée précédemment et telle qu’on la comprend à l’heure actuelle. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 145 Avec l’arrêté du 25 janvier 2005, l’entrée dans la certification par VAE du diplôme d’aide-soignante révèle une tension entre une entrée dans le statut par une certification classique à l’issue d’une formation et une entrée par la VAE. Tension qui risque de faire surgir un nouveau distinguo entre les diplômées, celles détenant une certification prestigieuse et celles ayant une certification par la VAE que l’on pourrait considérer comme la « certification du pauvre ». C’est ici que se pose la question de la reconnaissance. En effet on peut dire que toute reconnaissance n’est pas forcément liée à une certification. Par contre une validation par l’école donne plus facilement droit à une reconnaissance : on reconnaît que la personne est capable de, on lui « connaît » une valeur. Le processus de reconnaissance diffère selon que l’on se place du point de vue juridique ou du point de vue individuel (subjectif). En effet la loi stipule que la valeur du diplôme obtenu par la VAE est la même que celle obtenue à la suite d’une formation initiale. La loi le proclame comme tel. On ne peut pas oublier en effet que la valeur ne se mesure pas de façon rationnelle. C’est une proclamation. Proclamation qui peut être juridique quand on détermine par exemple le contenu d’un référentiel de diplôme, base à un contenu de conformité. Mais la valeur est aussi propre à chaque individu suivant sa trajectoire et le prix qu’il attribue aux choses ou aux évènements. Nietzsche définissait ainsi la valeur : « Nos valeurs sont des interprétations introduites pour nous dans les choses (…) Toute signification n’est-elle pas justement une signification relative, une perspective ? »150 Ce que P. Bourdieu transpose à l’école où ce qui donne une valeur, c’est la proximité d’avec la culture légitime. Il faut ici, différencier les différentes formes de valeur. Une première forme où la valeur formelle du diplôme est attestée juridiquement. Cette attestation permet une reconnaissance juridique : 150 J. Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Bordas, 1996, p. 303 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 146 la loi garanti cette valeur. Dans le cas particulier de la VAE, les termes juridiques sont prudents puisqu’ils stipulent dans l’article 134 de la loi de modernisation sociale, que la validation des acquis « produit les mêmes effets que les autres modes de contrôle des connaissances et aptitudes. » L’équivalence est confirmée et formelle, mais le texte ne la situe pas en terme de valeur, il le formule en termes « d’effets ». Dans un autre espace, la valeur peut être liée à son utilité et correspondre à la satisfaction d’un besoin. Marx stipule que : « l’utilité d’une chose fait de cette chose une valeur d’usage. »151 Alors ici, la VAE permettrait de donner une valeur au diplôme, en lien avec les besoins. Avec les nouveaux textes qui régissent le fonctionnement des établissements sanitaires et qui exigent des qualifications pour l’ensemble du personnel, la valeur accordée aux diplômes correspondra à la réponse donnée pour satisfaire les exigences de mise en conformité. La valeur vue ainsi est proche des objectifs ministériels dans un contexte qui impose le « juste prix », le « juste à temps » et le « juste assez ». Cette réflexion doit aussi être ancrée dans le contexte actuel où la formation continue est valorisée économiquement. La VAE s’inscrit dans cette dynamique où la gestion des compétences est présentée comme un moyen incontournable d’adaptation aux changements, donc comme moyen de mettre en œuvre la flexibilité. De plus la formation continue se doit d’être efficiente. Pour cela l’individualité est promue comme bien-fondé : la VAE pourra être mise en œuvre quand le salarié le souhaite, quand le besoin apparaît. Cela laisse une plus grande liberté de gestion dans le temps que n’offre pas une formation initiale dont les dates prévues et planifiées n’offrent pas une adaptabilité individuelle. Toujours dans le sens de l’efficience ce dispositif permettra de valider les connaissances des personnes ayant eu une activité qui se rapproche du diplôme souhaité ce qui diminuera d’autant le temps de formation. Par exemple les personnes qui ne valideront que six modules sur les huit prévus 151 Ibid 134 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 147 pour le DPAS, n’auront plus qu’à suivre les deux modules dont les compétences attendues sont jugées insuffisantes ou non acquises. Ce qui diminuera d’autant le coût qu’il soit financier ou de temps. La valeur économique de ce diplôme permettra aux individus diplômés d’acquérir une cotation sur le marché du travail et répondre aux besoins. Le diplôme obtenu leur permettra de se différencier de ceux qui ne sont pas diplômés. Mais si on facilite l’accès du diplôme par la VAE, il y aura augmentation du nombre de diplômés sur ce marché du travail et donc réduction la valeur marchande de celui-ci : Q : Comment la VAE va jouer sur la perception du métier ? S. : On dira que tout le monde est aide-soignante, maintenant. L. : Mais tout le monde n’est pas intéressé, je ne pense pas. Il restera quand même des gens qui ne voudront pas être aide-soignante, cela restera un choix. (…) L’inquiétude traduite dans les propos de S., est temporisée par ceux de L. Pour S. le diplôme permettait de se distinguer de celles qui ne le détiennent pas. Avec la VAE, elle voit le risque que tout le monde puisse être aide-soignante, ce qui annihilerait toute différence avec les agents. La formation permet une valeur de distinction et une valeur d’identité entre celles qui l’ont suivie et les autres. La VAE risque, aux yeux de S., de ne plus permettre cette distinction et cette identité professionnelle. Pour L., c’est la démarche qui permet cette distinction. Le choix de devenir aide-soignante participe à l’identité professionnelle. Ces propos indiquent que la valeur économique est recherchée par les candidats mais peuvent aussi indiquer la recherche de la valeur sociale sur laquelle il faut revenir. Celle-ci est beaucoup plus difficile à définir car elle situe dans « les préférences collectives qui apparaissent dans un contexte institutionnel, et qui par la manière dont elles se forment, contribuent à Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 148 la régulation de ce contexte. Encore faut-il au préalable éclairer la nature de ces préférences, et se demander en particulier dans quel sens on peut dire qu’elles sont objectives. »152 La place des « préférences collectives » montre que la valeur sociale ne peut se réduire à une préférence individuelle puisqu’elle va être le résultat de discussions, de conflits ou de compromis entre plusieurs acteurs. La valeur sociale que l’individu accordera à son diplôme sera bien fonction du contexte dans lequel il se trouve, mais aussi des capitaux culturels reçus. Un diplôme d’aide-soignante aura plus de valeur dans une famille où les parents et la fratrie détiennent des diplômes de niveau V que dans une famille où l’ensemble des diplômes est de niveau I. Ce diplôme aura aussi plus de valeur pour un individu qui se trouve dans un collectif où l’ensemble des personnes n’a pas de qualification reconnue. Nous voyons ainsi que la valeur sociale accordée au diplôme n’est pas un principe évident, explicite et univoque. « Mais la décision est un arbitrage entre ces diverses orientations, lesquelles ne sont jamais données à l’état pur, mais se trouvent incarnées dans des combinaisons institutionnelles complexes et contingentes. »153 Ce rapide exposé met en lumière la problématique de la reconnaissance puisque la notion de valeur lui est ici, pleinement associée. 1.4 Valeur sociale de l’expérience (entre reconnaissance et sacralisation ?) Les justifications de la mise en œuvre de la VAE sont attachées à l’idée de petite révolution pour lutter contre les inégalités et l’exclusion en dissociant formation et qualification. Mais ces justifications sont 152 R. Boudon, F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, éd PUF (Quadrige), 2002, p. 664 153 Ibid 137 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 149 aussi en lien avec une représentation de l’expérience et de sa valeur sociale. 1.4.1 Ce qu’on entend par expérience Paolo Freire154 disait : « Sous-estimer le savoir de l’expérience est à la fois une erreur scientifique et l’expression d’une idéologie élitiste ». Si on considère la théorie de Ph. d’Iribarne démontrant comment la logique de l’honneur en France imprègne les comportements, alors on peut entendre l’inquiétude de Freire et se dire qu’effectivement le dispositif de la VAE ne va pas être qu’une simple application juridique. Il risque d’être pour les aides-soignantes en particulier, un révélateur puissant de la conception hiérarchique de la division du travail hospitalier et révélateur d’intérêts implicites (quelles fonctions implicites les différents acteurs attendent-ils de la VAE ?) Avec la VAE, la dialectique ne sera pas de mettre en place des situations d’expérimentation en vue d’un apprentissage, il s’agira de sortir de l’expérience les savoirs acquis. Le petit Larousse (2000) définit l’expérience comme « une connaissance acquise par la pratique jointe à une réflexion ou accompagnée d’une observation. » L’expérience est la somme des connaissances (liées à la pratique) et de la réflexion. Cette expérience n’a de définition que si elle est associée à la réflexion. On peut distinguer l’expérience à l’état pratique qui transforme les gens, de l’expérience dans la VAE qui est une expérience formalisée, explicitée selon des compétences spécifiques. La VAE doit valider ces connaissances qui constituent l’expérience. C’est ainsi que l’on peut se demander en quoi cette validation transforme l’expérience, la sélectionne ? Comment transformer les connaissances acquises par la pratique en acquis de l’expérience? L’expérience dans la VAE ne se confond pas avec tout le passé professionnel : l’expérience est une construction de savoirs que le dispositif de VAE demande de démontrer. 154 Pédagogue brésilien Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 150 En effet, en tant que formateur, nous savons bien que c’est autre chose qu’une simple transmission de savoirs qui s’exerce pendant le temps de formation. C’est quelque chose de l’ordre de l’acquisition d’un sens critique nécessaire à la personne pour entrer dans une démarche de professionnalisation. Pour que la VAE soit inscrite dans une fonction formative diplômante, il faudra que le dispositif permette à l’individu d’identifier son sens critique. En interrogeant sa pratique dans cette dimension critique il pourra témoigner d’une compétence professionnelle. En partant de son expérience il faudra que le postulant la revisite, et visite ce qu’il est comme professionnel. Mais pour avoir un regard critique il faut pouvoir enrichir son analyse de notions qui permettent une distanciation. Nous nous interrogeons sur les possibilités qu’offre la VAE dans cette acquisition de notions nécessaires à une distanciation, donc à l’accès d’un esprit critique garant d’une dimension professionnelle ? La verbalisation pourra être le moyen d’acquérir ce sens critique et de consolider ses savoirs acquis de l’expérience. Mais pour reconnaître une valeur à l’expérience et aux acquis qui en découlent il faudra une évolution des esprits car ce n’est pas la logique habituelle de la formation. Le plus souvent la légitimité de l’expérience fait suite à la légitimité de la formation académique : l’expérience participe à l’apprentissage et permet d’arriver à une compétence. Avec la validation des acquis de l’expérience il faut inverser le raisonnement et partir des actions où l’expérience est non explicite, voir non conscientisée pour formaliser ses savoirs, leur donner une visibilité. Du coup nous sommes renvoyés à la définition conceptuelle de l’expérience. Pour Kant par exemple, l’expérience ne permet pas à elle seule la construction de savoir, c’est le raisonnement ou l’entendement qui permet de construire des savoirs à partir de l’expérience. Pour Hegel c’est l’expérience qui met en lumière les savoirs : « ceux-ci ne pouvant réellement exister que par l’expérience, l’expérience faite, on saura Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 151 enfin tout ce qu’il y avait à savoir. »155 Par ces deux approches philosophiques nous voyons que l’expérience ne peut être séparée des savoirs, mais que l’utilisation de ce concept ne peut se passer d’une réflexion si on veut lui garder une légitimité majeure puisque différentes approches sont possibles. De même on ne peut dégager l’expérience de la trajectoire de chaque individu, trajectoire faite d’historicité (rencontres, activités, affect, cognition) qui donne sa dimension formatrice à l’expérience. On ne peut pas non plus négliger ce qui est incorporé plus ou moins consciemment et que l’on ne peut pas forcément verbaliser mais qui est « expérience » et qui est aussi « savoir ». Pour illustrer ce propos : dans le service de réanimation où nous avons interviewé des aidessoignantes et des agents, un des médecins me faisait part de l’importance du regard de certaines personnes sur les malades et me disait : « quand Untel (aide-soignante) m’appelle j’y vais tout de suite ». Lorsque je lui ai demandé pourquoi, sa réponse a été : « Elle sait que ça ne va pas et moi je sais qu’elle a raison. » Toute la dimension de l’expérience comme savoir incorporé est ici exprimée. Les savoirs ne sont pas verbalisés, décrits : ils sont. 1.4.2 La place des valeurs Ce qui nous amène à continuer notre raisonnement : pour arriver à faire en sorte que cette expérience soit « savoir » et qu’en même temps des savoirs soient conscientisables donc puissent devenir réellement des savoirs il faut un débat de valeur156. C’est la personne qui va faire des choix dans ce qu’elle juge valable, ce qui a pour elle du sens et qu’elle pourra ainsi transformer en savoirs. C’est à partir des valeurs qu’elle attribue aux choses, aux évènements, qu’elle construit son expérience et ses savoirs. Et c’est là que l’on se rend compte, pour 155 Y. Schwartz, L’expérience est-elle formatrice ? Education Permanente, n° 158, mars 2004 ; p. 14-15 156 Y. Schwartz Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 152 notre sujet, de la place de la socialisation professionnelle, de l’interrogation par l’autre qui amène la possibilité de ces choix. D’où une nouvelle interrogation sur l’importance de la part de la confrontation dans une dimension formatrice. C’est en confrontant ses valeurs avec celles du groupe en formation que l’individu construit son savoir et donne sens à sa pratique professionnelle. Dans le cadre d’une VAE qui prive d’un temps de formation donc d’une confrontation en groupe, on peut se questionner sur la possibilité que les professionnelles sur le terrain auront de donner sens à leur actes quand on sait que par exemple, dans des services de soins doivent être effectué trente toilettes de malades grabataires par deux personnes en une matinée ? De plus si on regarde la construction du référentiel d’activité des aides-soignantes, le référentiel de compétence et de formation on voit poindre une grande difficulté car ils sont construits à partir de protocoles ce qui rend difficile le partage des valeurs puisque le « tout » est mis en protocoles donc en quelque chose sur lequel on ne peut plus débattre puisque défini. Le partage sur les valeurs est rendu difficile dans un tel contexte. On nie ainsi une part de ce que l’expérience peut avoir de formatrice. Et on revient à la phrase de Paolo Freire pour qui sous-estimer le savoir de l’expérience, donc ces savoirs construits à partir d’un débat de valeur, interne et personnel à l’individu, est l’expression d’une idéologie élitiste. Oserions-nous dire que du coup il est normal que le premier diplôme du secteur des métiers paramédicaux soit celui des aides-soignantes, diplôme le plus bas sur l’échelle hiérarchique puisque l’on va regarder les acquis de l’expérience et que ces acquis seront mis en parallèle avec les « attendus protocolisés 157». Vision élitiste en quelque sorte puisqu’elle réduit cette expérience à l’expression de savoirs acquis dans l’action (le travail, l’activité bénévole ou domestique) et qu’elle ne permet plus de débat de valeur, ni de distinction entre savoirs et expérience. Oserions157 Avec la démarche d’accréditation mise en œuvre dans les hôpitaux, un certains nombres d’actes de soin ont été décrits précisément et traduit sous forme de protocoles à appliquer. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 153 nous aussi dire, qu’il était plus facile de commencer par ce métier de niveau V considéré comme éminemment pratique niant ainsi toutes les avancées, toutes les luttes pour arriver à un minimum de reconnaissance. Reconnaissance associée à la nécessité d’un temps de formation allongé donc légitimée et permettant l’émergence d’un débat de valeur tant personnel que collectif, pouvant ouvrir une possibilité d’autonomie. 1.4.3 Qu’entend-on par « savoir » ? D’autre part, peut-on mettre en adéquation des savoirs professionnels, issus de l’action et des savoirs académiques issus de la formation ? Une concordance trop rapide ou simplifiée ne risque-t-elle pas de nier la spécificité de chacun de ces savoirs ? Le terme « acquis » renforce une telle interrogation. P. Astier définissant l’acquis comme « la transformation de soi à l’occasion de la transformation du monde opérée par l’action. » Les acquis sont bien ce qui permet au sujet de donner du sens à ce qu’il fait, ce qui lui permet de relier son action à celle des autres dans une dynamique de transformation donc d’évolution. Et si on ne reconnaît pas la spécificité de chacune des formes de savoirs on risque d’oublier qu’ils sont le plus souvent complémentaires. Ceci en particulier pour la formation aide-soignante où les savoirs académiques permettent souvent une réflexivité et une compréhension de la situation donc une professionnalisation par le sens donné aux actions. Ces savoirs académiques ne dénigrent en aucun cas les savoirs acquis de l’expérience ; ils leurs sont complémentaires et agissent sur des registres différents. Ceci est décrit par une aide-soignante de 32 ans, travaillant dans un service de long séjour : Q27 : Donc pour vous la formation est importante ? B. : Oui, oui, vraiment importante. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 154 Q28 : Pourquoi ? B. : Pour acquérir ne serait-ce que des techniques, tout ce qui est sur l’hygiène, en tant qu’agent on fait des choses mais on ne sait pas pourquoi on les fait, donc donner un sens à ce qu’on fait, savoir pourquoi on le fait. Q29 : Et l’expérience ne suffit pas ? B. : Non. Q30 : Qu’est-ce qui manque ? B. : Je pense que c’est plus les techniques, le savoir faire, et puis le savoir est aussi important : les cours sur la biologie, comprendre ne serait-ce que les maladies, quelqu’un qui est hémiplégique, comprendre, voilà, moi je pense que c’est important. Q31 : Et ça on ne peut pas l’acquérir par l’expérience ? B. : Non, parce que je prends l’exemple quand je travaillais à la MAPA, il y avait deux personnes âgées qui en fait étaient hémiplégiques mais pas du même côté. Un d’eux pleurait, je me souviens, dès qu’on lui disait quelque chose il se mettait à pleurer et par contre il parlait ; par contre l’autre ne parlait pas, et j’ai appris après que suivant quelle partie du cerveau est atteinte les malades n’ont pas les mêmes réactions. Voilà, et c’est vrai que j’avais posé la question : « pourquoi il pleure ? » et on ne m’avait pas répondu, on m’a laissé comme ça ! Q32 : Et le fait d’avoir été en cours ça vous a permis de comprendre ? B. : Oui, et donc après la prise en charge peut-être différente, je donne ça comme exemple pour montrer à quoi servent les cours. Dans cet entretien les savoirs sont bien identifiés et différenciés, ils ont chacun leur importance : les savoirs académiques sont ici cités pour permettre de donner un sens à ce qui est fait, permettre de Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 155 comprendre. Ces savoirs nommés par cette professionnelle ouvrent sur une prise en charge différente. L’avantage de la formation par alternance pour elle, est que ces savoirs issus de la formation ne sont pas coupés de la réalité professionnelle. Ils sont complémentaires dans le processus de formation, aux savoirs acquis par l’expérience. Ils permettent à ces savoirs de prendre tous leur sens et de devenir des savoirs conscientisés. Les savoirs de l’expérience ne sont pas survalorisés, ni dénigrés, ce qui est de même pour les savoirs liés à la formation. Par contre, dans cette dialectique un directeur d’institut de formation en soins infirmiers (IFSI) et d’école d’aide-soignante privilégie dans sa réponse, les savoirs issus de l’expérience : Q5 : Que pensez-vous de la validation des acquis de l’expérience au sens large des termes employés ? La VAE, c’est la reconnaissance de l’acquisition par l’expérience, c’est une reconnaissance de la singularité humaine, c’est donner une chance à l’homme de s’épanouir. L’échec scolaire n’existe pas si on considère qu’on peut acquérir des connaissances par la vie, le vécu, l’expérience. La VAE est une chance pour le sanitaire et le social, car c’est vraiment par le contact humain au quotidien qu’on apprend à servir l’homme. C’est par l’acquis de l’expérience qu’on décline les valeurs durables, permanentes telles que l’humilité, le respect de l’autre, de la différence, la tolérance, la compassion. La VAE renforcera le métier d’aide-soignant, le métier doit rester proche des usagers, humain, pratique, un métier de service. (…) La VAE n’est pas une « formation continue au rabais », (…) c’est une démarche déductive/inductive, une théorisation par une analyse de sa pratique, permettant de poser des concepts, une formation pratique qui prendra du sens. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 156 La construction de la démonstration commence par la négation de l’échec scolaire, comme si cela n’avait pas d’importance alors qu’une large part de notre système de catégorisation est basée sur la réussite scolaire. De plus, nous pensons que l’échec scolaire n’a aucun rapport avec la seule détention de connaissances. Le problème est que le mode d’acquisition de connaissance ainsi que la nature même de ces connaissances construisent la reconnaissance. La représentation du métier est ici, celle « d’un métier de service » qui doit rester proche des usagers. Métier proche de ceux qui sont alités, couchés. Le rapport de domination est nettement visible, dans l’espace et dans les postures des acteurs ; les médecins restent debout au pied du lit, gardent une distance par rapport à ces personnes couchées. Les aides-soignantes sont « proches » de ceux qui sont couchés, dépendants. L’association des aides-soignantes avec les malades couchés peut être rapidement faite et la violence symbolique qui se dégage dans cette formulation confirme les aides-soignantes dans le champ des dominés, dans le champ des métiers de service. De même, les acquis de l’expérience valorisés sont de pouvoir décliner les valeurs …telles que l’humilité. Une telle compréhension des savoirs acquis de l’expérience renforce les propos précédents. Ne risque t-on pas alors de dévaloriser ces acquis en ne les situant que dans ce qui est attaché à la représentation d’un métier au bas de l’échelle de la division du travail, faisant référence au passé du métier exercé par des religieuses ? Dans cette référence au religieux la valorisation passait par la sublimation des notions de service et d’humilité. Mais aujourd’hui dans le monde sécularisé, une telle référence va vite être associée à l’idée de vocation, renvoyant à l’idée que ces aptitudes sont éminemment féminines ce qui donnerait la valeur à ce métier. On peut alors maintenir ce métier dans sa dimension de service proche du service domestique, donc dans sa place de métier dominé. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 157 « La sanctification de l’expérience –nouvelle divinité ?- s’appuie aussi sur une dénonciation de l’académisme supposé »158 du système de formation. Comme si la formation professionnelle était coupée de la réalité puisque la VAE représente une formation continue « déductive / inductive, une théorisation par une analyse de sa pratique »159. Le risque d’une telle représentation des savoirs expérientiels serait de considérer que les savoirs académiques sont redondants. Ce débat met en lumière la difficulté de donner une valeur sociale à l’expérience puisque cela fait appel à une réflexion philosophique, nécessite une définition des mots et que plusieurs approches se dessinent à partir des trajectoires personnelles de chacun des protagonistes. Pour la mise en œuvre du dispositif de la VAE, il nous semble incontournable de passer par une telle réflexion. Il est plus facile de rester dans le « pratique » plutôt que de mettre en lumière tout ce qui peut être sous-tendu par des controverses sur les concepts. Pour nous les différents types de savoirs, ceux issus de l’expérience et ceux issus de la formation académique sont complémentaires. En les mettant en adéquation on nie la spécificité des savoirs académiques garant d’un professionnalisme. Ceci a été démontré lors de la description du métier d’aide-soignante, il a pu se différencier du métier d’ASH par la mise en place de la formation. Se pose ainsi la question de la « dé-professionnalisation » du métier par mise en œuvre de la VAE. Un syndicat exprimait son inquiétude dans un tract dans ce sens : « (…)la VAE doit faciliter l’accès à certaines formations diplômantes par la prise en considération de l’expérience acquise sur toute une carrière professionnelle. Par exemple une ASH doit pouvoir bénéficier d’une dispense de concours d’entrée à l’école d’aide-soignante, en fonction 158 F. Neyrat ; La VAE : une problématique de la reconnaissance … pour une reconnaissance problématique : Article extrait de N. Maggi-Germain et A. Pélage (dir), Les évolutions de la formation professionnelle : regards croisés, La documentation française 2003, Cahiers Travail et Emploi 159 Propos du directeur de l’IFSI et école d’aide-soignante Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 158 de son ancienneté et de son expérience. (…) Les cours théoriques doivent être conservés et tous les professionnels doivent passer le même diplôme. (…) Ainsi le diplôme obtenu par la voie de la VAE n’a plus rien à voir avec les obligations théoriques et cliniques mises en place pour le diplôme actuel d’aide-soignante, ouvrant ainsi la brèche pour un diplôme à deux vitesses. »160 Pour nous, la professionnalité c’est de pouvoir faire face aux situations limites sur le terrain de l’activité professionnelle par la maîtrise de savoirs académiques. Ceux-ci permettent une distanciation dans cette situation critique donc ouvre une possibilité de mettre en place une action adaptée. Par exemple une faisant fonction d’aidesoignante saura faire une toilette, mettre en place une prévention d’escarre, mais dans une situation de désorientation aura-t-elle les connaissances théoriques pour savoir qu’il y a d’autres causes de désorientation dégénératives ? chez la personne âgée que les pathologies Saura t-elle donc, appeler l’infirmière au bon moment ? Une aide-soignante l’expliquait dans l’entretien pages 154 et 155, lorsqu’elle démontrait comment elle avait compris les pleurs d’un patient hémiplégique après avoir suivi le cours de neurologie et donc comment elle avait pu adapter sa prise en charge et être ainsi plus professionnelle. Entre la valeur sociale pouvant être accordée à l’expérience, les réflexions qui en découlent et les pressions économiques, nous percevons les tensions à objectiver. Le glissement des notions de qualification vers les notions de compétences a des répercussions sur les conceptions de la formation, de l’activité professionnelle et pour le sujet qui nous intéresse, sur la reconnaissance du métier d’aidesoignante. La logique des compétences place les organisations comme qualifiantes. Les salariés du secteur sanitaire seront formés par les organisations de soins, développeront des compétences sur le terrain, valideront leur acquis par la verbalisation de leur activité. Où sera alors 160 Tract transmis par une autre étudiante du DESS SIFA en mars 2005. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 159 offerte la possibilité d’une confrontation formative avec les pairs ? Où seront interrogées les pratiques en dehors d’un contexte de validation ? Où sera dépassée la seule logique instrumentale liée au poste de travail ? Cette logique de compétence renvoie à des choix d’éléments objectivables donc évaluables ce qui participe à une technicisation du métier, confirmée par l’analyse des référentiels. Si nous avons évoqué la philosophie de la validation des acquis c’est bien parce que nous pensons qu’il ne faut pas plaquer nos représentations et habitudes de formations sur ce dispositif nouveau. Pour nous l’expérience est productrice de savoirs mais la professionnalité est garantie par une capacité de distanciation liée aux savoirs théoriques et aux confrontations avec les savoirs des autres. Et c’est cette professionnalité qui participe à la reconnaissance tant individuelle que collective. 2 - Les effets de la VAE sur la formation initiale : une redéfinition du prescrit ? L’objectif de la direction hospitalière de l’offre de soins (DHOS), est d’assurer la qualité des soins. Cet objectif nécessite à son tour, une qualité effective du dispositif de VAE reposant sur la valeur des référentiels d’activités, de compétences, ainsi que sur les procédures et les outils d’évaluation. Ces référentiels ont servi de fondement pour l’élaboration des livrets de présentation de l’expérience sur lesquels les jurys se baseront pour l’évaluation des compétences et l’attribution ou non du titre. Pour assurer la qualité de ces référentiels un gros travail a été mené et a permis de circonscrire les différentes compétences considérées comme nécessaires à l’exercice du métier. Pour Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 160 l’élaboration de ces référentiels il a fallu interroger le cœur du métier, ce qui en fait sa substance et redéfinir sa finalité. Cet événement extérieur (la mise en place d’un nouveau dispositif de certification) a pour effet de réinterroger le centre de cet espace. Ce qui se passe à l’extérieur de l’espace métier nécessite la réécriture des référentiels c'est-à-dire fait bouger le « dedans ». On voit les tensions générées par ces interrogations et cette observation permet d’envisager les effets importants sur le métier lui-même mais aussi sur la formation initiale. Le premier effet a été la reformulation du référentiel de formation initiale. La formation aide-soignante a été reconstruite pour s’adapter à ce nouveau dispositif de certification, et pour permettre la mise en place d’une nouvelle modularisation, non plus basée sur des connaissances à acquérir mais sur des compétences à développer. Ce qui peut être paradoxale dans le sens où la validation des acquis de l’expérience veut rompre avec les seuls savoirs dit théoriques, et nécessite dans un même temps, un énorme travail de théorisation pour traduire le métier d’aide-soignante en terme de compétence puis en formation modularisée. 2.1. Une question de temps Lorsque l’on prend la proposition du nouveau référentiel de formation161 la première chose qui apparaît, est la diminution du temps de formation de 1 575 heures à 1 435 heures : soit une diminution de 140 heures de formation. Dans le détail cela représente une diminution de 35 heures de cours théoriques et une diminution de 105 heures de stages. La formation se répartira donc sur 10 mois de formation au lieu de 12 mois. Mais ceci est encore à l’étude et doit être définitivement présenté en juillet 2005. Ce premier constat ne va pas dans le sens d’une influence positive de la mise en place du dispositif VAE sur la formation initiale. Si 161 L’analyse portera sur le projet puisque le texte n’a pas encore été validé (mai 2005) par le ministère. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 161 l’on considère que ce métier nécessite un temps de formation suffisamment long pour conceptualiser des pratiques il est regrettable de voir diminuer le temps théorique de formation. En effet même si ces pratiques sont considérées comme peu qualifiées elles demandent une conceptualisation puisqu’elles font appel à des notions difficiles comme la définition de l’homme, de la santé, de la maladie, de la souffrance, de la mort … L’expertise du métier n’est pas seulement dans la dimension technique des soins à dispenser, elle nécessite aussi une maîtrise de l’accompagnement et de la relation humaine qui participera à la qualité du soin et qui donne une valeur au métier. Ce constat est appuyé par la lecture d’un compte rendu d’une réunion avec la Direction Générale des Soins (DGS) en janvier 2005 où la responsable rappelait la logique de la réforme en cours : « recentrer la formation initiale sur les compétences et les incontournables, en regard de ce qui a été défini par la VAE. » Comment comprendre ce terme « d’incontournables » ? Est-ce une manière d’entériner une formation au rabais où la formation aide-soignante n’aurait besoin que de savoirs minimum ? A cette même réunion la responsable de la DGS justifiait la diminution de quatre semaines de stage « comme la garanti de la survie de la formation initiale (…), en particulier en regard de la VAE. » Faut-il le comprendre dans le sens où une formation trop longue ne peut survivre aujourd’hui ? A la fin du compte rendu on peut aussi lire que cette diminution de temps de formation permettrait de l’adapter à la durée de l’année scolaire en décalant le début de la formation de janvier à septembre. Ce décalage permettrait de présenter les candidats aux DPAS au mois de juin. Cette arrivée sur le marché du travail des nouveaux diplômés dés le mois de juillet pourrait permettre de pallier les remplacements de personnel durant l’été et d’assurer les plans ministériels. De plus de nouveaux paradoxes sont à prendre en compte : la durée de la formation diminue et les aides-soignantes vont être appelées à exécuter de nouveaux gestes techniques relevant de la Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 162 fonction infirmière comme la prise de la tension artérielle ou la préparation et la distribution des médicaments. Ces besoins nécessiteraient un temps de formation, comment l’inscrire dans un programme déjà chargé en lien avec cette diminution du temps accordé à la formation ? 2.2. Nouvelles caractéristiques l’effet VAE de l’enseignement : Nous avons vu précédemment que l’on pouvait observer dans la gestion des ressources humaines, un glissement du modèle basé sur la formation et la qualification vers un modèle de l’expérience et de la compétence. Face à ce glissement, la construction du nouveau référentiel de formation s’appuie sur le modèle de la compétence. L’analyse de l’expérience des candidats pour obtenir une certification par VAE, nécessite une analyse des emplois occupés. Cette analyse, pour le métier d’aide-soignante, a permis d’identifier des compétences attendues. C’est à partir de ces compétences attendues qu’a été construit le nouveau référentiel de formation. On observe ainsi, un glissement d’un référentiel basé sur des savoirs nécessaires à l’exercice d’un métier à un référentiel basé sur des compétences à développer ou à démontrer. Ainsi le dispositif de validation des acquis a initié la rénovation du référentiel de la formation aide-soignante. 2.2.1. L’enseignement théorique Le contenu de ce référentiel change tout d’abord dans la formulation des caractéristiques de l’enseignement théorique. Celles-ci situent toujours la place des cours magistraux comme moyen d’acquérir des connaissances théoriques. Mais une différenciation nette est notée quand à la mise en place de travaux pratiques. Dans l’arrêté du 22 juillet 1994 concernant le programme de formation d’aide-soignante, les caractéristiques de cet enseignement étaient globalisées et ne spécifiaient pas le contenu des travaux pratiques. Dans cette nouvelle Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 163 présentation du programme, les travaux pratiques sont bien différenciés des cours théoriques et doivent porter sur l’apprentissage des gestes professionnels. Aux dires de nombreuses formatrices cela constitue un recul : pour elles, l’arrêté de 1994 ne définissait pas ces travaux pratiques, ce qui laissait une liberté pédagogique et permettait une plus grande conceptualisation puisqu’ils ne désignaient pas seulement les gestes professionnels. De plus pour ces mêmes formatrices, apprendre des gestes professionnels sur des mannequins c’est nier le concept du soin où la dimension relationnelle est fondamentale. Par cette conception c’est revenir à une seule dimension technicienne, donc à une dévalorisation de la nature de ce métier. Cette déviance technicienne est confirmée par l’injonction sur le temps imparti à ces travaux pratiques : ils doivent représenter 50 % du temps de l’enseignement théorique. Ce qui semble important quand on sait que la formation est une formation en alternance et que la durée des stages où doit se faire l’apprentissage de la culture du métier, représente presque une fois et demi le temps de formation théorique. C’est ramener la formation initiale à une dimension très pratique au détriment de la théorisation. 2.2.2. L’enseignement pratique Par contre les caractéristiques de l’enseignement clinique, à commencer par les stages, développent la notion de l’alternance en obligeant le recours au tutorat : « l’encadrement doit être assuré par du personnel diplômé et formé au tutorat », ce qui n’était pas stipulé dans l’ancien arrêté. « Ce projet de tutorat doit être développé entre l’équipe pédagogique de l’école et le responsable de l’encadrement.» Cette nouvelle définition conforte la pratique de l’alternance et est positive dans la conception de la formation aide-soignante. Le point de réserve qui peut être émis c’est la difficulté des professionnels dans certains services à se libérer au regard de la charge de travail, donc la difficulté à pouvoir jouer leur rôle de tuteur. Cette préconisation du tutorat est un atout pour la fonction d’aide-soignante car il reconnaît les capacités des Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 164 professionnelles dans la transmission d’une culture de métier. Cette mesure est une valorisation, une reconnaissance pour celles-ci. C’est peut-être pour elles un premier pas vers l’accès aux fonctions de formateurs de leurs pairs car pour l’instant les formateurs d’aidessoignantes sont des infirmières. Pour les recommandations générales concernant le parcours de stages : il n’y pas de modifications majeures si ce n’est le nombre d’heures de stages. Il est malgré tout précisé qu’un stage dans une structure d’accueil pour personnes âgées est obligatoire. Dans l’ancien programme la notion d’obligation n’apparaissait pas comme telle. Cette obligation est à mettre en lien avec la dimension épidémiologique du vieillissement de la population donc de l’augmentation du besoin en postes d’aides-soignants dans les structures d’accueil pour personnes âgées. Un point nouveau concerne le stage dit de « projet professionnel » qui doit être proposé à l’élève en fonction du projet pédagogique, du projet professionnel de celui-ci mais aussi en fonction du potentiel de stage. Ce dernier point indique implicitement les pénuries de terrain de stages liées à l’augmentation d’élèves en formation dans le secteur sanitaire. L’ambition de formation liée à ce projet professionnel est louable mais sera difficile à mettre en pratique car les besoins en personnel ne sont pas toujours liés aux projets des élèves. Aujourd’hui la majorité des besoins sont liés au secteur de l’accueil et l’accompagnement des personnes âgées. Ils sont moins importants pour des services dit de « courts séjours » (médecine ou chirurgie) d’autant plus que l’on sait que les directives ministérielles vont dans le sens d’une diminution de l’offre de soin avec pour objectif de diminuer les coûts de la santé en France. Ces directives font envisager la diminution ou la restructuration des services de courts séjours. Dans le département où nous exerçons, nous avons ainsi vu le regroupement d’hôpitaux périphériques pour diminuer le nombre de lits de chirurgie. Ceci est confirmé par le placement des élèves à la sortie de l’école, la majorité d’entre elles est embauché dans le domaine de la gériatrie. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 165 Cette description de ce qui est attendu rejoint un des principes pédagogiques annoncés qui est le suivi basé sur l’accompagnement et le développement personnel de l’élève en vue d’une meilleure intégration des connaissances par celui-ci. Ce qui est ainsi prescrit rejoint les principes de la validation des acquis de l’expérience. C’est l’individu qui est responsable de sa formation, comme il est responsable de la présentation de son expérience. 2.2.3. Le référentiel d’évaluation Si nous continuons l’analyse du référentiel de formation le chapitre trois définit les dispositions spécifiques pour la validation des candidats préparant le DPAS par la voie de la VAE. Ce chapitre signe le fait que la mise en œuvre de la VAE entraîne une redéfinition du processus de validation de la formation initiale afin qu’il y ait une concordance entre les deux moyens d’accès au diplôme. Et pour assurer cette corrélation, le processus de validation de la formation initiale contient et associe les exigences du processus de la validation des acquis de l’expérience à sa définition. Cette association témoigne du souci de donner une valeur identique au diplôme qu’il soit acquis par VAE ou à la suite d’une formation. Pour cibler l’évaluation, il est précisé dans ces dispositions que les apprentissages doivent être centrés sur la ou les compétences à valider et la validation doit cibler des critères spécifiques à la maîtrise de la compétence. Dans l’arrêté de 1994 les trois mises en situation professionnelle devaient évaluer les capacités de l’élève, compte tenu du stade de la formation auquel elle était parvenue, à participer à la démarche de soins et à réaliser un soin. La notion de prise en charge globale et la complexité de l’action de soigner pouvaient être évaluées. Avec les nouvelles dispositions cette notion de globalité n’apparaît pas, l’évaluation est centrée sur des critères liés à la maîtrise d’une compétence et non pas à la maîtrise de la complexité de l’acte de soigner. Cela risquera de participer à une dérive technicienne du Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 166 métier, donc à une dévalorisation, pour ne pas dire une déqualification. D’autant plus que dans cette description de l’évaluation n’apparaît plus la place de la démarche de soins qui fait partie du soin lui-même, dans le sens où elle permet d’individualiser et de donner du sens au soin dispensé. Cette démarche de soin nécessite une vision globale et une conceptualisation et ne peut être réduite à une seule compétence. Pour l’instant nous n’avons pas d’informations plus précises sur le référentiel d’évaluation car il est encore en cours d’approbation et le ministère n’a pas légiféré à son encontre, le texte final est attendu pour juillet 2005. Dans les premiers éléments que nous détenons nous voyons les risques d’une déqualification liée à ce morcellement de la validation par compétence. La modularisation de cette formation par laquelle on revisite l’évaluation pour l’adapter à la VAE risque de provoquer des dérives réductrices de la qualité du métier d’aidesoignante. Lors d’une réunion des directeurs et formateurs d’écoles d’aidesoignant en mars 2005, un autre risque a été évoqué par le médecin inspecteur de DDASS animateur de cette réunion, qui était de revenir à un diplôme d’école puisqu’il n’y aurait plus d’épreuve finale validant la formation. Ce constat est à mettre en lien avec la validation par module mise en place pour rejoindre la démarche de validation liée à la VAE. La question de ce médecin était : « qu’elle tutelle sera garante de la validation ? » puisqu’il n’y aura pas de diplôme organisé par ces tutelles (DDASS et DRASS). 3 - Conclusion Reconnaître l’expérience dans un processus de qualification est toute la question soulevée par la VAE. Ce métier, au début de son histoire, s’exerçait sans titre et sans formation académique. Il était proche des servants des anciens hospices. En reconnaissant que Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 167 l’expérience puisse permettre une validation donc une qualification n’est-ce pas renvoyer ce métier à ses origines et à une certaine représentation de non qualification ou en quelque sorte n’est-ce pas le déqualifier ? Au niveau collectif la VAE n’agit pas en faveur d’une reconnaissance du métier. D’autant plus si le parcours professionnel ne s’est fait que dans un seul type de services de soins. On risque alors d’avoir des personnes détentrices d’un titre appauvri de la diversité d’expériences que procure le parcours de formation initiale. Comme ce titre concerne tous les lieux d’exercice du métier d’aide-soignante c’est une façon de le dévaloriser et cela risque de participer à une déqualification du métier au niveau collectif. D’un autre côté ne serait-ce pas reconnaître que ce public qui maîtrise peu ou mal l’écrit ou qui a été obligé pour de multiples raisons de travailler et n’a pas pu accéder à une formation initiale, a acquis de l’expérience sur laquelle il est capable d’avoir une attitude réflexive. Il serait capable d’expliciter sa qualification ce qui participe ainsi à une forme de reconnaissance. Dans ce sens la VAE est favorable au niveau individuel à une reconnaissance puisqu’elle permet l’obtention d’un diplôme à des personnes qui n’auraient pu l’obtenir autrement ou qui ne voulaient pas repasser par le système de formation. Ceci met en exergue comment l’expérience peut permettre de valoriser des individus ou participer à une déqualification suivant l’angle d’approche. On ne peut pas détacher la VAE de l’histoire de ce métier mais on ne peut pas non plus ignorer que l’expérience est génératrice de savoirs. Ce seront bien les différents acteurs de cette mise en œuvre de la VAE qui participeront à la valeur donnée au diplôme obtenu par VAE ou à la suite d’une formation initiale. Nous voyons comment les trajectoires différentes de ces acteurs influeront sur la représentation de cette valeur. Des acteurs ayant exercé pendant une longue carrière et ayant des compétences reconnues par leurs pairs et par leur hiérarchie trouveront que cette expérience donne valeur à leur diplôme si elle est reconnue par un jury. Ceci d’autant plus s’ils ont réussi à dépasser la difficulté de l’écrit qui consiste à remplir le livret de présentation de son expérience. Cette reconnaissance sera une auto - Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 168 attribution individuelle. L’obtention du diplôme valorisera les années de pratiques professionnelles et confirmera les acquis de cette expérience. Cette auto-reconnaissance sera confirmée par une reconnaissance légale en ce sens que le diplôme a une valeur juridique et économique. Mais qu’en sera-t-il de sa valeur sociale ? Qu’en sera-t-il des rapports entre diplômées par formation initiale et par VAE ? Ne risque t-on pas de voir une sous classe d’aide-soignante apparaître au détriment du métier en général. Pour l’instant il est trop tôt pour le dire puisque le dispositif n’a pas encore été expérimenté. Mais ce qui ressort des différentes analyses ne va pas dans le sens d’une valorisation collective. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 169 Conclusion générale Les aides-soignantes : public « privilégié » de la VAE ? Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 170 Nous avons vu dans la première partie de ce travail en quoi les aides-soignantes sont le personnel invisible de l’hôpital et comment elles ont hérité des tâches les moins nobles que les infirmières leur déléguaient. L’histoire du statut d’aide-soignante a contribué à produire un statut bâtard entre le déclassement lié à l’institution du grade (déclassement de l’infirmière) et l’assimilation facile au statut d’ASH (agent des services hospitaliers). Les besoins de fonctionnement des institutions de soins et les différentes pratiques des acteurs ont contribué à faire exister ce grade qui devait être provisoire. Les conditions formelles de l’exercice du métier sont traduites par des arrêtés qui définissent les tâches et les limites d’exercice. Ces arrêtés inscrivent le métier dans un statut qui l’intègre à l’ensemble des personnels de soins tout en le maintenant proche des agents des services hospitaliers. Le rappel des limites de compétences de ce métier est inscrit dans les textes de loi et le situe sous le contrôle et la responsabilité de l’infirmière avec laquelle il ne doit pas y avoir de confusion. Dans la deuxième partie nous avons montré que la formation avait permis à ce métier de s’engager sur la voie de la reconnaissance, et qu’elle avait participé à une certaine légitimation sociale tout en modulant nos propos. En effet, la valeur que ces aides-soignantes attribuent à leur formation, leur diplôme puis leur poste, dépend des interactions soit positives, soit conflictuelles entre leur auto-attribution de reconnaissance et celle qu’autrui leur accorde ou pas. C’est aussi un métier dont le titre n’est pas protégé, ce qui fait que l’exercice de la fonction d’aide-soignante n’est pas soumis à la condition obligatoire de détenir le diplôme, comme ceci est le cas pour les infirmières. Cela permet à des agents des services hospitaliers de tenir lieu d’aide-soignante sous la dénomination de « faisant-fonction ». Il ne faut pas oublier que cette formation est la plus courte des formations paramédicales. Cette formation se distingue de celle des Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 171 infirmières « qui assurent et contrôlent elles-mêmes leur formation »,162 puisque les aides-soignantes ne sont sollicitées que pour l’encadrement des élèves pendant les stages. Jusqu’à la mise en œuvre de la VAE le diplôme d’aide-soignante était le garant d’une compétence professionnelle acquise par la formation initiale. La VAE introduit une nouvelle approche de la compétence qui se développe à partir de l’expérience et qui va être validée par le processus de validation des acquis. Il y aura ainsi deux voies possible d’accès au DPAS : celle de la formation initiale et celle de la VAE. La VAE ne risque t-elle pas de participer à la formation d’un nouveau statut, celui des aides-soignantes certifiées par une voie parallèle à la voie de la formation initiale ? Sera-t-il accordé une équivalence à ces deux voies de certification ? L’histoire ne se reproduira-t-elle pas ? En effet le grade d’aide-soignante a été crée pour les « faisant-fonction » d’infirmières qui n’arrivaient pas à passer le concours d’état et dont l’institution hospitalière avaient besoin. La situation actuelle semble analogue : les besoins en personnel aidesoignant sont importants, de nombreuses « faisant-fonction » assurent le travail relevant du métier d’aide-soignante et un certains nombre d’entre elles ne parviennent pas à entrer à l’école ou ne le souhaitent pas pour diverses raisons. La VAE risque de générer une répétition de cette histoire et crée un sous-grade dans ce métier peu visible et peu reconnu. La certification des connaissances pour l’obtention du DPAS est basée sur la reconnaissance de qualités féminines, qualités a priori primordiales pour l’exercice du métier. Les qualités féminines deviennent des qualifications. Le savoir-être, qualité dite « naturelle » devient une condition à l’exercice du métier. Dans le référentiel du module obligatoire une première formulation avait été la suivante : « développer ses aptitudes relationnelles afin de prendre soin de la 162 A.-M. Arborio, Un personnel invisible, les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, éd Anthropos, 2001, p. 71 Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 172 personne.» Cette formulation a été revue et énoncée de façon plus neutre : « renforcer ses connaissances dans la spécificité de la fonction aide-soignante lors de la prise en charge d’une personne». La VAE participe à l’instrumentalisation des qualités féminines pour occuper ce métier. Si les qualités féminines deviennent des qualifications pour les femmes, elles participent à une déqualification du métier, au sens où elles reconnaissent des qualités subjectives et non des compétences professionnelles. Le métier n’est pas déqualifié parce qu’il est exercé par des femmes en majorité, mais la déqualification réside dans la reconnaissance de qualités subjectives et sexuées. D’autant plus que l’activité justifiant des compétences pour le DPAS doit être en rapport direct avec le diplôme : ces activité identifiées par le texte législatif sont celles reconnues comme éminemment féminines (toilette, habillage, prise des repas, élimination, déplacement). Dans ce travail nous avons essayé de discerner ce qui dans ce dispositif irait dans le sens d’une nouvelle relégation de ce métier, qui ferait qu’effectivement ce public est un public «privilégié» face à ce dispositif. Privilège de la relégation, privilège de bénéficier d’une formation « du pauvre ». La valeur sociale que l’individu accorde ou pas à son diplôme, à sa place dans la hiérarchie et à sa fonction est le résultat d’interactions entre l’individu et les éléments du contexte dans lequel il se trouve. Le contexte du secteur de la santé accorde peu de visibilité à ce métier ce qui rend sa reconnaissance difficile. La VAE ne risque t-elle pas de maintenir ce public relégué en en faisant un public privilégié pour ce dispositif ? De même la VAE s’inscrit dans l’interaction du domaine de la formation des paramédicaux et de la culture soignante, elle même héritière d’une histoire manifestée dans la division du travail à l’hôpital. Elle s’inscrit aussi dans les évolutions du contexte général qui garantit de plus en plus la primauté de l’individu sur le collectif. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 173 Pour ce métier d’aide-soignante nous voyons les injonctions paradoxales auxquelles devront faire face les individus qui deviennent autonomes et responsables de leur certification, donc de leur employabilité sans pour autant que la hiérarchie hospitalière soit prête à changer ses habitudes et reconnaisse à ce métier une réelle autonomie. Pour dépasser cette situation il faudrait permettre à ce public de s’emparer de son histoire mais aussi des ses créations, pour qu’il puisse les mettre en lumière. Nous pouvons terminer en disant que la VAE va permettre à des individus de s’octroyer une reconnaissance en accédant à une certification. En effet toute histoire est une histoire personnelle, faite de rencontres, de sociabilités, d’expériences propres. La trajectoire de l’aide-soignante et son milieu social d’origine lui fourniront des capitaux et la possibilité ou pas de se créer une représentation du métier et une reconnaissance propre. Mais cette reconnaissance pour soi nécessite la reconnaissance pour et par autrui. La force de rappel d’un cadre social contraignant oriente l’histoire personnelle. Les collègues, les supérieurs hiérarchiques, l’institution sont autant de partenaires qui peuvent tout autant confirmer que désapprouver cette reconnaissance constituée et voulue. Si certains contribuent à former cette visibilité, donc cette reconnaissance, d’autres participent à rendre cette catégorie de personnel peu visible donc non reconnue. La VAE permettra t-elle de rendre visible cette catégorie professionnelle et lui permettra t-elle d’accéder à une reconnaissance en terme de métier ? Nous ne pouvons répondre à cette question puisque le dispositif n’a pas encore été appliqué mais nous doutons que cette catégorie puisse accéder à une réelle reconnaissance dans le contexte de l’hôpital actuel. Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 174 Bibliographie Anne Marie Frances - DESS SIFA 13 - 2005 175 OUVRAGES ARBORIO Anne-Marie., Un personnel invisible : les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, éd Anthropos, 2001, 334 p. AUTRET Joël, Le monde des personnels de l’hôpital : ce que soigner veut dire, Paris, L’H armattan, 2002, 234 p. BOUDON Raymond et BOURRICAUD François, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, 2ème édition, éd PUF (Quadrige), 2002, 714 p. 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