504. FASCISME. Synth..

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LE FASCISME.
Section I. LA NATURE DU FASCISME.
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I. Définition.
Fascisme, absolutisme, totalitarisme. Voir le glossaire.
Le terme a pour étymologie le mot italien fascio, qui désigne le symbole même choisi par le parti fasciste
italien, en référence à l'Antiquité romaine : le faisceau de baguettes planté d'un hache qui était porté par les
licteurs chargés de composer l'escorte d'un magistrat. Aux époques les plus lointaines, le faisceau avait une
fonction pratique, les baguettes ou verges servant à la flagellation (peine des verges), tandis que la hache
était l'instrument de la peine capitale. Plus tard, et notamment dès la fin du XVIIIe siècle, le faisceau est
devenu un symbole d'autorité (rappel du pouvoir des magistrats romains) et aussi d'unité (les baguettes étant
assemblées pour ne former qu'un seul faisceau). Et l'on sait que les fascistes ont prôné et cultivé l'unité
jusqu'à l'obsession. En Italie, le terme a servi dès la fin du XIXe siècle à désigner divers mouvements et
associations. Ainsi :
- les Faisceaux des Travailleurs (Sicile, 1892) ;
- les Faisceaux d'Action révolutionnaire, groupant les partisans de l'entrée en guerre en 1914 ;
- le Faisceau parlementaire de Défense nationale (1917, au lendemain du désastre de Caporetto) ;
- les Faisceaux italiens de Combat (Fasci italiani di Combattimento ), fondés le 23 mars 1919 à Milan par
Benito Mussolini, ancien directeur du quotidien socialiste Avanti. Le mouvement se transformera ensuite
(congrès de Rome en novembre 1921) en une organisation plus vaste, le Parti national fasciste (Partito
Nationale Fascista - P.N.F.). Le parti fasciste italien, fort de 300 000 membres dès la fin 1921, adoptera
pour emblème le faisceau des licteurs romains, symbole d'autorité et d'unité.
II. Contenu : un nationalisme extrême, fanatique et mégalomane
L’Etat-Nation (indissolublement liés), priorité absolue et incontestable, est révéré comme une personne
sacrée (statolâtrie ), un peu comme chez les Romains païens de l'Antiquité (dont on reprend les emblèmes).
. On a affaire à une adhésion quasi religieuse, non seulement à la communauté nationale une et
indivisible, groupée en une masse unanime derrière son guide suprême et infaillible.
Cette adhésion requiert de s'attacher avant tout à trois valeurs supérieures :
1. la fidélité (adhésion quasi religieuse, inconditionnelle au régime et à son chef).
L'Etat-Nation est la seule cause qui justifie une fidélité inconditionnelle, ne foi inébranlable, un
dévouement sans limites. Cf. le serment imposé aux Jeunesses hitlériennes et dans les administrations,
ainsi que la devise gravée sur les ceinturons : " Mein Ehre heisst Treue ", c'est-à-dire Mon honneur
s'appelle Fidélité !
2. la grandeur nationale (supériorité ; impérialisme).
L'Etat est supérieur à tout et à tous ; il est invincible ; il est éternel (cf. le IIIe Reich, promis à une
existence millénaire !)
L'Etat-Nation est forcément une entité supérieure investie d'une mission historique, appelé à manifester
sa suprématie universelle (cf. l'emblème de l'aigle repris aux Romains par le fascisme italien, puis par
l'allemand, où il se présente en continuité par rapport aux deux Reichs précédents). Les individus comme
les plus hauts responsables doivent tout sacrifier à sa grandeur, et ne rien tolérer qui puisse porter atteinte
à son honneur.
Le fascisme, dès lors, induit l'impérialisme*. Il prônera la constitution ou le développement d'un empire
colonial, orgueil et exutoire de la Nation.
L'Allemagne et l'Italie, Etats jeunes et donc arrivés en retard dans la course aux colonies, cherchent des
extensions coloniales pour satisfaire l'orgueil national ou en prétextant la nécessité d'une expansion
économique.
a) L'Italie cherche à étendre ses possessions d'Afrique et fera la conquête de l'Ethiopie (1935-1936).
Ici, les prétentions coloniales sont alimentées par l'irrédentisme, et plus encore par la référence
obsessionnelle à l'Empire romain, présenté comme un âge d'or.
b) Pour l'Allemagne, que le traité de Versailles a privée de toutes ses colonies, le mouvement prendra la
former d'annexions en Europe orientale : une sorte de nouveau Drang nach Osten au détriment des
Slaves considérés comme une race inférieure (cf. Mein Kampf). Ici, la folie des grandeurs est
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alimentée à la fois par le pangermanisme et par le racisme hitlérien (race supérieure appelée à asservir
toutes les autres).
3. l’unité nationale (indispensable à la grandeur nationale).
C'est la condition sine qua non de la grandeur nationale. La grandeur de l'Etat-Nation étant posée comme
une priorité absolue, il est naturellement impératif que la Nation se présente comme un seul bloc, qu'elle
présente une unité, une cohésion sans la moindre faille. D'où, par exemple, la célèbre devise hitlérienne :
Ein Volk, ein Reich, ein Führer.
Cette obsession de l'unité - perçue comme une question de vie ou de mort pour l'Etat-Nation commande :
a) le totalitarisme , c-à-d. le contrôle par l’Etat de tous les secteurs d’activité :
1/ unité politique (parti unique ; neutralisation ou suppression de toute opposition ; refus de la
confrontation avec les mouvements ou institutions d’ordre international).
2/ unité territoriale et ethnique : extrême sensibilité à l’intégrité territoriale ; revendication des
entités nationales non encore comprises dans l’Etat (irrédentisme en Italie, pangermanisme en
Allemagne) ; l’hitlérisme y ajoute un intégrisme raciste.
3/ unité sociale (cohésion du groupe national), obtenue par deux moyens :
a/ le culte du chef (homme providentiel, réputé infaillible, au pouvoir arbitraire) ;
b/ l’embrigadement des individus dans des structures collectives (l’intérêt supposé du groupe
doit toujours primer) entièrement contrôlées par le parti unique :
- éducation : mouvements de jeunesse (obligatoires), enseignement ;
- medias (presse, radio, cinéma, affiches) et propagande au service de la pensée unique ;
- organisation des loisirs collectifs.
4/ unité économique par l’autarcie et le corporatisme (groupes réunissant patrons et ouvriers par
profession, pour supprimer les conflits).
5/ unité culturelle par l’imposition d’une culture officielle , dans la littérature (conforme aux valeurs
véhiculées par la pensée unique) comme dans les arts, vitrines de l’Etat-Nation (néo-classicisme
lourd et écrasant, réalisme brutal vaguement teinté de romantisme).
b) un régime policier traquant tout ce qui peut nuire à l’unité nationale :
- multiplication des organes de contrôle de toutes les activités, même culturelles ;
- création de camps de concentration pour préserver le corps social et pour rééduquer.
III. Implications.
A Prétentions et apparences démocratiques (populisme).
1. Principe de souveraineté nationale (chef plébiscité ; consultations populaires).
Ce principe, proclamé par la Révolution française, est un postulat du fascisme. Le fascisme se
réclame de la Nation souveraine ; sans doute confisque-t-il la souveraineté nationale, mais il la
suppose. Le chef unique, le guide suprême, tient son pouvoir du peuple ; sa légitimité vient de ce que
le peuple lui a délégué le pouvoir.
N.B. La légitimité du chef fasciste n'a donc rien à voir avec celle du souverain d'Ancien Régime
(ordre naturel, élection divine et continuité dynastique).
D'autre part, comme la démocratie, le fascisme fait référence au peuple et le consulte (cf. la place
tenue par les plébiscites dans le régime hitlérien), et il maintient un semblant d'élections ainsi que des
assemblées parlementaires - même si ce n'est là que pure fiction.
2. Antécédents biographiques des chefs (tendances socialistes).
Les antécédents des principaux meneurs se situent clairement à gauche. Ainsi, Mussolini, membre du
parti socialiste, a dirigé le journal socialiste Avanti. L'intitulé complet du parti nazi (1920) est
Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei - N.S.D.A.P., c'est-à-dire Parti national-socialiste
allemand des Travailleurs (double redondance !). Le drapeau nazi, d'ailleurs, n'est qu'une adaptation
du drapeau rouge, symbole de la révolution (bien que le fascisme, en dépit de sa rhétorique, n'en soit
pas une) ; en outre, le 1er mai (" des Rouges ") est officiellement institué jour férié dès 1933 !
3. Programmes (1919 et 1920) comportant des idées de gauche.
Prônant la cohésion et l'unanimité de la Nation, le fascisme lutte logiquement pour l'égalité et la
justice sociale - même si son nationalisme s'oppose à la notion de lutte des classes chère aux
socialistes. Ainsi, le premier programme de Mussolini, lors de la création des Faisceaux italiens de
Combat (Milan, mars 1919), fait de la surenchère à gauche, exigeant : la démocratie politique la plus
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entière (droit de vote à 18 ans, etc.), des mesures économiques (nationalisation des entreprises et
services publics, ainsi que de toutes les usines d'armes et d'explosifs) et sociales (large intervention
des travailleurs dans la gestion des entreprises, journée de huit heures, salaire minimum garanti,
impôt extraordinaire et progressif sur le capital…) ; l'institution d'une milice nationale remplaçant
l'armée, etc. Des revendications comparables figureront dans le premier programme du parti nazi,
publié à Munich le 24 février 1920.
4. Réalisations sociales (politique familiale, Etat-Providence, groupements).
a) Une politique familiale optimiste (encouragement de la femme au foyer et de la natalité) amène
une augmentation spectaculaire des naissances - indice d'une Nation qui croit en son avenir.
b) La politique sociale égalitariste d'un Etat-providence.
1/ Des réalisations spectaculaires dans le domaine économique.
2/ Création de mouvements sociaux de grande envergure destinés à effacer les différences
sociales, pour substituer l'esprit communautaire à la lutte des classes.
a/ les mouvements de jeunesse officiels visent un brassage systématique de la jeunesse.
b/ l'organisation communautaire des loisirs (en Italie, Dopolavoro , càd. Après le Travail ; en
Allemagne la Kraft durch Freude - K.D.F. -, càd. la Force par la Joie).
De tels organismes visent, apparemment, à assurer le mélange et l'égalité des catégories
sociales - même s'il s'agit avant tout de contrôler strictement la population jusque dans ses
loisirs.
Ex. En 1936, la K.D.F. annonce la sortie de la voiture populaire (Volkswagen) ; les
ouvriers devront pouvoir accéder à un confort réservé jusque-là à la bourgeoisie.1
c/ l'organisation du travail sera complètement renouvelée par l'institution de corporations,
associations professionnelles dans lesquelles patrons et ouvriers se concerteront au lieu de
s'affronter.
d/ organisation de rencontres entre travailleurs des différents secteurs économiques, afin de
promouvoir la connaissance mutuelle et de renforcer la solidarité nationale.
Ex. L'Arbeitsdienst organisera, pour les citadins et citadines de toutes conditions, des
rencontres avec le monde rural, dont la stabilité est montrée en exemple.
N.B. Toutes ces réalisations sont, bien entendu, plus tactiques que sincères2; l'encadrement par le
parti unique est, en effet, omniprésent. Mais elles n'en ont pas moins fait longtemps illusion, en
Italie et en Allemagne comme en dehors de ces pays.
Conclusion sur les aspects démocratiques des fascismes.
On l'a vu, les fascistes s'appliquent à préserver une démocratie de façade, une sorte de couverture
respectable, destinée à rassurer tant à l'intérieur qu'à l'étranger.
Ce qu'ils veulent en réalité instaurer, c'est une démocratie - au sens le plus large de régime travaillant
dans l'intérêt supposé et pour le plus grand bien du peuple dans son ensemble -, mais une démocratie d'un type
nouveau, modernisée, dans laquelle la Nation unanime progresse à pas de géant vers un avenir radieux, avec une
confiance aveugle sous la conduite du parti unique et du chef-dictateur infaillible qu'elle s'est soi-disant choisi et cela sans s'encombrer des constitutions, systèmes et procédures jugés inefficaces, inutilement compliqués et
anachroniques des démocraties libérales héritées du XIXe siècle. C'est, en quelque sorte, un nouveau despotisme
éclairé, qui, de surcroît, prétend à la légitimité nationale.
Dès lors, du point de vue des fascistes, il n'y a pas de contradiction entre le fascisme et la démocratie la vraie, la leur, et non celles, attardées et décadentes, de la Grande-Bretagne, de la France ou de la Belgique…
B. Anti-parlementarisme.
Dans la ligne de ce qui vient d'être dit, le fascisme conserve un simulacre d'assemblée représentative : le
Reichstag en Allemagne, la Chambre des Faisceaux et des Corporations en Italie. Mais ces assemblées ne
représentent que le parti unique au pouvoir ; en outre, elles ne délibèrent pas véritablement : elles ne sont que
des chambres d'entérinement destinées à donner une publicité aux manifestations oratoires des chefs du régime,
et à approuver - à l'unanimité ! - les décisions prises en dehors d'elles et qui leur sont soumises pour la forme.
En réalité, le fascisme est adversaire du régime parlementaire, et cela pour plusieurs raisons :
1 La réalité sera nettement moins souriante. Le prototype sortira en 1937, mais les impératifs de la guerre feront différer ce
rêve de nombreux Allemands à l'après-guerre… Et ce sont des véhicules et engins militaires qui sortiront des usines
Porsche !
2 Voir plus loin les modalités de l'embrigadement des individus.
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1. des raisons historiques : dans les pays vaincus en 1918 (Allemagne, Autriche), le parlementarisme
est d'autant plus haï que ses origines sont liées à la défaite. Dans un pays frustré par les traités de
paix (Italie), on lui fait grief d'avoir sacrifié les intérêts de la Nation aux puissances étrangères.
2. au nom de l'unité, condition de la grandeur nationale.
Le régime parlementaire se caractérise par des discussions stériles et paralysantes, il entretient les
dissentiments, cultive les divisions au lieu de faire concourir toutes les énergies à l'objectif commun :
l'unité et la grandeur de la Nation. En outre, il offre à l'étranger un spectacle grotesque, indigne d'un
peuple appelé à montrer l'exemple.
3. au nom de l'efficacité.
Ce régime, qui un peu partout est jugé dépassé par les événements et dont le fonctionnement s'avère
défectueux, se condamne lui-même par ses lenteurs et son inefficacité - à en juger, notamment, par
son incapacité à sortir le pays de la crise économique.
4. à cause de sa démarche rationnelle, dont les fascistes n'ont rien à faire (voir ci-après Antiintellectualisme romantique).
C. Anti-intellectualisme, romantique.
Ce caractère représente une raison supplémentaire d'opposition au parlementarisme pour le fascisme.
La démocratie parlementaire se présente comme un système rationnel. Elle s'adresse à l'esprit des
citoyens, qu'elle s'emploie à convaincre (campagnes électorales, discours au Parlement, presse, etc.) ; et elle
règle son fonctionnement sur base de décisions prises à la majorité (critère mathématique). Elle postule donc la
rationalité des conduites et des comportements.
Tout au contraire, le fascisme est une réaction anti-intellectualiste. Exaltant la force physique, la
violence même, allant jusqu'à brûler les livres dont les idées sont jugées incompatibles avec l'idéologie
officielle, il fait appel à toutes les forces irrationnelles, à la sensibilité, à l'émotivité, à l'affectif. C'est une
revanche de l'instinct. Par ce trait, le fascisme apparaît comme un avatar du romantisme. Comme le romantisme,
il joue sur les sentiments, le goût du panache et du spectacle, et aussi sur la référence à un passé lointain et
idéalisé. De là l'importance accordée à la mise en scène (cf. les congrès du parti nazi à Nuremberg) : le soin
apporté au décor (drapeaux claquant au vent, sonneries de trompette, jeux de projecteurs…), les grandes
cérémonies, les parades spectaculaires. C'est une liturgie nouvelle, grandiose et barbare, qui substitue la
musique, le chant, les torches, le défilé, à la délibération et à la discussion dans le respect des minorités. Les
discours, minutieusement répétés et accompagnés de gestes et d'intonations savamment calculés, sont destinés à
emporter une adhésion instinctive, irréfléchie, inconditionnelle et unanime, et non pas la conviction ; la
démarche attendue relève de la foi et nullement de la raison. Dans la même logique, on assiste à la récupération
du passé national, glorifié par une sorte de mythe de l'Age d'or : glorification de l'Antiquité romaine par
Mussolini, ou Hitler posant à côté des emblèmes du Saint-Empire !
N.B. Une telle mobilisation épidermique de masses fanatisées n'est pas forcément le monopole du
fascisme. On connaît bien d'autres exemples de parades grandioses, de mise en valeur des uniformes et de
l'armement, de défilés spectaculaires : France révolutionnaire et impériale, Union soviétique, Corée du Nord,
etc.3
D. Anti-individualisme et anti-libéralisme.
Le libéralisme a pour objectif essentiel le bien-être et l'épanouissement de l'individu. Il affirme la liberté
de l'individu, s'emploie à la préserver et à garantir les droits des individus : liberté d'opinion, d'expression, de
religion, de conscience, de réunion, d'association, de presse, d'enseignement, etc. Il limite en conséquence
l'autorité de l'Etat (Etat-gendarme, c'est-à-dire dont le rôle principal doit se limiter au maintien de l'ordre). Tout à l'opposé, le fascisme a pour objectif essentiel le bien-être et la grandeur de la communauté nationale. Il
se présente donc comme un adversaire de l'individualisme et du libéralisme. En effet :
1. L'exercice des libertés individuelles risque de déforcer, d'affaiblir la cohésion du groupe national et de
porter atteinte à l'autorité de l'Etat à parti unique. Le fascisme, comme tout régime totalitaire (ex. le
communisme sous Staline), place le groupe national au-dessus des individus. L'intérêt de l'Etat
(raison d'Etat) doit donc toujours primer sur les intérêts individuels - qui sont d'ailleurs très souvent
contradictoires. L'individu trouve sa raison d'être dans la subordination au groupe et son
accomplissement dans son intégration à la communauté. Il n'a pas de droits propres : il n'a que ceux
3 On se gardera donc de faire endosser trop vite ce genre de manipulation des masses à un trait de mentalité typiquement
germanique…
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que la collectivité veut bien lui reconnaître. D'où le terrible slogan nazi : " Du bist nichts, aber dein
Volk ist alles ! "
2. Pour les fascistes, le libéralisme politique a perdu sa fonction historique (réaction à l'absolutisme,
lutte contre le retour de l'Ancien Régime). En effet, le citoyen d'un Etat fasciste n'a aucune raison de
s'opposer à l'Etat, puisque c'est la Nation elle-même qui l'a mis en place et qu'elle tend à s'identifier à
lui. La conscience et la volonté de la Nation (comme celles des individus) s'incarnent dans l'Etat
fasciste.
E. Elitisme.
En dépit de ses prétentions démocratiques et de ses oeuvres sociales, le fascisme n'a pas une philosophie
égalitaire, loin de là. Au contraire, il véhicule une philosophie élitiste, qui appelle une minorité à exercer une
domination implacable sur les autres. Les élites appelées et suscitées par les fascistes n'ont cependant rien à voir
avec les élites traditionnelles fondées sur la naissance, la fortune et l'éducation.
1. Au plan politique, il s'agira d'élites nouvelles, forgées par le parti et imposées à la Nation : des cadres
distingués pour leur efficacité et surtout leur combativité, leur discipline, leur adhésion totale au parti,
leur fidélité inébranlable au chef.
2. Au plan social, il s'agira de privilégier par tous les moyens la race aryenne, la race supérieure, à
commencer par la Nation allemande, et même à l'améliorer en la purifiant de tout ce qui peut
contribuer à l'abâtardir ou l'affaiblir : malades incurables, handicapés mentaux, promiscuités jugées
dangereuses (par-dessus tout avec la race juive).
3. Au plan international, assurer la suprématie de la race aryenne et, au sein de celle-ci, la domination de
son plus beau fleuron, la Nation allemande, dont le destin est d'asservir les races inférieures.
F. Anti-humanisme et anti-christianisme.
Le fascisme, spécialement dans sa version nazie, instaure un nouveau paganisme , formellement
condamné par l’encyclique Mit brennender Sorge de Pie XI (14 mars 1937).
L’idéologie refuse toutes les lois divines et humaines et la remplace par une sorte de religion nouvelle,
qui impose une triple vénération :
1. d’une prétendue race , vigoureuse et soi-disant supérieure à toutes les autres dans tous les domaines ;
une sorte de surhomme4 assez fort pour se passer de Dieu, lui tourner le dos, le nier, et s’autoriser, au
nom des seules lois de la Nature (sélection des espèces), à dominer, écraser ou supprimer les autres,
y compris les éléments les plus faibles en son propre sein. Le droit à l'expansion, déjà revendiqué par
les pangermanistes du XIXe siècle pour les peuples de culture supérieure, est une expression de la loi
du plus fort. Voilà une conception étrange, primitive et barbare, de la supériorité, qui donnerait des
droits plutôt que des devoirs. On est aux antipodes du message chrétien !
N.B. Jésus lui-même devait donc appartenir à une race inférieure - à moins qu'on se persuade qu'il
était lui-même aryen !5
2. de l’Etat-Nation , sorte de personne sacrée (statolâtrie ) et invincible, pangermanique et narcissique,
appelée à se construire pour l’éternité le paradis sur terre, au détriment des peuples réputés inférieurs.
3. du chef charismatique, guide suprême et infaillible, sorte de Père-idole que la Nation s’est choisi et
auquel elle doit, unanime, une fidélité inconditionnelle et sans limite, indépendamment de toute
conscience morale individuelle.
* Conséquences.
A l’instar d’autres époques de grandes créations, l’homme, servi par les prouesses de la technologie et
emporté par les élans de la science, se persuade de remplir une mission historique qui ouvre une ère
entièrement nouvelle pleine de grandeur et de réalisations inouïes, et se laisse aller à l’ivresse de la
mégalomanie , rien ne semblant pouvoir l’arrêter (cf. le projet d’une reconstruction de Berlin sur une
échelle gigantesque par l’architecte Albert Speer). Or une telle perspective aboutit à faire tomber
l’homme dans une double faute catastrophique :
1) il oublie - plus ou moins consciemment - ou refuse son statut de créature
pour poser lui-même
4 Notion mise en avant par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900).
5 Certains auteurs ont été jusque-là, arguant notamment du fait que la Galilée avait à cette époque un peuplement très
hétéroclite.
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en créateur. C’est l’Uebermensch (surhomme), sorte de héros païen ; son orgueil démesuré, sa soif
de pouvoir sur le monde, sur les hommes et sur les choses le pousse à tourner le dos au Créateur,
et même à nier son existence. Le nazisme est donc foncièrement athée , car il sait parfaitement
qu’il procède à l’encontre de la volonté de Dieu : Celui-ci a voulu que l’homme coopère à la
création (donc avec Lui et non pas sans Lui, et moins encore contre Lui) dans la fidélité à Son
alliance (commandements, loi divine). Ainsi, l’homme retombe dans le péché originel : péché
d’orgueil de la créature qui prétend se passer de Dieu et même l’égaler, refusant Dieu autant que
son propre statut de créature, et croyant à la promesse du serpent : « Vous serez comme des
dieux ! »
- Or la Bible nous enseigne que Dieu est Père, un père qui veut le bien de ses enfants et sait mieux
qu’eux ce qui leur est bon. Ici, tout au contraire, cette paternité est rejetée, niée, et, bien loin de se
considérer comme un malheureux orphelin, le surhomme vit dans l’illusion euphorique de s’être
construit tout seul. La notion de paternité est confisquée par l’Etat nazi au profit du guide suprême
(Führer ) et du parti unique, seul habilité à décider du bien et du mal, de ce qui est bon ou mauvais
pour toute la Nation, pour l’ensemble des individus. La paternité est d’ailleurs enlevée non
seulement à Dieu, mais même au père de famille, qui doit abandonner l’éducation de ses enfants sacrifiée à la nouvelle idole qu’est l’Etat-Nation - à l’Etat en faisant une confiance absolue à son
chef, quoi que lui dicte sa conscience.
La société nazie connaît donc l’absence du Père, la mort du Père. Mais le père, dans une famille,
c’est celui qui agit de façon responsable pour le bien de ses enfants ; c’est l’indispensable pôle de
stabilité et d’équilibre qui éduque à l’autonomie en donnant les repères, représentant et faisant
respecter la Loi dans l’intérêt de tout le groupe. S’il n’existe pas de père, il n’y a plus de repères,
plus de loi (sinon celles édictées par le père de substitution, en l'occurrence le dictateur).
Et ceci conduit au second aspect de la faute catastrophique dénoncée plus haut. Ce n’est pas un
hasard, car, du point de vue chrétien, les deux sont liés.
2) il perd toute humanité 6, et par là toute référence ou allégeance à des notions jugées
incompatibles avec l’idéologie dominante, y compris des valeurs fondamentales considérées
comme des acquisitions définitives de la Civilisation par l’humanisme universel, et occidental en
particulier (liberté, égalité, justice, fraternité, solidarité, etc.). D’où l’opposition des libéraux et des
démocrates, des socialistes et même des communistes !
Cette absence d’humanité, ou cette inhumanité cultivée par le nazisme heurte de front le message
du Christ, qui prône une attention toute particulière - à l’exemple de Dieu lui-même - pour les
humbles, les petits, les faibles - créés à l’image de Dieu au même titre que les autres, et en outre
plus aptes que les autres, de par leurs manques et leurs attentes, à recevoir et à accepter sa Parole
et Sa force.
N.B. Il est vrai que cette propension du christianisme heurtait déjà les Romains, et qu’elle est
d’ailleurs loin d’être instinctive ou d’aller de soi pour chacun de nous, car il y a en tout
homme - comme chez les autres êtres vivants - un instinct de survie qui le pousse à dominer
pour ne pas risquer d’être dominé… A cet égard, on ne peut que mettre en garde contre la
tendance récurrente de la société comme des individus à exclure et rejeter ceux que les nazis
appelaient des inaptes - nous dirions aujourd’hui des non-performants - : danger du culte
effréné de la performance, d’une sorte de perfection artificielle, superficielle et éphémère qui
marginalise et méprise ceux qui ne sont pas ou plus dans le coup , malades, handicapés,
personnes âgées, personnes moins fortunées, moins musclées, moins jolies ou apparemment
moins douées… D’autre part, ressortissent de la même problématique les actes intrusifs
opérés sur l’être humain en début ou en fin de vie (manipulations génétiques, avortement,
euthanasie), ces interventions tendant, en dehors de tout cadre moral, à se pratiquer de façon
automatique, voire systématique, comme une solution de facilité offerte par la science.
IV. Variantes nationales.
A. Italie.
1. Référence obsessionnelle à l’Empire romain antique, perçu comme un âge d’or à imiter.
a) Réalisations urbanistiques : restauration des monuments antiques, fouilles au forum, percement
d'une grande avenue à la gloire de l'Empire (1936 : via del Impero ; actuelle via dei Fori
6 La notion d’humanité est envisagée ici aussi bien dans sa composante rationnelle que dans la dimension de sensibilité.
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imperiali ).
b) Conquête de l'Ethiopie (1935-1936), occupation de l'Albanie (1939) ; campagnes (désastreuses)
en Grèce (1940) et en Afrique du Nord, dans la perspective d'un nouvel Empire romain centré sur
la Méditerranée.
c) Modèle et imposition d'une apparence de virilité à la romaine (poses adoptées par le Duce), et
recours tapageur de la propagande au thème de Rome, puissance d'ordre dont le génie civilisateur
a inventé le droit et l'Etat !
2. Irrédentisme.
La tradition irrédentiste est récupérée.
3. Dictature sans doute totalitaire (surtout à partir de 1937), mais qui ne présenta jamais le caractère
systématique et fanatique de l’hitlérisme (ou du stalinisme), y compris pour le racisme antisémite
(qui n'apparaît pas en Italie avant 1938).
Le régime sera tempéré par la mentalité latine, plus souple, et les traditions italiennes de libéralisme
et d'hospitalité, ainsi que par la présence plus proche de la Papauté, avec un clergé nombreux et
populaire. La police politique agira généralement avec moins de dureté, et l'on ne verra pas en Italie
de massacres ni de camps de concentration.
Le racisme antisémite, instauré à partir de janvier 1938 par imitation du nazisme et malgré les
protestations de Pie XI, se manifestera de plusieurs manières : fermeture du pays aux Juifs étrangers,
exil pour ceux qui s'y sont installés après le 1er janvier 1919, interdiction des mariages mixtes ;
exclusion de l'armée, du parti, de l'administration et de l'Université. Cependant, il ne présentera
jamais, en Italie, la sauvagerie qu'il montra chez les nazis (il aurait frappé 3 522 familles sur plus de
15 000). Il n'en reste pas moins que ce régime endossa la responsabilité de les désigner comme boucs
émissaires et de préparer la voie aux massacres qui seront perpétrés lors de l'occupation du pays par
les Allemands (1943-1945).
Dans le même ordre d'idées, les milieux culturels ne subiront pas en Italie les persécutions qui firent
de l'Allemagne nazie un désert culturel.
B. Allemagne.
1. L’hitlérisme en général.
Son objectif essentiel est de fonder un Empire millénaire florissant et universellement respecté.
Ceci suppose :
a) de régénérer la race aryenne (indo-européenne) en lui redonnant sa pureté originelle
(eugénisme), et en la préservant d’un processus de corruption mortel . D’où une politique
antisémite d’un radicalisme inouï. (exclusion, ségrégation, et même extermination). Cet
intégrisme racial est la seule vraie spécificité de l’hitlérisme, son dogme fondamental en quelque
sorte.
b) de regrouper tous les peuples germaniques en un seul Reich (pangermanisme) ;
c) de mettre hors d’état de nuire tous ses ennemis, et en particulier les grands groupes
multinationaux à l’origine de tous les maux contemporains : le judéo-capitalisme, le
bolchevisme (communisme), les Eglises, la franc-maçonnerie, etc.
d) de faire alliance avec un maximum d’Etats et d’organisations pour participer à la croisade de
régénération de la race blanche ;
e) de conquérir, piller et asservir impitoyablement les Etats récalcitrants ;
f) d’offrir par la conquête à la race des seigneurs (la Nation allemande) un espace vital
(Lebensraum) plus que décent pour l’expansion à laquelle elle a droit en vertu de sa mission
civilisatrice, et cela au détriment des peuples slaves, de race inférieure (qui pourront rester en vie
à condition de se mettre au service de leurs nouveaux maîtres).
2. L’antisémitisme nazi.
a) La pensée d’Hitler.
Dans Mein Kampf, Hitler décrit les Juifs comme un peuple dominateur, qui ne vit que pour la
terre et les jouissances terrestres (un film de propagande de l’époque les assimile à des rats). Il
décrit en des termes terrifiants la conquête juive. S’adressant à un peuple chrétien, il a l’audace
d’affirmer : " En luttant contre le Juif, je défends l’oeuvre du Seigneur ! " Il reprend ainsi
implicitement à son compte l’accusation absurde et monstrueuse de peuple déicide . Il justifiera
ainsi l’extermination des Juifs : " Si je peux envoyer la fleur du peuple allemand dans l’enfer de
la guerre sans la moindre pitié pour l’effusion du précieux sang allemand, alors j’ai à coup sûr le
8
droit de supprimer des millions d’êtres d’une race inférieure qui prolifère comme de la vermine. "
N.B. Cependant, si sûr qu’il fût de son bon droit, il se garda bien de révéler par des textes de loi
officiels l’existence des camps et le but poursuivi ; les décrets, ordonnances et mesures
envisagées ou décidées émanaient directement de Heinrich Himmler et de Reinhard
Heydrich et parvenaient secrètement aux exécuteurs concernés, eux-mêmes tenus au secret
le plus absolu. Plus fort encore - parce qu’en contradiction flagrante avec un des piliers de
la théorie nazie -, on n’hésitera pas, quand la situation militaire l’imposera, à faire prélever
le sang de prisonniers juifs pour soigner les soldats allemands blessés au front ! Preuve
supplémentaire que le nazisme n’est au fond pas une véritable doctrine, mais avant tout un
mouvement foncièrement opportuniste, qui ne sert en définitive qu’une seule cause : un
nationalisme fanatique et mégalomane, dépourvu de toute humanité.
b) Les facteurs favorables à la propagande antisémite nazie.
1/ le rôle de premier plan joué par des Juifs dans les révolutions de 1918-1919.
Certains intellectuels juifs (Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Kurt Eisner) avaient joué un
rôle important dans la révolution allemande de 1918-1919, qui avait laissé un souvenir
tragique dans la bourgeoisie allemande ; un autre révolutionnaire d’origine juive, Béla Kun,
avait exercé une dictature sanglante dans la Hongrie toute proche. Ceci devait permettre de
réactiver, au moyen de simplifications et de généralisations arbitraires la présentation des
Juifs comme des apatrides qui, après avoir poignardé dans le dos une armée invaincue
(théorie du Dolchstoss), travaillaient à détruire les valeurs traditionnelles de la Nation
germanique.
2/ Les difficultés économiques de l’Allemagne après 1918 (crise de 1923).
Elles vont permettre à Hitler de dénoncer l’oppression exercée par le judéo-capitalisme
international.
3/ Le problème des immigrés juifs dans le contexte des difficultés économiques.
A la suite de la révolution russe (1917) et des pogroms auxquels s’étaient livrés les
Ukrainiens surtout, de nombreux Juifs d’Europe orientale s’étaient réfugiés en Allemagne
après 1918.
N.B. Il semble cependant que la propagande antisémite n’a pas été pour grand-chose dans
l’accession au pouvoir d’Hitler. En 1933, nombre d’Allemands - à commencer par les
Juifs eux-mêmes - croyaient sans doute que, devenu chancelier, Hitler laisserait peu à peu
de côté cet aspect démagogique de son programme. Hélas, il n’en sera rien, bien au
contraire : jusqu’à la fin de la guerre, la persécution et l’extermination des Juifs restera la
première priorité.
c) La théorie.
1/ Réactivation de l’antijudaïsme préexistant, et spécialement des griefs formulés à
l’encontre des Juifs au XIXe siècle.
1) Les Juifs sont des révolutionnaires : adversaires de l’ordre établi, ils ont déjà abondamment
participé aux révolutions - notamment les mouvements libéraux et démocratiques, la révolution russe
et celle qui a renversé le IIe Reich - et mènent un travail de sape à l’échelle mondiale. Ils sont les
alliés du bolchevisme (autre multinationale ennemie mortelle du nazisme) et auraient juré la perte de
la civilisation indo-européenne. Ils heurtent de front les valeurs fascistes d’ordre et d’unité, et
constituent une menace mortelle pour la civilisation, dont le plus beau fleuron et l’avant-garde est la
Nation allemande.
2) Les Juifs sont des exploiteurs sans cesse à la recherche du profit par tous les moyens. Ce sont des
parasites de la communauté nationale, au service d’une multinationale anonyme, formée d’apatrides
sans scrupules bien décidés à mettre le monde en coupe réglée. Ils ont la mainmise sur la haute
finance et ont partie liée avec le grand capital (judéo-capitalisme ) corrupteur des consciences
(espionnage politique, militaire, industriel), dont l’objectif est d’exploiter et d’asservir.
3) Les Juifs sont des apatrides impérialistes. Ils n’ont que mépris pour les Nations, pour les valeurs
traditionnelles les plus sacrées des peuples, car leur objectif est la conquête du monde. Ils heurtent
ainsi de front le nationalisme hypertrophié du nazisme. Leur participation active aux mouvements
internationalistes et révolutionnaires n’a pas d’autre but que d’asservir le monde à leur puissance
9
financière internationale.
2/ En cumulant tous les griefs antérieurs, l’antisémitisme nazi fait du Juif le Mal absolu , dans une
démarche relevant de la caricature mythologique, hors de toute approche intellectuelle et
rationnelle .
3/ La nouveauté radicale du nazisme : un racisme biologique prônant l’extermination
.
Il faut régénérer la race aryenne ou nordique. Au sein de celle-ci, le peuple allemand est certes celui qui
possède les plus importantes réserves du sang pur, mais il n’est plus purement aryen par suite des
métissages historiques. Si les socialistes (marxistes en particulier) prônent la lutte des classes à l’échelle
universelle, il s’agit ici, en quelque sorte, de la lutte des races. Le projet est de préserver et de restaurer
dans toute sa pureté la race supérieure afin de lui épargner une contamination mortelle par les
races inférieures.
Le nazisme répartit les races en catégories selon l’ordre hiérarchique suivant :
1) Les Aryens. Définis par le sang , mais aussi par un certain rapport idéaliste au travail et l’aptitude à de
grandes réalisations durables, ils sont les seuls peuples fondateurs d’Etats et producteurs de Culture,
grâce à un sens inné de l’organisation dont les autres peuples sont dépourvus. Ce sens - un peu
comme pour les Romains de l’Antiquité (dont on a repris l’aigle comme symbole) - justifie ou
légitime leur impérialisme.
2) Les races capables, tout au plus, de porter la culture, c’est-à-dire de l’imiter. Ex. : les Japonais.
3) Les races de sous-hommes (Untermenschen), vouées aux travaux serviles. Leur destinée est de servir
la race supérieure, sous peine d’élimination. Ex. : les Slaves.
4) La race juive.
Le peuple juif se distingue par le sang, qui véhicule ses tares. Pour les nazis, sa singularité n’est pas
la religion - le monothéisme est de longue date largement partagé, et tous les Juifs ne sont pas
religieux - ou la culture, mais bien l’absence de territoire national, et donc d’Etat - qu’il est
d’ailleurs incapable de créer, étant trop matérialiste et paresseux. Faute de cette base étatique,
condition normale de puissance, les Juifs usent de moyens perfides pour parvenir à la domination
mondiale : ils polluent et dénaturent les peuples qui les accueillent, et cela à la fois au plan
biologique (relations intimes, métissage), au plan idéologique (par la promotion des idées
démocratiques - pacifisme, internationalisme, règle des majorités -, facteurs de désagrégation, et
enfin au plan matériel et moral (par la corruption). Ils faussent ainsi le libre jeu des lois naturelles
(darwinisme social) ; c’est pourquoi leur élimination est considérée comme une mission salvatrice à
l’échelle du monde entier.
N.B. Le racisme nazi est loin de se réduire à l’antisémitisme : la croisade d’autodéfense de la race
supérieure doit pour les nazis s’entendre aussi bien à l’égard du nègre, du sidi, du Syrien et
autres sangs dont l’apport ne pourrait qu’abâtardir l’Allemagne.7
La véritable spécificité et nouveauté du racisme antisémite nazi est donc l’argument biologique : le
Juif est assimilé à un bacille, un virus vecteur de mort.
N.B. On s’exprime à son sujet en termes de contamination bactériologique. C’est d’ailleurs, en
définitive, au moyen d’un insecticide puissant (le Zyklon B, à base de cyanure) qu’on les fera
disparaître en masse dans les camps d’extermination.
S’il s’agit effectivement d’une question de vie ou de mort pour la race supérieure, alors assurément
la ségrégation et la déportation ne peuvent suffire à écarter la menace !
d) La mise à exécution du programme antisémite nazi.
1/ Persécution et ségrégation.
- Dès avril 1933, les S.A. organisent une campagne de boycott des commerces juifs (" Kauft nicht bei
Juden ! ") et un décret interdit aux Juifs les emplois de fonctionnaires.
- Lois de Nuremberg (15 septembre 1935), mesures antisémites promulguées durant le congrès du
parti nazi.
7 HITLER, ROSENBERG, GOEBBELS, STREICHER, Guerre aux Juifs , Paris, Centre de Documentation et de
Propagande, 1938 [plaquette], cité dans FONTETTE (François de), Histoire de l’Antisémitisme, Paris, Presses
Universitaires de France, 1991, p. 91 (Coll. Que sais-je ? n° 2039).
10
1) Loi sur la citoyenneté allemande : elle enlève aux Juifs leurs droits civiques.
2) Loi sur la protection du sang allemand et de l’honneur allemand : elle interdit les mariages (ceux
déjà contractés sont dissous !) et les relations intimes entre Juifs et Allemands ; elle défend aux
Juifs d’employer à leur service des femmes allemandes âgées de moins de 45 ans !
- Dans les années suivantes, les Juifs sont exclus des professions libérales.
- La Nuit de Cristal (9 novembre 1938), pogrom étendu à toute l’Allemagne suite à l’assassinat du
conseiller d’ambassade allemand à Paris von Rath par un jeune Juif polonais, Heszel Grynszpan. 8
Les magasins juifs, dont les vitrines sont brisées (d’où le nom du pogrom), sont pillés, ainsi que des
synagogues et les appartements de nombreux Juifs.
- Peu après, des décrets achèvent d’éliminer complètement les Juifs de la vie économique : imposition
d’une amende d’un milliard de marks et du port de l’étoile jaune, interdiction de quitter l’Allemagne.
Même les anciens combattants juifs de la guerre ne sont pas épargnés.
- Le décret Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard, 7 décembre 1941) stipule que tous ceux dont
l’existence même peut mettre le Reich en danger doivent disparaître sans laisser de traces, dans la
nuit et le brouillard de l’inconnu ; leurs familles doivent rester dans l’ignorance de leur sort. En
dehors des opposants politiques, des débiles mentaux, des homosexuels et des tsiganes, les Juifs sont
prioritairement visés.
2/ Extension des mesures aux pays occupés.
- En Pologne, envahie le 1er septembre 1939, les Allemands vont parquer les Juifs dans des ghettos ,
quartiers vidés de leur population et qu’ils ne pouvaient pas quitter sans autorisation spéciale. La
concentration de la population juive préparait la déportation vers des camps en vue du travail forcé
pour les valides, en vue de l’extermination pour les autres.
- Parvenue à dominer toute l’Europe à la suite de ses victoires de 1939-1941, l’Allemagne nazie
impose ses mesures antisémites dans les pays occupés.
En France, le gouvernement de Vichy (Maréchal Pétain), qui pratiquera une collaboration croissante,
crée un Commissariat aux affaires juives, soumet les Juifs à un statut particulier et décide
l’aryanisation de leurs biens. Cependant, jusqu’en 1942, la condition des Juifs en zone non-occupée
sera moins précaire que celle de la zone nord.
3/ Extermination systématique.
1) Les massacres organisés par les groupes d’intervention S.S. (Einsatzgruppen ) derrière les troupes
allemandes à la faveur de l’invasion de l’Union soviétique (juin 1941).
L’effondrement initial de l’Armée Rouge a permis à la Wehrmacht d’occuper rapidement les
régions occidentales de l’U.R.S.S. (Russie blanche et Ukraine), où les communautés juives étaient
particulièrement nombreuses. Des soldats S.S. suivant la progression des troupes régulières
procèdent sur place à des exécutions massives (avec inhumation dans des fosses creusées par les
victimes elles-mêmes). Ces massacres visent aussi les responsables politiques communistes.
N.B. L’attaque de l’Union Soviétique poursuivait un triple objectif :
- Abattre la puissance corrosive du communisme internationaliste, allié de la juiverie
mondiale et comme lui ennemi mortel de la grande Nation allemande. A la grande croisade
contre le bolchevisme seront d’ailleurs conviées les Nations ralliées à ce point de vue.
- Exterminer au passage les communautés juives, et supprimer un maximum de Slaves pour
faire place aux colons allemands.
- Etendre l’espace vital destiné à la colonisation par les Allemands, peuple que la supériorité
absolue de sa civilisation autorise à s’étendre au détriment des races inférieures.
2) Ailleurs, les Juifs sont regroupés dans des ghettos en vue de leur future déportation. Les nazis ne
rencontrèrent de sérieuses résistances qu’au ghetto de Varsovie, qui mena une lutte héroïque et sans
espoir au printemps 1943.
Les dirigeants nazis avaient d’abord envisagé de déporter tous les Juifs d’Europe à Madagascar
(plan de juin 1940). Ce projet sera abandonné faute d’une victoire allemande sur la GrandeBretagne, qui conservera la maîtrise des mers.
3) La Solution finale du problème juif (Die Endlösung der Jüdische Frage ).
8 Ce dernier venait d’apprendre le sort réservé à sa famille (Juifs d’origine polonaise et expulsés d’Allemagne vers la
Pologne, où ils ont été très mal reçus !).
11
C’est finalement l’extermination systématique qui sera décidée et organisée :
- Dès la fin de 1941, des camps d’extermination (Vernichtungslager) sont aménagés dans l’est de la
Pologne pour supprimer les Juifs par asphyxie dans de vastes chambres à gaz : Belsec, Chelmno ,
Sobibor , Majdanek , Treblinka et surtout Auschwitz , créé dès 1940 pour des prisonniers de
guerre. D‘énormes fours crématoires permettent d’éviter les épidémies et surtout de faire
disparaître au fur et à mesure les traces de cette entreprise criminelle (toutes ces installations
seront dynamitées par les S.S. eux-mêmes à la fin de la guerre).
- La Conférence de Wannsee 9 (20 janvier 1942), qui réunit dans la banlieue chic de Berlin des
dignitaires nazis sous la présidence de Reinhard Heydrich, programme l’extermination des 11
millions de Juifs d’Europe (pays neutres compris !) et en adopte les mesures définitives.
Section II. LES FACTEURS DE RÉUSSITE DU FASCISME.
___________________________________________________
I. Les traditions nationalistes (irrédentisme, pangermanisme).
Là où le fascisme pouvait se référer à des auteurs, à des écoles, à des partis qui avaient posé des jalons,
inoculé des germes, l trouvait un terrain favorable.
A. En Italie, le mouvement renvoie à l'Etat romain, à son sens de l'organisation et à son impérialisme ; il se
nourrit en outre de l'irrédentisme.
B. En Allemagne, le national-socialisme se greffe sur une tradition nationaliste, pangermaniste et
antisémite.
C. En Espagne, il y a l'harmonie entre les thèmes du franquisme et le mythe de l'hispanité hérité du siècle
d'or (XVIe siècle) : le général Franco (1939-1975) se donne comme l'héritier légitime des rois
catholiques, qui ont fait l'unité de la péninsule et assuré le rayonnement à la surface du globe de
l'Espagne et de sa civilisation.
II. Les frustrations à l’issue de la première guerre mondiale.
Les menées fascistes ont également trouvé un terrain favorable là où le sentiment national a été ulcéré au
sortir de la guerre : soit par la défaite (Allemagne), soit par un traitement cavalier (désinvolte) de la part des
Alliés à la conclusion de la paix (Italie).
III. Les bouleversements sociaux suite aux crises économiques (misère ; réflexes nationalistes et
xénophobes).
Dans une assez large mesure, on peut dire que les succès du fascisme sont proportionnels à l'ampleur des
effets de la crise - ou des crises, car l'Allemagne en a déjà subi une en 1923 (débâcle du mark). Dans les
sociétés ébranlées en profondeur par la crise, des millions de gens sont disposés à accueillir toutes les doctrines.
A l'opposé, les pays qui ont mieux résisté à la crise - parce que leur économie était moins vulnérable (France)
ou parce qu'ils en sont sortis plus tôt (Etats-Unis) - ont été moins gagnés par la contagion fasciste.
Le mouvement fasciste est clairement antérieur à la grande crise de 1929 (et même à celle de 1923 en
Allemagne). Cependant, il a largement exploité le mécontentement social provoqué par la grande crise.
IV. La gravité du danger communiste.
Le fascisme est aussi une réaction de défense contre l'infiltration du communisme. Le national-socialisme,
en particulier, a spéculé sur la terreur que le communisme inspire à la bourgeoisie, petite et moyenne, à la
paysannerie, aux classes dirigeantes. Les révolutions manquées de 1919 (Allemagne, Hongrie) et les grèves et
manifestations de 1919 à 1921 ont fait peur et ont provoqué un glissement vers la droite favorable aux partis
d'extrême droite.
Plus le péril communiste est proche - et il est plus proche de l'Allemagne que de la France - et plus la
violence de la réaction est grande.
9 Cette conférence, initialement prévue pour le 9 décembre 1941, avait dû être postposée en raison de l’attaque japonaise
contre la flotte américaine à Pearl Harbor (7 décembre 1941).
12
V. La crise politique de la démocratie.
Les difficultés des démocraties libérales vont servir d'argument au fascisme pour se faire admettre comme
la seule voie de salut pour le pays.
VI. Les réactions maladroites et inefficaces des forces démocratiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
A. A l'intérieur.
1. Des ripostes insignifiantes.
En Italie comme en Allemagne, les réactions face à la montée en puissance des mouvements
extrémistes ont été celles que l'on observe encore trop souvent de nos jours : au lieu de privilégier le dialogue et
de s'attaquer aux problèmes de fond (les idées du mouvement, ainsi que les données économiques, politiques et
sociales qui contribuent à les alimenter) dans une approche rationnelle, on s'est le plus souvent contenté soit
d'une indifférence méprisante, soit d'une riposte calquée sur les méthodes de l'adversaire, à savoir les formules à
l'emporte-pièce, la dérision, l'insulte, la diabolisation, ou encore le refus de toute discussion - et cela de façon
plus ou moins improvisée et en ordre dispersé.
Réflexion sur la riposte civique aux sirènes extrémistes.
1/ une plate-forme démocratique.
Les forces démocratiques seraient mieux inspirées de s'accorder sur un projet positif,
mobilisateur, humaniste (et donc démocratique) et solidement argumenté, tout en résistant absolument à la
tentation d'une opposition tardive, systématique, méprisante et purement défensive (donc négative et génératrice
de rancoeurs stériles).
2/ une pratique civique constamment réactivée. Laxisme et relativisme font le lit des extrémismes.
Il conviendrait de s'attacher sérieusement à une éducation civique (à l'école comme à la maison)
qui reste trop souvent à l'état embryonnaire… Car le meilleur antidote contre tous les extrémismes restera
toujours la pratique quotidienne du civisme, tout simplement.
Ainsi, pour contrer par avance les arguments des partisans du grand coup de balai (ex.: désordre,
désunion, anarchie, chômage massif, exclusions de tous ordres, dysfonctionnements graves du système
politique, corruption, etc.) et ne pas avoir à affronter ces forces quand il est trop tard, il faut s'attaquer sans
relâche à des fléaux dont habituellement on sous-estime ou minimise la gravité : l'incurie des responsables10
(sous prétexte de liberté, de convivialité…), les forfaitures à tous échelons (parents, éducateurs, chefs
d'entreprise, police, justice, hommes politiques…), l'égoïsme (sous couvert d'individualisme), l'injustice, le déni
de justice, le non-droit, l'impunité banalisée. Ces dérives sont d'autant plus insidieuses qu'elles résultent le plus
souvent de choix apparemment sympathiques, voire séduisants. En se parant de vertus qui n'ont aucun rapport
(solidarité, tolérance - un terme employé à tort et à travers) et en agitant l'épouvantail de l'autoritarisme
(" fascisme "), en dénigrant des valeurs (sens du devoir, unité, ordre, autorité, fidélité, travail, famille, patrie),
que les fascistes, en les utilisant pour les détourner de leur véritable nature, ont contribué à discréditer, on
s'autorise une conduite laxiste, irresponsable, prônant consciemment ou inconsciemment le lâcher tout - une
conduite guidée avant tout par la lâcheté, pour éviter tout engagement susceptible d'amener des confrontations
pénibles ou des ennuis, et cela dans une perspective opportuniste et de confort à court terme. Ce faisant, on
encourage des tendances anarchisantes qui appellent tôt ou tard une reprise en mains musclée, faisant le lit de la
dictature. Car toutes ces dérives sont autant d'atteintes mortelles à l'Etat de droit, c'est-à-dire à une communauté
politique organisée par des règles qu'elle s'est elle-même données en vue de son propre bien-être. Si l'Etat de
droit est amené à disparaître, il fait immanquablement place à l'anarchie, à la jungle où subsiste uniquement la
loi du plus fort.
3/ une vigilance enrichie par la connaissance de l'histoire.
En troisième lieu, les forces démocratiques devraient aussi cultiver la mémoire et maintenir la
vigilance. Cette vigilance elle-même suppose à la fois une conscience des enjeux et une attitude plus active de la
part des citoyens, notamment par le biais de groupes de réflexion et d'action à l'échelle locale, régionale et
nationale. La vigilance s'impose d'autant plus que les mouvements extrémistes ne se présentent jamais comme
tels et s'entendent souvent mieux que les démocrates à préparer le terrain et à prévenir les objections ou toute
autre forme de réaction (intimidation, trucages divers, préparation tactique, notamment des décisions à prendre à
l'Assemblée nationale, etc.).
10 Il y aurait également beaucoup à dire sur ce beau terme de responsable , que l'on devrait en bonne logique réserver à une
personne amenée à rendre régulièrement compte de sa gestion, au lieu de généraliser cette étiquette flatteuse à toutes sortes
de chefs petits ou grands dont rien ou à peu près ne vient borner l'arbitraire.
13
2. Une opposition à la fois divisée et comme anesthésiée.
L'opposition démocratique, en Allemagne surtout, va se présenter à la fois divisée et comme
anesthésiée. La gauche est divisée par le refus des communistes et des socialistes de présenter un front uni pour
faire barrage au parti nazi. Quant à la droite, elle a cru longtemps pouvoir canaliser le mouvement, voire
l'utiliser : les dirigeants politiques et économiques, dans la perspective d'un affaiblissement de la gauche, surtout
communiste ; les Eglises, également pour contrer le communisme, athée et totalitaire, mais aussi afin d'éviter un
schisme au sein des catholiques allemands.
B. A l'extérieur.
La communauté internationale 11 ne s'est pas signalée par sa lucidité, et moins encore par son courage
ou son efficacité.
Déjà la paix revancharde de 1919 (stigmatisée par le refus du Sénat américain de ratifier le traité de
Versailles) avait accablé l'Allemagne de sanctions en lui faisant endosser toute la responsabilité de la guerre. La
Société des Nations, mise sur pied en 1920 et qui avait suscité d'immenses espoirs, ne fera trop souvent que
confronter les égoïsmes nationaux et sera surtout affaiblie par l'absence des Etats-Unis.
N.B. Il ne faut cependant pas trop accabler la S.D.N. (pas plus d'ailleurs que l'O.N.U. ou l'Union
européenne, par exemple : ces organismes, un peu à la manière d'auberges espagnoles, valent ce que les Etats
contributeurs veulent bien en faire !). Si l'actuelle O.N.U. (1945) est relativement plus puissante, elle a rarement
empêché un dictateur de poursuivre et d'atteindre ses objectifs (cf. Saddam Hussein en Irak ou Milosevic en
Serbie), voire même un génocide de se perpétrer (Rwanda)…
Par la suite, et jusqu'à l'invasion de la Pologne (1er septembre 1939), les gouvernements
démocratiques feront preuve d'un opportunisme à la fois présomptueux (car ils ont présumé de leurs forces) et
frileux (car ils ont choisi la solution du confort) face aux coups de bluff d'Hitler : réarmement, remilitarisation
de la Rhénanie, annexion de l'Autriche (invasion le 10 mars 1938 ; Anschluss proclamé le 15), conférence de
Munich (29 et 30 septembre 1938), qui amputa la Tchécoslovaquie des Sudètes en l'absence de tout représentant
de la Tchécoslovaquie ; ou vis-à-vis de Mussolini : sanctions dérisoires suite à sa conquête de l'Ethiopie, pays
membre de la S.D.N., mais la blessure psychologique provoquée par ces sanctions jettera Mussolini dans les
bras d'Hitler. Enfin, on enregistrera le refus de nombreux Etats d'accueillir des réfugiés juifs…
VII. Les méthodes fascistes.
A. Dès avant l’arrivée au pouvoir.
1. La surenchère de gauche (rappel).
Les promesses contenues dans les premiers programmes fascistes (1919 en Italie, 1920 en
Allemagne) visent à rallier au mouvement un maximum de mécontents parmi les forces de gauche. Peu de
temps après, cette manoeuvre sera suivie d'un virage décisif vers l'extrême droite. Cependant, les réalisations du
régime dans le domaine économique et social (lutte contre la crise) rallieront à nouveau nombre d'éléments de
gauche au fascisme.
Le fascisme est-il pour autant un mouvement révolutionnaire ?
Absolument pas ! En effet, tout en exploitant le mécontentement social provoqué par les crises
économiques (1923 en Allemagne, 1929), le fascisme va s'efforcer de canaliser à son profit toutes les forces
sociales (patronat, classes moyennes) effrayées par la perspective d'une révolution qui ferait s'effondrer l'ordre
social établi. Et cette perspective n'avait rien d'imaginaire, comme l'ont montré les mouvements communistes
d'Allemagne et de Hongrie au sortir de la guerre. Suite à la révolution bolchevique, à la première guerre
mondiale et à la crise économique, on constatait alors une radicalisation des forces de gauche. Mais la
révolution que ces forces appelaient de leurs voeux n'a en fait rien à voir avec le changement que les fascistes
veulent imposer. Au contraire, la propagande présentera de plus en plus le fascisme comme un rempart contre le
11 On notera au passage le caractère artificiel, pour ne pas dire stupide, de cette expression de Communauté internationale .
Peut-être s'est-elle imposée comme une sorte d'euphémisme depuis qu'on a remplacé la Société des Nations par
l'Organisation des Nations Unies ? Elle sert généralement à désigner, de façon aussi vague que globale, l'ensemble de
l'humanité envisagé par rapport à un événement censé la faire réagir comme certains le souhaitent, souvent a posteriori.
Dans la réalité, cet ensemble de nations ne présente pas le moindre caractère d'une communauté : il se ramène presque
toujours à une juxtaposition d'égoïsmes nationaux, qui se rejoignent néanmoins dans certaines prises de position, lesquelles
résultent habituellement de compromis laborieux et souvent peu efficaces.
14
bolchevisme - c'est-à-dire, en réalité, contre non pas une propagation du communisme à partir de la Russie mais
bien un bouleversement total de l'ordre établi par l'action des forces de gauche - ce dont le fascisme ne veut à
aucun prix. Dès lors, même si sa rhétorique cherche à le faire passer pour une révolution - pour ratisser large -,
le fascisme est en fait un mouvement contre-révolutionnaire : il est une riposte anticipée à une révolution sur le
modèle bolchevique, favorisée par la montée en puissance des forces de gauche.
N.B. Cette contre-révolution n'a cependant pas grand-chose à voir avec la réaction de la droite
traditionnelle nostalgique de l'Ancien Régime et de ses privilèges. Comme le Japon impérial et militariste des
années 1930 - et, d'une certaine manière, comme le despotisme éclairé -, le fascisme apparaîtra comme une
sorte d'Ancien Régime modifié et rénové, mais aussi épuré au niveau de ses élites au détriment des élites
traditionnelles.12
2. L’anesthésie de la droite.
La droite est attirée par les promesses faites aux industriels ainsi que par des notions telles que
l'ordre, le renouveau national et patriotique, la revalorisation de l'autorité, de la famille, etc.
Il est vrai que le fascisme devait procurer à la haute bourgeoisie capitaliste - industrielle,
commerciale et financière - d'énormes avantages : élimination du spectre de la révolution de gauche ;
élimination des syndicats et de toute entrave au patronat dans la gestion du personnel avec la mise en place du
Führerprinzip ; avec, pour corollaire, des possibilité d'enrichissement inespérées pour les classes dirigeantes ;
redynamisation et modernisation de l'économie industrielle cruellement éprouvée par la crise.
En revanche, il est erroné de présenter le fascisme comme l'expression des intérêts du grand
patronat capitaliste à tendance monopolistique, ou comme un mouvement produit par un complot de la droite comme le voulaient les théoriciens du communisme soviétique. En effet, bien d'autres régimes, nullement
fascistes, ont cru bon de favoriser le grand capital (New Deal de Roosevelt, gouvernements travaillistes en
Grande-Bretagne, République de Weimar). En outre, en Allemagne même, au début des années 1930, le grand
capital ne marquait pas particulièrement sa préférence pour Hitler (il lui aurait préféré un conservatisme plus
orthodoxe), et il ne lui apporta guère de soutien jusqu'à la Grande Crise - et encore cet appui fut-il alors tardif et
inégal. Lorsqu'Hitler eut accédé au pouvoir, en revanche, le grand patronat capitaliste - à quelques exceptions
près - collabora de tout son coeur, au point d'employer une main-d'oeuvre servile et la population des camps
d'extermination au cours de la seconde guerre mondiale - sans parler des entreprises petites ou grandes qui
profitèrent de l'expropriation des Juifs. La vérité est simplement que la haute bourgeoisie capitaliste, dans
l'ensemble, a, comme beaucoup de dirigeants économiques ou politiques, une approche opportuniste et cynique
de la situation. Dès lors, elle a tendance à s'accommoder de n'importe quel régime - du moment que celui-ci ne
cherche pas à l'exproprier -, a fortiori si ce régime lui laisse une grande liberté d'action. A l'inverse d'ailleurs,
n'importe quel régime politique conscient de ses intérêts et soucieux de sa longévité a tendance à s'accommoder
de la haute bourgeoisie capitaliste…13
Quant aux Eglises, elles sont également sensibles aux valeurs déjà citées qui sont mises en avant
par les fascistes, mais aussi à l'argument suprême de lutte contre le bolchevisme (communisme, athéisme) sans oublier que le régime a reçu la caution d'un concordat (1929, 1933).
3. La propagande.
Les discours et la presse du parti recourent à des slogans simples mais martelés : anti-bolchevisme,
ordre, renouveau national, etc. La propagande va s'activer à présenter sous leur plus beau jour les valeursfétiches du régime, en utilisant massivement les médias (affiche, presse, cinéma, radio). Il s'agit de galvaniser le
peuple, de le mobiliser au service de la grande cause nationale. Dans le même temps, on s'attachera à détourner
rancunes et colères sur les adversaires du mouvement, et plus spécialement sur des boucs émissaires, coupables
de tous les maux dont souffre la race des seigneurs : Juifs (car la composante anti-juive et même antisémite est
déjà bien présente, mais beaucoup pensent qu'elle perdra son importance après la prise de pouvoir),
communistes, socialistes.
Plus encore que les programmes, la propagande qui doit les imposer exclut l'approche rationnelle,
critique, ainsi que le recours au dialogue. Elle fait appel à des sentiments quasi mystiques et se donne libre cours
dans le cadre de grandioses manifestations aux accents militaires ; ses procédés sont grossiers et antihumanistes, se signalant notamment par des propos tendant à déshonorer, à ridiculiser ou à diaboliser
l'adversaire.
4. L’intimidation terroriste.
Il s'agit de se livrer à toutes sortes d'actes visant à intimider, voire à répandre la terreur - c'est-àdire de provoquer une crainte ou un effroi d'une telle ampleur que l'on reste sans réaction, comme pétrifié - afin
12 On retrouvera d'ailleurs celles-ci dans l'attentat perpétré contre Hitler en juillet 1944.
13 D'après HOBSBAWM (Eric J.), L'Age des Extrêmes. Histoire du court Vingtième Siècle, Bruxelles, éditions Complexe,
1999, p. 176 et 178-179.
15
de décourager par avance toute velléité de résistance, d'opposition à la montée en puissance du mouvement
fasciste.
Une telle mission est confiée à des milices ou forces para-militaires - les Chemises noires en Italie,
les S.A. et la S.S.14 en Allemagne) - qui se signalent par leur fidélité inconditionnelle au chef, leur combativité et
leur intolérance. La terreur se manifeste par la maîtrise de la rue, les expéditions punitives,15 les attaques de
piquets de grève, l'assassinat ou le suicide organisé.
B. La tactique : la révolution légale par un dictateur plébiscité.
C'est par étapes et avec les apparences de la légalité que la dictature s'instaure.
1. La prise du pouvoir - facilitée, il est vrai, par l'intimidation et par des élections truquées - se fait
dans les formes légales, par l'appel du chef à la présidence du gouvernement. C'est que les deux chefs d'Etat,
Victor-Emmanuel III comme Hindenburg, pensent pouvoir domestiquer les fascistes en les intégrant dans le
système.
2. L'instauration de la dictature passe par des élections préparées avec réalisme , puis par le vote des
pleins pouvoirs. Ensuite s'impose le parti unique, avec un contrôle progressif de tous les rouages de l'Etat.
C. Après l’arrivée au pouvoir : les facteurs de renforcement du régime.
1. Les plébiscites.
2. Les réalisations économiques et sociales (résorption du chômage, grands travaux publics).
Même s'il est en bonne partie factice et dangereux (manoeuvres financières, résorption du chômage
surtout par le recours à une industrie de guerre), le redressement économique et social n'en est pas moins
spectaculaire, et il tend à renforcer la confiance dans le régime. Il en va de même pour les oeuvres sociales
(Dopolavoro, Kraft durch Freude ), qui contribuent à remettre debout une nation humiliée et déchue - même si
ces initiatives visent avant tout à mobiliser les masses et à attirer les investisseurs…
3. La mise au pas : l’embrigadement des individus.
Non content de supprimer toute opposition politique et même toute tendance à l'intérieur du parti
unique, le fascisme veut supprimer tout ce qui différencie, tout ce qui entretient la diversité, le pluralisme. Plus
rien ne doit subsister en dehors du Peuple rassemblé autour du chef, du parti. Ce fanatisme du groupe, la volonté
de ne faire qu'une âme dans l'exaltation de se sentir vivre, penser, agir tous ensemble contribueront en partie au
succès du fascisme.
En Allemagne, c'est surtout à partir de juin 1934 que toute opposition sera systématiquement
muselée (voir ci-dessous la Nuit des Longs Couteaux).
a) Suppression des partis et de toute opposition.
Le fascisme, obsédé par l'idée d'unanimité nationale, tend naturellement à se débarrasser de
l'opposition politique. Celle-ci, déjà entamée par les violentes mesures d'intimidation (expéditions punitives) qui
ont précédé l'arrivée des fascistes au pouvoir, reçoit, une fois le régime mis en place, le coup de grâce par la
dissolution des autres partis politiques, qui sont amenés à se saborder sous la menace. En Allemagne, on ira
jusqu'à interdire tout droit de tendance à l'intérieur du parti unique, au profit d'une obéissance fanatique. C'est ce
qu'illustre l'élimination des principaux chefs des S.A. lors de la Nuit des Longs Couteaux, qui se soldera par
environ 300 assassinats politiques.
* Appendice sur la Nuit des Longs Couteaux (30 juin 1934).
Par une action brutale et terrifiante, Hitler, inquiet et mécontent des manoeuvres des S.A., va
liquider leurs principaux chefs ; ce sera le point de départ de la terrible ascension de la S.S. en tant qu'exécuteur
des basses oeuvres du parti unique.
A) Présentation des S.A.
Les S.A. (Sturmabteilungen, c'est-à-dire Sections d'Assaut) - comme la S.S.
(Schutzstaffel, Echelon de Protection) - constituent une milice ou formation paramilitaire du parti nationalsocialiste (N.S.D.A.P.). Créées dès le 3 août 1921 sous le couvert d'une société gymnique et sportive, les S.A. se
reconnaissaient à un uniforme qui comportait essentiellement une chemise brune et une casquette de même,
ainsi qu'un brassard rouge frappé d'une croix gammée noire dans un cercle blanc.
1) Origines et recrutement.
14 Respectivement Sturmabteilungen (Sections d'assaut) et Schutzstaffel (Echelon de Protection). On en reparlera plus loin
à propos de la Nuit des Longs Couteaux (30 juin 1934).
15 En Italie, celles-ci sont le fait du squadrisme , une forme d'organisation en escouades armées (d'où le nom) qui séviront
entre la fondation des Faisceaux (mars 1919) et la prise du pouvoir (1922). Ces escouades se signaleront par des
interventions musclées (bastonnade au moyen du manganello , le gros bâton ; ingestion forcée d'huile de ricin pour un maire
récalcitrant), notamment contre les organisations ouvrières.
16
Les S.A. firent leur première apparition le 4 novembre 1921 lors d'une réunion
présidée par Hitler à la Hofbräuhaus de Munich. A l'origine, leur principale fonction était d'assurer le service
durant les réunions du mouvement nazi. Issus pour la plupart des milieux populaires, les Sections d'Assaut sont
financées par la caisse du parti nazi et compteront jusqu'à 60 % de chômeurs ! La majorité de leurs membres
appartiennent à l'aile gauche, dite démocrate, du parti, c'est-à-dire qu'ils attendent que se réalisent les promesses
socialistes et anti-capitalistes contenues dans le programme du parti (publié à Munich le 24 février 1920) ; les
S.A. comptent en outre de nombreux éléments anarchistes. Elles seront souvent encadrées par d'anciens
officiers venus de l'armée ou des corps francs.
2) Evolution.
Les Sections d'Assaut compteront 20 000 hommes en 1927, pour passer à plus de
400 000 au début de 1933 ; leurs effectifs grossiront encore considérablement dans les mois qui suivront la prise
du pouvoir par Hitler (30 janvier 1933), notamment suite à l'absorption des Casques d'Acier (avril 1933). En
1934, elles atteindront le chiffre de trois millions d'hommes. Dès 1930, elles étaient devenues une véritable
armée politique, et elles joueront un rôle de premier plan dans la conquête du pouvoir (attentats, défilés, et
grandes parades de masse, intimidation, collage d'affiches, distribution de tracts, bagarres de rues contre les
communistes et les socialistes, etc.).
D'abord placées sous le commandement de Goering puis de Franz von Pfeffer, les
S.A. eurent pour chef, à partir de janvier 1931, le capitaine Ernst Roehm (1887-1934), qui se révéla un
remarquable organisateur. Elles étaient réparties en pelotons (Scharen), en troupes (Truppen), en compagnies
(Stürme), en bataillons (Sturmbannen), en régiments (Standarten ), en brigades (Brigaden ) et en groupes
(Gruppen ).
Constatant que " cette armée privée constitue un Etat dans l'Etat ", le général
Groener, ministre de la Reichswehr et de l'Intérieur dans le Cabinet Brüning (chancelier), prend la décision
d'interdire les S.A. le 13 avril 1932. Mais, dès le mois de juin suivant, le chancelier von Papen (en fonctions en
1932, du 1er juin au mois de décembre) devra les autoriser à nouveau.
Dès juin 1933 (suite à la prise du pouvoir par Hitler le30 janvier), Roehm, chef des
S.A., prépare ses hommes à une deuxième révolution national-socialiste (après celle de la conquête du pouvoir
en janvier, mais plus encore comme relais à la révolution communiste avortée de 1918). Estimant que, jusque-là,
seul l'élément national a été pris en compte, Roehm veut, comme les Bolcheviques de 1917, confier la
révolution aux ouvriers, aux paysans et aux soldats, afin d'aboutir à la destruction de tous les cadres traditionnels
de l'Allemagne.
B) Des oppositions convergentes.
La puissance excessive des Sections d'Assaut et surtout la menace d'un mouvement
révolutionnaire incontrôlable vont provoquer une levée de boucliers qui va débouchera sur une purge brutale du
parti.
1) L'armée.
Elle refuse absolument :
- d'être subordonnée aux S.A. ou, a fortiori, remplacée par elles ;
- l'esprit révolutionnaire que veulent lui imposer les S.A.
2) Les milieux conservateurs (la droite).
Ils ne peuvent admettre l'idée d'une révolution permanente. Ils veulent la stabilité, une
justice indépendante et un pouvoir incontesté.
3) Hitler lui-même.
- Il est opposé à l'autonomie prise par les S.A. par rapport au parti, et surtout se
méfie de l'activisme extrémiste de Roehm, difficile à contrôler et à canaliser. Déjà il
avait écarté Roehm pour cette raison suite au putsch manqué de Munich (8
novembre 1923).16
- Dès juillet 1933, il est bien décidé à donner la priorité au redressement économique
de l'Allemagne. Dans ce cadre, il rejette un exclusivisme intégriste ou fanatique qui
amènerait à substituer des incapables à des responsables compétents.
- Son pouvoir n'est pas encore suffisamment consolidé pour qu'il puisse heurter de
front les milieux militaires et conservateurs. En outre, il ne peut se passer de
l'appui de l'armée, à la fois dans la perspective d'une guerre (prévue dans Mein
Kampf) et pour succéder à Hindenburg (qui mourra le 2 août 1934).
N.B. L'accusation d'homosexualité formulée à l'encontre des S.A., bien fondée, ne
sera qu'un prétexte, le fait étant connu de longue date par Hitler.
16 Roehm s'était ensuite exilé en Bolivie (1925), mais Hitler l'avait rappelé à l'automne 1930.
17
4) Les membres de la S.S.
La S.S., avide de pouvoir et jalouse de la puissance des S.A., va se révéler une force
de substitution efficace.
A l'origine de la S.S. (Schutzstaffel, Echelon de Protection), créée en 1925, il y a une
petite garde personnelle (250 hommes) formée dès 1922 sous le nom de Stosstrupp
Adolf Hitler (Troupe de choc Adolphe Hitler). Son recrutement est fort différent de
celui des S.A. : ils paient de lourdes cotisations et achètent leur équipement, ce qui
écarte les chômeurs pauvres. On trouvera à la S.S. un bon nombre de diplômés sans
emploi (notamment des juristes pour le Sicherheitsdienst), des professeurs, des chefs
d'entreprise et des propriétaires fonciers, notamment de la noblesse. Disposant d'un
service de renseignement efficace, la S.S. sera l'instrument (et la grande bénéficiaire)
de l'épuration du parti nazi.
C) La liquidation du mouvement révolutionnaire (La Nuit des Longs Couteaux, 30 juin
1934).
Le 29 juin 1934, Hitler, alors en déplacement en Rhénanie, apprend par les services de
renseignements de l'Armée et par la police d'Himmler qu'une réunion des grands chefs S.A. est prévue pour le
lendemain en Bavière, et qu'un putsch dirigé par Roehm est imminent.17 Hitler se fait conduire en avion à
Wiessee, petite ville de Bavière où les cadres S.A. sont réunis. Roehm est arrêté avec plusieurs hauts
responsables, et tous sont exécutés sommairement par les S.S. Au même moment, Goering fait tuer à Berlin
d'autres chefs S.A.
D) Epilogue.
Désormais les S.A., placés sous le commandement de Lutze, ne joueront plus qu'un rôle
de second plan, réduits à des tâches subalternes.
La chute des S.A. achève la période révolutionnaire du national-socialisme.
Désormais, c'est la S.S., sous l'autorité d'Heinrich Himmler (1900-1945) - ancien
subordonné et rival de Roehm - qui sera le principal instrument de la dictature hitlérienne. De 1934 à 1936, elle
prend le contrôle de toutes les polices. Dès lors, sa tâche principale consistera à veiller à l'ordre idéologique,
d'éliminer tous les adversaires de ce qu'Hitler appelle la reconstruction de l'Allemagne. La S.S. sera donc avant
tout une police politique, alors qu'elle était jusque-là, comme les S.A., surtout une milice, c'est-à-dire une force
paramilitaire.18
b) Oppression et répression policières.
Elle est l'instrument de la mise au pas. 19 Elle se traduit par la censure de toutes les informations,
la surveillance policière, le contrôle des conversations - le tout assorti d'un appareil de
sanctions et d'internements arbitraires.
- en Italie, c'est le fait de l'OVRA, la police politique, très ramifiée et servie par un dense réseau
d'indicateurs et de mouchards. Elle impose le silence, emprisonne, déporte dans les camps des
îles Lipari (Sibérie de feu), assigne à résidence dans un village éloigné.
- en Allemagne, c'est le fait principalement de la S.S. (200 000 hommes) et de la police secrète
d'Etat (Geheime Staatspolizei, en abrégé Gestapo), l'ensemble étant dirigé à partir de 1936 par
Heinrich Himmler, déjà à la tête de la S.S. depuis 1929. Les sanctions sont d'une férocité
inouïe : torture, assassinat, suicide organisé , déportation vers les camps de concentration, dont
les premiers ont été ouverts dès 1933 (Dachau notamment) et où s'entasseront par centaines de
mille, bien avant les étrangers, des opposants allemands (socialistes, communistes,
catholiques, libéraux…).
Certaines catégories d'individus sont plus spécialement, et même systématiquement visées :
les opposants politiques, notamment marxistes ; les asociaux considérés comme des déchets
humains, irrécupérables : débiles mentaux, homosexuels, gitans, tsiganes. Ces derniers, avec
par-dessus tout les Juifs, feront l'objet d'un acharnement extrême visant rien moins que leur
extermination, avec création de camps à cette fin (Vernichtungslager). Le décret Nacht und
Nebel (Nuit et Brouillard20, 7 décembre 1941) stipulera que tous ceux dont l'existence même
17 Ce putsch était très vraisemblablement imaginaire, mais il semble que Goering et Himmler aient manoeuvré afin de
contraindre Hitler à se débarrasser de Roehm.
18 A cet égard, les intitulés des deux groupes sont révélateurs : il ne s'agit plus de prendre d'assaut l'ancien régime mais
bien de protéger le nouveau.
19 Gleichschaltung . Expression nazie lors de l'établissement du régime hitlérien en 1933.
20 Cet intitulé sera repris plus tard comme titre d'un film sur le sujet.
18
peut mettre le Reich en danger doivent disparaître sans laisser de trace, dans la nuit et le
brouillard de l'inconnu ; leur famille doit rester dans l'ignorance de leur sort.
c) Une éducation nouvelle : les mouvements de jeunesse du parti unique.
Le fascisme exalte la jeunesse.21 Il prône une race saine, courageuse, endurante, performante22 et
fanatiquement dévouée au régime. Dès lors, il se devait naturellement de conditionner la
population dès l'enfance. Il mettra donc sur pied des mouvements de jeunesse bientôt
obligatoires (dès le 1er décembre 1936 en Allemagne) et absorbant tous les mouvements
existants. Dans ces mouvements se pratique une éducation nouvelle qui ne cherche nullement à
former des esprits humanistes et critiques mais bien, en donnant aux jeunes le goût de la vie en
commun, à former des sujets obéissants, bien entraînés physiquement, et aussi militairement
(formation pré-militaire par des défilés, manoeuvres, maniement d'armes, etc.).
- En Italie, on aura l'Opera Nazionale Balilla 23, mise sur pied en 1926. On y distingue les
balillas (8 à 14 ans) et les avanguardisti (14-18 ans). L'élément essentiel de l'uniforme est la
chemise noire, caractéristique du mouvement fasciste italien.
- En Allemagne, les Jeunesses hitlériennes, qui ont leur section féminine, se subdivisent en
Jungvolk (8-14 ans) et Hitlerjugend (14-18 ans).
d) L’enseignement mis au pas.
L'enseignement subit fortement l'emprise du régime : le personnel est épuré : exclusion des
libéraux et des communistes, auxquels s'ajoutent systématiquement, en Allemagne, les Juifs.
En 1933-1934, plus de 1600 scientifiques (soit 15 % du corps enseignant) sont renvoyés des
universités. Des facultés entières sont privées de leurs véritables maîtres, dont plusieurs prix
Nobel (Mayerhof, Franck, Einstein, Haber, Hertz) - les étudiants faisant parfois de la
surenchère national-dsocialiste. Le droit est spécialement visé ; quant à l'histoire, elle était
hélas déjà dans la ligne assez souvent…
Les professeurs et les étudiants sont soumis à un contrôle très strict, de même que les manuels.
e) La culture bâillonnée et confisquée.
La Chambre de la Culture nationale (Reichskulturkammer) encadre et surveille toute la
production culturelle. Avec la police, elle s'emploie à interdire tout ce qui n'est pas dans la ligne
du régime.
1/ Culture bâillonnée.
a/ La littérature.
Les bibliothèques sont expurgées, et des milliers d'ouvrages jugés subversifs sont brûlés
dans de vastes autodafés24 (1933) : Marx, Freud, Erich Maria Remarque25 et Heinrich
Mann26
sont les premiers visés ; viennent ensuite Zola, Gide et Proust. Des listes noires sont
ensuite envoyées aux bibliothèques..
b/ Les arts.
Dans le domaine artistique également, le pouvoir fasciste rejette avec mépris les
productions qualifiées de décadentes, à savoir le Bauhaus en architecture et, en peinture
ou en sculpture, pratiquement tout ce qui a été réalisé après l'impressionnisme.
Hitler, peintre de formation académique (et, de surcroît, raté), jugeait l'art moderne
globalement dégénéré. Dans la vaste catégorie de l'art dégénéré (entartete Kunst ), le
nazisme rangera notamment : Van Gogh, Cézanne et Matisse ; les peintres de l'Ecole de
21 L'hymne du parti fasciste italien s'intitule d'ailleurs Giovinezza.
22 D'où l'importance des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, qui devaient être une vitrine pour la race supérieure.
Plusieurs médailles d'or ayant été remportées par l'athlète Noir américain Jesse Owens (1914-1980), Hitler, furieux, a
quitté le stade ! Owens avait remporté quatre titres olympiques (100 m, 200 m, 4 x 100 m et le saut en longueur).
23 Balilla est le surnom d'un jeune Génois de 17 ans qui aurait déclenché, en décembre 1746, la révolte, la révolte
victorieuse de sa patrie contre la domination autrichienne.
24 Terme désignant ici une destruction volontaire par le feu, par référence aux cérémonies ainsi appelées (du portugais
auto da fe = acte de foi), au cours desquelles les hérétiques condamnés au supplice du feu par l'Inquisition étaient
conviés à faire acte de foi pour mériter leur rachat dans l'autre monde.
25 Remarque (1898-1970) est surtout connu pour son roman pacifiste " A l'Ouest rien de nouveau ", publié en 1928. En
1933, il émigrera aux Etats-Unis et sera naturalisé américain.
26 Heinrich Mann (1871-1950), frère de Thomas, écrivain de tendance libérale.
19
Paris27; l'expressionnisme (Munch, Heckel, Kirchner, Schmidt-Rottluff, Nolde, Pechstein,
Mueller, Oskar Kokoschka, Otto Dix, Georges Grosz, Max Beckmann…) ; Kandinsky,
Klee, Chagall, etc. Afin d'écarter tout ce monde du champ de la nouvelle culture
officielle, les nazis vont forcer les musées allemands à se débarrasser des oeuvres jugées
indésirables, et celles-ci seront soit détruites (pour la plupart), soit mises en vente - non
sans avoir fait au préalable l'objet d'une exposition destinée à montrer à toute la
population ce qu'il ne fallait pas faire !
Le 19 juillet 1937, une exposition sur l'Art dégénéré est inaugurée à Munich par Hitler en
personne et par Johann Paul Goebbels, chef de la propagande ; présentée de 1937 à 1941
dans de nombreuses villes allemandes et autrichiennes, cette exposition attirera près de
trois millions de visiteurs. Au préalable, 730 oeuvres d'art moderne (toiles, dessins,
sculptures), correspondant à 112 artistes, avaient été confisquées sur ordre de Goebbels à
25 musées allemands. Par la suite, la plupart de ces oeuvres seront détruites. Les 114
rescapées seront vendues en vente publique par le pouvoir nazi pour alimenter les caisses
de guerre. Ainsi, le 30 juin 1939 eut lieu à Lucerne (galerie Theodor Fischer) la vente aux
enchères de tableaux et sculptures de maîtres modernes provenant des musées allemands .
Le dernier lot (n° 114), comportant neuf tableaux (notamment Ensor, Chagall,
Kokoschka, et La Famille Soler de Picasso), a été acquis par la Ville de Liège pour un
prix fort inférieur à l'estimation.28
c/ Conséquences.
Dans de telles conditions, on va assister à un déclin rapide de la culture allemande.29
Beaucoup d'intellectuels et d'artistes quittent le pays ou refusent de poursuivre leur
oeuvre. On relèvera notamment :
- des Juifs démis comme tels de leur poste. C'est le cas d'Albert Einstein (1879-1955),
physicien enseignant à l'Institut Kaiser Wilhelm de Berlin ; ainsi que d'Arnold
Schoenberg (1874-1951), compositeur autrichien, professeur de composition à
l'Académie des Arts de Berlin. Tous deux ont émigré aux Etats-Unis.30
- Bertolt Brecht (1898-1956) , poète et dramaturge communiste, auteur d'un théâtre de
propagande marxiste, mais aussi de pièces satiriques sur la montée du fascisme. Il
émigre en 1933.
- Des écrivains de tendance libérale comme les frères Mann, Heinrich (1871-1950) et
Thomas (1875-1955), vont également s'expatrier. Heinrich avait été déchu de sa
nationalité allemande pour son opposition aux manoeuvres nationalistes et militaristes
qui ont précédé 1933.
- Le monde de la peinture va lui aussi payer un lourd tribut au régime. La vitalité de
l'expressionnisme allemand reçoit un choc terrible. Les groupes (p. ex. Die Brücke, le
Pont, fondé à Dresde en 1905) se dispersent, et la plupart des artistes émigrent, surtout
aux Etats-Unis ; certains, naturalisés américains, sont actuellement rangés dans l'Ecole
américaine. Peu d'artistes (comme Beckmann) sont restés en Allemagne, pratiquant
leur art dans le secret ou s'alignant sur la banalité officielle.
2/ Culture confisquée.
En contrepartie de ce massacre, le fascisme (allemand surtout) prône un art de propagande31
au service des idéaux du régime, comme dans le totalitarisme soviétique. La caractéristique
principale de cet art est un académisme lourd et froid. Les régimes totalitaires ont en
commun de prôner un art qui n'est nullement destiné à émouvoir, et encore moins à faire
réfléchir, mais avant tout à impressionner. En sculpture comme en peinture, seul l'art
figuratif et réaliste est admis. L'approche de la réalité est objective, un peu froide, et bannit
tout apport vraiment personnel, et a fortiori toute poésie, toute fantaisie, au profit d'un
message univoque (c'est-à-dire non susceptible d'interprétations diverses ou imprévisibles,
27 Artistes de tous pays (sauf la Grande-Bretagne) attirés par le rayonnement de Paris autour de 1900.
28 En 1991, le Los Angeles County Museum a organisé une exposition de 175 de ces mêmes oeuvres. Cette exposition,
présentée à Chicago puis à Washington, le sera d'avril à juin 1992 à Berlin, où près de 300 000 personnes la visiteront.
29 Cf. Goethe (1749-1832) : " La où la culture est la plus faible, la haine est plus forte et violente."
30 Einstein émigra d'abord à Prague puis à Paris. Naturalisé américain en 1940, il travailla dès 1939 à la bombe atomique.
Après 1945 il s'affichera pacifiste…
31 Cette caractéristique est bien loin d'être un monopole de la culture fasciste. L'art de propagande a en effet connu bien
des antécédents : Egypte antique, Assyrie, monarchies hellénistiques, art romain, Versailles, Jacques-Louis David, etc.
20
voire incontrôlables), d'une vérité forte, officielle, celle de la pensée unique.
N.B. Le fascisme italien, tout en prônant également un académisme désuet, a laissé assez
bien de liberté aux artistes, au contraire de ce qui se constatera en Allemagne.
a/ L'architecture se signale par un style néo-classique alourdi et durci, qui se veut imposant
sinon écrasant. L'architecte Albert Speer (1905-1981), grand metteur en scène des
solennités du parti, travaille avec Hitler à un projet mégalomane de reconstruction de
Berlin.32
b/ La sculpture observe un style apparenté, mais plus proche d'un réalisme brutal à peine
atténué par un zeste de romantisme, avec tendance au gigantisme. Il s'agit de frapper
l'imagination tout en restant dans le vrai .
c/ La peinture présentera des caractéristiques semblables.
d/ La musique s'illustrera surtout par la confiscation de Richard Wagner (1813-1883), le
chantre lyrique de la grande et vieille Allemagne romantique et pangermaniste. Le reste
sera éclipsé par un goût barbare et instinctif pour les fanfares ou les chants aux rythmes
martiaux.
e/ Le cinéma.
Ici, la nouveauté est plus évidente, et le phénomène se manifeste autant en Italie.
Des moyens importants sont consacrés à trois types de films :
- les oeuvres de divertissement (accentuation d'une tendance amorcée à la fin de la
République de Weimar) ;
- l'évocation des phases glorieuses de l'histoire nationale (en Italie, l'Antiquité romaine ;
en Allemagne, Frédéric II et Bismarck sont les héros favoris) ;
- l'exaltation du présent.
Ex.: Les films de Leni Riefenstahl immortalisent les congrès du parti nazi à Nuremberg
(Le Triomphe de la volonté, 1934) ou les Jeux olympiques de Berlin (Les Dieux du
stade , 1936).
Prolongeant l'effet de la radio, répercussion immédiate de l'événement, le cinéma permet
de faire communier la population des plus petites bourgades aux cérémonies
wagnériennes et liturgiques à la fois par lesquelles le régime poursuit, au moyen d'un
beau spectacle, son oeuvre de manipulation au service de la pensée unique.
f/ L'affiche est une autre forme d'art asservie à la propagande.
f) Les médias au service du régime : la propagande.
La propagande fasciste utilise massivement les moyens modernes de l'information : la presse,
les affiches, la radio, le cinéma. La culture elle-même n'est quasiment plus que propagande (voir
ci-avant), surtout en Allemagne où Joseph-Paul Goebbels (1897-1945), d'abord chef de la
propagande du parti (1928), est, une fois devenu ministre, responsable tout à la fois de la
propagande, de l'information et de la culture. Car tous ces domaines se confondent pour le
fascisme, qui entend fanatiser la population pour qu'elle apporte son soutien au régime de façon
inconditionnelle.
La manipulation est insidieuse et quotidienne. Elle prend aussi la forme d'extraordinaires
spectacles de masse, notamment à l'occasion de grandes commémorations.33
g) Le monde du travail réorganisé (corporatisme).
En accord avec les milieux industriels qui profitent du redressement du pays, des vastes
programmes de travaux publics et de la mise au pas du mouvement ouvrier, les régimes
fascistes instaurent un système corporatiste dans lequel - en vertu de l'esprit communautaire qui
doit se substituer à la lutte des classes - patrons et ouvriers sont invités à collaborer sous l'égide
du Parti. Chaque corporation groupera, comme au Moyen Age, les ouvriers et les patrons d'une
branche professionnelle.
Dans un premier temps, les syndicats sont soumis à l'Etat ; ensuite, ils sont supprimés (comme
l'ont été les confédérations patronales, dissoutes dès 1933) au profit de corporations (regroupées
32 Plus près de nous, on verra un dictateur de la Roumanie communiste, Nicolae Ceaucescu, s'atteler à la même entreprise
à Bucarest.
33 Ainsi, en Italie, les foules sont mobilisées le 23 mars (fondation des Faisceaux), le 21 avril pour la Natale di Roma
(fondation de Rome selon la tradition), le 24 mai (entrée en guerre de 1915) et le 4 novembre (armistice de 1918) - sans
préjudice d'autres grands rassemblements.
21
en Allemagne dans le Front du Travail ) qui délèguent leurs représentants à un Conseil national
où siègent également des représentants de l'Etat et des membres du parti.
Ainsi, c'est toute la vie économique et sociale du pays qui est soumise aux directives de l'Etat à
parti unique.
h) Les loisirs collectifs organisés.
Dans le cadre de ses oeuvres sociales (assurances, mouvements de jeunesse, etc.), le régime
fasciste affichera une sollicitude particulière pour le domaine des loisirs : en Italie avec le
Dopolavoro (dès 1926) ; en Allemagne avec la Kraft durch Freude (dès 1933), organisme
dépendant du Front du Travail .
Ces organisations ont pour but d'organiser des loisirs à prix modique pour les travailleurs, dans
les domaines intellectuel et artistique (théâtre, concerts…) ou sportif, ainsi que de leur
permettre d'effectuer des voyages collectifs - bien encadrés et copieusement assaisonnés de
propagande - à travers le pays ou même à l'étranger (la K.D.F. possède des paquebots).
i) Tentative de subordination, puis persécution des Eglises.
En Italie, où la situation sera moins grave, la Papauté (Pie XI, 1922-1939 ; Pie XII, 1939-1958)
devra néanmoins lutter pied à pied avec Mussolini qui cherchera, fort de la réconciliation de
l'Etat avec l'Eglise (concordat du Latran, 11 février 1929), à embrigader tous les mouvements
catholiques dans le système fasciste.
En Allemagne, le parti national-socialiste manifestera petit à petit son caractère totalitaire,
raciste et anti-chrétien, exposé d'ailleurs par Hitler dans Mein Kampf (1924) - au point qu'en
1930 les évêques ont interdit aux catholiques d'y adhérer. Toutefois, le parti nazi a été assez bien
accueilli au début par les catholiques, car il s'est d'abord présenté comme une alternative au parti
social-démocrate qui gouvernait le pays depuis 1919.
Par la suite, le concordat signé en 1933 devait restaurer la confiance des catholiques dans le
nazisme. Cependant, Hitler n'avait aucunement l'intention de respecter les accords : les
tractations avec le Saint-Siège et le concordat avaient pour seul but de faire lever l'interdiction
des évêques et de brouiller les cartes. En effet, peu après, les organisations et les publications
chrétiennes étaient interdites ou absorbées par les organisations et publications nazies ; beaucoup
de prêtres, religieux, religieuses et laïcs chrétiens étaient emprisonnés, déportés, fusillés ou
pendus, sous des prétextes divers… Dans l'encyclique Mit brennender Sorge (14 mars 1937),
Pie XI dénonça " les intrigues qui, dès le début, visaient l'anéantissement " de l'Eglise, " les
mille formes de persécution religieuse organisée " et les " falsifications, tromperies, annulations
et violations des pactes…". A partir de 1938, avec la pratique de l'euthanasie puis le génocide
des Juifs, la persécution contre l'Eglise ne fera que s'amplifier en Allemagne et dans les
territoires occupés par les armées du Reich.
Section III. LE FASCISME, FAUTEUR DE GUERRE.
_____________________________________________
N.B. Le fascisme n'est pas seul en cause dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Il faut en effet
prendre également en compte, notamment, l'héritage des années 1919-1930 (ferments de division et
défectuosités des traités de paix, problèmes non-résolus, etc.) ainsi que la crise économique et ses répercussions.
Néanmoins, il faut constater que le fascisme est, en soi, générateur d'hostilités.
I. Un nationalisme impérialiste.
A. Orgueil et mégalomanie des chefs.
Ce trait poussera Mussolini à emboîter le pas à Hitler (conquête de l'Albanie, antisémitisme), et Hitler à
aller jusqu'à la défaite totale.
B. Volonté de revanche et d’hégémonie, attisée par l’exaltation de la force, de l’aventure et jouant sur la
fibre nationaliste (irrédentisme, pangermanisme).
Le fascisme cultive un nationalisme hypertrophié et revanchard ; en outre, les sentiments auxquels il
fait appel (exaltation de la force, de l'aventure) prédisposent les esprits à désirer la guerre.
Les régimes autoritaires - et singulièrement le national-socialisme raciste - sont fondés sur l'ambition
collective, la prétention à l'hégémonie. Au départ, les ambitions avouées du IIIe Reich sont limitées. Elles
22
s'accumuleront cependant par la suite, tout en restant apparemment fondées sur le droit des peuples. Cependant,
le programme pangermaniste menaçait tous les Etats voisins qui comportaient des minorités de race ou de
langue germanique : l'Autriche, bien sûr, mais aussi la Tchécoslovaquie (Sudètes), la Pologne et encore la
France (Alsace). Après l'Anschluss et le démembrement de la Tchécoslovaquie (1938), ce sera l'invasion de la
Pologne (1er septembre 1939). Ce dernier coup de force - alors qu'Hitler avait présenté le précédent comme son
ultime revendication ! - déclenchera l'entrée en guerre de la France e de la Grande-Bretagne.
Différence entre l'Allemagne et l'Italie.
La guerre est pour le nazisme un passage obligé dans la perspective de la grande oeuvre de redressement de
l'Allemagne. C'est d'ailleurs écrit dans Mein Kampf. Hitler ne cherche pas à convaincre des nations dont
l'indépendance serait respectée ; sa logique est celle d'une domination universelle, et il est inévitable qu'une telle
entreprise se heurte à des résistances dont l'Allemagne ne viendra à bout que par la guerre. Tout, dans
l'hitlérisme, doit entraîner la guerre : le réarmement poussé par Hitler sitôt après son arrivée à la Chancellerie,
les méthodes de gouvernement à l'intérieur, la stratégie extérieure (ruse dans les relations diplomatiques, recours
aux coups de force, au chantage, au bluff…).
En Italie, le processus évolutif n'est pas du tout le même. Entre 1922 et 1934, l'Italie fasciste pratique une
politique de bon voisinage, relativement prudente, qui ne comporte guère de risques. C'est seulement à partir de
la guerre d'Ethiopie (1935-1936) que l'Italie s'engage dans une voie périlleuse - peut-être par imitation de
l'Allemagne nazie.
II. Une économie sous pression.
Autarcie, accords de troc (clearing ), contrôle des prix et salaires, augmentation des impôts, grands
travaux publics et armement. Relance précaire car fondée sur le préfinancement (traites), un mark
surévalué et un endettement important. Seules des conquêtes (d’ailleurs programmées) assorties
d’un pillage à grande échelle pourront redresser la situation (d’où le point suivant).
Comme le fascisme italien, le régime nazi vise le redressement de l'économie au moyen de l'autarcie.
Globalement, on peut dire que cette politique économique, surtout en Allemagne, est une fuite en avant, une
marche à l'abîme - une économie de guerre en temps de paix.
Le gouvernement nazi reprend à son compte l'ensemble des mesures prises par la République de Weimar
dans ses dernières années pour contrôler l'économie ; il leur donne toutefois une extension et une rigueur jamais
vues. Certes, le problème n'est pas simple. En 1933, il faut remettre au travail 6 ou 7 millions de chômeurs, sans
possibilité d'emprunt extérieur (suite au protectionnisme généralisé appliqué comme remède à la crise), avec des
réserves de change minimes (81 millions d'or et de devises contre 2 600 millions en 1929), sans ressources
intérieures (épargne laminée, banques effondrées, initiative privée défaillante), et sans faculté de recourir à la
dévaluation et à l'inflation monétaire - les raisons de prestige se conjuguant une fois de plus avec l'amer
souvenir de 1923.
La politique économique du gouvernement nazi tiendra dès lors en cinq points :
1) contrôle strict des changes
Ce contrôle isole complètement le mark allemand du circuit monétaire normal et coupe court à toute
spéculation. Les réserves de change disponibles sont couvertes par le secret d'Etat le plus impénétrable.
2) multiplication des accords de troc (avec les Etats balkaniques surtout).
C'est la pratique du clearing : accord entre deux pays, prévoyant d'équilibrer de part et d'autre la balance
commerciale (importations et exportations), afin d'éviter les sorties d'or et de devises. En échange du blé, du
bétail et du cuivre qu'elle importe, l'Allemagne fournit une valeur égale de produits manufacturés (outils, armes,
machines…).
3) contrôle rigoureux des prix et des salaires, ce qui réduit le risque d'inflation.
4) augmentation sensible des impôts.
5) mise en oeuvre de grands travaux publics ainsi que de l'armement.
Pour financer cette relance, Horace Schacht (1877-1970), président de la Reichsbank (1933) et ministre de
l'économie (1934-1937), recourt au système du préfinancement : l'Etat distribue aux entreprises qu'il juge
prioritaires des traites escomptables34 auprès des banques. La reprise économique est ainsi stimulée. De même,
pour leurs livraisons, les entreprises sont rétribuées en traites qu'elles peuvent faire escompter au bout de trois
mois auprès de la Reichsbank, ou les utiliser pour régler leurs fournisseurs, qui sont dotés à leur tour de la même
faculté. Ainsi, la relance est financée par des traites extérieures au circuit monétaire normal.35
Dans l'esprit de Schacht, il s'agit là d'expédients provisoires. Mais l'impossibilité de réamorcer puissamment
34 C'est-à-dire payables avant échéance.
35 C'est une sorte d'inflation du crédit.
23
les exportations, en raison de la valeur excessive (et artificielle) du mark, empêche toute normalisation. Dès
lors, la politique économique nazie prendra une tournure de plus en plus stricte et dangereuse : rationnement,
réarmement accéléré à partir de 1935, ainsi qu'une autarcie rigoureuse à partir du plan de quatre ans lancé en
1936 par Goering. Le choix est alors plus net que jamais, car l'autarcie est pratiquée en vue de la guerre. Ceci est
confirmé par un memorandum secret d'Hitler en 1936 : " Dans quatre ans, l'économie allemande doit être
capable de supporter une guerre." C'est de plus en plus le dirigisme : Hitler impose de lourdes charges aux
entreprises ; il favorise surtout les secteurs les plus décidés et les plus aptes à servir la politique d'armement ; s'il
rend au domaine privé les banques (jadis contrôlées par Brüning), il n'hésite pas à créer des usines d'Etat pour
accélérer la réalisation de l'autarcie après 1936. D'une manière générale, le contrôle du parti sur l'économie
s'appesantit à ce moment ; ceci, avec son opposition à Goering et l'augmentation des dépenses d'armement, va
entraîner la démission de Schacht (1937).
Rendue indispensable par le manque de matières premières, la politique d'autarcie vise à développer les
produits de substitution (Ersatz ), destinés à remplacer les denrées attendues normalement des importations
(graisses, caoutchouc, essence, textiles). Les industries chimiques, les plus avancées du monde à l'époque,
appuyées sur d'immenses ressources en lignite, reçoivent une remarquable impulsion. La sidérurgie, les
constructions mécaniques, électriques et aéronautiques bénéficient également du réarmement : en 1939,
l'Allemagne, dans ces domaines, n'est dépassée que par les Etats-Unis.
Mais l'Etat a continué à s'endetter massivement (31 milliards de Rentenmark en 1939) pour permettre la
réalisation d'un vaste programme militaire. Seule la conquête de l'espace vital devrait permettre de faire face
aux échéances, une fois la supériorité allemande garantie. On est loin d'une croissance équilibrée !
III. Le réarmement (Allemagne).
A. Alors que la question des réparations a rempli l'ordre du jour des conférences internationales jusque vers
1928, à partir de cette date l'intérêt se reporte vers la question du désarmement. Les conférences échouent à la
régler. Le désarmement n'aboutissant pas, Hitler annonce (octobre 1933) que l'Allemagne ne tolère plus d'être
traitée en nation de seconde zone à qui est refusée l'égalité d'armement avec ses partenaires ; son délégué à
Genève déclare que l'Allemagne se retire, et de la conférence, et de la Société des Nations.
C'est la fin de la politique fondée sur la signature et le respect des accords diplomatiques. Etape décisive
dans l'aggravation de la situation internationale : c'est le premier coup de force international des nazis - aussitôt
approuvé par 95 % des Allemands lors d'un plébiscite (novembre 1933).
B. En mars 1935, Hitler annonce que l'Allemagne reconstitue une aviation militaire et rétablit le service
militaire obligatoire - abrogeant ainsi du même coup les clauses militaires du traité de Versailles. L'Allemagne
va rapidement rattraper le niveau des armements français. La France, pour ne pas être trop vite dépassée, adopte
le service militaire de deux ans. La course aux armements a repris en Europe. Mais l'Allemagne, prenant le
départ plus tard, aura l'avantage de disposer d'un matériel plus moderne.
C. Cependant, il faut le rappeler, cet instrument guerrier tout neuf est payé par des acrobaties financières et
une inflation déguisée36 qui ne peuvent, bien entendu, s'éterniser. Orgueil du régime, l'autarcie est un échec
global, au-delà de quelques réussites ponctuelles spectaculaires. La supériorité militaire acquise, fatalement de
courte durée, n'est-elle pas une incitation implicite à passer à la conquête du Lebensraum (espace vital), paradis
radieux - mais futur - offert aux Allemands pour leur faire accepter les sombres sacrifices du présent ?
IV. Une société mobilisée et frustrée.
Matraquée par la propagande et manipulée par le parti unique et son chef, la population a été frustrée dans
ses espérances. Le tableau idyllique d'une société de lutte des classes transformée en communauté de bien-être
tient en grande partie du mythe, et la propagande est bien nécessaire pour persuader un peuple exploité qu'il est
devenu une communauté de maîtres. En effet, la rénovation de la société allemande se solde par un fiasco.
A. Agriculteurs.
Les agriculteurs, dont l'activité et le mode de vie sont loués par le régime, sont laissés pour compte.
Souvent sans le vouloir, on poursuit, de 1933 à 1939, un processus irréversible d'urbanisation et
d'industrialisation. Les prix garantis aux paysans sont en retard sur ceux de l'industrie, et la part des ruraux dans
la population active ne cesse de décroître. Il n'y a aucun retour à la terre, et une vraie réforme des structures
agraires reste à venir.
B. Femmes.
Pour elles aussi une évolution apparemment inéluctable est en marche. Egalement valorisées dans leurs
36 Il s'agit d'une inflation du crédit, et non plus, comme en 1923, d'une inflation de monnaie.
24
fonctions traditionnelles37, elles se retrouvent en fait de plus en plus à travailler dans les usines et les bureaux.
C. Classes moyennes.
Les classes moyennes trouvent les moyens d'une ascension sociale dans une bureaucratie en expansion,
mais elles voient s'effondrer les rêves petits-bourgeois de petites entreprises indépendantes, qui marquaient le
programme de 1920 : les boutiques continuent de reculer devant les grands magasins, et 100 000 petits patrons
de 1933 auront disparu en 1939.
D. Grand patronat.
Il en vient souvent à regretter l'alliance purement tactique qu'il a conclue avec les nazis : à partir de
1936, on l'a vu, le dirigisme est de plus en plus pesant.
E. Ouvriers.
Ils sont les principales victimes des promesses socialistes non tenues. Il n'y a pas de véritable association
entre employeurs et ouvriers. La législation de janvier 1934, qui fait du patron le Führer de l'entreprise,
l'interdiction de toute grève par le Front du Travail, la concentration croissante - en particulier dans les secteurs
les plus dynamiques - créent pour les travailleurs une situation de dépendance de plus en plus accentuée. Le
revenu réel des ouvriers stagne alors que les profits s'envolent. Certes, le chômage a disparu, mais les sanstravail d'hier peuplent surtout les casernes, les camps d'entraînement militaire et les usines d'armement.
F. Dissidents et leurs proches.
Alors qu'il prétendait prôner un retour aux valeurs traditionnelles, le nazisme a détourné celles-ci et
imposé des objectifs nouveaux, provoquant un traumatisme dans la société allemande. La persécution des
dissidents (Juifs, communistes, libéraux, opposants protestants et catholiques…) engendre forcément une
accumulation de déceptions, de frustrations, de rancunes.
On le voit donc bien : dans le domaine social, la guerre devient pour le fascisme une nécessité de politique
intérieure. On ne peut impunément mobiliser les passions sans, au bout de quelques années, proposer aux gens
un objectif qui soit le couronnement d'une tension devenue insupportable. Les conquêtes, les victoires, les
annexions sont l'indispensable justification des contraintes imposées et des efforts exigés.
Conclusion sur l'économie et la société.
En conclusion, l'impasse du nouveau système économique et les carences de la politique sociale font que la
guerre apparaît bien, pour les fascismes, comme une échappatoire aux difficultés internes - alors que, selon la
propagande idéologique, il s'agit d'offrir à la race supérieure en pleine expansion l'espace vital auquel elle a
droit !
________________
37 Les trois K : Kinder, Küche, Kirche (les enfants, la cuisine et l'église).
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