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LE FASCISME.
Section I. LA NATURE DU FASCISME.
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I. Définition.
Fascisme, absolutisme, totalitarisme. Voir le glossaire.
Le terme a pour étymologie le mot italien
fascio
, qui désigne le symbole même choisi par le parti fasciste
italien, en référence à l'Antiquité romaine : le faisceau de baguettes planté d'un hache qui était porté par les
licteurs chargés de composer l'escorte d'un magistrat. Aux époques les plus lointaines, le faisceau avait une
fonction pratique, les baguettes ou verges servant à la flagellation (peine des verges), tandis que la hache
était l'instrument de la peine capitale. Plus tard, et notamment dès la fin du XVIIIe siècle, le faisceau est
devenu un symbole d'autorité (rappel du pouvoir des magistrats romains) et aussi d'unité (les baguettes étant
assemblées pour ne former qu'un seul faisceau). Et l'on sait que les fascistes ont prôné et cultivé l'unité
jusqu'à l'obsession. En Italie, le terme a servi dès la fin du XIXe siècle à désigner divers mouvements et
associations. Ainsi :
- les
Faisceaux des Travailleurs
(Sicile, 1892) ;
- les
Faisceaux d'Action révolutionnaire,
groupant les partisans de l'entrée en guerre en 1914 ;
- le
Faisceau parlementaire de Défense nationale
(1917, au lendemain du désastre de Caporetto) ;
- les
Faisceaux italiens de Combat
(
Fasci italiani di Combattimento
), fondés le 23 mars 1919 à Milan par
Benito Mussolini, ancien directeur du quotidien socialiste
Avanti
. Le mouvement se transformera ensuite
(congrès de Rome en novembre 1921) en une organisation plus vaste, le Parti national fasciste (
Partito
Nationale Fascista
- P.N.F.). Le parti fasciste italien, fort de 300 000 membres dès la fin 1921, adoptera
pour emblème le faisceau des licteurs romains, symbole d'autorité et d'unité.
II. Contenu : un nationalisme extrême, fanatique et mégalomane
L’Etat-Nation (indissolublement liés), priorité absolue et incontestable, est révéré comme une personne
sacrée (
statolâtrie
), un peu comme chez les Romains païens de l'Antiquité (dont on reprend les emblèmes).
. On a affaire à une adhésion quasi religieuse, non seulement à la communauté nationale une et
indivisible, groupée en une masse unanime derrière son guide suprême et infaillible.
Cette adhésion requiert de s'attacher avant tout à trois valeurs supérieures :
1. la fidélité (adhésion quasi religieuse, inconditionnelle au régime et à son chef).
L'Etat-Nation est la seule cause qui justifie une fidélité inconditionnelle, ne foi inébranlable, un
dévouement sans limites. Cf. le serment imposé aux Jeunesses hitlériennes et dans les administrations,
ainsi que la devise gravée sur les ceinturons : " Mein Ehre heisst Treue ", c'est-à-dire Mon honneur
s'appelle Fidélité !
2. la grandeur nationale (supériorité ; impérialisme).
L'Etat est supérieur à tout et à tous ; il est invincible ; il est éternel (cf. le IIIe Reich, promis à une
existence millénaire !)
L'Etat-Nation est forcément une entité supérieure investie d'une mission historique, appelé à manifester
sa suprématie universelle (cf. l'emblème de l'aigle repris aux Romains par le fascisme italien, puis par
l'allemand, où il se présente en continuité par rapport aux deux Reichs précédents). Les individus comme
les plus hauts responsables doivent tout sacrifier à sa grandeur, et ne rien tolérer qui puisse porter atteinte
à son honneur.
Le fascisme, dès lors, induit l'impérialisme*. Il prônera la constitution ou le développement d'un empire
colonial, orgueil et exutoire de la Nation.
L'Allemagne et l'Italie, Etats jeunes et donc arrivés en retard dans la course aux colonies, cherchent des
extensions coloniales pour satisfaire l'orgueil national ou en prétextant la nécessité d'une expansion
économique.
a) L'Italie cherche à étendre ses possessions d'Afrique et fera la conquête de l'Ethiopie (1935-1936).
Ici, les prétentions coloniales sont alimentées par l'irrédentisme, et plus encore par la référence
obsessionnelle à l'Empire romain, présenté comme un âge d'or.
b) Pour l'Allemagne, que le traité de Versailles a privée de toutes ses colonies, le mouvement prendra la
former d'annexions en Europe orientale : une sorte de nouveau
Drang nach Osten
au détriment des
Slaves considérés comme une race inférieure (cf.
Mein Kampf
). Ici, la folie des grandeurs est
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alimentée à la fois par le pangermanisme et par le racisme hitlérien (race supérieure appelée à asservir
toutes les autres).
3. l’unité nationale (indispensable à la grandeur nationale).
C'est la condition sine qua non de la grandeur nationale. La grandeur de l'Etat-Nation étant posée comme
une priorité absolue, il est naturellement impératif que la Nation se présente comme un seul bloc, qu'elle
présente une unité, une cohésion sans la moindre faille. D'où, par exemple, la célèbre devise hitlérienne :
Ein Volk, ein Reich, ein Führer
.
Cette obsession de l'unité - perçue comme une question de vie ou de mort pour l'Etat-Nation -
commande :
a) le totalitarisme , c-à-d. le contrôle par l’Etat de tous les secteurs d’activité :
1/ unité politique (parti unique ; neutralisation ou suppression de toute opposition ; refus de la
confrontation avec les mouvements ou institutions d’ordre international).
2/ unité territoriale et ethnique : extrême sensibilité à l’intégrité territoriale ; revendication des
entités nationales non encore comprises dans l’Etat (irrédentisme en Italie, pangermanisme en
Allemagne) ; l’hitlérisme y ajoute un intégrisme raciste.
3/ unité sociale (cohésion du groupe national), obtenue par deux moyens :
a/ le culte du chef (homme providentiel, réputé infaillible, au pouvoir arbitraire) ;
b/ l’embrigadement des individus dans des structures collectives (l’intérêt supposé du groupe
doit toujours primer) entièrement contrôlées par le parti unique :
- éducation : mouvements de jeunesse (obligatoires), enseignement ;
- medias (presse, radio, cinéma, affiches) et propagande au service de la pensée unique ;
- organisation des loisirs collectifs.
4/ unité économique par l’autarcie et le corporatisme (groupes réunissant patrons et ouvriers par
profession, pour supprimer les conflits).
5/ unité culturelle par l’imposition d’une culture officielle , dans la littérature (conforme aux valeurs
véhiculées par la pensée unique) comme dans les arts, vitrines de l’Etat-Nation (néo-classicisme
lourd et écrasant, réalisme brutal vaguement teinté de romantisme).
b) un régime policier traquant tout ce qui peut nuire à l’unité nationale :
- multiplication des organes de contrôle de toutes les activités, même culturelles ;
- création de camps de concentration pour préserver le corps social et pour
rééduquer
.
III. Implications.
A Prétentions et apparences démocratiques (populisme).
1. Principe de souveraineté nationale (chef plébiscité ; consultations populaires).
Ce principe, proclamé par la Révolution française, est un postulat du fascisme. Le fascisme se
réclame de la Nation souveraine ; sans doute confisque-t-il la souveraineté nationale, mais il la
suppose. Le chef unique, le guide suprême, tient son pouvoir du peuple ; sa légitimité vient de ce que
le peuple lui a délégué le pouvoir.
N.B. La légitimité du chef fasciste n'a donc rien à voir avec celle du souverain d'Ancien Régime
(ordre naturel, élection divine et continuité dynastique).
D'autre part, comme la démocratie, le fascisme fait référence au peuple et le consulte (cf. la place
tenue par les plébiscites dans le régime hitlérien), et il maintient un semblant d'élections ainsi que des
assemblées parlementaires - même si ce n'est là que pure fiction.
2. Antécédents biographiques des chefs (tendances socialistes).
Les antécédents des principaux meneurs se situent clairement à gauche. Ainsi, Mussolini, membre du
parti socialiste, a dirigé le journal socialiste
Avanti
. L'intitulé complet du parti nazi (1920) est
Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei
- N.S.D.A.P., c'est-à-dire Parti national-socialiste
allemand des Travailleurs (double redondance !). Le drapeau nazi, d'ailleurs, n'est qu'une adaptation
du drapeau rouge, symbole de la révolution (bien que le fascisme, en dépit de sa rhétorique, n'en soit
pas une) ; en outre, le 1er mai (" des
Rouges
") est officiellement institué jour férié dès 1933 !
3. Programmes (1919 et 1920) comportant des idées de gauche.
Prônant la cohésion et l'unanimité de la Nation, le fascisme lutte logiquement pour l'égalité et la
justice sociale - même si son nationalisme s'oppose à la notion de lutte des classes chère aux
socialistes. Ainsi, le premier programme de Mussolini, lors de la création des
Faisceaux italiens de
Combat
(Milan, mars 1919), fait de la surenchère à gauche, exigeant : la démocratie politique la plus
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entière (droit de vote à 18 ans, etc.), des mesures économiques (nationalisation des entreprises et
services publics, ainsi que de toutes les usines d'armes et d'explosifs) et sociales (large intervention
des travailleurs dans la gestion des entreprises, journée de huit heures, salaire minimum garanti,
impôt extraordinaire et progressif sur le capital…) ; l'institution d'une milice nationale remplaçant
l'armée, etc. Des revendications comparables figureront dans le premier programme du parti nazi,
publié à Munich le 24 février 1920.
4. Réalisations sociales (politique familiale, Etat-Providence, groupements).
a) Une politique familiale optimiste (encouragement de la femme au foyer et de la natalité) amène
une augmentation spectaculaire des naissances - indice d'une Nation qui croit en son avenir.
b) La politique sociale égalitariste d'un Etat-providence.
1/ Des réalisations spectaculaires dans le domaine économique.
2/ Création de mouvements sociaux de grande envergure destinés à effacer les différences
sociales, pour substituer l'esprit communautaire à la lutte des classes.
a/ les mouvements de jeunesse officiels visent un brassage systématique de la jeunesse.
b/ l'organisation communautaire des loisirs (en
Italie, Dopolavoro
, càd. Après le Travail ; en
Allemagne la
Kraft durch Freude
- K.D.F. -, càd. la Force par la Joie).
De tels organismes visent, apparemment, à assurer le mélange et l'égalité des catégories
sociales - même s'il s'agit avant tout de contrôler strictement la population jusque dans ses
loisirs.
Ex. En 1936, la K.D.F. annonce la sortie de la
voiture populaire
(
Volkswagen
) ; les
ouvriers devront pouvoir accéder à un confort réservé jusque-là à la bourgeoisie.1
c/ l'organisation du travail sera complètement renouvelée par l'institution de corporations,
associations professionnelles dans lesquelles patrons et ouvriers se concerteront au lieu de
s'affronter.
d/ organisation de rencontres entre travailleurs des différents secteurs économiques, afin de
promouvoir la connaissance mutuelle et de renforcer la solidarité nationale.
Ex. L'
Arbeitsdienst
organisera, pour les citadins et citadines de toutes conditions, des
rencontres avec le monde rural, dont la stabilité est montrée en exemple.
N.B. Toutes ces réalisations sont, bien entendu, plus tactiques que sincères2; l'encadrement par le
parti unique est, en effet, omniprésent. Mais elles n'en ont pas moins fait longtemps illusion, en
Italie et en Allemagne comme en dehors de ces pays.
Conclusion sur les aspects
démocratiques
des fascismes.
On l'a vu, les fascistes s'appliquent à préserver une démocratie de façade, une sorte de couverture
respectable, destinée à rassurer tant à l'intérieur qu'à l'étranger.
Ce qu'ils veulent en réalité instaurer, c'est une démocratie - au sens le plus large de régime travaillant
dans l'intérêt supposé et pour le plus grand bien du peuple dans son ensemble -, mais une démocratie d'un type
nouveau, modernisée, dans laquelle la Nation unanime progresse à pas de géant vers un avenir radieux, avec une
confiance aveugle sous la conduite du parti unique et du chef-dictateur infaillible qu'elle s'est soi-disant choisi -
et cela sans s'encombrer des constitutions, systèmes et procédures jugés inefficaces, inutilement compliqués et
anachroniques des démocraties libérales héritées du XIXe siècle. C'est, en quelque sorte, un nouveau despotisme
éclairé, qui, de surcroît, prétend à la légitimité nationale.
Dès lors, du point de vue des fascistes, il n'y a pas de contradiction entre le fascisme et la démocratie -
la vraie, la leur, et non celles, attardées et décadentes, de la Grande-Bretagne, de la France ou de la Belgique…
B. Anti-parlementarisme.
Dans la ligne de ce qui vient d'être dit, le fascisme conserve un simulacre d'assemblée représentative : le
Reichstag
en Allemagne, la
Chambre des Faisceaux et des Corporations
en Italie. Mais ces assemblées ne
représentent que le parti unique au pouvoir ; en outre, elles ne délibèrent pas véritablement : elles ne sont que
des chambres d'entérinement destinées à donner une publicité aux manifestations oratoires des chefs du régime,
et à approuver - à l'unanimité ! - les décisions prises en dehors d'elles et qui leur sont soumises pour la forme.
En réalité, le fascisme est adversaire du régime parlementaire, et cela pour plusieurs raisons :
1 La réalité sera nettement moins souriante. Le prototype sortira en 1937, mais les impératifs de la guerre feront différer ce
rêve de nombreux Allemands à l'après-guerre… Et ce sont des véhicules et engins militaires qui sortiront des usines
Porsche !
2 Voir plus loin les modalités de l'embrigadement des individus.
4
1. des raisons historiques : dans les pays vaincus en 1918 (Allemagne, Autriche), le parlementarisme
est d'autant plus haï que ses origines sont liées à la défaite. Dans un pays frustré par les traités de
paix (Italie), on lui fait grief d'avoir sacrifié les intérêts de la Nation aux puissances étrangères.
2. au nom de l'unité, condition de la grandeur nationale.
Le régime parlementaire se caractérise par des discussions stériles et paralysantes, il entretient les
dissentiments, cultive les divisions au lieu de faire concourir toutes les énergies à l'objectif commun :
l'unité et la grandeur de la Nation. En outre, il offre à l'étranger un spectacle grotesque, indigne d'un
peuple appelé à montrer l'exemple.
3. au nom de l'efficacité.
Ce régime, qui un peu partout est jugé dépassé par les événements et dont le fonctionnement s'avère
défectueux, se condamne lui-même par ses lenteurs et son inefficacité - à en juger, notamment, par
son incapacité à sortir le pays de la crise économique.
4. à cause de sa démarche rationnelle, dont les fascistes n'ont rien à faire (voir ci-après Anti-
intellectualisme romantique).
C. Anti-intellectualisme, romantique.
Ce caractère représente une raison supplémentaire d'opposition au parlementarisme pour le fascisme.
La démocratie parlementaire se présente comme un système rationnel. Elle s'adresse à l'esprit des
citoyens, qu'elle s'emploie à convaincre (campagnes électorales, discours au Parlement, presse, etc.) ; et elle
règle son fonctionnement sur base de décisions prises à la majorité (critère mathématique). Elle postule donc la
rationalité des conduites et des comportements.
Tout au contraire, le fascisme est une réaction anti-intellectualiste. Exaltant la force physique, la
violence même, allant jusqu'à brûler les livres dont les idées sont jugées incompatibles avec l'idéologie
officielle, il fait appel à toutes les forces irrationnelles, à la sensibilité, à l'émotivité, à l'affectif. C'est une
revanche de l'instinct. Par ce trait, le fascisme apparaît comme un avatar du romantisme. Comme le romantisme,
il joue sur les sentiments, le goût du panache et du spectacle, et aussi sur la référence à un passé lointain et
idéalisé. De là l'importance accordée à la mise en scène (cf. les congrès du parti nazi à Nuremberg) : le soin
apporté au décor (drapeaux claquant au vent, sonneries de trompette, jeux de projecteurs…), les grandes
cérémonies, les parades spectaculaires. C'est une liturgie nouvelle, grandiose et barbare, qui substitue la
musique, le chant, les torches, le défilé, à la délibération et à la discussion dans le respect des minorités. Les
discours, minutieusement répétés et accompagnés de gestes et d'intonations savamment calculés, sont destinés à
emporter une adhésion instinctive, irréfléchie, inconditionnelle et unanime, et non pas la conviction ; la
démarche attendue relève de la foi et nullement de la raison. Dans la même logique, on assiste à la récupération
du passé national, glorifié par une sorte de mythe de l'Age d'or : glorification de l'Antiquité romaine par
Mussolini, ou Hitler posant à côté des emblèmes du Saint-Empire !
N.B. Une telle mobilisation
épidermique
de masses fanatisées n'est pas forcément le monopole du
fascisme. On connaît bien d'autres exemples de parades grandioses, de mise en valeur des uniformes et de
l'armement, de défilés spectaculaires : France révolutionnaire et impériale, Union soviétique, Corée du Nord,
etc.3
D. Anti-individualisme et anti-libéralisme.
Le libéralisme a pour objectif essentiel le bien-être et l'épanouissement de l'individu. Il affirme la liberté
de l'individu, s'emploie à la préserver et à garantir les droits des individus : liberté d'opinion, d'expression, de
religion, de conscience, de réunion, d'association, de presse, d'enseignement, etc. Il limite en conséquence
l'autorité de l'Etat (
Etat-gendarme,
c'est-à-dire dont le rôle principal doit se limiter au maintien de l'ordre). -
Tout à l'opposé, le fascisme a pour objectif essentiel le bien-être et la grandeur de la communauté nationale. Il
se présente donc comme un adversaire de l'individualisme et du libéralisme. En effet :
1. L'exercice des libertés individuelles risque de déforcer, d'affaiblir la cohésion du groupe national et de
porter atteinte à l'autorité de l'Etat à parti unique. Le fascisme, comme tout régime totalitaire (ex. le
communisme sous Staline), place le groupe national au-dessus des individus. L'intérêt de l'Etat
(raison d'Etat) doit donc toujours primer sur les intérêts individuels - qui sont d'ailleurs très souvent
contradictoires. L'individu trouve sa raison d'être dans la subordination au groupe et son
accomplissement dans son intégration à la communauté. Il n'a pas de droits propres : il n'a que ceux
3 On se gardera donc de faire endosser trop vite ce genre de manipulation des masses à un trait de mentalité typiquement
germanique…
5
que la collectivité veut bien lui reconnaître. D'où le terrible slogan nazi : " Du bist nichts, aber dein
Volk ist alles ! "
2. Pour les fascistes, le libéralisme politique a perdu sa fonction historique (réaction à l'absolutisme,
lutte contre le retour de l'Ancien Régime). En effet, le citoyen d'un Etat fasciste n'a aucune raison de
s'opposer à l'Etat, puisque c'est la Nation elle-même qui l'a mis en place et qu'elle tend à s'identifier à
lui. La conscience et la volonté de la Nation (comme celles des individus) s'incarnent dans l'Etat
fasciste.
E. Elitisme.
En dépit de ses prétentions démocratiques et de ses oeuvres sociales, le fascisme n'a pas une philosophie
égalitaire, loin de là. Au contraire, il véhicule une philosophie élitiste, qui appelle une minorité à exercer une
domination implacable sur les autres. Les élites appelées et suscitées par les fascistes n'ont cependant rien à voir
avec les élites traditionnelles fondées sur la naissance, la fortune et l'éducation.
1. Au plan politique, il s'agira d'élites nouvelles, forgées par le parti et imposées à la Nation : des cadres
distingués pour leur efficacité et surtout leur combativité, leur discipline, leur adhésion totale au parti,
leur fidélité inébranlable au chef.
2. Au plan social, il s'agira de privilégier par tous les moyens la race aryenne, la race supérieure, à
commencer par la Nation allemande, et même à l'améliorer en la purifiant de tout ce qui peut
contribuer à l'abâtardir ou l'affaiblir : malades incurables, handicapés mentaux, promiscuités jugées
dangereuses (par-dessus tout avec la race juive).
3. Au plan international, assurer la suprématie de la race aryenne et, au sein de celle-ci, la domination de
son plus beau fleuron, la Nation allemande, dont le destin est d'asservir les races inférieures.
F. Anti-humanisme et anti-christianisme.
Le fascisme, spécialement dans sa version nazie, instaure un nouveau paganisme , formellement
condamné par l’encyclique
Mit brennender Sorge
de Pie XI (14 mars 1937).
L’idéologie refuse toutes les lois divines et humaines et la remplace par une sorte de religion nouvelle,
qui impose une triple vénération :
1. d’une prétendue race , vigoureuse et soi-disant supérieure à toutes les autres dans tous les domaines ;
une sorte de surhomme4 assez fort pour se passer de Dieu, lui tourner le dos, le nier, et s’autoriser, au
nom des seules lois de la Nature (sélection des espèces), à dominer, écraser ou supprimer les autres,
y compris les éléments les plus faibles en son propre sein. Le droit à l'expansion, déjà revendiqué par
les pangermanistes du XIXe siècle pour les peuples de culture supérieure, est une expression de la loi
du plus fort. Voilà une conception étrange, primitive et barbare, de la supériorité, qui donnerait des
droits plutôt que des devoirs. On est aux antipodes du message chrétien !
N.B. Jésus lui-même devait donc appartenir à une race inférieure - à moins qu'on se persuade qu'il
était lui-même aryen !5
2. de l’Etat-Nation , sorte de personne sacrée (
statolâtrie
) et invincible, pangermanique et narcissique,
appelée à se construire pour l’éternité le paradis sur terre, au détriment des peuples réputés inférieurs.
3. du chef charismatique, guide suprême et infaillible, sorte de Père-idole que la Nation s’est choisi et
auquel elle doit, unanime, une fidélité inconditionnelle et sans limite, indépendamment de toute
conscience morale individuelle.
* Conséquences.
A l’instar d’autres époques de grandes créations, l’homme, servi par les prouesses de la technologie et
emporté par les élans de la science, se persuade de remplir une mission historique qui ouvre une ère
entièrement nouvelle pleine de grandeur et de réalisations inouïes, et se laisse aller à l’ivresse de la
mégalomanie , rien ne semblant pouvoir l’arrêter (cf. le projet d’une reconstruction de Berlin sur une
échelle gigantesque par l’architecte Albert Speer). Or une telle perspective aboutit à faire tomber
l’homme dans une double faute catastrophique :
1) il oublie - plus ou moins consciemment - ou refuse son statut de créature pour poser lui-même
4 Notion mise en avant par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900).
5 Certains auteurs ont été jusque-là, arguant notamment du fait que la Galilée avait à cette époque un peuplement très
hétéroclite.
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