le front national est-il fasciste

LE FRONT NATIONAL EST-IL FASCISTE ?
* la récente (et imprévue) percée du Front national
- créé en 1972 sur décision d'Ordre Nouveau pour tenter d'unifier les extrêmes droites
conservatrice et néo-fasciste;
- se donne une direction relativement "modérée" avec l'ancien député poujadiste Le Pen
qui évincera Ordre Nouveau;
- ne décolle pas avant le milieu des années 80;
- 15% des voix aux présidentielles de 1995, 50.000 membres, 4 mairies;
- et le véritable coup de tonnerre du premier tour des élections présidentielles
d'avril 2002 où Le Pen récolte plus de 17% des suffrages exprimés, devance Jospin et
se retrouve contre Chirac au deuxième tour;
* il est le seul parti d'extrême droite depuis la Libération à avoir une audience de masse,
que n'a pas entamé la scission de 98-99 avec création du MNR de Maigret (2,34 % des
suffrages exprimés aux présidentielles de 2002);
* son programme est populiste (pour attirer un électorat populaire) et xénophobe;
* il est hétérogène et regroupe des courants opposés qui acceptent de se rassembler
autour du leader charismatique
* il est mieux structuré que les autres partis de la droite radicale européenne (Autriche,
Italie, Hollande)
* il envisage très clairement de parvenir au pouvoir par la voie légale;
* peut-on dire qu'il est l'héritier direct du fascisme de Mussolini et /ou du national-
socialisme de Hitler ?
1 - RAPPEL HISTORIQUE
A - en Italie
1- avant la prise du pouvoir
- les milices anti-ouvrières au lendemain de la guerre de 14-18 avec formation
des "fasci" en mars 1919
- la situation révolutionnaire de l'été 1920
- la tactique légaliste et défaitiste des organisations ouvrières
2 - la prise du pouvoir (1922) elle sera parfaitement légale : le roi appelle Mussolini a
"former le ministère" après la fameuse "Marche sur Rome" (octobre 1922) qui n'est
qu'une parade alors que tout est déjà terminé
3 - après la prise du pouvoir
- la tactique légaliste va être progressivement abandonnée
- le masque tombe en 1925 : gouvernement composé exclusivement de fascistes,
répression massive, édification de l'état "totalitaire"
- accords de Latran (fév. 1929) avec le Saint Siège
- axe Rome -Berlin en 1936

B - en Allemagne
1 - avant la prise du pouvoir
- la floraison de ligues anti-ouvrières après l'armistice; parmi elles, le parti national-
socialiste (NSDAP) qui finira par les absorber toutes : Hitler est son chef depuis juillet
1921
- l'éclipsé temporaire du NSDAP après l'échec du putsch de Munich (1923). En prison
Hitler rédige "Mein Kampf"
- le national-socialisme se reconstitue en 1926-1927 avec ses groupes de choc SA puis
SS
- Hitler veut conquérir légalement l'Etat : de 1930 à 1933 les nazis participent (avec
succès) à toutes les élections
2 - la prise du pouvoir
elle se fait très légalement : le 30 janvier 1933, le président Hidenburg prie Hitler de
former le gouvernement
3 - après la prise du pouvoir
en quelques semaines Hitler brûle les étapes que Mussolini avait mis deux ans à
franchir :
- incendie du Reichstag (nuit du 27 au 28 février)
- vote des pleins pouvoirs à Hitler par le Reichstag (23 mars 1933) suivi de l'écrasement
du mouvement ouvrier organisé
- "Nuit des longs couteaux" (30 juin 1934) où Hitler cherche à maîtriser les forces
plébéiennes qu'il a lui-même déchaînées (massacre de la direction des SA et de leur
chef Roehm)
- politique d'expansion puis 2è guerre mondiale
II - NATURE DU FASCISMF.
A-La définition caricaturale stalinienne
"dictature terroriste ouverte des éléments les plus chauvins et les
plus impérialistes du capital financier" a été énoncée au 13è plénum de l'Internationale
communiste en décembrel933 puis reprise à son VIIè Congrès (1935) par Dimitrov, elle
fait du fascisme un simple instrument, une marionnette du capital
B - La description caricaturale de Furet (dans "Le passé d'une illusion")
- le fascisme serait indépendant des intérêts sociaux (comme le
communisme...) et trouverait sa source dans l'idéologie (la haine de la démocratie
libérale) - mais comment une idéologie pourrait-elle être indépendante des
intérêts sociaux ? (rapports entre les classes, entre les états)
C - les relations conflictuelles entre fascisme et patronat
1- au départ ils sont relativement indépendants
2- puis les organisations fascistes deviennent des mouvements de
masse alors que la crise économico-politique s'accentue
3- le patronat louche de plus en plus vers elles pour rétablir l'ordre et
assurer les conditions de l'accumulation du capital
0 dès 1921 en Italie
0 à la fin des années 20 en Allemagne

4- des contradictions ont persisté au sein des couches dirigeantes
(grand capital, propriétaires fonciers, armée) jusqu'à la fin de la 2è guerre mondiale
quant à leurs rapports avec le régime.
III - SES TROUPES
"plébéiennes"
* avant tout les classes moyennes (essentiellement urbaines mais aussi
partiellement rurales)
* les anciens combattants
* le "lumpen prolétariat" (les déclassés) mais également des ouvriers
(surtout jeunes et chômeurs)
* quant aux chefs fascistes ou nazis ce sont principalement des petits -
bourgeois à l'image de Hitler ou de Mussolini (parvenus, méprisant les bourgeois qui les
subventionnent...)
IV - SON IDEOLOGIE
le fascisme offre à ses troupes une mystique et cherche à se
présenter comme une véritable religion
0 culte de l'homme providentiel
° culte de la patrie et nationalisme exacerbé (avec culte de la "race supérieure" pour les
nazis)
° anticapitalisme démagogique
° antisémitisme (moins pour l'Italie où il y a peu de Juifs) et exaltation de la race aryenne
supérieure (surtout par les nazis)
" étatisme "corporatiste"
V - LES ORGANISATIONS OUVRIERES DEVANT LE FASCISME
jusqu'à la dernière minute les chefs ouvriers se sont refusés à envisager
la possibilité d'une victoire fasciste :
* devant la marche vers le pouvoir des fascistes et des nazis les
organisation ouvrières n'opposent que le légalisme ("il ne faut pas emprunter ses armes
au fascisme") et l'aveuglement
* jusqu'à l'avènement de Hitler, les communistes considèrent la social-
démocratie comme la soeur jumelle du fascisme (les "sociaux-fascistes") et refusent tout
front unique * dès 1931 Trotski avait dénoncé cette politique suicidaire dans des écrits
véritablement prophétiques
* seule une politique révolutionnaire appelant les masses à faire front de
façon unitaire et à renverser la bourgeoisie dont l'aile la plus puissante finançait les
fascistes, aurait pu sauver la situation
VI - QU'EN EST-IL DU FRONT NATIONAL ?
A - Son idéologie véritable salmigondis car le FN est un parti hétérogène qui
rassemble des courants antagonistes issus de la droite conservatrice traditionnelle et de

la droite néo-fasciste (dite "nationaliste-révolutionnaire). Ils se retrouvent cependant,
autour de quelques thèmes majeurs :
1 - nationalisme et populisme
2 - racisme et xénophobie
3 - autoritarisme
4 - mise en avant d'un leader "charismatique"
B - Son programme
s'est récemment rénové pour mieux profiter de la crise économique et sociale
* préférence nationale pour l'emploi, le logement, les retraites et les aides sociales
* retour des immigrés chez eux, ce qui réglera le problème du chômage et de la
sécurité
* augmentation du SMIC et des bas salaires (pour se rallier l'électoral populaire) et
parallèlement suppression de l'impôt sur le revenu et des droits de succession (pour
séduire la bourgeoisie...)
* pour un "nouveau" protectionisme, contre l'Europe de Maastrich
* en cas de victoire, retour a la tradition plébiscitaire de l'extrême droite (un par an sur
les grands sujets politiques)
C - Ses troupes * est devenu le premier parti ouvrier de France (30% des votes
ouvriers, 20% des employés, 25% des chômeurs, 18% des 18-3 4 ans)
* cherche à s'implanter à la base (cercles, syndicats, associations
d'entraide, etc ) * ses cadres sont essentiellement petit-bourgeois (commerçants,
artisans, petits chefs d'entreprise ou profession libérale)
D - Son avenir : ??? ° dépend de la façon dont le mouvement ouvrier (que certains
proposent d'appeler aujourd'hui "mouvement social") saura le combattre, en tirant les
leçons des expériences du passé
0 la grande mobilisation antifasciste de l'entre-deux tours
explique la baisse de son pourcentage électoral mais il récolte encore 12% des votants
° le fascisme italien différait du nazisme et le FN diffère des
deux mais ils ont un socle commun idéologique et programmatique et comme eux il peut
un jour devenir une solution acceptable pour certains secteurs de la bourgeoisie
régnante confrontée à une crise insoluble dans le cadre de la démocratie bourgeoise
traditionnelle. Seule la refonte d'un espoir anticapitaliste crédible pourra alors empêcher
toute une partie de la population de se laisser séduire par la démagogie frontiste.
COURTE BIBLIOGRAPHIE
Les deux "classiques" de Daniel Guérin : "La peste brune" et "Fascisme et grand
capital" ( parus en 1936) sont toujours très instructifs - Maspéro

* II faut absolument lire les écrits de Trotski sur le fascisme soit dans le tome III des
Ecrits (1928-1940, la tragédie de la classe ouvrière allemande), soit dans
"Comment vaincre le fascisme"( 1930-1933) - Buchet/Chastel
i
* Signalons l'excellente réplique aux élucubrations de François Furet dans "Une
certaine idée du communisme" de Denis Berger et Henri Maler - Ed. du Félin -
sept. 1996- ( notamment le chapitre III : "Du communisme aux fascismes : les intrigues
des frères jumeaux")
" Nous recommandons également un petit texte lumineux, écrit pendant la guerre, du
théoricien hollandais du "communisme des conseils" Anton Pannekoek: "Démocratie;
Fascisme; National-socialisme" - Acratie, 1998
" En ce qui concerne le Front national, parmi les nombreux livres parus depuis quelques
années nous citerons , outre la lecture régulière de Ras l'Front :
- "L'effet Le Pen" - Dossier présenté et établi par Edwy Plenel et Alain
Rollat - La Découverte/Le Monde - 1984
- Michel Soudais : "Le Front national en face". Flammarion - nov.1996
- 2 superbes petits livres de Jean-Yves Camus tes pédago et très
bon marché (4E) :
- "L'extrême droite aujourd'hui". Les essentiels - Milan - 1997
- " Le Front National". Les essentiels - Milan - 1998