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10 POEMES Far-niente
A une passante
Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine,
Longue, mince, en grand deuil, douleur
nage,
majestueuse,
J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Loin des chemins poudreux, à demeurer assis
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;
Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse,
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe,
Un éclair… puis la nuit! - Fugitive beauté
Le puceron qui grimpe et se pende au brin d’herbe,
Dont le regard m’a fait soudainement renaître,
La chenille traînant ses anneaux veloutés,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?
La limace baveuse aux sillons argentés,
Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole.
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ensuite je regarde, amusement frivole,
O toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais!
La lumière brisant dans chacun de mes cils,
Palissade opposée à ses rayons subtils,
Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte
En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ;
Et lorsque je suis las je me laisse endormir,
Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir,
Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette,
Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.
Théophile Gautier, Premières Poésies
Charles Baudelaire
Le foyer, la lueur étroite de la lampe
Marine
Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;
L’Océan sonore
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Palpite sous l’oeil
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;
De la lune en deuil
L’heure du thé fumant et des livres fermés ;
Et palpite encore,
La douceur de sentir la fin de la soirée ;
Tandis qu’un éclair
La fatigue charmante et l’attente adorée ;
Brutal et sinistre
De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,
Fend le ciel de bistre
Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit
D’un long zigzag clair,
Sans relâche, à travers toutes remises vaines,
Et que chaque lame,
Impatient mes mois, furieux des semaines !
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Paul Verlaine, La bonne chanson
Va, vient, luit et clame,
Et qu’au firmament,
Où l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.
Paul Verlaine, Poèmes saturniens
Promenade sentimentale
Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et les nénuphars, parmi les roseaux,
Les grands nénuphars sur les calmes eaux.
Paul Verlaine, Poèmes saturniens
L’Etranger
— Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?
— Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
— Tes amis ?
— Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
— Ta patrie ?
— J’ignore sous quelle latitude elle est située.
— La beauté ?
— Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
— L’or ?
— Je le hais comme vous haïssez Dieu.
— Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
— J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… les merveilleux nuages !
Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869
Les feuilles mortes
Je suis comme je suis
Oh, je voudrais tant que tu te souviennes,
Des jours heureux quand nous étions amis,
Dans ce temps là, la vie était plus belle,
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Tu vois je n'ai pas oublié.
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle,
Les souvenirs et les regrets aussi,
Et le vent du nord les emporte,
Dans la nuit froide de l'oubli.
Tu vois, je n'ai pas oublié,
La chanson que tu me chantais...
C'est une chanson, qui nous ressemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis.
Nous vivions, tous les deux ensemble,
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais.
Et la vie sépare ceux qui s'aiment,
Tout doucement, sans faire de bruit.
Et la mer efface sur le sable,
Les pas des amants désunis..
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Quand j'ai envie de rire
Oui je ris aux éclats
J'aime celui qui m'aime
Est-ce ma faute à moi
Si ce n'est pas le même
Que j'aime chaque fois
Je suis faite comme ça
Que voulez-vous de plus
Que voulez-vous de moi
Jacques Prévert
Je suis faite pour plaire
Et n'y puis rien changer
Mes talons sont trop hauts
Ma taille trop cambrée
Mes seins beaucoup trops durs
Et mes yeux trop cernés
Et puis après
Qu'est-ce que ça peut vous faire
Je suis comme je suis
Je plais à qui je plais
Qu'est-ce que ça peut vous faire
Ce qui m'est arrivé
Oui j'ai aimé quelqu'un
Qui quelqu'un m'a aimée
Comme les enfants qui s'aiment
Simplement savent aimer
Aimer aimer
Pourquoi me questionner
Je suis là pour vous plaire
Et n'y puis rien changer
Jacques Prévert
Alicante
Sables mouvants
Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie. .
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Démons et merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s'est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.
Jacques Prévert
Jacques Prévert
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