Effets de synergie et primes versées. Étude de cas

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HEC MONTREAL Effets de synergie et primes versées. Étude de cas de regroupement d’entreprises dans le secteur brassicole. Par Quentin Moline M.Sc Finance Thèse soumise dans le cadre de l’obtention de la Maîtrise ès sciences de la gestion (M. Sc.) © Quentin Moline, 2013 ii Sommaire Ce mémoire porte sur l’étude de regroupements d’entreprises dans le secteur brassicole. C’est un secteur très peu couvert et qui a connu une forte consolidation ces dernières années. Nous nous concentrons plus spécifiquement sur la performance opérationnelle des entreprises et sur la capacité des gestionnaires à extraire des effets de synergie. Il constitue en effet le principal argument pour justifier les transactions de fusion et acquisition. Nous nous somme lancé dans une analyse de cas qui nous permet une approche plus spécifique et plus détaillée basée sur des mesures opérationnelles plus approfondies. Nous espérons par là arriver à réduire le biais amené par l’utilisation de bases de données et de ratios dont les contenus ne sont pas contrôlables ; les mêmes rubriques et ratios pouvant recouvrir des calculs différents d’une entreprise à l’autre sans que les organismes qui publient les bases de données ne puissent en tenir compte. Nous basons nos mesures d’analyse opérationnelle sur le modèle de Healy Palepu et Ruback (1992) raffiné par Ghosh (2001) et Powell et Stark (2003). Nous présentons différents modèles reprenant des mesures purement comptables et des mesures hybrides reprenant également des mesures de marché. Pour limiter l’effet macro-­‐économique et sectoriel, nous comparons nos résultats à un étalon de mesure composé d’autres entreprises brassicoles. Nous confronterons finalement les primes versées lors des regroupements aux réalisations en termes d’effets de synergie (ex-­‐post). Mots clés : Fusion et acquisition, étude de cas, secteur brassicole, performance opérationnelle, prime, effet de synergie. iii Table des matières
Sommaire………………………………………………………………….…..ii
Liste des tableaux et des graphiques………………………………………...v
Remerciements………………………………………………………………vi
I. Introduction ……………………………………………………………………….7
II. Mise en contexte…..…………………………………………………………..…11
1. Les Fusions & Acquisitions………..….………………………….…………...11
1.1 Typologie des Fusions & Acquisitions……….……………….…………...11
1.2 Motifs rationnels et irrationnels entourant les Fusions & Acquistions…….12
2. Evaluation des effets de synergie et de la performance post-acquisition…...…15
2.1 Les effets des synergie.………………………………………………..…..15
2.2 L’évaluation des effets de synergie et de la valeur de la cible…………….17
3. Les Fusions & Acquisitions dans le secteur brassicole...…………………...…18
III. Recension de textes……………………………………………………………..20
1. Performance Boursière « anormale »...…………………………...…………...20
2. Performance d’exploitation………………… ;..…………………...............….23
2.1. Mesure de performance avant ajustement pour l’industrie ……...……...23
2.2. Rendement des flux de trésorerie opérationnels après ajustement
pour l’industrie...………………………………………………………...28
2.3. Autres résultats empiriques…... …………………………………..…....30
IV. Méthodologie...…………..………………………………………………...…....32
1. Stratégie de recherche…………..………………………………….…..…….32
2. Mesure de performance opérationnelle...……………………...………..……33
3. Ajustement pour l’industrie...………………………………………….…..…36
4. Analyse du partage des gains de synergie.…………………………….…..…37
V. Analyse de cas ..…………………………………………………………..……...40
1. Acquisition de Anheuser Busch par Inbev...………………………….…………...40
1.1 Présentations des entreprises et de l’acquisition……...……….…………...40
1.2 Analyse de la performance opérationnelle avant ajustement pour
l’industrie……………………. ……………………………………………43
iv 1.3 Analyse de la performance opérationnelle après ajustement pour
l’industrie……………………. ……………………………………………49
1.4 Effets de synergie et justification de l’acquisition…...……….…………...54
1.5 Conclusion……………………………………….…...……….…………...59
2. Regroupement de Molson et Coors…...…...………………………….…………...62
2.1 Présentations des entreprises et de l’acquisition……...……….…………...62
2.2 Analyse de la performance opérationnelle avant ajustement pour
l’industrie……………………. ……………………………………………64
2.3 Analyse de la performance opérationnelle après ajustement pour
l’industrie……………………. ……………………………………………70
2.4 Effets de synergie et justification de l’acquisition.…...……….…………...74
2.5 Conclusion……………………………………….…...……….…………...79
VI. Conclusion ...……………………………………………………………..……...82
VII. Bibliographie .…………………………………………………………..……...85
VIII. Annexes...…………………………………………………..…………..……...89
v Liste des tableaux et des graphiques
Graphe 1 : Mesure de performance n°1.……………….………………..…………....45
Graphe 2 : Mesure de performance n°2.……………….………………..…………....46
Graphe 3 : Mesure de performance n°3.……………….………………..…………....47
Graphe 4 : Mesure de performance n°1.……………….………………..…………....50
Graphe 5 : Mesure de performance n°2.……………….………………..…………....51
Graphe 6 : Mesure de performance n°3.……………….………………..…………....52
Graphe 7 : Mesure de performance n°1.……………….………………..…………....67
Graphe 8 : Mesure de performance n°2.……………….………………..…………....68
Graphe 9 : Mesure de performance n°3.……………….………………..…………....68
Graphe 10 : Mesure de performance n°1.……………….…………..…..…………....71
Graphe 11 : Mesure de performance n°2.……………….…………..…..…………....72
Graphe 12 : Mesure de performance n°3.……………….…………..…..…………....73
vi Remerciements Un mémoire de maîtrise représente un travail de longue haleine qui réclame rigueur et persévérance. La rédaction de ce document n’aurait probablement pas vu le jour sans le soutien d’un ensemble de personnes. Je tiens tout particulièrement à remercier madame Alix Mandron pour avoir accepté de me guider dans la rédaction de ce mémoire. Sa disponibilité et son approche pédagogique m’ont permis d’en faire un réel parcours d’apprentissage. Je tiens également à remercier monsieur Martin Boyer pour sa disponibilité et son accompagnement lors du déroulement de l’atelier de recherche. Finalement, j’exprime ma gratitude à ma famille pour son soutien dans les moments de doute et de difficulté qu’implique l’aboutissement d’un telle maîtrise. 7 I.
INTRODUCTION Malgré la crise économique et plus récemment une légère diminution en 2011, l’activité mondiale des fusions et acquisitions (F&A) n’a jamais montré de réel déclin comme le montre le dernier rapport Mc Kinsey Quarterly (janvier 2012) en nous apprenant que la valeur ajoutée (mesurée en variation totale de la valeur en bourse des actions concernées) par ces transactions reste même équivalente, voire supérieure, au niveau d’avant crise. Et même si ces résultats varient fortement d’une région à l’autre (l’Europe souffrant d’une diminution du volume des transactions de 26%), et sont affectés par une économie mondiale au ralenti, les F&A restent l’un des instruments préférés des gestionnaires pour tenter de créer de la valeur et faire croître leur entreprise. Cette observation se remarque aussi au niveau des primes versées. En effet, elles ont atteint en moyenne 33,5% au 4ème trimestre 2011 (Mergermarket 2011 M&A Round-­‐up), ce qui laisse transparaitre la conviction des managers de pouvoir réaliser des effets de synergie qu’ils pensent créateurs de valeurs. Ces effets de synergie que l’on peut définir comme étant la valeur additionnelle créée par la mise en commun des actifs de deux entreprises (Lees 2003) sont souvent l’élément central mis en avant lors d’opérations de F&A, mais ce terme n’est pas toujours utilisé à bon escient par les gestionnaires. Différents effets de synergie existent. Ils se matérialisent principalement sous la forme d’économies d’échelles de par la réduction du coût par unité produite provenant d’une augmentation de taille ou d’échelle de production (Gaughan 2002) ou par l’élimination de la capacité excédentaire. Ils peuvent cependant reprendre des aspects de partage des connaissances ou d’économie d’apprentissage. L’économie d’envergure, la réduction des frais d’intermédiation ou l’utilisation de capacité inutilisée pour la réalisation de ventes additionnelles constituent aussi des effets de synergie non négligeables (Ficery, Herd & Pursche, 2007). D’autres effets, comme la possibilité d’une meilleure optimisation fiscale sont non seulement rares (nécessité d’une consolidation fiscale réelle) mais difficilement évaluables. En 7 8 ce qui concerne les sociétés cotées en bourse, les primes versées peuvent parfois se justifier par une éventuelle sous-­‐évaluation de la valeur de l’entreprise cible par le marché ou par une gestion insatisfaisante de celle-­‐ci (Ravenscraft & Scherer, 1988). L’accès à de nouveaux segments de marchés et marchés géographiques, l’acquisition de consommateur à un coût potentiellement réduit et tout ce qui a trait à de l’accélération de projet (gain de temps) et au dilemme du « buy vs build » (achat d’une entreprise préétablie ou développement) sont encore d’autres justificatifs des primes versées. C’est donc bien une valeur actuelle nette (VAN) de tous ces effets, supérieure ou égale aux primes, qui justifie réellement une acquisition. Les praticiens comme les universitaires tendent à conclure que les F&A donnent rarement les résultats attendus. C’est surtout le cas quand nous prenons le point de vue des actionnaires des acquéreurs qui n’assistent pas à une bonification de la valeur de leurs avoirs suite au versement de primes trop élevées. Nous allons donc analyser le cas particulier d’une industrie, l’industrie brassicole, pour tenter d’élucider les raisons du succès (ou de l’échec) de ces transactions et plus précisément de comprendre si « la réalisation des effets de synergie annoncés permet d’expliquer l’ampleur des primes versées lors des fusions et acquisitions » dans ce secteur. Nous essayerons par là d’évaluer si ces F&A sont vraiment créatrices de valeur et ne sont pas plutôt la conséquence de trop d’optimisme ou ne débouchent pas sur la non-­‐exécution de tous les effets de synergie réalisables. Nous concentrerons notre analyse sur les effets de la synergie opérationnelle en opposition aux effets dits financiers (Gaughan 2005). Les effets de synergie opérationnels sont en effet plus faciles à évaluer, car ils affectent directement les flux de trésorerie. Nous allons nous pencher exclusivement sur les données comptables et faire abstraction de la performance boursière ; en effet, il est très difficile d’inférer des données boursières les gains économiques réels et leurs sources. Par exemple, les gains sur actions peuvent être attribuables à une sous-­‐évaluation de la valeur de la firme cible avant que ses actions ne fassent l’objet d’une offre (en raison d’une inefficience temporaire de marché dont la rationalité est parfois en défaut). 8 9 Par ailleurs, nous nous lancerons dans une analyse de cas qui permettra nous l’espérons, de jeter un regard neuf sur le sujet en adoptant une approche plus spécifique et plus détaillée basée sur des mesures opérationnelles plus approfondies. Nous espérons par là arriver à réduire le biais amené par l’utilisation de bases de données et de ratios dont le contenu n’est pas contrôlable ; les mêmes rubriques et ratios pouvant recouvrir des calculs différents d’une entreprise à l’autre sans que les organismes qui publient les bases de données puissent en tenir compte. L’augmentation générale du nombre de transactions en F&A est surtout le fruit d’une course à la consolidation et nous assistons à l’émergence d’entreprises dominantes dans de nombreux secteurs d’activité. L’analyse du secteur brassicole nous semble un choix intéressant de par la forte concentration et la multiplication des fusions et acquisitions ces dernières années. C’est aussi une industrie qui se globalise avec toutes les questions de transactions internationales que cela peut comporter. Les primes payées étant relativement élevées nous tenterons donc de comprendre si les spécificités des entreprises du secteur : caractère (quasi)exclusivement horizontal des F&A, homogénéité des produits ou grande échelle de production et de distribution justifient l’ampleur des effets de synergie que les gestionnaires pensent pouvoir extraire. Il est aussi intéressant de noter la solidité du secteur à travers la crise financière et économique que nous vivons actuellement. Faisant partie des secteurs dits défensifs, le secteur brassicole est plus à l’abri des fluctuations et des aléas des cycles économiques. Il devrait donc être plus aisé d’y dissocier les effets directs de la synergie des phénomènes qui affectent toute une industrie. Nous tenterons donc de comparer les primes versées aux réalisations en termes d’effets de synergie (ex-­‐post). Si nous venions à rencontrer des difficultés pour l’évaluation des effets de synergie réalisés (problèmes liés au données à disposition…) nous serions alors forcé d’utiliser et de faire confiance aux chiffres fournis par la direction des entreprises concernées. Nous allons commencer à développer notre mémoire en passant en revue les textes pertinents. Ceci impliquera donc de jeter un regard plus approfondi sur les recherches sur les effets de synergie et la performance opérationnelle 9 10 post-­‐acquisition des entreprises. En nous basant sur cette approche empirique, nous développerons la méthodologie et les critères que nous utiliserons pour notre analyse de cas. Nous pousserons notre analyse en tentant de comparer les effets de synergie annoncés avant la réalisation de l’acquisition avec ceux réellement dégagés après quelques années d’exploitation. Nous tenterons de définir à cet effet une période d’analyse post-­‐acquisition que nous jugerons « raisonnable ». Pour chacune de ces transactions, nous tenterons d’extraire des données comptables pertinentes des rapports annuels et d’ainsi pouvoir nous rendre compte de la justification ou non des primes versées. Pour limiter l’effet macro-­‐économique et sectoriel, nous comparerons nos résultats à un étalon de mesure composé d’autres entreprises brassicoles. Nous comptons ainsi avoir une meilleure idée de la capacité des gestionnaires à formuler des attentes rationnelles. Nous terminerons ensuite notre mémoire par l’analyse et la synthèse de nos résultats pour formuler notre conclusion. 10 11 II.
MISE EN CONTEXTE Nous commencerons notre mise en contexte par une introduction sur les fusions et acquisitions et leurs caractéristiques avant de nous étendre un peu sur leurs motivations. Nous tenterons ensuite de couvrir la recherche existante en matière d’évaluation et de réalisation des effets de synergie et de voir comment ces derniers peuvent justifier une prime d’acquisition. Nous terminerons par un rapide aperçu des particularités liées à l’industrie. 1. Les Fusions & Acquisitions Les stratégies de regroupement des sociétés ont fait l’objet de recherches académiques nombreuses. Les F&A sont en effet l’un des principaux instruments de croissance utilisés par les gestionnaires. Nous assistons à une augmentation de la taille et du volume des transactions, conséquence directe de la consolidation et de l’internationalisation des entreprises (Andrade, Mitchell & Stafford, 2001). 1.1 Typologie des fusions & acquisitions Les études identifient différentes catégories de fusions et acquisitions selon certaines caractéristiques reliées aux activités économiques des entreprises regroupées. Elles peuvent être horizontales, verticales ou de conglomérats (Sirois, 2002). Les F&A horizontales résultent de la combinaison de sociétés opérant dans le même secteur d’activité et qui pour cette raison sont souvent en concurrence directe. Ces sociétés devraient être en mesure d’extraire de plus grands effets de synergie (économies d’échelles surtout) et d’ainsi pouvoir augmenter leur productivité, leur marge bénéficiaire et donc la position compétitive de l’entreprise. Les F&A verticales sont le fruit de regroupements d’entreprises dont les activités opérationnelles se retrouvent à différents niveaux de la chaine de production, de distribution ou de service, entre fournisseur et client par exemple. Elles se justifient surtout par une diminution des coûts de transaction, mais cette diminution est difficilement évaluable. Les conglomérats, finalement, regroupent des entreprises aux secteurs d’activités sans liens apparents. Ils sont le résultat d’une volonté de diversification des risques supportés par les actionnaires (motif largement 11 12 rejeté à l’heure actuelle) ou d’une volonté de faire face au déclin des activités existantes. Le choix de l’une ou l’autre stratégie est influencé par de nombreux facteurs, qu’ils soient économiques, conjoncturels, législatifs ou technologiques. 1.2 Motifs rationnels et irrationnels entourant les fusions et acquisitions De nombreux arguments ont été mis en avant pour tenter d’expliquer ce qui semble souvent être une décision « difficile ». Les différents motifs vont la réduction de coûts et de l’expansion à de nouveaux marchés géographiques ou de segments de consommateurs (moyen de croître plus rapidement), au désir de contrecarrer la concurrence. Les études identifient quatre classes principales de motifs derrière une acquisition (Handbook of Corporate Finance 2011). Les effets de synergie et assimilés (réduction de coût, « make or buy»…) tout d’abord, lesquels contribuent à l’amélioration de la position compétitive de l’entreprise ; viennent ensuite la croyance en une meilleure gestion par l’arrivée de nouvelles méthodes ou d’une nouvelle équipe dirigeante, et la conviction que les actions de la cible sont sous-­‐évaluées en raison d’une inefficience temporaire des marchés financiers et finalement ; finalement, on répertorie aussi des motifs, considérés comme irrationnels, directement liés aux comportements des gestionnaires et aux conflits d’agences avec les actionnaires, comme « l’Empire Building »1, l’hubris2 ou la peur d’être soi-­‐même la cible d’une acquisition. Ces motivations entraînent bien trop souvent les actionnaires à prendre des risques et payer des primes trop élevées qui ne correspondent pas à l’objectif de maximisation de richesse qu’ils appètent. Les résultats souvent décevants des fusions et acquisitions soulèvent donc de nombreuses interrogations sur les véritables raisons qui incitent/encouragent les entreprises à se lancer dans de telles activités si elles ne semblent pas être véritablement créatrices de valeur. 1 Tentative d’augmentation de la taille ou de l’influence d’une organisation par les gestionnaires dans le seul but d’augmenter le pouvoir qu’ils détiennent. 2 Orgueil démesuré qui peut mener à une surestimation des synergies et des capacités du gestionnaire. 12 13 1.2.1 Contrecarrer la concurrence, un motif à priori rationnel, mais associé à des externalités Dans certaines industries, surtout celles où il existe de la capacité de production excédentaire, il peut sembler important de faire partie des meneurs, ou d’être le meneur, en d’autres termes de disposer d’un « pouvoir de marché » ou de contrôle/fixation des prix. Dans ce contexte, le désir de réaliser un regroupement pour empêcher un concurrent d’acquérir la cible peut paraître rationnel, même si le regroupement ne s’accompagne d’aucune réduction nette de coûts : il pourrait être moins désavantageux d’être le meneur que le mené. En quelque sorte, il s’agirait de choisir ce qui est le moins défavorable. C’est ce que rappellent Fridolfsson et Stennek (2000). Mais ces derniers soulèvent aussi toute la question de l’influence réelle des externalités sur la rentabilité des entreprises du secteur et, par ricochet, le problème d’un étalon de comparaison de performance d’exploitation. En effet, les entreprises en concurrence directe avec l’acquéreur et sa cible peuvent se voir affectées négativement ou positivement dans leur rentabilité par une réorganisation du « pouvoir de marché » (Fridolfsson & Stennek, 2000). Une augmentation du pouvoir de fixation de prix de l’acquéreur peut par exemple pousser celui-­‐ci à augmenter ses prix, ce qui bénéficierait à ses concurrents ; s’il les baisse à la faveur d’économies de coûts substantielles, ses concurrents pourraient augmenter leur propre production pour compenser l’effet, etc. L’effet net sur le nouveau groupe et ses concurrents variera d’une situation à l’autre et n’est pas facile à prédire ; mais si l’on en croit le raisonnement de Fridolfsson et Stennek, il est dangereux de comparer la performance d’exploitation du groupe et celle de l’industrie comme si elles étaient indépendantes. Il faut noter que la peur de devenir « mené » ou « left behind » n’est pas toujours une justification rationnelle. Quand une industrie est en phase de consolidation et que la peur d’être laissé derrière prend corps, le « bandwagon effect » pousse certaines entreprises à se lancer dans des activités de F&A (Stanovich, 1998). Pour citer Steger et Kummer (2007, p.5) « promoters of M&As come up with alleged opportunities and the motive to 13 14 buy companies in order to prevent competitors from doing so is always difficult to evaluate ». La propension des F&A à se former par vague en suivant les cycles économiques, politiques et réglementaires ou les avancées technologiques (Martynova & Renneboog 2008) peut dans le même ordre d’idée laisser transparaitre un certain mimétisme (justifié ou non) entre les acteurs d’un même secteur, d’où la difficulté de prendre l’industrie comme étalon du nouveau groupe. 1.2.2 L’existence de flux de trésoreries discrétionnaires : une motivation peu rationnelle Certaines entreprises se lancent dans des acquisitions lorsqu’elles jugent avoir épuisé leurs options de croissance interne. C’est le cas d’entreprise ayant atteint un niveau de maturité élevé et dont les gestionnaires préfèrent élargir leur pouvoir (« empire building ») plutôt que d’augmenter les paiements aux actionnaires en leur versant les flux de trésoreries discrétionnaires. Jensen (1986) est le premier à avoir souligné cette possibilité de motif « irrationnel » ; il a été repris par de nombreux auteurs, dont Moeller & al, 2004. 1.2.3 Une meilleure efficacité de l’exploitation : un motif rationnel La justification d’une transaction par les effets de synergie implique une valeur supérieure de la combinaison des entités acquéreuse et cible par rapport à leur évaluation en tant qu’entités séparées (Seth, Song & Pettit, 2000). Elle dénote la croyance des managers en leur capacité à évaluer de manière plus ou moins précise la valeur de l’augmentation de la performance à extraire de cette combinaison. Même si la majorité des gains (nets) faisant suite aux opérations de F&A s’explique par la réalisation d’effets de synergie (Seth et al., 2000), une grande partie des gestionnaires surévalue ces derniers ou n’arrive pas à pleinement dégager le potentiel qui y est associé. Il semble clair que les activités de F&A sont très complexes et impliquent de très nombreuses incertitudes. Il est difficile de tirer une conclusion générale sur leurs effets créateurs ou destructeurs de valeur. Elles devraient cependant être rationnellement évaluées sur la base de critères similaires à ceux que l’on 14 15 applique aux autres formes d’investissement ayant pour but l’augmentation de la valeur de la firme ; on devrait ainsi appliquer la méthode de la valeur actuelle nette (VAN) (Handbook of Corporate Finance 2011). Nous reviendrons en détail sur les effets de synergie dans la prochaine section. 1.2.4 L’accélération de la croissance, un motif potentiellement rationnel L’augmentation de la croissance ou de la rentabilité (dans des marchés nouveaux ou existants) fait référence au fameux dilemme du « make or buy » avec la décision de l’achat d’actifs existants ; par exemple, on peut décider d’acheter un réseau de distribution déjà développé plutôt que de le mettre sur pied soi-­‐même. Trois déterminants entrent ici en jeu, les ressources dont dispose l’acquéreur, les ressources dont dispose la cible et le risque pouvant être associé aux marchés internationaux (Cheng, 2006). Ce motif est rationnel si l’acquisition offre une VAN positive ou nulle, en tout cas supérieure à celle de la solution « construire ». 2. Evaluation des effets de synergie et de la performance post-­‐
acquisition 2.1 Les effets de synergie Comme il a été souligné précédemment, les firmes et leurs gestionnaires tentent souvent de justifier certains de leurs investissements et plus spécifiquement leurs activités de F&A par l’argument des effets de synergie permis par leur fonctionnement en tant qu’entité combinée (Lubatkin, 1983). La synergie génère de la valeur qui n’aurait donc pas été créée si les sociétés étaient restées indépendantes. Nous pouvons classifier ces effets en deux catégories. Les synergies dites opérationnelles d’un côté ; comme leur nom l’indique, elles affectent directement le fonctionnement de l’entreprise et ses résultats d’exploitation et incluent des éléments comme les économies d’échelle ou l’amélioration de la position de marché. Les synergies financières d’un autre côté, dont l’influence directe est plus difficile à quantifier (Damodaran, 2005) et dont l’existence est parfois mise en doute (Sadtler, 2008). 15 16 Les études en F&A identifient trois types de synergie opérationnelle. A. Les économies d’échelles qui permettent à l’entité combinée d’avoir un meilleur rapport coût/efficacité et d’être plus profitable. C’est le type d’effet de synergie le plus usité lors de F&A horizontales, c’est-­‐à-­‐dire entre firmes opérant dans le même domaine d’activité. Nous reviendrons sur ce type de F&A dans la prochaine section. B. Les économies d’envergure qui entrainent, pour des produits ou services différents, une réduction du coût par unité produite ; pour qu’elles se matérialisent, les différents produits doivent avoir une ou des caractéristique(s) communes (territoire, clientèle…). L’envoi de marchandises de manière groupée pourrait par exemple avoir pour conséquence de réduire les coûts de transports unitaires (Gimeno et Woo, 1999). Ces économies regroupent aussi l’association de produits ou la meilleure utilisation d’actifs ou de différents savoir-­‐faire comme par la réunion d’une ligne de produits et d’un réseau de distribution performant par exemple. C. Un plus grand pouvoir de marché induit par l’addition de la part de marché (des entreprises cible et acquéreuse) et une réduction de la concurrence; cette dernière peut induire une augmentation de la marge bénéficiaire, de par l’augmentation du pouvoir de fixation de prix. L’entreprise combinée peut en effet profiter d’augmenter son prix tout en en limitant l’effet de diminution des ventes entraîné par la hausse du prix. Il faudra que l’augmentation de la marge bénéficiaire soit suffisante pour compenser cet effet. Cette stratégie est spécialement efficace dans les secteurs faisant face à relativement peu de concurrence (Gugler et al., 2003). Les synergies opérationnelles affectent les revenus, les marges et la croissance et donc par cela la valeur des firmes impliquées dans la fusion ou l’acquisition. Nous ne nous attarderons pas sur les synergies financières qui comme nous l’avons souligné précédemment sont plus difficiles à évaluer. Leur impact réel sur la rentabilité de l’entreprise est de plus sujet à une vive 16 17 controverse. 2.2 L‘évaluation des effets de synergie et de la valeur de la cible L’augmentation de valeur générée par la combinaison de deux entités constitue l’argument premier qui permet à l’acquéreur de justifier les primes parfois très élevées qui peuvent être versées. Mais les études empiriques des F&A attestent de la difficulté de l’évaluation préalable de ces synergies et, ou de l’optimisme excessif des gestionnaires. Pour justifier le versement d’une prime, les entreprises doivent pouvoir justifier d’une valeur d’acquisition nette plus élevée que les dépenses liées au processus d’acquisition (Gaughan 2005). Le succès d’une fusion ou acquisition pour une entreprise A (pour « acquéreur ») et une entreprise C (pour « cible ») se combinant pour devenir l’entreprise G (pour « groupe ») pourrait donc se définir comme suit : V(g) >= P(c) + V (a) avec P(c) = V(c) + Pr + CT Et V(g) = V(a) + V(c) + V(syn) Avec V(g) pour valeur de G, V(syn) pour la valeur des effets de synergie, P pour prix, Pr pour prime et CT pour coûts de transactions. De la valeur peut donc être extraite d’une fusion quand le gain est supérieur aux coûts de transaction et d’intégration. Ces derniers peuvent comprendre les frais légaux, de souscription, de conseils, de publication, etc. Comme cela semble assez évident, les actionnaires de l’entreprise C (cible) ne vendront ou n’échangeront pas leurs parts s’ils ne sont pas capables de réaliser un gain par rapport à la valeur de marché « en l’état ». Le paiement de la prime peut donc (si les flux de trésorerie futurs ont bien été évalués) s’interpréter comme un partage des gains de synergie entre l’entreprise acquéreuse et l’entreprise cible (Handbook of corporate finance, 2011). Certaines approches théoriques vont même plus loin en avançant l’idée d’un partage juste des gains synergétiques entre les deux parties prenantes, lequel incorporerait la valeur temps de l’argent ainsi que le risque de l’acquéreur de ne pas pouvoir pleinement concrétiser ses attentes (Lenz, 2008). 17 18 Les objectifs en termes d’effets de synergie associés au regroupement semblent rarement atteints et il y aurait peut-­‐être un biais au niveau des attentes en termes de rapidité et de succès dans la réalisation des effets de synergie imaginés. Une grande partie des avantages attendus seraient des avantages dits « stratégiques » qui doivent se réaliser sur le long terme (Steger et Kummer, 2007). L’évaluation de ces derniers semble difficile au vu des nombreux obstacles qui peuvent jalonner le parcours d’intégration de la cible, intégration qui n’est parfois jamais menée à son terme. Si les effets de synergie sont bien l’élément créateur de valeur lors des acquisitions, ils devraient alors se refléter dans une amélioration de la performance opérationnelle post-­‐acquisition (Switzer 1996). De nombreuses transactions peinent à justifier a posteriori les primes versées et à réellement accomplir tous les avantages mis initialement en avant pour les légitimer. Certains échecs sont clairement le résultat de la surévaluation des cibles. Mais d’autres semblent plutôt attribuables à une mauvaise compréhension de ce que sont vraiment les effets de synergie ou de comment les extraire. 3. Les F&A dans le secteur brassicole Les F&A dans le secteur brassicole semblent suivre la tendance mondiale généralisée d’une toujours plus grande mondialisation de l’activité économique. La consolidation accélérée en cours depuis le début des années 90 a fait passer le secteur d’une industrie locale et très fragmentée, à un marché désormais global dominé par les acquisitions internationales. Face à la diminution des volumes de vente dans les pays développés, de nombreux gros acteurs du secteur se sont tournés vers les marchés en développement pour tenter d’y trouver des relais de croissance (Ebneth & Theuvsen, 2007). Des acquisitions toujours plus spectaculaires attestent bien de l’importance pour les gestionnaires de ces firmes d’atteindre une taille (qu’ils jugent) critique. Les études portant sur le secteur brassicole sont assez rares, la majorité des études sectorielles en F&A traitant en effet de l’industrie bancaire et financière. A la différence du résultat de nombreuses industries, Ebneth et 18 19 Theuvsen dans leur « analyse d’évènements » de 2007, ne relèvent pas de résultat globalement négatif pour l’industrie brassicole. La création de valeur semble pour ces auteurs surtout s’expliquer par les économies d’échelle, la combinaison de ressources (complémentaires) comme par l’union d’un réseau de distribution étendu et d’une image de marque forte et l’augmentation du pouvoir de fixation du prix. Même si l’augmentation de l’efficacité et de la rentabilité subséquente aux F&A semble incertaine, ces transactions paraissent être le moyen le plus rapide et le plus efficace pour accéder aux marchés émergents et en même temps être mieux préparé à faire face aux compétiteurs déjà présents (Bleakley et al. 2004). L’analyse de Gugler et Mueller en 2003 sur les consolidations semble indiquer que l’augmentation de la rentabilité des entreprises est souvent couplée à une baisse de part de marché, ce qui semble être le résultat d’une hausse de prix. Il est en effet plus difficile de faire croître, voire maintenir sa part de marché quand on atteint une certaine taille et il peut donc être judicieux de vouloir améliorer sa rentabilité au détriment de sa part de marché. La forte consolidation du secteur brassicole a, à cet égard, permis aux majors du secteur d’utiliser l’augmentation de leur pouvoir de marché (réseau de distribution principalement) pour augmenter leur marge bénéficiaire par des augmentations de prix tout en en limitant l’effet sur leur part de marché. Les effets de synergie dans le secteur brassicole sont aussi plus facilement identifiables. En effet, le caractère quasi exclusivement horizontal des F&A semble rendre plus aisé l’examen du potentiel des synergies opérationnelles, les synergies intersectorielles se limitant souvent à être de types financier ou administratif (Tuch & O’Sullivan, 2007). Les industries avec peu de réglementation, comme l’est celle de la bière, sont aussi plus susceptibles d’entrer dans des processus de F&A (Kiymaz & Baker 2008). Il est finalement important de relever l’importance de l’influence et de l’interdépendance sectorielle, les acteurs d’une industrie pouvant par leurs actions influencer d’autres acteurs à se lancer dans des acquisitions et donc à s’engager dans une certaine forme de mimétisme (Gimeno et al 2005). 19 20 III.
RECENSION DE TEXTES SUR LA PERFORMANCE DES FUSIONS & ACQUISITIONS ET LEURS IMPLICATIONS AU SUJET DES EFFETS DE SYNERGIE Les études empiriques sur les fusions et acquisitions distinguent deux types de recherches, celles basées sur la performance boursière « anormale » et celles basées sur la performance d’exploitation. 1. Performance boursière « anormale » La performance boursière anormale, ou excédentaire est à entendre ici comme mesure anticipée des avantages à extraire du processus d’acquisition. Ce courant de recherche base son fondement sur l’efficience et la rationalité des marchés. Dans un marché efficient, les prix de marché doivent pleinement refléter l’information disponible (Fama, 1970). L’hypothèse d’efficience du marché bien qu’imparfaite semble relativement acceptée. En revanche, la rationalité des marchés a été mise en doute plus d’une fois. Comment en effet, expliquer l’existence de bulles spéculatives, sans remise en cause de la rationalité du marché et donc de celle des investisseurs. Les études d’évènements se basant sur les effets de richesse à court terme entourant l’annonce sont le type d’étude le plus commun (Martynova & Renneboog, 2008). Elles ont pour but d’isoler l’impact d’un évènement particulier sur les valorisations de marché. Elles tentent pour cela de calculer les rendements anormaux3 provoqués par ce dit événement dans une fenêtre de temps réduite (quelques jours) autour de la date d’annonce de l’acquisition. Elles se basent donc uniquement sur les anticipations des investisseurs du marché boursier qui évaluent l’existence d’effets de synergie de manière prospective et le partage qui en est fait entre entreprises acquéreuse et entreprise cible. Un exemple de ce type d’étude est celle réalisée par Moeller, Schlingemann et Stulz en 2004 traitant de l’influence de la taille des entreprises acquéreuses sur la performance boursière (Moeller & al, 2004). 3 Les rendements anormaux reflètent des rentes économiques futures inattendues avant l’émergence de ces transactions (Andrade, 2001). 20 21 Ces auteurs examinent un échantillon 12.023 acquisitions d’entreprises cotées entre 1980 et 2001. Ils y estiment les rendements anormaux sur une fenêtre d’évènement de trois jours (le jour de l’événement, une journée avant et une journée après) en utilisant un étalon de mesure de rendements équipondéré. Moeller et al. trouvent des rendements anormaux équipondérés significatifs de 1.10%. Les actionnaires de l’acquéreur bénéficient donc en moyenne de ces acquisitions. L’impact économique d’un rendement anormal est cependant très différent quand il est réalisé par une grande entreprise. C’est la raison pour laquelle ils estiment le rendement anomal des sociétés acquéreuses en dollars. Pour ce faire, ils multiplient le rendement en pourcentage par la capitalisation boursière de chaque acquéreur. Ils trouvent un rendement anormal moyen négatif de 25.2 millions de dollar (de 2001). Dans leur échantillon, les rendements anormaux équipondérés en pourcentages et les rendements en dollars médians ou moyens sont donc de signes opposés. Ceci révèle un effet de taille, en ce sens que ce sont les gros acquéreurs qui auraient en général d’importants rendements négatifs en dollars. Dans la même lignée, Le rendement moyen anormal pondéré en valeurs de capitalisation est négatif de 1.18%. Quand ils divisent leur échantillon en petites et grandes entreprises, ils constatent un rendement anormal pondéré selon les valeurs, négatif (-­‐1.25%) pour les grandes entreprises et positif (+1.27%) pour les petites. Ils tentent donc de comprendre si les caractéristiques propres aux grandes et petites entreprises permettent d’expliquer ces différences. Ils constatent tout d‘abord des acquisitions plus importantes pour les petites entreprises par rapport à leur taille. Les acquisitions en numéraire sont aussi plus fréquentes pour les petites entreprises. Finalement, les grandes entreprises se lancent plus souvent dans des acquisitions dites hostiles pour lesquelles les rendements anormaux sont inférieurs. Les auteurs analysent ensuite les caractéristiques des entreprises cibles. Les acquisitions d’entreprises et cotées génèrent pour les acquéreurs des rendements anormaux inférieurs à ceux des acquisitions d’entreprises non cotées, eux-­‐mêmes inférieurs aux rendements anormaux des acquisitions de filiales. Les acquisitions d’entreprises cotées génèrent des rendements 21 22 anormaux négatifs pour les grandes entreprises et positifs pour les petites entreprises sauf quand elles sont financées par actions. Il n’y a aussi pas d’indication d’un renversement de l’effet de taille au fil du temps. En ce qui concerne les primes versées, les grandes entreprises sont plus « généreuses » et entrent parfois (contrairement aux petites entreprises) dans des acquisitions avec « gains de synergies en dollar négatifs ». En d’autres termes, l’entreprise combinée a une valeur inférieure aux entreprises quand elles évoluaient séparément. Moeller et al. expliquent ce résultat par l’hubris (l’orgueil) des gestionnaires qui joue un rôle plus important dans les décisions des grandes entreprises. Ce type d’étude ne permet pas d’identifier la nature et la taille des effets de synergie (à proprement parlé) mais il donne une idée de la réaction du marché aux effets annoncés. Comme souligné par plusieurs auteurs, dont Andrade et al. (2004), le marché semble indiquer que, s’il y a effets de synergie, ce sont les actionnaires de la cible qui en bénéficient à travers les primes payées, de l’ordre de 30-­‐35% en moyenne. Quant aux actionnaires de l’acquéreur, les gains sont très limités, autour de 1-­‐2% en moyenne et dépendent beaucoup des caractéristiques des transactions analysées (Martynova et Renneboog, 2008). Comme Sirower (1996) le souligne assez justement dans son analyse comparative des promesses et des échecs de la synergie, « la synergie est souvent promise, mais rarement atteinte ». Les auteurs d’études sur rendements boursiers anormaux à plus long terme (trois à cinq ans généralement) comptent eux pallier le problème des fenêtres d’étude qu’ils jugent trop limitées pour évaluer l’impact réel des acquisitions d’entreprises (Andrade & al., 2001). Ces études entendent donc être plus complètes (que celles basées sur la performance à court terme) en évaluant la mise en place des effets de synergie de manière contemporaine en ne se basant plus uniquement sur les anticipations des investisseurs (Betzer et Goergen, 2009). Elles sont cependant critiquées pour leurs imprécisions de par la difficulté de déterminer le caractère significatif de l’anormalité de rendements sur une période de temps aussi étendue. En effet, vu la multitude d’évènements et d’influences sur le cours d’une entreprise cotée, il est difficile de pouvoir évaluer de manière statistiquement significative l’effet réel induit 22 23 par l’événement « acquisition » sur une telle période de temps. De plus, de nombreuses études à long terme supposent des rendements indépendants entre eux malgré la présence de corrélations croisées évidentes entre évènements, en particulier avec ceux impliquant les autres membres d’une même industrie. Le rendement excédentaire à long terme est donc difficile à mesurer de manière précise (Andrade & al, 2001). Les études portant sur la performance boursière semblent donc incapables d’évaluer et de distinguer les gains synergétiques de par le caractère à la fois brut et « anticipatif » des mesures utilisées (rendements boursiers). Les études sur la performance d’exploitation permettraient en revanche par l’utilisation de mesures comptables et à plus long terme d’identifier les sources de gains des acquisitions et de déterminer si les gains annoncés sont réellement réalisés. 2. Performance d’exploitation 2.1 Mesure de performance avant ajustement l’industrie Les études empiriques basées sur la performance d’exploitation sont motivées par le désir de s’abstraire de l’hypothèse d’efficience et de rationalité des marchés financiers. Les gains sur actions peuvent en effet être attribuables à une surévaluation de la valeur de la firme cible suite à une inefficience temporaire de marché (caractère parfois irrationnel) plutôt qu’à une amélioration de la situation de l’entreprise par la mise en place d’effets de synergie. Si les acquisitions génèrent vraiment de la valeur pour les actionnaires, les gains devraient se refléter dans les flux de trésorerie de l’entreprise. Ces études se concentrent généralement sur les mesures comptables traditionnelles de rentabilité comme le rendement de l’actif investi (ROA) ou les marges opérationnelles, ce qui peut poser des problèmes associés aux règles de présentation comptables dont certaines peuvent masquer la situation réelle de l’entreprise ; par ailleurs ces règles permettent des choix qui varient d’une entreprise à l’autre. Il semble préférable de s’abstraire de 23 24 ces règles et de se reposer sur des mesures de flux de trésorerie d’exploitation. C’est la raison pour laquelle nous allons centrer notre recension sur le modèle de Healy Palepu et Ruback (1992) raffiné par Ghosh (2001) et Powell et Stark (2003) ; c’est aussi sur la base de ce modèle que nous établirons notre (propre) méthodologie. Healy et al. définissent leur mesure de performance d’exploitation comme étant les flux de trésoreries opérationnels avant impôt. En fait, ils mesurent plutôt le bénéfice opérationnel avant amortissement (le BAIIA). C’est à dire les ventes combinées, diminuées du coût des biens vendus, des frais de ventes et frais administratifs, les coûts en question étant mesurés avant l’amortissement des immobilisations et avant les charges d’amortissement du goodwill4 (voir annexe 1). Leur variable instrumentale des flux de trésorerie d’exploitation est ensuite divisée par la valeur de marché des actifs (valeur de marché des fonds propres à laquelle on ajoute la valeur comptable de la dette nette5) pour ainsi obtenir une mesure de rendement opérationnel. Ils soustraient de ce dénominateur le changement de valeur des actions sur le marché boursier lorsque l’annonce survient. Par la sorte, ils comptent s’affranchir de la réaction du marché à l’annonce de l’acquisition. Ils continuent néanmoins d’en dépendre par la valeur des actions avant acquisition et la fiabilité de leur mesure repose donc sur l’hypothèse d’efficience du marché. De plus, l’utilisation de valeur de marché comme dénominateur pourrait (malgré l’exclusion des variations boursières autour de la date d’acquisition) biaiser leur ratio ; en effet, les études basées sur la performance boursière remarquent une diminution systématique de la valeur de marché dans les trois à cinq années suivant l’acquisition (Agrawal et al., 1992) ; cette baisse a pour effet de surévaluer le ratio des flux de trésorerie. Les résultats empiriques ont en effet démontré une tendance des investisseurs à 4 Correspond lors d’une acquisition à l’excédent du coût d’acquisition par rapport à la juste valeur marchande des actifs identifiables, souvent estimée par un expert. Il capture l’effet de la valeur de croissance des actifs qui n’auraient pas été totalement incluse dans l’évaluation de leur juste valeur marchande, la valeur de actifs non identifiables et la prime payée par l’acquéreur. 5 Dettes à long terme et à court terme diminuées de la trésorerie et équivalent de trésorerie. 24 25 surestimer les gains escomptés découlant d’une acquisition (Jensen and Ruback, 1983). Une diminution de la valeur de marché aurait donc pour conséquence d’augmenter le ratio de Healy et al. alors même que la performance opérationnelle ne s’améliorerait pas. La présence d’une mesure boursière expose aussi leur mesure aux fluctuations boursières parfois indépendantes des facteurs idiosyncratiques de l’entreprise et/ou du secteur. Cependant, l’utilisation de leur mesure de valeur de marché des actifs plutôt qu'une mesure comptable en tant que dénominateur pour le ratio de rendement opérationnel a deux avantages (Powell et Stark, 2003). Premièrement, il reflète de manière plus précise le potentiel de croissance des actifs en place. Deuxièmement, cette mesure simplifie la comparaison croisée et/ou temporelle de la performance de l’entreprise (Healy & al., 1992), les normes comptables pouvant varier à travers le temps ou d’une entreprise à une autre (étalon de mesure). Quant au choix du numérateur du ratio, il faut remarquer que le BAIIA exclut bien les effets d’amortissement, de goodwill, de dépenses ou revenus en intérêts, et des taxes. Cela permet que le ratio ne soit pas affecté par la méthode comptable de consolidation («acquisition» ou « fusion des intérêts communs »)6 ou de financement (cash, dette ou en action) utilisée pour 6 Il existait deux méthodes comptables différentes pour la comptabilisation des acquisitions, à savoir la méthode de l’achat qui faisait apparaître le goodwill et son amortissement, et la méthode de la fusion des intérêts communs, désormais interdite. Selon la méthode de « l’acquisition » tout d’abord, la valeur des actifs et des passifs de la cible avant acquisition est réévaluée à leur valeur de marché à l’acquisition. L’excédent du montant d’acquisition par rapport à la valeur juste valeur marchande des actifs et passifs de la cible est comptabilisé en goodwill. Les résultats sont consolidés à partir de la date de la transaction seulement (Healy et al., 1992). La réévaluation, lors de la première consolidation de la valeur des actifs de la cible sur laquelle l’entreprise cible actait ses amortissements a pour conséquence d’augmenter l’amortissement comptable et donc d’affecter le bilan et l’état des résultats. L’amortissement fiscal, qui permet de réduire l’impôt à payer, continue cependant d’être calculé comme avant l’acquisition, car la cible reste généralement une entité juridique indépendante. Selon la méthode de la « fusion d’intérêts communs », les actifs et passifs de la cible et de l’acquéreur sont tout simplement combinés selon leur valeur comptable comme si les deux entreprises n’avaient toujours été qu’une, et ce peu 25 26 l’acquisition. Leur variable instrumentale reste en revanche affectée par des règles comptables relatives aux lissages (coûts répartis sur plusieurs exercices comptables) et à la reconnaissance des revenus7. De plus elle omet ou l’effet du crédit commercial accordé et des pratiques de stockage. Ce sont pourtant des éléments sur lesquelles les entreprises peuvent dégager des avantages en améliorant les pratiques de recouvrement des comptes et la rotation des stocks. Finalement certains composants peuvent être inclus dans les coûts des marchandises vendues alors qu’ils ne constituent pas non plus des décaissements ou encaissements comme les provisions. Powell et Stark (2003) préfèrent utiliser une mesure de flux de trésorerie d’exploitation « pure ». Cette mesure tient compte des variations d’éléments importants ayant un effet direct sur les flux de trésorerie et généralement présentés comme éléments du besoin en fonds de roulement (variation du crédit fournisseur, du crédit commercial accordé, des stocks, de l’impôt à payer et autres « payables » d’exploitation). En testant la sensibilité de leurs résultats à la mesure utilisée (Healy et al. versus mesure de flux de trésorerie d’exploitation pure), les auteurs trouvent que la méthode de Healy et al. surestime la performance réelle. La mesure de performance d’exploitation définie, Healy et al. additionnent les flux de trésorerie opérationnels avant impôt des deux entreprises pendant les cinq années précédant l’acquisition pour ainsi obtenir une mesure de performance préacquisition. L’année même de l’acquisition doit être exclue importe l’année fiscale de la transaction (Vincente, 1997). Pour être admissible pour cette méthode, une acquisition devait entre autres être financée entièrement en actions de l’acquéreur, ce qui est très rarement le cas. La nouvelle valeur comptable de l’action était évaluée sur la base de la valeur comptable des deux actions avant le regroupement et le prix de marché payé pour l’acquisition n’était donc pas pris en compte. Cette technique de fusion des intérêts communs omettait donc une certaine forme d’information sur l’acquisition contenue dans le goodwill. 7 Règles permettant l’identification et la comptabilisation correcte du revenu généré. La reconnaissance du revenu, c'est considérer que le revenu provenant d'un contrat est légalement acquis par une entreprise, que le client ait payé ou non, dès lors qu'un certain nombre de règles ont été suivies. 26 27 de l’analyse pour deux raisons. Premièrement, la méthode de l’acquisition rend impossible la comparaison vu la consolidation comptable des deux entreprises à partir de la date de l’acquisition seulement. Deuxièmement, les résultats de l’entreprise combinée sont affectés par des coûts d’acquisition et de transaction ponctuels qui risqueraient de biaiser l’analyse. Healy et al. déduisent ensuite la variation de valeur de marché des actifs du dénominateur de rendement opérationnel de la cible et de l’acquéreur la première année, puis de l’entreprise combinée au début de chaque année (valeur au marché des fonds propres à laquelle on ajoute la valeur comptable de la dette nette, comme mentionné précédemment). La valeur de marché des actifs doit être recalculée chaque année pour contrôler pour des changements dans la taille de la société au fil du temps. Le modèle de Healy et al. raffiné par Ghosh, Powell et Stark est intéressant par son approche plus détaillée que de nombreuses études les ayant précédés. Healy et al. limitent en effet leur échantillon aux cinquante plus grosses transactions de fusions et acquisitions sur leur période d’analyse (1979 à 1983) en collectant leurs données directement « à la main » plutôt que par l’utilisation d’une base de données contenant des informations parfois pas directement comparables. Ils centrent leur analyse sur les sociétés non financières pour ne pas subir l’influence qu’un secteur fortement régulé pourrait impliquer. Cependant, un échantillon aussi limité rend leurs conclusions difficilement généralisables, et ce, pour trois raisons principales. Tout d’abord, Moeller et al. ont pu montrer l’influence de la taille sur la performance boursière des entreprises acquéreuses. Il y a aussi le risque de voir certains secteurs surreprésentés (concentration, vague d’acquisitions…), les conclusions pouvant fortement varier d’une industrie à l’autre. Finalement, l’étendue limitée (cinq ans) et la période (début des années 80) peuvent comporter des aspects très spécifiques. Ghosh, Powell et Stark y pallient partiellement en travaillant sur base d’échantillons plus importants et une fenêtre d’analyse plus étendue, 315 acquisitions pour Ghosh (de 1981 à 1995) et 191 acquisitions (de 1985 à 1993) pour Powell et Stark. Nous avons également souligné ci-­‐dessus que Powell et Stark utilisent une mesure plus 27 28 exacte des flux de trésorerie d’exploitation (donnant une image moins optimiste de la performance). 2.2 Rendement des flux de trésorerie opérationnels après ajustement pour l’industrie Une partie de la différence de performance pré et post acquisition pourrait être influencée par des facteurs économiques ou sectoriels, ce qui rend les résultats difficilement interprétables. Pour cette raison, il est important d’adapter la mesure de performance par un étalon de mesure de l’industrie. Une performance ajustée pour la performance de l’industrie permet donc d’incorporer tous les changements de flux de trésorerie qui ne résultent pas de l’acquisition mais plutôt de phénomènes affectant l’industrie dans son ensemble. L’ajustement à l’industrie pourrait cependant ne pas être suffisant pour tenir compte de toutes les corrélations croisées. L’analyse sur une période de temps plus longue pourrait permettre l’usage de techniques statistiques plus à même de tenir compte de cette dépendance (Andrade & al, 2001). Healy et al. Commencent par examiner les ratios de trésorerie d’exploitation des regroupements avant (addition des deux entreprises indépendantes) et après l’acquisition. Ils constatent que le ratio de flux de trésorerie opérationnel médian passe de 25,9% pendant les 5 années précédant la transaction à 21,8% pour les 5 années suivant la transaction. Cette diminution est cependant inférieure à celle subie par les membres de l’industrie qui n’ont pas réalisé d’acquisitions. En effet, une fois ajustés pour les effets d’industrie, les deux ratios médians « anormaux » passent de 1,2% avant la transaction à 2,8% pour les 5 années suivant la transaction. Même sans gains économiques réels, la performance opérationnelle des entreprises acquéreuses s’améliore donc en comparaison à leur étalon de mesure. La prochaine étape de Healy et al. Consiste à examiner si la performance post-­‐
acquisition n’est que la continuation de la performance pré-­‐acquisition et non pas le résultat de l’acquisition elle-­‐même. Pour ce faire, ils régressent les 28 29 mesures de performance post-­‐acquisition (nettes de l’effet d’industrie) sur les mesures pré-­‐acquisition (nettes également). Une ordonnée à l’origine positive et significative représenterait l’amélioration due à l’acquisition. De fait, ils trouvent une ordonnée à l’origine positive (2,8 %) et significative. Cependant, d’après d’autres chercheurs, la méthodologie de Healy et al. Est limitée au niveau du choix de l’étalon représentant l’industrie et au niveau du type d’analyses effectuées (en particulier le régression) pour tenir compte de la continuité dans la performance. Les grandes entreprises ont une plus grande probabilité de se lancer dans des acquisitions, et ce, particulièrement au cours des périodes pendant lesquelles elles supplantent leurs pairs en termes de performance (comme c’est le cas en termes médians, dans l’échantillon pour l’analyse d’Healy et al. avec 0,6%) Cette supériorité a des chances d’être permanente si due à une meilleure «échelle» ; il existe aussi des facteurs de supériorité temporaires que la concurrence effacera à travers le temps (Morck et al. 1990). Or, Gosh (2001) démontre mathématiquement que le modèle de régression de Healy et al. est susceptible de surestimer l’effet des acquisitions quand la performance supérieure des entreprises faisant l’objet d’un regroupement tient à des facteurs permanents ; dans ce dernier cas, une simple comparaison des performances pré-­‐ et post-­‐
acquisition (le «change model») donnerait des résultats plus exacts et non biaisés. Par contre, si les différences de performance avant l’acquisition étaient en partie temporaires, en partie permanentes, alors la régression et le modèle de changement produisent des résultats biaisés, mais le modèle de changement demeure préférable. Pour compenser ce biais, Ghosh (2001) utilise une technique de pairage des entreprises qui permet d’inclure un point de comparaison plus semblable (en taille et performance pré-­‐acquisition) à chaque entreprise impliquée dans une acquisition ; ce pairage remplace le recours à un indice d’industrie. Alors qu’en appliquant le modèle de Healy et al. Ghosh obtient des résultats semblables aux leurs (significatifs et positifs), il ne trouve pas d’amélioration de la performance opérationnelle statistiquement significative lorsqu’il utilise le pairage des firmes plutôt que l’industrie ; l’amélioration médiane, non significative, est de 0,26% selon le modèle de changement. 29 30 Powell et Stark (2003) revoient la question en décidant d’utiliser une véritable mesure de flux de trésorerie d’exploitation plutôt que le BAIIA et en évitant de recourir à des mesures boursières pour les actifs. Ils reprennent à la fois la régression à la Healy et al. et le modèle de changement de la performance favorisé par Ghosh. Les régressions donnent des résultats variables suivant le type de mesure utilisé pour les actifs (entre autres), mais généralement assez semblables à ceux de Healy et al. (plutôt positifs et significatifs). Par contre, l’analyse des changements de performance ajustée ne donne pas de résultats positifs significatifs quand les flux de trésorerie d’exploitation «purs» sont utilisés. Ceci souligne le fait que mesurer la performance en s’appuyant sur le BAIIA tend à surestimer les améliorations de performance à la suite d’une acquisition. 2.3 Autres résultats empiriques Même s’il est difficile de tirer une conclusion claire sur la justification ou non des F&A, la compilation d’études de Martynova et Renneboog en 2008 semble attester d’une diminution de la performance des entreprises après une acquisition. En effet, une légère majorité des études empiriques basées sur la performance d’exploitation (14/26) témoigne d’une diminution post-­‐
acquisition des rendements opérationnels8 contre environ 20% pour une augmentation significative. De plus, en reprenant les études basées sur la performance boursière à long terme en complément d’analyse, Martynova et Renneboog constatent une diminution substantielle du cours des entreprises acquéreuses dans les cinq ans suivant l’acquisition. Cela peut donc suggérer que les gains d’acquisition anticipés sont soit inexistants, soit surestimés et les acquéreurs tendent donc trop souvent à « surpayer » leurs acquisitions avec des primes trop élevées. Ces résultats sont cependant à analyser avec prudence. Comme nous l’avons souligné précédemment, les études empiriques basées sur la performance d’exploitation utilisent des méthodologies très diverses. Elles ont une forte 8 Des mesures de rendements variés sont utilisés ici (Voir table en annexe). 30 31 influence sur les conclusions à tirer sur l’amélioration de la performance. Les études centrées sur les revenus ayant par exemple tendance à conclure à une diminution, les études orientées sur les flux de trésorerie à une augmentation (Martynova & Renneboog, 2008). Le type (taille, caractère horizontal…) d’acquisition analysé peut aussi avoir une grande influence sur la conclusion à tirer sur la performance opérationnelle post-­‐acquisition. Il est néanmoins à noter qu’il est moins probable que l’acquéreur se lance dans d’autres rachats avant ou après une acquisition ce qui pourra faciliter notre travail par la réduction du « bruit9 » dans notre analyse (Okasmaa & Partin, 2011). Vermeulen et Barkema en 2001 mettent finalement en avant l’apprentissage et par là, l’amélioration des capacités d‘évaluation des entreprises cibles par les sociétés acquéreuses, quand celles-­‐ci entrent régulièrement dans des activités de F&A. Cette remarque rend notre analyse du secteur brassicole intéressante au vu des acquisitions « en séries » chez les principaux acteurs du secteur. 9 Influence d’éléments indépendants de l’évènement analysé. 31 32 IV.
METHODOLOGIE Dans cette section nous allons d’abord motiver le choix de notre méthode d’analyse, de notre échantillon et l’origine des données que nous allons exploiter. Nous allons ensuite présenter notre méthode de mesure de performance avant d’en présenter l’ajustement pour l’effet de la conjoncture et l’industrie. 1. Stratégie de recherche Nous allons réaliser une étude de cas sur un échantillon réduit de 2 acquisitions. Une telle taille d’échantillon nous permettra d’adopter une approche ciblée par l’utilisation de mesures opérationnelles approfondies. L’étude de cas est une stratégie de recherche qui nous permettra d’acquérir une compréhension plus riche et détaillée des processus de fusions et acquisitions du secteur brassicole qu’une étude d’exploitation classique utilisant des bases de données comparant entre eux des éléments du bilan au contenu non contrôlable et pouvant varier en fonction des règles comptables choisies. De plus, une analyse multi-­‐cas nous permettra (toujours avec réserve) de pouvoir tirer des conclusions plus générales pour le secteur analysé. Les études sur le secteur brassicole sont assez rares nous tenterons donc d’adapter notre étude aux caractéristiques spécifiques d’une industrie encore peu documentée. Nous centrerons exclusivement notre analyse sur les regroupements d’entreprises réussis qui ont eu lieu entre 2004 et 2008, Une telle proximité temporelle nous permettant de tirer des conclusions plus pertinentes pour aborder la situation actuelle. Nous définirons un regroupement réussi comme étant une acquisition ou un échange de 100% des actions de la société cible. Dans un souci de précision et de volonté de disposer du maximum de données, les entreprises choisies (cible, acquéreur et groupe qui en résulte) sont toutes de grosses entreprises du secteur brassicole cotées en bourse. L’impact financier plus important qu’elles représentent facilitera également l’analyse du processus d’intégration et rendra plus aisée la détection des effets induits par l’acquisition par rapport aux effets conjoncturels ou 32 33 sectoriels. Nous avons aussi tenté de sélectionner des acquisitions autour de desquelles aucune autre acquisition importante pour les entreprises concernées n’a été réalisée. Par la sorte nous désirons limiter au maximum le « bruit » auquel nous serions exposés, si des tentatives de profiter d’effets de synergie liés à d’autres acquisitions avaient eu lieu à la même période. De plus, la sélection d’acquisitions importantes par rapport à la taille de l’entreprise nous a permis de favoriser une taille relative limitée des autres transactions qu’elle réaliserait dans les années entourant la transaction. Notre analyse se déroulera sur une fenêtre de 3 ans avant et 3 ans après l’année d’acquisition, et pour les mêmes raisons10 que celles avancées par Healy et al., l’année d ‘acquisition sera exclue de l’analyse. Bien que le choix d’une période d’analyse plus longue nous eut permis d’extraire plus pleinement les effets de synergie, une période plus longue nous exposerait au « bruit » qui aurait été induit par la présence d’autres acquisitions dans notre fenêtre d’analyse. 2. Mesure de Performance opérationnelle Notre objectif dans ce mémoire étant de déterminer l’évolution de la performance opérationnelle suite à une acquisition, nous ne nous intéresserons nullement à décrire son effet sur la richesse des actionnaires et ne ferons donc nullement usage d’études d’évènements s’appuyant sur les données boursières. Nous nous concentrerons plutôt sur l’examen comptable de la capacité des entreprises analysées à augmenter suffisamment leur performance opérationnelle pour justifier les primes versées. Il est en effet impossible de distinguer l’effet sur le prix de marché des actions des gains économiques réels attendus d’un regroupement et celui des inefficiences du marché (Healy et al, 1992). Pour notre étude, nous allons utiliser la mesure de flux de trésorerie opérationnel « pure » développée par Powell et Stark. Cette mesure 10 Les résultats de l’entreprise combinée sont affectés par des coûts d’acquisition et de transaction ponctuels qui risqueraient de biaiser l’analyse. 33 34 correspond au BAIIA auquel est appliqué une correction pour les éléments importants ayant un effet direct sur les flux de trésorerie et généralement présentés comme éléments du besoin en fonds de roulement. C’est à dire les ventes combinées, diminuées du coût des biens vendus, des frais de commerciaux et marketing, de frais de distribution et des frais administratifs, l’amortissement les coûts des en question immobilisations, étant avant mesurés les avant charges d’amortissement du goodwill, avant les dépenses ou revenus en intérêts et avant l’impôt à payer. Cette mesure est ensuite corrigée pour les variations des crédits fournisseurs, des crédits commerciaux accordés et des stocks. Comme nous l’avons souligné précédemment, cette mesure a pour avantage d’être plus complète que les mesures de performance classique comme celle du BAIIA utilisée par Healy Palepu et Ruback. Notre mesure des flux de trésorerie ne fait pas qu’exclure les charges sans effet sur l’encaisse (telles que les amortissements des immobilisations ou du goodwill) ; elle prend en considération les effets sur la trésorerie d’exploitation des crédits commerciaux accordés ou reçus, des « payés d’avance » ou « à payer » et des pratiques de stockage. Il est important d’en tenir compte car l’acquéreur pourrait dégager des effets de synergie en lien avec ces éléments. Le choix de la mesure de « flux de trésorerie » permet d’éviter les problèmes associés au choix d’une méthode comptable de consolidation («acquisition» ou « fusion des intérêts communs »), d’une méthode de lissage des coûts et d’une méthode comptable de reconnaissance des revenus. Finalement, cette mesure fait abstraction des effets du financement de l’acquisition et des entreprises composantes. Pour nous permettre de tirer des conclusions plus nuancées sur la sensibilité des diverses mesures aux différentes métriques de performance et pour nous permettre de comparer la performance de l’entreprise aux ressources qu’elle détient, nous allons intégrer notre mesure des flux de trésorerie comme numérateur dans trois ratios de performance dont les dénominateurs différeront. Dans la même logique, nous y ajouterons d’autres mesures de performance comme le bénéfice par hectolitre ou la marge brute. 34 35 Mesure de performance n°1 Nous utiliserons dans un premier temps, la valeur de marché des actifs comme définie par Healy et al. (valeur de marché des fonds propres à laquelle on ajoute la valeur comptable de la dette nette11). Malgré la soustraction du changement de valeur des actions sur le marché boursier lorsque l’annonce survient, ce dénominateur ne permet pas de s’affranchir de la réaction de marché et doit donc reposer sur l’hypothèse d’efficience de marché. De plus, comme nous l’avons souligné, cette mesure a tendance à surévaluer la performance en raison de la diminution de valeur de marché des actions du groupe que l’on remarque empiriquement ; cette baisse de valeur est probablement due au fait que le marché corrige ex-­‐post des estimations trop optimistes des avantages associés à l’acquisition. La présence d’une mesure boursière expose aussi la mesure de performance à des fluctuations boursières parfois indépendantes des facteurs idiosyncratiques de l’entreprise et/ou du secteur. Mesure de performance n°2 Dans un deuxième temps nous évaluerons un ratio de performance qui mesure l’investissement des actionnaires de façon cohérente avec la définition du numérateur. Ce dernier ne comporte que des flux de trésorerie ; la mise de fonds des actionnaires sera mesurée dans la même dimension, en corrigeant l’avoir comptable des actionnaires exactement de la même façon que l’on corrige le bénéfice net comptable, mais cette fois-­‐ci par des valeurs cumulées plutôt que des valeurs annuelles. Ainsi, on ajoute aux capitaux propres attribuables aux porteurs de titres les amortissements cumulés, les impôts reportés cumulés, le fonds de roulement d’exploitation hors encaisse (comme approximation des variations cumulées). 11 Dettes à long terme et à court terme diminuées de la trésorerie et équivalent de trésorerie. 35 36 Mesure de performance n°3 Dans un troisième temps, nous diviserons notre mesure de flux de trésorerie par les actifs à long terme. Ce ratio est une sorte de rendement sur actif brut, car il n’inclut pas les variations de fonds de roulement. Elle risque d’être influencée par les décisions des gestionnaires ; en particulier en termes de valorisation d’actif (surtout intangibles) et de goodwill. Mesure Pro-­‐forma Pour évaluer le potentiel synergétique de l’entreprise suite à l’acquisition, nous avons besoin de comparer la performance du groupe après l’acquisition à la somme des performances des deux entités avant l’acquisition (et donc sans effets de synergie) (Healy et al., 1992; Gosh, 2001). Pour ce faire, nous additionnerons les flux de trésorerie opérationnels avant impôt des deux entreprises pendant les trois années précédant l’acquisition. L’année même de l’acquisition doit être exclue de l’analyse pour éviter que les résultats de l’entreprise combinée soient affectés par des coûts d’acquisition et de transaction ponctuels qui risqueraient de biaiser l’analyse. Comme Healy et al. nous recalculerons les valeurs utilisées au dénominateur chaque année pour contrôler pour des changements dans la taille de la société au fil du temps. 3. Ajustement pour l’industrie Comme nous l’avons expliqué dans notre recension de texte, une industrie comprend des entreprises aux tailles ou stratégies de croissances différentes qui peuvent mener à des niveaux de performance très hétérogènes, qu’ils soient permanents ou temporaires. L’utilisation d’une mesure d’industrie classique aurait donc pour conséquence des résultats peu satisfaisants. Il serait peu instructif de calculer des ratios équivalents aux nôtres sur un groupe hétérogène. De toute manière, certaines des données nécessaires aux calculs ne sont pas disponibles dans les bases de données à notre disposition. Nous avons donc décidé d’utiliser une mesure similaire à celle de Gosh (2001) en tentant de mettre en place une technique de pairage pour l’industrie. Nous calculons pour cela nos mesures de performance post-­‐acquisition pour des entreprises « pairs » (aux tailles et aux niveaux de performance similaires à 36 37 celles de l’entreprise acquéreuse) qui n’ont pas réalisé elles-­‐mêmes d’acquisition de taille supérieure à 20% de leur valeur de marché (avant l’acquisition) autour de la date de transaction. Ces concurrents sont choisis en fonction de leur similarité en termes de produits, marchés, tailles et doivent être cotés en Bourse. Nos mesures de pairage pour chaque mesure de performance correspondront aux moyennes arithmétiques des mesures des entreprises « pairs ». Notons cependant les limites induites par l’utilisation de cette technique. En effet, ces entreprises « pairs » sont choisies pour leurs similitudes avec les entreprises acquéreuses et avec celles-­‐ci uniquement. Nous comparons pourtant la performance d’une entreprise combinant les deux entités, acquéreuse et cible (de taille et performance qui peuvent fortement varier), à une entreprise à la taille et performance analogue à une seule de ces entités, l’entité acquéreuse. Cette situation génère donc un biais plus ou moins important en fonction des différences entre les deux entités du regroupement. Les entreprises « pairs » ne peuvent donc pas réellement être considérées comme telles vis à vis de l’entité combinée. Toutes les données présentées ici sont issues des rapports annuels et communiqués de presse de Inbev, Anheuser Busch et Anheuser Busch Inbev pour le premier cas et de Molson, Coors et Molson Coors pour le deuxième cas. Ces données ont été prises directement sur leurs sites internets respectifs et sur la base de données EDGAR ou SEDAR. Celles-­‐ci ont été collectées à la main. De plus, la base de données Compustat North America a été utilisée pour extraire certaines valeurs de marché et pour vérifier le contenu de certaines données précédemment extraites. 4. Analyse du partage des gains de synergie Nous poursuivrons notre étude par une comparaison de la prime versée, des coûts de transaction et de restructuration aux effets de synergie qui auront pu être extraits grâce à l’acquisition. A partir du moment où ils auront atteint un état jugé « stable » (soit 3 ans après la fin de l’acquisition dans notre cas). Ces effets de synergie en valeur absolue seront jugés comme une perpétuité retardée (de 3 ans) à actualiser au taux sans risque approprié. Les effets 37 38 extraits les deux premières années et les coûts de restructuration associés seront chacun actualisés en fonction du nombre d’années qui les séparent de la date de la transaction. Ne pas mesurer la performance sur une longue période a aussi pour but d’éviter les effets qui viendraient brouiller l'image des réalisations directement dues à la synergie. En ce qui concerne les effets de synergie liés à la structure des coûts et revenus, nous prenons le produit des ventes duquel nous soustrayons le coût des marchandises vendues, les frais de distribution, les frais commerciaux et marketing et les frais administratifs. Nous répétons l’opération pour l’année d’acquisition et chaque année post-­‐acquisition. Nous multiplions ensuite les améliorations cumulées de chacune des années post-­‐acquisition par un, moins le taux d’imposition effectif12 de chaque année pour en extraire l’effet net. Nous utilisons ensuite une formule de perpétuité actualisée pour la dernière année post-­‐acquisition et une formule d’actualisation pour les deux années suivant l’acquisition. Pour le calcul des effets de synergie liés au fonds de roulement, nous avons calculé le nombre de jour d’écoulement des stocks, de recouvrement des créances commerciales et de paiement des dettes fournisseurs. Nous avons ensuite pris la différence entre le nombre de jour moyen pré-­‐acquisition et post-­‐acquisition pour des questions de stabilité car ce nombre de jour peut être appelé à fluctuer régulièrement pour des raisons qui ne sont pas liées aux regroupements d’entreprises. Nous avons ensuite pris les charges de restructuration afférentes à l’acquisition, l’année de la transaction et les trois années qui ont suivi. Nous n’avons en revanche pas repris les dépenses d’investissement (qui peuvent pourtant affecter les flux de trésorerie) car il est difficile, voir impossible de distinguer celles liées au regroupement de celles qui auraient été faites si le regroupement n’avait pas eu lieu. Nous avons également repris le produit des cessions expressément lié au regroupement, les autres cessions et les acquisitions ultérieures n’étant pas des effets directs du regroupement. Bien 12 Récupéré dans les rapports annuels des entreprises 38 39 qu’elles affectent les flux d'exploitation (à la hausse ou à la baisse), nous ne pouvons pas mettre tout sur le compte du regroupement. Finalement, le choix du taux d’actualisation approprié est une décision délicate. Ce taux étant censé refléter le risque pris par l’entreprise à pouvoir extraire les effets de synergie escomptés. Le taux des obligations américaines sert en général de base de référence13 pour ce genre d’évaluation, mais nous tenterons de choisir la solution la plus adaptée à chaque cas d’analyse. Nous tenterons ensuite de nous rendre compte si la prime et les différents coûts associés au regroupement sont compensés par les effets de synergies qui auraient pu être extraits. 13 Les transactions analysées impliquent toutes deux des entreprises américaines 39 40 V. ANALYSE DE CAS (14), (15), (16) 1. Acquisition de Anheuser Busch par Inbev 17 1.1 Présentation des entreprises et de l’acquisition Présentation des entreprises Inbev était issue du regroupement du brasseur belge Interbrew et du brésilien Ambev en 2004. Le groupe disposait aussi d’activités d’embouteillage de boissons non alcoolisées sous licence (au Brésil principalement). Avec des positions dominantes en Amérique du Sud, Europe de l’Ouest, Russie et dans une moindre mesure en Asie du Sud Est, le groupe s’était rapidement positionné comme un leader du marché. Chacune des deux entreprises s’était en effet lancée dans une série d’acquisitions régionales (Ambev surtout) ou internationales (Ex. : achat de Labatt par Interbrew) avant leur décision de « fusion »18. L’origine d’Inbev remonte à 1366. L’entreprise maintenait son siège à Louvain en Belgique et sa cotation principale à la bourse de Bruxelles. Anheuser Busch19 (AB) était le leader sur le marché américain de la bière avec une part de marché avoisinant les 50%. En plus d’une présence légère en Europe, le groupe détenait des participations dans des entreprises brassicoles 14 Toute mention des termes « l’entreprise », « la société » où « le groupe » se réfère à l’entité pro-­‐forma ou à l’entité combinée. 15 Le terme USD correspond au dollar américain et CAD au dollar canadien 16 Toutes les données ont été converties en dollar américain au taux de change moyen en vigueur les années analysées. 17 Toutes les données présentées ici sont issues des rapports annuels et communiqués de presse de Inbev, Anheuser Busch et Anheuser Busch Inbev pris directement sur leur site internet ou sur la base de données EDGAR. Les données concernant les taux d’obligation et les taux de change ont été extraites des bases de données Bloomberg. Elles ont été collectées à la main. De plus, la base de données Compustat North America a été utilisée pour extraire la valeur de marché moyenne de Anheuser Busch avant l’acquisition. 18 Il s’agit en fait d’un achat des actions d’Ambev par Interbrew. 19 Les rapports annuels de l’entreprise sont peu détaillés ce qui pourrait entrainer un biais pour la performance pré-­‐acquisition. 40 41 en Chine et au Mexique principalement. Le groupe disposait également d’activités d’embouteillage et de parcs d’attractions. Le groupe maintenait son siège à Saint-­‐Louis dans le Missouri et ses origines remontent à 1852. Présentation de l’acquisition En mai 2008, malgré la crise économique et financière qui s’annonce, Inbev fait une première offre pour le rachat d’Anheuser Busch pour un montant de 46,3 milliards d’USD (soit une prime de presque 35%20) qui sera refusée par le conseil d’administration. Finalement, c’est le 18 novembre 2008 qu’une réévaluation de l’offre d’Inbev valorisant AB à 52,5 milliards d’USD, soit une prime d’environ 50%, est acceptée par les actionnaires et le régulateur. Cette acquisition financée exclusivement en numéraire sera la plus grosse transaction de fusion et acquisition de l’année. L’acquisition a permis à Inbev, maintenant dénommée AB Inbev de devenir le premier groupe brassicole mondial avec une part de marché de 18,3%21 en 2012, loin devant ses autres concurrents comme SAB Miller (9,8%) ou Heineken (8,8%). Pour satisfaire aux exigences du régulateur, AB Inbev a dû se séparer des droits de distribution de Labatt aux Etats-­‐Unis et d’Anheuser Busch en Upstate New York. Le groupe maintient son siège mondial à Louvain, le siège d’AB à St-­‐
Louis devenant le siège pour l’Amérique du Nord. Tendances du marché Le modèle d’acquisition mis en place par Inbev cette dernière décennie est révélateur de la tendance actuelle à la consolidation du secteur. Profitant d’un profil dit « défensif » résistant globalement aux effets de la crise économique, les majors du secteur se sont lancés dans une série d’acquisitions. Ces acquisitions concernaient aussi bien les marchés développés (aux fins de consolidation des positions et d’amélioration de la rentabilité), que certains marchés émergents (pour profiter de leur fort potentiel de croissance). Les investissements « greenfield », par la création d’une marque à partir de rien sont souvent vus comme une stratégie trop onéreuse. L’établissement d’une 20 Inbev Press Release, Brussels, 15 June 2012 21 Euromonitor International 2012 Report 41 42 plateforme opérationnelle locale couplé à l’amélioration ou à la relance des marques locales avec des positions fortes est souvent suivi par un élargissement subséquent du portefeuille aux marques internationales Attentes en termes de synergie Au moment du rachat, les dirigeants d’Inbev ont annoncé l’extraction d’effets de synergie de 1,5 milliard d’USD par année. Ces effets devaient se réaliser dans les trois années suivant l’année d’acquisition, soit d’ici l’année 2011. En mars 2009, après de bons résultats trimestriels, les dirigeants de la société ont revu leurs prévisions à la hausse avec 2,25 milliards d’USD d’effets de synergie attendus. Ayant déjà dégagé 250 millions d’USD à la fin de l’année 2008, la société annonçait s’attendre à dégager 1 milliard d’USD supplémentaire en 2009 et le solde entre les années 2010 et 2011. La réduction des coûts espérée devait se faire par la mise en œuvre de meilleures pratiques comme le ZBB (Zero Based Budgeting) pour la réduction des coûts mis en place en 2005 chez Inbev des initiatives visant à développer l’efficacité, la standardisation des activités brassicoles, la réduction des coûts en supprimant notamment des duplications dans la vente, les coûts généraux et l’administration et la maximisation de la puissance d’achat. Ces effets de synergie comprennent un objectif de réduction de 500 millions du besoin en fonds de roulement de l’ancien Anheuser Busch. Les dirigeants mettaient également en avant la complémentarité géographique entre les deux entités et les ventes croisées qui pourraient en résulter, de par l’utilisation du réseau de distribution étendu pour l’introduction de leurs marques internationales respectives comme la Budweiser d’AB ou la Stella Artois d’Inbev. En 2008, Anheuser Busch avait lancé un programme de réduction des coûts visant à économiser 1 milliard dUSD pour renforcer sa position concurrentielle face aux incertitudes liées à la crise économique et à la concurrence grandissante à laquelle elle faisait face sur son marché domestique (alliance commerciale aux Etats-­‐Unis entre Molson Coors et SAB Miller, ses deux principaux concurrents sur ce marché). Ce programme, nommé Blue Ocean prévoyait pour 2008, 1000 départs en retraite anticipés. Inbev de son côté, s’était déjà lancée dans un vaste programme de réduction 42 43 de coûts hérité de l’ancienne Ambev, le Zero Based Budgeting (ZBB). Mis en place dès 2005, il lui avait déjà permis d’améliorer sa performance opérationnelle. Dès le début de l’intégration de AB, à la fin 2008, Inbev transposa le ZBB dans la nouvelle entité, ce qui se matérialisa entre autres par la réduction de 6% de ses effectifs aux Etats-­‐Unis, soit 1400 emplois et le non-­‐
renouvellement de 615 postes fixes et contractuels. C’est dans l’optique d’évaluer la vraisemblance de ces synergies de coûts et de revenus qu’une évaluation adéquate de celles-­‐ci sera élaborée et décrite dans les paragraphes suivants. 1.2 Analyse de la performance opérationnelle avant ajustement pour l’industrie Résultats et analyse Le niveau des ventes est assez stable après la transaction, mais semble avoir augmenté assez fortement en 2011. Les volumes ont diminué suite à la cession de certaines activités en Europe de l’Est à CVC Capital Partners et en Asie avec la vente d’Oriental Brewery à KKR en 2009. Ces cessions ont été effectuées pour réduire le coût de l’acquisition. Des diminutions de volume légères en Europe de l’Ouest, et Amérique du Nord et forte en Russie et Ukraine n’ont été que partiellement compensées par des hausses de volume au Brésil, en Argentine et en Chine principalement. Les diminutions en Russie et Ukraine sont surtout le résultat d’un abandon des gammes subpremium. Cette diminution du volume a été compensée par des augmentations de prix constantes comme nous l’indique le chiffre d’affaires par hectolitre qui progresse ainsi de 7,6% en 2011. Le coût des ventes a diminué de plus de 12,24% entre 2007 et 2011, malgré des augmentations en 2008 et 2011. Ces augmentations sont principalement dues à la montée des prix des céréales allant, dans certains cas, jusqu’à +85% en 2008 (Houblon en Russie et Ukraine) et ce, malgré les stratégies de couverture mises en place. D’autres hausses seraient aussi la conséquence d’une stratégie de « premiumisation » de certains de ses produits qui auraient poussé le prix des emballages à la hausse, en Amérique latine principalement. 43 44 En 2010 la baisse des cours de ces matières a eu une influence positive. La diminution du coût des ventes à travers l’ensemble de la période est attribuable aux effets de synergie dégagés en Amérique du Nord, principalement par la diminution des effectifs et la rationalisation des installations, notamment par la fermeture d’une usine au Canada en 2009. L’entreprise fait aussi état de meilleures pratiques d’approvisionnement. En conséquence, la marge brute s’est fortement appréciée passant de 51,05% (pro-­‐forma) en 2007 à 57,40% en 2011. Les autres charges d’exploitation ont, elles légèrement augmenté. Les frais de distribution ont augmenté fortement pendant les deux dernières années de notre analyse (+9,9% en 2010 et +9,2% en 2011), après une forte diminution en 2009 (-­‐14,9%). Cette hausse s’explique surtout par une hausse du prix des carburants et coût de transport (en Russie principalement) ainsi que par une expansion géographique au Brésil n’ayants qui n’ont pas été compensés par les effets de synergie dégagés. Les frais commerciaux et marketing se sont très légèrement appréciés suite à l’augmentation des budgets (aux Etats-­‐Unis surtout). Les frais administratifs ont fortement diminué grâce aux effets de synergie découlant de la réduction des effectifs, aux Etats-­‐Unis surtout ; ces effets ont plus que compensé les hausses enregistrées principalement au Brésil et en Chine. Le BAIIA normalisé a donc fortement augmenté après l’acquisition, avec une augmentation de 43,65% entre 2007 et 2011. De fortes augmentations en Amérique latine, Asie Pacifique et Amérique du Nord (+23,2% en 2009) compensent largement les fortes diminutions en Europe de l’Est. Malgré la diminution des volumes, l’application du Zero Based Budgeting en Amérique du Nord semble porter ses fruits par l’extraction d’effets de synergie, principalement par la baisse du coût des ventes et des frais administratifs. Depuis l’acquisition d’Anheuseur Busch, AB Inbev semble avoir pu fortement améliorer la gestion de son fonds de roulement et avoir dégagé des gains synergétiques. Le besoin en fonds de roulement a diminué en 2009 par la forte augmentation du délai de paiement des fournisseurs (46 à 57 jours) et l’amélioration du délai d’écoulement des stocks (54 à 50 jours) et de 44 45 recouvrement des créances commerciales (29 à 26 jours). Malgré une augmentation du délai d’écoulement (+4 jours) et de recouvrement (+3 jours) en 2010, le besoin en fonds de roulement continue de s’améliorer grâce à la forte augmentation du délai de paiement de (+13 jours). En 2011 finalement, l’entreprise poursuit sa lancée par l’allongement du délai de paiement (+5 jours) et du délai de recouvrement (-­‐2 jours). Cette amélioration a notamment permis d’améliorer la trésorerie et équivalent de trésorerie de l’entreprise. Les dettes à long terme et à court terme ont connu des augmentations substantielles pour financer l’acquisition. Dès 2009, AB Inbev s’est lancée dans un désendettement, ses dettes long terme diminuant de plus de 13,5 milliards d’USD. Le désendettement a été rendu possible par la bonne performance opérationnelle qu’a connue l’entreprise et par les cessions qu’elle a réalisées. Elle s’est notamment séparée des parcs d’attractions Busch Entertainement dès 2008, d’Oriental Brewery en Asie, Tennent’s Lager au Royaume-­‐Uni, de ses participations dans Tsingtao Brewery ou de 4 usines de fabrication de cannettes aux Etats-­‐Unis en 2009. Il est donc important de noter le risque de bruit comptable qui pourrait affecter la comparaison des résultats entre 2009 et 2010. Mesure de performance n°1 : Graphe 1 11% 9% 7% 2005 2006 Résultats AB + Inbev 2007 2009 Résultats AB 2010 2011 Résultats Inbev Le graphe 1 ci-­‐dessus nous montre l’évolution de notre première mesure de performance pour les entreprises, séparées et combinées entre 2005 et 2011. Rappelons que l’année d’acquisition, 2008 a été exclue de notre analyse. Le 45 46 premier ratio de performance d’Anheuser Busch passe ainsi de 8,15% à 7,93% entre 2005 et 2007 alors qu’à la même période, Inbev l’améliore, passant de 10,3% à presque 11,41%. La diminution constante de performance d’AB s’explique par des résultats opérationnels (numérateur) stagnants face à une augmentation de la valeur de marché du capital employé (dénominateur); ce dernier a augmenté surtout en raison de l’augmentation de la dette dans un contexte de programmes de rachat d’action répétés que l’entreprise a mis en place comme en 2006, pour un maximum de 2,5 milliards d’USD. Quant à Inbev, une augmentation plus forte du chiffre d’affaires et des volumes vendus par rapport aux coûts lui a permis d’améliorer sa performance relative (le ratio lui-­‐même), et ce, malgré l’augmentation du capital employé. Cette meilleure performance pourrait être attribuable à la fusion des deux entités, Ambev et Interbrew intervenue en 2004 et au plan de réduction des coûts (ZBB) mis en place. Le ratio de performance du groupe AB Inbev tombe lui de 9,87% à 9,03% entre 2007 (pro-­‐forma) et 2009. La performance absolue du groupe (numérateur) s’est appréciée de plus de 25% mais la performance par dollar de capital investi a enregistré une chute en raison du prix de l’acquisition d’AB par Inbev et l’augmentation subséquente des dettes (à long terme surtout) encourues pour la financer (effet du dénominateur). Entre 2009 et 2011, la performance s’est fortement améliorée suite aux effets de synergie qui ont permis de réduire le coût des ventes et certaines charges d’exploitation, tout en réduisant considérablement le besoin en fonds de roulement. Mesure de performance n°2 : Graphe 2 19% 17% 15% 13% 2005 2006 Résultats AB + Inbev 2007 2009 Résultats AB 2010 2011 Résultats Inbev 46 47 Le graphe 2 nous montre l’évolution de notre deuxième mesure de performance qui remplace la valeur de marché des fonds propres de la première mesure par une mesure « pure » de l’avoir des actionnaires (mesure comptable). Il est tout d’abord important de relever que la performance relative pré-­‐acquisition relativement élevée de la cible (autour des 17%) est la conséquence des programmes successifs de rachat d’actions qu’elle a mis en place et qui sont venus réduire l’avoir des actionnaires. A l’inverse, la chute du ratio de performance relative de l’entité fusionnée fait suite (comme pour la première mesure) à l’augmentation des dettes (au dénominateur). Le ratio d’AB Inbev s’améliore ensuite, de par l’augmentation poussée de la performance opérationnelle absolue (numérateur) et l’équilibre du dénominateur suite à une augmentation de l’avoir des actionnaires compensée par la réduction de la dette à long terme. Mesure de performance n°3 : Graphe 3 37% 32% 27% 22% 17% 2005 2006 Résultats AB + Inbev 2007 2009 Résultats AB 2010 2011 Résultats Inbev Le graphe 3 nous montre l’évolution de notre troisième mesure de performance avec un dénominateur comptable représenté par les actifs non-­‐
courants. Bien que ce ratio soit vu comme « brut » parce qu’il omet toute une série d’informations opérationnelles, il semble concorder avec les deux premiers ratios. La réévaluation des actifs intangibles après la réévaluation des marques de la cible, la réévaluation de actifs tangibles acquis et surtout la comptabilisation d’un goodwill de 32,9 milliards d’USD qui a été provisoirement alloué aux opérations américaines (sur base des synergies futures attendues principalement) provoquent une « cassure artificielle » de la performance relative de l’entreprise. Pour éviter cette « cassure », nous 47 48 avons comptabilisé la mesure de l’année avant l’acquisition à laquelle nous avons ajouté les acquisitions d’immobilisations au fil du temps, prises à l’état des flux de trésorerie. Suite à cette correction, nous pouvons remarquer une amélioration constante de notre mesure de performance relative comme absolue. La hausse du numérateur dépasse largement celle des immobilisations au dénominateur, et ce, tout au long de la période analysée. Le numérateur augmentant ainsi de près de 17% en 2011 contre un peu plus de 6% pour le dénominateur. Notons finalement la matérialisation des attentes en termes de ventes croisées induites par la fusion. La part des ventes hors Etats-­‐Unis de la Budweiser est ainsi passée de 28% à 44% en 3 ans. La Stella Artois a, elle, vu ses volumes augmenter de 5,9% portés par l’international. Discussion Nous avons comparé trois ratios qui avaient chacun pour but de comparer l’évolution de la performance opérationnelle (numérateur) aux ressources disponibles (dénominateur). Bien que différents, nos trois ratios semblent partiellement converger en constatant une nette amélioration de la performance relative entre 2009 et 2011. En revanche, même s’il s’en approche, seul le deuxième ratio semble ne pas attester d’une amélioration de la performance relative suite à l’acquisition. Ceci pourrait notamment s’expliquer par la présence de biais comptables dans le deuxième ratio (avoir des actionnaires artificiellement bas chez AB). La très forte amélioration du troisième ratio est fortement due à son adaptation par la non comptabilisation de la réévaluation des immobilisations au dénominateur. Cette discussion met en lumière les aléas qui découlent de l’utilisation de mesures purement comptables pour l’évaluation des ressources en place et de leur comparaison autour d’une acquisition. La forte hausse de l’endettement pour financer l’acquisition entraine une forte chute des deux premiers ratios, et ce, malgré une amélioration nette de la performance « absolue » suite à la hausse des ventes, la baisse de certains coûts et des améliorations du fonds de roulement. Il est aussi important de remarquer l’influence des variations des taux de change (surtout entre l’Euro et l’USD) sur la mesure de la combinaison pré-­‐acquisition (pro-­‐forma). La forte exposition internationale 48 49 du groupe AB Inbev dans son ensemble peut aussi avoir un impact sur les résultats post-­‐acquisition et ce, malgré la stratégie de couverture mise en place. Finalement, même s’il semble indéniable qu’AB Inbev ait pu améliorer sa performance opérationnelle et extraire des effets de synergie conséquents, le coût de l’acquisition, la hausse de l’endettement subséquente et les techniques d’évaluation des actifs différentes chez la cible ont fortement affecté les mesures comptables utilisées. Il est donc difficile de tirer une conclusion définitive pour le moment, mais il semblerait que les effets de synergie soient réels mais aient été entièrement payés d’avance à travers la prime, ne laissant pas d’avantage net pour les actionnaires de l’acquéreur. Nous tenterons donc de déterminer dans la suite de notre analyse la justification ou non de la prime versée par rapport aux gains de synergie dégagés et par rapport aux effets de la conjoncture et de l’industrie. 1.3 Analyse de la performance opérationnelle après ajustement pour l’industrie Sélection des pairs Nous avons tenté de choisir des brasseurs de taille et performance similaires. Nous avons donc puisé l’éventail de pairs le plus large possible au sein des 15 plus gros groupes brassicoles mondiaux. Le secteur est très concentré et nous n’avons pu en extraire que 3. Les entreprises devaient en effet être cotées en bourse22, éditer leurs rapports annuels en français ou en anglais et ne pas avoir réalisé d’acquisition d’une valeur supérieure à 20% de leurs capitalisations boursières respectives pendant l’année du rachat d’Anheuser Busch et pendant les 6 années d’analyse. Pour ces raisons il est difficile d’avoir une mesure optimale pour l’industrie dans la mesure ou des disparités 22 Ceci est nécessaire pour nous permettre d’avoir accès aux rapports annuels les plus détaillés possible ainsi que pour permettre le calcul de notre premier ratio prenant en compte la valeur de marché des fonds propres. 49 50 de performance subsisteront. Ces 3 entreprises23 sont les groupes Molson Coors24, SAB Miller(25),(26) et Kirin Brewery Corp(27),(28),(29). Résultats et analyse Mesure de performance n°1 : Graphe 4 12% 10% 8% 6% 2005 2006 2007 Pairs 2009 2010 2011 AB Inbev 23 Les valeurs de marché moyennes annuelles des fonds propres de Molson Coors on été extraites de la base de donnée Compustat North America, celles de Kirin Brewery Corp. et SAB proviennent elles de la base de données offerte par les stations Bloomberg. 24 Un léger bruit comptable pourra être causé par la fusion et donc la consolidation des deux entités du groupe en 2004 soit une année avant l’analyse. 25 Les années reprises par SAB Miller vont du 1er avril au 31 mars et ne s’arrêtent donc pas au 31 décembre comme c’est le cas pour AB Inbev, Molson Coors et Kirin. Les résultats s’arrêtant au 31 mars 2012 ont donc été considérés comme les résultats 2011 pour la comparaison. 26 Un léger bruit comptable pourra être causé par l’intégration de trois acquisitions d’importance moyenne que l’entreprise a réalisée entre 2005 et 2011. L’achat de Bavaria en 2005, de Grolsch en 2008 et (plus important) de Foster’s Group en 2011. 27 Le groupe comprend en son sein des activités secondaires agroalimentaires et pharmaceutiques. 28 Malgré sa forte exposition internationale, le groupe a une forte présence au Japon ou AB Inbev n’est pas présent ce qui limitera la portée de la réduction de l’effet conjoncturel. 29 Le Yen a connu des fluctuations relativement importantes au cours de notre période d’analyse et ce, particulièrement l’année 2011. Ceci pourrait avoir de légère conséquence sur notre analyse malgré la politique de couverture de l’entreprise. 50 51 Le graphe 4 nous montre l’évolution de la performance de notre premier ratio pour AB Inbev et ses pairs. L’entreprise avait une performance pré-­‐
acquisition supérieure à ses pairs sauf pour l’année 2005 ou elle avait un niveau équivalent. Malgré une diminution du ratio ajusté l’année après le regroupement (1,20% contre 3,20% avant), AB Inbev a réussi à améliorer sa performance la dernière année d’analyse post-­‐acquisition (3,26%). L’année 2011 semble être également une bonne d’un point de vue conjoncturel. Il semble également qu’AB Inbev soit parvenu à maintenir une certaine stabilité dans sa performance à travers le temps. Ceci pourrait s’expliquer à la fois par une bonne performance globale de l’entreprise et une forte diversification de ses activités au niveau mondial. Les groupes Kirin et Molson Coors réalisant une plus grande part de leurs résultats dans quelques marchés clefs en Asie et en Amérique du Nord respectivement. Mesure de performance n°2 : Graphe 5 20% 16% 12% 8% 2005 2006 2007 Pairs 2009 2010 2011 AB Inbev Le graphe 5 reprend l’évolution de notre deuxième ratio de performance pour AB Inbev et notre étalon de mesure à l’industrie. A la différence du premier ratio, le groupe ne semble pas avoir réussi à augmenter sa performance ajustée au dessus de son niveau de 2007 mais elle s’en approche tout de même (9,09% contre 9,30%). De plus, AB Inbev maintient une performance ajustée à l’industrie positive tout au long de notre période d’analyse. Rappelons également l’influence de la réévaluation de l’avoir des actionnaires au dénominateur de la performance d’AB Inbev qui a réduit artificiellement la performance avant comme après ajustement du groupe dès la première 51 52 année post-­‐acquisition. Notre deuxième mesure de performance n’atteste donc pas d’une amélioration de la performance suite à l’acquisition. Notre graphe 5 atteste également de manière probante de notre incapacité à avoir mis en place un échantillon de pairs en termes de performance. Mesure de performance n°3 : Graphe 6 35% 30% 25% 20% 15% 10% 2005 2006 2007 Pairs 2009 2010 2011 AB Inbev Notre graphe 6 qui reprend l'évolution de notre troisième mesure de performance nous montre une forte évolution de la performance ajustée passant ainsi de 6,03% à 18,83%. Il semble donc que le groupe ait réussi à améliorer la productivité des actifs après l’acquisition. Rappelons tout de même l’adaptation que nous avons effectuée sur ce ratio pour éviter la « cassure » de performance liée aux réévaluations d’actifs post-­‐acquisition30. L’amélioration manifeste de notre troisième mesure de performance suite à l’acquisition est donc à interpréter avec prudence. Discussion Nos trois ratios ont été ajustés par une mesure de pairage sectorielle. Seul le deuxième ratio semble attester d’une détérioration légère de la performance post-­‐acquisition après ajustement pour l’industrie. Il faut cependant relever la présence de nombreux biais. Tout d’abord, le choix des pairs fut très limité ce 30 Nous avons comptabilisé la mesure de l’année avant l’acquisition à laquelle nous avons ajouté les acquisitions d’immobilisations au fil du temps, prises à l’état des flux de trésorerie. 52 53 qui rendit impossible d’extraire de vrais pairs en termes de performance. Notre analyse nous permet de souligner les limites des techniques d’ajustement à l’industrie et plus spécifiquement celles liées au pairage. Dans une industrie concentrée comme l’est celle de la bière, il est rare de connaître 7 années consécutives sans acquisitions majeures qui viendraient biaiser nos résultats. AB Inbev a en effet maintenu une supériorité tout au long de l’analyse pour chacune des mesures de performance utilisées, et ce, même si elle s’est érodée pour notre première et deuxième mesure par rapport à l’année 2007. Dans un deuxième temps, notre analyse pour l’industrie met à nouveau en lumière les problèmes qui émergent de l’utilisation de mesures comptables pour évaluer les ressources en place et les comparer autour d’une acquisition ; à titre d’exemple, rappelons que les ressources en place peuvent faire un saut dû à la réévaluation des actifs de la cible à leur juste valeur marchande. Même après cet ajustement, il reste donc difficile d’obtenir une mesure optimale de performance. L’utilisation d’une valeur de marché au dénominateur pourrait aussi s’avérer plus efficace pour l’analyse d’un événement de rachat et son influence sur la performance opérationnelle. Cette mesure semble en effet connaître moins de sauts et de fluctuations. Cette constatation pourrait s’avérer être un sujet d’analyse intéressant dans une recherche future. En analysant en complément la part d’AB Inbev dans la production mondiale de bière, nous remarquons une augmentation de sa part de marché en dollars malgré une diminution de sa part dans le volume produit. Cette constatation semble confirmer la stratégie du groupe à vouloir augmenter sa marge en augmentant ses prix au détriment des volumes écoulés. Finalement, les mesures de performance ajustées à l’industrie sont vraiment à relativiser au vu du caractère spécifique des fusions et acquisitions. Leur internationalisation complexifie la comparaison des entreprises et les nombreux facteurs idiosyncratiques peuvent constituer autant d’influences, qu’il est difficile, voire impossible, d’obtenir des mesures de performance ajustées optimales. 53 54 1.4 Effets de synergie et justification de l’acquisition Résultats Les activités d’Anheuser Busch étaient quasi exclusivement centrées sur l’Amérique du Nord et nous disposons de résultats régionaux spécifiques comme les ventes, les coûts et différents frais d’exploitation ainsi que leur pourcentage de croissance interne. Ceci nous a permis de pouvoir évaluer de manière plus précise les effets de synergie liés au regroupement par rapport aux améliorations plus globales de la structure des coûts. Les volumes écoulés en Amérique du Nord ont ainsi connu une diminution de 8% entre l’année 2008 de la transaction et l’année 2011. Cette diminution a été compensée par des hausses de prix ce qui limite la chute des ventes en dollars (-­‐1%). Le coût des marchandises vendues a lui diminué de près de 11% ce qui a permis à la division nord-­‐américaine d’améliorer sa marge brute de 9,4%. L’entreprise a notamment fermé une de ses usines de production au Canada, diminué la taille de certaines autres unités aux Etats-­‐Unis et fait état de meilleures pratiques d’approvisionnement pour l’ensemble du groupe. Les frais de distribution semblent avoir été fortement rationalisés avec une réduction de près de 30,4% en 2011 par rapport à l’année 2008. Les frais administratifs semblent être l’un des éléments principaux sur lequel le groupe a pu dégager des effets de synergies (diminution de 49%). AB Inbev a ainsi pu poursuivre l’intégration d’AB en réduisant notamment les doublons entre les sièges nord-­‐américains (Canada et Etats-­‐Unis) et le siège mondial et par l’externalisation d’activités de support. Cette tendance est confirmée par la diminution du nombre d’équivalents temps plein (ETP) de la zone qui passe ainsi de 21.871 en 2008 à 17.924 en 2011. Les effets de synergie dégagés après ajustement des impôts31 atteignent 1209,31 millions d’USD en 2011. Comme nous l’avons souligné précédemment dans notre analyse de performance opérationnelle, le groupe semble avoir dégagé de forts effets de synergie dans sa gestion du fonds de roulement. Bien que le délai 31 Taux d’impôt effectif de 31,7% en 2009, 34,7% en 2010 et 33,7% en 2011 54 55 d’écoulement des stocks se soit allongé (moyenne avant acquisition de 46 jours contre une moyenne après acquisition de 53 jours), l’amélioration du recouvrement des créances commerciales (de 33 à 27 jours en moyenne) et surtout la forte augmentation du délai de paiement des fournisseurs (42 à 68 jours en moyenne) ont permis de dégager des effets de synergie annuels de 2,9 milliards d’USD. Ce résultat est rappelons le, très fortement biaisé par la présence de charges à imputer dans la rubrique des dettes commerciales. Sans l’effet induit par ces dettes et donc en ne prenant en compte que les deux premiers éléments du fonds de roulement précités, les effets de synergie tombent à 313 millions d’USD sur base annuelle. Une fois encore, prendre ou ne pas prendre en compte cette composante biaise notre analyse et constitue un exemple de plus de l’imperfection de l’information financière à disposition. De plus, les variations du fonds de roulement dont nous disposons sont au niveau du groupe et pas de la zone nord-­‐américaine. Bien qu’un regroupement de cette ampleur puisse avoir des effets sur la gestion globale de tels éléments des flux de trésorerie, les cessions et acquisitions non prises en compte (car pas directement liées au regroupement) peuvent avoir un effet sur le besoin en fonds de roulement et ces variations peuvent donc être erronément attribuables à ce regroupement. Des économies d’envergure pourraient aussi s’être matérialisées, mais elles sont difficilement quantifiables. Le volume de vente de la marque Budweiser (Anheuser Busch) vendu hors des Etats-­‐Unis est ainsi passé de 28% à 44% dans les 3 ans après l’acquisition. Les pays où Inbev détenait des positions fortes comme le Canada ont tiré cette croissance. La structure des coûts de production qui peut différer d’une zone géographique à une autre, la non-­‐
disponibilité des coûts ou revenus associés à un produit ou une marque spécifique et le risque de cannibalisation même limité d’autres marques du groupe rendent impossible d’inférer avec précision l’ampleur de ces économies. Les produits des cessions liées au regroupement ont tous été comptabilisés au cours de l’année 2009 avec la vente des parcs d’attractions Busch Entertainement, de Labatt USA et de 4 usines de fabrication de cannettes aux Etats-­‐Unis en 2009. Ils sont venus réduire le coût total de l’acquisition et donc 55 56 le montant de la prime. Des petites acquisitions régionales de distribution ont aussi été réalisées mais leur taille limitée rend quasi nul l’effet de leur non-­‐
comptabilisation. Pour le calcul de la prime, nous avons ici considéré une prime de 33% pour la première offre d’Inbev. Ce résultat est obtenu de la comparaison de la valorisation boursière d’Anheuser Busch qu’aurait induite l’acceptation de la première offre d’achat du 11 juin 2008 (soit 46,30 milliards d’USD), à la moyenne des valeurs boursières des 30 jours32 avant le début des premières spéculations fixées au 23 mai 2008 (soit 34,81 milliards d’USD). N’ayant pas trouvé d’informations supplémentaires suffisamment concluantes, nous sommes partis de ce résultat et nous avons extrapolé la prime que représente la valeur de rachat de 52,5 milliards d’USD. Nous obtenons donc une prime de 17,69 milliards d’USD, soit 50,8%. Les dépenses d’investissement n’ont pas été ici comptabilisées, car, comme nous l’avons souligné dans notre méthodologie, il est difficile de distinguer celles intrinsèquement liées au regroupement de celles qui auraient été faites de toute façon. Les charges de restructuration ont été ici prises en entier sauf pour l’année 2008 pour laquelle une allocation plus détaillée existe. Pour les autres années, un biais de précision est donc à relever, car certaines de ces charges pourraient en partie viser d’autres zones voir auraient une destination stratégique différente. Choix du taux d’actualisation et analyse Le choix d’un taux d’actualisation approprié fut une décision délicate. Ce taux étant censé refléter le risque pris par l’entreprise à pouvoir extraire les effets de synergie escomptés. AB Inbev ayant relevé son objectif dès la fin de l’année 2008, le risque paraît relativement faible au regard des habitudes de communications entourant les acquisitions. Le taux des obligations américaines sert en général de base de référence pour ce genre d’évaluation, mais le niveau de taux extrêmement bas que nous connaissons ces dernières 32 Extraites à partir des stations Bloomberg. 56 57 années rend l’utilisation de formules de perpétuité relativement inadéquate. Dès lors, plutôt que d’essayer d’approximer un taux sur une base peu objective, nous allons présenter deux taux de rendement exigés qui font s’équivaloir les dépenses totales pour l’acquisition et les effets de synergie dégagés selon l’hypothèse de leur durée de fixation (perpétuité et 10 ans). Il s’agit donc des taux en dessous desquels l’acquisition se justifie du point de vue de la création de valeur pour les actionnaires de l’acquéreur. Nous cherchons donc le paramètre « tx » dans les formules ci-­‐dessous. Formule de perpétuité : Effets 2008 + Effets 2009/(1+tx) + Effets 2010/(1+tx)2 + (Effets 2011/tx)/(1+tx)2 Formule sur 10 ans : Effets 2008 + Effets 2009/(1+tx) + Effets 2010/(1+tx)2 + Effets 2011/(1+tx)3 + Effets 2011/(1+tx)4..........+ Effets 2011/(1+tx)12 Formule des dépenses totales : Prime + coûts de transaction -­‐ VAN Produits de cessions + VAN Frais de restructuration De plus, au vu de l’importance des différents biais auxquels nous faisons face, et malgré l’imperfection de cette solution (dépendance de la stratégie de communication des dirigeants du groupe) nous avons décidé de nous baser sur la réalisation des effets de synergie communiqués par le groupe. Ils étaient d’environ 250 millions d’USD en 2008, 1.250 en 2009, 1.980 en 2010 et 2.250 en 2011. Pour justifier l’acquisition, la valeur actuelle nette des effets de synergie doit donc s’élever à la somme de la prime, des frais de transaction et des frais de restructuration de laquelle nous déduisons les produits de cession. Nous obtenons donc une somme de 16,85 milliards d’USD. En ce qui concerne l’hypothèse de perpétuité, le taux maximum au dessous duquel l’acquisition se justifierait est de 11,64%. Pour l’hypothèse d’une fixation sur 10 ans des effets de synergie, le taux est de 7,18%. Ces taux sont tous deux supérieurs aux taux des obligations de diverses échéances émises ces dernières années 57 58 par AB Inbev. Dès lors, notre hypothèse la moins audacieuse fixant les effets de synergie sur 10 ans génère un taux supérieur au coût des facilités de financement de l’entreprise. Ces résultats nous font donc tendre vers une justification de la transaction, et ce, peu importe l’hypothèse choisie. Si nous pouvons juger de la faible probabilité de l’existence d’une bulle boursière autour de la valorisation du groupe nous pouvons remarquer la forte appréciation du cours de l’action qui a suivi la transaction et donc l’apparente justification de l’acquisition d’un point de vue boursier. Sans pouvoir réellement tirer une conclusion claire et précise, l’acquisition semble avoir généré une valeur actuelle (l’année du rachat) nette positive, et ce, malgré la forte prime payée. Discussion Nous avons pu remarquer qu’il était très difficile de pouvoir extraire les effets de synergie qui découlent exclusivement d’un regroupement d’entreprises. En effet, les nombreux biais liés à la disponibilité des informations, en particulier celles afférentes à l’exploitation nous empêchent de pouvoir tirer une conclusion univoque quant au caractère créateur ou destructeur de valeur de l’acquisition. A ce titre, le manque d’informations spécifiques à un produit, une zone ou tout simplement à un élément comptable d’exploitation précis limite notre capacité à obtenir des résultats concrets. Sans fixation d’un taux d’actualisation, nous sommes ainsi incapables de déterminer la répartition des gains synergétiques entre les actionnaires de la cible et ceux de l’acquéreur. Cependant, même s’il est clair que les actionnaires d’Anheuser Busch aient reçu l’essentiel des bénéfices liés au regroupement, il a aussi profité aux actionnaires d’Inbev. Ainsi, en reprenant notre hypothèse relativement conservatrice d’une fixation des effets de synergie sur 10 ans et en la comparant au taux des obligations de même échéance émises par l’entreprise en 2009 (5,375%) nous obtenons une répartition de 9,83% des effets de synergie pour les actionnaires d’Inbev. Nous estimons que la réalisation des effets de synergie présente une incertitude limitée par rapport à l’ensemble des activités de l’entreprise et mérite donc un taux d’actualisation plus faible que le coût de capital d’ensemble. De plus, les taux de financement du groupe ont fortement diminué avec la chute généralisée 58 59 des taux d’intérêts provoquée par la crise économique (le taux des obligations émises en 2013 tombant dans une fourchette entre 0,802% et 4,028%). La comparaison à un taux de 5,375% nous paraît donc se justifier. Notons également la difficulté, de s’abstraire de l’influence de la conjoncture ou des effets des autres activités qui rythment la performance de l’entreprise. Sans pouvoir réellement en préciser l’ampleur, l’entreprise semble avoir pu améliorer son pouvoir de marché, réaliser des économies d’échelles et réaliser des économies d’envergure dans une moindre mesure. Nous nous sommes finalement basés sur les informations communiquées par les gestionnaires de l’entreprise, mais il nous est impossible de vérifier l’exactitude de ces annonces. Il est également important de noter que ne disposant pas d’autres alternatives, notre estimation de la prime repose sur une évaluation boursière « juste » de la cible et donc sur la capacité du marché à évaluer l’entreprise, type d’évaluation dont nous avions pourtant voulu nous abstraire. Il pourrait ainsi y avoir dans la prime un biais de sous-­‐
évaluation préalable de Anheuser Busch dont Inbev aurait pu vouloir profiter. 1.5 Conclusion Comme nous avons pu nous en rendre compte tout au long de notre analyse de cas, il est très difficile de pouvoir évaluer l’amélioration de la performance et les effets de synergie dégagés par une entreprise. Dans un premier temps, nous avons dû faire face à une multitude de biais informationnels. Les rapports annuels à notre disposition omettent en effet un grand nombre de précisions que ce soit au niveau des éléments comptables eux-­‐mêmes ou aux commentaires sur leur origine ou leur allocation. Des différences de normes comptables entre Anheuser Busch et Inbev peuvent également avoir biaisé la comparaison de performance. Dans un deuxième temps, nous avons dû faire face aux problèmes émergeant de l’utilisation de mesures comptables pour évaluer les ressources en place et les comparer autour de l’acquisition. Dans la recension de texte nous avions pu mettre en avant les problèmes liés à l’utilisation de mesures de marché (chute du cours dans les années suivant l’acquisition). Notre analyse de 59 60 l’acquisition d’Anheuser Busch semble en fait démontrer une meilleure efficacité de l’utilisation d’une mesure comptable au numérateur (pour évaluer la performance absolue) et d’une mesure hybride au dénominateur reprenant une mesure de marché et une mesure comptable (valeur de la dette nette), car elle serait mieux à même de refléter les ressources en place. Dans un troisième temps, la présence de biais liés à l’internationalisation des entreprises a aussi eu un impact sur nos comparaisons. En effet, le taux de change euro dollar a fortement évolué autour de l’année de la transaction ce qui a affecté la performance pré-­‐acquisition par l’agrégation des résultats d’Inbev en euros à ceux de AB en dollars. Ce phénomène a encore été accentué par l’utilisation d’un taux de change annuel moyen avec la volatilité élevée des taux de change. Dans un quatrième temps, notre incapacité à pouvoir extraire des vrais pairs en termes de performance nous a permis de souligner les limites des techniques d’ajustement à l’industrie et plus spécifiquement celles liées au pairage. Nous avons également pu remarquer que les mesures de performance ajustées doivent être relativisées au vu du caractère spécifique des fusions et acquisitions. Leur internationalisation complexifie la comparaison des entreprises et les nombreux facteurs idiosyncratiques peuvent constituer autant d’influences, qu’il est difficile, voire impossible, d’obtenir des mesures de performance ajustées optimales. De plus, l’utilisation de moyennes a pu occulter une grande variété d’entreprises. Par la suite, ce cas d’analyse démontre notre dépendance aux informations fournies par les gestionnaires qui pourraient avoir tendance à en manipuler l’interprétation pour servir leur intérêt personnel. Il est ainsi difficile de pouvoir séparer les effets de synergie « internes » des effets de synergie liés à l’acquisition. Finalement, la présence de ces nombreux biais nous a forcés à faire des choix et à prendre des décisions parfois arbitraires, mais pour tenter d’en limiter l’effet, nous avons essayé de présenter nos résultats sous formes diverses en testant les solutions qui nous paraissaient les plus appropriées. Même si nous 60 61 ne pouvons pas tirer une conclusion claire sur le bienfondé de l’acquisition d’Anheuser Busch par Inbev, la capacité du groupe à augmenter ses marges en maintenant un niveau de vente élevé et l’amélioration de son pouvoir de marché semblent nous faire pencher vers une justification économique de la prime versée. 61 62 2. Regroupement de Coors et Molson 33 2.1 Présentation des entreprises et de l’acquisition Présentation des entreprises Coors était le 3ème brasseur le plus important des Etats-­‐Unis avec un part de marché avoisinant les 11%. La société disposait également d’une forte présence au Royaume-­‐Uni où elle arrivait en deuxième position avec 21% du marché. L’origine de Coors remonte à 1873 avec l’ouverture par Adolph Coors d’une brasserie à Golden dans le Colorado, brasserie qui est encore aujourd’hui le plus gros site de production brassicole au monde. L’entreprise maintenait son siège à Golden et sa cotation principale sur le New-­‐York Stock Exchange. Molson34 était le leader sur le marché canadien de la bière avec une part de marché d’environ 43%. L’entreprise détenait une participation majoritaire dans Kaiser, le 3ème brasseur brésilien. Molson est la plus ancienne entreprise brassicole d’Amérique du Nord avec son origine familiale remontant à 1786. Le groupe maintenait son siège à Montréal au Canada et sa cotation principale à la bourse de Toronto. Présentation du regroupement C’est le 22 juillet 2004 que les deux entreprises ont annoncé vouloir se regrouper, mais c’est seulement à la fin du mois de janvier 2005 que le regroupement a été voté et mis en place. Des dissensions sur son bienfondé 33 Toutes les données présentées ici sont issues des rapports annuels et communiqués de presse de Coors Brewing Co., Molson et Molson Coors Brewing Company pris directement sur leur site internet ou sur les bases de données EDGAR et SEDAR. Elles ont été collectées à la main. De plus, la base de données Compustat North America a été utilisée pour vérifier le contenu de certaines données précédemment extraites et pour extraire la valeur de marché moyenne des deux entités avant l’acquisition. 34 Les années reprises par Molson vont du 1er avril au 31 mars, ce qui pourrait entrainer un biais pour la comparaison des performance pré et post-­‐acquisition. Elles ne s’arrêtent donc pas au 31 décembre comme c’est le cas pour Coors Brewing Co. et Molson Coors. Les résultats s’arrêtant au 31 mars 2005 ont donc été considérés comme les résultats 2004 pour la comparaison. 62 63 au sein de la famille Molson (principal actionnaire du groupe éponyme) ont en effet retardé le vote des actionnaires. Cette transaction est annoncée comme une fusion entre égaux. En réalité, l’entreprise a sa cotation principale aux Etats-­‐Unis, les actionnaires de Molson recevant des titres échangeables placés sur la bourse de Toronto. Le groupe maintient son siège mondial à Denver et à Montréal, la direction exécutive travaillant de Denver. Malgré un volume de ventes et un chiffre d’affaires plus de deux fois inférieur, les actionnaires de Molson détiennent 55% du nouvel ensemble. Cette situation s’explique par un niveau de marge bien plus élevé chez Molson, lui permettant ainsi de surpasser Coors en termes de BAIIA et de capitalisation boursière. Un groupe d’actionnaires indépendants s’est opposé à la transaction et à la perte de souveraineté associée, argumentant aussi l’absence de prime, le ratio d’échange reflétant presque exactement les cours des deux entreprises convertis en USD. Molson décida alors d’augmenter son dividende spécial de $3 CAD à $3,26 CAD puis à $5,28 CAD, soit une prime finale de 15,2%(35)(36). L’acquisition a permis à Molson Coors Brewing Company (MCBC) de devenir le 9ème groupe brassicole mondial (5ème au moment de la transaction) avec une part de marché de 2,7%37 en 2012. Aucune cession particulière n’a été exigée par les régulateurs. Attentes en termes de synergie Au moment du regroupement, les dirigeants de Molson Coors ont annoncé leur objectif d’extraction d’effets de synergie de 175 millions d’USD par année. Ces effets devaient se réaliser au cours des trois exercices suivant l’année du regroupement, soit d’ici l’année 2007. La réduction des coûts espérée devait se faire par la mise en œuvre de meilleures pratiques et d’initiatives visant à développer l’efficacité, par l’optimisation du réseau de brasserie, par la standardisation des activités brassicoles, par la consolidation de certaines fonctions administratives et finalement par la maximisation de la puissance 35 Prime de CAD 5,28$ par rapport au cours de CAD 35,8$ en vigueur le jour avant la première annonce de versement du dividende spécial. 36 Cette appréciation est la conséquence directe de la décision d’Eric Molson de s’abstenir du versement de sa part du dividende. 37 Euromonitor International 2012 Report 63 64 d’achat. Les dirigeants mettaient également de l’avant la « sécurisation » des droits de distribution de la marque Coors Light au Canada par l’unité canadienne du groupe et une plus grande efficacité de la gestion fiscale. En février 2005 le groupe annonçait son intention de fermer sa brasserie de Memphis dans le but d’économiser 32 à 35 millions d’USD de dépenses opérationnelles. Elle sera finalement revendue en 2006 à un groupe de cadres de la brasserie pour servir de centre de distribution externe des produits du groupe dans la région. Cette transaction est censée constituer le point d’orgue des réductions de coûts du programme de synergie mis en place. C’est dans l’optique d’évaluer la vraisemblance de ces synergies de coûts et de revenus qu’une évaluation adéquate en sera élaborée et décrite dans les paragraphes suivants. 2.2 Analyse de la performance opérationnelle avant ajustement pour l’industrie Résultats et analyse Pour plusieurs éléments comptables, nous ne disposons pas de données permettant la comparaison avec l’année 2008. En effet, à partir du 1er juillet de cette année, les activités américaines de Molson Coors (42% des parts) et de SAB Miller (58% des parts) ont été fusionnées pour créer MillerCoors, partager certains coûts et renforcer leur position concurrentielle. Pour la présentation dans son rapport annuel à partir de cette date, MCBC a déconsolidé cette unité et reporte ses résultats selon la méthode de mise en équivalence38. Le reste des activités du groupe et les six premiers mois de l’année 2008 sont reportés de manière consolidée de la même façon que les années précédentes. Pour cette raison nous devrons nous contenter d’une analyse comparative limitée pour cette année. Il nous sera en effet impossible d’inférer les résultats des six derniers mois vu l’influence de fortes saisonnalités dans le secteur brassicole. 38 Revenu des actions au prorata de sa part dans la nouvelle entité. 64 65 Après une mauvaise performance en 2005, le niveau des ventes a chuté pendant l’année 2006 en raison de la vente de la majorité de la participation de 83% dans le groupe déficitaire brésilien Kaiser qui comptait pour plus de 15% du volume du groupe. Il a, par la suite, augmenté pour l’année 2007. De légères diminutions au Canada (perte de parts de marché) et au Royaume-­‐Uni (tendance négative de la consommation) ont pu être compensées par l’augmentation des volumes aux Etats-­‐Unis. Cette augmentation a été couplée à des augmentations de prix constantes (au niveau global) comme nous l’indique le chiffre d’affaires par hectolitre qui progresse de 5,5% en 2007. Ces augmentations n’ont pourtant pas permis d’améliorer la marge brute avec un coût des ventes évoluant dans des proportions quasi similaires. Cette situation s’explique par l’inflation du coût des intrants, du prix de l’essence, la hausse des dépenses en emballage et la non-­‐linéarité des coûts fixes (baisse de volume au Canada et au Royaume-­‐Uni) qui n’ont pas pu être totalement compensés par des économies sur d’autres coûts. Certaines des économies réalisées proviennent des diminutions des charges d’exploitation suite à la restructuration de la brasserie de Golden, la vente de l’usine de Memphis en 2006 et la fermeture de l’usine d’embouteillage d’Edmonton en 2007. L’ouverture des brasseries de Elkton, en Virginie et de Moncton au Nouveau-­‐
Brunswick en 2007 ayant, elles, partiellement compensé ces baisses de charges. Les autres charges d’exploitation par hectolitre vendu ont légèrement augmenté entre 2004 et 2007, mais moins rapidement que les ventes en dollars (6,24% contre 12,16%). Une réduction des dépenses publicitaires au Royaume-­‐Uni (suivant la tendance à la baisse de la consommation) et des dépenses en personnel réduites dans toutes les unités du groupe n’ont pas suffi à compenser la hausse des budgets publicitaires aux Etats-­‐Unis. Le BAIIA normalisé a donc très légèrement augmenté après l’acquisition, avec une augmentation de 3,99% entre 2004 et 2007. De fortes augmentations aux Etats-­‐Unis (+40,9%) et au Canada (+12,13%) ont été compensées par une chute au Royaume-­‐Uni (-­‐46,2%). Les augmentations de prix pour toutes les unités et les augmentations de volumes aux Etats-­‐Unis semblent avoir généré l’essentiel de cette augmentation, les plans de réduction de coûts (coûts 65 66 administratifs) semblent avoir eu un effet limité par l’inflation du prix des intrants et la hausse de certains postes de dépenses. Le regroupement ne semble pas avoir entraîné une amélioration de la gestion du fonds de roulement d’exploitation. Le groupe a en effet vu son délai d’écoulement des stocks s’allonger de 31 à 35 jours. Le groupe attribue ce résultat à une stratégie d’expansion aux Etats-­‐Unis et dans l’ouest du Canada. Un remboursement plus rapide des effets de commerce assez marqué en 2006 et 2007 a entrainé une réduction du délai de paiement des fournisseurs (32 à 16 jours). Ces résultats n’ont été que partiellement compensés par une amélioration du recouvrement des créances commerciales passant de 47 à 42 jours. Les délais de paiement des fournisseurs que nous avons calculés sont à nuancer fortement en raison de la présence de charges à payer dans la rubrique des dettes commerciales des rapports annuels de l’entreprise Molson. Les résultats post-­‐regroupement semblent tout de même attester d’un paiement rapide des comptes fournisseurs. La dette à long terme a fortement augmenté suite au regroupement (+29%). Elle a permis le refinancement de la dette à court terme et le versement du dividende spécial de Molson pour 523 millions d’USD. Elle est par la suite restée stable en 2007. Comme nous l’avons expliqué précédemment, l’analyse de la performance de Molson Coors en 2008 est limitée par la méthode de mise en équivalence des résultats (pour les 6 derniers mois de l’année) de la nouvelle coentreprise MillerCoors. Nous avons donc décidé d’incorporer l’année 2008 dans nos graphes en reprenant la part de Molson Coors (42%) dans le bénéfice opérationnel qui nous paraît être une meilleure variable instrumentale que le bénéfice sur actions détenues tel que rapporté par l’entreprise. Nous l’avons ensuite additionné au numérateur pour notre premier ratio. Pour notre deuxième et troisième ratio, nous nous sommes contentés de reprendre les éléments des bilans tels que rapportés par le groupe (hors coentreprise). Le choix de cette méthodologie différente s’explique par notre volonté d’assurer une correspondance entre les éléments du numérateur et les éléments du dénominateur de chaque ratio. En effet, contrairement à l’avoir des 66 67 actionnaires, à la dette à long-­‐terme et à la valeur des immobilisations, la valeur des actions et de dette à court terme n’ont pas été réellement réduites par le changement de présentation. Mesure de performance n°1 : Graphe 7 18% 14% 10% 6% 2002 2003 2004 Molson Coors 2006 Coors 2007 2008 Molson Le graphe 7 ci-­‐dessus nous montre l’évolution de notre première mesure de performance pour les entreprises, séparées et combinées, entre 2002 et 2008. Rappelons que l’année d’acquisition, 2005 a été exclue de notre analyse. Le premier ratio de performance de Coors surpassait largement celui de Molson. Cette différence entre les deux entreprises s’explique surtout par une valeur de marché du capital employé (dénominateur) à performance relative supérieure chez Molson. Relevons également l’influence sur la valeur pro-­‐
forma de l’augmentation de la valeur du dollar canadien (dans lequel les opérations de Molson sont libellées) par rapport au dollar américain (dans lequel les opérations de Coors sont libellées). Le ratio de performance du groupe Molson Coors passe de 12,43% à 13,56% entre 2004 (pro-­‐forma) et 2006 avant de diminuer fortement (à 9,54%) en 2007. Malgré une légère augmentation de la performance absolue du groupe (numérateur) suite au regroupement, la performance par dollar de capital investi a enregistré une chute en raison d’une hausse de la valeur de marché des fonds propres (dénominateur) particulièrement marquée en 2007 (+40,26%). Les réductions de coût et de charges d’exploitation par hectolitre dégagées ont été compensées par une détérioration du fonds de roulement d’exploitation en 2007 et n’ont donc pas suivi cette augmentation. 67 68 Mesure de performance n°2 : Graphe 8 18% 14% 10% 6% 2002 2003 2004 Molson Coors 2006 Coors 2007 2008 Molson Le graphe 8 nous montre l’évolution de notre deuxième mesure de performance qui remplace la valeur de marché des fonds propres de la première mesure par une mesure « pure » de l’avoir des actionnaires (mesure comptable). La différence de performance de près de 3,52% entre les deux entreprises en 2004 s’explique par un dénominateur relatif plus élevé pour Coors. En ce qui concerne la comparaison de la performance pré (pro-­‐forma) et post-­‐acquisition (consolidée), la diminution du ratio de performance relative est la conséquence d’une forte réévaluation de l’avoir des actionnaires. Le ratio semble ensuite s’améliorer en 2008, mais une comparaison avec les années précédentes semble trop approximative. Mesure de performance n°3 : Graphe 9 20% 15% 10% 2002 2003 2004 Molson Coors 2006 Coors 2007 2008 Molson Le graphe 9 nous montre l’évolution de notre troisième mesure de performance avec un dénominateur comptable représenté par les actifs non courants (les investissements à long terme). Bien que ce ratio soit vu comme 68 69 « brut » parce qu’il omet toute une série d’informations opérationnelles, il semble concorder avec les deux premiers ratios. Molson avait un dénominateur relativement plus élevé résultant d’une valorisation supérieure de ses actifs intangibles. Suite à l’acquisition, le groupe a réévalué la valeur de ses marques et a comptabilisé une hausse du goodwill alloué aux opérations canadiennes et américaines suite à la fusion (sur base des synergies futures attendues principalement) poussant les immobilisations incorporelles à la hausse. Ces hausses provoquent une « cassure artificielle » de la performance relative de l’entreprise que nous avons tenté d’éviter de la même manière que pour le cas précédent39. Suite à cette correction, nous avons observé une diminution de la performance relative de l’entreprise entre 2004 et 2007, passant de 17,13% à 15,66%. Ce résultat est la conséquence d’une diminution du numérateur malgré l’acquisition d’immobilisations en 2007 poussant le dénominateur à la hausse. Discussion Nous avons analysé trois ratios qui avaient chacun pour but de comparer l’évolution de la performance opérationnelle (numérateur) aux ressources disponibles (dénominateur). Bien que différents, nos trois ratios convergent en constatant une diminution de la performance relative entre 2006 et 2007. Aucun ratio ne semble attester d’une amélioration de la performance relative suite au regroupement. La comparaison du deuxième est affectée par la réévaluation de l’avoir des actionnaires. Comme pour le cas précédent, cette discussion met en lumière les obstacles qui découlent de l’utilisation de mesures purement comptables pour l’évaluation des ressources en place et de leur comparaison autour d’un regroupement. La performance relative de l’entreprise semble donc s’être détériorée suite à l’augmentation du fonds de roulement et surtout l’augmentation de la valeur des mesures de ressources en place, et ce, malgré une hausse des prix et une réduction des coûts administratifs à volume constant. Le regroupement semble surtout avoir 39 Nous avons comptabilisé la mesure de l’année avant l’acquisition à laquelle nous avons ajouté les acquisitions d’immobilisations au fil du temps, prises à l’état des flux de trésorerie. 69 70 profité aux activités américaines du groupe. Il est aussi important de remarquer l’influence des variations des taux de change (entre l’Euro, le CAD et l’USD) sur la mesure de la combinaison pré-­‐acquisition (pro-­‐forma). Finalement, les biais qui ont affecté notre analyse et l’impossibilité de comparaison des résultats de l’année 2008 avec ceux des autres années limitent notre capacité à tirer une conclusion claire sur le rapprochement entre Molson et Coors. Toutefois, au vu des mesures de performance relative analysées, le regroupement ne semble pas avoir généré des effets de synergie réels. Il pourrait, en revanche, avoir permis à l’entreprise de mieux résister à la concurrence et aux volumes stagnants sur ses marchés clefs. De plus, le paiement d’une prime aux actionnaires de Molson à travers le versement d’un dividende spécial pourrait avoir dissimulé une amélioration de l’exploitation dans la mesure numéro 2, puisque ce dividende a été suivi d’une hausse de la valeur des actions au marché (hausse du dénominateur). Nous tenterons donc de déterminer dans la suite de notre analyse la justification ou non de la prime versée par rapport aux gains de synergie dégagés et par rapport aux effets de la conjoncture et de l’industrie. 2.3 Analyse de la performance opérationnelle après ajustement pour l’industrie Sélection des pairs 40 Nous avons tenté de choisir des brasseurs de taille et performance similaires. Comme pour le cas d’analyse précédent, nous avons puisé l’éventail de pairs le plus large possible au sein des 15 plus gros groupes brassicoles mondiaux. Le secteur est très concentré et nous n’avons pu en extraire que 3. Rappelons notre besoin d’avoir des entreprises cotées en bourse41, qui éditent leurs 40 Les valeurs de marché moyennes annuelles des fonds propres de Molson Coors on été extraites de la base de donnée Compustat North America, celles de Kirin Brewery Corp. et Calrsberg proviennent elles de la base de données offerte par les stations Bloomberg. 41 Ceci est nécessaire pour nous permettre d’avoir accès aux rapports annuels les plus détaillés possible ainsi que pour permettre le calcul de notre premier ratio prenant en compte la valeur de marché des fonds propres. 70 71 rapports annuels en français ou en anglais et qui n’ont pas réalisé d’acquisition d’une valeur supérieure à 20% de leurs capitalisations boursières respectives pendant l’année de la fusion de Molson et Coors, et pendant les 6 années d’analyse. Pour ces raisons il est difficile d’avoir une mesure optimale pour l’industrie dans la mesure où des disparités de performance subsisteront. Ces 3 entreprises sont les groupes Anheuser Busch, Carlsberg et Kirin Brewery Corp,(42),(43). L’année 2008 de Molson n’est pas réellement utilisable pour analyse et le nombre de pairs à notre disposition est très limité. Pour ces raisons nous avons dû dissocier cette année de notre analyse. Nous avons aussi du faire le choix de Anheuser Busch malgré l’absence de rapport annuel de 2008 suite à sa fusion avec Inbev, et le choix de Carlsberg malgré l’acquisition importante qu’elle a réalisée en 2008. Résultats et analyse Mesure de performance n°1 : Graphe 10 14% 12% 10% 8% 2002 2003 Pairs 2004 2006 2007 Molson Coors Le graphe 10 nous montre l’évolution de la performance de notre premier ratio pour Molson et ses pairs. L’entreprise avait une performance pré-­‐
acquisition légèrement supérieure à ses pairs sauf pour l’année 2002. Malgré une diminution du ratio ajusté pour les années post-­‐acquisition (4,53% à 42 Malgré sa forte exposition internationale, le groupe a une forte présence au Japon ou Molson Coors n’est pas présent ce qui limitera la portée de la réduction de l’effet conjoncturel. 43 Le Yen a connu des fluctuations relativement importantes au cours de notre période d’analyse et ce, particulièrement l’année 2011. Ceci pourrait avoir de légère conséquence sur notre analyse malgré la politique de couverture de l’entreprise. 71 72 0,96%) Molson Coors a réussi à garder un niveau de performance ajustée plus ou moins équivalent à celui qu’il avait atteint en 2004 (0,96% contre 1,27%). Ces résultats sont bien sûr à nuancer au vu de la grande diversité de niveau de performance et de couverture géographique des entreprises analysées. Anheuser Busch semblait être un bon pair en termes géographiques mais relativement moins en termes de performance. Carlsberg a une forte position au Royaume-­‐Uni et avait une taille relativement similaire. Kirin est surtout actif sur le continent asiatique ou Molson Coors ne dispose pas d’activité d’importance. Mesure de performance n°2 : Graphe 11 14% 12% 10% 8% 2002 2003 Pairs 2004 2006 2007 Molson Coors Le graphe 11 reprend l’évolution de notre deuxième ratio de performance pour Molson Coors et notre étalon industriel. Le groupe semble avoir maintenu une performance ajustée négative tout au long de notre période d’analyse. Sa performance relative n’a cessé de se détériorer depuis 2003. Le groupe termine l’année 2007 avec un ratio ajusté négatif de -­‐ 4,62%. La réévaluation de l’avoir des actionnaires (dénominateur) lors de la fusion semble être l’élément principal de la diminution de la performance entre 2004 et 2006. Une baisse de performance relative du résultat opérationnel a contribué à creuser l’écart en 2007. Notre deuxième mesure de performance n’atteste donc pas d’une amélioration de la performance suite à l’acquisition. Notre graphe 5 atteste, comme pour le cas précédent de notre incapacité à avoir mis en place un échantillon de pairs en termes de performance. 72 73 Mesure de performance n°3 : Graphe 12 27% 22% 17% 12% 2002 2003 Pairs 2004 2006 2007 Molson Coors Notre graphe 12 qui reprend l'évolution de notre troisième mesure de performance nous montre une performance relative négative tout au long de notre période d’analyse en suivant une trajectoire qui s’approche du ratio précédent. Nous constatons cependant une amélioration de la performance ajustée suite au regroupement. Elle passe ainsi d’un niveau de -­‐6,8% en 2004 à un niveau de -­‐5,27% en 2007. Comme pour le deuxième ratio, notre échantillon de pairs est fortement influencé par la performance d’Anheuser Busch qui surpasse très largement celle des autres concurrents. Ce ratio dépend également des normes comptables de chaque pays pour ce qui est de l’évaluation dite « juste » des actifs en place. Discussion Nos trois ratios ont été ajustés par une mesure de pairage sectorielle. Ils semblent attester d’une stagnation, voire d’une détérioration, de la performance ajustée après le regroupement. Molson Coors a maintenu une performance opérationnelle inférieure à celle de ses pairs pendant toute notre période d’analyse, à l’exception de la première mesure de performance avec des résultats qui oscillent fortement. Bien que nous ne disposions pas de résultats ajustés clairs pour l’année 2008, les résultats que nous venons de commenter semblent établir une tendance claire à une sous-­‐performance du groupe vis-­‐à-­‐vis de ses pairs. 73 74 Comme pour le cas précèdent nous avons dû faire face à de nombreux biais. Nous avons tout d’abord rencontré des problèmes similaires au niveau de notre choix de pairs et à l’impossibilité d’identifier de vrais pairs en termes de performance. Notre analyse nous permet à nouveau de souligner les limites des techniques d’ajustement à l’industrie et plus spécifiquement celles liées au pairage, les facteurs idiosyncratiques de chaque entreprise maintenant une grande influence. Dans un deuxième temps, notre analyse pour l’industrie met encore une fois en lumière les problèmes qui émergent de l’utilisation de mesures comptables pour évaluer les ressources en place et les comparer autour d’un regroupement. Même après ajustement, il reste difficile d’obtenir une mesure optimale de performance. En revanche, l’utilisation d’une valeur de marché au dénominateur semble entrainer des fluctuations de performance au gré de l’évolution des attentes des investisseurs, ce qui va à l’encontre des conclusions de notre premier cas d’analyse. La déconsolidation des activités de la coentreprise MillerCoors a finalement limité notre horizon d'étude. Elle nous a également permis de nous rendre compte de l’importance de la méthode de comptabilisation des résultats dans les entreprises pour lesquelles un groupe détient une participation. 2.4 Effets de synergie et justification de l’acquisition 44 Résultats Molson Coors a augmenté ses prix pour compenser l’augmentation des coûts de matières premières. Comme nous l’avons expliqué précédemment, ces augmentations ont surpassé l’augmentation du coût des marchandises vendues permettant ainsi à l’entreprise d’améliorer ses marges. Elle a, rappelons le, fermé son usine de Memphis, réduisant sa capacité de production et les coûts fixes qui y était associés, mais poussant les coûts de distribution à la hausse. La société a donc pu augmenter ses prix à un niveau supérieur à celui que l’augmentation des charges d’exploitation pouvait 44 Les objectifs du groupe en termes d’effets de synergie se prennent fin en 2007 (inclus). Notre volonté d’éviter certains biais par la non-­‐prise en compte des résultats de l’année 2008 ne devrait donc avoir qu’une influence limitée sur nos conclusions. 74 75 justifier. La rationalisation des autres implantations et la stratégie d’expansion aux Etats-­‐Unis ont poussé l’entreprise à ouvrir deux nouvelles brasseries (Moncton et Elkton) et à fermer une unité d’embouteillage (Edmonton). Les autres charges d’exploitation ont ainsi augmenté, poussées par l’augmentation des dépenses publicitaires et des coûts de distribution. Cette hausse a cependant été limitée par la réduction des coûts administratifs par hectolitre vendu ; les coûts administratifs semblent être le poste principal de dépense sur lequel le groupe a pu dégager des effets de synergie. Cependant, ces effets et la réduction des doublons qui y auraient été associés ont été limités par le caractère familial et traditionnel de l’actionnariat majoritaire sans lequel le groupe n’aurait peut-­‐être pas maintenu ses deux sièges de Montréal et Denver. Le regroupement ne semble pas avoir entraîné une amélioration de la gestion du fonds de roulement d’exploitation. Si nous ne tenions pas compte de la présence d’un biais dans le poste de dettes commerciales de Molson, il se serait même détérioré, entrainant des effets négatifs de 269,07 millions d’USD. Le groupe a en effet vu son délai d’écoulement des stocks s’allonger de 31 à 35 jours. Il a enregistré une réduction importante du délai de paiement des fournisseurs (32 à 16 jours). Ces résultats n’ont été que partiellement compensés par une amélioration du recouvrement des créances commerciales passant de 47 à 42 jours. Cependant comme nous l’avons souligné, la présence de charges à payer dans la rubrique des dettes commerciales des rapports annuels de l’entreprise Molson génère un biais qu’il est impossible de quantifier. Sans la prise en compte de cette rubrique, l’entreprise aurait amélioré la gestion de son fonds de roulement de 62,29 millions d’USD sur base annuelle. Les résultats post-­‐regroupement semblent tout de même attester d’un roulement rapide des dettes envers les fournisseurs et des stocks. Une fois encore, prendre ou ne pas prendre en compte le poste de dettes commerciales altère les résultats de notre analyse ; nous avons affaire à un exemple de plus de l’imperfection de l’information financière à disposition. Des économies d’envergure pourraient s’être matérialisées, mais elles sont difficilement quantifiables, les deux entreprises travaillant déjà étroitement à 75 76 la distribution de leurs marques respectives avant le regroupement. Notons également qu’aucun produit de cession lié au regroupement n’a été comptabilisé. Des petites acquisitions régionales de distribution ont aussi été réalisées, mais leur taille limitée rend quasi nul l’effet de leur non-­‐
comptabilisation. Les dépenses d’investissement n’ont pas été ici comptabilisées, car, comme nous l’avons souligné dans notre méthodologie, il est difficile de distinguer celles intrinsèquement liées au regroupement de celles qui auraient été faites de toute façon. En revanche, une allocation détaillée des charges de restructuration liées au regroupement nous a permis une évaluation précise. Pour le calcul de la prime, nous avons considéré une prime de 15,20% correspondant au coût du versement du dividende spécial de $5,28 CAD tel que reporté dans le rapport annuel de l’entreprise pour l’année 2005. Malgré la dénomination publique de fusion, ce regroupement est rappelons le, une acquisition par échange d’action de Molson par Coors. Choix du taux d’actualisation et analyse Le taux d’actualisation correspondant à l’incertitude des effets de synergie escomptés est difficile à évaluer. L’étendue limitée des effets attendus par rapport à certains de leurs concurrents rend relativement probables les objectifs du groupe. Le taux des obligations américaines sert en général de base de référence pour ce genre d’évaluation, mais l’incertitude entourant l’effet réel de la gestion du fonds de roulement et la subjectivité quant à l’adaptation de ce taux à la certitude des réalisations nous poussent à présenter, comme pour le cas précédent, divers scénarii. Dans un premier temps, nous présenterons les résultats en utilisant le taux des obligations américaines à 3 mois annualisé sans changement. Nous présenterons ensuite deux taux de rendement exigés selon l’hypothèse de durée de fixation des effets de synergies (perpétuité et 10 ans) en suivant la même méthode que dans notre cas d’analyse précédent45. Tous ces scénarii ne prendront pas en 45 Il s’agit des taux de rendement exigés qui font s’équivaloir les dépenses totales pour l’acquisition et les effets de synergie dégagés. Il s’agit donc des taux en 76 77 compte l’effet des dettes commerciales, leur comptabilisation posant des problèmes d’interprétation (solde d’effets négatif). Au vu de l’importance des différents biais auxquels nous faisons face, nous avons également décidé de présenter l’hypothèse de perpétuité sur la base de la réalisation des effets de synergie communiqués par le groupe. Ils étaient d’environ 59 millions d’USD en 2005, 125 en 2006 et 180 en 2007 (soit 5 millions d’USD de plus qu’attendu). L’évaluation du groupe se rapproche très fortement de notre évaluation des effets de synergie qui ne tient pas compte des variations des comptes de dettes commerciales. Comme pour le cas précédent nous cherchons le paramètre « tx » ci-­‐dessous. Formule de perpétuité : Effets 2005 + Effets 2006/(1+tx) + (Effets 2007/tx)/(1+tx)1 Formule sur 10 ans : Effets 2005 + Effets 2006/(1+tx) + Effets 2007/(1+tx)2 + Effets 2007/(1+tx)3 + Effets 2007/(1+tx)4..........+ Effets 2007/(1+tx)11 Formule des dépenses totales : Prime + coûts de transaction -­‐ VAN Produits de cessions + VAN Frais de restructuration Pour justifier l’acquisition, la valeur actuelle nette des effets de synergie doit donc s’élever, au minimum, à la somme de la prime, des frais de transaction et des frais de restructuration de laquelle nous déduisons les produits de cession. Nous obtenons donc une somme variable (en fonction des hypothèses de taux) de 646,6 à 656,47 millions d’USD. En ce qui concerne l’hypothèse de perpétuité, le taux maximum en-­‐dessous duquel l’acquisition se justifierait est de 20,94%. Pour l’hypothèse d’une fixation sur 10 ans des effets de synergie, le taux est de 17,77%. Ces taux sont tous deux largement supérieurs aux taux des obligations ou emprunts de diverses échéances qui peuvent être souscrits par des entreprises ne faisant pas face à un risque de faillite. En ce qui concerne l’hypothèse de perpétuité avec les effets dessous desquels l’acquisition se justifie du point de vue de la création de valeur pour les actionnaires de l’entité acquéreuse. 77 78 communiqués par groupe le taux est de 20,99%. Finalement, en reprenant les obligations américaines (4,46% en 2007) les gains seraient de 3,818 milliards d’USD, dépassant très largement la somme de l’acquisition. L’appréciation du cours de l’action qui a suivi la transaction ne semble pas corroborer la conclusion de destruction de valeur à laquelle mènent nos calculs lorsqu’ils incluent le poste problématique des dettes commerciales Sans tenir compte de l’effet de ce dernier, le regroupement semble avoir généré une valeur actuelle (l’année du rachat) nette positive, compensant largement la prime payée, et ce, peu importe le taux d’actualisation choisi. Discussion Nous avons pu à nouveau remarquer notre dépendance aux informations communiquées par l’entreprise. Même si la réalisation des effets de synergie qu’elle communique se rapproche très fortement de celle de nos évaluations qui ne tient pas compte des variations des comptes de dettes commerciales, le manque d’informations spécifiques à certains éléments comptables d’exploitation plus précis a limité notre capacité à obtenir des résultats concrets. Dans l’hypothèse d’une fourchette de taux d’actualisation entre 4,46% +200 points de base et 4,46% +350 points de base la répartition des gains synergétiques atteindrait entre 63,83% et 65,86% pour les actionnaires de Molson et entre 36,17% et 34,14% pour ceux de Coors. Ces résultats ont été calculés sur la base de la somme d’une répartition des bénéfices associés à la nouvelle entité au prorata des actions détenus par les actionnaires de Molson (soit 55%) et du dividende spécial. Formule de répartition des gains : ((55% x effets de synergie nets) + Prime)/ Effets de synergie nets)46 Le choix de telles primes de risque (+200 points de base et +350 points de base) se justifie par notre estimation du niveau de risque induit par la 46 Les effets de synergie nets équivalent aux Effets de synergie – VAN Frais de restructuration – frais de transaction. 78 79 réalisation des effets de synergie. Nous nous sommes basés pour cela sur le coût pondéré de la dette (borne inférieure) et sur une évaluation subjective du coût du capital actions et dette (borne supérieur) du groupe. Sans pouvoir réellement en préciser l’ampleur, l’entreprise semble avoir pu améliorer son pouvoir de marché et réaliser des économies d’échelles dans ses dépenses administratives. 2.5 Conclusion Comme pour le cas précédent, nous avons pu nous en rendre compte de la difficulté à pouvoir évaluer l’amélioration de la performance et les effets de synergie qu’un regroupement peut générer. En premier lieu nous avons rencontré de nombreuses limites aux données disponibles qui nous ont posé des problèmes lors de l’analyse. Ainsi, la méthode de comptabilisation des participations, ou des coentreprises dans le cas de MillerCoors et la mise en équivalence des résultats sur action plutôt que la prise en compte du résultat opérationnel a limité notre horizon d’étude et nous a empêché d’avoir des résultats comparables pour l’année 2008. Les cessions ne découlant pas directement du regroupement, mais se produisant dans notre période d’analyse post-­‐acquisition (comme c’est le cas pour la vente de la filiale brésilienne déficitaire) ont également un impact sur l’évolution des résultats de l’entreprise. Le manque de précision de certains rapports annuels (ceux de l’entreprise Molson en particulier) et certaines différences de normes comptables peuvent avoir affecté notre analyse. Il est aussi important de noter la grande volatilité du fonds de roulement, reflet de l’instabilité de ses composants. En deuxième lieu, cette analyse de cas contraste avec l’analyse de notre premier cas. Tout comme pour le premier cas nous avons été exposé aux problèmes émergeant de l’utilisation de mesures comptables, plus spécifiquement ceux liés aux réévaluations. Mais l’utilisation d’une valeur de marché au dénominateur de notre premier ratio a entrainé des fluctuations de performance au gré de l’évolution des attentes des investisseurs. De plus, 79 80 notre dépendance à l’évaluation boursière préalable de la cible a influencé l’évaluation de la prime versée. En troisième lieu, l’évolution à la hausse du taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien autour de l’année de la transaction n’a pas réduit l’effet des biais liés au caractère international des regroupements. Comme pour le cas d’AB Inbev, le phénomène a été accentué par l’utilisation d’un taux de change annuel moyen malgré la volatilité élevée des taux de change. En quatrième lieu, nous avons rencontré d’autres problèmes équivalents à ceux rencontrés dans notre premier cas d’analyse, que ce soit au niveau des limites des techniques d’ajustement à l’industrie (plus spécifiquement celles liées au pairage) ou à notre dépendance aux informations fournies par les gestionnaires ; ces derniers pourraient avoir tendance à en manipuler l’interprétation pour servir leur intérêt personnel. Nous avons aussi pu nous rendre compte des spécificités liées aux entreprises dites « familiales » et aux caractéristiques inhérentes à la présence d’un actionnaire majoritaire. Ces spécificités semblent en effet limiter la capacité d’extraction d’effets de synergie de l’entreprise. De manière plus générale, les caractéristiques actionnariales et fiscales peuvent entrainer une différence dans l’évaluation de deux entités d’un regroupement. Ainsi, la présence d’une prime (à travers le versement d’un dividende spécial) malgré la dénomination publique de fusion peut laisser imaginer une différence de vision ou d’intérêt à la réalisation de la fusion, à son évaluation et au partage des gains qui doit en être fait. La dénomination choisie n’est pas anodine et apparaît souvent comme une stratégie de marketing à destination des investisseurs. Finalement, la récurrence de nombreux biais nous a forcés à faire des choix et à prendre des décisions parfois arbitraires mais, pour tenter d’en limiter l’effet, nous avons essayé de présenter nos résultats sous des formes diverses en testant les solutions qui nous paraissaient les plus appropriées. Sans pouvoir tirer de conclusion manifeste sur le bienfondé du regroupement de Molson et Coors, les efforts du groupe semblent avoir créé une richesse 80 81 limitée, et ce, spécialement quand on la compare à celles créées par ses pairs. Elles pourraient en revanche avoir permis au groupe de mieux résister à la concurrence, aux volumes stagnants sur ses marchés clefs et à la très forte consolidation du secteur. Dans ce sens, un regroupement assorti de l’octroi d’une prime inférieure à celles des acquisitions en numéraire semble raisonnable. 81 82 VI. CONCLUSION Jusqu’alors, peu de recherche précise existait sur le secteur brassicole, une industrie pourtant en tête des transactions de fusions et acquisitions. La multiplicité des études sur les regroupements d’entreprises et leur incapacité à s’accorder sur des tendances émergentes en ce qui concerne leur justification nous ont poussés à vouloir clarifier notre vision et à tenter d’apporter certaines réponses. Les effets de synergie, fer de lance des arguments avancés pour la justification des regroupements se sont avérés difficiles à évaluer et nous avons pu nous rendre compte de notre dépendance aux informations divulguées par l’entreprise et aux limites qu’elles comportent. D’un côté, la communication de l’information financière et son uniformisation (pour une comparaison temporelle et pour l’ajustement à l’industrie) se sont fortement améliorées ces dernières années grâce notamment à une tendance à la normalisation comptable. D’un autre côté, nous avons pu nous rendre compte qu’il subsistait encore beaucoup de disparités. Les informations et plus spécifiquement les explications à la disposition des analystes, des investisseurs et du personnel académique sont hautement incomplètes pour juger de manière relativement précise des actions d’une entreprise, que ce soit en termes d’investissements ou d’évaluation de projet et donc de l’estimation de la valeur de l’entreprise et de sa stratégie. Dans ce sens, notre concentration sur l‘état des flux de trésorerie nous a aidé à nous rendre compte de lacunes particulières en ce qui concerne l’activité d’exploitation et l’identification des effets de synergie liés à l’acquisition. L’entreprise n’est certes plus cette boite noire qu’elle fut aux siècles ou décennies passés pour les investisseurs, mais il reste encore du chemin à faire en termes de communication et il faudrait pour cela une incitation supplémentaire des gestionnaires à se livrer à plus de transparence. Nous avons donc rencontré de nombreux problèmes inhérents à l’évaluation des regroupements qui ont limité notre capacité à tirer des conclusions précises. Si l’utilisation de mesures spécifiques et l’application d’une étude de cas avec l’analyse de rapports annuels génèrent de nombreux biais, alors cela peut a fortiori nous porter à remettre en question la fiabilité des études sur bases de données ; ces dernières incluent en effet sous les mêmes vocables 82 83 des mesures pouvant représenter des réalités très différentes ; aucun examen critique n’est réalisé. Nous comprenons aussi mieux la multiplicité et la diversité des résultats des études sur les regroupements. Il ne semble pas encore exister de mesure optimale de la performance opérationnelle, et ce, en particulier quand nous prenons en compte la problématique moderne des fusions et acquisitions internationales ou l’effet de la stratégie d’investissement sur les comparaisons entre entreprises. Ainsi, nous nous sommes rendu compte des limites des techniques d’ajustement à l’industrie et de la difficulté d’identifier des entreprises « pairs», que ce soit en termes de performance ou en termes de taille. Nous n’avons pas non plus pu dégager un avis tranché sur la plus grande efficacité de l’utilisation de mesures comptables ou de mesures de marché. Une mesure hybride au dénominateur reprenant une mesure de marché et une mesure comptable (valeur de la dette nette) semblant tout de même mieux à même de refléter les ressources en place. Dans la recension de textes, nous avions pu mettre en avant les problèmes liés à l’utilisation de mesures de marché (chute du cours dans les années suivant l’acquisition) mais cette constatation empirique ne semble pas s’être vérifiée dans nos cas d’analyse. Nous avons également pu nous rendre compte de la portée et de la matérialisation des différents types d’effets de synergie. En premier lieu, les économies d’échelles semblent constituer l’essentiel des effets dégagés, c’est aussi l’effet le plus facilement quantifiable. Ensuite, les économies d’envergure sont, elles, quasi impossibles à évaluer tant la précision de l’information qu’elles demandent est forte. Finalement, l’industrie brassicole semble profiter de la consolidation pour augmenter son pouvoir de marché et augmenter ses prix, mais il reste ici difficile de distinguer l’utilisation du pouvoir de marché existant et l’augmentation attribuable au regroupement. Enfin, le choix de nos cas d’analyse nous a permis de nous interroger sur les caractéristiques propres aux différents types de regroupement. Une acquisition par échange d’actions comme celle de Molson Coors suppose en général une prime limitée étant donné la possibilité pour les actionnaires de la cible d’également profiter des éventuels effets de synergie qui seraient 83 84 dégagés. Il devrait donc être plus facile d’extraire de la valeur additionnelle par rapport à la prime, ce que nos cas d’analyse n’ont pas réussi à démontrer. Finalement, même si nous n’avons pas pu apporter des réponses claires et univoques sur la justification des fusions et acquisitions ou sur la capacité des gestionnaires à extraire des effets de synergie, nous avons pu faire ressortir certaines tendances et nous rendre compte de la difficulté d’analyser la performance opérationnelle d’une entreprise et ce, même à travers une analyse de cas plus précise. 84 85 VI. BIBLIOGRAPHIE 1. Articles Agrawal, A., Jaffe, J., Mandelker, G., 1992. The post-­‐merger performance of acquiring firms: a re-­‐examination of an anomaly. Journal of Finance 47, 1605–
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