55 LE DÉBAT ÉGALITÉ-ÉQUITÉ Le terme égalité fait partie, avec la liberté et la fraternité, des principes fondateurs de la République. Cependant, ce principe peut faire oublier que les inégalités sont multiples et qu’il peut être préférable de se référer au principe d’équité. L’ÉGALITÉ, VALEUR FONDAMENTALE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE q Les différents types d’égalités On distingue habituellement trois types d’égalités. L’égalité des droits ou des conditions juridiques signifie que tous les individus sont égaux devant la loi, comme le L’égalitarisme stipule la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les L’égalitarisme est une doctrine polihommes naissent et demeurent libres et tique qui place l’égalité au-dessus de égaux en droits. » Son corollaire est l’égatoutes les valeurs. Cette « passion lité politique, c’est-à-dire que les citoyens pour l’égalité », selon l’expression sont égaux entre eux : le vote de chaque d’Alexis de Tocqueville, conduit à refuser tout traitement différencié des individus, individu a le même poids lors d’une élecquels que soient leur milieu social, leurs tion. L’égalité de fait ou des conditions conditions de vie, leur milieu familial… matérielles d’existence signifie qu’il y a un rapprochement objectif du niveau de vie des groupes sociaux, notamment en termes de revenu ou de patrimoine. Enfin, l’égalité des chances qui est étudiée dans la fiche 22 signifie que tout individu peut accéder aux positions sociales que lui permettent ses talents propres. q La place cruciale de l’égalité dans la société française Depuis la Révolution et l’adoption de la devise « liberté, égalité, fraternité », l’égalité joue un rôle crucial dans la société française. C’est l’égalité politique qui a été la première préoccupation des constituants de 1789 : en réaction à une société hiérarchisée en ordres, l’objectif était de donner à chaque citoyen les mêmes droits. Les régimes successifs ayant peu à peu remis en cause cette vision égalitaire, il faudra attendre en fait 1946 pour que tous les citoyens (et citoyennes) français aient le même poids dans l’élection. C’est dans l’après-guerre que la lutte contre les inégalités de condition s’impose comme objectif de l’intervention de l’État. Outre l’égalité de traitement des usagers des services publics, cet objectif est illustré par le versement sans critères restrictifs de certaines prestations (par exemple les allocations familiales) ou le remboursement identique des soins médicaux par la Sécurité sociale pour tous les individus. La redistribution s’impose cependant comme un moyen de corriger les inégalités de revenu : en plaçant de nombreuses prestations sous condition de ressources, on demande à ceux qui ont un revenu élevé de financer par leurs cotisations les prestations versées à ceux qui ont des revenus inférieurs au seuil fixé. De nos jours, la quasi-totalité des prestations sociales est ainsi distribuée. 124 L’INÉGALITÉ EST-ELLE TOUJOURS INJUSTE ? L’équité peut être définie comme la situation où chacun dispose de ce qui lui est nécessaire, en fonction de ses besoins « objectifs » et de sa participation à la création des richesses. q Égalité ne signifie pas équité Dans cette perspective, les inégalités de revenus ne sont pas forcément injustes dans la mesure où elles répercutent des disparités dans les qualifications, dans le degré de responsabilités… En pratique, le concept d’équité, fondé sur le « principe de différence » énoncé par John Rawls, est surtout utilisé pour critiquer l’intervention égalitaire de l’État-providence. q L’égalité, une menace pour l’allocation optimale des ressources ? Dans l’analyse libérale traditionnelle, deux arguments reviennent couramment. La discrimination positive, La redistribution constituerait une désincitation au travail : ceux qui reçoivent des une pratique équitable prestations sont encouragés à l’oisiveté et ceux qui financent les prestations par Le philosophe John Rawls (1921-2002) estime qu’une société juste est une soleurs cotisations voient une partie du fruit ciété qui donne les mêmes chances à de leurs efforts s’envoler. De plus, l’arsenal tous ses membres tout en respectant redistributif garantit les individus contre leur liberté et leurs différences. les aléas de la vie (maladie, invalidité…) et Au nom de ces principes, on peut toléoffre un revenu lors de la vieillesse ; les rer les inégalités si elles donnent un individus ne sont alors pas incités à se avantage aux plus défavorisés, c’est la constituer une épargne de précaution, discrimination positive en France (parité homme-femme pour les élections) ou dont les sommes permettraient le financeaffirmative action aux États-Unis (quoment direct des entreprises sur les martas d’étudiants noirs aux États-Unis). chés financiers. La croissance économique serait donc freinée par un tel système redistributif. Cette analyse ne prend cependant pas en compte les effets positifs de la redistribution, notamment celui de protéger relativement contre la grande pauvreté et de stabiliser la demande, donc la production, y compris en période de récession… q L’abandon du critère d’égalité, une menace pour la démocratie ! La nécessité d’une réduction des inégalités a été montrée par Jean-Jacques Rousseau, qui explique que trop d’inégalités nuisent à la démocratie. En effet, des inégalités trop importantes et trop criantes conduiraient ceux qui en souffrent à remettre en cause leur volonté de vivre en paix avec les autres. Enfin, si on accepte comme « naturelles » certaines inégalités, quel argument peut-on opposer à ceux qui pensent que certaines catégories de la population ne devraient pas bénéficier du droit de vote, au motif qu’elles sont moins instruites et moins compétentes pour comprendre les affaires publiques? Légitimer les inégalités de fait conduit à une remise en cause de l’égalité des droits! 125