ALLOCATION MULTI ACTIFS RECHERCHE ÉCONOMIQUE Marketing communication Ce document n’a pas été élaboré selon les dispositions réglementaires visant à promouvoir l’indépendance des analyses financières et ses auteurs ne sont pas soumis à l'interdiction d'effectuer des transactions sur l'instrument concerné avant la diffusion de la communication Étude, septembre 2014 Stagnation séculaire et allocation d’actifs Il n’existe pas de cadre simple permettant de décrire la stagnation séculaire et d’estimer le taux d’intérêt réel naturel. Non seulement le contexte théorique n’est pas toujours évident, mais les outils empiriques disponibles n’existent pas toujours. De plus, les ÉtatsUnis servent souvent de référence alors que le risque de stagnation séculaire est probablement beaucoup plus élevé dans la zone euro. Quelles qu’en soient les causes, ou même la véracité, l’hypothèse de stagnation séculaire soulève le problème majeur du cadre temporel de la politique économique. En particulier, de nombreux instruments ont été conçus ou pensés comme étant temporaires, de sorte que leur mise en œuvre sur une période trop longue a produit des résultats indésirables : les politiques de relance budgétaire ont abouti à une crise d’insoutenabilité de la dette publique ; l’excès de liquidités pour soutenir la croissance a entraîné le recours excessif à l’endettement et la formation de bulles. Le taux naturel n’est pas un paramètre facile à utiliser et peut s’avérer inutile dans la conduite de la politique monétaire à court terme. Non pas que le retour à l’approche wicksellienne de l’économie soit inutile – les déviations par rapport à ce taux naturel sétant toujours accompagnées de variations en matière d’inflation et de chômage – mais l’idée selon laquelle elle pourrait être utile en temps réel est clairement erronée. En tant que cible pour les rendements à long terme, le débat reste beaucoup plus ouvert. Le débat sur la stagnation séculaire met en lumière les nombreux déterminants de la croissance potentielle et offre un cadre permettant d’évaluer le niveau de taux d’intérêt de long terme/d’équilibre à travers les estimations de la croissance potentielle. Cependant, l’analyse s’avère imprécise dans la mesure où la crise du crédit a donné naissance à de nombreux changements réglementaires qui pourraient avoir durablement affecté la relation des investisseurs au risque (une autre composante du rendement réel). Enfin, nous estimons que le plus grand risque pour les investisseurs provient de la mauvaise identification du prochain régime économique. En dépit de certaines similarités, les régimes de stagnation séculaire d’un cote et de ralentissement durable (« soft patch) de l’autre diffèrent significativement en termes de risque, de volatilité et de recommandations en termes d’allocation d’actifs. En résumant de façon très simplifiée, la stagnation séculaire conduit à un faible rendement et une faible volatilité tandis que le ralentissement se caractérise par un rendement et une volatilité plus élevés. Il n’y a pas de « free lunch ». Cross-asset Analysis Evariste Lefeuvre + 1 212 891 6197 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS Stagnation séculaire et allocation d’actifs Après plusieurs années de Grande Modération, l’économie mondiale entre-t-elle dans une ère de stagnation séculaire? Comme l’a affirmé John Cochrane il y a quelques mois, « la stagnation séculaire a besoin d’un modèle, pas de blogues ». Selon la définition la plus répandue, la stagnation séculaire, d’après Baldwin & Teulings, se produit lorsque des taux d’intérêt réels négatifs sont nécessaires pour que l’épargne soit égale à l’investissement. Nous reviendrons sur la définition des taux d’intérêt réels, mais cette définition devrait réveiller la mémoire de tout investisseur ayant connu la période « d’excès d’épargne » (« saving glut ») du milieu des années 2000. Le même débat prévalait lorsqu’il s’agissait d’essayer de comprendre le manque de réactivité de la partie longue de la courbe au resserrement de la Fed, un phénomène qualifié de « conundrum » : était-ce dû à un excès d’épargne (notamment de la part des pays émergents) ou à un manque d’opportunités d’investissement ? Si la stagnation est séculaire, alors l’investissement ne dépend ni de la demande à court terme – modèle de l’accélérateur – ni du coût d’utilisation du capital – modèle néoclassique – mais principalement des taux d’intérêt réels. Le taux d’intérêt réel est déterminé par les positions relatives des courbes d’épargne et d’investissement. Taux d’interet reel Epargne “saving glut” R* R** Investissement “secular stagnation” E, I Une approche simple distinguerait entre deux périodes : 1. Au milieu des années 2000, la courbe d’épargne s’est déplacée vers la droite en réponse à l’accumulation d’énormes montants de réserves de changes de la part de nombreux pays émergents. Certes, les balances courantes positives doivent être compensées par des balances courantes négatives. Aussi, le graphique pourrait-il être considéré comme inadéquat à l’échelle mondiale, d’autant plus que les données suggèrent que l’épargne mondiale est restée globalement stable autour de 23/24% du PIB mondial au cours des dernières années. Compte tenu du fait que la plupart des réserves de changes ont été investies dans des obligations du Trésor américain, dont l’offre est demeurée limitée, le graphique reste pertinent. 2. Dans de nombreuses zones économiques, en particulier en zone euro, l’investissement productif est resté faible au cours des dernières années, d’où le déplacement de la courbe d’investissement vers le sud-ouest qui implique une baisse des taux d’intérêt réels. Le manque de réactivité de l’investissement peut s’expliquer aussi par l’énorme contrainte de crédit à laquelle font face les entreprises (notamment les PME), l’incertitude politique et réglementaire ou le manque structurel d’opportunités d’investissement. Stagnation séculaire et politiques monétaires non conventionnelles Ce que les économistes appellent la borne de taux zéro constitue la principale différence entre les deux épisodes présentés ci-dessus. Les taux repo officiels sont proches de zéro dans presque toutes les économies développées. Ceci a rendu les instruments traditionnels de politique monétaires pratiquement inutiles. Comme nous pouvons l’observer ci-dessous, si l’équilibre épargne/investissement requiert un taux d’intérêt réel négatif, la borne 0% pour le taux nominal pourrait constituer un problème, en particulier si l’atonie durable de l’économie entraînait la croissance des prix et des salaires à la baisse… Si, par exemple, le taux réel R* est négatif mais que la banque centrale fait face à la borne zéro et à la ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS déflation, le taux réel effectif (R**) pourraient finir par nettement dépasser le niveau requis par l’équilibre épargne-investissement. C’est clairement pour cette raison que la BOJ prône un taux d’inflation beaucoup plus élevé à l’avenir et que certains économistes (Blanchard notamment) plaident en faveur d’un objectif d’IPC de 4% pour les banques centrales. Quoi qu’il en soit, un tel « déséquilibre » peut se traduire par une longue période de faible croissance. Taux d’interet reel Epargne R** 0% R* Investissement “secular stagnation” E, I Il existe ainsi une tendance à associer la stagnation séculaire aux politiques non conventionnelles. Cependant, ceci peut être trompeur. Nombreux sont ceux qui attribuent la faiblesse actuelle de la croissance aux séquelles de la crise de crédit (les plus connus étant Reinhart et Rogoff pour qui « cette fois ça n’est pas diffèrent »). Le blocage du canal du crédit, le désendettement généralisé et l’incertitude politique et réglementaire forcent les investisseurs à favoriser les actifs considérés sans risque aux dépens des actifs privés plus risqué et plus coûteux en capital réglementaire. Autrement dit, l’atonie de la demande agrégée et la contrainte réglementaire associée expliqueraient pratiquement tout. Aucun besoin d’une « nouvelle normalité » ou d’une stagnation séculaire pour décrire la situation actuelle. Même si la dynamique de croissance sous-jacente de l’économie n’était que légèrement affectée par la crise, le caractère durable de l’atonie d’après-crise et le cadre réglementaire pourraient à eux seuls plaider en faveur de politiques non conventionnelles. On peut y ajouter une autre explication. Le graphique ci-dessous montre qu’au cours des trois dernières décennies, la longue diminution de la moyenne des rendements à long terme du G10 a eu une relation inverse et significative avec le taux d’endettement privé. En conséquence, les rendements à long terme ne dépendraient pas uniquement de pures variables réelles (épargne et investissement) mais aussi du contexte monétaire et financier. Credit domestique et taux d'interet (G10) Encours moyen du credit bancaire au secteur privé - % PIB (G10) 140 11 Moyenne des taux 10 ans - D 9 120 7 100 5 80 3 Sources : Datastream, Natixis 60 J-85 1 J-88 J-91 J-94 J-97 J-00 J-03 J-06 J-09 J-12 Allocation multi actifs – septembre 2014 -2 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS A la suite d’une crise de crédit – ou de bilan – le flux de nouvelle épargne est utilisé pour rembourser le stock de dette existante. Ce processus peut s’avérer très long. Il force les banques centrales à garder les taux d’intérêt à de faibles niveaux sur une période inhabituellement longue. Autant l’endettement excessif peut maintenir la croissance économique au-delà de sa tendance de long terme (et générer une accumulation excessive de capital), autant l’éclatement d’une crise de crédit peut entraîner l’économie dans une trappe d’endettement où elle demeure structurellement trop fragile pour que les rendements augmentent (voir la réaction de l’activité de construction aux États-Unis dans le sillage de l’augmentation des rendements à long terme au second semestre 2013 résultant de la réduction des achats d’actifs de la Fed). La source de l’endettement privé toujours croissant est étroitement liée à la désindustrialisation des économies avancées. Dans le cas américain, la surévaluation du dollar dans les années 2000, due à la manipulation des devises de nombreux pays émergents, porte une large responsabilité: le creusement du déficit courant externe des États-Unis s’est traduit par une combinaison de taux bas trop longtemps (selon une règle de Taylor, la Fed a été trop accommodante), de mauvaise allocation des ressources et d’excès d’investissement (principalement non productif, c’est-à-dire immobilier). Une portion grandissante de la production manufacturière a été remplacée par des importations. La hausse associée de la part des service dans le total du PIB pourrait expliquer le ralentissement des gains de productivité (les services sont par nature moins sujets aux gains de productivité). Ceci pourrait expliquer la grande stagnation, si elle venait à durer. Cependant, le changement de modèle de croissance de la Chine (davantage tourné vers la demande domestique et l’appréciation de sa devise), mais par-dessus tout la forte réduction de l’écart en matière de coût du travail entre les deux pays ainsi que le renforcement de la base manufacturière des ÉtatsUnis, devraient tempérer tout accès de pessimisme : non seulement la part de la valeur ajoutée industrielle a déjà retrouvé son niveau record d’avant la crise, mais le rebond et partagé par de nombreux secteurs. De plus, il n’y a pas de réelle décélération des gains de productivité. Enfin, contrairement à la pensée conventionnelle, l’expansion du secteur manufacturier à l’étranger s’est accompagnée d’une hausse des emplois aux États-Unis (notamment en R&D et services aux entreprises). Ceci suggère que le choc brutal du début des années 2000, qui avait déclenché une chute des capacités manufacturières des États-Unis s’atténue, avec en outre l’aide de l’exploitation des ressources en pétrole et gaz. Certes, comme l’a souligné Patrick Artus dans un Flash récent, la réduction du taux de croissance de la productivité mondiale des facteurs (comment les ressources sont allouées) pourrait être responsable de la baisse de la croissance potentielle. Mais cet obstacle ne nous semble pas excessivement « structurel ». En résumé, le surendettement limite le potentiel de hausse des rendements à court et à long terme et pourrait même se solder par une relance monétaire excessive en l’absence d’autres instruments de politique capables de soutenir la demande domestique. Cette explication de la faiblesse structurelle des rendements, combinée à l’hypothèse d’un lacune réglementaire et au contrecoup de l’adhésion de la Chine à l’OMC en début 2000, constitue une sérieuse alternative à l’hypothèse de stagnation séculaire. L’hypothèse d’une stagnation séculaire ne constitue donc pas un préalable à la mise en œuvre de politiques monétaires non conventionnelles. Un modèle pour le long terme Certains pourraient penser que la stagnation séculaire peut durer. Si le terme « séculaire » se réfère à l’équilibre, il faut se réfère à l’état stationnaire d’un modèle dynamique de croissance du PIB pour décrire les principales caractéristiques de ce qu’on appelle la stagnation séculaire. Le modèle de Solow est un bon candidat. A l’état stationnaire, l’investissement (l’accumulation de capital) dépend du taux de croissance de la productivité du travail et de celui de la population en âge de travailler. La croissance de la productivité est un motif d’inquiétude: comme l’illustre le graphique ci-dessous, elle ne s’est pas redressée au R-U (probablement la pire situation avec un manque à gagner de productivité de 25% entre 2008 et aujourd’hui). Elle montre aussi des signes de ralentissement aux États-Unis. L’analyse des causes potentielles de la réduction structurelle des gains de productivité va au-delà du cadre de cette étude. Cependant, en ajoutant à cela l’évolution de la population active des économies développées, la probabilité d’une croissance soutenue de l’investissement est faible. Allocation multi actifs – septembre 2014 -3 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS Porductivité horaire (GA, %, Moyenne sur 8 trimestres) 6 RU 6 US 4 4 2 2 0 0 -2 -2 Sources : Datastream, Bloomberg Natixis -4 -4 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 Si les perspectives d’une hausse de l’accumulation de capital sont faibles, l’épargne peut-elle s’ajuster à la baisse pour générer une augmentation des rendements réels ? Une forte progression de l’endettement privé pourrait aider, mais elle demeure relativement improbable compte tenu du niveau d’endettement déjà élevé. En outre, compte tenu de l’état actuel des finances publiques, un creusement supplémentaire des déficits publics est difficilement concevable. En conséquence, une hausse de l’épargne publique à moyen terme constitue l’issue la plus probable. Et même si les déficits venaient à se creuser encore, le risque d’un accroissement insoutenable de la dette publique pourrait encourager l’épargne privée - par peur d’augmentations futures des impôts (hypothèse d’équivalence ricardienne) - avec un impact net nul sur l’épargne totale. A l’inverse, les pays émergents semblent vouloir fonder le développement de leurs économies sur la demande domestique et réduire leur épargne de précaution à travers des réformes. Ceci est un vecteur de baisse de l’épargne mondiale. Le vieillissement de la population de la planète pourrait également réduire l’épargne (hypothèse du cycle de vie). Dans un tel scénario, le rendement réel augmenterait, reflétant la réduction de l’épargne plutôt que l’accumulation de capital. Il est assez intéressant de noter que même avec ce cadre de travail, beaucoup de questions restent sans réponse. L’économie connaît peut-être une phase de stagnation séculaire mais les chances de se tromper restent très élevées en raison de la faiblesse traditionnelle de la croissance après une crise de crédit. Il existe tant d’explications possibles de la stagnation séculaire (réduction des gains de productivité, baisse de l’innovation, obstacles liés à l’endettement, manque d’éducation et d’infrastructures, éviction de l’investissement par la réglementation, inégalités, cibles de politique monétaire, démographie …) que le résultat final est clairement impossible à prévoir. Les théories du taux naturel Avec la stagnation séculaire se pose le problème de l'évaluation du taux d'intérêt réel naturel et de son rôle dans la conduite de la politique monétaire. Défini par l'économiste suédois Knut Wicksell, le taux d'intérêt naturel correspond « au taux d'intérêt sur les prêts qui est/reste neutre par rapport aux prix des matières premières, ne tendant ni à les augmenter ni à les baisser ». Comme nous l'avons montré précédemment, il n'est jamais aisé d’estimer empiriquement le niveau du taux naturel. Différents facteurs entrent en ligne de compte dans son évaluation. i. Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, il peut se définir comme le taux égalisant l'épargne et l'investissement : en utilisant le modèle de Solow pour estimer la future accumulation de capital ; en déterminant le niveau futur de l’épargne globale à partir de la pyramide des âges de la population mondiale, à partir des orientations futures des politiques budgétaires et de l’accumulation des réserves de change par les pays émergents. ii. Le traditionnel modèle d'évaluation des actifs est également utile : a. Le taux d'intérêt réel traduit le degré d'impatience (« préférence pour le présent ») des ménages : plus cette dernière sera marquée, et plus la préférence pour une consommation immédiate sera forte par rapport à son report dans le temps, et plus le rendement réel sera élevé (l’enchaînement se produit dans cet ordre). L’actuelle faiblesse des rendements réels pourrait donc n’être que le reflet du faible taux d'impatience des agents économiques (ou de l’épargne forcée résultant du désendettement, puisque lorsque les agents sont impatients, ils exigent généralement un taux d’intérêt réel plus elevé pour compenser la perte de consommation courante). b. Les taux d'intérêt réels sont également élevés lorsqu’une croissance soutenue de la consommation est attendue. Dans un tel cas de figure, les agents se montrent disposés à lisser le profil de leurs dépenses et à emprunter sur leur consommation future. Si l’ensemble des ménages décident d’augmenter leur consommation courante aux dépens de celle du futur, le taux d'intérêt réel augmentera. La faiblesse actuelle des attentes en Allocation multi actifs – septembre 2014 -4 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS matière de revenus futurs (graphique ci-dessous) pourrait donc expliquer la contraction des rendements réels (sous le pourcentage des répondants à l'enquête du Conference Board tablant sur une progression des revenus au cours des 6 prochains mois) c. iii. Le troisième élément porte sur l'incertitude. Cette dernière se trouve à l’origine de l'épargne de précaution. Si les ménages « se couvrent » contre l'incertitude sur l'avenir, le rendement réel se replie. La faiblesse actuelle de ce dernier suggèrerait que l'incertitude et l'épargne de précaution sont élevées, ce que ne confirment ni le VIX, ni la volatilité du rendement des actifs en général. Dans le modèle de Solow, les taux d'intérêt réels sont régis par la règle d'or, maximisant la consommation par habitant. Dans un tel schéma, le taux d'intérêt réel est égal à la somme de la croissance de la population et des gains de productivité, déflaté du taux de dépréciation du capital. Selon cette approche, les rendements réels des obligations du Trésor américain (ou de tout autre actif sans risque) doivent évoluer autour du taux de croissance potentiel de l'économie. Selon la définition la plus courante du taux d'intérêt réel (valeur à l'équilibre vers laquelle il devrait converger si la stagnation séculaire constituait la nouvelle norme) est la combinaison de : a. b. c. d. La croissance de la population ; La croissance de la productivité du travail (dont la somme correspond à la croissance potentielle du PIB) ; Le degré d'impatience des agents économiques (préférence pour le présent, déterminant le taux auquel les agents actualisent leurs revenus futurs) : plus les agents se montrent impatients, et plus le taux d'intérêt réel est élevé ; La volonté des ménages de répartir leur consommation dans le temps (ce qui correspond globalement à l'inverse de l'aversion au risque). Même si on peut en extraire quelques approximation plus ou moins robustes, deux des quatre variables n’étant ne sont pas observables directement (c & d). Les techniques d’estimation du taux réel sont nombreuses et il est bien au-delà de la portée de cette publication d’apporter plus de précisions sur les nombreuses estimations possibles (voir ici). Une méthode couramment utilisée consiste à estimer à la fois l'écart de production (différence entre le PIB courant et son potentiel) et le taux d'intérêt réel naturel. La démarche est conforme à la définition du taux d'intérêt réel naturel évoquée précédemment qui, à la condition que les prix soient flexibles, égalise la demande globale au PIB potentiel (conditionnant également la stabilité de l’inflation). Taux courts attendus contre prime de terme La principale controverse porte sur la détermination du taux d'intérêt réel neutre. Soustraire le taux d'inflation courant des rendements à 10 ans pourrait s’avérer trompeur pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’IPC courant peut considérablement s’écarter du taux d'inflation anticipé (même si les anticipations d'inflation à long terme sont généralement fortement corrélées à une moyenne lissée des taux d'inflation passés). Deuxièmement, et plus important encore, si les obligations du Trésor américain sont assimilées à un actif sans risque, leurs rendements peuvent intégrer une prime de terme. Différente de la prime de liquidité qui affecte les TIPS, cette dernière complète la définition du rendement réel. Elle est la « compensation exigée par les investisseurs pour supporter le risque que les taux courts sur les obligations du Trésor ne se comportent pas comme ils le devraient ». Elle « évolue en fonction de l'incertitude perçue et des dissensions sur le niveau futur des taux d’intérêt » (voir ici pour plus de détails). Allocation multi actifs – septembre 2014 -5 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS D’un point de vue plus technique, la prime de terme compense toute déviation par rapport à la théorie des anticipations: lorsque les taux longs sont une moyenne des taux courts attendus, ou autrement dit, lorsque les taux forward sont le reflet des anticipations sur les taux courts. En conséquence, selon Kim et Orphanides, la prime de terme peut se définir à la fois comme le rendement attendu d’une obligation zéro-coupon d’échéance lointaine moins le taux à court terme (prime de rendement) ; ou par l’écart entre le taux forward et le taux spot futur anticipé (prime de terme). Les raisons pour lesquelles la prime de terme est volatile sont nombreuses : la position cyclique de l'économie (la prime de terme est contracyclique : elle augmente lorsque l'économie ralentit) ; les épisodes de fuites vers la qualité ; l’incertitude sur la politique monétaire future ; des chocs sur le prix du pétrole... La plupart de ces chocs sont de courte durée. Comme nous pouvons l’observer ci-dessous, ils peuvent expliquer la variabilité de la prime de terme autour de sa moyenne, mais pas vraiment son orientation structurellement baissière. Prime de terme (NY Fed) 5 5 4 4 3 3 2 2 1 1 0 0 Source: D'Amico, Kim, and Wei -1 -1 61 63 65 66 68 70 71 73 75 76 78 80 81 83 85 86 88 90 91 93 95 96 98 00 01 03 05 06 08 10 11 13 La « Grande Modération », et le repli structurel de la volatilité au niveau macroéconomique qu’elle a entraîné, pourrait expliquer la contraction de la prime de risque observé tout au long des années 1990 et 2000. La baisse pourrait aussi avoir été entraînée par la réglementation, imposant une plus forte exposition des investisseurs aux actifs sans risque. L'appariement des actifs et passifs des compagnies d'assurance et des fonds de pension pourraient aussi avoir joué un rôle. Enfin, l'immense appétit des banques centrales étrangères pour les obligations du Trésor américain très a certainement pesé. Curieusement, bien que volatile, la prime de terme s’est maintenue dans un certain intervalle depuis la Grande Récession. L’objectif des achats d'actifs à grande échelle de la FED (QE) était de réduire significativement la prime de terme sur la partie longue de la courbe. La réaction de cette dernière aux différentes vagues de QE puis au tapering a pourtant été loin d'être convaincante. Dans de nombreux cas, par exemple, la prime de terme a augmenté alors que la taille du bilan de la Fed était en forte hausse (voir ci-dessous). La Fed n’a pas réussi à faire baisser la prime de terme pendant le QE. Prime de terme et assouplissement quantitatif Prime de term (AKW) 3.5 30% Bilan de la FED (var. sur 6M) - D 3.0 20% 2.5 2.0 10% 1.5 0% 1.0 0.5 -10% 0.0 Sources : Bloomberg, Natixis -0.5 -20% 09 10 11 12 13 14 Allocation multi actifs – septembre 2014 -6 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS L’évolution de la prime de terme semble bien mieux expliquée par la volatilité du marché obligataire (cf. sa relation avec l’indice MOVE ci-dessous). Prime de teme et volatilité Prime Ouri (AKW) 2.5 Indice Move - D 50 2.0 25 1.5 0 1.0 -25 0.5 -50 0.0 -75 Sources : Datastream, Bloomberg, Natixis Bloomberg Natixis -0.5 -100 09 10 12 11 13 14 Estimer le taux d’intérêt naturel Le graphique ci-dessous compare, pour les États-Unis, l'output gap (écart du PIB a son potentiel) notre meilleure estimation du taux d'intérêt réel naturel : à Rendement nominal des obligations du Trésor US à 10 ans – taux d’inflation anticipé à long terme (à partir d’une combinaison d’enquêtes auprès des ménages et des entreprises) – prime de terme (moyenne des estimations disponibles). Un tel calcul suggère que le taux d'intérêt réel naturel n'est rien d'autre que la moyenne des taux réels de court terme des 10 prochaines années. Output gap et prime de terme Output Gap Taur reel naturel US - D 4% 4 3 2% 2 0% 1 -2% 0 -1 -4% -2 -6% -3 Sources : Datastream, NATIXIS -8% -4 80 82 84 86 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 Ce graphique appelle quelques remarques : a. Selon le CBO, l’output gap est pratiquement toujours négatif aux États-Unis. Il n’a été positif qu’à la fin des années 1980 et la fin des années 1990, périodes au cours desquelles les poussées inflationnistes on entraine des resserrements monétaires qui ont déclenché des récessions « classiques » ; b. La moyenne historique du taux d'intérêt réel naturel est proche de 1,5%, ce qui peut sembler faible pour de nombreux économistes (et en se référant au modèle de croissance de Solow). Plus important encore, le taux d’intérêt naturel ne présente historiquement Allocation multi actifs – septembre 2014 -7 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS aucune tendance et toute déviation est suivie par un retour à cette même moyenne... Les choses ont néanmoins changé depuis 2009. Cette rupture pourrait conforter l'hypothèse d’une « stagnation séculaire ». c. Il convient de ne pas oublier que l’output gap est un indicateur de la situation de l'économie dans le cycle. Il ne signifie donc pas que -2% devrait constituer un niveau d'équilibre du taux d'intérêt réel. Il pourrait simplement indiquer que le biais accommodant de la politique monétaire ne devrait pas être retiré trop rapidement. d. Les limites d’une estimation fondée sur le seul output gap apparaissent ici. L’output gap donne bien une idée de la distance du taux réel par rapport à son niveau moyen long terme et du niveau où il devrait être en fonction du cycle. En revanche, il ne contribue absolument pas à déterminer ce que cette même moyenne devrait être (dépendant d’un certain nombre de facteurs présentés dans les sessions précédentes). Le taux d'intérêt réel naturel s'est récemment déconnecté de l'écart de production, suggérant que le taux d'intérêt réel négatif est excessivement faible. La valeur actuelle de l’output gap justifierait pourtant des taux d’intérêt réels négatifs. Deux grands enseignements sont à tirer : 1. L'hypothèse de la « stagnation séculaire » découle du constat que le taux d'intérêt réel naturel ne revient pas à sa moyenne, et non du niveau sous-jacent suggéré par l’output gap. L’estimation d’une nouvelle moyenne ne devrait pas dépendre d’un indicateur cyclique tel que l’output gap, mais d’une combinaison entre la croissance de la population et les gains de productivité à long terme. Les révisions à la baisse des « points » communiqués par la Fed s’inscrirait dans un tel schéma. 2. La divergence avec l’output gap suggère que les anticipations concernant l'évolution future des taux d'intérêt à court terme sont trop pessimistes. Les anticipations implicites des taux à court terme des dix prochaines années sont dictées par le biais actuel de la politique monétaire et la position dans le cycle. C'est pourquoi la valeur de -2% proposée ne constitue pas un niveau d'équilibre, mais est plutôt une indication des capacités de production excédentaires de l'économie et une raison de justifier la prudence de la Fed (l'histoire montre que la Fed commence à resserrer/assouplir lorsque l'écart de production se reprend/baisse, et non lorsqu’il se situe au-dessus ou en dessous de zéro, ...). Allocation multi actifs – septembre 2014 -8 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS Quelles pourraient être les implications pour les investisseurs ? 1. Estimer l’évolution possible des rendements réels. Le tableau ci-dessous synthétise les forces en jeu dans la détermination de la tendance possible des rendements réels. Il en ressort une opposition significative entre les forces structurelles (baissières) et les forces cycliques (haussières). Drivers of U.S Real Rates - An Investor' Shopping List Structural Impact on Yield Likely Trend (1-year ahead) Commentary Regulation & Demand for Safe Assets -- No change in regulation The regulatory landscape will not change: bad allocation of resources (excessive sovereign debt purchases, pro-cyclicality). Availability of Safe Assets + Still limited Eurozone countries struggle while Germany goes for surplus. US public finances are still improving. Public Investment (infrastructures) + Focus on sustainability The poor state of public finances will reduce the incentive to launch public investment spending, even though many politician call for it in Southern Europe. Capital Accumulation (productive Private invt) ++ Some rebound expected Investment has already picked up in the U.S. but the excess saving of corporates might decline (if it leads to a surge in M%A, the net impact on investment will be very small). In the E.Z. investment pick up is expected in Spain and Germany mostly due to the improvement of profitability. Secular Stagnation -- UNKNOWN As we have seen, too early to tell. See table below Potential GDP ++ revised downward but still… Our estimate of Potential GDP growth in the U.S. has been revised downward but is above the current 10-year real expected rate (we stand around 1.75%/2.0, which is very conservative). In Europe, the outlook is bleaker. EM Foreign Exchange Reserves -- Hoarding continues The pace of FX reserves accumulation has slowed but the trend is still positive. See http://www.nber.org/papers/w20386 Output Gap + Shrinking Strong cyclical trend in the U.S. due to the improvement in demand. In the E.Z. it could shrink due top the investment shortfall (capacity destruction). Deflation + Not in the US But risk quite strong in Europe. Monetary Policy Exit + Under way in the U.S. The Fed will still monitor labor market trends but is definite out of unconventional policy. ECB will do whatever it takes… No exit before at least 3 years. Inflation Expectations + up Historical low level for expectations. Might rebound towards the low bound of the medium range. In the E.Z. deflation risk is growing. Term Premium + up The premium might be countercyclical but the exit will drive bond volatility on the upside (cf. our Move chart). Long Term Real Rate expectations + UP A combination of tighter output gap, Fed Fund rise (dots), and better income expectations leads the way in the U.S. Cyclical Bond Specific Source: Natixis La réglementation, la pénurie d’actifs non risqués, l’accumulation de réserves de changes par les pays émergents et la possibilité d’une stagnation séculaire constituent clairement des obstacles structurels importants s’opposant à une forte hausse des rendements américains. Au contraire, notre estimation de croissance potentielle du PIB américain, la sortie prochaine de la Fed, le faible risque de déflation aux États-Unis, les déterminants de la prime de terme et le niveau actuel des anticipations inflationnistes plaident pour une hausse limitée. Allocation multi actifs – septembre 2014 -9 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS Une approche à deux régimes. En l’absence de conclusion tranchée permettant de caractériser la phase actuelle de stagnation séculaire ou de ralentissement prolongé suite à une crise de crédit, nous proposons une analyse à double régime dans le tableau ci-dessous. Les différences entre un choc permanent et un choc temporaire (crise de bilan où seuls les nouveaux flux d’épargne peuvent réduire l’encours de la dette) sont notables, mais beaucoup d’instruments de politique économique proposés sont similaires et plaident en faveur de réponses agressives. Secular Stagnation Long Soft Patch GDP Growth Low (or no) growth regime. No recovery for lack of new significant inventions and Gordon's headwinds: demography, education , inequalities, government debt. New equilibrium for Growth (no leverage no bubble). Trend less steep. Growth back on track if good policies implemented: sustained demand, public investment, training... Structural reforms: education, patent policy, redistribution to reverse hysteresis. History shows that recessions reduce potential GDP: lower investment, lower participation, lower total factor productivity. Short commodities as long as the great rebalancing towards domestic growth has started in EM countries. Productivity Low/ inexistent Slower but still growing Promote innovation in a 21rst century way. Corporate earnings tend to growth in line with overal productivity. Unemployment Hi level of structural long term rate unemployment rate. Real Interest Rates Market outcome Cyclical improvement even though the Non Increase incentives to re-enter the job market ; Wage-led inflation risk is the main discriminating Inflation Accelerating Rate of Unemployment job subsidies (vs higher minimum wage), deeper factor between those two regimes. might now be higher than before. EITC... Should be negative (where it equates Lower but positive at equilibrium. If there is Fight excess saving (hard when it comes from saving and investment), but remain no deflationary spiral, can be negative, which abroad / EM FX hoarding), foster public and positive (deflation + zero bound) support the recovery. private investment (lower taxes on investment, investment allowance, tax credits, accelerated depreciation…). Consumer Price Deflation Index Investment spending What should be done Lower level of inflation Sustain domestic demand, increase the inflation target for the central bank, foster domestic demand through fiscal policy (not necessarily more spending though). Stimulus inefficient and leads to unsustainable debt. Yet, in secular stagnation, government should not increase saving. Dangerous equilibrium but short run growth should be favored: countries with flexible policy mix (monetary and fiscal policy leeway) would far better as low rates makes fiscal policy sustainable much longer. Excessive fiscal consolidation can turn out unsustainable and jeopardize long Avoid fiscal spending ("on/off") uncertainty. run fiscal balance. There is no expansionary fiscal tightening. Regulation Dual equilibrium here. Deflation is detrimental to hard assets (commodities), and could harm equity through nominal illusion. A lower inflation would mean a one off adjustment of term premiums. Depressed: lower population growth & Corporate businesses as net savers (S>I) but Public investment spending. Investment Organic growth of corporate business could be slower technical progress means much once credit constraint is removed, full incentives as, with deflation, after tax real rate is hampered. Drivers of stock prices: share buybacks, optimization of the huge potential of the 3rd higher (crowding out of investment). weaker capital accumulation. M&A, dividend policy. wave of technical progress. Monetary Policy Long lasting unconventional monetary Temporary unconventional monetary policies Higher inflation target for central banks. Unless policies. New 'credible' targets for too high (>5%) and then bringing distortions in inflation. the allocation of resources, there is no link between potential growth and the official level of inflation target. be bold: avoid a "timidity trap" where the target is not increased significantly. Fiscal Policy The best outcome would be a for EM to spend more domestically, through real income and not debt, avoiding the "middle income trap". Cf. China. Add a potential risk of search for yield. Avoid the regulatory crowding out: it is not higher rates but stiffer regulation that drive funds away from productive investment. Avoid premature fiscal contraction! Fiscal policy has to focus on the liability side of the government when the potential for increasing the asset/spending side is limited: tax reform (investment, social protection) and redistribution towards low incomes (job subsidies, transfers) in the hope it will spur demand. Potential Bubbles linked to excess liquidity and chase for yield. Perilous exit too. Uncertainty and divergence among central bank on the targeting of the exchange rate (imported inflation): non cooperative policy though.0 Target spending and new function: issuance of quasi risk free assets. Possibility of a new credit risk hierarchy between corporate and some sovereign bonds. Make regulation less pro-cyclical and less Long lasting downward pressure on sound skewed towards risk-free assets: huge purchases sovereign bonds. of safe assets bring long yields too quickly towards the zero bound: the so-called "safety trap" . Source: Natixis Allocation multi actifs – septembre 2014 -10 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS En résumé : 1. Le régime de stagnation séculaire se définit, comme nous l’avons vu, par une situation dans laquelle les taux réels devraient être négatifs mais restent positifs en raison de la combinaison de la déflation et de la borne zéro pour les taux d’intérêt nominaux. Ceci génère un cercle vicieux et appelle à la mise en place de ce que l’on pourrait nommer des « politiques budgétaires et monétaires structurelles », c’est-à-dire des mesures soutenant la demande agrégée sans entraîner de déstabilisation future (bonne chance). Un soutien excessivement prolongé des politiques budgétaire et monétaire alimenterait respectivement un risque d’insoutenabilité de la dette et de formation de bulle. Cette vision extrême se traduit par un faible potentiel futur de croissance du PIB et appelle à minimiser l’exposition aux matières premières. Non seulement ces dernières seraient affectées par l’affaiblissement de la croissance mondiale, mais les rendements réels élevés constituent un coût d’opportunité considérable pour les matières premières (la corrélation négative entre rendement réel et prix des matières premières peut s’expliquer par la hausse du coût de stockage, l’incitation à extraire davantage aujourd’hui ainsi que l’attrait des actifs à coupon ou dividende). L’or offre un bon exemple, car son cours est très négativement corrélé aux rendements réels. Or et taux reels Or Taux reel a 10 ans - ech D, inversee 2000 -1 0 1500 1 1000 2 500 3 Sources : Bloomberg 0 A-07 A-08 A-09 A-10 A-11 A-12 A-13 A-14 A-15 4 A-16 Le scénario de stagnation séculaire allant de pair avec la déflation, tout le spectre des actifs à rendements réels (≠ des actifs réels en ce qu’ils ne sont pas tangibles mais ne sont pas corrélés à l’inflation) devrait souffrir : les matières premières, mais également les TIPS et les actifs liés à l’immobilier. L’analyse traditionnelle par la prime de risque des actions constitue la meilleure méthode d’évaluation de l’impact sur le marché des actions. Mais d’abord, il peut être intéressant de décomposer le rendement des actions. Selon Ibbotson, l’inflation, le taux réel sans risque et la prime de risque sur les actions (Equity Risk Premium – ERP) constituent les éléments fondamentaux des rendements des actions : 𝑅𝑡 = (1 + 𝐶𝑃𝐼𝑡)(1 + 𝑅𝑅𝑓𝑡)(1 + 𝐸𝑅𝑃𝑡) − 1 Les données historiques montrent qu’une portion considérable (≈ la moitié) du rendement des actions s’explique par l’ERP. Un aperçu rapide de l’équation ci-dessus suggère que l’impact de la stagnation séculaire sur les actions est très négatif, à travers les canaux de la déflation et des faibles rendements. L’ERP seule pourrait-elle contribuer à soutenir les actions ? La relation entre l’ERP et les rendements doit être expliquée. L’ERP ex ante doit être élevée pour compenser la baisse de la contribution des autres variables macros : c’est en raison du niveau élevé de l’ERP à la fin des années 1980 et de son repli dans les années 1990 que le rendement ex post calculé avant la crise de 2001 était élevé. Depuis, l’ERP est restée élevée et est montée au-delà du niveau atteint au milieu de la crise financière. Sa contribution aux rendements des actions a été relativement faible. L’absence d’un retour à la moyenne de la prime de risque a constitué l’une des caractéristiques les plus marquantes de la dernière décennie. Allocation multi actifs – septembre 2014 -11 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS Prime de risque action ERP nom ERP real 10 10 8 8 6 6 4 4 2 2 0 0 -2 -2 Sources : Datastream, NATIXIS, FED -4 -4 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 Le moyen le plus simple d’estimer l’ERP est d’utiliser l’équation suivante, qui part de l’hypothèse selon laquelle la croissance des dividendes (g) est constante : 𝐸𝑅𝑃𝑡 = 𝐸(𝐷𝑡+1 ) 𝑃𝑡 − (𝑖𝑡 − 𝑔) où 𝑖𝑡 représente le taux à 10 ans sans risque (il peut être nominal ou réel – approche préférée par beaucoup, le rendement du dividende D/P étant une variable réelle). Une ERP élevée indique généralement des anticipations de surperformance des actions par rapport aux obligations à moyen terme (à moins que le de croissance des dividendes augmente, ce qui ne s’est pas vérifié depuis 2000). En conséquence, le niveau obstinément élevé de l’ERP ne peut que se justifier par une « anomalie » au niveau des rendements à long terme (seuls quelques investisseurs affirmeraient que le PER des actions est trop faible): ceci a clairement un impact des actions dans un portefeuille de régime « Stagnation séculaire ». De surcroît, sous le régime de stagnation séculaire, et compte tenu de la définition ci-dessus, l’ERP ex ante devrait être révisée à la baisse pour au moins deux raisons : la baisse de l’inflation (ou la déflation) conjuguée à la diminution du potentiel de croissance réduit fortement le taux de croissance futur des résultats, une tendance qui n’est pas compensée par le niveau de taux d’intérêt (borne zéro). Cette baisse de l’ERP pourrait appeler à une réduction de l’exposition aux actions à long terme. Cette approche est confirmée lorsque le rendement des actions est décomposé en inflation, croissance réelle des résultats, variation du PER et rendement du dividende (nous excluons ici les rachats d’actions) 𝑅𝑡 = [(1 + 𝐶𝑃𝐼𝑡)(1 + 𝑔𝑟𝑒𝑎𝑙 𝐸𝑃𝑆 )(1 + 𝑔𝑃𝐸𝑅 ) − 1] + 𝑑𝑖𝑣 La déflation (ou plutôt la très faible inflation) ; la faiblesse de la croissance des bénéfices par action compte tenu des faibles gains de productivité (earnings per share - EPS) ; le potentiel haussier limité du PER (voir ici pour un historique détaillé). Tous ces points militent en faveur d’un rendement plus faible des actions, même en cas d’augmentation du rendement des dividendes. 2. Le régime du ralentissement s’appuie sur la lecture actuelle de l’ERP. Si l’ERP est élevée en raison de la faiblesse excessive du taux à long terme sans risque, alors le potentiel de forte performance des actions est limité. De plus, selon le modèle de Gordon, le niveau de l’indice actions peut être représenté par le modèle : 𝑃= 𝐸(𝐷) 𝑖𝑡−𝑔 . Toutes choses égales par ailleurs, une chute du taux de croissance g réduit le prix d’équilibre des actions. Cette révision à la baisse est compensée par une réduction du taux d’intérêt. Toutefois, si ce dernier est proche de la borne à 0%, l’impact sur le prix des actions est beaucoup moins prononcé. Dans le cadre de l’hypothèse du ralentissement, g (représenté par la croissance totale de la productivité) est structurellement plus faible qu’au 20ème siècle mais it doit augmenter (pour mémoire, il est faible parce que la croissance est durablement molle en sortie de crise et non parce que l’économie est en stagnation séculaire). Il est intéressant de noter que la différence entre it et g importe pour le niveau des cours des actions mais également, et peut-être de façon plus importante, pour leur volatilité : l’impact d’une hausse de it est beaucoup plus fort lorsque le spread entre it et g est étroit. Etant donné la récente réduction du spread, la probabilité d’une hausse de la volatilité du marché des actions augmente dans le scénario du ralentissement. Allocation multi actifs – septembre 2014 -12 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS En conséquence, les perspectives de long terme sur les prix des actions pourraient s’avérer plus favorables sous le régime du ralentissement, mais la probabilité d’une hausse de la volatilité est nettement plus élevée (en raison d’une petite différence entre le niveau des rendements à 10 ans et celui du taux de croissance de la productivité). Du côté des obligations, comme nous l’avons vu, la prime de terme et les anticipations de taux court sur un horizon long comportent un élément cyclique. Elles évoluent en sens contraire (la prime de terme, qui peut diminuer en cas d’amélioration des perspectives économiques ou de resserrement de la Fed, est contra-cyclique), mais il est intéressant d’évaluer les déterminants de la hausse des taux d’intérêt à long terme. a. Politique monétaire Si on se concentre sur le niveau suggéré par l’output gap, la Fed pourrait être amenée à maintenir le statu quo plus longtemps qu’attendu. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, le niveau d’équilibre des taux réels à court terme pourrait avoir été révisé à la baisse – compte tenu des obstacles qui pourraient freiner la croissance future. Cependant, la Fed est prête à effectuer sa sortie en mi-2015. Le niveau de rendement réel qu’implique l’hypothèse de stagnation séculaire suggère que l’économie ne pourrait pas résister à un resserrement, ce qui forcerait la Fed à s’arrêter rapidement, avec des conséquences très négatives pour les rendements à long terme (l’objectif officiel à moyen terme reste 3,75% pour les fed funds, d’où le rendement réel ‘« naturel » d’environ 2%). Sous le régime d’un ralentissement, l’économie devrait pouvoir absorber le choc de la sortie. La mesure désormais donnée par la Fed est le LMCI ou Labor Market Condition Index (indice des conditions sur le marché du travail). Nous comparons ci-dessous le LMCI aux taux des fed funds réels (nous utilisons l’estimation d’anticipations inflationnistes à un an communiquée par la Fed de Cleveland). Il apparaît clairement : 1. 2. 3. que l’indicateur a jusqu’à présent enregistré sa plus longue période de gains depuis le milieu des années 1990 ; que la période précédant un resserrement est la plus longue que la Fed ait jamais connu (flèches rouges) ; si l’histoire sert de référence, il est intéressant de noter que l’objectif de fed fund réel serait de 4% ! Marché du travail et FED 30 LMCI 8 Fed Fund reel- D 20 6 10 4 0 2 -10 0 -20 -2 -30 Sources : Bloomberg, Natixis -40 -4 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 Même si la chute du taux de participation au marché du travail explique beaucoup le comportement actuel du LMCI, il tendrait à confirmer que la fin de la longue phase de croissance molle pourrait appeler une hausse des taux réels à court terme. b. Prime de terme La direction future de la prime de terme est plus difficile à évaluer. Comme nous l’avons mentionné, certains facteurs tels que la réglementation, la « pénurie » d’actifs sans risque, pourraient justifier une réduction de la prime de terme même si l’économie ne traverse pas de période de stagnation séculaire. Cependant, si la Fed ne parvient pas à gérer efficacement sa sortie et que la forward guidance ne parvient pas à guider correctement les anticipations, la volatilité pourrait Allocation multi actifs – septembre 2014 -13 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS augmenter et avec elle la prime de terme, comme le suggère le graphique avec l’indice Move présenté plus haut. Ceci nous conduit à comparer la prime de terme obligataire à l’ERP : une prime de risque faible a historiquement constitué un bon indicateur avancé de mauvaise performance future des actions. Il est possible qu’une faible prime de terme constitue aussi un bon indicateur de la mauvaise performance future des obligations. Ceci confirmerait le scenario de hausse des rendements sous le régime de ralentissement. En utilisant le cadre d’analyse précédent, l’augmentation des taux longs réduirait automatiquement l’ERP et aurait un impact sur les rendements des actions. Cependant, contrairement au régime de stagnation séculaire, le ralentissement contient une dimension cyclique qu’il ne faut pas oublier. En particulier, le graphique ci-dessous montre que la corrélation entre les variations du taux 10 ans et le rendement des actions est structurellement positive depuis le début des années 2000. Si le ralentissement conduit à une amélioration des fondamentaux économiques, nous ne voyons aucune raison pour un inversement de la corrélation - une fois que l’incertitude sur la tendance future de la politique monétaire sera dissipée. Ceci constitue probablement l’un des plus gros paris sous-tendant le régime de ralentissement. Corrélation taux/bourse (moyenne mobile sur 3 mois des variations hebdomadaires 1.0 1.0 0.5 0.5 0.0 0.0 -0.5 -0.5 Sources : Bloomberg -1.0 M-84 -1.0 M-88 M-92 M-96 M-00 M-04 M-08 M-12 Conclusion : Il n’existe pas de cadre simple permettant de décrire la stagnation séculaire et d’estimer le taux d’intérêt réel naturel. Non seulement le contexte théorique n’est pas toujours évident, mais les outils empiriques disponibles n’existent pas toujours. De plus, les États-Unis servent souvent de référence alors que le risque de stagnation séculaire est probablement beaucoup plus élevé dans la zone euro. Quelles qu’en soient les causes, ou même la véracité, l’hypothèse de stagnation séculaire soulève le problème majeur du cadre temporel de la politique économique. En particulier, de nombreux instruments ont été conçus ou pensés comme étant temporaires, de sorte que leur mise en œuvre sur une période trop longue a produit des résultats indésirables : les politiques de relance budgétaire ont abouti à une crise d’insoutenabilité de la dette publique ; l’excès de liquidités pour soutenir la croissance a entraîné le recours excessif à l’endettement et la formation de bulles. Le taux naturel n’est pas un paramètre facile à utiliser et peut s’avérer inutile dans la conduite de la politique monétaire à court terme. Non pas que le retour à l’approche wicksellienne de l’économie soit inutile – les déviations par rapport à ce taux naturel s’étant toujours accompagnées de variations en matière d’inflation et de chômage – mais l’idée selon laquelle elle pourrait être utile en temps réel est clairement erronée. En tant que cible pour les rendements à long terme, la discussion reste beaucoup plus ouverte. Le débat sur la stagnation séculaire met en lumière les nombreux déterminants de la croissance potentielle et offre un cadre permettant d’évaluer le niveau de taux d’intérêt de long terme/d’équilibre à travers les estimations de la croissance potentielle. Cependant, ici encore, l’analyse s’avère imprécise dans la mesure où la crise du crédit a donné naissance à de nombreux changements réglementaires qui pourraient avoir durablement affecté la relation des investisseurs au risque (une autre composante du rendement réel). Enfin, nous estimons que le plus grand risque pour les investisseurs provient de la mauvaise identification du prochain régime économique. En dépit de certaines similarités, les régimes de stagnation séculaire et de ralentissement diffèrent significativement en termes de risque, de volatilité et de recommandations en termes d’allocation d’actifs. En résumant de façon très simplifiée, la stagnation séculaire conduit à un faible rendement et une faible volatilité tandis que le ralentissement se caractérise par un rendement et une volatilité plus élevés. Il n’y a pas de free lunch. Allocation multi actifs – septembre 2014 -14 ALL OC A TI ON MU LT I A C T IFS AVERTISSEMENT Les cours de référence sont basés sur les cours de clôture. Ce document d’informations (pièces jointes comprises) est strictement confidentiel et s’adresse exclusivement à une clientèle de professionnels ou d’investisseurs qualifiés. Il ne peut être divulgué à un tiers sans l’accord préalable et écrit de Natixis. Si vous receviez ce document et/ou toute pièce jointe par erreur, merci de le(s) détruire et de le signaler immédiatement à l’expéditeur. La distribution, possession ou la remise de ce document dans ou à partir de certaines juridictions peut être limitée ou interdite par la loi. 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