Quand la beauté fait mal - Éki-Lib Santé Côte-Nord

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Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
La chirurgie plastique ne connaît plus de limites, allongeant
les os, resserrant les muscles.
Niveau de douleur :
terrifiant. Et pourtant, la demande est là… Jusqu’où ira-ton pour être au top de la beauté?
Quand la Beauté
f a it M a l
«A
u Québec, on est plutôt middle-of-the-road, explique le docteur Roland
Charbonneau, un chirurgien plasticien de Montréal. Les gens ont des demandes
conservatrices, pas trop farfelues. Les interventions les plus courantes sont la liposuccion,
l’augmentation mammaire, la chirurgie des paupières et le lifting : des opérations devenues
banales aujourd’hui. » Ce qui est d’ailleurs étonnant quand on pense qu’une intervention
aussi courante que le lifting consiste à se faire décoller une grande partie de la peau du
visage. Perspective peu inspirante… non? « Peut-être, mais au bout du compte la douleur
est relativement minime », souligne le docteur Jacques Papillon, qui pratique des
opérations depuis près de 30 ans. « Quand la peau retrouve sa sensibilité, six mois après
l’intervention, les cicatrices sont complètement refermées, le traumatisme est passé et ça ne
fait plus mal. » Et maintenant, avec le Botox, on peut même s’offrir un front lisse sans
ressentir aucune douleur.
Clind’œil
Septembre 2002
Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
Mais la chirurgie plastique est loin d’être toujours un jardin de roses… Parmi les
opérations que nous connaissons, l’abdominoplastie, qui vise à réduire le ventre, frôle le
supplice. « Dès qu’on touche aux muscles, explique le docteur Papillon, c’est plus
douloureux. » Lors d’une abdominoplastie complète, que les
Américains appellent le tummy tuck, on enlève le nombril du
patient. Puis on le replace, après avoir resserré les muscles du
ventre et taillé la peau, ceci afin de l’étendre à nouveau.
Plusieurs patientes qui ont subi une abdominoplastie racontent
leur expérience sur Talk Surgery. Ce site demande aux gens
d’évaluer le niveau de douleur de leur opération sur une échelle
de 10. L’abdominoplastie reçoit, en moyenne, une cote de 8, et
toutes les patientes se sont plaintes d’avoir souffert beaucoup
plus que la moyenne affichée. Mais, dans la majorité des cas,
elles sont ravies. « Les gens savent à quoi s’attendre, dit le
docteur Charbonneau. Grâce aux médias et au Net, ils en
connaissent long sur le sujet, c’est impressionnant. Et c’est très
rare que quelqu’un change d’idée après être venu se
renseigner. »
Existe-t-il des interventions que les médecins refusent de
pratiquer? « Techniquement, non. On n’opérera pas si le
patient a l’air instable, et on est tenu de ne rien faire qui puisse
mettre sa santé en danger, mais, s’il y a une demande
raisonnable, on peut le faire. C’est juste que chez nous, les
demandes sont moins bizarres qu’aux Etats-Unis ou en Asie. »
ON EST LES CHAMPIONS!
C’est aux États-Unis que l’on compte le plus grand nombre de chirurgies
esthétiques chaque année. Selon l’American Society of Plastic Surgeons, il y en aurait eu
7 736 484 en 2001… et ce chiffre est encore loin de la réalité, puisque de nombreuses
interventions ne sont pas répertoriées par l’association, dont toutes celles qui sont
« inhabituelles ». Selon le docteur Charbonneau, bien que le nombre de ces opérations
inhabituelles reste « anecdotique », elles forment tout de même une part de marché
suffisamment intéressante pour que des chirurgiens en fassent leur spécialité.
Le docteur Matlock, par exemple, a fait fortune en ouvrant en 1996 sa propre
clinique, le Laser Vaginal Rejuvenation Center of Los Angeles. On y pratique des
resserrements de vagin, des reconstructions d’hymen et aussi une designer vaginoplasty.
Cette opération consiste à transformer les lèvres et le clitoris jusqu’à obtenir un « beau »
vagin. Et qu’est-ce qu’un « beau vagin» ? Le bon docteur Matlock l’explique avec une
candeur désarmante : « Plusieurs femmes arrivent en consultation avec un Playboy dans les
Clind’œil
Septembre 2002
Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
mains et nous disent qu’elles veulent avoir l’air de ça! Avec notre technique de réduction
des lèvres au laser, on peut transformer leur désir en réalité. » Selon Candace, une Texane
de 32 ans complexée par son vagin, c’est là une bonne nouvelle. « Quand j’avais 21 ans, un
garçon m’a dit que mon vagin était bizarre. » Elle est donc partie à LA pour se faire
injecter son propre gras dans les petites lèvres afin de les rendre plus charnues. La jeune
femme est maintenant ravie du résultat. Elle a surmonté, avec brio, la première semaine
(où le simple fait d’uriner relevait de l’épopée…) et les six suivantes, durant lesquelles elle
devait s’abstenir d’avoir des relations sexuelles (et mettre une croix sur les tampons… et les
jeans serrés). Elle ne regrette pas non plus le montant qu’elle a dû débourser : environ
4 000 $. En dollars US, évidemment.
LES FESSES OU LE PÉNIS?
D’autres font fortune avec l’organe génital masculin. Une intervention pratiquée
régulièrement est l’élongation du pénis (en coupant autour de la base et en faisant des
greffes de peau, on peut gagner quelques centimètres… Ouch!). On peut aussi recevoir des
implants de gras dans le pénis pour qu’il ait l’air plus gros (opération très douloureuse,
selon le docteur Papillon, et attention : on ne peut pas faire grossir le gland. Le résultat,
aperçu sur certains sites de plasticiens, est souvent ridicule : on y voit une verge énorme,
« grasse », et un gland tout menu…). Quoi qu’il en soit, les cliniques sont remplies
d’hommes prêts à payer le prix fort pour améliorer leurs attributs virils.
Et une fois que le « devant » a été rectifié, on peut toujours passer au « derrière ».
Grâce à Jennifer Lopez, les implants fessiers gagnent en popularité, surtout chez les SudAméricaines. « Sur les fesses, il y a beaucoup plus de risques de complications, explique le
docteur Charbonneau. D’abord, on s’assoit dessus. C’est un endroit qui connaît des
traumatismes répétés, et puis il y a des risques d’ulcérations de la
peau, quand l’implant remonte à la surface. » Pour ceux qui en
veulent plus, la plupart des compagnies proposent aussi des
implants aux pectoraux et aux mollets. Le prix? Sur un site web
visité, on parle de 5 000 $ comptant, ou de 5 500 $ avec carte de
crédit…
LES ASIATIQUES S’ALLONGENT
Mais tout cela semble dérisoire quand on regarde ce que
certaines Asiatiques sont prêtes à subir. En Corée-du-Sud (où 13%
de la population reconnaît avoir déjà eu recours à la chirurgie
plastique), en Chine et au Japon (où depuis longtemps déjà on ne
recule pas devant un blanchiment de la peau ou un débridage des
yeux), on peut maintenant se grandir de 10 centimètres, et ce, au
prix de souffrances atroces qui révèlent carrément de la torture.
Clind’œil
Septembre 2002
Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
« C’est un médecin russe, un certain Ilizarov, qui a mis au point cette technique, raconte le
docteur Charbonneau. En gros, elle consiste à briser l’os et à allonger les muscles et les
tendons situés autour. En étirant l’enveloppe entourant l’os d’environ un millimètre par
jour, on peut gagner progressivement quelques centimètres. Mais, évidemment, le but du
docteur Ilizarov était d’opérer des gens qui avaient de graves « difformités » ? C’est durant
la guerre, en réparant les visages défigurés de soldats, que l’idée est venue à certains
médecins d’appliquer leurs connaissances au domaine de l’esthétique. Il suffisait d’y
penser. »
En Chine, on mise sur une population traditionnellement très déterminée quand
vient le temps de souffrir pour être belle (on se souvient des pieds minuscules et déformés
de plusieurs générations de Chinoises!). Les femmes, souvent petites, y ont une image de
la femme idéale très occidentalisée, donc plutôt grande. Des médecins ont ainsi ouvert à
Canton un hôpital qui se spécialise dans l’élongation des jambes. Selon un article paru
dans le magazine français Marie Claire, plus de 600 Chinoises auraient déjà subi la pénible
intervention. Pour ces femmes, ces opérations coûtent un prix exorbitant (1 200 $ US,
une fortune pour la majorité d’entre elles) en plus de requérir un séjour de six mois à
l’hôpital, les jambes tuméfiées et enfermées dans un carcan de métal qui ressemble à s’y
méprendre à un instrument de torture. Persuadées que 10 centimètres de plus les aideront
à trouver un emploi et un mari, elles supportent stoïquement une douleur décrite par l’une
d’elles comme « presque intolérable au début ». « Dormir est devenu quasiment
impossible, se lamente cette dernière. Mais les bons jours, j’arrive à gagner un demimillimètre! »
L’opération dure trois heures et nécessite le travail de cinq chirurgiens. Le bon côté
de l’histoire : ce sont de vrais médecins qui pratiquent l’opération, et le suivi est sérieux (ce
qui n’est pas le cas de toutes les chirurgies plastiques). Selon des chiffres non officiels,
200 000 Chinois seraient défigurés, chaque année, à la suite d’opérations pratiquées par
des amateurs dans des « salons de beauté ». « C’est comme au Brésil, remarque le docteur
Papillon. Là-bas, les patients n’ont aucun droit. Les médecins sont donc moins réticents à
pratiquer des opérations qui présentent un taux de risque élevé. »
SANS LIMITE?
Une autre intervention présentant un taux de risque très élevé est presque devenue
un mythe : l’ablation des côtes flottantes. « La seule fois que j’ai entendu parler de ça, c’est
à propos de Cher, dit le docteur Charbonneau. Ça me semble exagéré, cette histoire. Les
côtes flottantes sont accrochées à la colonne, alors il faut scier l’os, et il y a de gros risques
de perforation. On est collé sur les organes vitaux. » D’autres médecins croient en fait que
Cher a subi une liposuccion, très réussie d’ailleurs, de la taille. L’ablation des côtes ne
serait selon eux qu’une légende urbaine. Mais techniquement, cette intervention reste
possible.
Clind’œil
Septembre 2002
Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
Existe-t-il une limite? Certains sont prêts à se faire casser les os, étirer les jambes,
injecter du gras dans les organes génitaux et déplacer le nombril… Avons-nous épuisé les
recours de la chirurgie esthétique en faisant subir à notre corps tout ce qu’il peut endurer
au nom de la sacro-sainte beauté? « À partir du moment où on aura contrôlé le rejet des
greffes de peau, dit le docteur Charbonneau, the sky is the limit. La peau est un organe qui
réagit très mal aux greffes; c’est plus facile de greffer un cœur, par exemple. Mais une fois
que ce problème sera surmonté, et ça va se faire éventuellement, plus grand-chose ne nous
arrêtera. » Un petit bras dans le front peut-être?
Clind’œil
Septembre 2002
Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
La Beauté,
Un Must?
D
ans notre société envahie par l’image, la beauté nous impose des canons esthétiques
selon lesquels les gros, les petits et les moches ont très peu de chances de réussir dans
la vie. C’est cette dictature que Jean-François Amadieu, sociologue et professeur en
sciences de gestion à Paris I – Panthéon-Sorbonne, dénonce dans son livre Le poids des
apparences (Éditions Odile Jacob).
Rencontré au bar de l’hôtel Lutétia, à Paris, à l’heure de l’apéritif, l’auteur est un
homme svelte au visage fin et souriant, vêtu d’un costume gris de jeune cadre. Malgré ses
47 ans et ses petites lunettes, il ne fait pas son âge et on a envie de lui demander si sa
maman lui a donné la permission de sortir. Mon étonnement le fait rire.
« D’habitude, dit-il, j’adopte un style vestimentaire plutôt décontracté. Si je suis en
costume-cravate, c’est parce que, cet après-midi, j’avais rendez-vous avec les dirigeants d’une
entreprise… »
Nous entrons directement dans le vif du sujet : l’apparence! La question méritaitelle vraiment un livre?
« Oui! L’obsession de l’apparence est un phénomène qui tend à s’amplifier.
Plusieurs études démontrent que celle-ci joue un rôle majeur dans notre société, et a même
parfois des effets insoupçonnés sur notre quotidien. Et puis, nous avons tendance à établir
un lien inconscient entre le rang social et la beauté. »
Clind’œil
Septembre 2002
Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
Si l’on en croit Jean-François Amadieu, la liste des qualités accordées aux « beaux »
est impressionnante. Ils seraient plus sociables, plus épanouis sexuellement, auraient de
multiples partenaires et plus de chances de réussir leur mariage, en plus d’être très
équilibrés, avec une santé mentale à toute épreuve, et plus aptes à commander. Aussi, ils
seraient plus sensibles et attentifs, plus intelligents (mais oui!) et plus ambitieux, et leurs
opinions auraient plus de poids. Ils feraient une belle carrière et,
enfin, seraient plus heureux que les autres! Bref, de quoi faire
frémir ceux qui n’ont pas été touchés par la « grâce ». Comble
d’injustice, il semble que les « beaux » se conforment aux
avantages qu’on leur prête et deviennent, en quelque sorte, ce que
l’on veut qu’ils soient…
« Tout commence au berceau, souligne l’auteur. On a
remarqué que dès l’âge de trois mois les bébés sont déjà attirés par
les visages aux traits réguliers. Puis, plus tard, à l’école, les beaux
enfants sont privilégiés par les professeurs et choisis comme amis
par leurs petits camarades. À l’oral des examens, les gens beaux
sont privilégiés. Il est donc tout à fait normal que ces
comportements engendrent chez ces enfants une grande confiance
en soi qui les mènera plus rapidement vers le succès. En fait, c’est
un peu le regard des autres qui forge leur personnalité. »
Est-ce à dire que, si la tendance se maintient, ceux qui ne
sont ni jeunes, ni beaux, ni minces risquent à l’avenir de devoir se
résigner au chômage? Amadieu apporte tout de même une
nuance d’espoir.
« Dans une entrevue, 55% des employeurs éventuels seront
influencés par les traits du visage, mais le look vestimentaire n’en
reste pas moins primordial, et tout le monde peut jouer cette
carte. D’autre part, je pense qu’évincer des gens d’un emploi en prétextant qu’ils sont trop
vieux, trop gros, donc forcément moins dynamiques, est une forme de discrimination, au
même titre que le racisme. »
Mais dans tout cela, que devient la beauté intérieure? Apparemment, elle compte
peu dans notre société. Le charisme et le charme seraient, eux aussi, de plus en plus liés à
l’apparence. Comment expliquer alors que des hommes comme Gainsbourg ou Jean-Paul
Sartre aient été portés aux nues malgré leur « sale gueule »?
« C’était une époque où la télévision avait moins d’importance, souligne JeanFrançois Amadieu. Lorsque Sartre menait sa vie de philosophe, il n’était pas sur les
plateaux de télévision en permanence comme l’est aujourd’hui Bernard-Henri Lévy, plutôt
favorisé par la nature. Depuis les années 70, l’accent est mis sur l’apparence et lorsque
Clind’œil
Septembre 2002
Quand la Beauté fait Mal
Par Rafaele Germain
vous rencontrez un homme ou une femme, que ce soit au travail ou dans la vie amoureuse,
la première chose qui vous frappe, c’est son aspect extérieur. Comme cette apparence
correspond le plus souvent aux standards du moment, on a tendance à confondre beauté et
conformité à ces normes. »
En Amérique du Nord, cette course à la beauté se traduit par un popularité
croissante de la chirurgie esthétique et nous entraîne, parfois, vers des dérapages comme les
désordres alimentaires. En voulant tous ressembler à Kate Moss, à Claudia Schiffer ou à
Tom Cruise, nous nous dirigeons vers l’uniformité physique et rejetons nos
caractéristiques génétiques. On ne compte plus ceux qui, pour rectifier un nez trop
« ethnique », ont fait appel au bistouri. Par peur d’être marginalisés, bien des gens
n’hésitent pas à investir du temps et de l’argent pour se rapprocher de l’image « idéale »
imposée par les médias. Que faire pour lutter contre le fléau de la beauté à tout prix?
« La seule solution, conclut Jean-François Amadieu, c’est la prise de conscience.
Quand on attire l’attention sur un fait social, comme on l’a déjà fait pour le sexisme ou le
racisme, la contre-attaque s’organise. Il faut agir sur les techniques de recrutement des
entreprises, sur la législation, afin que les gens, beaux ou laids, luttent un peu plus à armes
égales… »
Andrée-Paule Mignot
Clind’œil
Septembre 2002
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