Dossier © Greenpeace Climat, biodiversité, agriculture : trio Un capital durable pour le développement de l’humanité Selon les Nations Unies, de 1990 à 2005, le monde a vu disparaître 3% de ses forêts. La déforestation, principalement due à la transformation des forêts en terres agricoles dans les pays en développement, continue à un taux alarmant - environ 13 millions d’hecta- Climat, biodiversité et agriculture sont étroitement liés. Au point qu’une modification mineure – un léger changement de température, ou encore la disparition d’une espèce animale ou végétale – peut affecter tout un écosystème et entraîner des répercussions jusqu’à l’autre bout du monde. La dure réalité c’est que ceux qui sont les moins responsables du changement climatique sont aussi les plus vulnérables devant les modifications de leurs milieux naturels. leur impact sur le développement humain, sont bien connus (voir encadré, p.5). C’est en constatant que le taux de disparition des espèces dues à l’activité humaine est 1.000 fois plus élevé que le taux naturel que les Nations Unies ont mis la biodiversité à l’avant-plan pour 2010. res par an. En plus de la perte de biodiversité, la déforestation cause entre 18 et 25% d’émissions de gaz à effet de serre tous les ans, et devient ainsi un facteur principal dans le changement de climat. Depuis 1992 déjà, année du Sommet de Rio, les liens entre le climat et la biodiversité, et KLIMOS : Plateforme de recherche sur le climat et le développement KLIMOS est le nom de la plateforme Klimaat en Ontwikkelingssamenwerking (Climat et Développement) créée en 2008, à l’initiative du professeur Bart Muys de la K.U. Leuven. Le programme de recherche financé par la coopération belge via le VLIR-UOS (Conseil interuniversitaire flamand – Coopération universitaire au développement), étudie comment concilier politique climatique et coopération au développement. Le monde de la coopération au développement a longtemps été méfiant vis-à-vis de l'intégration dans son domaine d’une politique climatique. La crainte était que les objectifs originels du développement 4 dimension janvier-février 2010 ne soient déforcés en faveur d'une atténuation pure et simple des changements climatiques. Une affirmation souvent entendue était que le réchauffement climatique est d'abord un problème du Nord. Au Sud, il fallait s’attaquer à des problèmes autrement plus urgents, tels que les Objectifs du Millénaire. Mais aujourd’hui, on prend conscience que le changement climatique compromet les Objectifs du Millénaire dans de nombreux domaines. KLIMOS entend développer une solide base de connaissances sur l’impact du changement climatique pour le Sud. Il s'agit d'un consortium comprenant une dizaine de groupes de recherche de la KU Leuven, de la VUB, de l'Université de Gand, et de la Katholieke Hogeschool St-Lieven. Les résultats de la recherche seront mis à la disposition de la Coopération belge au développement, d'autres gouvernements, des ONG et du secteur privé, au Nord comme au Sud. Bruno Verbist 1, Bart Muys2, Tom Waas et Jean Hugé3 1 chef de projet KLIMOS 2 coordinateur de projet KLIMOS - KULeuven 3 collaborateurs au projet KLIMOS - VUB online www.kuleuven.be/klimos Biodiversité essentiel du développement durable C’est le développement humain qui porte le plus de préjudices à la biodiversité et au climat. Si nous souhaitons accomplir d’ici 2015 l’Objectif du Millénaire n° 1 – Réduire de moitié la faim et la pauvreté – alors, nous devons tenir compte de l’environnement comme le facteur déterminant et incontournable du "développement durable", celui qui doit garantir aux générations futures de pouvoir pleinement subvenir à leurs besoins. La dette climatique des pays industriels Le président vénézuélien Hugo Chavez le rappelait, dans un discours à l’ouverture du Sommet de Copenhague : "Les 500 millions de personnes les plus riches, qui représentent 7% de la population mondiale, sont responsables de 50% des émissions mondiales, alors que les 50% des plus pauvres ne sont responsables que de 7% des émissions." En rappelant ces chiffres, il indiquait l’importance de la dette climatique des pays industrialisés envers les pays en développement. Au danger que des milliers d’espèces végétales et animales puissent disparaître à brève échéance, il faut encore ajouter la multiplication des "événements météorologiques extrêmes" comme les sécheresses de longue durée et les ouragans de haute intensité. Et l’on craint que tels cataclysmes toucheront le plus durement les pays du Sud. © Adèle Bouet Le niveau des mers a augmenté de 10 à 20 cm. au cours du 20ème siècle et une hausse supplémentaire de 9 à 88 cm est prévue d’ici l’an 2100 suite à la fonte des glaciers. La mer pourrait envahir des zones côtières fortement peuplées de pays tels que le Bangladesh. Des îles comme les Maldives pourraient même complètement disparaître. En outre, la salinisation ou la pollution des réserves d’eau douce pourraient contraindre des millions de personnes à des migrations massives et à l’exode. D’autre part, la production agricole pourrait chuter dans nombre de régions tropicales et subtropicales, et les zones désertiques s’assécher davantage et s’étendre. Une agriculture locale et diversifiée… 80 % de la population mondiale est paysanne. Selon un rapport de l’IAASTD1, le monde sera bientôt confronté à une augmentation de 75% de la demande de nourriture, due à la croissance démographique mais aussi à l’augmentation de demande en Le Sommet de la Terre En 1992, les Nations Unies ont organisé une Conférence internationale sur l’Environnement et le Développement, mieux connue sous le nom de "Sommet de la Terre". Aux côtés de quelques accords non contraignants (l’Agenda 21, la Déclaration de Rio, la Déclaration sur les forêts), les pays participants ont signé deux Conventions contraignantes. La Convention sur la diversité biologique (CDB) vise la conservation, la protection et l’utilisation durable de la diversité biologique et le partage équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. L’une des décisions majeures consacre la volonté d’enrayer la perte de la biodiversité d’ici 2010. Le Mécanisme du Centre d’échange (CHM) a été mis en place afin que tous les pays puissent avoir accès aux connaissances et technologies dont ils ont besoin dans le cadre de leurs activités en matière de biodiversité. En Belgique, le point de contact national pour la CDB est l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique. Avec l’appui de la DGCD, et dans le cadre du Mécanisme du Centre d’échange, il organise des activités de renforcement des capacités avec les pays partenaires de la Belgique. La Convention-cadre des Nations unies sur les Changements climatiques vise à limiter les changements climatiques. Cette Convention, signée en 1992, engage les pays industrialisés à tout mettre en œuvre afin de ramener le niveau de leurs émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990, et ce au plus tard en l’an 2000. Il n’était cependant pas question d’imposer des objectifs chiffrés ni un calendrier. Un principe essentiel est le "principe de précaution" : toutes les activités qui risquent de provoquer des dommages graves ou irréversibles peuvent être restreintes, voire interdites, même en l’absence de certitude scientifique absolue. Le Protocole de Kyoto de 1997, que les États-Unis ont refusé de ratifier, engage les pays industrialisés à réduire leurs émissions de 5% au moins d’ici 20082012, par rapport au niveau de 1990. En 2007, à Bali, le calendrier (politiques d’atténuation, adaptation, moyens de financement, technologies, et une "vision commune" de l’action) et une feuille de route ont été fixés dans la perspective d’un nouvel accord à Copenhague. À Rio, il a également été convenu d’élaborer une Convention sur la lutte contre la Désertification, qui a été signée en 1994. La lutte contre la désertification est liée aux thématiques du changement climatique, de la biodiversité, de l’eau en tant que ressource naturelle, de la sécurité alimentaire et aux facteurs socioéconomiques. A. Van der Avort - DGCD online Convention on biological diversity: www.cbd.int United Nations Framework Convention on Climate Change: www.unfccc.int Convention to Combat Desertification : www.unccd.int janvier-février 2010 dimension 5 Dossier pent à 60, voire 80 % de la production agricole. Un récent rapport du FNUAP le souligne3 : la pression démographique est d’une importance capitale pour l’avenir du climat. A l’horizon 2050 nous pourrions être 8, ou 10 milliards d’habitants, consommant et polluant les ressources de la planète. Cette différence de croissance sera fonction de la souveraineté des femmes quant à leur contraception. Le débat reste donc largement ouvert, à l’intersection des trois piliers du développement durable : l’économie, le social et l’environnement. Claude Croizer, conseiller environnement à la CTB (voir encadré), résumait ainsi la question : "Le défi est donc d’imaginer un mode de développement qui valorise la biodiversité comme un patrimoine écologique, mais aussi économique et culturel." © UCL Elise Pirsoul viande. Il faut 10 fois plus d’eau et de céréales pour produire un kilo de viande qu’un kilo de légumes, tandis que les superficies cultivables et fertiles diminuent. Selon l’IAASTD, la bonne gestion d’une agriculture familiale et diversifiée sera un facteur déterminant. Une grande partie des forêts sont situées dans les pays en développement et sont menacées par l’exploitation agricole. Mais il est délicat d’interdire aux populations de défricher la forêt pour leur propre survie. online OMD : www.un.org/fr/millenniumgoals/ Forum des Nations Unies sur les forêts : … et les femmes à la barre www.un.org/esa/forests Celles qui représentent plus de la moitié de la population mondiale ont plus que le droit de s’exprimer dans ce débat : ou bien le combat est mené ensemble avec les femmes, ou bien il n’y en aura tout simplement pas2. Dans les pays en développement, les femmes partici- Femmes et développement : www.dgci.be/fr/cfd/ Séminaire CTB "L'agriculture comme moteur de la croissance en faveur des pauvres" : www.btcctb.org Comment la CTB prend-elle en compte les diverses problématiques qui ont une incidence négative sur la biodiversité ? Pour la coopération belge au développement, la question centrale est d'abord la réduction de la pauvreté et l'amélioration des conditions de vie des populations, essentiellement rurales, mais aussi, dans des contextes urbains. En ce qui concerne l’Agence belge de coopération au développement (CTB), la question de la biodiversité est à prendre à plus large échelle, dans l'ensemble des dimensions environnementales. L'environnement est un thème "transversal", qui comprend, aussi, les questions de biodiversité. Nous avons d’ailleurs peu de projets ayant pour objectif principal les questions de biodiversité, mais depuis quelques années le nombre d’interventions en rapport avec la gestion durable des ressources naturelles tendent à augmenter. 1 2 3 De ce point de vue, la question pour la CTB est d'analyser au mieux les paramètres et impacts environnementaux - dont l’impact éventuel sur la biodiversité -, et d’intégrer ces paramètres de façon efficiente au moment de définir une intervention de développement. Que ce soit dans le secteur du développement rural et de l'agriculture, mais aussi dans d'autres secteurs de la coopération comme les infrastructures, ou même la santé ou l'éducation. En ce qui concerne nos partenaires, il y a certainement une évolution de la sensibilité pour les questions environnementales. Parce que la question climatique est venue au devant de la scène et a éveillé les consciences d'une certaine manière, et aussi parce que les gouvernements constatent la multiplication des dommages environnementaux, aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain. On observe une réelle prise de conscience, les gouvernements veulent mettre en place des politiques environnementales, et accordent un intérêt de plus en plus grand à ces questions. Un signe, c'est le fait qu'en 2009, parmi les derniers Programmes Indicatifs de Coopération (PIC) qui ont été définis avec cinq de nos pays partenaires, deux d’entre eux, le Pérou et la Tanzanie, ont décidé de choisir l'environnement et la gestion des ressources naturelles comme secteur prioritaire de coopération. Ce qui n'aurait peut-être pas été le cas il y a quelques années encore... Propos de Claude Croizer (Conseiller environnement CTB) recueillis par Jean-Michel Corhay International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development, Agriculture at a Crossroads, 2009 C’était le propos de la conférence de la Commission femmes et développement qui s’est tenue en décembre 2009 "L’accès et le contrôle des ressources par les femmes: Un défi pour la sécurité alimentaire" Etat de la population mondiale 2009. Face à un monde qui change : les femmes, la population et le climat, novembre 2009 6 dimension janvier-février 2010 dossier écotourisme Le WWF aux avant-postes pour défendre la nature congolaise © WWF / M. Hoogsteyns Pour alléger la pression qui pèse sur le parc, le WWF de concert avec la population locale a commencé à produire du bois de chauffage à usage domestique, grâce à la plantation d'acacias et même d’arbres de mangroves. Un fait unique en son genre. Le "Parc Marin des Mangroves" constitue l’habitat de nombreuses espèces animales en danger. En RD Congo, le WWF se lance dans la lutte contre le défrichement de la forêt tropicale. Le WWF considère le tourisme comme un allié intéressant. Les activités du WWF dans le "Parc Marin des Mangroves", à l'embouchure du fleuve Congo et sur la côte congolaise, sont un exemple de protection de la nature à petite échelle, de caractère alternatif, et qui font vraiment la différence. Le WWF a lancé un projet pour reboiser la région et la rendre accessible aux touristes. Le WWF agit par l’entremise d’une ONG locale, ACODES. Cette dernière devrait être en mesure de poursuivre le projet de façon entièrement autonome dès l'an prochain. d'autres atteintes. La population locale n'a pas accès à l'électricité et coupe du bois dans la réserve de mangrove pour cuisiner, la réserve est aussi saignée à blanc par la surpêche - les zones de mangrove sont de bons sites de reproduction pour de nombreuses espèces de poissons – le braconnage est courant et il n'y a aucune surveillance à l’encontre des navires de haute mer qui vidangent et nettoient leurs soutes à pétrole dans l'embouchure du Congo. Zone unique de mangroves Actuellement, les autorités locales congolaises telles que l'Institut congolais pour la Conservation de la Nature éprouvent des difficultés à protéger le parc contre © WWF / M. Hoogsteyns Le "Parc Marin des Mangroves" a été reconnu comme réserve il y a quinze ans seulement. Son habitat est pourtant unique: environ 80.000 hectares de forêt de mangrove, où vit une faune extrêmement rare, telles que les lamantins (mammifères marins de plus de 700 kilos), des hippopotames, des crocodiles, des serpents rares, des centaines d'espèces d'oiseaux et des tortues. Celles-ci viennent chaque année, pendant la saison des pluies, déposer leurs œufs sur les plages locales. Mais leur nombre diminue chaque année. Pose d’une bague sur une tortue marine. L’écotourisme, nouveau gardien de la nature ? Du fait que la région possède un potentiel touristique considérable et indéniable, le WWF et ACODES ont lancé un projet d'écotourisme à Muanda. L'écotourisme s’adresse aussi bien aux Congolais aisés qu’aux expatriés à Kinshasa qui souhaitent échapper pour quelques jours à l’agitation de la capitale. Témoins d'un tourisme jadis florissant dans la région, les stations balnéaires de Vista et Banana ne peuvent plus montrer de leur splendeur passée que des villas et des bâtiments historiques quelque peu désertés et délabrés. L'initiative d'écotourisme vise à soulager la pression qui pèse sur la réserve. Les gens qui gagnent un peu d'argent grâce aux touristes seront moins vite tentés de braconner et de couper illégalement du bois. Les touristes ne seront guère enclins, en effet, à visiter une réserve où il n’y a pas le moindre hippopotame ou lamantin découvrir. C’est pourquoi il faut convaincre la population et les autorités locales d'avoir une vision à long terme et de ne pas se laisser tenter par le profit immédiat. Les recettes générées par ce projet reviennent déjà en grande partie à la population, qui s’est organisée en structures démocratiques locales. Grâce à l'initiative du WWF, les animaux sont mieux protégés dans la réserve. Des "écogardes" locaux protègent les hippopotames et les observent. Des guides sont formés pour accompagner les visiteurs. Un site web sera mis en place pour informer les visiteurs et les personnes intéressées sur les possibilités de la région. Pour 2010, le projet vise un minimum de 300 visiteurs : un bon début. Mark Hoogsteyns Chef de projet WWF à Muanda [email protected] janvier-février 2010 dimension 7 Dossier © BTC/Pieter Van de Sype Entre nuages et chacras Les versants andins abritent une biodiversité d’une richesse exceptionnelle. Au Pérou, dans les Andes du Nord, la réserve naturelle Santuário Nacional Tabaconas Namballe présente une biodiversité exceptionnelle. Mais elle est située dans une zone très convoitée, tant par les pauvres paysans – les campesinos – qui ont besoin de terres, que par les fabricants de meubles qui lorgnent les réserves de bois, et les exploitants potentiels de ses ressources minérales. La nature pourra-t-elle survivre ? Des arbres et des arbustes tortueux, ramassés, foisonnant de lichens crustacés et de bromélias, entrelacés de lianes, qui ont poussé en se mêlant jusqu’à former une forêt féérique impénétrable, s’abreuvant des brumes et des nuages éternels, dans le murmure incessant des ruisseaux de montagne… C’est le décor majestueux d’une forêt des nuages située dans le sanctuaire (voir encadré). La Belgique y contribue pour 7,5 millions d’euros au programme Pro-SNTN, exécuté par la CTB, l’Agence belge de coo- 8 dimension janvier-février 2010 pération, et destiné à réduire les pressions qui s’exercent sur la zone. Ses 2 objectifs sont la protection de la nature et la lutte contre la pauvreté au travers d’un large éventail d’activités. La migration des campesinos Jusqu’il y a 50 à 60 ans, la zone entourant la réserve était inhabitée. L’instinct de survie, seul, a poussé des habitants d’autres provinces à venir s’installer ici. "Celui qui ne peut assurer sa subsistance n’a que deux options", raconte Joachim Puhe, directeur international de Pro-SNTN. "Ceux qui ont Pérou : réserve naturelle Pour avoir une parcelle, ou chacra, à cultiver, le plus facile est de brûler un bout de forêt, avec l’accord des voisins. C’est ce qu’a fait le jeune Mercedes Togas. Il habite une maisonnette misérable dans la jungle. Sa chacra est tout près de la forêt des nuages : pas dans le sanctuaire proprement dit, mais dans la zone d’influence, cette zone jouxtant la zone tampon qui enserre le sanctuaire. Dans ces deux zones, aucun obstacle n’est mis en principe à l’aménagement de chacras. © DGOS/Chris Simoens Evaristo Tocto, 72 ans, a eu plus de chance. "Mon père avait une grande hacienda, et donc suffisamment de terres à partager entre ses enfants. Moi, je n’ai que 2 hectares. Mes enfants – 4 de mes 6 enfants sont devenus planteurs de café – ont dû acheter eux-mêmes des terres, ou ils ont pu en disposer via leur partenaire". Mais l’intervention des autorités est fort limitée au niveau des opérations d’achat et de vente de terres. Au Pérou, l’aménagement du territoire est à peu près inconnu. Seule la nécessité de survivre conduit les paysans à déboiser les collines escarpées. Tous les campesinos ont résolument opté pour la culture de café organique, malgré leur manque de connaissances en la matière. "Même si leurs plants de café ont 25 à 30 ans, ils continuent à les cultiver, malgré la production plus faible", explique Máximo Arcos, responsable du café pour Pro-SNTN. "Ils se mettent donc à la recher- che de nouvelles terres, et continuent de pratiquer la culture sur brûlis." "Les gens d’ici, surtout les métis, n’ont jamais été en contact avec la culture Inca", précise Joachim. "Les pratiques d’agriculture durable des Incas – la culture en terrasses – leur sont inconnues." Le projet entend par conséquent en premier lieu améliorer les connaissances des campesinos installés autour du sanctuaire. Car s’ils parviennent à accroître leur production – et donc leurs revenus – l’aménagement de nouvelles chacras ne représentera plus une nécessité vitale. Davantage de café de meilleure qualité "Les nombreuses années de culture du café ont épuisé les sols", constate Máximo. "Dès lors, nous avons offert aux campesinos des engrais organiques : le guano des îles et des minéraux tirés de roches naturelles." Le guano, déjà utilisé par les Incas, est un engrais très riche provenant des déjections d’oiseaux de mer sur les îles le long de la côte péruvienne. L’amendement des terres demande un investissement, mais le campesino en voit tout de suite le résultat. "Un meilleur amendement a déjà permis de faire croître la production de café de 35%", confirme Maximo. La mise à disposition de l’engrais passe par les coopératives. "Nous avons donné des fonds aux différentes coopératives, à charge pour elles de les gérer. L’argent leur a permis d’acheter des engrais, qu’elles ont distribués aux membres. Comme ceux-ci les remboursent grâce à leurs bénéfices, les coopératives conservent leur fonds", ajoute Máximo. Les campesinos ont également appris comment utiliser efficacement leurs propres engrais organiques. Les plantations de café trop anciennes ont été remplacées. Des moyens de lutte > Un sanctuaire de la biodiversité Dans le Santuário Nacional Tabaconas Namballe se trouvent des biotopes exceptionnels des montagnes (sub) tropicales. Vers 2.500 mètres d’altitude, la jungle tropicale de montagne y devient une forêt des nuages, avec ses arbres et arbustes tortueux. A partir de 3.000 mètres, ne subsiste plus qu’un tapis épais de mousses et d’herbes spongieuses : la haute terre froide et humide appelée páramo. Avec les forêts des nuages, les páramos sont les "châteaux d’eau" de la nature. Leur sol et leur végétation absorbent littéralement l’humidité des nuages qui se forment à cette altitude. Ils alimentent d’innombrables ruisseaux de montagne et fournissent de l’eau pure aux populations qui vivent à plus basse altitude. Dans le sanctuaire, une équipe de chercheurs a dénombré 1.090 espèces de plantes, parmi lesquelles des orchidées et un grand nombre de plantes médici- nales. Y poussent également des parents sauvages de plantes importantes pour l’être humain, comme le fruit de la passion et le poivre. Parmi les 156 espèces d’arbres, ce sont les Podocarpus menacés d’extinction qui retiennent l’attention. Cet imposant conifère, qui peut devenir centenaire, fournit un bois qui se prête particulièrement bien à la fabrication de meubles. © 3MO l’esprit d’entreprise plus affirmé migrent vers la ville. Ils travaillent dans une usine ou font un peu de commerce. Les autres migrent vers des zones inexploitées pour y cultiver la terre." L’animal-symbole du sanctuaire est l’ours à lunettes. Il est menacé d’extinction en raison du morcellement de son habitat. A l’heure actuelle, la réserve n’abrite plus qu’une population de 10 à 100 individus. Un autre mammifère en disparition est le tapir des montagnes. La région est encore peuplée d’une grande variété d’amphibiens et d’oiseaux, comme par exemple des colibris. De nombreuses espèces y sont "endémiques", c’est leur unique habitat. 20 à 30% des espèces sont encore inconnues. janvier-février 2010 dimension 9 dossier Il va de soi que l’aspect commercial est aussi essentiel. Le campesino doit vendre son café organique à un prix élevé. C’est la raison pour laquelle il ne peut récolter que des baies de bonne qualité. Les mélanger avec du café médiocre aboutirait à un produit de moindre valeur. A l’heure actuelle, le projet met en place un système qui permettra d’identifier, pour un paquet de café donné, quel campesino l’a produit. Cette identité d’origine se traduit également par un meilleur prix de vente. A tout coup, cette approche se révèle payante : Máximo estime que le rendement accru a permis de réduire de 20% la superficie de forêt brûlée. Cultiver aussi d’autres produits Cultiver exclusivement du café ne permet pas aux campesinos d’assurer suffisamment leur subsistance. Les prix varient et, de plus, le cycle du café ne couvre pas plus d’une demi-année. Dès lors, le projet a encouragé les campesinos à cultiver d’autres plantes. Garcia Santos cultive à présent du cacao. "L’année dernière, j’ai reçu des semences et de l’engrais organique. J’ai remplacé un hectare d’anciens plants de café par des plants de cacao. J’attends la première récolte l’année prochaine." Gilberto Pintado cultive des bananes plantains entre ses plants de cacao. Avec ce supplément de revenu, il envisage en fin de compte d’élever des vaches laitières. Le projet a également introduit les gra- 10 dimension janvier-février 2010 nadillas (un fruit local) et… les cochons d’Inde, un mets très prisé ici. Mais cela ne va pas de soi, raconte Karima, volontaire à Pro-SNTN. "150 familles ont reçu chacune 5 cochons d’Inde à élever. Mais certaines les ont mangés aussitôt. On doit bien constater que la plupart des campesinos sont peu entreprenants. Il faut du temps.” © DGOS/Chris Simoens > biologique contre les maladies ont été enseignés. Par ailleurs, le projet a donné une place de tout premier plan à l’agroforesterie. Le café préfère pousser à l’ombre des arbres de plus haute taille. Si ceux-ci produisent en outre un bois de qualité, ils offrent une source supplémentaire de revenus. Il est également possible de recourir à des arbres fruitiers ou à des papilionacées qui enrichissent le sol en azote. En ajoutant du cacao à sa culture de café, Gilberto espère une amélioration de son revenu. Le Stevia, l’"herbe douce", est très prometteur. “C’est même plus rentable que le café”, affirme Karima. "Il pousse toute l’année, et on peut le récolter chaque mois. Ce substitut du sucre est de plus en plus demandé." Mais cultiver le Stevia est tout autre chose que cultiver le café, et les campesinos doivent s’y habituer. Beaucoup ont décroché. Mais il existe à présent un manuel pour la culture du Stevia, et on a trouvé des acheteurs. "Les quelques persévérants deviendront les meneurs”, estime Karima. “Dès que les gens verront que ça marche, ils suivront." Les abeilles Les abeilles, ce n’est pas que du miel et un revenu supplémentaire. "Où il y a des apiculteurs, on trouve aussi davantage de forêt", précise Joachim. "Car lorsque des parcelles sont réduites à néant, il y a moins de nectar pour les abeilles. Les apiculteurs s’y opposent. Donc, lorsque des apiculteurs habitent à proximité d’une réserve, il y a un effet protecteur. 1.000 familles vivent non loin du sanctuaire, 200 ont été formées à l’élevage des abeilles. Une masse critique suffisante pour stimuler le débat lorsque la forêt est incendiée." Les apiculteurs ont par ailleurs reçu des semences d’espèces d’arbres indigènes qui produisent plus de nectar, ce qui contribue au reboisement. L’abattage illégal Une autre menace est l’appétit des fabricants de meubles et de l’industrie de la construction. Au Pérou, la gestion durable des forêts ou des plantations n’en est encore qu’à ses balbutiements. De grandes parts de forêt ont déjà disparu, et ce qui reste fait donc l’objet des convoitises des campesinos, que la pauvreté pousse à aller couper du bois qu’ils vendent pour une bouchée de pain. "Dans la zone tampon, à deux pas du sanctuaire, il y a sûrement 10 familles qui coupent du bois. Après minuit, ils descendent le bois à dos d’âne, jusqu’à un endroit où les acheteurs les attendent", révèle un des conseillers du projet. Le Podocarpus est particulièrement recherché. Dès qu’un endroit est défriché, les pauvres campesinos y mettent des vaches. Mais ils ne sont pas les seuls à couper du bois, les consommateurs eux-mêmes s’y mettent. "Les autorités nationales ne s’intéressent pas à la préservation de la nature", estime Carlos Martinez, bourgmestre de San Ignácio, où se situe le sanctuaire. "Elles n’ont affecté qu’une (!) personne au contrôle de l’abattage, et elle est installée à Jaén, à 3 heures de San Ignácio. C’est pour cette raison que la commune et la province ont dû elles-mêmes prendre des mesures. Nous avons donc mis 15 personnes à des postes de contrôle." Agustín Nuñez, le gouverneur de la province, ajoute : "Nous expliquons aux gens que l’abattage nuit à l’environnement, et que c’est illégal. Si cela reste sans effet, c’est la police qui intervient. Elle peut imposer une amende, saisir le véhicule durant 30 jours, ou citer le contrevenant en justice. En 2 ans, nous avons saisi entre 15 et 20 camions. L’abattage a reculé de manière Pérou : réserve naturelle visible." Des images satellite montrent que le sanctuaire est relativement intact, et que le déboisement est estimé à 10% maximum dans la zone tampon. Le projet ne peut pas se substituer à la police. Mais son intervention a cependant des effets indirects. Lorsque les paysans plantent des arbres qui produiront du bois de valeur, les fabricants de meubles bénéficient d’une source durable. Dans la zone tampon, 190.000 arbres ont été plantés. En outre, les gens ont appris à entretenir eux-mêmes les pépinières. Les mines La zone du projet est également très riche en minerais. Dans la zone tampon, 5 secteurs sont reconnus comme zones de concession. Les mines restent un sujet épineux au Pérou. L’opposition est forte au niveau de la population – et pas seulement des Indiens. Le plus souvent, les étrangers qui exploitent les mines se préoccupent fort peu de l’environnement. "Certaines mines d’or ont créé un paysage lunaire. Les gens ne peuvent plus rien y cultiver", raconte Joachim. "Une mine qui se trouve dans la zone tampon peut polluer le sanctuaire via les eaux souterraines. Les eaux d’irrigation peuvent elles aussi être polluées. Le fait de remuer fortement le sol libère du cuivre, qui se retrouve plus tard dans les fleuves." Le bourgmestre Martinez est consterné par l’attitude des autorités nationales. "Savezvous que des concessions ont même été octroyées dans des zones protégées ? En raison de la volée de protestations qui a suivi, elles ont heureusement été retirées. Mais les concessions dans la zone tampon sont maintenues. Notamment pour Minera Majaz, qui se trouve à présent entre les mains des Chinois. En tant que commune, nous ne pouvons rien faire. Il y a déjà eu des morts lors de protestations contre Majaz! La police cherche à militariser la zone, et les Chinois pourront alors agir à leur guise." Le gouverneur Nuñez est plus nuancé. "On trouve des positions extrêmes dans les deux camps. D’un côté il y a les ONG, pour qui toute forme d’extraction minière est une hérésie ; de l’autre, la police, dont les interventions sont beaucoup trop brutales. La polémique qui entoure Majaz ne sert qu’à manipuler l’opinion. Je suis moimême paysan et opposé à la pollution. Mais la polarisation entre "mauvais pour l’environnement" et "bon pour l’économie" doit cesser. Pour l’extraction de l’or, il faut en effet des produits chimiques toxiques. Mais si l’on extrait du cuivre et du zinc dans la zone tampon et qu’on les traite à des kilomètres de là, où est le problème? Ce qui importe, c’est que toutes les parties prenantes prennent place autour d’une table: les autorités, les ONG et les entreprises. Les autorités nationales doivent vraiment s’impliquer." Douglas Cortina, chef de la Jefatura – le service de surveillance du parc qui dépend du Ministère de l’Environnement – le dit sans détours. "Oui, dans 3 des 5 zones de concession situées dans la zone tampon, on est prêt à démarrer l’extraction. Mais ils doivent au préalable obtenir l’autorisation de la Jefatura. Et tant que je suis à ce poste, ils ne l’obtiendront pas !" parc, Regina et Evélio, sont d’un autre avis. "Le Podocarpus se régénère moins vite et, en raison de l’humidité également présente durant la saison sèche, de nombreuses graines ne sont plus viables avant même de tomber sur le sol." A la radio et à la télévision, on parle beaucoup de changement climatique, ce qui fait naître chez certains un véritable intérêt pour l’environnement. L’omniprésent Pro-SNTN y a contribué. Jaime Román est chef de Nueve de Octubre, un village qui compte 95 familles. Elles forment une communauté aux liens étroits, qui veut préserver son morceau de nature. "Je ne le cache pas. Auparavant, je chassais toutes sortes de mammifères. Mais nous remarquons maintenant qu’ils sont beaucoup moins nombreux. Ce qui nous amène à prendre conscience de l’importance de la nature. Il faut aussi reboiser, car cela peut stabiliser le climat." Son village est situé tout près d’un des derniers vestiges de la forêt des nuages en dehors du sanctuaire. "Nous avons même dessiné notre propre drapeau. Blanc pour la paix, vert pour la nature, et bleu pour la pureté de l’eau et de l’air. Au centre, un arbre se dresse fièrement, le Podocarpus." épilogue Changement climatique Le changement climatique est une autre pièce du puzzle. Tout le monde s’accorde à dire que les saisons sont moins marquées. A présent, il arrive qu’il pleuve durant la saison sèche, ce qui complique le séchage des grains de café, et entraîne une baisse des prix pour les paysans. La chaleur du soleil est aussi plus brûlante, et le sol est complètement asséché en 2 jours. "Mais dans le sanctuaire proprement dit, il n’y a pas d’effets visibles", déclare Douglas de la Jefatura. "L’eau des lacs est toujours au même niveau et la végétation basse n’envahit pas la forêt des nuages, ce qui serait un signe d’assèchement." Ses gardiens du Début 2011, Pro-SNTN lèvera le camp. Le sanctuaire et son environnement seront totalement confiés à la population et aux autorités. Mais la Belgique sera encore un peu présente. Ainsi, dans le cadre du nouveau programme de coopération avec le Pérou, notre pays contribuera notamment au développement du Ministère de l’Environnement, et à la mise en place d’un système d’aménagement du territoire. Chris Simoens online www.sntabaconasnamballe.gob.pe www.btcctb.org janvier-février 2010 dimension 11 dossier Le zoo d'Anvers protège les singes "La demande en viande de brousse reste importante" La Société Royale de Zoologie d'Anvers (SRZA) profite de ce que l'année 2010 a été déclarée Année Internationale de la Biodiversité pour sensibiliser le grand public à ses projets de conservation. Le Projet Grands Singes mené au Cameroun porte sur l'observation des grands singes et leur protection contre le braconnage. Entretemps le projet explore des sources alternatives de revenus pour la population locale, parce que celle-ci chasse sur la viande de brousse recherchée. de Kai-Mook, nous présenterons le bilan financier du plan de croissance." La consommation de viande de brousse dans les régions urbaines s'accroît. Le désenclavement de la forêt favorisé par la construction de routes pour les sociétés d'abattage d'arbres, a facilité le transport entre ville et forêt. "L'année de la biodiversité constitue en effet un cadre parfait pour la SRZA, gestionnaire du zoo d'Anvers et du parc animalier de Planckendael, pour mettre en valeur ses projets de conservation." La porte-parole Ilse Segers est consciente que les communications relatives aux résultats de recherche de projets menés dans des pays lointains ont du mal à atteindre le grand public. "C'est pourquoi nous utilisons des histoires concrètes et personnalisées d'animaux qui servent de support aux messages clés. Notre meilleur exemple a été le journal de bord de la naissance de Kai-Mook (souvenez-vous de l'éléphanteau né au zoo d'Anvers, red.)." La mascotte Kai-Mook La médiatisation qui a entouré Kai-Mook a permis de générer des revenus destinés à la construction d'un biotope pour éléphants ainsi qu'à la protection de l'éléphant asiatique - congénère de l'éléphanteau anversois. "Nous avons établi un Plan de croissance K, qui fonctionne comme un compte Pampers, et qui sert deux objectifs: la future maison de Kai-Mook à Planckendael et le soutien de ses congénères indiens menacés. En mai 2010, à l'occasion du premier anniversaire 12 dimension janvier-février 2010 La viande de brousse au Cameroun "Au Cameroun, ces deux aspects vont déjà de pair, même si les changements ne sont pas évidents." Zjef Pereboom, responsable de l'institut de recherche de la SRZA estime qu’une des priorités est de trouver des sources de revenus alternatives pour la population locale. "Le Projet Grands Singes tente © KDMA © KDMA La SRZA gère de manière autonome deux grands projets en région tropicale : BioBrasil dans la forêt côtière humide du Sud de Bahia et le Projet Grands Singes dans les forêts non protégées du Cameroun. Les deux projets soulignent l'importance du lien indissociable qui existe entre la protection de la biodiversité et la stimulation du développement humain. Avec sa belle tête dorée, le tamarin-lion doré est devenu un symbole de la biodiversité des forêts côtières humides du Brésil. de protéger les grands singes en étudiant leur habitat, leur comportement et leurs habitudes alimentaires. Dans les forêts non protégées, les sociétés d'abattage d'arbres sont actives et la population locale chasse dans les forêts. C'est ainsi que périssent de nombreux singes." alternatifs : un petit magasin, des plantations de cacao... "Mais que voyons-nous ? La population locale, même si elle dispose de revenus supplémentaires, ne délaisse pas pour autant la chasse. La consommation privée a en effet été remplacée par des pratiques commerciales. Grâce au désenclavement des forêts – dû à l'amélioration des routes entre villes et villages –, il est devenu aujourd'hui plus facile de transporter la viande de brousse vers la ville en utilisant le vélomoteur. C'est là que réside le problème actuel : la demande en viande de brousse a grimpé dans les zones urbaines. Les habitants des forêts mangent moins de produits de leur chasse, mais ce n'est pas le cas des citadins. Au contraire !" BioBrasil stimule la capacité de recherche locale BioBrasil est un projet de conservation des tamarins-lions dorés, ou singes dorés, des forêts côtières humides du Sud de Bahia, au Brésil. Leur habitat est gravement menacé par l'abattage des arbres. La stratégie du projet consiste à renforcer la capacité de recherche locale. Pereboom est convaincu des chances de succès de cette approche. "Les instituts de recherche au Brésil sont de grande qualité. Nous ne disposons que d'un chercheur belge sur place. En revanche, nous soutenons financièrement 10 travailleurs de terrain, chercheurs et étudiants. L'idée à terme est que la capacité de recherche disponible sur place permette de prendre le projet entièrement en charge." Thomas Hiergens online La viande de brousse était autrefois principalement destinée à l’usage personnel. L'espoir est que l'on puisse diminuer la chasse en forêt en stimulant les revenus www.KMDA.org www.zooantwerpen.be www.planckendael.be Fiche thématique dimension Le journal de la coopération belge Biodiversité QU’EST-CE LA BIODIVERSITÉ ? La biodiversité, ou diversité biologique, est le nom donné à l’extraordinaire variété de la vie sur Terre. La biodiversité, c’est à la fois : • La diversité des espèces (animaux, végétaux, champignons, algues, bactéries, virus…). • La diversité entre individus d’une même espèce, ou diversité génétique (différence de tailles, de formes, de couleurs…). • La diversité des écosystèmes, c’est-à-dire des différents milieux (une mare, une forêt, un récif corallien…), des espèces qui y vivent et de leurs interactions. Il est difficile de quantifier le nombre d’espèces vivant sur Terre car bon nombre d’entre elles sont microscopiques, vivent cachées ou n’ont tout simplement pas encore été découvertes. Actuellement, environ 1,9 million d’espèces ont été répertoriées au niveau mondial mais cela ne représenterait que la partie visible de l’iceberg… Selon les scientifiques, le nombre total d'espèces atteindrait 13 à 15 millions d'espèces. Environ 10.000 nouvelles espèces sont découvertes chaque année, dont la plupart sont des invertébrés. Le Brésil est le pays le plus riche en biodiversité au monde, il comprend au moins 20 % des espèces mondiales déjà répertoriées à ce jour. Un très grand nombre d’espèces d’intérêt économique élevé sont originaires du Brésil, comme le caoutchouc, l’ananas et les cacahuètes. L’IMPORTANCE DE LA BIODIVERSITÉ La biodiversité est notre "capital vert" : elle est à la base de notre alimentation quotidienne, de notre santé et de nos activités. Elle est la garantie du bon fonctionnement et de l'équilibre de notre planète. Elle nous fournit de nombreux produits : nourriture, matériaux de construction, d’isolation et de décoration, fibres textiles, principes actifs de nombreux médicaments, combustibles… Les services rendus par les écosystèmes sont tout aussi indispensables à notre survie. L’eau potable que nous buvons est disponible grâce au rôle d’éponge, de filtre et de réservoir des forêts et zones humides. La majorité des fruits et légumes que nous mangeons ne peuvent croître que grâce à l’action pollinisatrice de certains insectes, oiseaux et mammifères. Les espèces végétales – des arbres des forêts tropicales au phytoplancton marin – jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat mondial, notamment en absorbant le dioxyde de carbone (CO2) et en produisant l'oxygène atmosphérique. Les exemples ne manquent pas… > janvier-février 2010 dimension I > Les pays les plus pauvres économiquement sont souvent les plus riches en biodiversité. Ils dépendent aussi fortement des ressources naturelles. Selon la Banque Mondiale, les pays à bas revenus génèrent environ 25% de leurs richesses directement à partir de l'environnement. Cette proportion n'est que de 2% dans les pays industrialisés. Déboisement de la forêt amazonienne et paludisme De nombreux virus et leurs vecteurs, souvent des insectes, affectionnent particulièrement les conditions humides et chaudes de cette forêt tropicale. Pourtant, une étude péruvienne a montré que le taux de piqûre du moustique Anopheles darlingi, vecteur du paludisme, était 278 fois plus élevé dans les sites soumis à une importante déforestation (pour la construction de routes, l’extension des zones agricoles…) que dans les zones où la forêt prédomine encore ! En effet, dans un milieu en équilibre, comme le cœur de la forêt amazonienne, les populations de moustiques restent stables et peu importantes, alors que sur les sites de déforestation, les coupes forestières entraînent la création de nombreux points d'eaux stagnantes qui sont autant de sites de ponte pour les moustiques. DISPARITION DE LA BIODIVERSITÉ : CAUSES ET CONSÉQUENCES L’homme a de tout temps modifié les milieux naturels pour ses besoins, que ce soit pour l’agriculture, la pêche ou encore le développement des villes et villages. Cependant, les pressions humaines sur l’environnement sont actuellement sans précédent. Le taux des extinctions d’espèces observées de nos jours serait de 1.000 fois supérieur à celui de toute autre époque de l'histoire de la Terre. Selon les estimations, jusqu'aux deux tiers des espèces pourraient disparaître durant le prochain siècle. Les changements les plus significatifs ont lieu en Amazonie et en Asie du Sud-Est (Indonesie, Malaisie), où le besoin en terres cultivées entraîne une déforestation massive, et en Asie centrale, où la dégradation des terres agricoles intensifie les processus de désertification. La diminution de la biodiversité est liée à des facteurs naturels (incendies, tempêtes…) mais aussi à de multiples pressions humaines dont les principales sont la dégradation et la disparition des habitats, le changement climatique, l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes, la surexploitation des ressources et la pollution. Elles découlent de l’accroissement de la population mondiale, de l’activité économique et du commerce international, de l’instabilité politique ou encore de divers facteurs culturels et religieux. II dimension janvier-février 2010 Espèces menacées d’extinction : quelques chiffres Les "listes rouges" de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) permettent de suivre les risques d’extinction des espèces. Actuellement, plus de 15.000 espèces directement menacées y sont reprises. Mais les menaces qui pèsent sur ces espèces peuvent avoir des répercussions sur de nombreuses autres, non répertoriées dans les listes rouges… Nombre estimé d’espèces dans le groupe % menacé dans le groupe Mammifères 5 490 21% Oiseaux 9 998 12% Reptiles 9 084 28% Amphibiens 6 433 30% Poissons 31 300 32% Coraux 2 175 27% Plantes à fleurs 281 821 4% Source : www.iucnredlist.org/ (2009) Le plus souvent, des espèces disparaissent suite à la combinaison de plusieurs menaces. Ainsi le déclin des pollinisateurs – insectes (abeilles domestiques et sauvages, bourdons, papillons…), mammifères (chauves-souris…) et oiseaux (colibris, passereaux…) – est dû à la disparition croissante de leurs sites de nidification et d’hivernage, à la raréfaction des espèces végétales qui leur sont associées, à l’utilisation de pesticides… Fruits (pommes, oranges, mangues…), légumes (pommes de terre, courges, choux…), légumineuses (haricots, lentilles…), oléagineux (colza, tournesol…) mais aussi épices, cacao, café, coton… : plus de 70 % des espèces végétales cultivées par l’homme dépendent, au moins en partie, de la pollinisation. Sans pollinisateurs, nous perdrions un tiers de la production mondiale de nourriture ! Touchant les petits agriculteurs du Sud comme les grandes exploitations agricoles du Nord, les pays exportateurs comme les pays importateurs, le déclin des pollinisateurs est donc désormais une préoccupation majeure… et mondiale. AGIR POUR LA BIODIVERSITÉ La prise de conscience de l’importance de la biodiversité par les décideurs politiques date d’une quarantaine d’années. Elle a culminé avec la signature de la Convention sur la diversité biologique au Sommet de la Terre, à Rio, en 1992. Cet engagement historique aborde tous les aspects de la biodiversité : les espèces, les écosystèmes et les ressources génétiques. La convention a pour objectifs de conserver la biodiversité, de favoriser son utilisation durable et – facteur essentiel pour les pays riches en biodiversité – d’assurer le partage équitable des bénéfices découlant de l'exploitation des ressources génétiques. Grâce à cette convention, de nombreuses actions ont permis de limiter la disparition des espèces et la dégradation des écosystèmes. Cependant, ces actions s’avèrent insuffisantes. L’objectif de la convention de freiner la perte de biodiversité d’ici 2010 ne sera pas atteint. La situation risque même d’empirer dans un avenir proche. Les écosystèmes naturels sont de plus en plus soumis aux pressions liées à un système économique mondial peu durable et à une population toujours en hausse. Il devient donc indispensable de développer des politiques de développement qui tiennent compte du rôle joué par la biodiversité dans l’équilibre fragile de la planète. Des aires protégées La désignation de zones protégées est une des composantes essentielles des politiques de conservation de la biodiversité. Ces aires protégées servent de refuge pour les espèces animales et végétales menacées ailleurs. Actuellement, environ 12 % des surfaces terrestres ont été désignées en tant qu’aires protégées. Par contre, seul 1 % du milieu marin bénéficie d’un statut de protection. Pourtant, les mers, océans et régions côtières, particulièrement riches en biodiversité, souffrent de multiples pressions : pêche excessive, pollutions diverses, industries extractives, tourisme de masse… Lorsqu’elles sont conçues et gérées en tenant compte des besoins des populations riveraines, les aires protégées sont Le Parc national du banc d’Arguin en Mauritanie : une approche participative Le Parc national du banc d'Arguin est une aire protégée exceptionnelle, formée de dunes de sable, de marécages côtiers, de petites îles et d’eaux littorales peu profondes. Il est connu pour ses tortues marines, ses dauphins, ses raies et requins, et la remarquable diversité d’oiseaux migrateurs qui y passent l’hiver. Il joue un rôle capital dans le maintien de la biodiversité marine à l’échelle régionale. Les populations sont composées de pêcheurs Imraguens, seuls autorisés à pratiquer la pêche traditionnelle, et de pasteurs nomades vivant de l’élevage des dromadaires, chèvres et moutons. Un programme de conservation et de développement durable de type participatif y a été mis en place. Il incite aux pratiques de pêches durables, valorise les produits de la pêche (octroi d’un écolabel sur la production des œufs de mulet, commercialisation des poissons séchés de manière traditionnelle…), promeut l’écotourisme (établissement de campements gérés par les femmes), développe la surveillance maritime et favorise la recherche scientifique. en outre un moyen efficace de lutte contre la pauvreté, grâce à la préservation des ressources (bois, produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette…) et au développement de revenus alternatifs (écotourisme, artisanat, apiculture…). La biodiversité en milieu agricole L’amélioration des systèmes de production agricole est une autre composante essentielle de la conservation de la biodiversité. Et ce, d’autant qu’une biodiversité élevée en milieu agricole contribue à augmenter la productivité grâce au renforcement des services rendus par les écosystèmes : contrôle naturel des ravageurs par leurs prédateurs et parasites, pollinisation assurée par les insectes, les oiseaux et les chauves-souris, maintien de la fertilité des sols par les micro-organismes… Deux grands types d’opportunités existent pour l’avenir : d’une part la diversification de la production et la réhabilitation des anciennes races et variétés, et d’autre part la limitation de l’expansion des surfaces agricoles au profit d’une intensification raisonnée (sans usage massif d’engrais et de pesticides). Les jardins domestiques au Vietnam Le Vietnam est un des centres majeurs de diversité agricole au monde, avec plus de 800 espèces cultivées. Les jardins domestiques (ou jardins agro-forestiers) y ont une longue tradition. Ces jardins produisent de la nourriture, des condiments, des herbes médicinales, du fourrage pour le bétail et des matériaux de construction. La diversité en arbres, arbustes, légumes, graminées et herbes y est impressionnante : plusieurs centaines d’espèces et variétés de plantes vivrières sont recensées sur des surfaces moyennes d’un quart d’hectare. Le bananier, le papayer, le manioc, le taro et la patate douce sont quelques-unes des espèces clefs qui y sont représentées, souvent déclinées en de nombreuses variétés différentes. Certains ménages réalisent entre 50 et 60 % de leurs revenus grâce à la vente des produits de leur jardin. Ces dernières décennies, la réorganisation du système agricole vietnamien s’est traduite par la régression de ces modes de culture traditionnels. Mais depuis lors, l’État vietnamien a instauré un programme de soutien à l’exploitation durable des jardins domestiques. La conservation de la biodiversité ne se fait pas uniquement sur le terrain. Adopter des comportements de consommation responsables contribue de manière significative à préserver les ressources naturelles et les écosystèmes, en diminuant les pressions sur ceux-ci (surexploitation, pollution…). Et cela est à la portée de tous. Chacun à notre niveau, nous pouvons agir, en adoptant au quotidien quelques gestes simples : économiser l’eau, composter les déchets ménagers, limiter le gaspillage, ne pas rapporter de souvenirs de vacances fait à partir d’espèces menacées… , et en privilégiant les produits issus de l’agriculture biologique et du > commerce équitable. janvier-février 2010 dimension III Le livre "366 gestes pour la biodiversité" vous donne de nombreuses idées d’action à faire près de chez vous ou lorsque vous voyagez à l’étranger. Commandez votre exemplaire gratuit sur le site www.biodiv2010.be et vous le recevrez par la poste à l’adresse de votre choix. Anne Franklin et Charlotte Degueldre Que fait la Belgique ? online En 2008, la Belgique a consacré 122 millions d’euros pour l'envi- www.cbd.int ronnement, y compris environ 32 millions à la biodiversité. Cela (Secrétariat de la Convention sur la biodiversité) comprend le soutien à l'Institut royal belge des Sciences natu- www.millenniumassessment.org relles, qui suit la Convention des Nations Unies pour la Diversité (Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire) Biologique et qui renforce la capacité au Sud. Le World Wildlife www.greenfacts.org/fr/dossiers/biodiversite.htm Fund reçoit des fonds pour la protection des forêts congolai- (Résumés vulgarisés de rapports scientifiques sur la biodiversité) ses. La coopération gouvernementale elle aussi investit parfois dans la biodiversité. Ainsi, la gestion d'une réserve naturelle en Fiche thématique du Journal de la coopération belge. Tanzanie (Selous Game) a été améliorée. Dans leur programme Périodique bimestriel de la Direction Générale de la Coopération au Développement (DGCD) Rédaction : DGCD – Direction Programmes de Sensibilisation Rue des Petits Carmes 15 | B-1000 Bruxelles Tél : 0032 (0)2 501.48.81 – Fax: 0032 (0)2 501.45.44 E-mail : [email protected] www.diplomatie.be | www.dgcd.be de coopération récemment renouvelé, la Tanzanie et le Pérou ont opté pour le secteur "Environnement et gestion des ressources naturelles." IV dimension janvier-février 2010 dossier La pêche au Maroc © Latcho Drom 2008 Les poissons n’embarquent plus chez les petits pêcheurs marocains Le film démarre sur un constat accablant : 437 millions de petits pêcheurs vivent avec moins de 2 dollars par jour. Vous parlez de capital mondial et accusez la mondialisation. En attendant, les petits pêcheurs marocains n’ont plus suffisamment de poissons sur leurs côtes… Oui, et le peu qu’ils ont, ils ne le mangent pas, ils le vendent pour faire face à des frais essentiels. Le poisson est devenu cher, même la sardine, "le poisson du pauvre", est en voie de disparition. Un désastre pour le Maroc qui est le premier pays exportateur de sardines au monde. Bientôt il n’y aura plus que des poissons d’élevage. Or, pour produire 1 kg de poisson d’élevage, 7 kg de farine de poisson sauvage sont nécessaires… Je voulais aussi montrer les côtés pervers de la mondialisation en évoquant, en une seule unité de lieu, plusieurs histoires : l’exploitation des ressources, les dangers de cette exploitation sur les réserves de poissons, l’injustice vis-à-vis des petits pêcheurs. Du sonar à la rame, des grands aux petits bateaux, le rapport à la mer n’est pas équitable… Il y a les petits pêcheurs qui, depuis des générations, vivent de et avec la mer. Ils savent que leur vie dépend de son poisson et la respectent. Ils savent pourquoi telle espèce disparaît et s’abstiennent de la pêcher pendant la pondaison…, mais les chalutiers ramassent tous les œufs derrière eux. Ils sont conduits par des jeunes "businessmen" qui ne connaissent pas la mer. Leur pêche à deux bateaux est illégale : ils ne respectent pas les quotas, leur sonar ne laisse aucune chance aux pois- A Essaouira et Agadir, régions du Maroc jadis poissonneuses, les petits pêcheurs remontent désormais des filets vides. La mer se tarit, même les sardines viennent à manquer. Alors par milliers, ils partent vers de meilleures eaux, au Sud. Tandis qu’on les cloue à terre pour respecter le repos biologique des poissons qui, là aussi, disparaissent, ils observent impuissants le pillage des chalutiers étrangers draguant le fond des mers et entraînant la destruction d’un écosystème. C’est le propos du documentaire "Les Damnés de la mer", une fable, hélas, réelle, de la mondialisation réalisée par Jawad Rhalib pour "faire bouger les choses"… sons, ni aux pratiques traditionnelles. J’ai montré les chalutiers suédois mais ils ne sont pas les seuls. "437 millions de petits pêcheurs vivent avec moins de 2 dollars par jour." Dans ce sombre tableau, les femmes sont des ombres qui souffrent en silence. Vous en faites le portrait à travers le personnage de Ghizlan, la mendiante qui voulait pêcher… Beaucoup de femmes sur les côtes voulaient pécher mais n’y étaient pas légalement autorisées. Ghizlan en était réduite à mendier et pêcher illégalement. Mais, peu après la diffusion du film sur Arte, les autorités marocaines ont changé la loi et elle a reçu son permis de pêche. Comment, à partir de la Belgique, améliorer la situation ? Les Belges ont accès aux poissons marocains que les habitants de la côte d’où ils proviennent ne peuvent pas consommer. Alors, d’abord il faut réveiller en nous le consommateur responsable : lire les étiquettes, manger moins de poisson et éviter les espèces en voie de disparition. D’un point de vue institutionnel, la Belgique et l’Europe devraient contrôler leurs produits et offrir des aides, en s’assurant qu’elles arrivent effectivement aux pêcheurs. L’Union européenne offre 40 millions d’euros pour le contrôle des frontières au Maroc et seulement 4 millions à la formation professionnelle. Le Nord vient piller les richesses au Sud, et les enfants du Sud, dépouillés, veulent migrer au Nord qui est riche… La caméra, c’est votre "arme" contre l’injustice ? Exactement ! La caméra est mon témoin. J’ai de la révolte pour ces milliers de pêcheurs, qui nourrissent chacun une famille et qu’on empêche de pêcher tandis que les autres s’en mettent plein les poches. J’ai tourné ce film pendant la période de la Fête du mouton : les pêcheurs n’avaient pas de quoi acheter un mouton à leurs familles: les poissons étaient partis alimenter les fêtes de fin d’année en Europe… Suite à la projection des "Damnés de la mer", les grands chalutiers ont été interdits des eaux marocaines et les femmes sont autorisées à pêcher. Le film qui est passé en prime time en Suède a provoqué un tollé. Le gouvernement suédois revoit maintenant sa politique étrangère de pêche. Propos de Jawad Rhalib recueillis par Elise Pirsoul "Les Damnés de la mer" a remporté de nombreux prix. Il a bénéficié d’un soutien de la DGCD dans le cadre de ses programmes de sensibilisation. online www.thedamnedofthesea.blogspot.com janvier-février 2010 dimension 17 climat En direct de Copenhague Le monde entier était présent au Sommet de Copenhague sur le climat, la Coopération belge au développement également. Négociateur pour la Belgique et pour l’Union européenne, Jos Buys coiffait une double casquette. Chaque jour, il a néanmoins trouvé le temps de prendre note de ses impressions. Son carnet retrace les conflits entre pays en développement et pays industrialisés, et nous conduit jusqu’à la déception de Copenhague: un accord qui n’en est pas un. Lundi 7 décembre Ouverture solennelle à 10 heures de la 15e session de la Conférence des Parties (COP15) à la Convention sur le changement climatique. Tous les discours d'ouverture soulignent l'importance de la réunion et la nécessité d'atteindre un bon accord. La délégation belge s’est déjà réunie à 7h.15, pour filer ensuite au Bella Center et y assister à la coordination européenne. Les groupes de travail entament le premier jour : les négociations sur une nouvelle convention sur le climat (voie de négociation sur la Convention) et les engagements pour les pays industrialisés (voie de négociation sur Kyoto), ainsi que le COP/MOP (Meeting of the Parties) du Protocole de Kyoto. Mardi 8 décembre Les organes subsidiaires – l’Organe subsidiaire de mise en œuvre et l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique – fournissent le travail proprement dit de la COP. Ils se mettent au travail aujourd’hui. Ici commence ma tâche de négociateur pour l’UE: le suivi du Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM), le mécanisme financier de l’Accord sur le climat. Le mécanisme a déjà affecté plus de 2,7 milliards de dollars à des activités en faveur du climat ; ces moyens financiers ont mobilisé, à leur tour, 15 milliards de dollars en provenance d’autres sources. La contribution annuelle belge s’élève à 10,5 millions d’euros. Émoi général à propos d’un article paru dans le Guardian. Une fuite a rendu public le texte d’un accord que le Danemark aurait préparé en secret pour le soumettre aux 18 dimension janvier-février 2010 ministres la semaine prochaine. Combien de fuites y aura-t-il encore ? Mercredi 9 décembre Aujourd’hui, tous les groupes de travail sont sur la brèche. Impossible de les suivre tous, je me concentre sur donc les négociations sur le FEM. Les pays en développement n’ont pas eu assez de temps pour se concerter sur le projet de décision. Par conséquent, ils ne veulent négocier que sur leurs propositions et pas sur celle de l’UE. Pays en développement contre pays industrialisés Les pays en développement exigent des pays industrialisés (1°) d’importantes réductions des émissions de CO2 et (2°) une aide financière pour lutter contre le changement climatique. Les pays industrialisés étant historiquement responsables de la majeure partie des émissions de CO2, leur soutien financier est considéré comme le remboursement de leur dette écologique, et les fonds doivent s’ajouter à l’aide au développement. L'UE a les projets les plus ambitieux pour réduire les émissions de CO2 et fournir une aide financière, mais elle attend des efforts de la part des grandes économies émergentes et des Etats-Unis. Les négociations sur le FEM ont atteint leur vitesse de croisière, mais les avancées sont difficiles. Lorsque les avis divergent sur un paragraphe, la recherche de synonymes et de tournures de phrases commence. Des morceaux entiers de texte sont placés entre crochets – signe que leur contenu n’a pas fait l’unanimité. Vendredi 11 décembre Le sujet du jour était l’annonce par le Conseil européen que l’UE allait débourser au total 2,4 milliards d’euros par an pour financer des actions dans les pays en développement au cours de la période 2010-2012. On s’attend à ce que d’autres pays industrialisés apportent également leur pierre à l’édifice, parce qu’en fait il faudrait 5 à 7 milliards d’euros par an. Les réactions vont du soulagement - parce que de l’argent est mis sur la table -, aux lamentations - parce que ce n’est pas assez - et aux craintes que cet argent n’arrive jamais. Mes négociations risquent de s’enliser, lentement mais sûrement. Il y a trop d’options et trop d’alternatives. Nous demandons au président du groupe de contact de formuler lui-même une proposition. Concertation tous azimuths. Après 21 heures, tout le monde abandonne ; 14 heures de négociation, cela suffit. Samedi 12 décembre Jeudi 10 décembre La deuxième fuite, c’est fait ! Et cette fois, il s’agit d’un texte présenté par les pays émergents : Chine, Brésil, Inde et Afrique du Sud. Les négociateurs restent toutefois imperturbables et poursuivent leurs travaux. Les groupes s’amenuisent de plus en plus, ce qui permet une rédaction des textes plus efficace. Les négociations sur le FEM doivent être finalisées aujourd’hui. Nous enregistrons d’excellentes avancées, mais soudain la dynamique change et se bloque. D’autres adversaires montent sur le terrain mais, moins expérimentés, ils répugnent à accepter des compromis. Résultat : le texte n’est pas finalisé et la décision est reportée à la COP-16, le prochain sommet sur le climat. Changement climatique Dimanche 13 décembre Mardi 15 décembre La seule journée de repos signifie dormir plus longtemps, parce que ces négociations de longue haleine - la journée de travail dure en moyenne 13 heures - commencent à laisser des traces parmi les membres de la délégation. A 9.30 heures, rendez-vous avec les experts financiers de la délégation belge, ensuite avec le chef de la délégation. Puis, retour dans ma chambre pour rédiger le rapport intérimaire. Ensuite, filer au rendez-vous pour préparer la venue du ministre Charles Michel. Après une discussion sans fin, nous tombons d’accord sur un texte pour le Fonds pour l'adaptation. Comme bien souvent, la finalisation de la convention se fait dans les couloirs. La dernière session de notre groupe n’est plus qu’une simple formalité. Les négociations sur le futur régime climatique se compliquent de minute en minute. Plus personne n’a de vue d’ensemble. La nuit promet d’être longue. Certains membres de la délégation ne regagnent leur lit qu’à 7 heures du matin. Lundi 14 décembre © www.bc3sfbay Le ministre Michel est arrivé cet après-midi. Plusieurs journalistes qui voulaient l’interviewer n’ont pas pu franchir l’entrée du centre de conférence. Le ministre doit se contenter de répondre aux questions de deux reporters. Mercredi 16 décembre La présidence danoise ouvre la journée par une concertation informelle et cela ne plaît pas à certains pays en développement. Les Danois se voient reprocher un manque de transparence ; et commence alors une querelle de procédure. Comme plus personne ne sait comment faire avancer les choses, on se concerte "sur la manière d’organiser une concertation". Entretemps, les ministres sont arrivés pour l’orientation politique. La concertation au sommet dans les coulisses laisse les négociateurs dans l’incertitude. Plus personne ne sait ce qu’il faut faire. à apparaître : au lieu d’enregistrer des avancées, les textes sont devenus encore plus complexes et fourmillent de passages entre crochets. Vendredi 18 décembre : Jour J pour le climat Seule certitude du dernier jour: l’heure du début des activités. Pour le reste de la journée, il faut s'en remettre aux conjectures et espérer un dénouement favorable. Pendant la matinée, chacun attend avec nervosité les leaders mondiaux. On parle du plus grand rassemblement jamais réalisé en dehors de New York. Leurs discours n’apportent toutefois rien de neuf. Il ne nous reste plus qu’à attendre la version suivante de l’Accord de Copenhague, un texte insipide, loin en-dessous du niveau des ambitions européennes. Les espérances placées dans la Conférence de Copenhague étaient immenses, les résultats sont particulièrement maigres. Le cap est mis sur la COP-16, qui devra sauver les meubles à Mexico City l’année prochaine, sous la présidence belge de l’Union européenne. Jos Buys Thomas Hiergens Jeudi 17 décembre Les seules négociations qui me restent encore sont celles du Fonds pour l'adaptation. Les pays en développement veulent absolument un paragraphe invitant les pays industrialisés à verser de l’argent pour le fonds. Fait sans précédent, ce fonds est toutefois alimenté par une taxe sur les crédits d'émission et devrait donc, à terme, disposer de suffisamment d’argent. Une fois de plus, nous n’en sortons pas. Les négociations sur le futur régime climatique avancent par à-coups. Les pays en développement ont suspendu un chapitre. Le processus est relancé grâce à une concertation informelle menée par la présidence danoise avec les principaux acteurs. L’incertitude plane pendant la matinée. Plusieurs pays en développement refusent de mettre les ministres au travail. En même temps, toute "proposition" – d’où qu’elle vienne – est rejetée d’avance. Il est évident que les fuites ont laissé des traces. Vers midi, la décision est prise de laisser travailler les groupes de négociation sur les textes non finalisés. Surprise et stupéfaction générales. Quel en est l’objectif ? Les négociations avaient pourtant été bloquées parce que c’était la paralysie totale et qu’il fallait une réorientation politique ? L’Accord qui n’en est pas un La plus grande faiblesse de l’Accord de Copenhague, c’est qu’il ne contient pas de réductions d’émissions contraignantes pour les pays industrialisés, ni d’objectif à long terme ou de période de pointe, pas plus que pour les pays en développement. Toutes les Parties sont libres de signaler leurs objectifs à la Convention sur le changement climatique. Toutefois, les objectifs financiers sont spécifiés, tant à court terme • 30 milliards de dollars pour 2010-2012 • qu’à long terme - 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020. Le résultat de cet exercice ne tarde pas janvier-février 2010 dimension 19 dossier Agrobiodiversité © A. Nkakwa, Biodiversity International Le paysan africain, gardien de la biodiversité Planter ensemble les plants de bananes et de poivrons améliore le rendement. L’agriculteur africain cultive la biodiversité par pure nécessité. Et le monde y trouve son compte. Chacun de nous se fait sa propre idée d'une entreprise agricole "moderne", grande, aux allures texanes : de larges parcelles, beaucoup de machines, une seule culture… En d'autres termes : on pense plutôt à une industrie qu'à une petite maison dans la prairie, avec de jolies vaches et des épis de blé blonds. Cette agriculture "moderne", conçue pour un rendement et un bénéfice maximum, brasse des capitaux importants, Dotée de la plus haute technologie, elle recourt à d'innombrables intrants externes (engrais, irrigation, pesticides, …), et consiste en de grandes superficies d'une seule et même culture, impliquant donc très peu de diversité. Ce type d’agriculture est ce que l’industrie alimentaire moderne réclame aujourd'hui : just in time delivery, uniformité, et possibilité de traitement rapide (et donc bon marché). L'agriculteur africain, lui, souhaite avant tout un rendement suffisant qui lui permette d'assurer sa subsistance. A savoir : éviter la famine pour lui et sa famille. Le plus souvent, il ne dispose pas des moyens nécessaires pour intervenir en cas d'imprévus comme l'absence de pluies, une saison de croissance écourtée, les maladies des plan- 20 dimension janvier-février 2010 tes et les dégâts causés par les insectes. Sa production n'étant que pas d’abord destinée à la vente, mais prioritairement à sa propre famille, l'uniformité a moins d'intérêt, à l'instar des impératifs de délais de livraison de produits. Cette agriculture est avant tout une agriculture vivrière de subsistance, à la recherche de la meilleure sécurité. Le tout avec très peu de capital, des moyens technologiques limités et un minimum de ressources externes. Pour limiter les risques, l'agriculteur africain cultive de nombreuses plantes différentes. Il préfère en outre miser sur plusieurs variétés d'une même culture qu'il sème pour être sûr d'en récolter au moins une, si d'aventure la pluie se faisait attendre par exemple. Il utilise également différentes espèces ou variétés de plantes en fonction de l'usage qu'il peut en faire. C'est le cas par exemple des bananes plantain, des bananes à cuire et des bananes à bière. Le champ typique de l'agriculteur africain se compose donc de nombreuses plantes : bananes, cannes à sucre, manioc, haricots, maïs, patates douces, papayes…, séparées en général par quelques arbres et arbustes. Le paysan mélange aussi des plantes de hauteurs et d'épaisseurs différentes, par exemple le maïs, les haricots et les plantes fourragères. Cette utilisation judicieuse lui permet de tirer un profit maximum et de sa terre et de l'ensoleillement. Non seulement il protège son sol, mais en plus les déchets des plantes sont recyclés dans la terre. La diversité est donc essentielle à l'agriculteur, car c'est grâce à elle qu'il peut garantir sa sécurité (alimentaire). Dans cet environnement, souvent composé de 10 à 20 sortes de plantes sur un même champ, la diversité animale est également très riche - petits rongeurs, vers, et insectes de toutes sortes… Un terrain typique du petit agriculteur africain abrite donc des trésors de biodiversité. Cette diversité est essentielle pour lui, mais elle l'est également à la préservation et à l’accroissement de la biodiversité mondiale dans des conditions de terrain. Le Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale (CGIAR - Consultative Group on international Agricultural Research) l’a bien compris. La plupart des centres CGIAR s'occupent de quelques plantes bien définies, et créent des banques de gènes (p.ex., bananes à la KULeuven, pommes de terre au CIP, maïs au CIMMYT et à l'IITA, haricots au CIAT - voir tableau). Celles-ci permettent d'améliorer les plantes et de produire des variétés adaptées à un monde en perpétuel changement, comme du maïs, du blé et du sorgho résistants à la sécheresse, ou des bananes, des haricots, du blé et des pommes de terre résistants aux maladies. Il n'est pas rare de découvrir que des plantes et des variétés anciennes, encore inconnues ou tombées dans l'oubli, détiennent ces propriétés qui sont précisément porteuses de solutions. Une preuve supplémentaire s'il en est de l'intérêt de la biodiversité. Ir J. Kalders DGCD - Politique environnementale et recherche agricole internationale online www.cgiar.org Les espèces étudiées dans les centres CGIAR Riz (IRRI, CIAT, African Rice) Blé (CIMMYT, ICARDA) Maïs (CIMMYT, IITA) Orge (ICARDA) Sorgho et Millet (ICRISAT) Manioc (CIAT, IITA) Pomme de terre et Patate douce (CIP) Igname (IITA) Bananes (Biodiversity international, IITA) Pois chiche (ICARDA, ICRISAT) Niébé (cowpea) et Soja (IITA) Haricots (CIAT) Lentilles (ICARDA) Pois cajan (pigeon pea) (ICRISAT) Noix de coco (Biodiversity international) Arachides (ICRISAT) Bétail (ILRI) Forêts (World Agroforestry Center, CIFOR) Pêche (WorldFish) dossier Agrobiodiversité © DGCD / R. Van Vaerenbergh Les bananes ont de la ressource ! Les variétés de bananes les plus nombreuses au monde poussent… dans les banques génétiques à l'Université catholique de Louvain. Sous la responsabilité de Biodiversity International quelques mille deux cents sortes de bananes y sont répertoriées et conservées dans de petites éprouvettes, et sont mises à la disposition des agriculteurs des régions tropicales. Le Burundi par exemple a su en tirer profit. Une équipe gagnante. Théodomir Rishirumuhirwa a obtenu son diplôme d'ingénieur agronome à Louvain en 1977, et son doctorat à Lausanne en 1997. Il a créé Agrobiotec en 1999, sur une initiative entièrement privée, dans une maison particulière louée à Bujumbura. C'est entre ces murs qu'a lieu la multiplication in vitro, tandis que la culture s'effectue dans cinq pépinières réparties sur le territoire burundais. Agrobiotec emploie quatre-vingts personnes à plein temps. D'ici peu, un tout nouveau labo sera installé et permettra de produire 2,5 millions de plants par an. Depuis 1991, Rony Swennen est le chef du Laboratorium voor Tropische Plantenteelt de la K.U.Leuven, qui abrite depuis 1985 une collection de plants de bananes du monde entier. Entre pipettes et éprouvettes, sous la lumière blafarde des néons et une température constante de 15°C, nous rencontrons Théodomir Rishirumuhirwa, le propriétaire de Agrobiotec, un laboratoire de culture in vitro à Bujumbura qui s'occupe d'améliorer et de diffuser les diverses variétés de banane. Le professeur Rony Swennen, responsable de la banque génétique, est également présent. 1 kilogramme de bananes "90 % des 8,5 millions de Burundais vivent de l'agriculture. La banane assure un tiers des revenus de l'agriculteur burundais et représente 45% de la production agricole du pays. Le Burundais consomme 0,5 à 1 kg de bananes par jour." Théodomir Rishirumuhirwa souligne d'emblée l'importance de la banane. "Le Burundi compte environ 70 variétés de bananes. Ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui perpétuent cette biodiversité, du fait que, par variété de banane (plantain, à cuire, à bière) ils cultivent encore d'autres sous-variétés. Il s'agit pour eux d'une part d'une question de goût, de disponibilité et de méthodes de culture, et d'autre part, d'une manière de répartir les risques. Les plants de banane sont en effet très sensibles aux maladies et fléaux qui peuvent affaiblir les récoltes, voire les ruiner totalement." Bananes sur mesure "C'est ici qu'intervient la banque de gènes et la multiplication in vitro telle que le pratiquent les labos Agrobiotec ou Phytolabo", explique Rony Swennen. "Au Burundi, les plants sont tous génétiquement très similaires, et toujours atteints d'une manière ou d'une autre par des virus, des bactéries, des champignons ou des parasites. Notre collection nous permet de fournir des plants sains qui sont destinés à la culture. Nous pouvons également proposer de nouvelles variétés qui ont fait l'objet d'études scientifiques et de tests sur le terrain dans environ 50 pays, et dont les chances de survie dans leur nouvel environnement sont tout à fait satisfaisantes." "Les échantillons que nous avons reçus de Louvain nous permettent de produire aujourd'hui environ 300.000 plants par an", continue Rishirumuhirwa. "Ils sont distribués aux agriculteurs par le biais de la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) ou d'ONG. L'élément le plus important reste l'acceptation ou non par les agriculteurs de la nouvelle variété, car certaines de ses propriétés différeront de celles de la variété traditionnelle, comme par exemple le goût, le temps de cuisson ou le mode de culture. C'est pourquoi nous prévoyons une sélection de différents plants, pour être sûrs qu'ils y trouvent leur compte. A ce jour, nous avons déjà introduit 30 à 40 nouvelles variétés." "Les agriculteurs sont assez ouverts aux nouvelles cultures", reconnaît Swennen. "La banane est originaire d'Asie, le manioc du Brésil, le maïs du Mexique, la pomme de terre du Pérou, et tous sont maintenant cultivés en Afrique. Il faut toutefois un certain temps avant que de nouvelles variétés et leurs techniques soient adoptées, bien plus longtemps que ne l'exige un projet de développement. La première priorité des agriculteurs n'est pas d'accroître leur production, ils veulent avant tout éviter tout risque pour leurs récoltes. Il ne faut pas essayer de les convaincre à coups d'études scientifiques, ils doivent voir les fruits, les sentir et les goûter." En quelque sorte, il faut y mordre pour y croire... Reinout Van Vaerenbergh janvier-février 2010 dimension 21 dossier Partenaire La recherche belge au service de la biodiversité nigérienne "Mes feuilles soignent des démangeaisons. Mes racines sont utilisées contre les maux de ventre, ou encore la faiblesse sexuelle chez l’homme. Enfin, je donne des fruits qui sont consommés directement, ou utilisés en poudre dans la confiserie. Qui suis-je ? © Han de Koeijer / KBIN La réponse à la devinette est : le jujubier Ziziphus mauritania. Au Niger, cet arbre est utilisé pour l’alimentation humaine et animale, la pharmacopée traditionnelle et la tannerie. Il revêt en outre une valeur symbolique : il ne faut pas l’abattre, car il a abrité le prophète Mahomet." Peu farouche, une girafe s’est aventurée aux abords du "Parc National du W". Extraite de la "Brochure de sensibilisation sur la biodiversité du Parc National du W du Niger et de ses environs", cette devinette illustre le caractère primordial de la biodiversité au Niger, où les besoins de la population sont satisfaits principalement à partir des ressources biologiques. Agriculture, élevage, médicaments, artisanat, matériaux de construction : l’exploitation des produits de la biodiversité contribue à plus de 40 % du PIB du pays. Mais la biodiversité du Niger est fragilisée. Le désert sahélo-saharien, qui progresse chaque année suite aux sécheresses et aux besoins croissants en bois et en terres agricoles, couvre déjà près de 80 % du territoire. Seule une mince bande dans l’extrême sud du pays est verte et boisée. Dégradation de l’environnement, démographie et pauvreté sont des phénomènes étroitement liés. C’est pourquoi le développement durable et la conservation de la biodiversité ne peuvent être dissociés : un tel développement repose sur une exploitation raisonnée de la biodiversité et des ressources naturelles. 24 dimension janvier-février 2010 Une action concrète de l’Institut royal des Sciences naturelles d’information, soutien à des programmes de sensibilisation et d’éducation. Il est difficile de protéger ce que l’on ne connaît pas. Or, à l’heure actuelle, les connaissances sur la biodiversité restent encore fragmentaires. L’étude de la biodiversité est l’une des missions de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRScNB). Elle porte sur l’exploration et la découverte de la biodiversité, l’étude du fonctionnement des écosystèmes, l’élaboration de stratégies de conservation… En tant que Point focal pour la Convention sur la diversité biologique, l’Institut mobilise aussi son expertise scientifique pour la mise en œuvre de cet accord international. La brochure sur le Parc National du W au Niger, élaborée par le Conseil National de l’Environnement pour un Développement Durable (CNEDD) du Niger et l’IRScNB, fait partie de ces projets. Destinée aux populations riveraines du Parc, elle vise d’abord les femmes et les jeunes, qui sont les principaux utilisateurs de la biodiversité. Concepteur du projet, le CNEDD en est aussi le maître d’œuvre : mobilisation des acteurs locaux, organisation de causeries, élaboration de matériel éducatif, relais au niveau de la presse… L’IRScNB apportant une aide à la conception et un soutien financier. De telles actions de sensibilisation sont déterminantes, en expliquant pourquoi la protection de la biodiversité permet l’amélioration des conditions de vie et la réduction des conflits liés à l’exploitation des ressources naturelles. Le soutien de l’IRScNB à la Convention ne se limite pas à la Belgique. Avec l’appui de la DGCD, il aide les pays en développement à améliorer leurs connaissances sur la biodiversité, et à les intégrer dans les politiques nationales. La clef de la réussite passe par le renforcement des capacités et des infrastructures : formations scientifiques et techniques de haut niveau, aide au déploiement de réseaux Anne Franklin et Charlotte Degueldre online http://ne.chm-cbd.net/ dossier Equateur © Pete Oxford / Minden Pictures Une Constitution pour la nature De la Cordillère des Andes aux forêts de l'Amazonie, sans oublier les Iles Galápagos, l'Equateur concentre en son territoire un échantillon des principaux écosystèmes présents en Amérique latine. Proportionnellement à sa superficie, le petit pays compte le plus grand nombre d'espèces animales et végétales recensées sur terre. Pour protéger cette biodiversité exceptionnelle, le Président Raphael Correa a adopté une législation innovatrice. On compte dans le seul Parc Yasuni davantage de variétés d'arbres et d'arbustes que dans toute l'Amérique du Nord. L’Equateur est – avec un territoire huit fois celui de la Belgique – l’un des plus petits pays du sous-continent sud-américain. Sa situation géographique, de part et d'autre de la ligne éponyme de l'Equateur, lui vaut une biodiversité exceptionnelle. Les Iles Galápagos, au large de la côte pacifique du pays, ont ainsi été le berceau de la théorie de l'évolution de Darwin. Priorité à l’économie L'Equateur est un pays riche en ressources énergétiques, forestières et minières. L'économie du pays a été longtemps basée sur l'exploitation de ses sous-sols, de ses bois et sur la culture intensive de la banane, dont il est le plus grand exportateur du monde. Le rendement économique a toujours primé sur la reconnaissance et la protection de la biodiversité du pays. La nature a souvent été considérée comme un réservoir de richesses dans lequel l’homme pouvait puiser à volonté. Cette approche se situe à l'opposé de la vision des Amérindiens, des peuples de l'Amazonie et des Andes, qui considèrent la nature et l'homme comme un tout indivisible, en interaction et en interdépendance, excluant la domination de l'un sur l'autre. L'enseignement des communautés indiennes a été nié durant des siècles, depuis la colonisation jusqu’ à tout récemment encore. Pourtant, un revirement de la situation s'est produit ces dernières années. Après l’arrivée au pouvoir du Président Correa en 2007, suivie de l’adoption d’une nouvelle Constitution, la nature se vit attribuer une toute nouvelle place. La nature comme sujet de droit Profitant de la prise de conscience écologique mondiale, le jeune Président a permis à l'Equateur de se doter de la Constitution la Le Parc Yasuni, situé à 200 km à l'est de Quito, présente, selon la communauté scientifique mondiale, la plus grande biodiversité de la planète. La zone a été classée Réserve mondiale de la Biosphère par l'UNESCO. On recense dans un hectare du parc davantage de variétés d'arbres et d'arbustes que dans toute l'Amérique du Nord. Les Indiens Huaorani, un peuple de guerriers, défendent, depuis des siècles, leur droit d'exister.. Pourtant, l'extraction du pétrole des sous-sols du parc bouleverse l'équilibre vital de toute la zone et menace la subsistance des quelque 2.500 Huaoranis qui y demeurent encore. Comment remédier à cette situation, alors que l'économie du pays dépend largement des revenus du pétrole ? Pour sortir de cette impasse, le président Correa a lancé une campagne en Equateur et auprès de la communauté internationale. Son objectif : récolter des fonds qui compenseront la perte de revenus liée au gel définitif de l'extraction du pétrole dans le parc. Mais il faut attendre si le projet réussira. plus progressiste en terme de protection de la biodiversité. Le texte de la Constitution considère la nature comme un ayant droit, au même titre, que l’homme. En d'autres termes, elle acquiert des droits légitimes, tout comme les hommes noirs, puis les femmes et les enfants s'en sont vu attribuer au cours de l'histoire de l'humanité. Un exemple concret de l'implication de cette législation est l'interdiction de facto des cultures transgéniques en Equateur. Cette reconceptualisation de la nature participe également à la reconnaissance de la culture amérindienne. Jusqu’alors oubliés des gouvernements de leurs pays, les peuples autochtones d'Amérique latine résistent difficilement à la détérioration de leur milieu de vie. L'exploitation du pétrole et la déforestation ont déjà mené à la disparition de nombreuses tribus vivant dans l'Amazonie. Pour garantir l'existence des communautés encore présentes, des mesures d'urgence sont indispensables. telles que l’arrêt complet de l'extraction du pétrole dans les territoires habités. Une telle politique, pour reprendre l'expression de la célèbre écologiste indienne Vandana Shiva, est l'amorce d'un chemin vers une "démocratie de la Terre". Louise Culot online L.C. www.wunderman.com.ec/yasuni-itt janvier-février 2010 dimension 25