Dimension 3 : dossier Biodiversité (PDF, 2.29 Mo)

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Dossier
© Greenpeace
Climat, biodiversité, agriculture : trio
Un capital durable pour le
développement de l’humanité
Selon les Nations Unies, de 1990 à 2005, le
monde a vu disparaître 3% de ses forêts. La
déforestation, principalement due à la transformation des forêts en terres agricoles dans
les pays en développement, continue à un
taux alarmant - environ 13 millions d’hecta-
Climat, biodiversité et
agriculture sont étroitement
liés. Au point qu’une
modification mineure
– un léger changement de
température, ou encore la
disparition d’une espèce
animale ou végétale –
peut affecter tout un
écosystème et entraîner des
répercussions jusqu’à l’autre
bout du monde. La dure
réalité c’est que ceux qui
sont les moins responsables
du changement climatique
sont aussi les plus
vulnérables devant les
modifications de leurs
milieux naturels.
leur impact sur le développement humain,
sont bien connus (voir encadré, p.5). C’est
en constatant que le taux de disparition
des espèces dues à l’activité humaine est
1.000 fois plus élevé que le taux naturel que
les Nations Unies ont mis la biodiversité à
l’avant-plan pour 2010.
res par an. En plus de la perte de biodiversité, la déforestation cause entre 18 et 25%
d’émissions de gaz à effet de serre tous les
ans, et devient ainsi un facteur principal dans
le changement de climat.
Depuis 1992 déjà, année du Sommet de Rio,
les liens entre le climat et la biodiversité, et
KLIMOS : Plateforme de recherche sur le climat et le développement
KLIMOS est le nom de la plateforme
Klimaat en Ontwikkelingssamenwerking
(Climat et Développement) créée en 2008,
à l’initiative du professeur Bart Muys de
la K.U. Leuven. Le programme de recherche financé par la coopération belge via
le VLIR-UOS (Conseil interuniversitaire
flamand – Coopération universitaire au
développement), étudie comment concilier politique climatique et coopération au
développement.
Le monde de la coopération au développement a longtemps été méfiant vis-à-vis
de l'intégration dans son domaine d’une
politique climatique. La crainte était que
les objectifs originels du développement
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ne soient déforcés en faveur d'une atténuation pure et simple des changements
climatiques. Une affirmation souvent
entendue était que le réchauffement climatique est d'abord un problème du Nord.
Au Sud, il fallait s’attaquer à des problèmes autrement plus urgents, tels que les
Objectifs du Millénaire. Mais aujourd’hui,
on prend conscience que le changement
climatique compromet les Objectifs du
Millénaire dans de nombreux domaines.
KLIMOS entend développer une solide
base de connaissances sur l’impact du
changement climatique pour le Sud. Il
s'agit d'un consortium comprenant une
dizaine de groupes de recherche de la KU
Leuven, de la VUB, de l'Université de Gand,
et de la Katholieke Hogeschool St-Lieven.
Les résultats de la recherche seront mis à
la disposition de la Coopération belge au
développement, d'autres gouvernements,
des ONG et du secteur privé, au Nord
comme au Sud.
Bruno Verbist 1, Bart Muys2,
Tom Waas et Jean Hugé3
1
chef de projet KLIMOS
2
coordinateur de projet KLIMOS - KULeuven
3
collaborateurs au projet KLIMOS - VUB
online
www.kuleuven.be/klimos
Biodiversité
essentiel du développement durable
C’est le développement humain qui porte le
plus de préjudices à la biodiversité et au climat. Si nous souhaitons accomplir d’ici 2015
l’Objectif du Millénaire n° 1 – Réduire de moitié la faim et la pauvreté – alors, nous devons
tenir compte de l’environnement comme
le facteur déterminant et incontournable
du "développement durable", celui qui doit
garantir aux générations futures de pouvoir
pleinement subvenir à leurs besoins.
La dette climatique
des pays industriels
Le président vénézuélien Hugo Chavez le
rappelait, dans un discours à l’ouverture du
Sommet de Copenhague : "Les 500 millions
de personnes les plus riches, qui représentent 7% de la population mondiale, sont responsables de 50% des émissions mondiales,
alors que les 50% des plus pauvres ne sont
responsables que de 7% des émissions." En
rappelant ces chiffres, il indiquait l’importance de la dette climatique des pays industrialisés envers les pays en développement.
Au danger que des milliers d’espèces végétales et animales puissent disparaître à brève
échéance, il faut encore ajouter la multiplication des "événements météorologiques
extrêmes" comme les sécheresses de longue
durée et les ouragans de haute intensité. Et
l’on craint que tels cataclysmes toucheront le
plus durement les pays du Sud.
© Adèle Bouet
Le niveau des mers a augmenté de 10 à 20
cm. au cours du 20ème siècle et une hausse
supplémentaire de 9 à 88 cm est prévue
d’ici l’an 2100 suite à la fonte des glaciers.
La mer pourrait envahir des zones côtières fortement peuplées de pays tels que le
Bangladesh. Des îles comme les Maldives
pourraient même complètement disparaître.
En outre, la salinisation ou la pollution des
réserves d’eau douce pourraient contraindre
des millions de personnes à des migrations
massives et à l’exode. D’autre part, la production agricole pourrait chuter dans nombre de régions tropicales et subtropicales, et
les zones désertiques s’assécher davantage
et s’étendre.
Une agriculture locale
et diversifiée…
80 % de la population mondiale est paysanne. Selon un rapport de l’IAASTD1, le
monde sera bientôt confronté à une augmentation de 75% de la demande de nourriture, due à la croissance démographique
mais aussi à l’augmentation de demande en
Le Sommet de la Terre
En 1992, les Nations Unies ont organisé une Conférence internationale sur
l’Environnement et le Développement,
mieux connue sous le nom de "Sommet
de la Terre". Aux côtés de quelques
accords non contraignants (l’Agenda 21,
la Déclaration de Rio, la Déclaration sur
les forêts), les pays participants ont signé
deux Conventions contraignantes.
La Convention sur la diversité biologique
(CDB) vise la conservation, la protection
et l’utilisation durable de la diversité biologique et le partage équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques. L’une des décisions
majeures consacre la volonté d’enrayer
la perte de la biodiversité d’ici 2010. Le
Mécanisme du Centre d’échange (CHM) a
été mis en place afin que tous les pays
puissent avoir accès aux connaissances
et technologies dont ils ont besoin dans
le cadre de leurs activités en matière
de biodiversité. En Belgique, le point de
contact national pour la CDB est l’Institut Royal des Sciences Naturelles de
Belgique. Avec l’appui de la DGCD, et
dans le cadre du Mécanisme du Centre
d’échange, il organise des activités de
renforcement des capacités avec les pays
partenaires de la Belgique.
La Convention-cadre des Nations
unies sur les Changements climatiques
vise à limiter les changements climatiques. Cette Convention, signée en 1992,
engage les pays industrialisés à tout mettre en œuvre afin de ramener le niveau de
leurs émissions de gaz à effet de serre
au niveau de 1990, et ce au plus tard en
l’an 2000. Il n’était cependant pas question d’imposer des objectifs chiffrés ni
un calendrier. Un principe essentiel est le
"principe de précaution" : toutes les activités qui risquent de provoquer des dommages graves ou irréversibles peuvent
être restreintes, voire interdites, même
en l’absence de certitude scientifique
absolue. Le Protocole de Kyoto de 1997,
que les États-Unis ont refusé de ratifier,
engage les pays industrialisés à réduire
leurs émissions de 5% au moins d’ici 20082012, par rapport au niveau de 1990. En
2007, à Bali, le calendrier (politiques d’atténuation, adaptation, moyens de financement, technologies, et une "vision
commune" de l’action) et une feuille de
route ont été fixés dans la perspective
d’un nouvel accord à Copenhague.
À Rio, il a également été convenu d’élaborer une Convention sur la lutte contre
la Désertification, qui a été signée en
1994. La lutte contre la désertification
est liée aux thématiques du changement
climatique, de la biodiversité, de l’eau en
tant que ressource naturelle, de la sécurité alimentaire et aux facteurs socioéconomiques.
A. Van der Avort - DGCD
online
Convention on biological diversity:
www.cbd.int
United Nations Framework Convention on
Climate Change: www.unfccc.int
Convention to Combat Desertification :
www.unccd.int
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Dossier
pent à 60, voire 80 % de la production agricole. Un récent rapport du FNUAP le souligne3 : la pression démographique est d’une
importance capitale pour l’avenir du climat.
A l’horizon 2050 nous pourrions être 8, ou
10 milliards d’habitants, consommant et
polluant les ressources de la planète. Cette
différence de croissance sera fonction de
la souveraineté des femmes quant à leur
contraception.
Le débat reste donc largement ouvert, à l’intersection des trois piliers du développement
durable : l’économie, le social et l’environnement. Claude Croizer, conseiller environnement à la CTB (voir encadré), résumait ainsi
la question : "Le défi est donc d’imaginer un
mode de développement qui valorise la biodiversité comme un patrimoine écologique,
mais aussi économique et culturel."
© UCL
Elise Pirsoul
viande. Il faut 10 fois plus d’eau et de céréales pour produire un kilo de viande qu’un kilo
de légumes, tandis que les superficies cultivables et fertiles diminuent. Selon l’IAASTD,
la bonne gestion d’une agriculture familiale
et diversifiée sera un facteur déterminant.
Une grande partie des forêts sont situées
dans les pays en développement et sont
menacées par l’exploitation agricole. Mais
il est délicat d’interdire aux populations de
défricher la forêt pour leur propre survie.
online
OMD :
www.un.org/fr/millenniumgoals/
Forum des Nations Unies sur les forêts :
… et les femmes à la barre
www.un.org/esa/forests
Celles qui représentent plus de la moitié de la
population mondiale ont plus que le droit de
s’exprimer dans ce débat : ou bien le combat
est mené ensemble avec les femmes, ou bien
il n’y en aura tout simplement pas2. Dans les
pays en développement, les femmes partici-
Femmes et développement :
www.dgci.be/fr/cfd/
Séminaire CTB "L'agriculture comme moteur de
la croissance en faveur des pauvres" :
www.btcctb.org
Comment la CTB prend-elle en compte les diverses problématiques
qui ont une incidence négative sur la biodiversité ?
Pour la coopération belge au développement, la question centrale est d'abord la
réduction de la pauvreté et l'amélioration
des conditions de vie des populations,
essentiellement rurales, mais aussi, dans
des contextes urbains. En ce qui concerne
l’Agence belge de coopération au développement (CTB), la question de la biodiversité est à prendre à plus large échelle,
dans l'ensemble des dimensions environnementales. L'environnement est un
thème "transversal", qui comprend, aussi,
les questions de biodiversité. Nous avons
d’ailleurs peu de projets ayant pour objectif principal les questions de biodiversité,
mais depuis quelques années le nombre
d’interventions en rapport avec la gestion
durable des ressources naturelles tendent
à augmenter.
1
2
3
De ce point de vue, la question pour la CTB
est d'analyser au mieux les paramètres et
impacts environnementaux - dont l’impact éventuel sur la biodiversité -, et d’intégrer ces paramètres de façon efficiente
au moment de définir une intervention de
développement. Que ce soit dans le secteur du développement rural et de l'agriculture, mais aussi dans d'autres secteurs
de la coopération comme les infrastructures, ou même la santé ou l'éducation.
En ce qui concerne nos partenaires, il y
a certainement une évolution de la sensibilité pour les questions environnementales. Parce que la question climatique est
venue au devant de la scène et a éveillé
les consciences d'une certaine manière,
et aussi parce que les gouvernements
constatent la multiplication des dommages
environnementaux, aussi bien en milieu
rural qu'en milieu urbain. On observe une
réelle prise de conscience, les gouvernements veulent mettre en place des politiques environnementales, et accordent un
intérêt de plus en plus grand à ces questions. Un signe, c'est le fait qu'en 2009,
parmi les derniers Programmes Indicatifs
de Coopération (PIC) qui ont été définis
avec cinq de nos pays partenaires, deux
d’entre eux, le Pérou et la Tanzanie, ont
décidé de choisir l'environnement et la
gestion des ressources naturelles comme
secteur prioritaire de coopération. Ce qui
n'aurait peut-être pas été le cas il y a quelques années encore...
Propos de Claude Croizer
(Conseiller environnement CTB)
recueillis par Jean-Michel Corhay
International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development, Agriculture at a Crossroads, 2009
C’était le propos de la conférence de la Commission femmes et développement qui s’est tenue en décembre 2009 "L’accès et le contrôle des ressources par les femmes: Un défi pour la sécurité alimentaire"
Etat de la population mondiale 2009. Face à un monde qui change : les femmes, la population et le climat, novembre 2009
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écotourisme
Le WWF aux avant-postes
pour défendre la nature congolaise
© WWF / M. Hoogsteyns
Pour alléger la pression qui pèse sur le
parc, le WWF de concert avec la population
locale a commencé à produire du bois de
chauffage à usage domestique, grâce à la
plantation d'acacias et même d’arbres de
mangroves. Un fait unique en son genre.
Le "Parc Marin des Mangroves" constitue l’habitat de nombreuses espèces animales en danger.
En RD Congo, le WWF se lance dans la lutte contre le défrichement de
la forêt tropicale. Le WWF considère le tourisme comme un allié intéressant.
Les activités du WWF dans le "Parc Marin
des Mangroves", à l'embouchure du fleuve
Congo et sur la côte congolaise, sont un
exemple de protection de la nature à petite
échelle, de caractère alternatif, et qui font
vraiment la différence. Le WWF a lancé un
projet pour reboiser la région et la rendre accessible aux touristes. Le WWF agit
par l’entremise d’une ONG locale, ACODES.
Cette dernière devrait être en mesure de
poursuivre le projet de façon entièrement
autonome dès l'an prochain.
d'autres atteintes. La population locale n'a
pas accès à l'électricité et coupe du bois
dans la réserve de mangrove pour cuisiner,
la réserve est aussi saignée à blanc par la
surpêche - les zones de mangrove sont de
bons sites de reproduction pour de nombreuses espèces de poissons – le braconnage est courant et il n'y a aucune surveillance à l’encontre des navires de haute
mer qui vidangent et nettoient leurs soutes
à pétrole dans l'embouchure du Congo.
Zone unique de mangroves
Actuellement, les autorités locales congolaises telles que l'Institut congolais pour
la Conservation de la Nature éprouvent
des difficultés à protéger le parc contre
© WWF / M. Hoogsteyns
Le "Parc Marin des Mangroves" a été
reconnu comme réserve il y a quinze ans
seulement. Son habitat est pourtant unique: environ 80.000 hectares de forêt de
mangrove, où vit une faune extrêmement
rare, telles que les lamantins (mammifères
marins de plus de 700 kilos), des hippopotames, des crocodiles, des serpents rares,
des centaines d'espèces d'oiseaux et des
tortues. Celles-ci viennent chaque année,
pendant la saison des pluies, déposer leurs
œufs sur les plages locales. Mais leur nombre diminue chaque année.
Pose d’une bague sur une tortue marine.
L’écotourisme,
nouveau gardien de la nature ?
Du fait que la région possède un potentiel touristique considérable et indéniable, le WWF et ACODES ont lancé un projet d'écotourisme à Muanda. L'écotourisme
s’adresse aussi bien aux Congolais aisés
qu’aux expatriés à Kinshasa qui souhaitent
échapper pour quelques jours à l’agitation
de la capitale. Témoins d'un tourisme jadis
florissant dans la région, les stations balnéaires de Vista et Banana ne peuvent plus
montrer de leur splendeur passée que des
villas et des bâtiments historiques quelque
peu désertés et délabrés.
L'initiative d'écotourisme vise à soulager la
pression qui pèse sur la réserve. Les gens
qui gagnent un peu d'argent grâce aux touristes seront moins vite tentés de braconner et de couper illégalement du bois. Les
touristes ne seront guère enclins, en effet,
à visiter une réserve où il n’y a pas le moindre hippopotame ou lamantin découvrir.
C’est pourquoi il faut convaincre la population et les autorités locales d'avoir une
vision à long terme et de ne pas se laisser tenter par le profit immédiat. Les recettes générées par ce projet reviennent déjà
en grande partie à la population, qui s’est
organisée en structures démocratiques
locales.
Grâce à l'initiative du WWF, les animaux
sont mieux protégés dans la réserve. Des
"écogardes" locaux protègent les hippopotames et les observent. Des guides sont
formés pour accompagner les visiteurs. Un
site web sera mis en place pour informer
les visiteurs et les personnes intéressées
sur les possibilités de la région. Pour 2010,
le projet vise un minimum de 300 visiteurs :
un bon début.
Mark Hoogsteyns
Chef de projet WWF à Muanda
[email protected]
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Dossier
© BTC/Pieter Van de Sype
Entre nuages et chacras
Les versants andins abritent une biodiversité d’une richesse exceptionnelle.
Au Pérou, dans les Andes du Nord, la réserve naturelle Santuário Nacional Tabaconas
Namballe présente une biodiversité exceptionnelle. Mais elle est située dans une zone très
convoitée, tant par les pauvres paysans – les campesinos – qui ont besoin de terres, que par
les fabricants de meubles qui lorgnent les réserves de bois, et les exploitants potentiels de
ses ressources minérales. La nature pourra-t-elle survivre ?
Des arbres et des arbustes tortueux,
ramassés, foisonnant de lichens crustacés
et de bromélias, entrelacés de lianes, qui
ont poussé en se mêlant jusqu’à former
une forêt féérique impénétrable, s’abreuvant des brumes et des nuages éternels,
dans le murmure incessant des ruisseaux
de montagne…
C’est le décor majestueux d’une forêt des
nuages située dans le sanctuaire (voir
encadré). La Belgique y contribue pour 7,5
millions d’euros au programme Pro-SNTN,
exécuté par la CTB, l’Agence belge de coo-
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pération, et destiné à réduire les pressions
qui s’exercent sur la zone. Ses 2 objectifs
sont la protection de la nature et la lutte
contre la pauvreté au travers d’un large
éventail d’activités.
La migration des campesinos
Jusqu’il y a 50 à 60 ans, la zone entourant
la réserve était inhabitée. L’instinct de survie, seul, a poussé des habitants d’autres
provinces à venir s’installer ici. "Celui qui ne
peut assurer sa subsistance n’a que deux
options", raconte Joachim Puhe, directeur
international de Pro-SNTN. "Ceux qui ont
Pérou : réserve naturelle
Pour avoir une parcelle, ou chacra, à cultiver, le plus facile est de brûler un bout de
forêt, avec l’accord des voisins. C’est ce
qu’a fait le jeune Mercedes Togas. Il habite
une maisonnette misérable dans la jungle.
Sa chacra est tout près de la forêt des nuages : pas dans le sanctuaire proprement
dit, mais dans la zone d’influence, cette
zone jouxtant la zone tampon qui enserre
le sanctuaire. Dans ces deux zones, aucun
obstacle n’est mis en principe à l’aménagement de chacras.
© DGOS/Chris Simoens
Evaristo Tocto, 72 ans, a eu plus de chance.
"Mon père avait une grande hacienda, et
donc suffisamment de terres à partager
entre ses enfants. Moi, je n’ai que 2 hectares. Mes enfants – 4 de mes 6 enfants sont
devenus planteurs de café – ont dû acheter
eux-mêmes des terres, ou ils ont pu en disposer via leur partenaire". Mais l’intervention des autorités est fort limitée au niveau
des opérations d’achat et de vente de terres. Au Pérou, l’aménagement du territoire
est à peu près inconnu.
Seule la nécessité de survivre conduit les paysans
à déboiser les collines escarpées.
Tous les campesinos ont résolument opté
pour la culture de café organique, malgré leur manque de connaissances en la
matière. "Même si leurs plants de café ont
25 à 30 ans, ils continuent à les cultiver,
malgré la production plus faible", explique
Máximo Arcos, responsable du café pour
Pro-SNTN. "Ils se mettent donc à la recher-
che de nouvelles terres, et continuent de
pratiquer la culture sur brûlis."
"Les gens d’ici, surtout les métis, n’ont
jamais été en contact avec la culture Inca",
précise Joachim. "Les pratiques d’agriculture durable des Incas – la culture en terrasses – leur sont inconnues." Le projet entend
par conséquent en premier lieu améliorer
les connaissances des campesinos installés
autour du sanctuaire. Car s’ils parviennent
à accroître leur production – et donc leurs
revenus – l’aménagement de nouvelles
chacras ne représentera plus une nécessité
vitale.
Davantage de café
de meilleure qualité
"Les nombreuses années de culture du café
ont épuisé les sols", constate Máximo. "Dès
lors, nous avons offert aux campesinos des
engrais organiques : le guano des îles et
des minéraux tirés de roches naturelles."
Le guano, déjà utilisé par les Incas, est un
engrais très riche provenant des déjections
d’oiseaux de mer sur les îles le long de la
côte péruvienne. L’amendement des terres demande un investissement, mais le
campesino en voit tout de suite le résultat.
"Un meilleur amendement a déjà permis de
faire croître la production de café de 35%",
confirme Maximo. La mise à disposition
de l’engrais passe par les coopératives.
"Nous avons donné des fonds aux différentes coopératives, à charge pour elles de les
gérer. L’argent leur a permis d’acheter des
engrais, qu’elles ont distribués aux membres. Comme ceux-ci les remboursent grâce
à leurs bénéfices, les coopératives conservent leur fonds", ajoute Máximo. Les campesinos ont également appris comment
utiliser efficacement leurs propres engrais
organiques.
Les plantations de café trop anciennes ont
été remplacées. Des moyens de lutte >
Un sanctuaire de la biodiversité
Dans le Santuário Nacional
Tabaconas Namballe se trouvent des biotopes exceptionnels des montagnes (sub)
tropicales. Vers 2.500 mètres
d’altitude, la jungle tropicale
de montagne y devient une forêt des
nuages, avec ses arbres et arbustes tortueux. A partir de 3.000 mètres, ne subsiste plus qu’un tapis épais de mousses
et d’herbes spongieuses : la haute terre
froide et humide appelée páramo.
Avec les forêts des nuages, les páramos
sont les "châteaux d’eau" de la nature.
Leur sol et leur végétation absorbent littéralement l’humidité des nuages qui se
forment à cette altitude. Ils alimentent
d’innombrables ruisseaux de montagne
et fournissent de l’eau pure aux populations qui vivent à plus basse altitude.
Dans le sanctuaire, une équipe de chercheurs a dénombré 1.090 espèces de
plantes, parmi lesquelles des orchidées
et un grand nombre de plantes médici-
nales. Y poussent également
des parents sauvages de plantes importantes pour l’être
humain, comme le fruit de la
passion et le poivre. Parmi les
156 espèces d’arbres, ce sont
les Podocarpus menacés d’extinction qui
retiennent l’attention. Cet imposant conifère, qui peut devenir centenaire, fournit un bois qui se prête particulièrement
bien à la fabrication de meubles.
© 3MO
l’esprit d’entreprise plus affirmé migrent
vers la ville. Ils travaillent dans une usine
ou font un peu de commerce. Les autres
migrent vers des zones inexploitées pour y
cultiver la terre."
L’animal-symbole du sanctuaire est l’ours
à lunettes. Il est menacé d’extinction en
raison du morcellement de son habitat. A
l’heure actuelle, la réserve n’abrite plus
qu’une population de 10 à 100 individus. Un autre mammifère en disparition
est le tapir des montagnes. La région
est encore peuplée d’une grande variété
d’amphibiens et d’oiseaux, comme par
exemple des colibris. De nombreuses
espèces y sont "endémiques", c’est leur
unique habitat. 20 à 30% des espèces
sont encore inconnues.
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dossier
Il va de soi que l’aspect commercial est
aussi essentiel. Le campesino doit vendre
son café organique à un prix élevé. C’est la
raison pour laquelle il ne peut récolter que
des baies de bonne qualité. Les mélanger
avec du café médiocre aboutirait à un produit de moindre valeur. A l’heure actuelle,
le projet met en place un système qui permettra d’identifier, pour un paquet de café
donné, quel campesino l’a produit. Cette
identité d’origine se traduit également par
un meilleur prix de vente.
A tout coup, cette approche se révèle
payante : Máximo estime que le rendement
accru a permis de réduire de 20% la superficie de forêt brûlée.
Cultiver aussi d’autres produits
Cultiver exclusivement du café ne permet
pas aux campesinos d’assurer suffisamment leur subsistance. Les prix varient
et, de plus, le cycle du café ne couvre pas
plus d’une demi-année. Dès lors, le projet a encouragé les campesinos à cultiver
d’autres plantes. Garcia Santos cultive à
présent du cacao. "L’année dernière, j’ai
reçu des semences et de l’engrais organique. J’ai remplacé un hectare d’anciens
plants de café par des plants de cacao.
J’attends la première récolte l’année prochaine." Gilberto Pintado cultive des bananes plantains entre ses plants de cacao.
Avec ce supplément de revenu, il envisage
en fin de compte d’élever des vaches laitières.
Le projet a également introduit les gra-
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nadillas (un fruit local) et… les cochons
d’Inde, un mets très prisé ici. Mais cela ne
va pas de soi, raconte Karima, volontaire à
Pro-SNTN. "150 familles ont reçu chacune 5
cochons d’Inde à élever. Mais certaines les
ont mangés aussitôt. On doit bien constater que la plupart des campesinos sont peu
entreprenants. Il faut du temps.”
© DGOS/Chris Simoens
> biologique contre les maladies ont été
enseignés. Par ailleurs, le projet a donné
une place de tout premier plan à l’agroforesterie. Le café préfère pousser à l’ombre
des arbres de plus haute taille. Si ceux-ci
produisent en outre un bois de qualité, ils
offrent une source supplémentaire de revenus. Il est également possible de recourir à
des arbres fruitiers ou à des papilionacées
qui enrichissent le sol en azote.
En ajoutant du cacao à sa culture de café,
Gilberto espère une amélioration de son revenu.
Le Stevia, l’"herbe douce", est très prometteur. “C’est même plus rentable que le café”,
affirme Karima. "Il pousse toute l’année, et
on peut le récolter chaque mois. Ce substitut du sucre est de plus en plus demandé."
Mais cultiver le Stevia est tout autre chose
que cultiver le café, et les campesinos doivent s’y habituer. Beaucoup ont décroché.
Mais il existe à présent un manuel pour la
culture du Stevia, et on a trouvé des acheteurs. "Les quelques persévérants deviendront les meneurs”, estime Karima. “Dès
que les gens verront que ça marche, ils suivront."
Les abeilles
Les abeilles, ce n’est pas que du miel et
un revenu supplémentaire. "Où il y a des
apiculteurs, on trouve aussi davantage de
forêt", précise Joachim. "Car lorsque des
parcelles sont réduites à néant, il y a moins
de nectar pour les abeilles. Les apiculteurs
s’y opposent. Donc, lorsque des apiculteurs
habitent à proximité d’une réserve, il y a un
effet protecteur. 1.000 familles vivent non
loin du sanctuaire, 200 ont été formées à
l’élevage des abeilles. Une masse critique
suffisante pour stimuler le débat lorsque la
forêt est incendiée." Les apiculteurs ont par
ailleurs reçu des semences d’espèces d’arbres indigènes qui produisent plus de nectar, ce qui contribue au reboisement.
L’abattage illégal
Une autre menace est l’appétit des fabricants de meubles et de l’industrie de la
construction. Au Pérou, la gestion durable des forêts ou des plantations n’en est
encore qu’à ses balbutiements. De grandes
parts de forêt ont déjà disparu, et ce qui
reste fait donc l’objet des convoitises des
campesinos, que la pauvreté pousse à aller
couper du bois qu’ils vendent pour une
bouchée de pain. "Dans la zone tampon, à
deux pas du sanctuaire, il y a sûrement 10
familles qui coupent du bois. Après minuit,
ils descendent le bois à dos d’âne, jusqu’à
un endroit où les acheteurs les attendent",
révèle un des conseillers du projet. Le
Podocarpus est particulièrement recherché. Dès qu’un endroit est défriché, les
pauvres campesinos y mettent des vaches.
Mais ils ne sont pas les seuls à couper du
bois, les consommateurs eux-mêmes s’y
mettent.
"Les autorités nationales ne s’intéressent pas à la préservation de la nature",
estime Carlos Martinez, bourgmestre de
San Ignácio, où se situe le sanctuaire.
"Elles n’ont affecté qu’une (!) personne au
contrôle de l’abattage, et elle est installée à
Jaén, à 3 heures de San Ignácio. C’est pour
cette raison que la commune et la province
ont dû elles-mêmes prendre des mesures.
Nous avons donc mis 15 personnes à des
postes de contrôle." Agustín Nuñez, le gouverneur de la province, ajoute : "Nous expliquons aux gens que l’abattage nuit à l’environnement, et que c’est illégal. Si cela reste
sans effet, c’est la police qui intervient. Elle
peut imposer une amende, saisir le véhicule
durant 30 jours, ou citer le contrevenant en
justice. En 2 ans, nous avons saisi entre 15 et
20 camions. L’abattage a reculé de manière
Pérou : réserve naturelle
visible." Des images satellite montrent que
le sanctuaire est relativement intact, et
que le déboisement est estimé à 10% maximum dans la zone tampon.
Le projet ne peut pas se substituer à la
police. Mais son intervention a cependant
des effets indirects. Lorsque les paysans
plantent des arbres qui produiront du bois
de valeur, les fabricants de meubles bénéficient d’une source durable. Dans la zone
tampon, 190.000 arbres ont été plantés.
En outre, les gens ont appris à entretenir
eux-mêmes les pépinières.
Les mines
La zone du projet est également très riche
en minerais. Dans la zone tampon, 5 secteurs sont reconnus comme zones de
concession. Les mines restent un sujet épineux au Pérou. L’opposition est forte au
niveau de la population – et pas seulement
des Indiens. Le plus souvent, les étrangers
qui exploitent les mines se préoccupent fort
peu de l’environnement. "Certaines mines
d’or ont créé un paysage lunaire. Les gens
ne peuvent plus rien y cultiver", raconte
Joachim. "Une mine qui se trouve dans la
zone tampon peut polluer le sanctuaire via
les eaux souterraines. Les eaux d’irrigation
peuvent elles aussi être polluées. Le fait de
remuer fortement le sol libère du cuivre, qui
se retrouve plus tard dans les fleuves."
Le bourgmestre Martinez est consterné par
l’attitude des autorités nationales. "Savezvous que des concessions ont même été
octroyées dans des zones protégées ? En
raison de la volée de protestations qui a
suivi, elles ont heureusement été retirées.
Mais les concessions dans la zone tampon
sont maintenues. Notamment pour Minera
Majaz, qui se trouve à présent entre les
mains des Chinois. En tant que commune,
nous ne pouvons rien faire. Il y a déjà eu des
morts lors de protestations contre Majaz!
La police cherche à militariser la zone, et les
Chinois pourront alors agir à leur guise."
Le gouverneur Nuñez est plus nuancé.
"On trouve des positions extrêmes dans
les deux camps. D’un côté il y a les ONG,
pour qui toute forme d’extraction minière
est une hérésie ; de l’autre, la police, dont
les interventions sont beaucoup trop brutales. La polémique qui entoure Majaz ne
sert qu’à manipuler l’opinion. Je suis moimême paysan et opposé à la pollution. Mais
la polarisation entre "mauvais pour l’environnement" et "bon pour l’économie" doit
cesser. Pour l’extraction de l’or, il faut en
effet des produits chimiques toxiques. Mais
si l’on extrait du cuivre et du zinc dans la
zone tampon et qu’on les traite à des kilomètres de là, où est le problème? Ce qui
importe, c’est que toutes les parties prenantes prennent place autour d’une table:
les autorités, les ONG et les entreprises. Les
autorités nationales doivent vraiment s’impliquer."
Douglas Cortina, chef de la Jefatura – le
service de surveillance du parc qui dépend
du Ministère de l’Environnement – le dit
sans détours. "Oui, dans 3 des 5 zones de
concession situées dans la zone tampon,
on est prêt à démarrer l’extraction. Mais ils
doivent au préalable obtenir l’autorisation
de la Jefatura. Et tant que je suis à ce poste,
ils ne l’obtiendront pas !"
parc, Regina et Evélio, sont d’un autre avis.
"Le Podocarpus se régénère moins vite et,
en raison de l’humidité également présente
durant la saison sèche, de nombreuses
graines ne sont plus viables avant même de
tomber sur le sol."
A la radio et à la télévision, on parle beaucoup de changement climatique, ce qui
fait naître chez certains un véritable intérêt pour l’environnement. L’omniprésent
Pro-SNTN y a contribué. Jaime Román est
chef de Nueve de Octubre, un village qui
compte 95 familles. Elles forment une communauté aux liens étroits, qui veut préserver son morceau de nature. "Je ne le cache
pas. Auparavant, je chassais toutes sortes
de mammifères. Mais nous remarquons
maintenant qu’ils sont beaucoup moins
nombreux. Ce qui nous amène à prendre
conscience de l’importance de la nature. Il
faut aussi reboiser, car cela peut stabiliser
le climat." Son village est situé tout près
d’un des derniers vestiges de la forêt des
nuages en dehors du sanctuaire. "Nous
avons même dessiné notre propre drapeau.
Blanc pour la paix, vert pour la nature, et
bleu pour la pureté de l’eau et de l’air. Au
centre, un arbre se dresse fièrement, le
Podocarpus."
épilogue
Changement climatique
Le changement climatique est une autre
pièce du puzzle. Tout le monde s’accorde à
dire que les saisons sont moins marquées.
A présent, il arrive qu’il pleuve durant la
saison sèche, ce qui complique le séchage
des grains de café, et entraîne une baisse
des prix pour les paysans. La chaleur du
soleil est aussi plus brûlante, et le sol est
complètement asséché en 2 jours.
"Mais dans le sanctuaire proprement dit, il
n’y a pas d’effets visibles", déclare Douglas
de la Jefatura. "L’eau des lacs est toujours au
même niveau et la végétation basse n’envahit pas la forêt des nuages, ce qui serait
un signe d’assèchement." Ses gardiens du
Début 2011, Pro-SNTN lèvera le camp. Le
sanctuaire et son environnement seront
totalement confiés à la population et aux
autorités. Mais la Belgique sera encore un
peu présente. Ainsi, dans le cadre du nouveau programme de coopération avec le
Pérou, notre pays contribuera notamment
au développement du Ministère de l’Environnement, et à la mise en place d’un système d’aménagement du territoire.
Chris Simoens
online
www.sntabaconasnamballe.gob.pe
www.btcctb.org
janvier-février
2010
dimension
11
dossier
Le zoo d'Anvers protège les singes
"La demande en viande de brousse
reste importante"
La Société Royale de Zoologie d'Anvers (SRZA) profite de ce que l'année
2010 a été déclarée Année Internationale de la Biodiversité pour
sensibiliser le grand public à ses projets de conservation. Le Projet
Grands Singes mené au Cameroun porte sur l'observation des grands
singes et leur protection contre le braconnage. Entretemps le projet
explore des sources alternatives de revenus pour la population locale,
parce que celle-ci chasse sur la viande de brousse recherchée.
de Kai-Mook, nous présenterons le bilan
financier du plan de croissance."
La consommation de viande de brousse dans les
régions urbaines s'accroît. Le désenclavement
de la forêt favorisé par la construction de routes
pour les sociétés d'abattage d'arbres, a facilité le
transport entre ville et forêt.
"L'année de la biodiversité constitue en effet
un cadre parfait pour la SRZA, gestionnaire du zoo d'Anvers et du parc animalier
de Planckendael, pour mettre en valeur ses
projets de conservation." La porte-parole
Ilse Segers est consciente que les communications relatives aux résultats de recherche de projets menés dans des pays lointains ont du mal à atteindre le grand public.
"C'est pourquoi nous utilisons des histoires concrètes et personnalisées d'animaux
qui servent de support aux messages clés.
Notre meilleur exemple a été le journal de
bord de la naissance de Kai-Mook (souvenez-vous de l'éléphanteau né au zoo d'Anvers, red.)."
La mascotte Kai-Mook
La médiatisation qui a entouré Kai-Mook a
permis de générer des revenus destinés à
la construction d'un biotope pour éléphants
ainsi qu'à la protection de l'éléphant asiatique - congénère de l'éléphanteau anversois.
"Nous avons établi un Plan de croissance K,
qui fonctionne comme un compte Pampers,
et qui sert deux objectifs: la future maison
de Kai-Mook à Planckendael et le soutien
de ses congénères indiens menacés. En mai
2010, à l'occasion du premier anniversaire
12
dimension
janvier-février
2010
La viande de brousse
au Cameroun
"Au Cameroun, ces deux aspects vont déjà
de pair, même si les changements ne sont
pas évidents." Zjef Pereboom, responsable
de l'institut de recherche de la SRZA estime
qu’une des priorités est de trouver des sources de revenus alternatives pour la population locale. "Le Projet Grands Singes tente
© KDMA
© KDMA
La SRZA gère de manière autonome deux
grands projets en région tropicale : BioBrasil
dans la forêt côtière humide du Sud de
Bahia et le Projet Grands Singes dans les
forêts non protégées du Cameroun. Les
deux projets soulignent l'importance du lien
indissociable qui existe entre la protection
de la biodiversité et la stimulation du développement humain.
Avec sa belle tête dorée, le tamarin-lion doré est
devenu un symbole de la biodiversité des forêts
côtières humides du Brésil.
de protéger les grands singes en étudiant
leur habitat, leur comportement et leurs
habitudes alimentaires. Dans les forêts non
protégées, les sociétés d'abattage d'arbres
sont actives et la population locale chasse
dans les forêts. C'est ainsi que périssent de
nombreux singes."
alternatifs : un petit magasin, des plantations de cacao... "Mais que voyons-nous ?
La population locale, même si elle dispose
de revenus supplémentaires, ne délaisse
pas pour autant la chasse. La consommation privée a en effet été remplacée par des
pratiques commerciales. Grâce au désenclavement des forêts – dû à l'amélioration des
routes entre villes et villages –, il est devenu
aujourd'hui plus facile de transporter la
viande de brousse vers la ville en utilisant le
vélomoteur. C'est là que réside le problème
actuel : la demande en viande de brousse a
grimpé dans les zones urbaines. Les habitants des forêts mangent moins de produits
de leur chasse, mais ce n'est pas le cas des
citadins. Au contraire !"
BioBrasil stimule la capacité
de recherche locale
BioBrasil est un projet de conservation des
tamarins-lions dorés, ou singes dorés, des
forêts côtières humides du Sud de Bahia, au
Brésil. Leur habitat est gravement menacé
par l'abattage des arbres.
La stratégie du projet consiste à renforcer
la capacité de recherche locale. Pereboom
est convaincu des chances de succès de
cette approche. "Les instituts de recherche au Brésil sont de grande qualité. Nous
ne disposons que d'un chercheur belge sur
place. En revanche, nous soutenons financièrement 10 travailleurs de terrain, chercheurs et étudiants. L'idée à terme est que
la capacité de recherche disponible sur place
permette de prendre le projet entièrement
en charge."
Thomas Hiergens
online
La viande de brousse était autrefois principalement destinée à l’usage personnel.
L'espoir est que l'on puisse diminuer la
chasse en forêt en stimulant les revenus
www.KMDA.org
www.zooantwerpen.be
www.planckendael.be
Fiche thématique
dimension
Le journal de la coopération belge
Biodiversité
QU’EST-CE LA BIODIVERSITÉ ?
La biodiversité, ou diversité biologique, est le nom donné à l’extraordinaire variété de la vie sur Terre. La biodiversité, c’est à la
fois :
• La diversité des espèces (animaux, végétaux,
champignons, algues, bactéries, virus…).
• La diversité entre individus d’une même espèce,
ou diversité génétique (différence de tailles, de formes,
de couleurs…).
• La diversité des écosystèmes, c’est-à-dire des différents
milieux (une mare, une forêt, un récif corallien…),
des espèces qui y vivent et de leurs interactions.
Il est difficile de quantifier le nombre d’espèces vivant sur
Terre car bon nombre d’entre elles sont microscopiques, vivent
cachées ou n’ont tout simplement pas encore été découvertes.
Actuellement, environ 1,9 million d’espèces ont été répertoriées
au niveau mondial mais cela ne représenterait que la partie visible de l’iceberg… Selon les scientifiques, le nombre total d'espèces atteindrait 13 à 15 millions d'espèces. Environ 10.000 nouvelles espèces sont découvertes chaque année, dont la plupart sont
des invertébrés. Le Brésil est le pays le plus riche en biodiversité au monde, il comprend au moins 20 % des espèces mondiales déjà répertoriées à ce jour. Un très grand nombre d’espèces
d’intérêt économique élevé sont originaires du Brésil, comme le
caoutchouc, l’ananas et les cacahuètes.
L’IMPORTANCE DE LA BIODIVERSITÉ
La biodiversité est notre "capital vert" : elle est à la base de notre
alimentation quotidienne, de notre santé et de nos activités. Elle
est la garantie du bon fonctionnement et de l'équilibre de notre
planète.
Elle nous fournit de nombreux produits : nourriture, matériaux de
construction, d’isolation et de décoration, fibres textiles, principes
actifs de nombreux médicaments, combustibles…
Les services rendus par les écosystèmes sont tout aussi indispensables à notre survie. L’eau potable que nous buvons est disponible
grâce au rôle d’éponge, de filtre et de réservoir des forêts et zones
humides. La majorité des fruits et légumes que nous mangeons ne
peuvent croître que grâce à l’action pollinisatrice de certains insectes, oiseaux et mammifères. Les espèces végétales – des arbres des
forêts tropicales au phytoplancton marin – jouent un rôle essentiel
dans la régulation du climat mondial, notamment en absorbant le
dioxyde de carbone (CO2) et en produisant l'oxygène atmosphérique. Les exemples ne manquent pas…
>
janvier-février
2010
dimension
I
> Les pays les plus pauvres économiquement sont souvent les plus
riches en biodiversité. Ils dépendent aussi fortement des ressources naturelles. Selon la Banque Mondiale, les pays à bas revenus
génèrent environ 25% de leurs richesses directement à partir de
l'environnement. Cette proportion n'est que de 2% dans les pays
industrialisés.
Déboisement
de la forêt amazonienne
et paludisme
De nombreux virus et leurs vecteurs, souvent des insectes,
affectionnent particulièrement les conditions humides et chaudes de cette forêt tropicale. Pourtant, une étude péruvienne a
montré que le taux de piqûre du moustique Anopheles darlingi,
vecteur du paludisme, était 278 fois plus élevé dans les sites
soumis à une importante déforestation (pour la construction de
routes, l’extension des zones agricoles…) que dans les zones où
la forêt prédomine encore !
En effet, dans un milieu en équilibre, comme le cœur de la forêt
amazonienne, les populations de moustiques restent stables et
peu importantes, alors que sur les sites de déforestation, les
coupes forestières entraînent la création de nombreux points
d'eaux stagnantes qui sont autant de sites de ponte pour les
moustiques.
DISPARITION DE LA BIODIVERSITÉ :
CAUSES ET CONSÉQUENCES
L’homme a de tout temps modifié les milieux naturels pour ses
besoins, que ce soit pour l’agriculture, la pêche ou encore le
développement des villes et villages. Cependant, les pressions
humaines sur l’environnement sont actuellement sans précédent. Le taux des extinctions d’espèces observées de nos jours
serait de 1.000 fois supérieur à celui de toute autre époque de
l'histoire de la Terre. Selon les estimations, jusqu'aux deux tiers
des espèces pourraient disparaître durant le prochain siècle. Les
changements les plus significatifs ont lieu en Amazonie et en
Asie du Sud-Est (Indonesie, Malaisie), où le besoin en terres cultivées entraîne une déforestation massive, et en Asie centrale, où
la dégradation des terres agricoles intensifie les processus de
désertification.
La diminution de la biodiversité est liée à des facteurs naturels (incendies, tempêtes…) mais aussi à de multiples pressions
humaines dont les principales sont la dégradation et la disparition des habitats, le changement climatique, l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes, la surexploitation des ressources et
la pollution. Elles découlent de l’accroissement de la population
mondiale, de l’activité économique et du commerce international, de l’instabilité politique ou encore de divers facteurs culturels et religieux.
II
dimension
janvier-février
2010
Espèces menacées d’extinction :
quelques chiffres
Les "listes rouges" de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) permettent de suivre les risques
d’extinction des espèces. Actuellement, plus de 15.000 espèces directement menacées y sont reprises. Mais les menaces
qui pèsent sur ces espèces peuvent avoir des répercussions
sur de nombreuses autres, non répertoriées dans les listes
rouges…
Nombre estimé
d’espèces dans
le groupe
% menacé
dans le groupe
Mammifères
5 490
21%
Oiseaux
9 998
12%
Reptiles
9 084
28%
Amphibiens
6 433
30%
Poissons
31 300
32%
Coraux
2 175
27%
Plantes à fleurs
281 821
4%
Source : www.iucnredlist.org/ (2009)
Le plus souvent, des espèces disparaissent suite à la combinaison
de plusieurs menaces. Ainsi le déclin des pollinisateurs – insectes
(abeilles domestiques et sauvages, bourdons, papillons…), mammifères (chauves-souris…) et oiseaux (colibris, passereaux…) –
est dû à la disparition croissante de leurs sites de nidification et
d’hivernage, à la raréfaction des espèces végétales qui leur sont
associées, à l’utilisation de pesticides…
Fruits (pommes, oranges, mangues…), légumes (pommes de
terre, courges, choux…), légumineuses (haricots, lentilles…),
oléagineux (colza, tournesol…) mais aussi épices, cacao, café,
coton… : plus de 70 % des espèces végétales cultivées par
l’homme dépendent, au moins en partie, de la pollinisation. Sans
pollinisateurs, nous perdrions un tiers de la production mondiale
de nourriture !
Touchant les petits agriculteurs du Sud comme les grandes exploitations agricoles du Nord, les pays exportateurs comme les pays
importateurs, le déclin des pollinisateurs est donc désormais une
préoccupation majeure… et mondiale.
AGIR POUR LA BIODIVERSITÉ
La prise de conscience de l’importance de la biodiversité par
les décideurs politiques date d’une quarantaine d’années. Elle
a culminé avec la signature de la Convention sur la diversité biologique au Sommet de la Terre, à Rio, en 1992. Cet engagement
historique aborde tous les aspects de la biodiversité : les espèces, les écosystèmes et les ressources génétiques. La convention a pour objectifs de conserver la biodiversité, de favoriser
son utilisation durable et – facteur essentiel pour les pays riches
en biodiversité – d’assurer le partage équitable des bénéfices
découlant de l'exploitation des ressources génétiques.
Grâce à cette convention, de nombreuses actions ont permis de
limiter la disparition des espèces et la dégradation des écosystèmes. Cependant, ces actions s’avèrent insuffisantes. L’objectif de
la convention de freiner la perte de biodiversité d’ici 2010 ne sera
pas atteint. La situation risque même d’empirer dans un avenir proche. Les écosystèmes naturels sont de plus en plus soumis aux pressions liées à un système économique mondial peu
durable et à une population toujours en hausse. Il devient donc
indispensable de développer des politiques de développement
qui tiennent compte du rôle joué par la biodiversité dans l’équilibre fragile de la planète.
Des aires protégées
La désignation de zones protégées est une des composantes
essentielles des politiques de conservation de la biodiversité. Ces
aires protégées servent de refuge pour les espèces animales et
végétales menacées ailleurs. Actuellement, environ 12 % des surfaces terrestres ont été désignées en tant qu’aires protégées.
Par contre, seul 1 % du milieu marin bénéficie d’un statut de protection. Pourtant, les mers, océans et régions côtières, particulièrement riches en biodiversité, souffrent de multiples pressions
: pêche excessive, pollutions diverses, industries extractives,
tourisme de masse…
Lorsqu’elles sont conçues et gérées en tenant compte des
besoins des populations riveraines, les aires protégées sont
Le Parc national
du banc d’Arguin
en Mauritanie : une
approche participative
Le Parc national du banc d'Arguin est une aire protégée exceptionnelle, formée de dunes de sable, de marécages côtiers, de
petites îles et d’eaux littorales peu profondes. Il est connu pour
ses tortues marines, ses dauphins, ses raies et requins, et la
remarquable diversité d’oiseaux migrateurs qui y passent l’hiver. Il joue un rôle capital dans le maintien de la biodiversité
marine à l’échelle régionale. Les populations sont composées
de pêcheurs Imraguens, seuls autorisés à pratiquer la pêche
traditionnelle, et de pasteurs nomades vivant de l’élevage des
dromadaires, chèvres et moutons. Un programme de conservation et de développement durable de type participatif y a été
mis en place. Il incite aux pratiques de pêches durables, valorise les produits de la pêche (octroi d’un écolabel sur la production des œufs de mulet, commercialisation des poissons séchés
de manière traditionnelle…), promeut l’écotourisme (établissement de campements gérés par les femmes), développe la surveillance maritime et favorise la recherche scientifique.
en outre un moyen efficace de lutte contre la pauvreté, grâce à
la préservation des ressources (bois, produits de la chasse, de
la pêche et de la cueillette…) et au développement de revenus
alternatifs (écotourisme, artisanat, apiculture…).
La biodiversité en milieu agricole
L’amélioration des systèmes de production agricole est une autre
composante essentielle de la conservation de la biodiversité. Et
ce, d’autant qu’une biodiversité élevée en milieu agricole contribue à augmenter la productivité grâce au renforcement des services rendus par les écosystèmes : contrôle naturel des ravageurs par leurs prédateurs et parasites, pollinisation assurée par
les insectes, les oiseaux et les chauves-souris, maintien de la
fertilité des sols par les micro-organismes… Deux grands types
d’opportunités existent pour l’avenir : d’une part la diversification
de la production et la réhabilitation des anciennes races et variétés, et d’autre part la limitation de l’expansion des surfaces agricoles au profit d’une intensification raisonnée (sans usage massif
d’engrais et de pesticides).
Les jardins domestiques
au Vietnam
Le Vietnam est un des centres majeurs de diversité agricole
au monde, avec plus de 800 espèces cultivées. Les jardins
domestiques (ou jardins agro-forestiers) y ont une longue
tradition. Ces jardins produisent de la nourriture, des condiments, des herbes médicinales, du fourrage pour le bétail
et des matériaux de construction. La diversité en arbres,
arbustes, légumes, graminées et herbes y est impressionnante : plusieurs centaines d’espèces et variétés de plantes
vivrières sont recensées sur des surfaces moyennes d’un
quart d’hectare. Le bananier, le papayer, le manioc, le taro
et la patate douce sont quelques-unes des espèces clefs qui
y sont représentées, souvent déclinées en de nombreuses
variétés différentes. Certains ménages réalisent entre 50 et
60 % de leurs revenus grâce à la vente des produits de leur
jardin. Ces dernières décennies, la réorganisation du système agricole vietnamien s’est traduite par la régression de
ces modes de culture traditionnels. Mais depuis lors, l’État
vietnamien a instauré un programme de soutien à l’exploitation durable des jardins domestiques.
La conservation de la biodiversité ne se fait pas uniquement sur
le terrain. Adopter des comportements de consommation responsables contribue de manière significative à préserver les ressources naturelles et les écosystèmes, en diminuant les pressions
sur ceux-ci (surexploitation, pollution…). Et cela est à la portée de
tous. Chacun à notre niveau, nous pouvons agir, en adoptant au
quotidien quelques gestes simples : économiser l’eau, composter les déchets ménagers, limiter le gaspillage, ne pas rapporter
de souvenirs de vacances fait à partir d’espèces menacées… , et
en privilégiant les produits issus de l’agriculture biologique et du
>
commerce équitable.
janvier-février
2010
dimension
III
Le livre "366 gestes pour la biodiversité" vous donne de nombreuses idées d’action
à faire près de chez vous ou lorsque vous voyagez à l’étranger.
Commandez votre exemplaire gratuit sur le site www.biodiv2010.be et vous le recevrez
par la poste à l’adresse de votre choix.
Anne Franklin et Charlotte Degueldre
Que fait la Belgique ?
online
En 2008, la Belgique a consacré 122 millions d’euros pour l'envi-
www.cbd.int
ronnement, y compris environ 32 millions à la biodiversité. Cela
(Secrétariat de la Convention sur la biodiversité)
comprend le soutien à l'Institut royal belge des Sciences natu-
www.millenniumassessment.org
relles, qui suit la Convention des Nations Unies pour la Diversité
(Évaluation des Écosystèmes pour le Millénaire)
Biologique et qui renforce la capacité au Sud. Le World Wildlife
www.greenfacts.org/fr/dossiers/biodiversite.htm
Fund reçoit des fonds pour la protection des forêts congolai-
(Résumés vulgarisés de rapports scientifiques sur la biodiversité)
ses. La coopération gouvernementale elle aussi investit parfois
dans la biodiversité. Ainsi, la gestion d'une réserve naturelle en
Fiche thématique du Journal de la coopération belge.
Tanzanie (Selous Game) a été améliorée. Dans leur programme
Périodique bimestriel de la Direction Générale
de la Coopération au Développement (DGCD)
Rédaction : DGCD – Direction Programmes de Sensibilisation
Rue des Petits Carmes 15 | B-1000 Bruxelles
Tél : 0032 (0)2 501.48.81 – Fax: 0032 (0)2 501.45.44
E-mail : [email protected]
www.diplomatie.be | www.dgcd.be
de coopération récemment renouvelé, la Tanzanie et le Pérou
ont opté pour le secteur "Environnement et gestion des ressources naturelles."
IV
dimension
janvier-février
2010
dossier
La pêche au Maroc
© Latcho Drom 2008
Les poissons n’embarquent plus
chez les petits pêcheurs marocains
Le film démarre sur un constat accablant :
437 millions de petits pêcheurs vivent
avec moins de 2 dollars par jour. Vous
parlez de capital mondial et accusez la
mondialisation. En attendant, les petits
pêcheurs marocains n’ont plus suffisamment de poissons sur leurs côtes… Oui,
et le peu qu’ils ont, ils ne le mangent pas, ils
le vendent pour faire face à des frais essentiels. Le poisson est devenu cher, même la
sardine, "le poisson du pauvre", est en voie
de disparition. Un désastre pour le Maroc
qui est le premier pays exportateur de sardines au monde. Bientôt il n’y aura plus que
des poissons d’élevage. Or, pour produire 1
kg de poisson d’élevage, 7 kg de farine de
poisson sauvage sont nécessaires… Je voulais aussi montrer les côtés pervers de la
mondialisation en évoquant, en une seule
unité de lieu, plusieurs histoires : l’exploitation des ressources, les dangers de cette
exploitation sur les réserves de poissons,
l’injustice vis-à-vis des petits pêcheurs.
Du sonar à la rame, des grands aux petits
bateaux, le rapport à la mer n’est pas
équitable… Il y a les petits pêcheurs qui,
depuis des générations, vivent de et avec la
mer. Ils savent que leur vie dépend de son
poisson et la respectent. Ils savent pourquoi telle espèce disparaît et s’abstiennent
de la pêcher pendant la pondaison…, mais
les chalutiers ramassent tous les œufs derrière eux. Ils sont conduits par des jeunes
"businessmen" qui ne connaissent pas la
mer. Leur pêche à deux bateaux est illégale : ils ne respectent pas les quotas, leur
sonar ne laisse aucune chance aux pois-
A Essaouira et Agadir, régions du Maroc jadis poissonneuses,
les petits pêcheurs remontent désormais des filets vides.
La mer se tarit, même les sardines viennent à manquer.
Alors par milliers, ils partent vers de meilleures eaux,
au Sud. Tandis qu’on les cloue à terre pour respecter le
repos biologique des poissons qui, là aussi, disparaissent,
ils observent impuissants le pillage des chalutiers étrangers
draguant le fond des mers et entraînant la destruction d’un
écosystème. C’est le propos du documentaire "Les Damnés
de la mer", une fable, hélas, réelle, de la mondialisation
réalisée par Jawad Rhalib pour "faire bouger les choses"…
sons, ni aux pratiques traditionnelles. J’ai
montré les chalutiers suédois mais ils ne
sont pas les seuls.
"437 millions
de petits pêcheurs
vivent avec
moins de 2 dollars
par jour."
Dans ce sombre tableau, les femmes
sont des ombres qui souffrent en silence.
Vous en faites le portrait à travers le personnage de Ghizlan, la mendiante qui
voulait pêcher… Beaucoup de femmes sur
les côtes voulaient pécher mais n’y étaient
pas légalement autorisées. Ghizlan en était
réduite à mendier et pêcher illégalement.
Mais, peu après la diffusion du film sur Arte,
les autorités marocaines ont changé la loi
et elle a reçu son permis de pêche.
Comment, à partir de la Belgique, améliorer la situation ? Les Belges ont accès aux
poissons marocains que les habitants de la
côte d’où ils proviennent ne peuvent pas
consommer. Alors, d’abord il faut réveiller
en nous le consommateur responsable :
lire les étiquettes, manger moins de poisson et éviter les espèces en voie de disparition. D’un point de vue institutionnel,
la Belgique et l’Europe devraient contrôler
leurs produits et offrir des aides, en s’assurant qu’elles arrivent effectivement aux
pêcheurs. L’Union européenne offre 40
millions d’euros pour le contrôle des frontières au Maroc et seulement 4 millions à
la formation professionnelle. Le Nord vient
piller les richesses au Sud, et les enfants du
Sud, dépouillés, veulent migrer au Nord qui
est riche…
La caméra, c’est votre "arme" contre l’injustice ? Exactement ! La caméra est mon
témoin. J’ai de la révolte pour ces milliers
de pêcheurs, qui nourrissent chacun une
famille et qu’on empêche de pêcher tandis
que les autres s’en mettent plein les poches.
J’ai tourné ce film pendant la période de la
Fête du mouton : les pêcheurs n’avaient
pas de quoi acheter un mouton à leurs
familles: les poissons étaient partis alimenter les fêtes de fin d’année en Europe…
Suite à la projection des "Damnés de la
mer", les grands chalutiers ont été interdits des eaux marocaines et les femmes
sont autorisées à pêcher. Le film qui est
passé en prime time en Suède a provoqué un tollé. Le gouvernement suédois
revoit maintenant sa politique étrangère
de pêche.
Propos de Jawad Rhalib
recueillis par Elise Pirsoul
"Les Damnés de la mer" a remporté de nombreux
prix. Il a bénéficié d’un soutien de la DGCD dans
le cadre de ses programmes de sensibilisation.
online
www.thedamnedofthesea.blogspot.com
janvier-février
2010
dimension
17
climat
En direct de Copenhague
Le monde entier était présent au Sommet de Copenhague sur le climat, la Coopération belge au développement également.
Négociateur pour la Belgique et pour l’Union européenne, Jos Buys coiffait une double casquette. Chaque jour, il a néanmoins
trouvé le temps de prendre note de ses impressions. Son carnet retrace les conflits entre pays en développement et pays
industrialisés, et nous conduit jusqu’à la déception de Copenhague: un accord qui n’en est pas un.
Lundi 7 décembre
Ouverture solennelle à 10 heures de la 15e
session de la Conférence des Parties (COP15) à la Convention sur le changement climatique. Tous les discours d'ouverture
soulignent l'importance de la réunion et
la nécessité d'atteindre un bon accord. La
délégation belge s’est déjà réunie à 7h.15,
pour filer ensuite au Bella Center et y assister à la coordination européenne.
Les groupes de travail entament le premier
jour : les négociations sur une nouvelle
convention sur le climat (voie de négociation sur la Convention) et les engagements
pour les pays industrialisés (voie de négociation sur Kyoto), ainsi que le COP/MOP
(Meeting of the Parties) du Protocole de
Kyoto.
Mardi 8 décembre
Les organes subsidiaires – l’Organe subsidiaire de mise en œuvre et l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique – fournissent le travail proprement
dit de la COP. Ils se mettent au travail
aujourd’hui.
Ici commence ma tâche de négociateur
pour l’UE: le suivi du Fonds pour l'Environnement Mondial (FEM), le mécanisme financier de l’Accord sur le climat. Le mécanisme
a déjà affecté plus de 2,7 milliards de dollars à des activités en faveur du climat ;
ces moyens financiers ont mobilisé, à leur
tour, 15 milliards de dollars en provenance
d’autres sources. La contribution annuelle
belge s’élève à 10,5 millions d’euros.
Émoi général à propos d’un article paru
dans le Guardian. Une fuite a rendu public
le texte d’un accord que le Danemark aurait
préparé en secret pour le soumettre aux
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janvier-février
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ministres la semaine prochaine. Combien
de fuites y aura-t-il encore ?
Mercredi 9 décembre
Aujourd’hui, tous les groupes de travail
sont sur la brèche. Impossible de les suivre
tous, je me concentre sur donc les négociations sur le FEM. Les pays en développement n’ont pas eu assez de temps pour
se concerter sur le projet de décision. Par
conséquent, ils ne veulent négocier que sur
leurs propositions et pas sur celle de l’UE.
Pays en développement
contre pays industrialisés
Les pays en développement exigent des
pays industrialisés (1°) d’importantes
réductions des émissions de CO2 et (2°)
une aide financière pour lutter contre le
changement climatique. Les pays industrialisés étant historiquement responsables de la majeure partie des émissions
de CO2, leur soutien financier est considéré comme le remboursement de leur
dette écologique, et les fonds doivent
s’ajouter à l’aide au développement.
L'UE a les projets les plus ambitieux pour
réduire les émissions de CO2 et fournir
une aide financière, mais elle attend des
efforts de la part des grandes économies émergentes et des Etats-Unis.
Les négociations sur le FEM ont atteint leur
vitesse de croisière, mais les avancées sont
difficiles. Lorsque les avis divergent sur un
paragraphe, la recherche de synonymes
et de tournures de phrases commence.
Des morceaux entiers de texte sont placés
entre crochets – signe que leur contenu n’a
pas fait l’unanimité.
Vendredi 11 décembre
Le sujet du jour était l’annonce par le Conseil
européen que l’UE allait débourser au total
2,4 milliards d’euros par an pour financer
des actions dans les pays en développement au cours de la période 2010-2012. On
s’attend à ce que d’autres pays industrialisés apportent également leur pierre à l’édifice, parce qu’en fait il faudrait 5 à 7 milliards d’euros par an. Les réactions vont du
soulagement - parce que de l’argent est mis
sur la table -, aux lamentations - parce que
ce n’est pas assez - et aux craintes que cet
argent n’arrive jamais.
Mes négociations risquent de s’enliser, lentement mais sûrement. Il y a trop d’options
et trop d’alternatives. Nous demandons au
président du groupe de contact de formuler lui-même une proposition. Concertation
tous azimuths. Après 21 heures, tout le
monde abandonne ; 14 heures de négociation, cela suffit.
Samedi 12 décembre
Jeudi 10 décembre
La deuxième fuite, c’est fait ! Et cette fois,
il s’agit d’un texte présenté par les pays
émergents : Chine, Brésil, Inde et Afrique
du Sud. Les négociateurs restent toutefois
imperturbables et poursuivent leurs travaux. Les groupes s’amenuisent de plus en
plus, ce qui permet une rédaction des textes plus efficace.
Les négociations sur le FEM doivent être
finalisées aujourd’hui. Nous enregistrons
d’excellentes avancées, mais soudain la
dynamique change et se bloque. D’autres
adversaires montent sur le terrain mais,
moins expérimentés, ils répugnent à accepter des compromis. Résultat : le texte n’est
pas finalisé et la décision est reportée à la
COP-16, le prochain sommet sur le climat.
Changement climatique
Dimanche 13 décembre
Mardi 15 décembre
La seule journée de repos signifie dormir
plus longtemps, parce que ces négociations
de longue haleine - la journée de travail
dure en moyenne 13 heures - commencent
à laisser des traces parmi les membres de
la délégation. A 9.30 heures, rendez-vous
avec les experts financiers de la délégation
belge, ensuite avec le chef de la délégation.
Puis, retour dans ma chambre pour rédiger
le rapport intérimaire. Ensuite, filer au rendez-vous pour préparer la venue du ministre Charles Michel.
Après une discussion sans fin, nous tombons d’accord sur un texte pour le Fonds
pour l'adaptation. Comme bien souvent, la
finalisation de la convention se fait dans
les couloirs. La dernière session de notre
groupe n’est plus qu’une simple formalité.
Les négociations sur le futur régime climatique se compliquent de minute en minute.
Plus personne n’a de vue d’ensemble. La
nuit promet d’être longue. Certains membres de la délégation ne regagnent leur lit
qu’à 7 heures du matin.
Lundi 14 décembre
© www.bc3sfbay
Le ministre Michel est arrivé cet après-midi.
Plusieurs journalistes qui voulaient l’interviewer n’ont pas pu franchir l’entrée du
centre de conférence. Le ministre doit se
contenter de répondre aux questions de
deux reporters.
Mercredi 16 décembre
La présidence danoise ouvre la journée par
une concertation informelle et cela ne plaît
pas à certains pays en développement. Les
Danois se voient reprocher un manque de
transparence ; et commence alors une querelle de procédure. Comme plus personne
ne sait comment faire avancer les choses,
on se concerte "sur la manière d’organiser
une concertation".
Entretemps, les ministres sont arrivés pour
l’orientation politique. La concertation au
sommet dans les coulisses laisse les négociateurs dans l’incertitude. Plus personne
ne sait ce qu’il faut faire.
à apparaître : au lieu d’enregistrer des
avancées, les textes sont devenus encore
plus complexes et fourmillent de passages entre crochets.
Vendredi 18 décembre :
Jour J pour le climat
Seule certitude du dernier jour: l’heure du
début des activités. Pour le reste de la journée, il faut s'en remettre aux conjectures et
espérer un dénouement favorable.
Pendant la matinée, chacun attend avec
nervosité les leaders mondiaux. On parle du
plus grand rassemblement jamais réalisé en
dehors de New York. Leurs discours n’apportent toutefois rien de neuf. Il ne nous
reste plus qu’à attendre la version suivante
de l’Accord de Copenhague, un texte insipide, loin en-dessous du niveau des ambitions européennes.
Les espérances placées dans la Conférence
de Copenhague étaient immenses, les
résultats sont particulièrement maigres. Le
cap est mis sur la COP-16, qui devra sauver les meubles à Mexico City l’année prochaine, sous la présidence belge de l’Union
européenne.
Jos Buys
Thomas Hiergens
Jeudi 17 décembre
Les seules négociations qui me restent
encore sont celles du Fonds pour l'adaptation. Les pays en développement veulent absolument un paragraphe invitant les
pays industrialisés à verser de l’argent pour
le fonds. Fait sans précédent, ce fonds est
toutefois alimenté par une taxe sur les crédits d'émission et devrait donc, à terme,
disposer de suffisamment d’argent. Une
fois de plus, nous n’en sortons pas.
Les négociations sur le futur régime climatique avancent par à-coups. Les pays en
développement ont suspendu un chapitre. Le processus est relancé grâce à une
concertation informelle menée par la présidence danoise avec les principaux acteurs.
L’incertitude plane pendant la matinée.
Plusieurs pays en développement refusent
de mettre les ministres au travail. En même
temps, toute "proposition" – d’où qu’elle
vienne – est rejetée d’avance. Il est évident
que les fuites ont laissé des traces.
Vers midi, la décision est prise de laisser
travailler les groupes de négociation sur
les textes non finalisés. Surprise et stupéfaction générales. Quel en est l’objectif ? Les négociations avaient pourtant
été bloquées parce que c’était la paralysie totale et qu’il fallait une réorientation
politique ?
L’Accord qui n’en est pas un
La plus grande faiblesse de l’Accord
de Copenhague, c’est qu’il ne contient
pas de réductions d’émissions contraignantes pour les pays industrialisés, ni
d’objectif à long terme ou de période
de pointe, pas plus que pour les pays
en développement. Toutes les Parties
sont libres de signaler leurs objectifs
à la Convention sur le changement climatique. Toutefois, les objectifs financiers sont spécifiés, tant à court terme
• 30 milliards de dollars pour 2010-2012
• qu’à long terme - 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020.
Le résultat de cet exercice ne tarde pas
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dossier
Agrobiodiversité
© A. Nkakwa, Biodiversity International
Le paysan africain, gardien de la biodiversité
Planter ensemble les plants de bananes
et de poivrons améliore le rendement.
L’agriculteur africain cultive la
biodiversité par pure nécessité.
Et le monde y trouve son compte.
Chacun de nous se fait sa propre idée d'une
entreprise agricole "moderne", grande, aux
allures texanes : de larges parcelles, beaucoup de machines, une seule culture… En
d'autres termes : on pense plutôt à une
industrie qu'à une petite maison dans la
prairie, avec de jolies vaches et des épis de
blé blonds.
Cette agriculture "moderne", conçue pour un
rendement et un bénéfice maximum, brasse
des capitaux importants, Dotée de la plus
haute technologie, elle recourt à d'innombrables intrants externes (engrais, irrigation, pesticides, …), et consiste en de grandes superficies d'une seule et même culture,
impliquant donc très peu de diversité. Ce
type d’agriculture est ce que l’industrie alimentaire moderne réclame aujourd'hui : just
in time delivery, uniformité, et possibilité de
traitement rapide (et donc bon marché).
L'agriculteur africain, lui, souhaite avant tout
un rendement suffisant qui lui permette
d'assurer sa subsistance. A savoir : éviter la
famine pour lui et sa famille. Le plus souvent, il ne dispose pas des moyens nécessaires pour intervenir en cas d'imprévus
comme l'absence de pluies, une saison de
croissance écourtée, les maladies des plan-
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janvier-février
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tes et les dégâts causés par les insectes. Sa
production n'étant que pas d’abord destinée
à la vente, mais prioritairement à sa propre
famille, l'uniformité a moins d'intérêt, à l'instar des impératifs de délais de livraison de
produits. Cette agriculture est avant tout
une agriculture vivrière de subsistance, à la
recherche de la meilleure sécurité. Le tout
avec très peu de capital, des moyens technologiques limités et un minimum de ressources externes.
Pour limiter les risques, l'agriculteur africain
cultive de nombreuses plantes différentes. Il
préfère en outre miser sur plusieurs variétés
d'une même culture qu'il sème pour être sûr
d'en récolter au moins une, si d'aventure la
pluie se faisait attendre par exemple. Il utilise également différentes espèces ou variétés de plantes en fonction de l'usage qu'il
peut en faire. C'est le cas par exemple des
bananes plantain, des bananes à cuire et
des bananes à bière.
Le champ typique de l'agriculteur africain
se compose donc de nombreuses plantes :
bananes, cannes à sucre, manioc, haricots,
maïs, patates douces, papayes…, séparées
en général par quelques arbres et arbustes.
Le paysan mélange aussi des plantes de
hauteurs et d'épaisseurs différentes, par
exemple le maïs, les haricots et les plantes
fourragères. Cette utilisation judicieuse lui
permet de tirer un profit maximum et de sa
terre et de l'ensoleillement. Non seulement
il protège son sol, mais en plus les déchets
des plantes sont recyclés dans la terre. La
diversité est donc essentielle à l'agriculteur,
car c'est grâce à elle qu'il peut garantir sa
sécurité (alimentaire).
Dans cet environnement, souvent composé
de 10 à 20 sortes de plantes sur un même
champ, la diversité animale est également
très riche - petits rongeurs, vers, et insectes de toutes sortes… Un terrain typique
du petit agriculteur africain abrite donc des
trésors de biodiversité. Cette diversité est
essentielle pour lui, mais elle l'est également
à la préservation et à l’accroissement de la
biodiversité mondiale dans des conditions
de terrain.
Le Groupe Consultatif pour la Recherche
Agricole Internationale (CGIAR - Consultative
Group on international Agricultural Research)
l’a bien compris. La plupart des centres
CGIAR s'occupent de quelques plantes bien
définies, et créent des banques de gènes
(p.ex., bananes à la KULeuven, pommes de
terre au CIP, maïs au CIMMYT et à l'IITA, haricots au CIAT - voir tableau). Celles-ci permettent d'améliorer les plantes et de produire
des variétés adaptées à un monde en perpétuel changement, comme du maïs, du blé et
du sorgho résistants à la sécheresse, ou des
bananes, des haricots, du blé et des pommes de terre résistants aux maladies.
Il n'est pas rare de découvrir que des plantes
et des variétés anciennes, encore inconnues
ou tombées dans l'oubli, détiennent ces propriétés qui sont précisément porteuses de
solutions. Une preuve supplémentaire s'il en
est de l'intérêt de la biodiversité.
Ir J. Kalders
DGCD - Politique environnementale et
recherche agricole internationale
online
www.cgiar.org
Les espèces étudiées
dans les centres CGIAR
Riz
(IRRI, CIAT, African Rice)
Blé
(CIMMYT, ICARDA)
Maïs
(CIMMYT, IITA)
Orge
(ICARDA)
Sorgho et Millet
(ICRISAT)
Manioc
(CIAT, IITA)
Pomme de terre
et Patate douce
(CIP)
Igname
(IITA)
Bananes
(Biodiversity
international, IITA)
Pois chiche
(ICARDA, ICRISAT)
Niébé (cowpea) et Soja
(IITA)
Haricots
(CIAT)
Lentilles
(ICARDA)
Pois cajan (pigeon pea)
(ICRISAT)
Noix de coco
(Biodiversity
international)
Arachides
(ICRISAT)
Bétail
(ILRI)
Forêts
(World Agroforestry
Center, CIFOR)
Pêche
(WorldFish)
dossier
Agrobiodiversité
© DGCD / R. Van Vaerenbergh
Les bananes ont de la ressource !
Les variétés de bananes les plus
nombreuses au monde poussent…
dans les banques génétiques à
l'Université catholique de Louvain.
Sous la responsabilité de Biodiversity
International quelques mille deux
cents sortes de bananes y sont
répertoriées et conservées dans de
petites éprouvettes, et sont mises à
la disposition des agriculteurs
des régions tropicales. Le Burundi
par exemple a su en tirer profit.
Une équipe gagnante. Théodomir Rishirumuhirwa a obtenu son diplôme d'ingénieur agronome à Louvain en
1977, et son doctorat à Lausanne en 1997. Il a créé Agrobiotec en 1999, sur une initiative entièrement privée,
dans une maison particulière louée à Bujumbura. C'est entre ces murs qu'a lieu la multiplication in vitro,
tandis que la culture s'effectue dans cinq pépinières réparties sur le territoire burundais. Agrobiotec
emploie quatre-vingts personnes à plein temps. D'ici peu, un tout nouveau labo sera installé et permettra de
produire 2,5 millions de plants par an. Depuis 1991, Rony Swennen est le chef du Laboratorium voor Tropische
Plantenteelt de la K.U.Leuven, qui abrite depuis 1985 une collection de plants de bananes du monde entier.
Entre pipettes et éprouvettes, sous la
lumière blafarde des néons et une température constante de 15°C, nous rencontrons
Théodomir Rishirumuhirwa, le propriétaire
de Agrobiotec, un laboratoire de culture in
vitro à Bujumbura qui s'occupe d'améliorer et de diffuser les diverses variétés de
banane. Le professeur Rony Swennen, responsable de la banque génétique, est également présent.
1 kilogramme de bananes
"90 % des 8,5 millions de Burundais vivent de
l'agriculture. La banane assure un tiers des
revenus de l'agriculteur burundais et représente 45% de la production agricole du pays.
Le Burundais consomme 0,5 à 1 kg de bananes
par jour." Théodomir Rishirumuhirwa souligne d'emblée l'importance de la banane.
"Le Burundi compte environ 70 variétés de
bananes. Ce sont les agriculteurs eux-mêmes
qui perpétuent cette biodiversité, du fait que,
par variété de banane (plantain, à cuire, à
bière) ils cultivent encore d'autres sous-variétés. Il s'agit pour eux d'une part d'une question de goût, de disponibilité et de méthodes de culture, et d'autre part, d'une manière
de répartir les risques. Les plants de banane
sont en effet très sensibles aux maladies et
fléaux qui peuvent affaiblir les récoltes, voire
les ruiner totalement."
Bananes sur mesure
"C'est ici qu'intervient la banque de gènes
et la multiplication in vitro telle que le pratiquent les labos Agrobiotec ou Phytolabo",
explique Rony Swennen. "Au Burundi, les
plants sont tous génétiquement très similaires, et toujours atteints d'une manière ou
d'une autre par des virus, des bactéries, des
champignons ou des parasites. Notre collection nous permet de fournir des plants
sains qui sont destinés à la culture. Nous
pouvons également proposer de nouvelles
variétés qui ont fait l'objet d'études scientifiques et de tests sur le terrain dans environ 50 pays, et dont les chances de survie
dans leur nouvel environnement sont tout
à fait satisfaisantes."
"Les échantillons que nous avons reçus
de Louvain nous permettent de produire
aujourd'hui environ 300.000 plants par an",
continue Rishirumuhirwa. "Ils sont distribués
aux agriculteurs par le biais de la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) ou d'ONG. L'élément
le plus important reste l'acceptation ou non
par les agriculteurs de la nouvelle variété,
car certaines de ses propriétés différeront
de celles de la variété traditionnelle, comme
par exemple le goût, le temps de cuisson ou
le mode de culture. C'est pourquoi nous prévoyons une sélection de différents plants,
pour être sûrs qu'ils y trouvent leur compte.
A ce jour, nous avons déjà introduit 30 à 40
nouvelles variétés."
"Les agriculteurs sont assez ouverts aux
nouvelles cultures", reconnaît Swennen. "La
banane est originaire d'Asie, le manioc du
Brésil, le maïs du Mexique, la pomme de terre
du Pérou, et tous sont maintenant cultivés
en Afrique. Il faut toutefois un certain temps
avant que de nouvelles variétés et leurs techniques soient adoptées, bien plus longtemps
que ne l'exige un projet de développement.
La première priorité des agriculteurs n'est
pas d'accroître leur production, ils veulent
avant tout éviter tout risque pour leurs récoltes. Il ne faut pas essayer de les convaincre à
coups d'études scientifiques, ils doivent voir
les fruits, les sentir et les goûter." En quelque
sorte, il faut y mordre pour y croire...
Reinout Van Vaerenbergh
janvier-février
2010
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dossier
Partenaire
La recherche belge au service
de la biodiversité nigérienne
"Mes feuilles soignent des démangeaisons.
Mes racines sont utilisées contre les maux
de ventre, ou encore la faiblesse sexuelle chez
l’homme. Enfin, je donne des fruits qui sont
consommés directement, ou utilisés en poudre
dans la confiserie. Qui suis-je ?
© Han de Koeijer / KBIN
La réponse à la devinette est :
le jujubier Ziziphus mauritania. Au Niger, cet arbre
est utilisé pour l’alimentation humaine et animale,
la pharmacopée traditionnelle et la tannerie.
Il revêt en outre une valeur symbolique : il ne faut
pas l’abattre, car il a abrité le prophète Mahomet."
Peu farouche, une girafe s’est aventurée aux abords du "Parc National du W".
Extraite de la "Brochure de sensibilisation
sur la biodiversité du Parc National du W
du Niger et de ses environs", cette devinette illustre le caractère primordial de la
biodiversité au Niger, où les besoins de
la population sont satisfaits principalement à partir des ressources biologiques.
Agriculture, élevage, médicaments, artisanat, matériaux de construction : l’exploitation des produits de la biodiversité
contribue à plus de 40 % du PIB du pays.
Mais la biodiversité du Niger est fragilisée.
Le désert sahélo-saharien, qui progresse
chaque année suite aux sécheresses et
aux besoins croissants en bois et en terres agricoles, couvre déjà près de 80 % du
territoire. Seule une mince bande dans
l’extrême sud du pays est verte et boisée.
Dégradation de l’environnement, démographie et pauvreté sont des phénomènes étroitement liés. C’est pourquoi le
développement durable et la conservation de la biodiversité ne peuvent être
dissociés : un tel développement repose
sur une exploitation raisonnée de la biodiversité et des ressources naturelles.
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Une action concrète
de l’Institut royal
des Sciences naturelles
d’information, soutien à des programmes
de sensibilisation et d’éducation.
Il est difficile de protéger ce que l’on ne
connaît pas. Or, à l’heure actuelle, les
connaissances sur la biodiversité restent encore fragmentaires. L’étude de
la biodiversité est l’une des missions
de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRScNB). Elle porte sur
l’exploration et la découverte de la biodiversité, l’étude du fonctionnement des
écosystèmes, l’élaboration de stratégies
de conservation… En tant que Point focal
pour la Convention sur la diversité biologique, l’Institut mobilise aussi son expertise scientifique pour la mise en œuvre de
cet accord international.
La brochure sur le Parc National du W au
Niger, élaborée par le Conseil National de
l’Environnement pour un Développement
Durable (CNEDD) du Niger et l’IRScNB, fait
partie de ces projets. Destinée aux populations riveraines du Parc, elle vise d’abord
les femmes et les jeunes, qui sont les
principaux utilisateurs de la biodiversité.
Concepteur du projet, le CNEDD en est
aussi le maître d’œuvre : mobilisation des
acteurs locaux, organisation de causeries,
élaboration de matériel éducatif, relais
au niveau de la presse… L’IRScNB apportant une aide à la conception et un soutien financier. De telles actions de sensibilisation sont déterminantes, en expliquant
pourquoi la protection de la biodiversité
permet l’amélioration des conditions de
vie et la réduction des conflits liés à l’exploitation des ressources naturelles.
Le soutien de l’IRScNB à la Convention ne
se limite pas à la Belgique. Avec l’appui
de la DGCD, il aide les pays en développement à améliorer leurs connaissances
sur la biodiversité, et à les intégrer dans
les politiques nationales. La clef de la
réussite passe par le renforcement des
capacités et des infrastructures : formations scientifiques et techniques de haut
niveau, aide au déploiement de réseaux
Anne Franklin et Charlotte Degueldre
online
http://ne.chm-cbd.net/
dossier
Equateur
© Pete Oxford / Minden Pictures
Une Constitution pour la nature
De la Cordillère des Andes aux forêts
de l'Amazonie, sans oublier les Iles
Galápagos, l'Equateur concentre en son
territoire un échantillon des principaux
écosystèmes présents en Amérique latine.
Proportionnellement à sa superficie, le petit
pays compte le plus grand nombre d'espèces
animales et végétales recensées sur terre.
Pour protéger cette biodiversité exceptionnelle,
le Président Raphael Correa a adopté une
législation innovatrice.
On compte dans le seul Parc Yasuni davantage de variétés d'arbres
et d'arbustes que dans toute l'Amérique du Nord.
L’Equateur est – avec un territoire huit fois
celui de la Belgique – l’un des plus petits
pays du sous-continent sud-américain. Sa
situation géographique, de part et d'autre
de la ligne éponyme de l'Equateur, lui vaut
une biodiversité exceptionnelle. Les Iles
Galápagos, au large de la côte pacifique du
pays, ont ainsi été le berceau de la théorie
de l'évolution de Darwin.
Priorité à l’économie
L'Equateur est un pays riche en ressources énergétiques, forestières et minières.
L'économie du pays a été longtemps basée
sur l'exploitation de ses sous-sols, de ses
bois et sur la culture intensive de la banane,
dont il est le plus grand exportateur du
monde. Le rendement économique a toujours primé sur la reconnaissance et la protection de la biodiversité du pays. La nature
a souvent été considérée comme un réservoir de richesses dans lequel l’homme pouvait puiser à volonté.
Cette approche se situe à l'opposé de la
vision des Amérindiens, des peuples de
l'Amazonie et des Andes, qui considèrent la
nature et l'homme comme un tout indivisible, en interaction et en interdépendance,
excluant la domination de l'un sur l'autre.
L'enseignement des communautés indiennes a été nié durant des siècles, depuis
la colonisation jusqu’ à tout récemment
encore. Pourtant, un revirement de la situation s'est produit ces dernières années.
Après l’arrivée au pouvoir du Président
Correa en 2007, suivie de l’adoption d’une
nouvelle Constitution, la nature se vit attribuer une toute nouvelle place.
La nature comme sujet de droit
Profitant de la prise de conscience écologique mondiale, le jeune Président a permis à
l'Equateur de se doter de la Constitution la
Le Parc Yasuni, situé à 200 km à l'est de
Quito, présente, selon la communauté
scientifique mondiale, la plus grande
biodiversité de la planète. La zone a été
classée Réserve mondiale de la Biosphère
par l'UNESCO. On recense dans un hectare du parc davantage de variétés d'arbres et d'arbustes que dans toute l'Amérique du Nord. Les Indiens Huaorani, un
peuple de guerriers, défendent, depuis
des siècles, leur droit d'exister.. Pourtant,
l'extraction du pétrole des sous-sols du
parc bouleverse l'équilibre vital de toute
la zone et menace la subsistance des
quelque 2.500 Huaoranis qui y demeurent encore. Comment remédier à cette
situation, alors que l'économie du pays
dépend largement des revenus du
pétrole ? Pour sortir de cette impasse,
le président Correa a lancé une campagne en Equateur et auprès de la communauté internationale. Son objectif :
récolter des fonds qui compenseront la
perte de revenus liée au gel définitif de
l'extraction du pétrole dans le parc. Mais
il faut attendre si le projet réussira.
plus progressiste en terme de protection de
la biodiversité. Le texte de la Constitution
considère la nature comme un ayant droit,
au même titre, que l’homme.
En d'autres termes, elle acquiert des droits
légitimes, tout comme les hommes noirs,
puis les femmes et les enfants s'en sont vu
attribuer au cours de l'histoire de l'humanité. Un exemple concret de l'implication de
cette législation est l'interdiction de facto
des cultures transgéniques en Equateur.
Cette reconceptualisation de la nature participe également à la reconnaissance de la
culture amérindienne. Jusqu’alors oubliés
des gouvernements de leurs pays, les peuples autochtones d'Amérique latine résistent difficilement à la détérioration de leur
milieu de vie. L'exploitation du pétrole et la
déforestation ont déjà mené à la disparition
de nombreuses tribus vivant dans l'Amazonie. Pour garantir l'existence des communautés encore présentes, des mesures
d'urgence sont indispensables. telles que
l’arrêt complet de l'extraction du pétrole
dans les territoires habités. Une telle politique, pour reprendre l'expression de la célèbre écologiste indienne Vandana Shiva, est
l'amorce d'un chemin vers une "démocratie
de la Terre".
Louise Culot
online
L.C.
www.wunderman.com.ec/yasuni-itt
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