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L'ÉQUIPE DU SPECTACLE
ZONE
Texte de Marcel Dubé
Mise en scène de Jean Stéphane Roy
Une production du Théâtre français de Toronto et du Théâtre la Catapulte (Ottawa),
présentée par le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Denise-Pelletier
Du 25 septembre au 18 octobre 2013
Distribution (par ordre alphabétique)
Nicolas Desfossés ........................................... Tarzan
Dave Jenniss ................................................ Moineau
Maxime Lavoie..................................... Passe-Partout
Richard J. Léger ........................................ Le policier
Frédérique Thérien .....................................Ciboulette
Jean-Simon Traversy .................................... Tit-Noir
Concepteurs
et collaborateurs artistiques
Dramaturge ...................................Antoine Côté Legault
Scénographie et accessoires ..............Dominic Manca
Éclairages .............................................Guillaume Houët
Costumes ....................................................... Nina Okens
Conception sonore ....................... Jean-Michel Ouimet
Assistance à la mise en scène
et régie ........................................................ Alain Lauzon
Équipe de production –
Théâtre français de Toronto
Équipe de production –
Théâtre la Catapulte
Direction artistique .........................Jean Stéphane Roy
Direction administrative .........................Sibylle Berger
Agent de production et de tournée. Lindsay Tremblay
Équipe de production –
Théâtre Denise-Pelletier
Direction de production...........................Réjean Paquin
Direction technique ....................Jean-François Landry
Attachée de presse .................................. Isabelle Bleau
Équipe de scène –
Théâtre Denise-Pelletier
Chef machiniste ....................................... Pierre Léveillé
Chef électricien ...................................Michel Chartrand
Chef sonorisateur ..........................................Claude Cyr
Chef habilleuse ...................................Louise Desfossés
Chef cintrier ........................................Pierre Lachapelle
Direction artistique .................................... Guy Mignault
Direction administrative
et financement ........................................ Ghislain Caron
Direction de production.........................Dominic Manca
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L'ÉQUIPE DU SPECTACLE
Le Théâtre français de Toronto
Le Théâtre la Catapulte
En quarante-trois ans d’existence, le Théâtre français
de Toronto (TfT) est devenu un des plus importants
théâtres de langue française hors Québec avec près de
240 productions à son actif. Aujourd’hui le TfT accueille
chaque saison plus de 10 000 spectateurs venus de
toute la région métropolitaine torontoise et du sudouest de l’Ontario et il compte près de mille abonnés.
La saison du TfT comporte cinq spectacles grand public,
deux spectacles pour adolescents et un spectacle pour
enfants. Le TfT joue au Berkeley Street Theatre depuis
1990. Il offre à son public francophone et francophile
un répertoire varié qui comprend créations, œuvres
canadiennes, internationales et grands classiques. Ses
productions partent régulièrement en tournée à travers
l’Ontario et tout le Canada. Compagnie éclectique, le TfT
crée, produit et accueille des productions théâtrales d’ici
et d’ailleurs. La création occupe une place importante
dans la démarche artistique du TfT ; elle est source
d’échanges, de découvertes et de ressourcement. Les
choix artistiques du TfT sont portés par le besoin de
raconter, de surprendre et d’émouvoir les amateurs
de théâtre en français, qu’ils soient des enfants, des
adolescents ou des adultes.
www.theatrefrancais.com
Le Théâtre la Catapulte est une compagnie de
développement et de création enracinée en Ontario
français, proposant des expériences artistiques
audacieuses et contemporaines nourries par la fougue
des artistes en émergence et des artistes établis. Il
assure à ses productions une diffusion importante en
les présentant à ses divers publics, à Ottawa et en tournée
dans l’ensemble du Canada.
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Fondé par un groupe de jeunes artistes sous la direction
de Patrick Leroux en 1992, ce théâtre tourné vers l’avenir
de la pratique théâtrale a présenté plus de 30 productions
professionnelles, et autant de mises en lecture et de
laboratoires publics diffusés sur une échelle régionale,
provinciale et nationale.
Le Théâtre la Catapulte est aujourd’hui perçu comme
une des forces artistiques les plus importantes du Grand
Outaouais et du Canada français. Il s’est mérité de très
nombreux prix locaux, provinciaux et nationaux au cours
des dernières années. Ayant maintenant pignon sur rue,
la visibilité de la compagnie ne cesse de croître.
www.catapulte.ca
PRÉSENTATION ET RÉSUMÉ
Pas de paradis au
fond de la ruelle
Zone raconte l’histoire d’une bande de cinq jeunes
de 16 à 20 ans, issus d’un quartier pauvre de
Montréal, qui ont tous vécu une vie familiale difficile :
parents alcooliques, violence, abandon… Dirigés
par leur chef Tarzan, ils prennent leur destin en
main et s’adonnent à la contrebande de cigarettes
dans l’espoir de gagner suffisamment d’argent
pour surmonter leur misère. Tous les cinq sont
guidés par ce rêve, jusqu’à ce qu’un jour Tarzan
soit surpris par un douanier au moment de sauter
illégalement la frontière américaine. Pris par la
peur et la panique, il perd ses moyens et tue le
douanier… Les cinq contrebandiers devront faire
face à un policier prêt à tout pour savoir la vérité. Et
que deviendra Ciboulette, elle qui est secrètement
amoureuse de Tarzan ?
a Photo: Josée Robidoux, Pauline Traversy,
David McKinney (participants de Wikipedia
Takes Montreal)
Zone est créé par l’équipe de La Jeune Scène le 23
janvier 1953 lors du Festival dramatique de l’Ouest
du Québec dans une mise en scène de Robert
Rivard et des décors de Robert Prévost. La pièce
se mérite les trophées Calvert et Arthur B. Wood,
alors que les comédiens Monique Miller (Ciboulette)
et Raymond Lévesque (Moineau) remportent les prix
d’interprétation. À la clôture de tous les concours
régionaux du Canada, la pièce se voit attribuer le
prix sir Barry Jackson pour la meilleure pièce,
et toute l’équipe est invitée à la grande finale qui
aura lieu à Victoria en Colombie Britannique. Le
juge évaluateur est Pierre Lefebvre, comédien et
metteur en scène du Old
Tarzan voulait sortir ses amis de la ruelle pour les
Vic de Londres. L’équipe
emmener au paradis. Mais la ruelle de leur enfance se
de Zone remporte tous
termine dans un cul-de-sac.
les prix.
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PRÉSENTATION ET RÉSUMÉ
Zone a germé chez le jeune auteur après la lecture
d’un fait divers paru dans un journal, mais aussi en
se souvenant d’une aventure qui lui était arrivée
alors qu’il était étudiant. Pour avoir voulu passer
une fin de semaine à Plattsburg, Marcel Dubé
avait été refoulé à la frontière américaine faute
de papiers d’identité. Comme il s’était rendu sur
le pouce, il n’avait pas voulu rebrousser chemin
et avait attendu la nuit pour traverser la frontière
par les bois. Il n’a jamais oublié la peur ressentie
cette nuit-là.
Mais au-delà du fait divers, Dubé évoque le songe
de l’enfant qui ne veut pas grandir et encore moins
sortir de son milieu. Il nous montre des jeunes
qui ne trouvent pas leur place dans la société et
qui ne trouvent pas d’autre espace que la gang
pour s’affirmer.
b Frontière, Canada/États-Unis, 1959
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Le théâtre de Dubé est un théâtre de personnages.
Comme souvent, Dubé a créé les personnages en
pensant à des comédiens qu’il aimait. Zone aurait été
écrit pour Monique Miller et Guy Godin. Le sort de
ses personnages se confond avec celui du Québec
des années cinquante. Mais aujourd’hui, la pièce
Zone peut être abordée dans toute son actualité.
Ces cinq adolescents demeurent les représentants
de notre société afin que tous puissent s’identifier
au besoin de prise de parole, au besoin de rêver.
Zone, c’est aussi une histoire d’amour qui ne
peut pas se dire. Marcel Dubé l’expliquait ainsi :
« Ciboulette aime Tarzan. En silence. Et Tarzan
l’aime aussi. Mais en image. Il l’aime parce qu’elle lui
suggère des images étranges. Des images de fleur
maladive, de reine cachée, insoumise et sauvage.
Dans le cœur de Ciboulette, l’amour grandit sur
deux plans : celui de l’adoration pour le beau garçon
qu’est Tarzan et celui de l’inquiétude pour le risque
qu’il court ».
PHOTO : DAVID HUNTER
Dès cette époque, Dubé apparaît
déjà comme le plus important des
dramaturges canadiens-français.
PHOTO : ANDRÉ LE COZ
a La Jeune Scène : Julien Plouffe, Hubert Loiselle, Robert Rivard, Guy Godin, Monique Miller,
Marcel Dubé
Chez Tarzan, l’amour a la pureté d’un amour de
douze ans. C’est la première fois qu’il aime, et
la dernière. Au troisième acte, il veut retrouver
Ciboulette, lui avouer son amour et en dessiner
une image sublime : « Laisse-moi te calquer dans
ma tête comme à l’école on calquait des dessins
sur nos tablettes magiques ».
Pour Mario Borges, Tarzan, Ciboulette, PassePartout, Tit-Noir et Moineau choisissent de
« vivre dans l’action, libres d’agir, de penser et
de s’exprimer selon leurs propres choix. […] Zone
est un cri de liberté, d’amour et de compassion. 1»
MARCEL DUBÉ : POUR METTRE
AU MONDE SON PROPRE
THÉÂTRE
Dramaturge prolifique, Marcel Dubé a signé
plusieurs centaines de textes pour la scène,
la radio, la télévision et différents journaux et
magazines auxquels il a collaboré en cinquante
ans de carrière d’écrivain. Il occupe une place
très particulière entre Gratien Gélinas et Michel
Tremblay. D’une extrême sensibilité, son écriture a
ému des générations de spectateurs par la finesse
de son style et l’intelligence de son regard.
Marcel Dubé est né à Montréal en 1930. Il étudie
au collège Sainte-Marie tout près de la salle du
1
Mario Borges, « Zone… à la frontière de la liberté », Revue de théâtre
Jeu, No 106, 2003.
Gesù où se produisaient les Compagnons de SaintLaurent et le Théâtre du Nouveau Monde (TNM).
Alors qu’il est encore au collège, il se fait engager
comme portier, ce qui lui permet de découvrir
de nombreuses pièces, dont Tit-Coq de Gratien
Gélinas. Il se passionne pour l’œuvre des auteurs
dramatiques Jean Giraudoux, Jean Anouilh, Henry
de Montherlant, Jean-Paul Sartre et Albert Camus.
Dès 1949, il se fait connaître avec un recueil de
poèmes intitulé Couleurs des jours mêlés. En 1950,
il commence à écrire des textes pour la radio qui
sont retransmis sur les ondes de Radio-Canada. Il
risque ses premiers textes pour payer ses études en
littérature à l’Université de Montréal. Il veut devenir
professeur de littérature québécoise. En cinq ans,
Radio-Canada diffusera, à la radio, quatorze de ses
dramatiques. En 1951, Dubé fonde avec des amis
une troupe de théâtre, et se consacre dès lors à
sa vocation théâtrale.
Il écrit Zone, sa première pièce en trois actes
en 1952 (elle sera présentée devant public en
1953). L’année 1952, c’est aussi les débuts de la
télévision au Québec. Cet événement est capital
pour Dubé qui verra, de 1952 à 1972, vingt-trois
télé-théâtres et deux feuilletons présentés à la
télévision de Radio-Canada. Comme il vit encore
chez ses parents, il investit tout ce qu’il gagne
à la radio et à la télévision dans la production
de ses pièces de théâtre. Il peut dire qu’il a mis
au monde son propre théâtre : « …pas seulement
ZONE / PAGE 9
PRÉSENTATION ET RÉSUMÉ
Avec ses pièces Zone (1953), Florence (1957),
Un simple soldat (1957), Bilan (1960), Les Beaux
Dimanches (1965), Au retour des oies blanches
(1966), Marcel Dubé a campé des personnages
qui sont devenus des archétypes de la dramaturgie
québécoise, incarnés par des comédiens passionnés
comme Jean Duceppe, Denise Pelletier, Andrée
Lachapelle, Monique Miller, Jean Gascon, Gilles
Pelletier. À ceux qui lui reprochaient d’être noir
et pessimiste, il répondait : « Je ne veux pas être
noir et pessimiste. Je cherche seulement à découvrir
la tragédie chez mes personnages.3 » Même si sa
dernière pièce, L’Amérique à sec, date de 1987,
Marcel Dubé affirme aujourd’hui qu’il pense toujours
au théâtre, ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser à
d’autres écritures : portrait de son amie comédienne
Andrée Lachapelle (Andrée Lachapelle entre ciel et
terre, 1995), livre commenté des œuvres du peintre
Jean-Paul Lemieux (Jean-Paul Lemieux et le livre,
1988), premier roman à l’âge de 70 ans (Yoko ou
le retour à Melbourne, 2000).
Extraits de textes de Véronique Borboens,
publiés dans le No 52 des Cahiers du TDP.
MARCEL DUBÉ,
AUTEUR ENGAGÉ
L’œuvre de Dubé est immense : plus de 300
titres. Mais ce travail titanesque ne l’a pas
empêché de s’engager dans d’autres domaines.
Il a été secrétaire, puis président du Conseil de la
2
3
Extrait d’un entretien réalisé par Marie-Andrée Brault dans Jeu, Revue
de théâtre, No 106, janvier 2003.
Dans Textes et document, de Marcel Dubé, Leméac, collection
Documents, Montréal 1973.
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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND SOURCE LA PRESSE
comme auteur, mais comme producteur, constructeur
de décors (un de mes frères m’aidait), régisseur. Je
concevais aussi les éclairages. Je m’occupais de tout
sauf de la mise en scène.2 » Boursier du Québec en
1953, il voyage en Europe et se rend en France
où il fait des stages dans différentes écoles de
théâtre jusqu’à son retour en 1954.
a Marcel Dubé
langue française, président-directeur général des
Rencontres francophones du Québec et cofondateur
et directeur général du Secrétariat permanent des
peuples francophones.
MARCEL DUBÉ,
FRÉQUEMMENT HONORÉ
Marcel Dubé a reçu plusieurs distinctions
honorifiques dont l’insigne de Chevalier de l’Ordre
de la Pléiade de l’Assemblée internationale des
Parlementaires de langue française (1991) ; la
Médaille de l’Académie canadienne-française (1987)
dont il devient membre ; la médaille de l’Ordre des
francophones d’Amérique (1985) ; le prix Molson
du Conseil des Arts du Canada (1984) ; le prix
b Le Théâtre Denise-Pelletier avant
la restauration de 2009.
Athanase-David du Gouvernement du Québec
(1973) ; le prix Victor-Morin de la Société SaintJean Baptiste de Montréal (1966). En 1962, il est
admis à la Société royale du Canada et il obtient
le Prix du Gouverneur général pour les arts du
spectacle, réalisation artistique (2005)
Un simple soldat est présenté à la Nouvelle
Compagnie Théâtrale (NCT) en 1969 dans la mise
en scène de Gilles Pelletier au Gesù, rue Bleury.
La pièce initie alors le concept de « répertoire
québécois », et c’est la NCT qui en est l’instigatrice.
Florence est joué en 1987 dans la mise en scène
de Lorraine Pintal alors que Jacques Rossi signe
de nouvelles mises en scène de Florence en 2006
et d’Un simple soldat en 2007.
Zone, dans la mise en scène de Paul Blouin, est
le spectacle d’ouverture du Théâtre DenisePelletier (TDP) en 1977. La pièce est reprise par
PHOTO : HÉLÈNE BEAUCHAMP
MARCEL DUBÉ À LA NOUVELLE
COMPAGNIE THÉÂTRALE ET AU
THÉÂTRE DENISE-PELLETIER
les metteurs en scène Jacques Rossi en 1984 et
Mario Borges en 2003. Il était donc tout à fait indiqué
que Zone, sans doute la plus jouée et la mieux
connue des pièces de Marcel Dubé, ouvre la saison
2013-2014, saison du cinquantième anniversaire
de fondation de la compagnie.
PHOTO : ANDRÉ LE COZ
b Zone, décor de Claude Fortin, production d’ouverture du Théâtre Denise-Pelletier, 1977.
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ACTEURS ET PERSONNAGES
NICOLAS DESFOSSÉS
PHOTO : PHYLIP ALAIN
TARZAN
... je me disais: j’aimerais ça sortir d’ici et aller voir
Ciboulette et la prendre par la main et l’amener au
cinéma voir un film, un film de la jungle ou un film
d’amour...je me disais: faudrait bien qu’elle soit
heureuse un jour, faudrait bien que je sois heureux
moi aussi, comme tout le monde le samedi soir dans la
grande rue...
DAVE JENNISS
PHOTO : MARIANNE DUVAL
MOINEAU
T’as raison Ciboulette. Les mots ça veut souvent rien
dire, et en plus, on sait jamais ce que les gens pensent
en dedans. On le sait pour personne. La musique, elle,
a fait pas de mensonge, la musique parle pour vrai,
pas les mots.
MAXIME LAVOIE
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
PASSE-PARTOUT
«Passe-Partout, tu me fais de plus en plus penser à
une araignée, à une araignée qui profite de tout pour se
faire une toile.»
(réplique de Ciboulette)
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RICHART J. LÉGER
PHOTO : MARIE-ÈVE BRA
LE POLICIER
Ça me fait drôle. J'ai un fils qui a le même âge,
pis qui trouve la vie facile.
PHOTO : MARIANNE DUVAL
FRÉDÉRIQUE THÉRIEN
CIBOULETTE
Je suis rien qu’une petite fille, Tarzan, pas raisonnable
et pas belle, mais je peux te donner ma vie.
PHOTO : MARC-ANTOINE ZOUÉKI
JEAN-SIMON TRAVERSY
TIT-NOIR
Donnez-moi la punition que vous voulez, ça m’est égal,
je dirai rien.
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RENCONTRE AVEC JEAN STÉPHANE ROY,
METTEUR EN SCÈNE
Comme acteur, Jean Stéphane Roy s’est illustré
autant du côté canadien-anglais qu’au Québec
et a pris part, par exemple, à The Caucasian
Chalk Circle à Edmonton, Un nouveau monde,
1968 et La Fille de Rapaccini à la Salle FredBarry, Exil de Wajdi Mouawad à Prospero et
Six personnages en quête d’auteur mis en scène
par André Brassard au TNM. Finalement,
comme auteur, Jean Stéphane Roy a signé
plusieurs adaptations pour la Roulotte de la
Ville de Montréal dont Le Capitaine Fracasse
(1995 et 2003) et Zorro (1998 et 2007). Il
s’est établi à Ottawa depuis quelques années
où il enseigne au Département de théâtre de
l’Université d’Ottawa. Depuis 2010, il est à la
tête du Théâtre la Catapulte où il a monté Les
Médecins de Molière, production récipiendaire
du Prix Rideau 2010 de la meilleure production,
et Albertine en cinq temps de Michel Tremblay.
Zone de Marcel Dubé a remporté les Prix
Rideau Awards 2012 pour la meilleure mise en
scène, la meilleure production et le meilleur
décor.
` Jean Stéphane Roy
PAGE 14 / ZONE
PHOTO : DOMINIQUE PRÉGENT
Jean Stéphane Roy cumule depuis 1988
une longue expérience théâtrale. Artiste
multidisciplinaire et pédagogue, il a marqué
la scène tant canadienne que québécoise par
son talent d’acteur, d’auteur, de metteur en
scène et de professeur entre autres, à l’École
nationale de Théâtre du Canada et à l’OptionThéâtre du Collège Lionel-Groulx. Il a signé
jusqu’à maintenant plusieurs mises en scène
pour le Théâtre français de Toronto, le Théâtre
du Nouveau Monde, le Théâtre d’Aujourd’hui,
le Théâtre de la Licorne et la Petite Licorne,
la Salle Fred-Barry du TDP, le Théâtre Petit
à Petit et pour plusieurs autres compagnies
indépendantes à travers le Canada et ce, dans
les deux langues.
MOT DE JEAN STÉPHANE ROY
rappelle que nous avons notre place plus que jamais
sur notre continent et que notre différence fait notre
force.
J’avais lu Zone au secondaire comme presque tous
les francophones de ce pays. J’en avais gardé un
souvenir vague et presque ennuyant. Ma mémoire
d’adolescent me rappelait l’effort que ça prend pour
lire du théâtre. Aujourd’hui, avec des milliers de
pièces lues dans ma vie, je redécouvre Zone avec
émerveillement. Je suis charmé par le jeune homme
de 20 ans qui a pris la peine de sortir son crayon et
osé mettre sur papier ce qui était une révolution : une
pièce dramatique écrite expressément pour nous, les
nègres blancs d’Amérique, les Canadiens français.
Marcel Dubé a littéralement créé une œuvre qui a
touché et qui touche encore notre inconscient collectif.
Zone fut un cri ; il est aujourd’hui l’écho qui nous
2010
Après Les Médecins de Molière et Les Fridolinades de
Gratien Gélinas respectivement mises en scène par
Jean Stéphane Roy et Perry Schneiderman, Zone
de Marcel Dubé est choisi pour être la troisième
coproduction du « projet sur 5 ans » du Théâtre la
Catapulte et du Théâtre français de Toronto. Jean
Stéphane Roy en assumera la mise en scène.
Ce projet est un cycle de coproductions sur cinq
ans afin d’encourager la circulation du théâtre en
Ontario français. Le Théâtre la Catapulte tourne
ses productions pour adolescents depuis plusieurs
années à travers la province. Durant ces tournées,
force est de constater que les spectacles grand
public ne circulent que dans le triangle SudburyOttawa-Toronto. Il faut entreprendre une action
pour pallier à ce manque et permettre à tous
b Les comédiens en résidence de création à
Hearst, en Ontario.
PHOTO : FRANCINE SAVOIE JANSSON
La pièce fut longtemps traitée comme s’il s’agissait
d’un gang de rue. Les protagonistes de Zone ne sont
pas des délinquants, ils sont des hors-la-loi ! Une
bande de Robins des Bois qui prennent aux mieux
nantis afin d’aider les pauvres. La pièce ne parle
pas de violence mais d’espoirs déchus. Pour nous
faire comprendre à quel point ses personnages ont
de bonnes intentions, Marcel Dubé a transposé, à
travers cette bande d’amis, l’histoire du Christ et de
ses apôtres. En faisant de Tarzan la figure allégorique
d’un Christ canadien-français, l’auteur nous aide à
comprendre la fragilité des minorités et les pièges
qui nous entourent. Cette pièce possède le langage
universel des laissés-pour-compte de ce monde. Cette
pièce fut écrite en 1953 dans une période de grande
noirceur politique et économique. Aujourd’hui, avec
le recul du français à travers le pays, y compris au
Québec, avec le gouvernement Harper qui place des
unilingues anglophones dans des postes majeurs du
système parlementaire, avec Air Canada et Postes
Canada qui ne respectent pas la loi sur les langues
officielles, avec la crise économique qui ne cesse de
se manifester, et surtout avec l’imposante reprise de
la contrebande de cigarettes au pays, peut-on dire
que la situation a réellement évolué ?
CARNET DE LA CRÉATION DE
ZONE
ZONE / PAGE 15
RENCONTRE AVEC JEAN STÉPHANE ROY,
METTEUR EN SCÈNE
Pour ce faire, le projet sur 5 ans a été construit
à partir de cette logique artistique : présenter
des textes et des auteurs qui ont façonné
notre culture francophone nord-américaine.
À travers ce voyage, nous créons des
relectures du théâtre de répertoire pour
terminer avec une création francoontarienne comme cinquième et
dernière production du projet.
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Novembre 2010
Tenue d’auditions à Ottawa et Toronto
Janvier 2011
Répétition d’un extrait de 20 minutes avec les
comédiens Nicolas Desfossés, Maxime Lavoie,
Richard J. Léger et Anie Richer qui interprète
Ciboulette. L’envie de dépoussiérer la pièce afin
de lui donner une nouvelle jeunesse commence à
germer dans la tête du metteur en scène.
14 janvier 2011
Présentation de cet extrait à Contact Ontarois au
Centre des Arts Shenkman à Orléans. Le succès
rencontré est tel que la pièce reçoit le Prix du
b Richard J. Léger (le policier) et Nicolas
Desfossés (Tarzan) en répétition à Ottawa
pour Contact ontarois en janvier 2011.
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
les francophones de la province d’avoir accès à
du théâtre professionnel. Ce projet vise donc la
systématisation de l’offre des spectacles grand
public en Ontario français sur une période de 5
ans et cherche à assurer un rayonnement et un
développement culturel sur ce vaste territoire, de
Hearst jusqu’à Windsor, de Thunder Bay jusqu’à
Hawkesbury. Pour ce faire, les deux compagnies
décident de mettre à profit leurs spécificités – celle
de la création de spectacles de répertoire pour
le TfT et celle de créer des spectacles « clé en
main » et d’organiser des tournées sur l’ensemble
du territoire ontarien pour le Théâtre la Catapulte.
Les deux compagnies se sont engagées à
coproduire un spectacle par année pendant cinq
ans tout en respectant les spécificités des salles
non traditionnelles des diffuseurs membres
de Réseau Ontario. Autrement dit, il s’agit de
spectacles complètement autonomes sur le plan
technique. Le but de ce projet artistique de longue
haleine est donc d’offrir au public des régions
éloignées une occasion de développer un sens
critique face au théâtre et aux différents codes
qui le composent. En effet, la réalité culturelle des
régions diffère grandement de celle des zones
urbaines. Contrairement au public urbain habitué
à voir plusieurs formes de théâtre, les spectateurs
des régions ne voient peu ou pas de théâtre et ont
donc peu de chances d’aiguiser leur compréhension
de la diversité des codes scéniques et théâtraux.
` Maxime Lavoie et Richard J. Léger,
Contact ontarois, janvier 2011.
Réseau des Organisateurs de Spectacles de
l’Est du Québec (ROSEQ), qui donne droit à une
« vitrine » lors du ROSEQ événement de diffusion
se tenant à Rimouski, ainsi que le Prix « Coup
de foudre » des diffuseurs pluridisciplinaires de
Réseau Ontario, prix remis pour la première fois
à du théâtre en trente ans d’histoire de Contact
ontarois. Jean Stéphane Roy a réussi le pari de
toucher les spectateurs avec le texte de Marcel
Dubé qui fut pourtant écrit au début des années
1950. Le Prix « Coup de foudre » garantit une
tournée dans tout l’Ontario.
Résidence de création au Conseil des Arts de
Hearst (ville ontarienne située à 935 km au nord
de Toronto). Dave Jenniss et Jean-Simon Traversy
s’ajoutent aussi à la distribution, de même que le
dramaturg Antoine Côté Legault, qui sera chargé
de la recherche autour du spectacle et de l’œuvre
de Dubé, ainsi que de s’assurer que la production
reste fidèle à l’œuvre originale.
Du 12 au 16 décembre 2011
Répétitions à La Nouvelle Scène d’Ottawa. L’idée
de réorganiser l’acte 2 de la pièce, celui des
interrogatoires, nait dans la tête de Jean Stéphane
Roy.
Fin décembre 2011
Jean Stéphane Roy et Antoine Côté Legault
travaillent longuement à la réorganisation du
deuxième acte et à la création d’un prologue.
Souhaitant rajeunir la pièce sans trahir l’œuvre
originale de l’auteur, ils se font la réflexion suivante :
Pour écrire Zone, Marcel Dubé s’est inspiré
beaucoup des films noirs de sa jeunesse. En
s’inspirant du cinéma de notre époque à nous, nous
nous sommes dit que nous devrions pouvoir rendre
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
Du 13 au 16 juin 2011
la pièce plus actuelle sans la dénaturer. Comme le
cinéma contemporain est très déstructuré, nous
sommes allés dans cette direction-là.
La première scène de l’acte 2, le premier
interrogatoire de Tarzan (il y en a deux), est placée
au début de la pièce, devenant ainsi un prologue.
L’acte 2 est ensuite complètement réorganisé (à
l’exception des aveux de Tarzan qui le clôturent) :
les répliques ont été déplacées afin d’entremêler
les différents interrogatoires, sans qu’un moindre
mot du texte ne soit changé.
Janvier 2012
Reprise des répétitions à Toronto.
ZONE / PAGE 17
RENCONTRE AVEC JEAN STÉPHANE ROY,
METTEUR EN SCÈNE
Du 1er au 12 février 2012
Représentations à Toronto.
L’étonnante prestation du policier, tout comme
l’immense détresse du chef de la bande nous font
oublier le fossé historique et culturel qui sépare
notre époque du contexte de grande crise au Québec.
Amandine Sanial, L’Express de Toronto
Représentations à Ottawa. Trente matinées
scolaires sont jouées. La représentation grand
public du 25 février affichant complet dès janvier,
une supplémentaire est programmée le 3 mars.
Elle aussi a lieu à guichet fermé.
Zone c’est d’abord une merveilleuse histoire
d’amour empreinte de lyrisme comme il ne s’en
fait plus beaucoup. Jocelyne Lachance, Liaison,
no 156.
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
Du 20 février au 9 mars 2012
a Jean-Simon Traversy, maquillage
pour la captation vidéo.
Mars, avril et mai 2012
25 et 26 février 2012
Captation de la pièce en vue d’une diffusion sur
TFO, télévision culturelle et éducative de l’Ontario
français.
Tournée dans le nord de l’Ontario – Chapleau,
Kapuskasing, Hearst, Timmins, Sturgeon Falls - et à
Saskatoon (Saskatchewan) dans la programmation
de la Troupe du Jour.
Le journaliste Yves Bergeras du Droit rencontre Jean Stéphane Roy (25 février, 2012).
« Jean Stéphane Roy s’est donné plusieurs défis. Ne pas tomber dans le piège de la nostalgie,
mais lui donner une résonance contemporaine. Faire un mélo, sans tomber dans la caricature.
Soulever l’aspect christique qu’il a trouvé dans le texte. Et adapter le discours politique de
cette pièce écrite pendant la Grande Noirceur. […]
L’action se passe dans les ruelles, des lieux sordides à l’époque. Aujourd’hui, les ruelles
sont vertes et n’évoquent rien de sombre. Alors j’ai fait faire un gros pont métallique, parce
que c’est sous les ponts qu’on trouve désormais les sans-abri. Il sert de tour d’observation
à ces jeunes. […]
Ces jeunes, bien que délinquants, sont en fait des Robins des Bois, et vraiment pas des
criminels. C’est là la force de la pièce, sa charge sociale et politique. »
PAGE 18 / ZONE
Les comédiens jouent avec justesse et précision, par
le verbe et le mouvement. Comme dans d’autres
pièces de la Catapulte, les déplacements tiennent
de la chorégraphie. Mireille Vennes, l’Eau vive
(Saskatoon)
9 novembre 2012
Présentation d’un extrait à la FrancoFête de
Moncton (Nouveau-Brunswick) en vue d’une
éventuelle tournée en Acadie à l’automne 2013,
tout de suite après les représentations au Théâtre
Denise-Pelletier.
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
` Nicolas Desfossés et Maxime Lavoie durant
la vitrine à Contact ontarois en janvier 2011.
Mai 2013
Zone remporte les Prix Rideau Awards 2012 pour
meilleure mise en scène, meilleure production et
meilleur décor.
Novembre 2012
25 septembre – 18 octobre 2013
Répétitions en vue d’une reprise à La Nouvelle
Scène. La distribution est inchangée.
9 avril 2013
Série de représentations au Centre des arts JulietteLassonde de Saint-Hyacinthe (Québec).
Zone est joué en ouverture de la saison 20132014 – saison du 50e anniversaire – au Théâtre
Denise-Pelletier, Montréal (Québec).
Choix des extraits : Hélène Beauchamp
b Les comédiens Nicolas Desfossés, Jean-Simon Traversy et Richard J. Léger en train de
monter le décor pour une représentation en tournée au printemps 2012.
ZONE / PAGE 19
DOSSIER MARCEL DUBÉ DANS L’HISTOIRE
Le théâtre des années 1950
DU THÉÂTRE AMATEUR …
Le Festival d’art dramatique du Canada est sans
doute l’organisme qui aura le plus et le mieux œuvré
pour sortir le théâtre de son amateurisme et pour
conduire ses artistes à une professionnalisation
certaine. Festival compétitif, il est fondé en 1932
sous l’impulsion du gouverneur général Lord
Besborough lors d’une réunion des représentants
des milieux canadiens du théâtre. Le concours est
national, se prépare lors de phases éliminatoires
dans les régions, et les grands gagnants sont
proclamés à la rencontre nationale qui a lieu au
printemps, chaque fois dans une ville différente.
Les trophées sont décernés sur décision d’un
adjudicateur pour l’interprétation, les décors, la
mise en scène, et les grands prix sont attribués
à la meilleure pièce et à la meilleure production.
La tenue du festival est suspendue de 1940 à 1947
et à sa reprise, les compagnies québécoises y
brillent de plus en plus. Les Compagnons de SaintLaurent y obtiennent de grands succès avec, entre
autres, la production d’Antigone (1948). La Jeune
Scène y est fort remarquée avec De l’autre côté
du mur (1951) et Zone (1953) de Marcel Dubé,
productions qui raflent tous les prix. La pièce de
Jacques Languirand, Les Insolites, est primée en
1956, alors que le travail du metteur en scène Paul
Buissonneau et de son Théâtre de Quat’Sous y
est récompensé en 1955 et en 1956. Si le Festival
souligne le talent des comédiens, des metteurs
en scène et des décorateurs, il valorise aussi, et
de plus en plus, les pièces d’auteurs canadiens.
Mais les artistes québécois éprouvent des
insatisfactions face à ce Festival qui est surtout
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anglophone et où se manifestent de façon évidente
les différences entre les cultures. En 1958, Guy
Beaulne, metteur en scène
et alors réalisateur à RadioCanada, fonde l’Association
canadienne du théâtre
amateur (ACTA) dont les
compagnies membres
œuvrent partout au Canada.
En 1972, l’ACTA deviendra
l’Association québécoise
du jeune théâtre (AQJT) qui
concentrera ses énergies
sur l’épanouissement du
théâtre québécois jusqu’en
1986.
a Numéro thématique de Jeu, revue de
théâtre sur plus de vingt ans d’activité de
l’Association québécoise du jeune théâtre
(1958-1980).
DE LA RADIO ET
DE LA TÉLÉVISION …
Les années d’avant-guerre sont marquées par
l’arrivée de la radio. Radio-Canada et CKAC, les
radios francophones les plus importantes au
Québec, diffusent des radios romans, des radios
feuilletons, des radios théâtres. En 1941-1942, la
radio atteint 85% de la population, fait travailler
auteurs et comédiens, et contribue grandement
à la création des personnages et des histoires
qui construiront progressivement une littérature
et une culture québécoises. C’est à CKAC que
Gratien Gélinas crée Fridolin en 1937. Paul Gury
artisans de la scène. On comprend aisément que
Marcel Dubé ait été tenté par tous ces moyens de
diffusion de son œuvre, lui qui vouait un grand
attachement au Québec et qui voulait vivre de
son travail d’écrivain.
DU THÉÂTRE PROFESSIONNEL…
a Gratien Gélinas en Fridolin. Photo : Henri
Paul, vers 1938. Bibliothèque et Archives Canada, numéro de référence : e000001102.
Le Gouriadec écrit la Fiancée du commando, dont
le sous-titre est explicite : Les Aventures de deux
commandos québécois en Bretagne. L’émission,
diffusée trois fois par semaine de 1942 à 1947,
attire un million d’auditeurs. Ce grand récit de
guerre, d’amour et d’aventures sera porté sur la
scène du Monument National en septembre 1947.
La télévision commence à diffuser le 6 septembre
1952 et propose au petit écran un reflet direct de la
société. Dès le milieu des années 1950, 90% des
foyers urbains ont la télévision, et des téléromans
comme La Famille Plouffe, diffusé de 1953 à 1959,
captivent des milliers de téléspectateurs. La
télévision devient vite indispensable.
Les années 1950 sont riches en inventions
techniques, et la multiplication des émissions de
radio et de télévision assure un travail régulier aux
auteurs, aux comédiens et, de façon générale, aux
La période de transition que représentent les années
de guerre 1939-1945 prépare l’avènement du théâtre
professionnel au Canada et au Québec. Dans les
faits, cette période est très riche et témoigne de
tous les possibles. Beaucoup d’artistes fondent
alors leur compagnie qu’ils cherchent à loger dans
des édifices transformables en théâtre. Ils font
preuve d’une inventivité à toute épreuve et d’une
grande envergure. Est-ce parce que tout est à faire
et que, même sans moyens, ils sentent que tout
est possible ? Qu’il est encore permis de rêver
et de réaliser ses rêves ? Les gens de théâtre se
mettent à l’essai de tous les styles et de tous les
genres, renouvellent le répertoire et donnent tout
son sens à la mise en scène. Les années 1950
foisonnent des aventures de celles et ceux qui
n’ont pas froid aux yeux et qui se lancent sans
filet de sécurité, sans subvention, en ne sachant
pas tout à fait quels spectateurs ils toucheront.
Ils le font avec détermination et avec un grand
amour du théâtre !
Les Compagnons de Saint-Laurent, fondés en 1937,
donneront en quelque sorte le ton. En choisissant
de monter des textes d’inspiration chrétienne
d’abord, puis tirés des répertoires classique et
moderne, ils ouvrent la voie. Et quand la compagnie
cesse de produire en 1952, les comédiens qui s’y
trouvaient essaiment, mettant sur pied d’autres
structures de production, comme le Théâtre du
Nouveau Monde (TNM) en 1951. Pierre Dagenais,
tout jeune homme issu du Collège Sainte-Marie,
fonde L’Équipe en 1943, et se lance dans des mises
en scène d’envergure à partir du répertoire moderne
(Cocteau, Pagnol, Sartre, Salacrou). Joignant leurs
ZONE / PAGE 21
DOSSIER
forces, Yvette Brind’Amour et Mercedes Palomino
fondent le Théâtre du Rideau Vert (TRV) en 1948
et amorcent prudemment des saisons où quelques
productions choisies sont montées soit dans le
petit Théâtre Anjou soit au Monument National.
Le TRV crée du Félix Leclerc, monte du Guitry, du
Musset, mais aussi Huis-Clos de Sartre en 1958.
C’est l’époque de la constitution des publics alors
que les spectateurs commencent à reconnaître
leurs propres goûts, que les comédiens sont en
mesure de jouer le même spectacle sur un mois
dans une saison théâtrale qui va du début octobre
à la fin juin.
Le Théâtre-Club, fondé en 1953 diffusera des œuvres
de haute qualité sous la direction de Monique
Lepage et de Jacques Létourneau jusqu’en 1964.
La compagnie ouvre son Studio du Théâtre-Club en
1958 et y crée les premiers textes dramatiques de
Jacques Ferron. Paul Buissonneau, grand animateur
de La Roulotte, théâtre ambulant des parcs de la
Ville de Montréal, fonde le Théâtre de Quat’Sous
en 1955. Quant aux Apprentis- Sorciers, fondés
en 1955 également, ils choisissent les auteurs de
l’avant-garde européenne et conduisent leur quête
d’un théâtre différent jusqu’au seuil du Théâtre
d’Aujourd’hui. Jeanine Beaubien, pour sa part,
rêve d’un théâtre international qui présenterait
des textes de langues et de cultures différentes,
et elle construit un théâtre à l’intérieur des murs
d’une ancienne poudrière dans l’Île Sainte-Hélène
en 1958.
PHOTO : HÉLÈNE BEAUCHAMP
b Le Théâtre de Quat’Sous avant sa reconstruction en 2009.
PAGE 22 / ZONE
PHOTO : ANDRÉ LE COZ
a Zone (1977), mise en scène de Paul Blouin, NCT. Marielle Bernard (Ciboulette), Jean Leclerc
(Tarzan).
On le constate : tout est à inventer pendant ces
années d’après-guerre et les artistes s’y lancent
avec une avidité et un entrain qui annulent
l’attentisme de la période précédente. La liste des
réalisations impressionne, tant du point de vue du
renouvellement du répertoire que de l’ouverture
des salles de théâtre ou encore des innovations
techniques. Et il faut aller vite pour rattraper le
temps perdu et pour accueillir l’Expo 67 !
Hélène Beauchamp, texte extrait du dossier
sur Un simple soldat, Cahier No 68, 2007.
Le 17 octobre 1977 le Théâtre DenisePelletier ouvrait ses portes avec Zone
donné en série « Répertoire » et en série
« Op Théâtre ». 86 représentations furent
données devant 68 632 spectateurs dans
la mise en scène de Paul Blouin, les décors
de Claude Fortin, les costumes de François
Barbeau, les éclairages de Luc Marineau, la
musique de Claude Léveillée. Distribution :
Jean-Pierre Bergeron, Marielle Bernard,
Yvan Canuel, Jean Leclerc, Marc Messier,
Aubert Pallascio, Michel Pasquier, Marc
Picard, Jacques Thériault.
ZONE / PAGE 23
DOSSIER
` Marcel Dubé,
dessin de Paul Blouin, 1977.
Marcel Dubé
en 1977…
Extraits du texte d’Alain Pontaut publié
dans le Cahier d’octobre 1977.
Est-ce sa longue et fructueuse carrière d’auteur
dramatique ? Est-ce cette célébrité qu’il connut
dès l’âge de vingt ans, au début des années 1950 ?
Est-ce son appartenance depuis de nombreuses
années à l’Académie canadienne-française ou à
la docte Société royale du Canada ? Le fait est
que Marcel Dubé est depuis longtemps considéré
dans son pays comme un écrivain classique. Si
classique, voire si vénérable, comme on dit d’un
âge qu’il est vénérable, que des voix plus ou moins
juvéniles d’amateurs, de critiques ou d’auteurs
[…] nous invitent périodiquement à déjà le figer
dans le Panthéon des gloires passées, c’est-àdire dépassées, à très respectueusement, mais
un peu vite, le momifier dans la crypte où l’on
met les ancêtres.
Or, plutôt que de pratiquer à l’égard de Dubé cet
escamotage inconvenant – je connais peu d’êtres
plus jeunes et vivants que lui -, mieux vaut, en
attendant son œuvre future, rappeler à partir de
Zone quelques-unes des raisons qui ont rendu son
PAGE 24 / ZONE
nom indissociable de l’identité même du théâtre
québécois.
L’IDENTITÉ MÊME DU THÉÂTRE
QUÉBÉCOIS
Car c’est là le premier phénomène. Quand, il y
a 27 ans, le rideau se leva pour la première fois
sur la première pièce de Marcel Dubé, les trois
coups qu’on frappa ce soir-là n’annoncèrent pas
que l’avènement d’un dramaturge mais, dans une
large mesure, la naissance du théâtre québécois.
C’est son premier mérite, et qui n’est pas seulement
un mérite du hasard. Quand il commence, à vingt
ans, avant lui il n’y a presque rien. Quelques années
plus tard, et à chaque fois que lui ou d’autres
s’exprimeront sur un théâtre, on parlera beaucoup,
alors, de la scène québécoise mais parce que lui,
d’abord, l’aura fondée1.
1
Il n’est pas question de nier l’importance du Tit-Coq de Gratien
Gélinas, créé en 1948. Il nous semble […] que le mérite de cette
pièce, à mi-distance des variétés, fructueux laboratoire, et du théâtre
de mélodrame, est davantage circonstanciel et historique que
dramatique.
À vingt ans, Dubé écrit donc sa première pièce, Le
Bal triste. À vingt-deux ans, en 1952, il obtient le Prix
de la meilleure pièce canadienne au Festival d’art
dramatique avec De l’autre côté du mur, brouillon ou
ébauche de Zone, créé par la Jeune Scène l’année
suivante et qui, cette fois, remporte tous les prix.
Cette naissance de Dubé au théâtre a la chance de
coïncider avec la fondation des grandes compagnies
théâtrales et avec une autre naissance capitale :
celle de la télévision, pour laquelle il ne cessera
plus d’écrire. D’ailleurs, présentée en circuit fermé
par Radio-Canada en 1952, De l’autre côté du mur
(1952) est aussi la première œuvre dramatique de
la télévision, ce qui n’est que justice puisqu’elle
marque le théâtre québécois naissant.
Zone, dont le succès ne s’est pas démenti, c’est d’un
coup la poignante vérité du sujet, du personnage,
du débat dramatique, du langage. L’accueil fait
à la pièce permet à son auteur de se consacrer
entièrement au théâtre, de parfaire son métier
d’auteur, d’assimiler ses influences, de Tchékhov à
Jean Anouilh, d’Arthur Miller à Irving Shaw. 1955,
c’est Chambre à louer, Le Barrage, Le Naufragé. En
1957, c’est coup sur coup deux pièces majeures,
d’abord écrites pour la télévision, Florence et Un
simple soldat, qui, avec Le Temps des lilas, vont
clore le cycle de cette première période, vouée à
la peinture des petites gens, du réalisme le plus
efficacement sensible, empreint de poésie populaire.
UN SUCCÈS PUBLIC
CONSIDÉRABLE
À partir de mai 1958, Un simple soldat, drame d’un
adolescent révolté, par refus de vieillir, par refus
de la société nouvelle issue de la guerre, connaît
un succès public considérable, que ce soit à la
Comédie Canadienne, où les reprises se succèdent,
au Capitol de Québec ou à la Nouvelle Compagnie
Théâtrale, où brille encore l’actualité de l’œuvre
PHOTO : ANDRÉ LE COZ.
b Monique Miller (Denise) et Guy Godin (Fred) dans De l’autre côté du mur, 1951.
ZONE / PAGE 25
DOSSIER
longtemps après la création. « L’autre soir, écrit
un journaliste nommé René Lévesque, j’ai eu la
chance de voir à Québec Un simple soldat de Marcel
Dubé. Car j’ai vu ce qui, à mon avis, est la pièce la
plus drue et vraie qu’on ait encore tirée de nous. »
Jugement de la critique en effet : ce drame est « l’un
des plus profondément émouvants du répertoire
québécois ». Commentaire de l’auteur : « Joseph
Latour, le simple soldat, c’est un adolescent en
guerre contre famille et société mais qui demeure
un personnage très pur, qui ne fait mal à ceux qui
l’aiment que parce que, congénitalement, il était fait
pour vivre harmonieusement. C’est, à travers tout
ce que j’ai écrit, le personnage qui représente le
plus ce que j’avais à crier quand j’avais son âge. »
effectivement tous les schémas futurs du théâtre
de la contestation sociale, de la réidentification
québécoise.
Du refus de l’adolescence à la vieillesse doublement
menacée : c’est tout pétris d’une émotion à la fois
discrète et tragique que les personnages du Temps
des lilas […] sont voués à des rêves d’humaine
continuité que viennent d’autant détruire l’injustice
sociale que leur propre manque de courage.
b Couverture de la publication de Florence
en 1960, Institut littéraire du Québec, Ltée.
Et puis Florence (1957), Antigone de bureau,
Florence qui se heurte brutalement, au nom de
sa vérité, à la médiocrité des siens (dont son père,
réveillé, conviendra), à un monde de sclérose et
de peur, Florence ou la dénonciation farouche de
l’étroitesse larvée de tant de « p’tites vies plates ».
« À part nous autres, le reste du monde n’était
fait que de méchants. Pas de plaisirs permis, du
mal partout ! On nous a appris à avoir peur des
fantômes pendant qu’on nous dépouillait de nos
vrais biens… ».
Une période s’achève qui, inventant, en s’amorçant,
le théâtre québécois, fournit aussi par avance,
avec la mise en question de Florence, les thèmes
d’avenir de ce théâtre : finale de Médium saignant
de Françoise Loranger, canevas désaliénants des
Enfants de Chénier de Jean-Claude Germain, grandes
scènes profondément révélatrices des Belles-sœurs
de Michel Tremblay. Dubé, avec Florence, invente
PAGE 26 / ZONE
LA DESCRIPTION POLITIQUE,
AVEC INTENSITÉ
À partir de 1960, c’est une autre période qui
s’amorce où on le voit passer de l’étude sensible,
poétique des petites gens au réalisme psychologique
et bourgeois du monde des parvenus. « À la place
des rêves, dit un critique, ils ont l’argent ; au lieu
des aspirations obscures et des illusions, une
volonté terriblement lucide d’arriver à leurs fins. »
De Florence, le projecteur se déplace en direction du
patron de Florence, ou de ses semblables : William
dans Bilan (1968), Victor des Beaux dimanches
(1965). Des hommes qui se sont fait tout seuls
et qui ont, comme on dit, réussi dans l’industrie,
dans la finance ou dans la politique. Des hommes
« arrivés », assurément, mais sur le plan moral,
arrivés en mauvais état.
Autre expérience, plus ambitieuse encore : sans
rien abandonner du social et du politique, Au
retour des oies blanches, créé en 1966, à la Comédie
Canadienne, tente, par le langage, la hiératisation,
le symbole, par l’implacable des passions et du
destin, une ambitieuse démarche en direction, cette
fois, de la tragédie.
En fait, un triple élan anime ce théâtre. En lui,
il y a la volonté d’intensité du miroir social, de
la description politique, amorcée dans Florence,
imposée dans Les Beaux Dimanches, reprise dans
Pauvre Amour (1968), Un matin comme les autres
(1968), Le Coup de l’étrier (1969). Il y a le don de
l’observation psychologique, de l’acuité et de
la différenciation de l’âme des personnages. Il
y a enfin la solution au problème si débattu du
véhicule linguistique, obsession, invention de
la langue, condition nécessaire à l’existence de
l’œuvre théâtrale, en même temps qu’à son vœu
de libération.
« Au départ, dit Marcel Dubé, vers le début des
années 1950, le problème de la langue se posait
d’autant plus que le public n’existait pas au
théâtre. Ou bien les auteurs ne parlaient pas la
langue du peuple, ou bien les gens, en général, ne
s’exprimaient pas. Alors il s’agissait, au moyen de
leur langue à eux, une langue à inventer mais de
telle sorte qu’elle fût la leur, d’exprimer des choses
qu’ils n’avaient jamais exprimées à voix haute. […]
Je pense que c’est respecter le public, tous les
gens de tous les niveaux, que de faire s’exprimer
même le réalisme théâtral le plus populaire dans
une langue correcte. Au reste, les tenants les plus
acharnés du joual en viendront et en viennent
déjà à s’exprimer dans ce langage correct qu’on
appelle le français. Je pense que, malgré nous,
inévitablement, nous tendons vers une perfection
et que, fût-ce au théâtre, un langage, c’est une
chose perfectible. »
Ce qui revient à dire que, pour fonder le théâtre
québécois au début des années 1950, il fallait avant
tout lui trouver un langage adéquat et pourtant
respectueux de lui-même, et que Marcel Dubé a
aussi gagné en son temps ce pari difficile.
UNE ŒUVRE MULTIFORME
Cela fait bien des titres à sa gloire. Cela dote aussi
de bien des facettes une œuvre qui n’a pas cessé
d’être multiforme. Dubé a touché avec bonheur :
à la comédie, sentimentale et musicale avec,
par exemple Il est une saison (1966), inspirée du
Misanthrope de Molière, légère et satirique avec
L’Impromptu de Québec ou Le Testament (1974),
inspirée du Légataire universel de Régnard ; au
ballet avec, entre autres, Jérémie (1972) ; à la poésie
avec le sobre lyrisme des Poèmes de sable (1974),
et bien sûr au téléroman avec les innombrables
épisodes de qualité de La Côte de sable (1960-1962)
ou De 9 à 5 (1963 à 1966), de Virginie (1968) ou de
Manuel. Jusqu’à ce grave et farouche constat de
notre système éducatif et humain qu’est le récent
Réformiste (1977), son œuvre est trop prolifique
pour être ici dénombrée en son entier.
Mais ce qu’il faut redire, c’est que, outre sa rare
continuité, sa lucidité généreuse, ses massives
qualités – thèmes, langage, construction –
d’invention théâtrale, le théâtre de Marcel Dubé
exprime surtout dans l’évolution de ses personnages
une identité et un sort qui coïncident étroitement
avec ceux du Québec contemporain. Ainsi, créant le
fait théâtral québécois, continue-t-il de constituer en
son domaine, après quelque trente ans de profusion,
un monde de l’essentiel et un parfait miroir.
ZONE / PAGE 27
DOSSIER
Extraits d’un entretien avec Marcel Dubé réalisé
en septembre 1977 par Micheline La France et
publié dans le même Cahier d’octobre 1977.
Marcel Dubé, en écrivant Zone en 1953,
rêviez-vous déjà de devenir auteur
dramatique ?
Non, pas du tout. J’avais vingt-trois ans, j’étais
encore aux études et j’avais écrit, l’année
précédente, De l’autre côté du mur, où l’on peut
b Marcel Dubé à l’époque des études classiques au collège Sainte-Marie. Photo tirée
du livre de Maximilien Laroche, Marcel Dubé,
Fides, 1970
retrouver une ébauche des personnages de Zone.
Avec un groupe d’amis, on a eu envie de retenter
l’expérience et je dois dire que le succès de Zone
nous a tous pris par surprise. Bien sûr, nous étions
conscients de présenter un spectacle de qualité
mais nous ne mesurions pas les implications
sociales de la pièce. Nous ne nous attentions pas
à une telle réception de la part du public.
Personnellement, j’ai subi un choc ; ma vie a été
complètement bouleversée. Du jour au lendemain
j’étais amené, sans préparation aucune, à consacrer
ma vie à l’écriture dramatique. C’est merveilleux,
bien sûr, mais extrêmement difficile. Le métier est
exigeant. L’une des premières difficultés fut pour
moi de me détacher des personnages de Zone.
J’étais littéralement hanté par eux.
Vous arrive-t-il encore de rêver à Tarzan,
d’imaginer par exemple, s’il avait vécu,
quel type d’homme il serait devenu à
quarante-cinq ans ?
Oui, je crois que Tarzan, aujourd’hui, aurait deux
possibilités : ou bien il aurait le goût et l’énergie de
réformer sa société, ou alors, il la fuirait carrément.
Vous le placeriez à une croisée des chemins
ou vous choisiriez pour lui l’une de ces
deux voies ?
Je ne choisis pas. Je pose des jalons, et dès que
les personnages sont nés, ils se meuvent d’euxmêmes. Ce n’est pas moi qui les dirige ; ce sont
eux qui me dictent leurs comportements, leurs
paroles. Moi, je suis à l’écoute d’eux.
Dans votre théâtre, la véritable finale est
souvent en suspens ; vous ne la donnez
pas au public.
Je préfère, en effet, les pièces qui n’ont pas de
finale proprement dite. Cela permet au public de
PAGE 28 / ZONE
a Dessin de la main de Marcel Dubé par Paul Blouin en 1977.
réfléchir, de s’impliquer davantage. Je refuse de
réfléchir à la place du public. Si le théâtre ne se
prolonge pas dans la vie, à quoi sert-il ?
Après vingt-cinq ans de production intense,
comment voyez-vous le théâtre au Québec
et le vôtre particulièrement ?
Je pense qu’il y a eu, depuis une quinzaine
d’années – depuis le début des années 1960 –,
énormément de changements au Québec ; certains
ont été profonds, d’autres superficiels. Dans tous
les domaines. Le théâtre a été touché, bien sûr, par
ces changements. Il nous reste à voir clair dans
tout ça. Personnellement, j’ai besoin de m’éloigner
un peu du théâtre, de faire autre chose.
Marcel Dubé, êtes-vous nostalgique par
rapport à votre jeunesse, à vos vingt ans ?
Je pense que les moments qu’on a connu à vingt
ans sont irremplaçables. On y a vécu un certain
bonheur indéfinissable, qui parfois nous rendait
malheureux parce qu’on n’arrivait pas à le définir
et qu’on sentait qu’il n’allait pas durer. Je suis
toujours idéaliste.
Si c’était à refaire, je tenterais de voyager davantage,
d’observer sans relâche ; je perdrais moins de
temps. Non pas que j’estime avoir vraiment perdu
mon temps, mais je tenterais de donner à ma vie
une orientation plus précise.
Et vous abandonneriez l’écriture ?
Non, pas complètement, mais j’ai besoin de prendre
mon temps, et peut-être d’aborder d’autres genres
que le théâtre : le roman, ou la poésie, par exemple.
Je veux m’accorder du temps d’observation, de
réflexion.
ZONE / PAGE 29
DOSSIER
PHOTO : ANDRÉ LE COZ
Les personnages
de Marcel Dubé
a Un simple soldat (1968-1969) mise en scène de Gilles Pelletier, NCT. Robert Rivard et
Gilles Pelletier.
Les écrivains, Marcel Dubé tout autant que Gabrielle
Roy, Roger Lemelin, Michel Tremblay, s’entraînent
à voir et à entendre ce qui se passe autour d’eux.
C’est comme s’ils notaient dans de petits carnets, ou
imprimaient dans leur mémoire sensible ce qui les
étonne, les offusque, les conforte, les fait rire, les
émeut dans ce qui les entoure. Pour Marcel Dubé,
c’est là que réside le premier travail de l’écrivain,
dans cette sensibilité au monde et aux personnes,
à ce qui est humain. « Rien ne me touche que ce
qui est d’abord et avant tout humain. » Et il crée
son « monde » en passant par la transposition et
la composition. Le « Monde de Marcel Dubé » est
ainsi fabriqué à partir des liens que l’auteur a
tissés avec les personnes, leurs histoires, leurs
émotions telles qu’il les a perçues et qui, par le
travail de l’invention, arrivent à l’existence.
Auteur sensible, à l’écoute de ce qui se passe autour
de lui, attentif à son époque et aux personnes qui en
PAGE 30 / ZONE
témoignent, Marcel Dubé a bien dessiné les fonds
de scène de ses fictions théâtrales. Et dans ces
paysages urbains et socialement identifiables, il
place ses personnages comme autant de repères, de
voyants lumineux. C’est en effet à ses personnages
qu’il confie la tâche délicate de se faire les témoins
privilégiés de ces années qui s’échelonnent de
1945 à 1970, ces années d’après-guerre qui
annoncent, pour le Québec et pour le monde, des
transformations fondamentales. Comment ses
personnages auraient-ils pu résister aux vagues
de fond qui se déclenchent alors?
DE GRANDS RÉVOLTÉS
Les plus évidents des personnages de Dubé, les
« héros » de ses pièces, sont manifestement en
révolte. Quelque chose dans leur vie les a cassés,
quelque chose ne s’est pas déroulé comme cela
aurait dû. Leur environnement, les conditions qui
leur sont faites ne leur conviennent pas et ils
comprennent que d’autres situations que la leur
existent. Sont-elles meilleures? Ils ne le savent pas,
mais ils décident, poussés par une émotion venue
de loin ou bousculés par un événement récent, de
risquer le tout pour le tout afin de le savoir. Ont-ils
les moyens nécessaires pour y accéder? Ils ne sont
ni riches ni instruits, ils manquent d’information.
Mais ces êtres sont marqués au sceau d’un grand
idéal, de façon indélébile. Ils ne peuvent donc pas
faire autrement que de se révolter. Ils ont en quelque
sorte un territoire à reconquérir, qu’ils n’ont peutêtre jamais habité mais dont ils savent qu’il existe
quelque part. Leur a-t-on volé leur espace, ou ne
leur a-t-on jamais laissé la chance de l’occuper?
C’est comme s’ils se battaient pour vivre, contre
tout ce qui leur échappe. Ils sont des « révoltés de
la vie » selon la belle expression de Marcel Dubé.
La plupart du temps, ils sont seuls, agissant sur
un coup de tête, un « ras le bol », sur un déclic,
et ils se lancent, sans plan de match.
dans Zone, est le chef d’un groupe de jeunes
dont il a organisé le fonctionnement au mieux de
sa connaissance pour mener les opérations de
contrebande de cigarettes. Sa motivation? Ne plus
être esclave d’un travail abrutissant. Il sait ce dont
il ne veut plus. Autour de lui, les rêves varient selon
les individus. Moineau veut apprendre la musique et
acheter une musique à bouche « plus longue avec
beaucoup de clés et beaucoup de notes ». Tit-Noir
aurait voulu s’instruire. Le groupe a son lieu de
ralliement, des règles de conduite et des codes de
communication. Le chef, charismatique, est aimé,
mais il sera trahi. En définitive, c’est leur condition
sociale qui freine leur quête. Le chef de police
avertit Tarzan : « On ne sort pas de sa condition
sociale comme on sort d’une salle de cinéma, les
yeux remplis d’images, la tête bourrée de rêves… ».
La concrétisation de leur idéal dépendrait de leur
capacité à changer de classe en jouant de la fortune.
Le rêve entrevu est inatteignable, mais l’action de
ces personnages demeure exemplaire.
Ces personnages se battent en effet, ne se tiennent
pas pour défaits avant d’avoir tout tenté. Tarzan,
Dans Un simple soldat, Joseph Latour a choisi de
s’enrôler dans l’armée, entre autre pour quitter
PHOTO : MICHEL GAGNÉ
b Un simple soldat (1989-1990), mise en scène de René Richard Cyr, NCT. Gildor Roy (Joseph),
Jean Lajeunesse (Édouard).
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DOSSIER
une maison où il lui est impossible de vivre. Il a
découvert que la discipline militaire lui convient,
qu’il aime ce métier, mais une fois la guerre finie, il
est obligé de revenir dans une société qui ne peut lui
fournir les repères identitaires qu’il cherche et, sans
grade, il se retrouve au chômage. Dans cette société
qui en est à se réorganiser économiquement, il
peine à trouver sa place et décide de se réengager.
William Larose, dans Bilan, a profité, lui, du pays
« tout neuf » qu’il a trouvé à son retour de la guerre.
« Je me suis lancé avec Gaston dans le débossage
des autos, ensuite dans le béton, pour finir dans
la construction et le pavage. Au bout de dix ans,
j’avais gagné mon premier million… » Où en est-il
maintenant? Il a accepté le titre « d’organisateur
en chef et de grand argentier » du parti politique
qui ne l’a jamais renié. Mais son fils Étienne, mal à
l’aise dans la maison de son père, lui oppose des
refus. « Tout ce qui l’intéresse, c’est la maudite
sociologie, l’indépendance et le socialisme. C’est
comme une maladie, il veut pas en démordre. (…)
J’ai une allergie pour les révoltés. » Étienne meurt
dans un accident de voiture.
Le regard du dramaturge se pose sur le système
politique et sur ses acteurs, un système pourri de
l’intérieur, dépassé par un nouvel ordre mondial que
l’après-guerre met en place, et désormais grugé par
une économie mondialisée. Dans Au retour des oies
blanches, l’auteur met en procès une bourgeoisie
qui vit dans le confort du mensonge pour protéger
un certain statu quo. Ici, c’est Geneviève qui se
révolte de façon systématique et qui mène une
enquête aux allures de jeu de la vérité. L’enjeu est
de mettre enfin au jour les relations incestueuses
qui se sont tissées dans sa famille et de mettre
chacun des personnages face à lui-même. Certains
assumeront cette mise à nu, alors que d’autres en
PHOTO :JEAN-FRANÇOIS LANDRY
b Un simple soldat (2007-2008), mise en scène de Jacques Rossi, coproduction TDP, Théâtre
de la Bordée et Productions JBH. Raymond Legault (Édouard), Louis-Olivier Maufffette
(Joseph).
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PHOTO :JEAN-FRANÇOIS LANDRY
a Un simple soldat (2007-2008), mise en scène de Jacques Rossi, coproduction TDP, Théâtre
de la Bordée et Productions JBH. Annie Charland (Marguerite), Marie Ginette Guay (Bertha).
seront incapables. C’est toute une société, encore
fermée sur elle-même, encore soumise et hypocrite,
qui est mise en procès par cette héroïne qui, une
fois ses dénonciations effectuées, ne peut plus
accepter d’y vivre. Quel est donc le message que
nous transmettent ces grands révoltés?
DES FEMMES DÉTERMINÉES
Marcel Dubé semble affectionner tout
particulièrement ses personnages féminins qui,
pourtant, n’ont vraiment pas la vie facile. Leurs
révoltes sont multiformes et, surtout, elles ne
sont pas spontanées, mais marquent plutôt
l’aboutissement d’un long cheminement. En fait,
les femmes qui veulent vraiment survivre n’ont qu’un
seul choix : partir. Elles doivent quitter le milieu qui
les opprime – et il s’agit souvent de la famille et
de la maison – mais on ne sait pas toujours si leur
départ leur procure la réalisation de leurs rêves.
Ce que l’on sait, c’est que les femmes qui restent
– dans la maison, dans la famille, dans le couple
– s’en évadent par l’alcool, les drogues légales
que sont les médicaments, ou périssent d’ennui.
On dépeint souvent les jeunes personnages
féminins des pièces de Dubé comme étant
naïves, et on leur attribue la pureté du regard et
la détermination. Dans Zone, Ciboulette, une de
ses premières héroïnes, est portée par une réelle
intransigeance qui donne à ses répliques un ton
tragique. Elle est toute acquise au projet de Tarzan,
pour qui elle a quitté sa famille et dont elle est
l’alliée la plus sûre. Il reconnaît sa force morale et
sa fidélité, mais quand la pièce se termine sur la
mort de Tarzan, on ne sait pas ce qui l’attend, elle.
Les personnages féminins dans Un simple soldat et
dans Florence sont plus nombreux et différenciés,
entre autres parce qu’ils relèvent de générations
successives. Les mères, qui sont de la génération
née au début du siècle – Bertha dans le premier
cas, Antoinette dans le second –, semblent figées
dans un passé qu’elles ne veulent pas remettre
en question. Ce serait trop déstabilisant de quitter
le statu quo qu’elles ont érigé en guise de mur
protecteur autour de leurs émotions réelles –
qu’elles ne connaissent pas vraiment – et pour
éloigner les rêves qui pourraient surgir. Si Bertha
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DOSSIER
Marguerite, la fille aînée de Bertha, a un destin
absolument terrible. Elle est de cette génération née
vers 1920, et elle n’a connu que la crise économique
dans une société non structurée et dans une ville
livrée aux magouilles. Sans éducation et sans
statut social, incapable de trouver en elle-même
l’énergie nécessaire au refus et à la révolte, elle
est en quelque sorte livrée au marché du travail
et finalement aux souteneurs et à la prostitution.
Et personne, semble-t-il, ne peut l’aider.
Fleurette, sa petite sœur, a 21 ans à la fin d’Un
simple soldat. Elle reçoit positivement, semble-t-il,
les conseils d’Émile, ami de son frère Joseph, qui
lui recommande de quitter la maison de Bertha, de
partir. C’est Joseph qui l’aurait voulu, ajoute-t-il,
certain que cet argument la touchera. « Sors de
ta rue, beauté, cours ta chance. » Elle a connu une
déception amoureuse, a compris à cette occasion
quelle était sa condition sociale, et elle sait sans
doute ce qu’elle devra faire pour se trouver, par
exemple, un emploi de secrétaire. Elle se trouve
sensiblement dans la même situation que Florence
lors de son embauche à l’agence William Miller
Advertising. Florence a manifestement suivi
une formation, elle parle l’anglais et travaille en
ville. Il lui reste à quitter sa famille et la maison
familiale et c’est son amie Suzanne qui lui en fait
la suggestion. « Sais-tu ce que tu devrais faire,
Florence ? Prendre un peu plus de temps pour
réfléchir. Laisser ta famille, te trouver une chambre
quelque part, connaître le plaisir d’être libre avant
d’enchaîner ta vie à celle d’un autre. » Florence
partira peut-être vers New York. C’est en tout cas
la lumière qu’elle vient d’allumer pour elle-même
au bout de son épreuve.
Les personnages féminins qui se révoltent, on le
constate, le font autrement que les personnages
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PHOTO : VALVOURT-PANNETON
rêve de déménager avec son fils dans un bungalow
tout neuf, Antoinette, elle, refuse même d’envisager
qu’elle pourrait éprouver un désir quelconque.
a Florence (1987-1988), mise en scène
de Lorraine Pintal, NCT. Marcel Leboeuf
(Maurice), Sylvie Gosselin (Florence).
masculins. Elles le font après mûre réflexion, ce qui
ne signifie pas pour autant que leurs refus soient
plus faciles à assumer. Elles semblent planifier
leurs départs, conscientes sans doute du fait que
c’est l’emploi bien rémunéré qui leur procurera
la liberté qu’elles cherchent, et la possibilité de
s'autodéterminer. Mais rien ne garantit le succès
de leurs démarches. Geneviève, dans Au retour des
oies blanches, planifiera très bien sa sortie, même
si c’est vers le suicide, en menant cette enquête
où elle met toutes les lâchetés en accusation.
UNE SOCIÉTÉ CONTRE
SES POÈTES
Les premiers textes de Dubé – De l’autre côté du
mur (1951), Zone (1953), Chambres à louer (1953) –
sont d’une écriture où le réalisme des situations et
des dialogues s’accorde avec un souffle poétique
certain. On y sent même des élans qui pourraient
rappeler ceux du dramaturge Paul Claudel, en même
temps que certaines marques du théâtre de Beckett.
(En attendant Godot est écrit en 1948). On y sent
un lyrisme qui s’articulera de multiples façons
dans l’ensemble de ses textes, selon qu’il sera
mis au service de la poésie, de l’expression de
personnages artistes ou de l’engagement politique.
Cette attirance pour la poésie est constante
chez Dubé et elle se manifeste également par
la création de personnages d’artistes qui sont
sans doute les plus malmenés de son théâtre.
On pense immédiatement à Moineau, dans Zone,
dont l’harmonica, avec ses notes mélancoliques,
est le plus fidèle allié en même temps que l’image
même de son rêve. La musique, dit-il « fait pas de
mensonges, la musique parle pour vrai, pas les
mots… ». Adrien, le fiancé de Simone dans Chambres
à louer est pianiste au Honeymoon, sans doute
situé quelque part sur la Main, un bar qui « n’est
pas aussi bien que le Rialto ou le Café Royal ».
Mais Adrien espère qu’un jour, peut-être, il jouera
en concert. « On ne sait jamais. » François, le
frère de Simone, est le poète philosophe, l’étudiant
romantique qui incarne en quelque sorte l’amour
impossible, thème que l’on retrouve dans toutes
les pièces de Dubé.
Le mystérieux Vincent Marquis du Temps des lilas
a été peintre avant de faire la guerre, de s’engager
politiquement, d’être emprisonné et de s’exiler
pendant 20 ans. Il n’a plus de famille, et il revient
à la peinture en même temps qu’à la vie dans le
jardin de Blanche et Virgile. Mais les événements
le trahissent. L’art est sans doute un refuge, mais il
ne protège pas des assauts d’une société en mal de
vengeance. Étienne, sociologue et socialiste, est le
personnage de Bilan qu’on peut le plus associer à
une attitude divergente, et il meurt avec Élise dans
PHOTO : ANDRÉ LE COZ
b Zone (1979-1980), mise en scène de Gilles Pelletier, NCT, Johanne Seymour (Ciboulette),
Daniel Gadouas (Tarzan).
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DOSSIER
un accident qui ressemble beaucoup à un suicide.
Étienne était critique de la société pourrie par
l’argent, les trahisons et les manigances politiques
dans laquelle il était incapable de vivre.
Robert, dans Au retour des oies blanches, est celui
qui écrit, mais il estime qu’il ne sera bientôt plus que
l’ombre d’un homme. « Je regarde, je me souviens
et j’écris. Mais je ne vis pas vraiment. Je suis une
sorte de robot. »
Toutes les issues semblent bouchées pour ces
personnages qui refusent de s’inscrire dans
une société qu’ils perçoivent comme étant
matériellement engagée mais socialement injuste.
Ils ne parviennent pas à y trouver d’accomplissement
satisfaisant ni dans l’action, ni en politique, ni en
art. Sont-ils si mal accordés à leur époque qu’il
leur est impossible d’y trouver une quelconque
satisfaction? Leur idéal est-il plus ambitieux que
ce que leur société est en mesure de leur offrir?
En définitive, c’est toute une société que Dubé
met en procès dans son théâtre, une société qui
s’est laissée dépasser par l’Histoire et qui peine
à y trouver sa place. Ce sont conséquemment
les personnages qui sont livrées à eux-mêmes,
abandonnés à leur sort individuel. Les projets de
société ne sont pas encore élaborés dans ce Québec
des années 1960. Les héros et les héroïnes de
Dubé auraient-ils applaudi à la victoire de Jean
Lesage en 1960 ou à celle de René Lévesque et
du Parti Québécois en 1976 ? Auraient-ils brandi
les casseroles du Printemps érable ? La question
reste entière.
Hélène Beauchamp, texte extrait du dossier sur
Un simple soldat, Cahier No 68, 2007.
PHOTO : JOSÉE LAMBERT
b Zone (1984-1985), mise en scène de Jacques Rossi, NCT. Jean-Guy Viau (le Chef),
René-Richard Cyr (Passe-Partout), Jacques Rossi (Roger).
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PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
Marcel Dubé en 2013 …
a Richard J. Léger, Jean-Simon Traversy, Dave Jenniss, Maxime Lavoie, Frédérique Thérien,
Nicolas Desfossés.
Antoine Côté Legault a rédigé le document d’accompagnement de Zone pour le Théâtre la
Catapulte. Voici comment il présente la pièce aux jeunes en 2013.
ZONE… À LA BASE DE NOTRE
TRADITION THÉÂTRALE
En fait, non seulement Zone (1953) est-elle une
œuvre importante, mais elle se trouve à la base
même de notre tradition théâtrale locale. Cette
pièce de Marcel Dubé et Tit-Coq de Gratien Gélinas
(1948) constituent les premiers textes théâtraux
proprement canadiens-français. À l’époque où ils
sont écrits, l’influence culturelle de la France reste
dominante sur les artistes d’ici, au théâtre certes,
où on joue principalement des textes étrangers,
mais aussi en chanson par exemple.
Ainsi, en plus des acteurs, tous les chansonniers
québécois emploient une diction et un parler
« franchouillard » jusqu’aux années 1950. C’est à
cette époque qu’on peut entendre pour la première
fois Félix Leclerc afficher ses origines sans pudeur
dans ses chansons, tant dans sa langue que dans
les thèmes dont il traite. Ironiquement, ce poète et
chansonnier ne sera reconnu au Québec qu’une fois
l’avoir été en France par un important impresario
de l’époque. Il faut toutefois attendre les années
1960 pour que plusieurs importants auteurscompositeurs-interprètes suivent les traces de
Leclerc, Gilles Vigneault, Jean-Pierre Ferland,
Claude Léveillé, qui composa d’ailleurs la musique
pour l’une des productions de la pièce Zone. Il
ne faut pourtant pas croire que le combat contre
l’influence culturelle de la France était déjà gagné
à cette époque. Même Robert Charlebois, chanteur
populaire qu'on reconnaît aujourd'hui comme un
fier utilisateur d'une langue vulgaire et relâchée,
employait durant les années 1960, au début de sa
carrière, une langue et un accent français.
Avant la fin des années 1940 et le début des années
1950, période durant laquelle sont présentées TitCoq de Gratien Gélinas et Zone de Marcel Dubé sur
les scènes d’ici, de nombreux acteurs canadiensfrançais jouent des pièces presque exclusivement
ZONE / PAGE 37
DOSSIER
dans ces spectacles voués au divertissement,
dans lesquels les interprètes n’hésitent pas à
utiliser un humour gras pour s’attirer la faveur du
public. On se souviendra tout de même du nombre
impressionnant de spectateurs qui assistaient à
ces spectacles improvisés et du nom de plusieurs
interprètes réputés : La Poune, Olivier Guimond
(père et fils), Juliette et Arthur Pétrie.
improvisées dans leur langue naturelle, celle du
peuple. Ces pièces, dites burlesques, allient rire et
divertissement, dans une forme faite d’un collage
de sketches humoristiques, de numéros de chant,
de danse et même de cirque. Ces spectacles, qui
changent complètement d’un soir à l’autre selon
l’inspiration des interprètes et les réactions du
public, sont véritablement les seules œuvres
théâtrales de la première moitié du XXe siècle
à refléter la réalité canadienne-française avant
Tit-Coq et Zone.
Durant la saison 2010-2011, le Théâtre français
de Toronto et le Théâtre la Catapulte ont repris
conjointement Les Fridolinades de Gratien Gélinas,
comédien et auteur de cette tradition burlesque.
À chaque fin d’année, à la manière du Bye Bye
de Radio-Canada, ce dernier avait l’habitude
de produire des spectacles à sketchs inspirés
des événements qui avaient marqué l’année. Le
personnage principal incarné par Gélinas portait
le nom de Fridolin, d’où Les Fridolinades. Suite à
cet hommage du Théâtre français de Toronto et
du Théâtre la Catapulte à cette tradition de pièces
à sketchs, souvent improvisées par les acteurs, il
allait de soi de proposer l’un des premiers textes
de théâtre canadien-français. Les Fridolinades
(1938-1946) précèdent d’à peine quelques années
la création de Zone.
Malheureusement, en raison de leur caractère
improvisé, très peu de traces nous restent de
celles-ci. Cela est d’autant vrai qu’ils sont snobés
de plusieurs, qui ne trouvent aucune noblesse
b Nicolas Desfossés, Maxime Lavoie,
Frédérique Thérien.
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
UN THÉÂTRE CANADIENFRANÇAIS
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À l'époque, Zone (1953) et Un simple soldat (1957),
une autre des premières pièces de Marcel Dubé,
offrent au peuple canadien-français un reflet
authentique de sa réalité en utilisant ses mots
de tous les jours. Ces œuvres forment aussi une
sorte d’appel à la libération du peuple canadienfrançais, un peuple soumis à l’emprise de la religion
catholique, soumis aux valeurs traditionnalistes (si
ce n’est pas rétrogades) de Maurice Duplessis, un
peuple pauvre qu’on définissait aussi souvent comme
étant « né pour un petit pain ». Sans véritablement
le savoir, par cet appel à la libération de son peuple,
Marcel Dubé annonçait la Révolution tranquille.
Mettre pour la première fois sur une scène des
personnages canadiens-français, c’était une
véritable révolution, qui a permis au peuple
canadien-français de prendre conscience de sa
situation et d’avoir envie de se battre pour changer
les choses. Tit-Coq, le soldat bâtard de la pièce
de Gélinas, Joseph Latour, le soldat canadienfrançais brisé par la guerre d’Un simple soldat et
les jeunes, pauvres et quasi-orphelins de Zone,
ont certainement été un ingrédient essentiel à
ce qu’une révolution plus grande puisse éclater
durant les années 1960 et 1970.
DUBÉ DANS LE REGARD
D’AUJOURD’HUI
La Jeunesse révoltée
On le sait, l’adolescence est une période
fondamentale pour la formation de notre
personnalité où éclatent les conflits de génération.
Dans l’extrait suivant, André Durand explique très
bien le rapport entre la pièce et l’adolescence.
Zone montre le caractère crucial de l’adolescence,
l‘état de passage où l’illicite est roi, période
marquée par la volonté de rupture avec les
parents, par le désir d’un autre monde, et, en
même temps, par le nécessaire passage à l’état
adulte, par l’acceptation du monde tel qu’il est.
Marcel Dubé a magnifié en ses personnages leur
attachement à ce paradis du rêve où l’enfance
cherche à se perpétuer. Puis il a montré que les
paradis sont des illusions, que se réfugier dans
cet espoir ne peut conduire qu’à un « réveil »
pénible, à l’échec sinon au drame.
La pièce consacre donc l’impossibilité du rêve,
la victoire définitive et fatale du réel sur le rêve.
Mais ce passage au réel se fait par l’amour qui,
au-delà de sa simple découverte qui a lieu dans la
pièce, aurait été, le couple se formant, la famille se
profilant, l’acceptation de responsabilités.
Au moment de la reprise de sa pièce en 2003,
ne s’étonnant pas de sa constante actualité de sa
pièce, Marcel Dubé déclara : « La jeunesse, qu’on
le veuille ou non, est marginale tant qu’elle n’est
pas devenue adulte. Marginale, non dans un sens
pessimiste, mais dans le sens où elle a des droits
sans avoir d’obligations ni de responsabilités.
Cela dit, je crois qu’il est encore plus difficile
d’être jeune aujourd’hui1.
La Bande
Refusant le monde des adultes, les jeunes de la
bande de Tarzan se recréent une nouvelle famille qui
fonctionne selon ses propres règles. Peu importe
ce qu’en diront leurs parents, peu importe les lois
que la société dicte, accéder à la liberté constitue
un idéal pour lequel ils sont prêts à tout sacrifier. La
bande, c’est le symbole même du refus des jeunes
de se plier aux règles du monde des adultes, le
symbole même de la révolte que tous les jeunes
doivent vivre avant d’être capables de passer à l’âge
adulte. Tarzan, Ciboulette, Passe-Partout, Tit-Noir
et Moineau ont des parents violents, alcooliques,
absents et ils refusent de reproduire ce modèle
parental. En se rassemblant et en s’entraidant,
ils espèrent pouvoir couper avec leurs racines
et accéder à une meilleure situation. Comme les
adolescents de toutes les époques, ils ont aussi
besoin de tester les limites de la moralité et de
la légalité avant de les accepter. Pour les gens
de milieux défavorisés, la bande peut devenir la
seule véritable famille. Dans un article2, Hugo
Thérien analyse l'importance de la gang chez les
adolescents.
Selon Dubé, le nœud de la pièce réside dans sa
tragédie quotidienne et humaine. Il écrit dans
une courte préface : « Les cinq adolescents
de Zone […] portent en eux les thèmes et les
drames qui composent le paysage humain et
1
2
André Durand sur www.comptoirlitteraire.com
hugotherien.wordpress.com/2009/12/01/zone-de-marcel-dube
ZONE / PAGE 39
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
DOSSIER
a Frédérique Thérien, Dave Jenniss, Maxime Lavoie.
lunaire de la vie. […] Au premier regard, ils n’ont
rien de tragique. Leurs allures quotidiennes nous
détourneraient facilement d’eux, mais comme ils
se demandent devant nous pourquoi ils vivent,
leurs dialogues et leurs gestes nous poussent à
la compréhension et peut-être à la pitié. » Cette
pièce relate un comportement humain propre aux
adolescents et aux jeunes adultes qui à cause
de certains facteurs, comme la pauvreté, les
difficultés d’adaptation, les familles désunies
et le manque d’autorité parentale, ainsi que le
décrochage scolaire fuient le nid familial pour
se regrouper en bande. De ce fait, la bande
remplace la famille, c’est l’occasion de jouer
un rôle, d’être quelqu’un, d’y sentir une chaleur
affective, de vivre un sentiment de sécurité et
de solidarité apaisant l’inquiétude et l’anxiété.
Les membres sont présents, ils soutiennent et
écoutent sans juger. Chacun veille sur l’autre
et peu importe ce qui arrive, le groupe sera une
des dernières choses que le jeune remettra en
question. D’ailleurs, l’enjeu de la pièce tourne
autour de la fidélité d’un des membres du
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groupe (Passe-Partout) qui, par jalousie, tente
de faire tomber le chef de la bande (Tarzan). Le
phénomène ne diffère que très peu entre les
bandes des années 50 et celles d’aujourd’hui. […]
La pièce de Dubé traite aussi d’un phénomène
majeur dans la vie d’un adolescent qui est
implicitement présenté dans Zone ; l’identification
à un groupe. La trame narrative de la pièce fait
état de cette quête identitaire lorsque le chef de
la bande demande aux membres du groupe à quel
point ils sont solidaires et unis. Pour réussir leur
coup, ils doivent compter les uns sur les autres.
Cependant, Passe-Partout, ne se considérant pas
comme un membre à part entière, trahit leur chef
pour son compte personnel. La quête identitaire
à l’adolescence, hors du contexte familial, est un
phénomène naturel dans l’évolution de l’homme,
une tendance essentielle pour trouver sa place
comme individu dans la société. L’adhésion (à
différents niveaux) à un groupe, criminalisé ou
non, semble donc nécessaire pour se forger,
se construire. L’affirmation de l’identité du
groupe passe par la confrontation avec les
valeurs traditionnelles, le groupe devant être
anticonformiste pour montrer sa différence et
s’établir comme étant unique et à part entière.
Cette thématique est très moderniste dans la
mesure où cette quête identitaire n’apparait que
lorsque le modèle familial traditionnel explose,
où la rupture avec le monde religieux s’impose.
À ce moment, l’homme se retrouve sans base,
il ne sait plus d’où il vient et où il va. Rejoindre
un groupe et s'identifier à ses pairs devient donc
une source de sécurité et de valorisation en
dehors des religions ou de la famille.
Par sa langue et par son écriture, l’écrivain
transporte le spectateur dans un univers
troublant de vraisemblance, tout en gardant
un caractère poétique et imagé.
La religion catholique
Durant les années 1940 et 1950, et même plus tard,
les jeunes comme Marcel Dubé sont éduqués par les
Frères et les Sœurs de l’Église Catholique. Ceux-ci
enseignent donc le français, les mathématiques et
les autres matières obligatoires, mais ils forment
aussi l’esprit selon la morale catholique. Pour ce
faire, les enseignants emploient un livre appelé
Le Petit Catéchisme, qui fonctionne selon une
logique de question-réponse. Par cette structure,
on limite grandement le développement de la pensée
individuelle.
Sans doute en raison de l’éducation de Marcel Dubé,
sa pièce est imprégnée de symboles religieux. Dans
sa description du décor de la pièce, Dubé insère
l’un des plus importants symboles catholiques,
la croix : « des cordes à linge vides traversent
la scène, accrochées à un poteau croche planté
derrière la palissade et dont le travers du haut,
donne l’impression d’une pauvre croix toute maigre,
sans larron ni Christ dessus ». À la toute fin de
la pièce, c’est Tarzan, tué alors qu’il essaie de se
sauver des policiers en passant par le toit des
hangars, qui remplira le rôle du Christ. Il annonce
en effet un monde meilleur avant d’être tué, malgré
la noblesse de l’idéal de liberté qu’il défend. La
bande qui accompagne Tarzan est en quelque
sorte le groupe d’apôtres qu’il a su rassembler
et Passe-Partout est - comme Judas - celui qui
vendra son chef. Sinon, Le Chef - comme Ponce
Pilate - est celui qui doit juger Tarzan et ses apôtres.
Finalement, au moment où vous assisterez à la
pièce, il est fort probable que vous remarquerez
des références aux sept péchés capitaux ou aux
dix commandements, dans la façon dont les jeunes
envisagent le monde.
Entre moralité et légalité
L’une des plus grandes qualités de la pièce Zone
est qu’elle ne nous met pas face à des oppositions
tranchées. Tout sujet abordé par la pièce devient
matière à débat. Bien que les jeunes de la bande
de Tarzan soient hors-la-loi, il leur semble tout à
fait moral d’emprunter des moyens illégaux pour
sortir de leur misère, puisqu’ils n’en ont pas
d’autres. Sont-ils vraiment des bandits alors ou
est-ce que leur misère et leur pauvreté justifient de
détourner les lois ? Est-ce que Passe-Partout est
profondément malhonnête et méchant, ou n’a-t-il
pas seulement vécu une vie tellement dure qu’il a
dû apprendre à voler et à mentir pour survivre ?
Le Chef a-t-il vraiment envie de condamner ces
jeunes gens dépourvus ou ne les comprend-il pas,
eux qui au fond essayent seulement de s’en sortir ?
N’est-ce pas injuste que Tarzan meure alors qu’il
défendait une noble cause ?
QUEL GENRE DRAMATIQUE
POUR ZONE ?
Le mélodrame est un genre théâtral né en France
au début des années 1800, qui se définit comme
une « tragédie populaire », pour reprendre les mots
ZONE / PAGE 41
DOSSIER
même les moins sensibles d’entre nous à verser
une larme : au comble de l’épuisement, le beau
Jack (Leonardo DiCaprio) se laisse couler et se
noie dans les eaux glacées de l’Atlantique sous
les yeux horrifiés de sa chère Rose (Kate Winslet)
qui elle, survivra et en gardera le souvenir jusqu’à
la fin de ses jours.
de Charles Nodier. Contrairement aux tragédies
de Racine ou de Corneille, qui donnaient aux
aristocrates du XVIIe siècle une vision noble et
héroïque d’eux-mêmes, le mélodrame est d’abord
conçu pour les gens du peuple, pour ceux « qui
ne savent pas lire », explique Pixérécourt, auteur
considéré comme étant le père du mélodrame.
Ces pièces de théâtre accessibles, guidées par
le désir de provoquer l'émotion et les larmes
du spectateur, attirent de grandes foules, dans
lesquelles se retrouvent des gens de toutes les
classes sociales. Au XXe siècle, les techniques
du mélodrame sont reprises par plusieurs formes
d’art populaire comme le cinéma et la télévision.
En plus de la définition générale que nous en avons
donnée, on peut relever plusieurs caractéristiques
propres à la forme mélodramatique. De nos
jours, les techniques du mélodrame nous sont
très familières puisque le cinéma et les séries
télévisées populaires les emploient couramment.
Le mélodrame
Avec de la musique
Très rapidement, les gens d’ici apprécient
grandement les mélodrames de toutes sortes. Il suffit
de penser au film à succès La Petite Aurore l’enfantmartyr (1952), adaptation d’une pièce de théâtre
qui connut pas moins de 5000 représentations
entre 1921 et 1950. On peut aussi penser à la série
télévisée Les Belles Histoires des pays d’en haut et son
célèbre personnage de Séraphin (1956-1970). Outre
cela, les héritiers contemporains du mélodrame
seraient certainement les séries dramatiques à la
télé (Trauma, La Promesse, Destinées...), les comédies
dramatiques et les comédies romantiques du cinéma
(Titanic, Le Journal de Bridget Jones, Cyrano de
Bergerac...). Les romans-savons (ou soap-opera)
de la télévision comme Les Feux de l’amour et les
romans Harlequin reposent sur une même quête
de l’émotion et des larmes.
Elle prend toujours une place très importante dans le
mélodrame, et sa fonction est d’amplifier l’émotion.
Dans les scènes particulièrement tragiques, la
musique est souvent utilisée comme un moyen pour
nous tirer une larme. De nos jours, on est habitué
à ce genre de trame sonore qu’on retrouve dans
les films populaires et les séries télévisées. Le film
Titanic ne serait certainement pas aussi émouvant
si ce n’était de la fameuse chanson My Heart Will
Go On de Céline Dion. Lorsque vous écoutez la télé,
portez attention à la présence de la musique dans
les séries dramatiques. Un roman-savon comme
Les Feux de l’amour ou même une série dramatique
comme Trauma y ont souvent recours, à un point
tel qu’il est parfois difficile d’entendre les dialogues
sous cette avalanche de musique. La présence
constante de la musique semble dans certains
cas avoir pour objectif d’enterrer des dialogues
pauvres ou mal écrits. Ainsi, même si une scène
n’est pas si émouvante, elle peut nous toucher
uniquement en raison de son enrobage musical.
Ces héritiers contemporains du mélodrame se
caractérisent tous par une intrigue déchirante, des
rebondissements inattendus, un amour impossible
ou romantique. Pensons par exemple à la version
cinématographique de Titanic, dans laquelle deux
amants vivent un amour impossible en raison de
leurs différences de classe sociale. Le film se clos
justement sur une scène déchirante qui amène
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Un traître (ou un méchant)
En repensant à différents exemples de mélodrames,
nous pouvons aisément trouver dans la majorité
d’entre eux un personnage qu’on aime détester,
puisqu’il fait souffrir le héros ou l’héroïne de
l’histoire. De nos jours, plusieurs films, séries
dramatiques et romans-savon ont eux aussi leur
« bitch » ou leur « chien sale »- pour reprendre nos
mots de tous les jours - qu’on se plaît à détester.
Une victime
Selon la logique mélodramatique, le héros ou
l’héroïne des pièces de théâtre, des films et des
séries télé sont victimes des manigances ou de la
méchanceté du traître. C’est le cas de Rose, dans
Titanic, qui doit se soumettre à la volonté de celui à
qui elle est promise. C’est pareil pour le personnage
de Donalda dans Les Belles Histoires des pays d’en
haut, qui souffre de son union avec Séraphin. Ces
personnages de victimes nous inspirent une pitié
et une émotion des plus sincères. Une émotion
par laquelle on se laisse emporter avec le plus
grand des plaisirs.
Des situations déchirantes
Tout bon mélodrame comporte une histoire d’amour
impossible ou tout autre type de situation déchirante
qui nous inspire la tristesse, la pitié ou la peur.
Un personnage peut donc révéler dans une scène
particulièrement triste qu’il est orphelin et même
faire face à un ennemi terrifiant comme le fait
Harry Potter. Dans un cas comme dans l’autre, cela
« viendra nous chercher » en tant que spectateur.
C’est justement ce qui nous attire lorsqu’on va
au cinéma ou au théâtre. Et on est même prêt à
accepter sans difficulté que l’histoire soit « tirée
par les cheveux », tant et aussi longtemps qu’il
se passe quelque chose.
PHOTO : SYLVAIN SABATIÉ
b Nicolas Desfossés, Frédérique Thérien.
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DOSSIER
Le mélodrame dans Zone
L’histoire et les personnages de la pièce de Dubé
répondent directement à la logique mélodramatique.
Au moment de voir la pièce, vous pourrez constater
vous-même à quels moments la musique est
employée et en quoi elle permet d’amplifier
l’émotion. Dans le cas des autres caractéristiques,
on les retrouve directement dans le texte de la
pièce. Le traître est très certainement incarné
par le personnage de Passe-Partout et la victime
par celui de Ciboulette. Passe-Partout fait très
certainement souffrir Ciboulette par des avances
répétées et des commentaires méchants à l’égard
de Tarzan, particulièrement durant les derniers
moments de la pièce, quand celui-ci risque d’être
condamné à mort. Passe-Partout est aussi celui qui
est le moins vigilant lorsqu’il fait de la contrebande,
contrairement à ce qu’exige le chef, et celui qui
trahit Tarzan et la bande durant les interrogatoires
de peur d’être emprisonné et par souci de profiter
de la situation pour remplacer Tarzan dans le
rôle de chef.
Zone comporte aussi de nombreuses situations
déchirantes. Passe-Partout fait preuve d’une grande
cruauté à l’égard des autres. À l’égard de Moineau,
parce qu’il est moins intelligent et ne se défend
pas lorsqu’il est frappé, de Ciboulette, parce qu’elle
est une amante potentielle et qu’elle aime Tarzan,
finalement à l’égard de Tarzan parce qu’il veut
obtenir son rôle. Ciboulette et Tarzan refusent de
vivre leur amour de peur de compromettre leur
rêve de s’en sortir grâce à la contrebande. Pareil
au Christ, Tarzan meurt alors qu’il défendait une
cause noble et qu’il a su rassembler et inspirer les
autres membres de la bande. C’est sans doute là le
plus gros du déchirant et du tragique de la pièce.
Le personnage de Tarzan est d’ailleurs empreint
d’une grande empathie à l’égard des autres.
Qui aurait accepté d’aider quelqu’un d’aussi
malhonnête que Passe-Partout sinon quelqu’un
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de profondément bon ? De la même façon, comme
le Christ qui tisse des liens avec tous les êtres
placés en marge de la société, il donne sa chance
à tous les membres de la bande, dont Moineau,
qui n’a pas l’intelligence ni la vivacité d’esprit des
jeunes de son âge.
Comme au cinéma
On l’a compris aisément, le cinéma d’aujourd’hui
emploie plusieurs techniques mélodramatiques :
flot de musique pour augmenter l’émotion, histoires
d’amour impossibles, intrigues déchirantes pleines
de rebondissements inattendus... De son côté, la
pièce Zone renferme elle-même des références
cinématographiques. Rappelons à ce titre que durant
le début des années 1950, quand la pièce a été
écrite, la télévision n’était pas encore répandue.
De nos jours, les adolescents peuvent trouver des
modèles à la télé ou chez les chanteurs populaires,
mais dans les années 1950, les modèles proposés
aux jeunes adultes étaient à peu près exclusivement
ceux du cinéma. Les super-héros du grand écran et
des bandes dessinées comme Tarzan ou Superman,
les héros de films policiers auxquels Tarzan fait
référence lors de son interrogatoire, les amoureux
au cœur pur des films romantiques sont autant
de modèles qui ont forgé l’imaginaire des jeunes
adultes de l’époque de Zone.
On retrouve d’ailleurs dans la pièce une référence
directe à ces héros de cinéma dans le nom des
personnages, qui sont tous des noms inventés :
Tarzan, Ciboulette, Passe-Partout, Tit-Noir,
Moineau. Ciboulette semble incarner par moment
l’image classique au cinéma de la jeune femme
emportée par l’émotion embrassant tendrement
son amoureux au son du violon. D’ailleurs, dans
la pièce Zone, Le Chef est décrit comme portant
un long imperméable bleu foncé et un chapeau
gris, une référence aux policiers des films noirs
des années 1950.
POUR EN SAVOIR PLUS...
Marcel Dubé grandit en lisant Gabrielle Roy et Roger
Lemelin. Son œuvre réaliste est la première à lever
le voile sur la pauvreté, les problèmes familiaux et
l’émancipation de la femme, tabous à l’époque. Elle
s’intéressera plus tard à la bourgeoisie. L’auteur
est également un pionnier au niveau de l’utilisation
du langage populaire au théâtre, pavant la voie à
Michel Tremblay et aux Belles-Sœurs.
LAURIN, Michel, Étude de Un simple soldat de Marcel
Dubé, Groupe Beauchemin, Collection Parcours
d’une œuvre, 1999.
DUBÉ, Marcel, La Tragédie est un acte de foi, Ottawa,
Leméac, coll. « documents », 1973, 120 pages.
THÉRIEN, Hugo, « Zone » de Marcel Dubé,
l’importance de la « gang » chez les adolescents,
2009, tiré du site http://hugotherien.wordpress.
com/2009/12/01/zone-de-marcel-dube/.
DUBÉ, Marcel, Textes et documents, Ottawa, Leméac,
coll. « théâtre canadien », 1968, 80 pages.
DUBÉ, Marcel, Zone, Ottawa, Leméac, coll. « théâtre
canadien », 187 pages.
DURANT, André, « André Durant présente Marcel
Dubé », Québec, texte de 32 pages accessible sur
le site www.comptoirlitteraire.com.
GODIN, Jean-Cléo, « Les avatars du réalisme
québécois », Jeu : revue de théâtre, n° 85, (4) 1997,
p. 65-72.
GODIN, Jean-Cléo, « Marcel Dubé et les bourgeois »,
Jeu : revue de théâtre, n° 106, (1) 2003, p. 77-82.
LAROCHE, Maximilien, Marcel Dubé, Montréal, Fides,
coll. « écrivains canadiens d’aujourd’hui », 1970,
191 pages.
LAROCHE, Maximilien, « Zone et Marcel Dubé »,
dans Marcel Dubé, Zone, Ottawa, Leméac, coll.
« théâtre canadien », p. 7-22.
RIVARD, Jacques, L’Universalité du théâtre de Marcel
Dubé, mémoire de maîtrise, Montréal, Département
de langue et de littérature françaises, Université
McGill, octobre 1992, 109 pages.
THOMASSEAU, Jean-Marie, Le Mélodrame, Paris,
Presses Universitaires de France, coll. « Que saisje ? », 1984, 127 pages.
Films
Marcel Dubé, de Claude Godbout, réalisateur,
Montréal, Productions Prisma 1982. À travers
l’évolution de la carrière de l’écrivain Marcel
Dubé, ce film retrace les principaux thèmes de
sa dramaturgie reflétant les drames, les aspirations
et les difficultés de la société québécoise. Aperçu
de l’importance de son œuvre.
Marcel Dubé : aimer, écrire, de Guy Simoneau,
réalisateur, Montréal Cinéma libre, 1997. Auteur
visionnaire, prolifique et extrêmement populaire
durant les années 50, 60 et 70, ex-grand viveur,
Marcel Dubé, maintenant seul, bien vivant, les yeux
bleus d’un ciel voilé, écrit toujours. Et bien que
les historiens et les spécialistes parlent de Marcel
Dubé comme d’un monument, il s’agit surtout, dans
ce film, d’un homme
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DOSSIER
POUR ALLER PLUS LOIN...
Lisez le mot du metteur en scène Jean Stéphane
Roy. Êtes-vous d’accord avec ce qu’il dit, est-ce que
ses propos vous choquent ? Après cette lecture,
est-ce que la pièce Zone vous semble pertinente
encore aujourd’hui bien qu’elle ait été écrite en
1953, il y a près de 60 ans ?
La pièce Zone a été grandement inspirée par le
cinéma des années 1940 et 1950. Au-delà du fait
que Tarzan dit lui-même « ça s’est passé comme
dans un film », en quoi est-ce que son récit vous
rappelle le cinéma ? Est-ce qu’il vous rappelle
certains de vos films préférés, certaines scènes,
certaines atmosphères, certains personnages ?
« TARZAN - Je me suis préparé pendant trois
jours. J'y ai pensé sans arrêt et ce soir, j'ai tenté
ma chance et j'ai réussi. Y ont dû découvrir ma
disparition une demi-heure trop tard. Ça s'est passé
comme dans un film. »
On trouve des références à Tarzan, aux films
policiers à travers le personnage de l’inspecteur,
aux films romantiques à travers la relation de
Tarzan et Ciboulette. Avez-vous pu trouver des
ressemblances entre la forme de vos films préférés
et la pièce Zone, que ce soit chez les personnages,
dans leurs costumes, dans la façon dont la musique
et les éclairages étaient utilisés ?
À quels personnages pouvez-vous associer le rôle
du traître et de la victime dans la pièce Zone ?
Expliquez. Pour définir le personnage du traître
et de la victime, qu’on voit fréquemment dans les
films, les séries télévisées et les pièces de théâtre,
référez-vous aux caractéristiques du mélodrame.
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Matière à réflexion
Dans la pièce, Tarzan et ses amis font la contrebande
de cigarettes. Ce phénomène existe-t-il encore
aujourd’hui ? Pourquoi selon vous ?
Peut-on encore associer un statut social à la
cigarette comme on le faisait dans des émissions
de télévision ou des films des années 1940 à 1980 ?
Revenir sur les répliques associées à chacun des
personnages de la pièce dans la rubrique ACTEURS
ET PERSONNAGES. Pourquoi ces répliques sontelles caractéristiques des personnages qui les
énoncent ? Que disent-elles de ces personnages ?
Écrire un bref texte de présentation de chacun des
personnages à partir des répliques.
Matière à lecture
Antigone de Jean Anouilh pour connaître un
personnage tragique qui est aussi intransigeant
que Ciboulette.
Le Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo pour
le procès et l’interrogatoire musclé qui conduit à
une condamnation et à la mort.
Matière à débat.
Après avoir vu la pièce, croyez-vous que la bande
a raison de faire de la contrebande de cigarettes
pour sortir de sa pauvreté ? Si oui, pourquoi ?
Si non, quels seraient les autres moyens qu’ils
pourraient employer pour améliorer leur situation
économique difficile ?
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