pleyben une commune de cornouaille dans la

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PLEYBEN
UNE COMMUNE DE CORNOUAILLE
DANS LA RÉVOLUTION
1789 - 1800
Maurice CORNEC
A LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION
En ce début d’année 1789, les choses ne tournaient pas très rond dans le royaume de France, la bourgeoisie tant dans les villes que dans les gros bourgs de campagne commençait à
lorgner vers les pouvoirs, dont la noblesse et le haut clergé n’entendait pas céder la moindre parcelle. Les finances du Royaume étaient au plus bas et de nouveaux impôts seraient
nécessaires pour redresser la situation, qui seraient entièrement à la charge du Tiers Etat :
le peuple roturier, paysans, et bourgeois. Les nobles et le clergé en étant exemptés. La
moisson de 1788 avait été mauvaise, autant d’ailleurs que les deux ou trois précédent par
conséquence le grain était devenu rare et cher, toute la population travailleuse dépourvue
de terre avait grand peine à se procurer le pain indispensable à sa survie, et dans les villes
la colère populaire grondait.
En résumé le Royaume de France était en crise, à la fois institutionnelle, économique et
sociale. Pour tenter d’en sortir, le Roi, Louis XVI eut recours à une procédure tout à fait exceptionnelle : la convocation des Etats Généraux qui n’avait plus été utilisée depuis 1614,
sous la régence du jeune Roi Louis XIII.
Cela consistait à réunir en un même lieu, l’assemblée des représentant des trois ordres de
la société de l’Ancien Régime : la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat, venant de toutes les
provinces du Royaume :
«Qui viendront autour de Sa Majesté travailler avec Elle, au bonheur public, à la gloire
et à la prospérité de l’État»
Selon l’ordonnance Royale convoquant les représentant de la «Province de Bretagne», la
réunion des «Etats» était fixée au 05 mai 1789 à Versailles.
PRÉPARATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX
La désignation des représentant du Tiers Etats qui devait représenter autour de 90% de la
population, toutes classes sociales mêlées ; du riche négociant ou armateur au paysan, en
passant par l’aubergiste ou l’épicier du bourg, aux intérêts toujours divergents et souvent
contradictoires, devait se faire au terme d’une sorte d’élection ou suffrage restreint et
indirect, à trois degrés. Au niveau des paroisses : des sénéchaussées (sortes de sous préfectures de l’époque) et de l’évêché.
Dans chaque paroisse, les hommes âgés de plus de 25 ans et inscrits au rôle des impôts
devaient se réunir pour dresser un cahier des doléances qu’ils entendaient faire présenter
au Roi, et désigner parmi eux des délégués qui iraient présenter ledit cahier, à l’assemblée
des délégués au siège de la sénéchaussée quelques jours plus tard.
L’assemblée de sénéchaussée établirait un cahier de doléance collectif, une sorte de synthèse des cahiers de paroisses, et désignerait à son tour des délégués de sénéchaussée à
l’assemblée de l’évêché.
Les délégués de toutes les sénéchaussées de Cornouaille devaient à leur tour se réunir à
Quimper porteurs de leurs cahiers de sénéchaussée pour élire les députés qui iraient représenter leurs mandants à Versailles.
Les sénéchaussées de Châteaulin, Châteauneuf, Gourin, Quimperlé et Carhaix réunies avaient
droit à deux députés. Celles de Quimper et Concarneau ensemble, en avaient trois.
LES CAHIERS DE DOLEANCES
Pleyben faisait partie de la sénéchaussée de Châteaulin la seule de Cornouaille dont tous
les cahiers de doléances à l’exception de deux, ont été perdus.
Je n’ai donc pu retrouver le cahier de doléance qu’ont dressé les Pleybennois aux alentours
du 15 avril 1789.
C’est un peu dommage : il eut été intéressant de connaître les noms de ceux qui l’ont
élaboré. Pour la connaissance du contenu, ce ne doit pas être dramatique. D’une paroisse à
l’autre, tous les cahiers de doléance que j’ai pu consulter se ressemblent beaucoup.
Les cahiers de doléances de Pleyben et de Briec, deux paroisses qui ont beaucoup de traits
communs, ne devraient pas être différents par leur contenu. Je possède une copie du cahier de doléance de Briec daté du «lundy treize avril mil sept cent quatre vingt neuf» qui
comprend 15articles.
L’assemblée comptait 44 délibérants ont 12 membres du corps politique*, le fabricien et le
«procureur terrien». Un notaire : Me THOMAS représentait le bourg, tous les autres étaient
des cultivateurs.
Un autre notaire, venu de Quimper faisait office de greffier chargé de dresser le procèsverbal de la réunion.
Une remarque : 44 délibérants pour une population de plus de 3 000 habitants, c’est peu.
Sélection par l’impôt ou désintérêt de beaucoup de paysans ? Un seul délibérant pour le
bourg, c’est peu aussi. Ont pourrait dire qu’il s’agissait d’une consultation démocratiquement limitée.
Le premier des 15 articles était un acte d’allégeance au Roi :
«Nous déclarons et professons fidélité et obéissance au Roy notre souverain seigneur. Déclarons et professons encore que sa personne est sacrée.»
Les 14 articles peuvent se résumer ainsi :
- Plus d’équité dans la répartition des impôts dont les nobles et le clergé étaient
exemptés;
- Contribution de tous à l’entretien des chemins;
- Aménagement du domaine congéable et suppression de la «banalité» (obligation
faite au paysan de faire moudre son grain au moulin seigneurial);
- Suppression des justices seigneuriales : «que la justice ne soit plus rendue qu’au
nom du Roy»;
- Redistribution de tous les biens ecclésiastiques afin que les «simples prêtres des
paroisses soient affranchis de la honte de la mendicité» ;
- Suppression du tirage au sort pour le recrutement militaire, remplacement par le
volontariat;
- Suppression de la détaxation des vins et eaux de vie en faveur des «riches».
*une sorte de conseil paroissial, comparable à l’actuel conseil municipal. Le fabricien et le procureur terrien
étaient à peu près l’équivalent d‘un maire et d’un adjoint aux finances
Rien de bien révolutionnaire dans un tel programme. Pourtant, pour le réaliser il fallait
réformer les règles de la vie en société issues de l’Ancienne Coutume de Bretagne, sorte de
constitution datant du 13e ou 14e siècles totalement obsolète. Il fallait aussi supprimer les
privilèges et usages qui se justifiaient dans les temps anciens, mais qui n’avaient plus de
raison d’être à la fin du 18e siècle.
Exemple : l’exemption d’impôt en faveur des nobles.
Jusqu’au 16e siècle ils étaient seuls à être tenus de servir par les armes pour le Duc de Bretagne ou le Roi de France, après le rattachement de 1 532. Non seulement ils avaient l’obligation d’aller risquer leur vie en combattant (ils la perdaient souvent), mais ils devaient
aussi s’armer et s’équiper en montures, armures etc. ... à leur frais.
On pouvait alors considérer qu’ils payaient « l’impôt du sang » à et qu’il était juste qu’ils
soient exemptés de tout autre impôt.
En 1 789 cette obligation n’existait plus, de fait, depuis deux siècles. Si beaucoup de nobles
servaient encore dans les armées royales, c’est en qualité d’officiers de carrière dûment
rémunérés et honorés, encadrant la troupe combattante composée le plus souvent de
paysans.
Il n’y avait donc plus de raison pour que les nobles ne paient pas l’impôt comme tout un
chacun.
Autre archaïsme : les justices seigneuriales, des institutions héritées du Moyen Âge.
Certains seigneurs bénéficiaient d‘un droit de justice « haute, moyenne et basse » sur
l’étendue de leur fief. Tout habitant dudit fief devait, le cas échéant s’adresser à la juridiction de son seigneur.
Lequel seigneur n’exerçant pas lui-même son droit, l’affermait à un professionnel judiciaire : un avocat en général qui prenait alors le titre de « sénéchal et juge unique » de la
juridiction affermée contre espèces sonnantes.
Assisté d’un procureur, d’un greffier et d’un sergent, le « sénéchal » exploitait sa juridiction
comme n’importe quelle entreprise ou commerce. Il avait même tendance, pour rentabiliser son investissement, à faire « mousser » les litiges qui lui étaient soumis. En face, le
justiciable, devait se faire assister d’un « procureur » - un notaire en général - pour lui
servir d’avocat et d’interprète.
Tout ce monde finissait par coûter cher, mais ce n’est pas tout : dans une même paroisse,
tous les habitants n’étaient pas soumis à la même justice, et n’étaient donc pas jugés nécessairement selon les mêmes critères ni pour le même prix.
Ainsi, à Pleyben, il y avait au moins cinq seigneuries, plus le domaine du Roy.
Deux des seigneuries : Trésiguidy, et (Leun et Kerguillay*) possédaient un droit de juridiction. Chaque juridiction avait son siège propre : Trésiguidy à Saint-Ségal, Leun et Kerguillay au bourg de Pleyben. Ensemble, ces deux juridictions pouvaient concerner un tiers
des habitants de Pleyben qui devaient impérativement s’adresser à leur sénéchal respectif ;
les autres pouvaient s’adresser directement à la Cour Royale de Châteaulin.
* Le dernier seigneur de Leun et Kerguillay a été le Marquis de La Fayette, plus connu aux Etats Unis qu’à
Pleyben où il n’a sans doute jamais mis les pieds. L’absence du Marquis n’a pas empêché qu’il soit jugé
en son nom, ni que ses procureurs cherchent querelle aux paroissiens au sujet d’étals adossés au mur du
cimetière qui étaient loués aux marchands lors des foires, sous prétexte que ces étal se seraient trouvés
sur un terrain relevant du fief de leur seigneur.
Trois justices pour une même paroisse, cela n’avait plus aucune raison d’être à la veille de
la Révolution, alors que la justice Royale couvrait tout le territoire. Ce que résumait fort
bien la formule des Briécois : «que la justice ne soit plus rendue qu’au nom du Roy, et
que la justice au nom des seigneurs soit supprimée».
Autre réforme souhaitée par les paysans de toutes les paroisses: celle du «domaine
congéable» , le mode de «tenure des terres» quasi-général en Cornouaille (grosso-modo,
l’actuel Sud Finistère)
Dans ce système la propriété foncière rurale comprenait deux volets :
- Au seigneur foncier le «fond» : le sol au dessous de la surface,
- Au domanier tout ce qui se trouvait sur le «fonds», créé ou transformé par le
travail de l’homme : les bâtiments de toutes sortes ; les talus, le sol des terres
labourables ; tous les végétaux l’exception des arbres dits «fonciers» : les bois
d’œuvre.
Dans ce mode de copropriété les deux partenaires n’étaient pas égaux en droit : le seigneur
foncier avait la possibilité à chaque renouvellement de baillée (en principe tous les 9 ans),
de congédier le domanier, en lui rachetant ses biens au prix fixé «à dire d’expert»
Même si le seigneur n’usait qu’assez rarement de cette faculté les domaniers en avaient
assez de se sentir périodiquement à la merci de la bonne ou mauvaise volonté de leur
«partenaire» foncier.
Ceux de Briec proposaient de convertir les droits du seigneur foncier en titre de rente perpétuelle dont le montant serait fixé par expertise. Sous réserve de payer régulièrement le
revenu de cette rente, au taux de 5% le domanier disposerait «à perpétuité» de la paisible
jouissance de ses biens.
Voilà donc quelques-unes des réforme assez unanimement souhaitées par le Tiers Etat
rural de Cornouaille. Elles allaient bientôt arriver, les réformes, pas exactement celles souhaitées Mais n’anticipons pas.
Après rétablissement des cahiers de doléance des paroisses, la procédure de désignation
des députés de Cornouaille à Versailles, se poursuivit comme prévu. On notera tout de
même que si aux trois assemblées primaires les paysans étaient très largement majoritaires, ils n’étaient plus du tout représentés au stade final. Les cinq députés de Cornouaille
étaient avocat, magistrat, notaire ou négociant: le ton était donné : la Révolution à venir
aurait pour seuls acteurs les classes bourgeoises.
Le «peuple» que l’on allait proclamer «souverain» n’aurait droit qu’à faire de la figuration
et servir de masse de manœuvre aux factions qui allaient d’abord s’entendre pour abattre
le pouvoir royal avant de se déchirer et de s’envoyer réciproquement à l’échafaud à tour
de rôle au gré de leur influence dominante. Lorsque, 10 ou 12 ans plus tard, le jeu de massacre terminé le «peuple souverain» pourrait encore payer les pots cassés. Encore une fois.
n’anticipons pas.
États généraux du
5 mai 1789
Gravure d’après Monnet
ENTRÉE EN RÉVOLUTION
Les Etats Généraux se réunirent comme prévus à Versailles*, le 05 mai 1789. en présence
du Roy. Les trois ordres réunis demandèrent une constitution garante des droits individuels.
Le Tiers Etat réclame la suppression des privilèges et l’égalité fiscale.
Après deux mois passés régler la question de savoir comment seraient prises les décisions,
les États Généraux se muèrent le 09 juillet en Assemblée Constituante.
Celle-ci commença ses travaux dans une ambiance survoltée. Dans Paris les choses se
gâtaient; les émeutes se succédaient. Le 14 juillet ce fut la prise de la Bastille, cette vieille
prison dans laquelle étaient enfermés quelques pensionnaires de marque, dont on a fait le
symbole du despotisme royal.
Ce jour là les premières têtes coupées plantées au bout d’une pique ont fait leur apparition
à Paris. En province, des châteaux furent attaqués, pillés et incendiés -ce ne fut pas le cas
semble t’il en Bretagne-.
C’est dans ce climat semi-insurrectionnel, que fut proclamée dans la nuit du 04 au 05 août
1789, la première grande réforme de la Constituante : l’abolition des privilège féodaux.
Pendant que Versailles discutait et que Paris s’enflammait, que se passait-il chez nous ?
Rien de particulier, à ma connaissance. A cette époque de l’année les paysans avaient
d’autres chats à fouetter : le blé noir à semer en mai-juin, le foin en juin-juillet, et le début
des moissons fin juillet.
Paris était loin et les nouvelles mettaient à peu près une semaine pour parvenir de là -bas
au bout de la Bretagne
A Pleyben, le 04 août 1789, pendant qu’à Paris on discutait de l’abolition des privilèges
féodaux, la juridiction de Leun et Kerguillay, tenait au bourg son audience ordinaire, qui
aura peut-être été la dernière de son existence.
On jugeait ce jour là entre autres affaires, sous la présidence de «noble Me TREUSSARD,
avocat à la cour» d’une affaire de congément apposant Me de LAUNAY, notaire, aux héritier de Jean URVOAS et Marie-Anne CORNEC, de Kérégant.
Un des héritiers URVOAS était assité par son oncle et curateur François CORNEC, de Kervern. Un certain Me de LEISSÉGUES, dont il sera beaucoup question par la suite était
procureur des héritiers URVOAS.
Pendant qu’on jugeait en son nom à Pleyben, le Marquis de La Fayette se débattait à Paris
pour faire aboutir l’abolition des privilèges dont il étai lui-même bénéficiaire. Si la loi du
04 août a été appliquée sans retard, le procès URVOAS, est resté pendant... pour cause de
dissolution de tribunal.
«L’abolition» lorsqu’elle fut connue, fut sûrement perçue comme une bonne nouvelle. Pour
une fois ... A y regarder de près l’effet de «L’abolition» fut surtout symbolique. Abolies
l’obligation de faire moudre au moulin seigneurial, de même les juridictions, mais les redevances aux seigneurs fonciers n’étaient pas touchées, pas plus que le «domaine congéable»
dont la réforme était si fortement souhaitée et qui n’était pas près de disparaître...
* 1 200 députés dont 600 pour le Tiers Etat
Pour modestes qu’ils furent, les effets de l’abolition suffirent à faire immigrer à l’étranger
beaucoup de nobles, avec la ferme intention de revenir bientôt les armes à la main pour
«remettre de l’ordre dans la maison».
Deux seigneurs de Pleyben furent de ceux-là : ceux du Drevers et de Trésiguidy tandis que
deux autres, KERRET de Quillien et BIZIEN de La Boissière restèrent au pays. Quant au cinquième M. de La FAYETTE, il était à Paris un des plus ardents et plus influents promoteurs
de la Révolution.
Certains domaniers ont pu imaginer en apprenant l’émigration de leurs seigneurs, être
libérés du paiement de leurs redevances foncières. Ceux-là ont du déchanter. Les biens des
émigrés furent placés sous séquestre en attendant..., mais les revenu desdits biens furent
confisqué au profit de la «NATION» et leurs domaniers sommés de payer dorénavant leurs
redevances au receveur des finances publiques, au bien et place du collecteur seigneurial.
C’est ainsi que les paysans de Cornouaille sont entrés dans l’ère révolutionnaire un peu
comme on s’endort le soir : sans s’en rendre compte. Si la loi du 04 août a pu les faire
rêver un instant, ils n’allaient pas tarder à se réveiller dans un cauchemar qui allait durer
plus de dix ans...
L’ÉGLISE ET LA RÉVOLUTION
Quelques semaines seulement après avoir aboli les privilèges féodaux l’Assemblée Constituante entreprit la réforme de lÉglise et du Clergé.
Nombreuses furent sans doute les paroisses qui, telles Briec, avaient demandé dans leurs
cahiers de dolénces la redistribution des revenus du clergé.
Trop de disparité existait entre l’opulence des «princes de l’église» et le «petit peuple» des
prêtres desservants de paroisses, non titulaires de postes.
Aucune opposition de principe de la part de la population de campagne, ni même d’une
grande partie du clergé n’était donc à prévoir contre une telle réforme.
Hélas menée depuis Paris par des hommes qui ne connaissent rien à la Bretagne, qui de
plus, comme il sied à la bonne société intellectuelle de la capitale, méprisait voire détestait les Bretons «peuple sauvage» inculte, superstitieux, etc... la réforme ne tarda pas à
produire les effets fort éloignés de ceux que l’on pouvait en attendre.
Dès novembre 1789, les biens du clergé étaient «mis à disposition» de la Nation. Le malentendu entre les réformateur et les Bretons, est né de la définition des «biens du clergé».
Tant qu’il s’est agi des biens immobiliers du clergé régulier (abbayes, ordres religieux divers
et couvents) et de ceux des évêchés il ne se trouva sans doute pas grand monde pour s’en
émouvoir. Toutes ces institutions qui possédaient des terres par milliers d’hectares, des
moulins par dizaines, plus un patrimoine bâti considérable, étaient considérés par tout le
monde, à commencer par les domaniers qui leur payaient fermes et redevances diverses
comme des parasites de la société. Il en alla évidemment tout autrement lorsque la saisie
des «biens du clergé» toucha en fait les biens des paroisses.
Tout fut déclaré «bien national» : les églises, les chapelles, les terres et maisons appartenant aux «fabriques» (l’émanation laïque des paroissiens), et même les titres de rentes
constituées par des défunts souvent lointains, sans distinction entre celles qui relevaient
de la paroisse et celles du clergé.
Tout ce patrimoine, les paysans le considéraient avec raison comme leur bien collectif,
puisqu’il s’était constitué au fil des siècles passés par le travail et les contributions de leurs
ancêtres.
Sur le plan des paroisses donc, la réforme de l’église s’était trompée d‘objectif.
Pleyben avait huit chapelles, dont deux : la Madeleine et Gars Maria considérées comme
propriété des deux nobles qui n’avaient pas immigré, ne furent pas touchées. Les six autres
fermées et vendues à des particuliers.
Un épicier du bourg de Pleyben, Yves LANIEL en acheta trois : Lannelec, la Trinité et
St Suliau; ilrevendit cette dernière à L. de LEISSIGUES, déjà cité qui la fit démolir pour en tirer de la pierre à bâtir afin de construire une maison au village voisin de Leuré St Suliau.
Deux autres : Guénily et St Laurent furent vendues respectivementà G. MOULIN, cultivateur et J. KERGOAT que l’on retrouvera plus loin, Maire de Pleyben. La sixième «chapelle
neuve ou de la congrégatio», situé au bourg, près de l’actuelle Mairie devint propriété de
Germain SALAÜN (une nouvelle connaissance de la famille CORNEC), marchand de vin au
bourg.
Toutes ces chapelles, à l’exception de St Suliau, démolie furent restituées à la paroisse
après la Révolutio par leurs acquéreurs ou leurs héritiers.
L’église paroissiale échappa à la vente parce qu’il se trouva un prêtre constitutionnel pour
la desservir durant toute la Révolution. Ce ne fut pas le cas partout: à Edern et Landrévarzec par exemple, l’église paroissiale fut fermée et vendue, faute de desservant constitutionnel.
LE CLERGÉ ET LA RÉVOLUTION
L’Eglise, dépossédée de tous ses biens, ne disposait plus, en tant qu’institution, d’aucun
revenu. En conséquence la «constitution civile du clergé» du 18 juillet 1790 prévoyait que
l’État prendrait en charge ses frais de fonctionnement et paierait les prêtres comme des
fonctionnaires. Voilà qui à première vue répondait au vœu de certaines paroisses et d’une
partie du clergé d’une moins grande disparité de revenu entre les différents niveaux de la
hiérarchie cléricale.
Cependant, le clergé des campagnes était pour le moins réticent à cette disposition. Beaucoup de prêtres considérant qu’en recevant la prêtrise de leur évêque, ils avaient fait par
l’intermédiaire de ce dernier, allégeance au Pape, et non au Roi de France, ils estimaient ne
pouvoir devenir, sauf à renier leur engagement envers Rome, des fonctionnaires de l’État
français fut-il Royal.
Pour forcer la main des récalcitrants et clarifier la situation un décret du 27 novembre
1790 disposa que les prêtres en exercice devraient choisir : prêter serment à la CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE ou être considérés comme démissionnaire et interdits d’exercer.
A peu près 75% des prêtres de l’actuel Finistère refusèrent le serment. On les désigna du
nom de «réfractaires» ou «insermentés».
Par opposition, ceux qui prêtèrent serment furent qualifiés de «constitutionnels» ou «assermentés» en langage officiel; «d’intrus» ou «jureurs» en langage populaire, des qualificatifs qui se voulaient méprisants voire injuriants.
Le 21 avril 1791, le Directoire du département du Finistère récemment créé (mars 1790),
ordonna l’éloignement des prêtres réfractaire à au moins «4 lieues de leurs paroisses» (4
lieues =16km), sous peine des «rigueurs de la loi».
Le 22 juin 1792, le même Directoire, considérant sans doute que la directive précédente
n’ avait pas été bien suivie, ordonna l’arrestation de tous les prêtres réfractaires et leur
enfermement en attendant leur déportation vers l’étranger.
LE CLERGÉ DE PLEYBEN
A Pleyben, il y avait en 1789, six ou sept prêtres en activité avec à leur tête Missire
Jean-Louis TRANVOEZ, recteur de la paroisse. Deux d’entre eux MM. Louis Marie LE BRETTON et Tanguy MOCAËR prétèrent le serment : le premier devint curé constitutionnel de
Pleyben ; le second fut affecté au Faou. Tous les autres furent «démissionnés». Ils continuèrent néanmoins à exercer provisoirement. On trouva la signature de M. TRANVOEZ
en tête dans les registres paroissiaux jusqu’en avril 1791 ; celle de M. GUEZENGAR autre
insermenté jusqu’en mai.
Tous les «insermentés», M. TRANVOEZ furent arrêtés ou disparurent dans la clandestinité
MM. TRANVOEZ ET LE BRETTON qui adoptèrent des positions opposées face au «serment»
étaient tous deux fils de Pleyben.
Voici un petit résumé du parcours de chacun, de ces deux hommes dont il sera plusieurs
fois question dans ce qui va suivre.
- Jean-Louis TRANVOUEZ, recteur de Pleyben, est né dans cette paroisse d’une famille de
paysans, pleybennois de longue date. Avant d’être recteur de sa paroisse natale, M. TRANVOEZ fut celui de Saint-Thois où son souvenir est gravé sur le linteau de la porte nord de
la chapelle de LA ROCHE sur lequel on peut lire :
VEN ET DIS MISSIRE JEAN-LOUIS TRANVOEZ
RECTEUR 1781
Après son «interdiction» en mai 1791, on ne sait trop ce qu’il fit. Peut-être se conforma-t’il
à l’ordonnance d’éloignement à quatre lieues, à moins qu’il ne trouvât refuge au sein de
sa famille jusqu’à l’été 1792.
M. TRANVOEZ fut alors arrêté en application de l’ordonnance du 22 juin 1792, comme
beaucoup de ses confrères et enfermé dans un couvent désaffecté à Quimper. Au printemps 1794 il fit partie d’un convoi de 29 prêtres qui furent transférés à Rochefort en vue
d’être déportés en Guyane.
«II plut au département de faire voyager 29 d’entre nous.. . Nous fûmes 31 jours en
route pour y arriver», écrivit plus tard l’un des compagnons de voyage du recteur de Pleyben. Trente et un jours de route... le voyage se fit sans doute à pied.
Arrivé à Rochefort, les «réfractaires» bretons furent embarqué sur un bateau du nom de
«WASHINGTON» qui devait les conduire en Guyane accompagné de deux autres, eux aussi
chargés de déportés: «L’INDIEN» et «LES DEUX ASSOCIÉS». Mais, comme la marine anglaise
interdisait Ia sortie en mer de tout bateau français les trois navires chargés de déportés
restèrent au port. Les prisonniers restèrent renfermés à bord, entassés dans les entre ponts,
de leurs geôles flottantes que l’on surnomma «les pontons de Rochefort».
Mal nourris, maltraités par leurs gardiens, beaucoup moururent au cours de l’hiver 17941795. Les prêtres du Finistère furent autorisés à rentrer chez eux le 12 avril 1795 «par voie
de terre, à pied». Des 29, qui étaient partis, 20 avaient survécu M. TRANVOEZ était de
ceux-là. Il devait être de retour à Pleyben aux alentours du 15 mai 1795. II sera à nouveau
question de lui vers cette époque dans quelques pages...
- Louis Marie LE BRETTON était on l’a vu prêtre à Pleyben. En 1790 il prêta serment à la
«constitution civile du clergé». Tous ses collègues ayant été «démissionnés» il se retrouva
seul autorisé à exercer son ministère et devint quasi automatiquement curé à la tête de sa
paroisse natale, au printemps 1791.
Louis Marie LE BRETTON est en effet né à Pleyben en 1743. Son père Joachim LE BRETTON
Sieur de BRElGNY* était notaire royal, comme l’était encore son fils Charles François au
temps de la Révolution.
L’abbé LE BRETTON s’établi vers 1780 au bourg de Pleyben où il a acheté «la maison Harinquin» ainsi dénommée pour avoir appartenu autrefois à un prêtre de ce nom, décédé vers
1760. Cette maison Harinquin pourrait bien n’être autre que celle de la «tenue Harinquin»
qu’achetèrent les frères Jean et François CORNEC en 1763, et qui fut congédiée en 17801781 au bénéfice de Me Charles François LE BRETTON. Lequel aurait alors agi comme
prête- nom de son frère ou cousin Louis Marie.
Dans les paroisses, en générale les prêtres «jureurs» étaient plutôt mal vus par la population : leur serment étant perçu comme un reniement de leur engagement sacerdotal.
A Pleyben, LE BRETTON semble s’en être sorti plutôt bien. Sous son ministère baptêmes,
mariages et sépultures se firent à peu près normalement, ce qui ne fut pas le cas partout.
Cette relative bonne entente entre le curé «intrus» et les Pleybennois devait sans doute
beaucoup aux talents de diplomate de LE BRETTON qui sut se conformer (au moins en
apparence) aux directives du nouveau pouvoir, tout en fermant un peu les yeux sur les
activité des «contres révolutionnaires» prêtres ou laiques.
Sûrement aussi qu’il bénéficia de la notoriété de sa famille. Me LE BRETTON notaire, en
particulier, bien placé de par sa profession pour savoir concilier les intérêts des clients
indépendamment de leur inclination politique.
Il faut lui reconnaître d‘avoir su éviter la venue à Pleyben de patriotes «briseurs d’idoles,
symboles de la superstition» et préserver du marteaux des vandales, le magnifique calvaire en premier lieu.
Le sacrifice des pièces d’orfèvreris que contenait l’église qui furent saisies et fondues au
profit de la monnaie, dut être la «part du feu» qu’il fut obligé de consentir pour la paroisse.
- Louis Marie LE BRETTON rétracta son serment le 22 septembre 1795, trois mois environ,
après le retour de M. TRANVOEZ. Les deux événements sont probablement liés. On retrouve
cependant M. LE BRETTON recevant l’évêque à Pleyben en 1798 (on y reviendra).
Après la Révolution il fut nommé recteur de Dinéault, mais c’est à Pleyben qu’il est mort le
26 germinal an 13 (16 avril1805), la même année que M. TRANVOEZ.
Le moins que l’on puisse dire, en ce qui concerne Pleyben et même toute la Cornouaille,
c’est que les relations entre la très grosse majorité du clergé et le nouveau Régime issu de
la Révolution de 1789, ne furent pas empreintes de chaleur. Elles furent au contraire, dès
l’année 1790 marquées par l’hostilité réciproque. Et ce ne sont pas les mesures de coercition qui furent prises à l’encontre des prêtres réfractaires qui allaient arranger les choses
au cours des années qui suivirent.
Aux démissions forcées, éloignement et emprisonnement des prêtres répondirent le soutien à la désobéissance civique, voire même à une certaine forme de chouannerie. Bref
l’incitation de la population rurale à la «RÉSISTANCE» aux nouvelles institutions.
Les paysans, il n’était d’ailleurs pas nécessaire de les inciter très fort. Eux non plus, n’ont
jamais eu beaucoup d’atomes crochus avec le nouveau Régime. Des espoirs qu’ils avaient
exprimés dans leurs cahiers de doléance bien peu se sont concrétisés. Mais surtout, la
* Ce doit être lui qui a signé BRETTIGNY comme témoin au mariage de Marie CORNEC
et Paul SIBIRIL, le 04 octobre 1772. Cf chapitre 7
maladresse et l’arrogance manifestées par les promoteurs des réformes de l’Église, confondant biens de l’Eglise et biens des paroisses ou plus exactement des paroissiens, à fait
naître à l’encontre de tout ce qui se réclamait de la Révolution une réaction de rejet qui
ne s’estompera jamais.
Fallait-il que leur méconnaissance des paysans bretons soit grande, pour avoir l’idée de
leur confisquer leurs chapelles et en faire des étables ou des granges à foin!
Dans les pages qui vont suivre, on verra que la confiscation du patrimoine religieux ne fut
qu’un début. Bien d’autres initiatives des nouvelles autorités vont nourrir les sentiments
hostiles que les paysans bretons ne cesseront de témoigner à l’égard se la Révolution et de
ses promoteurs, proches ou lointains.
QUELQUES ÉVÈNEMENTS SURVENUS A PLEYBEN PENDANT LA RÉVOLUTION
Les institutions du pouvoir révolutionnaire étaienT volontiers paperassières à tout les
échelons. Depuis la base : la commune et les cantons, jusqu’au département en passant
par le district, chaque titulaire d’une parcelle de pouvoir devait en rendre compte par écrit;
chaque réunion importante ou non faisait l’objet d’un procès-verbal destiné à l’autoritésupérieure.
Grâce à ce culte du compte-rendu, beaucoup de «papiers» sont parvenus jusqu’à nous, et
sont conservés aux Archives Départementales dans la série «L». C’est là que j’ai trouvé un
certain nombre de documents émanant de la municipalité de Pleyben et de son canton, et
du district de Châteaulin grâce auxquels je vais essayer de retracer quelques événements
survenus à Pleyben au cours des années 1790-1800 environ.
Mais avant de passer à la relation de ces événements je vais, comme je l’ai fait pour les
prêtres TRANVOEZ et LE BRETTON, faire une présentation de deux des «civils» qui en furent
les acteurs : Robert Louis de LEISSEIGUES et Olivier GATEL ou GASTEL.
Robert Louis de LEISSEIGUES ne semble pas être originaire de Pleyben.
Avant la Révolution il exercait la profession «d’homme de loi» sans autre précision. Je l’ai
cité plus haut exerçant sont métier de «procureur» devant la juridiction seigneuriale de
LEUN et KERGUILLAY, le 04 août 1789, puis comme acheteur et démolisseur de la chapelle
de Saint Suliau située au nord du bourg aux confins de Pleyben et Lopérec.
Il semble avoir porté plusieurs «casquettes» durant la Révolution :
- Secrétaire de l’assemblée cantonale (26 juin 1791);
- Commissaire du gouvernement près de la municipalité du canton de Pleiben (1799);
- Commissaire du gouvernement ;
- Expert estimateur de biens nationaux.
Parallèlement à ces activités «politiques» il exerça la profession de notaire -des archives
déposées aux Archives Départementales allant de l’An IV (1796-1797) à l’An XIII (1305)
l’attestant-. Vers 1606 il abandonna toutes ses précédentes activités et se «recycla» comme juge de paix de Pleyben. Pendant la Révolution il abandonna sa particule nobiliaire,
dangereuse à porter.
Olivier GATEL ou GASTEL. Lui en tout cas, n’était pas natif de Pleyben, mais de Châteaugiron près de Rennes. Il est arrivé à Pleyben en 1772, venant de Brest comme l’atteste l’acte
de mariage avec une demoiselle Renée Françoise HELLOUËT, que j’ai relevé dans le registre
paroissial conservé en mairie de Pleyben.
Installé à Pleyben, il y a exercé la profession de marchand de drap et d’épicerie au bourg.
Il ne devait pas être bretonnant à son arrivée mais il l’est sûrement devenu car outre sa
clientèle «naturelle» qu’il trouvait chez les notables du bourg, il avait su prendre pied chez
10
les paysans qui ne parlaient pas le moindre mot de français. C’est ainsi qu’il a été le parrain
de Olivier CORNEC, fils de Michel, cultivateur à Kervern. Lequel Michel lui a laissé en 1786
une «ardoise» pour fourniture de marchandises, que j’ai retrouvée et dont le marchand de
drap réclamait le règlement.
Bien qu’il fit figure de «pièce rapportée» à Pleyben, Olivier GATEL y tint néanmoin un rôle
de premier plan durant la Révolution. Lorsque le nouveau pouvoir décide de dessaisir le
clergé constitutionnel de la charge d’enregistrer les actes de baptêmes, mariages et décès
au profit de l’autorité municipale à compter du 1er janvier 1793, ce fut à Pleyben, Olivier
GATEL qui hérita de la charge «d’officier municipal de l’état civil».
Il occupa cette fonction pendant quelques temps avant de devenir «agent municipal», une
sorte de superviseur de la «municipalité». Il fut enfin élu maire de Pleyben le 11 thermidor
an 8 (31 juillet 1800*), et le resta jusqu’à sa mort qui survint le 14 ventôse an 11 (05 mars
1803).
A la différence de quelques autres notables de Pleyben, il semble qu’Olivier GATEL ne se
soit pas enrichi pendant la Révolution. Son commerce ne lui survécu pas : son fils unique,
Charles Olivier, était cordonnier lorsqu’il se maria, encore mineur, le 25 novembre 1809.
Une profession qui ne dut pas l’enrichir, car jai relevé dans le recensement de 1836 sur
Pleyben, une «veuve GATEL, laveuse» qui pourrait bien être Marguerite MIGNON que GATEL
fils épousa en 1809.
UNE ASSEMBLÉE ÉLECTORALE
Le 26 juin 1791, une cinquantaine de «citoyens actifs» -âgés de plus de 25 ans et payant
au moins I’équivalent de 3 jours de salaire d’ouvrier d’impôt- étaient réunis dans la chapelle de la congrégation ou «chapelle neuve» au bourg. Ces 50** là étaient censés représenter la population du canton (Pleyben, Lennon, Le Cloître). Quant on sait que Pleyben
comptait seul 4 300 habitants environ, on remarquera que les «citoyens actifs» étaient
rares. Tout simplement sans doute, parce que les paysans qui pouvaient prétendre à ce
statut s’étaient abstenus, et avaient laissé les «bourgeois» se débrouiller entre eux.
L’objet de la réunion : élire les représentants des cantons de Pleyben à l’assemblée départementale prévue le 05 juillet suivant pour désigner les députés du Finistère à l’assemblée
législative qui succéderait à la Constituante, dont le mandat touchait à sa fin.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, les citoyens actifs à fire le serment :
«de maintenir de tout notre pouvoir la constitution du royaume, d’être fidèle à
la nation, à la loi et au Roi.»
Quand on connaît la suite, ce serment au Roi à des airs d’humour noir. Le Roi, au moment
où les notables de Pleyben lui prêtaient serment de fidélit étai arrêté à Varennes, dans la
Meuse, alors qu’il tentait de fuir à l’étranger sans doute en Allemagne, et ramené à Paris
sous escorte, au Palais des Tuileries, sa résidence forcée depuis que le «peuple» de Paris
était allé le chercher à Versailles.
Après plusieurs tours de scrutins, suivant une procédure pointilleuse portant la marque des
notaires présents l’assemblée finit par désigner les six représentant auxquels le canton de
Pleyben avait droit.
* Désigné à cette fonction par le premier préfet du finistère, M. DIDELOT arrivé à Quimper le 03 mai 1800.
**Ce devait représenter à peu près un dixième des citoyens actifs inscrits, d’après ce qui a été constaté à
Briec pour la même assemblée primaire. 45 électeurs présents pour 550 inscrits
11
Furent désignés comme titulaire :
Michel Gabriel OELAUNAY, notaire :
Yves KERGOAT, maire de Pleyben (cultivateur ?),
Robert Louis de LEISSÉGUES. homme de loi ;
Yves MOTREFF, juge de paix du canton de Pleyben ;
François Charles LE BRETTON, notaire, membre du directoire du district de Châteaulin
François DERRIEN de Lennon, administrateur du département du Finistère ;
Jean Noël FAVENNEC, marchand de vin ;
Pierre COZIC, négociant en ?.
Les deux derniers ayant été désignés pour remplacer Yves KERGOAT et François DERRRIEN
qui s’étaient récusés.
On désigna encore trois remplaçants ;
Yves LANIEL, épicier au bourg ;
François LE GUILLOU, notaire ;
Philippe LE BORGNE.
Trois notaires, deux hommes de loi, un marchand de vin et un négociant mais pas un seul
cultivateur. Pour représenter le «peuple» de Pleyben composé au moins de 95% de paysans,
on aurait pu imaginer mieux.
En fait, cette représentation était bien à l’image de ce que fut la Révolution Française.
Contrairement à ce que l’on enseigne aux enfants de France depuis 200 ans, ce ne fut pas
la Révolution du «peuple» se libérant de la «tyrannie» des nobles et de l’église mais celle
des notables bourgeois, hommes de robe (notaires, avocats, magistrats...) et marchands
ou hommes d’argent : une toute petite fraction de la population, relativement instruite et
parlant français qui voulait ni plus, ni moins s’approprier le pouvoir au lieu et place des
puissants de l’Ancien Régime et pour qui le «peuple souverain» qu’ils pourraient utiliser à
loisir, serait là pour peser sur les événements dans le sens de leurs intérêts.
Parmi les élus que je viens de citer plusieurs l’on déja été plus haut comme acheteurs de
chapelles : KERGOAT le maire, Y. LANIEL, P. COZIC, et dans la salle Germain SALAÜN, le
marchand de vin du bourg, acheteur de la chapelle où se tenait la réunion, en maître des
lieux. Offrit-il à boire aux invités ?
L’assemblée départementale désigna les 8 députés du Finistère à l’assemblé législative qui
entra en fonction le 1er octobre suivant. Pour une fois les paysans furent représentés : un
des 8 élus était cultivateur de Briec du nom de Pierre BRIAND, à la fois paysan et juge de
paix du canton de Briec.
C’était il est vrai, un paysan instruit qui a été élevé par deux oncles prêtres avant d’aller
au séminaire en vue d’entrer à son tour dans les ordres. Il renonça à la prêtrise et se maria.
Son activité révolutionnaire lui valut d’être assassiné chez lui par une bande de Chouans
en novembre 1799.
UN ÉTONNANT PETIT BILLET
Etonnant en effet, et à plus d’un titre, ce petit billet daté du 11 juillet 1792, que j’ai trouvé aux
Archives Départementales signà du curé LE BRETTON, de LE GUILLOU et de FAVENNEC :
Nous certifions à qui il appartiendra
que tout est tranquille à Pleiben et aux
environs et qu’il n’y à nulle apparence de
trouble à Pleiben ce jour 11 juillet 1792
l’an 4 de la liberté
12
Tout était tranquille à Pleyben en cet été 1792 ? Si l’on en croit M. LE BRETTON le curé
constitutionnel et ses deux cosignataires dont l’un, LE GUILLOU était notaire de son état
Pour «qui il appartiendra», destinataire de ce billet, ce ne devait pas être évident sinon
pourquoi aurait-il éprouvé le besoin de le faire attester. Aurait-il eu vent qu’il se passait
des choses à Pleyben, qu’il valait mieux pour le curé ne pas ébruiter ? C’est assez probable.
Cet énigmatique destinataire devait être quelque fonctionnaire du district de Châteaulin
qui aurait pu être tenté d’aller voir de plus près ce qui se passait réellement à Pleyben. Ce à
quoi notre curé ne tenait sans doute pas, étant donné que le linge n’est jamais si bien lavé
qu’entre membres de la même famille. On comprend donc la teneur de son billet.
Soit ! Mais pourquoi fallait-il que ce soit le curé dont la compétence s’arrêtait au seuil
de son église qui certifie qu’il n’y avait «aucun trouble à Pleyben ce jour, 11e juillet 1792
l’an 4e de la liberté» alors que la commune était dotée d’un maire, d’un juge de paix,
d’un procureur, dont c’était précisément la mission que de rendre compte régulièrement à
l’autorité. Sans doute que les éventuels troubles évoqués par M. LE BRETTON, auraient pu
être constitués par l’activité clandestine de ordres réfractaires.
Et c’est là que la dernière ligne du billet prend toute sa saveur : «l’an 4e de la liberté».
Avait-il conscience, le curé constitutionnel de Pleyben, de faire de l’humour noir ? Quel sens
pouvait-il donner au mot «LIBERTÉ» alors que son recteur venait d’être emprisonné pour
avoir seulement voulu conserver ce qu’il considérait comme sa LIBERTE DE CONSCIENCE.
Pour le même motif, deux ou trois de ses confrères avec qui il officiait il n’y avait pas si
longtemps, avaient du disparaître dans la nature, et mener une vie de gibier traqué par des
chasseurs : une prime était offerte à qui ferait arrêter un prêtre réfractaire «sous quelque
déguisement qu’il soit» tandis que la prison et «les rigueurs de la loi» étaient promises à
ceux qui leur fourniraient asile. Etonnante conception de la liberté!
FIN DE LA ROYAUTÉ - LA RÉPUBLIQUE (1792-suite)
Pendant qu’à Pleyben la vie continuait son cours «tranquille» selon les critères du citoyencuré, à Paris les événements se précipitaient, se répercutant avec un temps de décalage
jusqu’au fond de la Bretagne. Le 20 juin 1792 invasion du Palais des Tuileries par les sansculottes ; le 20 août le même Palais est pris d’assaut par les émeutiers. Le Roi et sa famille
se réfugient à l’Assemblée et ont ainsi la vie sauve mais tous les serviteurs, gardes et employés du Palais sont massacrés. La famille royale est enfermée au Temple, en attendant...
Le 21 septembre, la nouvelle assemblée entre en fonction sous le nom de «convention
nationale». Dès le lendemain elle proclame l’abolition de la royauté et l’institution de la
«RÉPUBLIQUE FRANÇAISE UNE ET INDIVISIBLE».
Le Roi est mis en accusation. Après un semblant de procès dont l’issue était connue
d’avance, il est condamné à mort par la convention, le 20 janvier 1793. Le lendemain à
10h00, il est guillotiné sur la «place de la Révolution» aujourd’hui «place de la Concorde»*
J’ai tendance à penser que l’exécution du Roi, fut perçue chez nous, comme un sacrilège. Les
cahiers de doléance des paroisses ne proclamaient-ils pas «nous déclarons et professons fidélité au Roi notre souverain seigneur et déclarons encore que sa personne est sacrée» ?
Aussi, lorsqu’il fut envoyé à l’échafaud par le vote des députés qu’avaient élus ces mêmes
grands électeurs, ceux-ci devaient faire figure de parjures. Parjures par délégation certes,
mais parjures tout de même.
* Le nom d’un fils de Pleyben, Marcel BIZIEN, chef de char de la division Leclerc, mort place de la Concorde
le 25 août 1944 au cours des combats pour la libération de Paris est inscrit sur une plaque commémorative
scellée sur le mur des Tuileries au débouché de la rue de Rivoli sur la place de la Concorde, à quelques
dizaines de pas de l’endroit où fut guillotiné le Roi.
13
Les paysans bretons n’avaient certes pas beaucoup de raisons de pleurer la monarchie
française qui ne fut guère tendre à leur égard. Il n’est que de se souvenir de quelle façon
Louis XIV réprima la «RÉVOLTE DES BONNETS ROUGES», ces paysans qui en 1675 se révoltère excédÉS par la taxe de trop qui venait s’ajouter à celles qui les accablaient déjà. Si
les successeurs de Louis X I V n’eurent pas à user des même méthodes ce n’est certes pas
parce que leurs impôt furent moins lourds, mais plutôt à couse du souvenir de ceux qui
furent par dizaines pendus ou tués de différentes manières en 1675.
Néanmoins, la mise à mort du Roi, a du être quelque chose d’inconcevable pour le petit
peuple des paroisses.Il y avait toujours eu un souverain en Bretagne, duc ou Roi de France,
et sa personne, pour reprendre l’expression des cahiers de doléances, était tenue pour
sacrée.
Une république pour remplacer le Roi ? «Ar républik petra eo an dra se» ? (la république
qu’est ce que cela ?).
Un pays sans Roi, une église avec un pseudo curé... «Ma doué bars peseurt bed a vevomp!» (Mon Dieu dans quel monde vivons nous !). Voilà le genre de propos que l’on a du
entendre souvent en centre Cornouaille vers la fin de 1792, début 1793.
1793 - UN RECRUTEMENT AVORTÉ ou «TANT VA LA CRUCHE A L’EAU»
Après l’exécution de Louis XVI, les menaces d’invasion de la France par les état voisins,
déjà présentes depuis le début de la Révolution ne firent que s’accroître. La Convention
proclama «la patrie en danger» et décréta mobilisation générale.
Il fallait d’urgence recruter et envoyer 300 000 hommes combattre aux frontières. Le
contingent à fournir par le Finistère fut fixé précisémnt à 3003 hommes, à répartir sur les
cantons en proportion du nombre d’habitants. Le contingent imparti au canton de Pleyben devait être de 30 à 40 hommes si j’en juge par comparaison avec celui de Briec par
exemple.
Les opérations de recrutement devaient avoir lieu à
Pleyben le 17 mars 1793.
Etaient concernés tous les
hommes du canton : Pleyben, Lennon, Le Cloître, âgés
de 18 à 40 ans, célibataires ou veufs. La désignation
des «volontaires» devait se
faire par tirage au sort. Au
jour fixé les recrues potentielles avec leurs familles et
sans doute quelques «amis»
étaient rassemblés dans
l’église de Pleyben, face aux
représentants du district de
Châteoulin et de la municipalité du canton. Ce fut
l’émeute. Voici quelques lignes du compte-rendu qui
en fut fait au district de
Châteaulin le lendemain (08
mars) par les citoyens GATEL
et LE SEACH :
14
Quelques meneurs y sont nommément dénoncés, dont le principal serait «KERRET», qui est
en réalité Louis François Marie de KERRET, Seigneur de Quillien, un des deux nobles de
Pleyben qui n’émigra pas. Il y a fort à parier que ceux là eurent quelques soucis à se faire
dans les jours qui suivirent.
Tumulte, menaces ; jeunes gens armés de bâtons fracassant bancs et meubles de l’église Il
n’y eut pas de recrutement à Pleyben ce jour là. Et ce fut partout pareil : à Briec comme à
Gouézec où les recruteurs ne durent leur salut qu’à la fuite à l’abri du presbytère :
«Nous avons été forcés ainsi que le commissaire de nous retirer et nous sommes
été (sic) poursuivis par les malveillants stipendiés de l’aristocratie, réfugiés chez
le citoyen curé qui nous a accueillis en vrai pasteur citoyen patriote. Ils sont
restés dans l’église à entonner des chansons anticonstitutionnelles** ; d’autres
ont voulu forcer la porte du presbytère...»
Ce sont quelques lignes d’un long procès-verbal de la séance de recrutement avortée qui
fut adressé à la direction du district de Châteaulin signé de dix noms au nombre desquels
figure celui de Yves DAVID curé de Gouézec et François LE SEACH déjà cité pour Pleyben.
A Châteaulin la réaction des habitants de Pleyben et de Gouézec semble avoir créé la
surprise voire même un début de panique; les responsables du district étant persuadés
que les révoltés n’allaient pas s’en tenir là mais qu’ils allaient à brêve échéance faire une
«descente» sur Châteaulin. Au point de tenir une réunion en pleine nuit pour aviser de ce
qu’il y aurait lieu de faire... J’ai retrouvé un compte-rendu de réunion daté du «mardy
19ème mars 1793 l’an second de la République française quatre heures du matin...» qui
eut lieu à Châteaulin. Le texte, à peine lisible traduit l’état d‘énervement ou d’émotion du
rédacteur. C’est signé DE LA ROQUE (on le retrouvera plus loin), maire de Châteaulin et
deux ou trois autres, dont COSMAO notaire royal avant...
On avisa que si l’incursion redoutée se produisait, Châteauli qui n’était protégé que par
quelques gardes nationaux, serait démunie et qu’il fallait donc aviser l’autorité départementale à Quimper...
Le même jour, 19 mars, dans la journée toujours à Châteaulin, les frayeurs de la nuit précédente s’étant estampées se réuni le Directoire du district» sous la présidence du citoyen
MARCHADOUR pour envisager les suites à donner aux incidents qui avaient eu lieu les
jours précédents à Pleyben, 6ouézec et aussi à Cast, lors des «séances de recrutement».
Quelques extraits du long procès-verbal de cette réunion :
«Considérant que ce n’est qu’en déployant la force contre les chefs séditieux que
l’on pourra faire courber les citoyens sous le joug de la loi.»
«Considérant que les révoltés menacent la ville de Châteaulin d’une incursion prochaine...»
«Considérant qu’il n’est d’autre moyen de hâter le recrutement dans ce district...
que d’y réunir une force armée...»
«Arrête de requérir la gendarmerie» ,
(pour arrêter et emprisonner à Quimper tous les perturbateurs qui avaient été identifiés, dont les noms figurèrent dans les procès-verbaux cités plus haut)
* Le citoyen curé s’appelait Yves DAVID. Originaire de Landrévarzec.
Il fut assassiné en juin 1795 par les Chouans (j’y reviendrai)
** Les chansons anticonstitutionnelles, n’étaient autres que des cantiques en breton.
Interdits comme les prêtres réfractaires
15
«Arrête de demander au département au moins 150 hommes de troupe de ligne...
pour protéger le recrutement...»
Le procès-verbal long de sept pages se termine ainsi :
«Dès l’arrivée de cette force armée, les différentes communes du district qui jusqu’ici ont opposé de la résistance soient convoquée en cette ville, l’une après l’autre
pour la levée de leur contingent.»
Manifestement les dirigeants du district n’attendaient pas le refus violent des habitants
des communes à toute tentative d’enrôlement de leurs hommes dans les armées de la
Révolution. Il y avait pourtant pas de quoi s’étonner. On se souvient que, lors des élections
de 1791, moins de 10% des électeurs potentiels participèrent au vote, à Pleyben comme à
Briec. Ceux-là manifestaient ainsi, en jouant le jeu des nouvelles institutions, leur adhésion aux idées révolutionnaires. Ce que leur valut le surnom de «PATRIOTES». Les 90% restant, qui eurent droit selon les cas aux qualificatifs de «stipendiés de l’aristocratie, contre
révolutionnaires ennemis de la liberté, de la loi...» ne se sentant pas concernés regardèrent
faire, et faisaient le dos rond en attendant que cela ce passe- Depuis 1790 ils subissaient.
Pêle-mêle les chapelles profnées en crèches à vaches, les restrictions aux libertés religieuses, les impôts toujours plus élevés les réquisitions de grains, de bétail, de chevaux, le
tout payé en assignats -monnaie de singe- les railleries et le mépris de la bonne société
patriote. J’en oublie sûrement...
Et voilà qu’on venait leur prendre leurs jeunes hommes, sommés d’aller se faire tuer pour
défendre ce régime cause de tous leurs tracas... Cette fois c’en était trop. Pour ces paysans
révoltés la Révolution et ses lois, qu’on voulait leur imposer, n’étaient pas leur affaire, mais
celles d’une classe bourgeoise «éclairée» qui voulait s’approprier la totalité du pouvoir, ni
plus ni moins, qui, de surcroît dispensée du tirage au sort.
Cela les hommes du Directoire de Châteaulin ne l’avaient pas senti. D’où leur étonnement
et leurs craintes d’avoir à goûter du bâton des paysans avant que la troupe ne vienne à
leur secours. Comment s’est terminée cette affaire? Je ne possède rien de précis comme
réponse mais c’est probablement comme ceci, vu les dispositions envisagées au procèsverbal du 19 mars : Les «meneurs» nommément dénoncés furent recherchés et certains
arrêtés d’autres «prirent le maquis». D’autres encore qui préférèrent ne pas «tenter leur
chance» au tirage au sort disparurent dans la nature.
Les troupes de Chouans qui s’organisaient dans les Montagnes Noires, vers Laz, Spézet,
Trégourez... virent sûrement arriver les renforts au printemps 1793. Si la «levée en masse*»
ne fut pas à l’origine de la «Chouannerie» elle contribua tout de même beaucoup à son
développement.
Devenus Chouans, emprisonnés ou enrôlés certains de ces jeunes hommes ne retrouvèrent
jamais leur foyer, ayant perdu la vie pour, ou à cause d’une Révolution dans laquelle ils ne
se reconnaissaient pas...
TERREUR ET VENT DE FOLIE 1793-1794
L’année 1793 vit naître une institution jusque là inédite dans l’art de gouverner : la TERREUR. La terreur en tant que système codifié et institutionnalisé de gouvernement, fut
décrétée le 05 octobre 1793. Certes la terreur sévissant déjà depuis l’été 1790, massacres
et exécutions après des simulacres de procès s’étaient succédés une anné durant, au gré
de luttes d’influence entre les différentes factions révolutionnaires mais dorénavant la
TERREUR serait normalisée et officialisée. HÉBERT, DANTON. DESMOULINS, MARAT et ROBESPIERRE étaient les principales «têtes» de cette sinistre institution. Tous en périrent.
* «Levée en masse» c’est ainsi que fut baptisée l’opération consistant à enrôler 300 000 hommes
pour aller renforcer les troupes combattant sur les frontière du nord et de l’est
16
Les instruments de la Terreur : les comité de surveillance, les tribunaux révolutionnaires
et... la guillotine.
Les comités de surveillance, composés de «patriotes» locaux, renforcés par des sans-culottes de l’extérieur -parisiens assez souvent- avaient pour tâche de débusquer tous les «ennemis de la liberté» ou supposé tels : les prêtres réfractaires, les citoyens qui leur auraient
prêté quelque assistance, les nobles de retour d’immigration, et plus généralement quiconque pourrait être suspecté d’avoir pensé dit ou écrit quelque chose jugé contre révolutionnaire c‘est à dire à peu près n’importe qui pour n’importe quoi.
Ces comités disposaient de pouvoirs dont n’oserait rêver aucune des polices actuelles :
incitations à la délation par le chantage, perquisition des domiciles, violation du courrier
privé... Les tribunaux révolutionnaires jugeaient de manière expéditive et sans appel les
«suspects» qui lui étaient livrés. Deux sanctions seulement étaient possibles : l’acquittement ou la mort par la guillotine dans les 24 heures. La folle machine ne tarda pas à
s’emballer et à happer ceux-là même qui l’avaient créé. Quiconque était suspecté de modération de faiblesse ou d’indulgence envers les suspects était à son tour suspecté et livré
au redoutable tribunal. Ainsi furent guillotiné DESMOULINS, HEBERT et DANTON sur ordre
de leur «copain» ROBESPIERRE. Lequel finit à son tour par être dénoncé par les amis des
ses victimes et guillotiné à son tour le 09 thermidor an II (27 juilIlet 1794).
Comme un moteur privé de carburant la folle machine de la Terreur, s’arrêta après la mort
de ROBESPIERRE. En un peu moins d’un an elle avait fait 42 000 victimes dans toute la
France, dont 4 000 environ, à Paris seulement. La terreur avait sévi jusque dans les armées. Plusieurs généraux furent exécutés. LA FAYETTE, seigneur de Pleyben, faillit être du
nombre. Il était général à la tête d’une armé dans les Ardennes. En septembre 1792 il fut
«décrété d’accusation» - équivalent d’une condamnation à mort - par la Convention. Se
rendre à Paris pour être fusillé ou chercher refuge dans l’exil ? LA FAYETTE prit le parti de
l’exil. En passant par la Hollande et l’Angleterre il espérait gagner les Etats Unis où il était
sûr d’être accueilli en héros.
Aléas de la guerre, sur le chemin de la Hollande, LA FAYETTE fut arrêté par un parti de
Français, nobles émigrés qui, à cause de son passé révolutionnaire le considérèrent comme
leur ennemi, et le remirent aux mains des Autrichiens qui l’enfermèrent dans une forteresse où il demeura cinq ans, jusqu’au 19 septembre 1797.
Pendant ce temps, à Paris, notre marquis fut déclaré émigré ce qui entraîna la confiscation
de tous ses biens dont ceux relevant de la seigneurie de LEUN et KER6UILLAY à Pleyben et
Brasparts, qui furent vendus comme» biens nationaux»
Dans le Finistère la TERREUR ne fit «que» 70 morts guillotinés sur ordre du Tribunal Révolutionnaire de Brest. Auxquels il faut ajouter une dizaine de Finistériens transférés et
guillotinés à Paris. Au nombre de ces victimes figurent les 30 administrateurs du Finistère
dont 26 furent guillotinés. Arrêtés le 19 juillet 1793 sous l’accusation «d’avoir voulu avilir
la représentation nationale, d’usurper l’autorité du peuple souverain et comme coupables d’entreprises contre-révolutionnaire», ils devaient être transférés devant le Tribunal
Révolutionnair de Paris, mais pour cause de Chouans actifs sur le parcours, ils demeurèrent
à Brest. Ils comparurent à trente. Vingt six des trente furent condamnés à mort le 22 mai
1794 et exécutés le même jour. Quatre veinards furent acquittés sans plus de raisons qu’il
n’y en avait eu pour l’exécution de leurs collègues.
Parmi les guillotinés figurait François DERRIEN, de Lennon que l’on a vu à Pleyben à l’assemblée électoral de juin 1791. Ces 30 administrateurs étaient ceux là même qui ordonnèrent l’arrestation et la déportation de «tous» les prêtres réfractaires le 22 juin 1792,
devançant même les directives venues de Paris.
17
Comme tant d’autres révolutionnaire zélés de la première époque ils étaient happés par
la machine qu’ils avaient contribué à mettre en place. Si ce n’était pas si tragique, les 26
malheureux guillotinés feraient figure d’arroseurs arrosés. Mais il n’y a vraiment pus de
quoi rire.
DÉLIRES
Le délire des années 1793-1794 a pris plusieurs formes. On vient de voir la forme meurtrière il y eut aussi la forme, disons... culturelle. Alors qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux
qui s’échinent à trouver trace du passé -ce que je suis en train de faire-, dans ces années
là il était impératif au nom de la «liberté» d’effacer les traces de «l’oppression» que le
«peuple» avait subi dans le passé.
Pour effacer les traces des «oppresseurs» -les anciennes familles seigneuriales-, on détruisit au marteau et au burin, leurs emblèmes gravés dans Ia pierre de leurs manoirs ou
des églises ; on brisa de magnifiques vitraux parce qu’ils étaient marqué des armoiries de
quelque maison noble du coin. (Les magnifiques vitraux de Saint Herbot datés de 1556, qui
portent les armes des familles du Rusquec, de La Marche et du Chastel, ne doivent d’exister encore qu’à l’astuce de paysans du coin qui les enduisirent de bouse de vache pour les
rendre opaques jusqu’à des temps plus sereins).
Toujours ou nom de la LIBERTÉ on brûla des montagnes d’archives qui auraient fait
aujourd’hui le bonheur de bien des fouineurs, parce qu’elles constituaient les preuves
écrite de «l’asservissement du peuple». (C’est toujours le droit du peuple qui était avancé)
Il fallait aussi effacer les anciens usages en matière de civilité. Une loi, rien de moins,
rendit le tutoiement obligatoire entre individus quels que soient leurs rapports personnels
ou leur place dans la société, en conséquenc de quoi il fut interdit de donner du Monsieur
ou Madame à quiconque; seuls Citoyen et Citoyenne seraient désormais admis, sous peine
d’être qualifié d’ennemi de «l’égalité» et de s’exposer au «glaive de la loi».
Le summum de «l’effacement du passé» fut sans doute l’invention du calendrier révolutionnaire. Le 22 septembre 1792, avec la proclamation de Ia première république, la France
était entré dans une nouvelle ère : L’ÉRE DES FRANÇAIS. Pour matérialiser cette ère nouvelle, la Convention décida que dorénavant le temps serait compté à partir de son premier
jour : le 22 septembre 1792.
Il fallait pour cela créer un nouvel outil de datation. Un nouveau calendrier fut donc créé
dont l’auteur fut le poète Fabre d’EGLANTINE. (le malheureux n’eut pas le temps de voir
grandir son enfant. Bien que révolutionnaire actif, il fut victime de la Terreur et guillotiné
en même temps que DANTON, le O5 avril 1794).
Notre poète divisa l’année en douze mois de 30 jours, dont chaque tranche de trois mois
correspondait à une saison. Comme il ne pouvait modifier le mouvement de la terre et
du soleil, il lui restait 5 jours disponibles, qui furent nommés «sans culotides» et seraient
réservés à la célébration de fêtes révolutionnaires comme par exemple l’annniversaire de
«la punition du dernier roi des Français» (exécution de Louis XVI). Chaque mois du nouveau
calendrier était divisé en trois décades dont chaque jour s’appellerait, primidi, secondi,
tridi etc... le dernier, «decadi» serait jour de repos.
Le système ne s’arrêtait pas Ià : à compter du 1er jour de l’an 3 (22 septembre 1794) on
ne devrait plus diviser la journée en heures, minutes etc..., mois en dixièmes ; centièmes
etc. Cette disposition délirante du citoyen Fabre n’entra jamais en vigueur. Il eut fallu
remplacer toutes les horloges, pendules et montres de France. Tous les horlogers du pays
n’y auraient pas suffi. Le nouveau calendrier aurait du entrer en vigueur le 1er septembre
1793, qui serait devenu le 1er vendémiaire de l’an 2. Pour je ne sais quelle raison, le décret
d’application parut en retard, et c’est le 06 octobre 1793 ou 15 vendémiaire an 2 seulement que le nouveau système de datation devint obligatoire.
18
L’ancien système le calendrier grégorien dit de L’ÈRE VULGAIRE fut dès lors officiellement
proscrit. Exit la semaine avec au bout le dimanche, ce septième jour consacré au repos et
à l’accomplissement des obligations religieuses, ce jour du Seigneur qui trouve son origine
dans la Bible. Plus de dimanche donc, plus de fêtes traditionnelles non plus. Supprimés
Pâques l’Ascension, Noël, la Toussaint... Effacés St Jean, St Michel, étapes importantes
dans le déroulement de l’année pour le paysan. Plus de Saint qui que ce soit d’ailleurs, le
mot «saint» étant banni du vocabulaire.
Absurde? Pas autant qu’il y paraît si l’on considère le nouveau calendrier comme un élément déterminant du plan de déchristianisation qui se mettait en place. On y reviendra.
Abstraction faite de ses implications religieuses, le calendrier révolutionnaire était par
contre totalement absurde. Cest l’œuvre de gens qui à l’évidence n’avaient pas la moindre
idée de ce qu’est le travail hors de leur sphère intello-parisienne. (Leurs descendants n’ont
guère évolué).
Comment ces gens pouvaient-ils imaginer que des hommes qui travaillaient déjà six jours
sur sept, douze heures par jour pour les ouvriers, souvent plus pour les paysans, pourraient
accepter de voir leur nombre de jour de repos réduits d‘un bon tiers, sans rechigner ? Il n’y
avait à l’époque que peu d’industrie et donc peu d’ouvriers en Bretagne. Il existait cependant dont notre région les mines de plomb d’Huelgoat et de Poullaouen qui employaient
ensemble un bon millier d’ouvriers. Refusant tout à Ia fois d’être payés en assignats et
de travailler 12 heures par jour, neuf jours sur dix, les ouvriers se mirent en grève le 21
novembre 1793, un mois après l’entrée en vigueur du nouveau calendrier. La troupe intervint, une trentaine d’ouvriers furent arrêtés. Après trois mois de grève le travail reprit, les
ouvriers ayant obtenu deux jours de repos par décade et le paiement d’une partie de leur
salaire en espèce sonnantes. Ce qui montre une fois de plus, que ces gens qui prétendaient
libérer le peuple et faire son bonheur, au besoin malgré lui, ne connaissaient rien de ce
peuple.
Après le calendrier, que pouvait-on encore changer pour effacer les traces du passé. On
trouva. Il fallait changer les noms de lieux qui comportaient quelque connotation féodale
ou religieuse. C’est ainsi que Quimper Corentin devint «Montagnes sur Odet», Châteaulin
«Ville sur Aone», Châteauneuf du Faou «Pont d’Aune» etc...
Lorsque le délire à libre cours .... Certains «patriotes» ayant hérité de leur père des noms
du genre LABBÉ, LECOMTE ou LE ROY jugèrent bon d’en changer. Comme ce Quimpérois
animateur de la Terreur qui jeta son patronyme LE ROY aux orties pour se faire appeler
«MONTAGNE» tandis qu’un de ses homonymes devenait le «citoyen LIBERTÉ» Pauvre liberté, on lui aura tout fait décidément jusqu’à servir de nom à un terroriste honteux de
celui de son père !
DÉCHRISTIANISATION - LA FOLLE ENTREPRISE
Encore une trace du passé et non des moindres, qu’il fallait effacer : la Religion.
La folle entreprise ! Le christianisme est arrivé en Bretagne, apporté par nos lointains
ancêtres qui venaient du Pays de Galles ou du sud de l’actuelle Angleterre, à l’époque la
Bretagne, vers le 6e siècle (année 500 de notre ère). Vouloir l’éradiquer après que, douze
siècles durant il aie fait partie intégrante de la vie des habitants de ce pays, de la naissance
à la mort, n’était ce pas une folle entreprise ? C’est pourtant ce qu’ont tenté les têtes
pensantes de la Révolution relayées par les petits «AYATOLLAH» locaux qui tyrannisaient
la Cornouaille.
Les moyens furent divers. La Terreur d’abord. Les prêtres réfractaires et ceux qui leur
auraient donné quelque assistance, passibles de prison depuis 1792, tombaient sous le
coup de la peine de mort depuis 1793. Douze prêtres et quatre «receleurs» furent guillotinés à Brest au cours de «L’année terrible».
19
Le calendrier révolutionnaire fut un autre instrument de la déchristianisation. En supprimant les dimanches et les fêtes religieuses on supprimait en même temps la sacro-sainte
messe dominicale et l’occasion aux paysans de se rencontrer, de s’assembler et de refaire
le monde à la sortie de l’église, ainsi que les offices solennels, à l’occasion des grandes
fêtes de l’année chrétienne. A ceux qui en avaient encore le courage, il restait la possibilité
d’assister à la messe du jour de «DECADI». Et encore...
En effet, bien qu’ayant prêté serment, les prêtres constitutionnels, seuls autorisés n’étaient
pas exempts de brimades. Partout les petits tyrans locaux, les poussaient à démissionner
et à se marier. Certains le firent.
Le but de tout cela ? Aboutir à la constatation que les «citoyens» paysans n’assistaient
guère aux messes de DECADI, et que les églises dépourvues de prêtres desservants, étaient
devenues inutiles. Rien n’empêchait dès lors de fermer ces «temples de la superstition», de
les débarrasse des leurs «idoles» et d’en faire des lieux de célébration du culte d’une contre
religion, une sorte d’athéisme militant et extrémiste.
C’est ce qui s’est produit à la cathédrale de Quimper le 12 décembre 1793.
L’évêque constitutionnel du nom d’EXPILLY, avait été arrêté en même temps que les administrateurs le 19 juillet 1793 (il fut exécuté en même temps qu’eux): les prêtres constitutionnels qui entouraient l’évêque avaient jugé prudent de prendre le large. Quelques
«terroristes» d’avant garde de Quimper, virent l’occasion de se distinguer aux yeux de Paris,
et mirent au point une manifestation qui devait mettre à bas le «despotisme sacerdotal»
faisant de la cathédrale le premier temple du département du culte de la «déesse RAISON».
Dans un but évident de provocation, ils choisirent la date du 12 décembre, jour du pardon
de Saint Corentin, patron de la cathédrale.
Révolution ou pas, le jour du pardon, les Quimpérois et les paysans venus des alentours
étaient ce jour là nombreux dans la cathédrale et aux alentours. On allait montrer à ces
paysans superstitieux, le peu de cas que faisaient les «patriotes éclairés», de leurs croyances. Dans la matinée quelques «chefs» dont les noms : DAGORNE, HERAULT, LECLERC
sont restés inscrits dans les mémoires de la ville, escortés d‘un détachement de troupes
du Loir et Cher et de trois pièces d’artillerie qui furent braquées sur les issues de la place,
pénétrèrent dans le sanctuaire et ordonnèrent sa mise à sac. DARGONE, donnant l’exemple
s’empara d’un ciboire dans lequel il pissa devant la foule, en invitant le «peuple» à l’imiter.
Tout fut détruit : les statues, les meubles, les tableaux, les ornements sacerdotaux... tout.
Les tombaux des anciens évêques furent ouverts et pillés. L‘après-midi tout ce qui pouvait
brûler fut transporté au «champ de bataille» de l’autre côté de l’Odet, et détruit par le feu.
Statues de bois polychrome, meubles, ornements etc ... Un ou deux ans plus tôt il en eut
fallu bien moins que cela pour mettre la Cornouaille à feu et à sang. Cette fois là, personne
ne bougea. La Terreur avait fait son effet. Les canons braqués sur la foule aussi.
Tout cela pour la libération du peuple de l’emprise de «l’hydre du fanatisme sacerdotal»*.
Parler de «fanatisme» après de pareils débordements... Pauvre liberté encore une fois !
* Eh oui, voilà le genre de charabia qu’il était de bon ton d’utiliser
pour avoir l’air d’un bon «patriote». Triste ou ridicule ?
20
PLEYBEN, AUTOUR DE L’ÉGLISE
Et à Pleyben, comment furent vécues les deux années noires, 1793 et 1794 ? Mal, assurément comme partout ailleurs en Cornouaille centrale. Il n’est que de se souvenir du climat
qui régnait dans le canton en mars 1793 lors de la tentative d’enrôlement pour la «levée
en masse». La mise en place des dispositions de la Terreur, et de nouveaux recrutements et
réquisition n’étaient pas faits pour améliore le climat.
On ne sait rien de précis sur la façon dont fut perçu le calendrier révolutionnaire avec la
suppression des dimanches, ni comment s’en accommoda le curé M. LE BRETTON. Tout
ce qui est sûr, c’est que celui-ci demeura à son poste, en dépit des incitations qu’il put
recevoir à démissionner. Au moins pour cela on doit lui savoir gré. Que serait-il advenu, en
effet, de l’église et de nos monuments s’il avait mis la clef sous la porte et si quelque bande
de sans culottes était venue comme à Quimper jouer les purificateurs ?
Il y a bien eu une courte fermeture de l’église à Pleyben, mais ce ne fut pas en relation
avec la Terreur.
Explication :
Une note datée de «Pleiben le 2e prairial an 3 de la République française une et
indivisible» signée de DELAROQUE syndic du district de «VILLE SUR AONE» fait
apparaître que la veille 1er prairial an 3 (20 mai 1795), la municipalité de Pleyben
avait décidé la fermeture de l’église.
Extraits :
«Citoyens,
Vous avez été instruits aujourd’hui d’un arrêté pris hier par la municipalité de Pleiben relatif à la fermeture de l’église.
Dès que j’ai été instruit je me suis rendu sur cette commune... j’ai fait assembler
aussitôt les membres de la municipalité et leur ai témoigné ma surprise d’un pareil
arrêté... je leur ai fait sentir tout de ridicule de cette délibération qui ne tendrait
rien moins qu’à semer le trouble parmi leurs concitoyens... je leur ai montré les
suites fâcheuses qu’elle pourrait entraîner dans ces temps orageux.
J’ai vu avec ces citoyens se porter avec empressement à reporter cet arrêté et ils
m’ont assuré qu’ils avaient été trompés».
Manifestement, cette fermeture n’était pas inscrite au programme du district. Risque de
troubles, climat orageux, décision ridicule... Le citoyen DELAROQUE ne l’envoyait pas dire,
la municipalité de Pleyben venait de commettre une connerie. Il fallait d’urgence faire
machine arrière sinon Pleyben allait exploser.
En tête du 2 prairial an 3
21
Signature de Delaroque, procureur syndic du district
La municipalité de Pleiben obtempéra à l’injonction du district. Une note du 20 prairial
an 3 (08 juin 1795), de la même main que la précédente, porte annulation de la fermeture
de l’église.
Extraits :
«Paul LE BAUT. Maurice LE GOFF, Jean TOUTOUS , Jean LE VELLY, Yves LE PAGE et
Jean LE BORGNE, officiers municipaux de la commune de Pleiben.. . déclarèrent
unanimement annuler l’arrêté par eux tenu au sujet de la fermeture de la mère
église de cette commune... et c’est signé : LE GOFF, LE BAUT et PLOUZENNEC, greffier.»
Ouf, l’église de Pleyben avait eu chaud ! Si la fermeture s’était prolongée un sort identique
à celui que connut la cathédrale de Quimper était à craindre.
LE CITOYEN LAROQUE
Nous devons peut-être à l’intervention de ce citoyen, d’avoir pu conserver intact le patrimoine religieux que nous ont légué nos ancêtres : une riche statuaire, de magnifiques
rétables, des sablières sculptées etc... des 16e et 17e siècles, un orgue du 17e, à l’intérieur
de l’église et le calvaire, un des plus beaux de Bretagne. Pour cela, je crois qu’il mérite que
je lui consacre quelques lignes ci-après.
Il se faisait appeler LAROQUE ou DELAROQUE pendant la Révolution mais son nom véritable était Guillaume François de LA ROQUE TRÉMARIA, rejeton d’une famille de la petite
noblesse Cornouaillaise, il était cousin du célèbre docteur René Théophile LAENNEC, passé
à la postérité pour avoir inventé le stéthoscope.
Avant la Révolution le sieur de LA ROQUE était receveur des Fermes du Roy, de Bretagne :
une sorte de percepteur, fonctionnaire royal. En 1790, il devint maire de Châteaulin et
commandant de la garde nationale pour cette ville*. Bien qu’il fut un membre actif, et sans
doute zélé de l’institution révolutionnaire sa famille paya un lourd tribu à la Terreur.
Au moment même où il apparaît à Châteaulin dans la panique du 19 mars 1793, deux de
ses frères Alexandre Marie et Victor, le premier médecin à Quimper, le second officier de
marine sont arrêtés pour avoir échangé des correspondances contenant des «propos antipatriotiques**». Transférés à Paris, ils furent condamnés à mort et guillotinés le 5 nivose
an 2 (26 décembre 1793). Les malheurs de la famille de LA ROQUE ne s’arrêtère pas là :
un autre frère religieux capucin à Brest fut arrêté et déporté, deux soeurs des guillotinés :
Jeannette, religieuse insermentée et Françoise furent à leur tour arrêtées le 29 nivose an 2
(15 janvier 1794)et conduites à Paris où elles furent exécutées le 1er thermidor suivant (19
juillet 1794)***.
Au moment où il intervint contre la fermeture de l’église de Pleyben, Guillaume François
de LA ROQUE «citoyen LA ROQUE» avait donc perdu cinq de ses frères et soeurs victimes
de la furie révolutionnaire On imagine ce que cet homme à pu ressentir de chagrin, de
colère et de dégoût.
Malgré cela il a continué à remplir sa fonction d’agent de la Révolution. En fait il était
prisonnier du système. S’il avait laissé extérioriser ses sentiments, il était lui aussi voué à
la machine coupeuse de têtes.
* C’est en cette qualité de maire de Châteaulin qu’il est apparu en mars 1793,
dans un procès-verbal de réunion que J’ai cité plus haut.
**Preuve que la violation de la correspondance privée était pratique courante sous la Terreur.
*** A quelques jours près ellles auraient probablement échappé à la guillotine.
Huit jours plus tard, le 27 juillet 1794 en effet, ce fut ROBESPIERRE, le chef suprême
de la Terreur qui était éxécuté à son tour, et la fin de cette dernière.
22
Après avoir rendu au citoyen LAROQUE ce qui, à mon avis lui était du, j’en reviens à cette
affaire de fermeture de l’église de Pleyben, pas très claire, à premièrs vue.
RETOUR DE MISSIRE TRANVOEZ ?
Quelle mouche avait bien pu piquer ces officiers municipaux, pleybennois de vieilles souche , à en juger par leur noms, pour fermer et risquer de mettre en péril «LEUR» église ?
«Ils auraient été trompés» note le citoyen LA ROQUE qui ajoute : «les prêtres non assermentés qui habitent sur cette commune sont pour beaucoup dans cette conduite...»
Des prêtres non assermentés habitant sur commune... Ce ne pouvait être que M. TRANVOEZ libéré des pontons de Rochefort le 12 avril 1795 et peut-être MM. GUEZENGAR
déporté lui aussi, ou CEVAËR qui fut emprisonné.
En comptant un mois pour le trajet -à pied- de Rochefort à Pleyben, l’ancien recteur
TRANVOEZ a pu être de retour vers le 15 mai -cinq jours avant la décision de fermeture
de l’église-. Il y a donc sûrement un lien de cause à effet entre les deux événements. Libéré mais toujours interdit d’exercice, le recteur TRANVOEZ auroit-il tenté de reprendre
SA paroisse avec le soutien des paroissiens ? A moins que ce ne soient les paroissiens qui
auraient décidé d’écarte le curé constitutionnel LE BRETTON, pour réinstaller celui qu’ils
tenaient toujours pour leur recteur légitime ? Quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans
l’autre, la municipalité ne pouvait laisser faire sans s’attirer les foudres des instances du
district ou du département, qui ne pouvaient laisser désavouer «leur» curé.
Coincé entre Ia crainte des sanctions de l’autorité et celle d’un possible coup de force des
paroissiens qui, ayant retrouvé «LEUR» recteur, entendaient bien le conserver désormais
et ne plus avoir affaire au curé «jureur» qui leur avait été imposé cinq ans plus tôt, les
officiers municipaux auraient opté pour une sorte de «jugement de Salomon» : pas de
retour de l’ancien recteur, mais plus de curé»intrus» non plus, et fermeture de l’église en
attendant... En attendant sans doute que le district prenne ses responsabilités et indique
la conduite à tenir.
La situation ne pouvait pas s’éterniser le climat était «orageux» selon le citoyen LAROQUE.
C’est ce que ce dernier à immédiatement compris, se déplaçant à Pleyben le jour même.
Dix huit jours se sont écoulés entre l’intervention du syndic DELAROQUE et la prise de
l’arrêté de la municipalité stipulant :
«La mère église de cette commune... qu’elle soit dès ce moment ouverte avec liberté à tout
individu quelconque d’y entrer pour le libre exercice du culte».
Retour à la normale, donc.
Ces 18 jours furent sans aucun doute utilisés à des tractations en vue de sortir de la crise
sans que personne ne perde la face. J’ai relevé dans une note du bulletin diocésain de
l’évêque de Quimper, année 1938. que, bien qu’officiellement «interdit», M. TRANVOEZ fut
autorisé du fait de la «bonne volonté» de M. LE BRETTON, à «célébrer la messe matinale les
dimanches et jours de fête».
En fait de «bonne volonté», c’est probablement l’arrangement qui fut trouvé entre les deux
prêtres avec le citoyen LAROQUE en médiateur. Question subsidiaire : le rédacteur du bulletin de I’évêché fait-il erreur, ou y avait-il encore des dimanches et jours de fête en dépit
des prescriptions du calendrier officiel ? J’ai tendance à pencher pour la deuxième alternative. A Pleyben, comme dans la plupart des communes rurales, on aurait «fonctionné» avec
deux calendriers: l’officiel pour la façade et la datation des écrits, et l’ancien, le proscrit
pour le règlement de la vie quotidienne des habitants. Ce ne devait pas être toujours facile de s’y retrouver pour les responsables de la municipalité, mais c’est peut-être grâce
à cet artifice que l’on a pu éviter l’explosion de la population malgré le «temps orageux»
ambiant évoqué par LAROQUE.
23
«L’arrangement» du 08 juin 1795 ne tint pas très longtemps. Le 22 septembre suivant, le
curé LE BRETTON rétractait son serment. Se rangeait-il derrière le recteur «interdit» en
renoçant à sa qualité de prêtre constitutionnel ? Pour un temps seulement, car il réapparaît en 1798, ès qualité, comme on le verra plus loin. Il aurait donc rétracté sa première
rétractation. Pas simple à suivre.
Et M. TRANVOEZ ? Son «retour» fut de courte durée. Après la période de clémence qui
suivit la Terreur, le parti de la répression prit à nouveau le dessus dès 1796. Les prêtres
réfractaires furent de nouveau poursuivis et emprisonnés, et M. TRANVOEZ fut sûrement
obligé pour le moins, de se faire oublier.
SONNA - SONNA PAS ?
Pour clore ce chapitre «autour de l’église de Pleyben» voici une histoire de cloche.
Par ordre du ministre de la police, du 29 primaire an 6 (19 décembre 1797), il fut interdit
de faire sonner les cloches des églises au motif que :
«Les oreilles des patriotes ne sauraient être incommodées par les hochets du fanatisme...
Le son des cloches est l’un des moyens qu’emploie le fanatisme pour rétablir son
emprise sur la masse crédule du peuple...
Tout individu qui fera une proclamation au son des cloches sera puni d’un emprisonnement qui ne pourra être moindre de trois décades»
On aura remarqué la sensibilité des oreilles patriotiques, et le haut niveau d’estime où était
tenu le peuple «cette masse crédule». La prison, un mois minimum pour toute infraction !
Au nom de la LIBERTÉ, évidemment !
Faut-il en rire ou en pleurer. Pareil niveau de sottise chez un ministre, confondant !
A Pleyben, l’interdiction de sonner la cloche a été transgressé au moins une fois. Ce dont
les coupables eurent à réponder devant le tribunal correctionnel de Châteaulin. Le «délit»
fut commis le 18 thermidor de l’an 7 (05 août 1798).Ce jour là l’évêque constitutionnel de
Quimper, Yves AUDREIN en route pour Brest, décide de faire halte à Pleyben. Une grande
cérémonie est organisée pour l’accueillir. Le curéde la commune, LE BRETTON, et quelques
autres prêtres «jureurs» des environs forment le comité d’accueil. Une messe en l’honneur
de l’évêque est célébrée dans l’église après quoi, une procession fit le tour du cimetière,
attenant à l’époque à l’église et pendant la procession la cloche fut paraît-il sonnée pour
saluer l’événement.C’est du moins ce qui a été rapporté au tribunal de Châteaulin. L’affaire
fut jugée le 29 octobre suivant, et tous les prévenus furent acquittés au bénéfice du doute.
Pour une fois, le ridicule ne tua pas.
Au nombre des «coupables» il y avait le citoyen LEISSEIGUES, de son vrai nom Robert
Louis de LEISSEGUES en qualité de «commissaire du Directoire exécutif près du canton de
Pleiben».
Dans une note de «Pleiben 22 fructidor an 6 de la République» (08 septembre 1798) adressée à l’administration centrale du Finistère il soutient mordicus que la cloche ne sonna
pas : «Les cloches n’ont point été sonnées pour annoncer cette procession... on ne sonne
la cloche que le jour de la décade et aux fêtes nationales, et ce jour elle ne fut point sonnée...»
«On a dit que la procession a eu lieu, non seulement au cimetière mais même sur la place
publique...»
Tout cela, assurait-il n’était que ragots rapportés par un journaliste, sur la foi de commérages recueillis auprès de quelque grenouille de bénitier...
24
Alors, sonna ou sonna pas ? Quelle importance? Mais quelle drôle d’idée tout de même
que d’interdire de sonner les cloches des églises. Autrefois, les paysans n’avaient pas de
montre. Cest le son de la cloche qui rythmait les heures de la journée du labeur au champs.
Aujourd’hui encore, à qui viendrait-il l’idée d’interdire de carillonner à la volée pour marquer mariages ou naissances, ou encore de sonner le glas pour accompagner les défunts à
leur dernière demeure?
Un mot encore, de l’évêque AUDRIEN, à cause de qui eut lieu tout ce tintamarre. Il avait
été élu évêque peu avant sa venue à Pleyben, en avril 1798, comme successeur d’EXPILLY,
guillotiné le 22 mai 1794. Avant d’être évêque il fut déput à la Convention en 1792. Il fut
de ceux qui votèrent la mort du Roi Louis XVI. Ce vote lui coûta la vie.
Le 19 novembre 1799, alors qu’il roulait en diligence pour aller à Quimper à Châteaulin sa
voiture fut arrêtée par un groupe d’hommes armés, des Chouans, au lieudit Saint Hervé sur
la voie Romaine, à quelques centaines de mètres après la moulin de Pen ar yeun ; à deux
kilomètre environ, de Quilinen. On le fit descendre de voiture et s’adosser à un arbre. Un
des agresseurs lui dit : «tu as fait mourir un innocent, nous allons punir un coupable» et
on le fusilla sans autre forme de procès. Peut-être que, malgré l’interdiction, le glas fut-il
sonné lorsqu’on le porta en terre. L’histoire ne le dit pas.
1795 - LES CHOUANS, L’EXPÉDITION DE PONT DE BUIS
Peu de temps après le règlemen de l’affaire de la fermeture de l’église de Pleyben, eut lieu
la grande expédition des «CHAOUANS» sur la poudrerie de Pont de Buis. Le 16 juin 1795,
une troupe de 600 à 700 hommes dirigée par un noble en fuite du nom de LANTIVY, partie
du Roudouallec, passa par Trégourez, Edern, Briec, Gouézec et Pont-Coblant et arriva à
Saint-Ségal vers 9 heures du soir après avoir traversé tout le territoire de Pleyben, du sud
au nord. Sur leur passage ils avaient assassiné un instituteur à Edern, le curé constitutionnel de Briec Yves GORGUER, le curé également jureur, de Gouézec, Yves DAVID déjà cité et
pour finir la journée celui de Saint-Ségal, un nommé LE GUILLOU, natif de Pleyben.
Après la nuit passée à Saint-Ségal, la colonne des Chouans poursuivit sa course jusqu’à
Pont de Buis. A la poudrerie, ils firent main basse sur 3 000 à 3 500 kilos de poudre, et en
jetèrent à peu près le double dans la rivière Douphine. Ayant «fait leur marché» ils sont
repartis, emportant leur butin sur des charrettes conduites par des paysans qu’ils avaient
réquisitionnés. De Pont de Buis, ils sont repassés à Saint-Ségal où probablement une partie
de la troupe était restée. Le soir même ils campaient à Landeleau, après être passés par le
Cloître-Pleyben et Plonevez du Faou, et avoir parcouru une bonne trentaine de kilomètres.
Pas mal pour des paysans en sabots ! Le lendemain 18 juin, après avoir franchi l’Aulne à
Pont-Triffen, ils firent halte à Saint-Hernin où ils libérèrent leurs charretiers, après les
avoir payés en «assignats à face royale», crut devoir préciser un de ces «transporteurs»
involontaires.
L’équipée de Pont de Buis se termina dans la presqu’île de Quiberon où quelques milliers
d’émigrés débarqqués par la marine anglaise attendaient leurs chargements de poudre
pour combattre les troupes républicaines.
Cette affaire fit évidemment grand bruit et scandale, tant au district qu’au département
du Finistère. Qu’une troupe de 600 à 700 hommes armés aie pu, au nez et à la barbe de
l’autoritée, en dépit des comités de surveillance et des espions de tout poil, traverser du
sud au nord toute la Cornouaille et s’offrir même le culot de camper une nuit durant, à
Saint-Ségal, situé à moins d’une heure de marche du siège de l’autorité du district de
Châteaulin, sans qu’à aucun moment l’alerte ne soit donnée cela dépassait l’entendement.
Cela révélait surtout le peu de sympathie qu’éprouvait la population des multiples villages
que traversèrent les Chouans tout au long des quarante et quelques kilomètres séparant
Roudouallec de Pont de Buis, pour les institutions révolutionnaires et pour les hommes qui
les dirigeaient, et à contrario celle dont bénéficiaient les opposants au Nouveau Régime.
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C’est le constat que faisaient sur un ton amer, les «administrateurs du district de Ville sur
Aulne» dans une note adressé aux «administrateurs du département», datée du 7 messidor
an 3 (25juin 1795), 8 jours, donc, après l’événement.
Petit extrait :
«Nous ne pouvons nous dissimuler, citoïens, que nos cultivateurs sont sur le
point de suivre les pêtres conformistes et les ex-nobles... Il faut que les Chouans
aient été bien servis pour avoir pu traverser tout le pays incognito et pour être
tombé à l’improviste à une lieue de nous sans que nous fussions instruits.»
Les derniers doutes que pouvaient avoir les hommes du Nouveau Régime sur les sentiments
des habitants à leur égard étaient dissipés. La discrétion générale dont bénéficièrent les
Chouans de Pont de Buis, a en effet de quoi surprendre. Ce ne sont pas, pourtant les risques de fuites qui ont manqué. Une pareille expédition n’a pu, à l’évidence être improvisée.
Dans les jours qui l’ont précédé, il a bien fallu que des éclaireur reconnaissent le parcours à
suivre, et prennent contact avec des amis sûrs pour organiser le ravitaillement de la troupe
au cours de la journée. Un certain nombre de personnes à vu «traîner» par les chemins des
étrangers à leur quartier, ce qui ne manqua pas, sûrement de susciter des interrogations.
Dans sa marche vers Saint-Ségal la colonne des Chouans à fait une halte pour ce ravitailler, au village de Kervennau sur la commune de Briec, dans la matinée du 17 juin.
Pour que tout soit prêt en temps voulu, le maître des lieux, Hervé DARCILLON avait été
nécessairement instruit quelques jours à l’avance du projet de raid sur Pont de Buis. A son
tour il ne put éviter de mettre dans la confidence quelques amis et membres de sa maison.
Pour nourrir les 600 à 700 hommes engagés on fit cuire dans le four du village plusieurs
centaines de kilos de pain, on confectionne des crêpes par milliers, et on tua deux bœufs
dont on fit cuire la viande dans une batterie de «chidouarnou» «réquisitionnées» alentour.
Tout cela dut mobiliser pas mal de monde pendant plusieurs jours. La dernière des crêpières n’a pu ignorer grosso-modo ce qui ce tramait. Et pourtant, rien n’a filtré.
Et ce fut partout pareil. A Gouézec comme à Pleyben. Point de passage obligé : PontCoblant, un endroit où la colonne de plusieurs centaines d’hommes ne pouvaient passer
inaperçue tant des habitants que des ouvriers qui travaillaient aux ardoisières de Stéréon.
Idem pour tous les villages traversés sur la dizaine de kilomètres qui sépare Pont-Coblant
à Saint-Ségal.
Quantité de gens auraient pu se précipiter Châteaulin pour donner l’alerte ou courir au
bourg de Pleyben prévenir la municipalité faire sonner le tocsin- seul usage autorisé des
cloches depuis 1792, en cas «de dangers publics, incendie ou approche de l’ennemi».
Rien de tout cela se produisit, et le «district» ne sut que le lendemain 18 juin que les Chouans
avaient passé la nuit à 4 kilomètres de leur siège, fait main basse sur la poudrerie, et étaient
déjà repartis au loin, à l’abri d’éventuel poursuivants. Difficile d’imaginer désavœu plus cinglant, de la quasi totalité de la population, qui s’était exprimé par un silence éloquent.
S’il n’avait été jalonné par quatre assassinats, Ie raid des Chouans aurait pu être jugécomme un exploit au plan militaire. Hormis leur engagement du côté de la révolutio qu’était-il
reproché aux victimes, qu’ils auraient mérité de payer de leur vie ? A ma connaissance,
dans trois des cas, rien dont-il soit resté de trace écrite. Dans le quatrième celui de Yves
CORAGUER, curé jureur de Briec, il y a une dénonciation, celle qu’il fit par lettre du 25
juillet 1791 - conservée aux Archives Départementales (L.45)-, de l’un de ses confrères
du nom de BOURBIGO, vicaire de Landrévarzec avant les événements. M. BOURBIGO fut
contraint de disparaître dans la nature pour ne pas être arrêté. Comme il n’a plus ensuite
donné signe de vie, on peut penser qu’il est mort dans la clandestinité. On peut le déplorer mais les assassinats font partie de la guerre civile, doublé de surcroît,d’une guerre de
religion.
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1799 - NOUVELLE CHOUANNERIE
Après l’expédition de Pont de Buis, les Chouans ne firent plus, semble t’il, parler d’eux dans
le canton de Pleyben, jusqu’à la fin de l’année 1799, où apparaît une nouvelle poussée de
Chouannerie, qui ne se manifestait pas comme en 1795, par une «invasion» passagère mais
par des incursions répétées, venant, selon les notes successives du citoyen de LEISSEIGUES,
de Gouézec, Briec et autres localités au sud de Pleyben, en passant par Pont-Coblant.
Le 28 novembre 1799, il rappelle que depuis le 28 brumaire (18 novembre 1799, la veille
de l’exécution d’AUDREIN), il s’est réfugié à Châteaulin pour :
«Me garantir des brigands qui séjournent continuellement dans Briec et Gouézec...
et j’y resterai jusqu’à ce que je voie dans Pleiben une force suffisante pour le mettre
à couvert des invasions de barbares qui ne manqueraient pas de me sacrifier s’ils
pénétraient à Pleiben...
S’il y avait cent hommes à Pleiben ou un fort piquet au Pont-Coblant pour arrêter
toute communication entre eux et se saisir des déserteurs qui y passent journellement...
Dans l’ancienne chouannerie, Pleyben à conservé sa tranquillité parce qu’il à toujours eu de la troupe dans ce point, on en saisit l’importance après l’invasion des
Chouans au Pont de Buis...»
Et de poursuivre :
«S’il y a de la troupe à Pleiben et dans les cantons environnants... il sera possible de
les repousser et de les détruire... sinon, les Chouans feront à leur aise... pilleront les
propriétés publiques et particulières et frapperont particulièrement les «patriotes»,
sèmeront la terreur partout, feront des recrues...»
Cette fois, Pleyben est touché par la grande violence. On n’en est plus au stade des vociférations et de quelques bancs cassés dans l’église à coups de canne, comme en mars
1793. De LEISSEIGUES, «commissaire du gouvernement prè le canton de Pleiben» se sait
menacé de mort. Non sans raison. Huit jours seulement avant qu’il ne soit allé se réfugier à
Châteaulin, Pierre BRIANT, son homologue pour le canton de Briec, avait été assassinéchez
lui, le 10 novembre 1799. Peut-être par les hommes de la bande qui assassina l’évêque
AUDREIN.
Lui, de son côté aurait bien fait massacrer ces «brigands, ces barbares» qui en voulaient
à sa vie, pour peu que l’administration du département lui en fournisse les moyens. Cent
hommes à Pleiben, pour les «repousser et les détruire».
L’appel au secours du citoyen LEISSEIGUES, ne trouva aucun écho chez les fonctionnaires
de Quimper. I l va le réitérer à peu près dans les même termes le 08 décembre 1799, puis
le 24 janvier 1800. Il lui faut toujours 100 à 150 hommes pour «empêcher que Pleiben ne
devienne la proie des barbares».
Ses deux dernières missives n’auront pas plus de résultat que la première. Aucune troupe
ne sera envoyée à Pleyben, dont les habitants durent encore supporter quelques temps les
incursions de Chouans qui y venaient régulièrement se ravitailler et, à l’occasion, essayer
de recruter de jeunes hommes, au besoin par force.
La surdité de l’administration départementale n’était pas due à la seule indifférence mais
bien plutôt aux changements politiques qui venaient de se produire à Paris. En politiciens
avisés les hommes en place attendaient de voir de quel côté aller souffler le vent, avant de
prendre quelque initiative.
Sans que, au niveau du terrain on s’en soit rendu compte, la France et le département du
Finistère avec, venait de changer de Régime encore une fois.
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Le 18 brumaire an 8 ou 08 novembre 1799, un certain général BONAPARTE, rentré sans
crier gare d’Égypte où les politiciens parisiens croyant s’en débarrasser l’avaient envoyéconquérir les Pyramides et si possible, se faire tuer, s’était emparé du pouvoir avec la ferme
intention de le conserver sans partage.
Le 18 brumaire marquait la fin de la Révolution et de dix années d’anarchie et de délires
meurtriers.
Avec l’avènement de BONAPARTE, il y avait désormais un capitaine à la barre du bateau
ivre qu’était devenu l’État.
La première tâche du nouveau pouvoir était de ramener l’ordre et la paix civile dans le
pays. Dans les départements bretons, plus ou moins gangrenés par la chouannerie, le nouveau pouvoir choisit de ne pas réediter la guerre qui avait ravagé la Vendée en 1793-1795.
On préféra un mode d’action plus subtil, mais qui s’avéra bien plus efficace.
Rigueur envers les chefs Chouans. Plusieurs furent arrêtés et exécutés dans le Finistère.
Clémence envers la «troupe» des paysans que l’on inciterait à retourner travailler leurs
champs en leur permettant l’impunité sous condition de rendre les armes qu’ils détenaient.
C’était bien vu. Tous le monde était las de la chouannerie : les paysans qui se faisaient
voler du bétail ou vider leurs greniers, et les chouans de base eux mêmes qui n’avaient
pas la vocation à poursuivre indéfiniment une existence de hors la loi, sans but vraiment
identifiable. La lutte pour un retour de la royauté ne servant souvent que de prétexte au
vol et au pillage crapuleux, pur et simple. La méthode «douce» devait porter ses fruits.
Le regain d’activité des Chouans qui préoccupait tant le citoyen de LEISSEIGUES, ne fut
que l’un des derniers soubresauts de la chouannerie dans le canton de Pleyben et le centre
Cornouaille.
FIN DE LA CHOUANNERIE.
Une hirondelle ne fait certes pas le printemps, mais elle l’annonce sans aucun doute.
Voici la transcription d’un billet du 25 février 1800, annonciateur de la fin de la chouannerie dans le canton de Pleyben :
Aujourd’hui 05 ventose de l’an 8 de la République Française une et indivisible
s’est présenté devant les membres de l’administration du canton, Mathias LE
CORRE du lieu de Kertanguy sur la commune de Lennon, canton de Pleiben, âgé
de trente ans, taille cinq pieds un pouce (1,69m), cheveux et sourcils noirs, yeux
gris, front bas, nez petit et relevé visage mal coloré bouche grande, mains ayant
plusieurs verrues.
Lequel nous à déclaré qu’il a pris part forcément dans les rassemblements qui
ont eu lieu dans le département du Finistère et qu’il veut profiter des bienfaits
que lui offrent l’humanité du gouvernement, et se soumettre à la loi et a proposé de déposer demain un fusil simple dont il a été armé par eux et a déclaré
ne savoir signer.
De tout quoi nous, administrateurs municipaux avons rapporté acte dont il sera
au département lesdits jour et an que dessus.
Déposé le six à onze heures du matin, René FÉON, président, GATEL agent, LE
MOAL agent, PLOUZENNEC secrétaire.
GATEL PLOUZENNEC
NOTA :
J’ai recopié scrupuleusement le signalement de Mathias LE CORRE, pour rappeler qu’il
n’y a pas si longtemps la photographie n’existait pas. La description aussi précise que
possible du physique d’un individu était la seule façon de s’assurer de son identité.
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Cet homme qui voulait profiter de «l’humanité du gouvernement» , avait sûrement mieux
à faire à Kertanguy en Lennon que de vagabonder d’une commune à l’autre en terrorisant
ses semblables, paysans comme lui. Beaucoup d’autres ont suivi son exemple, et ou bout
de quelques mois, le problème des Chouans était à ranger au rang des souvenirs douloureux dans le Finistère.
Le problème des prêtres qui avaient refusé le serment à la constitution en 1791, et de
l’Église en général qui a empoisonné la vie des habitants de Cornouaille durant les dix années de la Révolution sera réglé pour plus d’un siècle par le Concordat de 1801 passéentre
le premier Consul, BONAPARTE et le Pape.
En attendant, dès le printemps de l’anné 1801, tous les «réfractaires» pourront réapparaître dans leurs paroisses sans risquer d’être inquiétés, après être rentrés d‘exil, sortis de
prison ou avoir quitté la clandestinité qu’ils partageaient parfois avec les Chouans.
ÉPILOGUE.
Retour des Chouans ou travail des champs; des prêtres dans leurs églises, la paix civile
retrouvée, était-on revenu à la situation «d‘avant» ?
Certainement pas. La monarchie française vieille de treize siècles était éliminée. La République qui lui avait succédé n’avait plus d’existence que le nom, après le coup d’état du 18
brumaire. A un roi dont le principal défaut était la faiblesse et l’indécision avait succédé un
dictateur qui, certes sut «remettre de l’ordre dans la maison», mais mena le pays à la ruine
après 15 ans de règne d’une main de fer sans même de gant de velours.
La Bretagne avait perdu son statut de province, rayé d’un trait de plume. Les Bretons
avaient perdu du même coup les «privilèges» dont ils bénéficiaient, inscrits dans le traité
d’union de 1532, concernant entre autres, l’administration de la justice, des finances et, ce
qui concernait plus directement les hommes, le droit de ne pas être contraints au service
des armes au delà des frontières.
Si ce seul «privilège» avait été respecté, il n’y aurait probablement pas eu de rébellion lors
des enrôlements militaires qui ont jalonné les années de la Révolution et pas de déserteurs
alimentant le recrutement des Chouans.
Les nobles avaient pour la plupart, émigré à l’étranger abandonnant à leur sort leurs vassaux domaniers à qui ils devaient pourtant protection en contre partie de l’hommage et
du devoir d’obéissance que ces derniers leur rendaient, rompant ainsi le «pacte féodal» qui
les unissait.
Les bourgeois des villes et des gros bourgs avaient racheté l’essentiel des biens confisqués
à l’Église et aux nobles. Ce sont eux qui, dorénavant vont tenir le haut du pavé dans le
pays. Voilà un des gros acquis de la Révolution : le privilège de l’argent se sera substitué
à celui de la naissance.
Les paysans, à qui on a beaucoup demandé au cours de ces dix ans, d’un côté comme
de l’autre, d’ailleurs, n’auront rien vu se réaliser, des vœux exprimés dans les cahiers de
doléances de1789. Ainsi, du domaine congéable, le point le plus important aux yeux des
domaniers.
Aboli en 1792. il fut rétablit en 1797 avec le maintien des droits du propriétaire foncier.
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’entre temps, la classe bourgeoise au pouvoir avait
racheté les biens fonciers des nobles. Non pas par amour subit de l’agriculture, mais pour
placer des capitaux dont ils disposaient et entendaient tirer le meilleur profit possible. Les
paysans qui avaient troqué un seigneur foncier noble contre un propriétaire bourgeois,
n’avaient rien gagné au change. Loin s’en faut.
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Et à Pleyben plus particulièrement que restait-il à l’aube du 19e siècle des dix années de
folie que l’on venait de traverser ?
Quand on pense à ce qui aurait pu arriver, force est d’admettre que Pleyben s’en est plutôt
bien tiré.
L’essentiel du patrimoine qui nous a été légué nos ancêtree a été sauvegardé. L’église St
Germain et le calvaire sont demeurés intacts. Quand on imagine le sort qu’aurait pu subir
tout ce «petit peuple» de pierre qui orne l’un des plus beaux calvaires de Bretagne, fragile
comme du verre, sous le marteau de quelque «patriote» en mal de destruction «d’idoles»...
Les chapelles, à l’exception de Saint Suliau ont pu être récupéres en mauvais état sans
doute, mais réparable et les nombreuses croix qui jalonnent le territoire de la commune
ont été épargnées elles aussi.
Quelques miettes du patrimoine foncier confisqué sur les nobles furent tout de même
laissées aux paysans domaniers qui les tenaient.
Kervern, tenu par la famille CORNEC depuis à peu près un siècle et demi fut une de ces
miettes. Les petits fils de Jean et François CORNEC, propriétaires chacun pour moitié de
l’ancienne métairie purent racheter le fond confisqué sur Charles Eugène de BOISsELIN
émigré...
La vente eut lieu le 25 frimaire an 8 (16 décembre 1799). L’estimation préalable avait éte
faite le 11 brumaire (03 novembre 1799) par Robert Louis de LEISSEIGUES agissant cette
fois comme expert, assisté du citoyen Olivier GATEL, agent de la commune. Son montant
fut fixé à 1 920 francs, soit huit fois la redevance annuelle de 240 francs payée par les
domaniers. L’enchère commença donc à 1 920 francs. Jean-François CORNEC l’un des petits-fils dut enchérir trois fois contre un certain AUGER venu sûrement de l’extérieur qui
jeta l’éponge au 4e feu. Les domaniers l’emportaient finalement pour 2 125 francs, à payer
ou Trésor Public.
Pour une fois, le paysan l’avait emporté. Avec probablement la neutralité bienveillante des
notables locaux qui n’ont pas renchéri.
Fort bien, mais pourquoi fallait-il que des paysans soient obligés de disputer aux enchères
à des prédateur extérieurs le droit d’être affranchis de charges seigneuriales, dont l’objectif de la Révolution aurait été pécisément de les libérer ?
Et, n’était-il ps indécent de leur faire payer encore pour des biens qui auraient du leur être
acquis depuis longtemps ?
Dans le cas de Kervern, la famille CORNEC avait payé depuis 1704, une rente annuelle de
240 livres au propriétaire foncier : le seigneur noble jusqu’en 1789, l’Etat ensuite.
A l’aube de l’année 1800, cela faisait 96 annuités à 240 livres, soit 23 040 livres ; 12 fois
la valeur estimé de l’objet de la vente. Alors la Républiqu n’aurait-elle pas pu s’épargner de
réclamer 2 125 francs à la cinquième génération de domaniers de Kervern en Pleyben, pour
la cession d’un bien qui avait été déjà payé 12 fois par les générations précédentes?
Plus généralement la République aurait pu gagner à bon compte la sympathie de beaucoup
de paysans de Cornouaille, en leur rétrocédant à titre gratuit, ou pour un prix symbolique,
les droits seigneuriaux, fonciers notamment, confisqués sur les émigrés.
Bien ûr, mais cela n’aurait pas cadré avec les intérêts de la nouvelle classe dirigeante au
pouvoir qui, outre le pouvoir politique voulait aussi s’approprier le pouvoir économique , y
compris dans le domaine foncier, abandonné par la noblesse.
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ET POUR CONCLURE
Je regrette d’avoir eu à découvrir par moi-même, au prix de longues et difficiles recherches
ce que fut réellement la Révolution dans la région Centre Cornouaille : une des périodes
les plus noires de l’Histoire.
J’ai le sentiment d’avoir été trompé par mes maîtres de l’école laique à qui pourtant, je
dois beaucoup.
Pourquoi a t’on caché aux écoliers ce que je viens de découvrir alors que j’aborde la dernière étape de ma vie.
Pourquoi nous a t’on glorifié cette Révolution ? Jamais la liberté n’a autant été foulée au
pieds, jamais les gens d’une même communauté ne se sont autant haï et déchirés et jamais
une toute petite minorité n’a monopolisé autant le pouvoir politique et économique sans
rien laisser au «peuple» travailleur.
Pourquoi faut-il encore honorer des hommes comme Robespierre et quelques-uns de ses
acolytes en donnant leur nom à des écoles ou à des rues, alors qu’ils ne furent que des
criminels de la pire espèce ?
Oui, vraiment je regrette.
QUILINEN
Décembre 2002
Maurice CORNEC
Sources :
- Archives départementales - série L - Registres paroissiaux de Pleyben
- Publications diverses
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