3
Rien de bien révolutionnaire dans un tel programme. Pourtant, pour le réaliser il fallait
réformer les règles de la vie en société issues de l’Ancienne Coutume de Bretagne, sorte de
constitution datant du 13e ou 14e siècles totalement obsolète. Il fallait aussi supprimer les
privilèges et usages qui se justifiaient dans les temps anciens, mais qui n’avaient plus de
raison d’être à la fin du 18e siècle.
Exemple : l’exemption d’impôt en faveur des nobles.
Jusqu’au 16e siècle ils étaient seuls à être tenus de servir par les armes pour le Duc de Bre-
tagne ou le Roi de France, après le rattachement de 1 532. Non seulement ils avaient l’obli-
gation d’aller risquer leur vie en combattant (ils la perdaient souvent), mais ils devaient
aussi s’armer et s’équiper en montures, armures etc. ... à leur frais.
On pouvait alors considérer qu’ils payaient « l’impôt du sang » à et qu’il était juste qu’ils
soient exemptés de tout autre impôt.
En 1 789 cette obligation n’existait plus, de fait, depuis deux siècles. Si beaucoup de nobles
servaient encore dans les armées royales, c’est en qualité d’officiers de carrière dûment
rémunérés et honorés, encadrant la troupe combattante composée le plus souvent de
paysans.
Il n’y avait donc plus de raison pour que les nobles ne paient pas l’impôt comme tout un
chacun.
Autre archaïsme : les justices seigneuriales, des institutions héritées du Moyen Âge.
Certains seigneurs bénéficiaient d‘un droit de justice « haute, moyenne et basse » sur
l’étendue de leur fief. Tout habitant dudit fief devait, le cas échéant s’adresser à la juridic-
tion de son seigneur.
Lequel seigneur n’exerçant pas lui-même son droit, l’affermait à un professionnel judi-
ciaire : un avocat en général qui prenait alors le titre de « sénéchal et juge unique » de la
juridiction affermée contre espèces sonnantes.
Assisté d’un procureur, d’un greffier et d’un sergent, le « sénéchal » exploitait sa juridiction
comme n’importe quelle entreprise ou commerce. Il avait même tendance, pour rentabi-
liser son investissement, à faire « mousser » les litiges qui lui étaient soumis. En face, le
justiciable, devait se faire assister d’un « procureur » - un notaire en général - pour lui
servir d’avocat et d’interprète.
Tout ce monde finissait par coûter cher, mais ce n’est pas tout : dans une même paroisse,
tous les habitants n’étaient pas soumis à la même justice, et n’étaient donc pas jugés né-
cessairement selon les mêmes critères ni pour le même prix.
Ainsi, à Pleyben, il y avait au moins cinq seigneuries, plus le domaine du Roy.
Deux des seigneuries : Trésiguidy, et (Leun et Kerguillay*) possédaient un droit de juri-
diction. Chaque juridiction avait son siège propre : Trésiguidy à Saint-Ségal, Leun et Ker-
guillay au bourg de Pleyben. Ensemble, ces deux juridictions pouvaient concerner un tiers
des habitants de Pleyben qui devaient impérativement s’adresser à leur sénéchal respectif ;
les autres pouvaient s’adresser directement à la Cour Royale de Châteaulin.
* Le dernier seigneur de Leun et Kerguillay a été le Marquis de La Fayette, plus connu aux Etats Unis qu’à
Pleyben où il n’a sans doute jamais mis les pieds. L’absence du Marquis n’a pas empêché qu’il soit jugé
en son nom, ni que ses procureurs cherchent querelle aux paroissiens au sujet d’étals adossés au mur du
cimetière qui étaient loués aux marchands lors des foires, sous prétexte que ces étal se seraient trouvés
sur un terrain relevant du fief de leur seigneur.