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PLEYBEN
UNE COMMUNE DE CORNOUAILLE
DANS LA RÉVOLUTION
1789 - 1800
Maurice CORNEC
A LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION
En ce début d’année 1789, les choses ne tournaient pas très rond dans le royaume de Fran-
ce, la bourgeoisie tant dans les villes que dans les gros bourgs de campagne commençait à
lorgner vers les pouvoirs, dont la noblesse et le haut clergé n’entendait pas céder la moin-
dre parcelle. Les finances du Royaume étaient au plus bas et de nouveaux impôts seraient
nécessaires pour redresser la situation, qui seraient entièrement à la charge du Tiers Etat :
le peuple roturier, paysans, et bourgeois. Les nobles et le clergé en étant exemptés. La
moisson de 1788 avait été mauvaise, autant d’ailleurs que les deux ou trois précédent par
conséquence le grain était devenu rare et cher, toute la population travailleuse dépourvue
de terre avait grand peine à se procurer le pain indispensable à sa survie, et dans les villes
la colère populaire grondait.
En résumé le Royaume de France était en crise, à la fois institutionnelle, économique et
sociale. Pour tenter d’en sortir, le Roi, Louis XVI eut recours à une procédure tout à fait ex-
ceptionnelle : la convocation des Etats Généraux qui n’avait plus été utilisée depuis 1614,
sous la régence du jeune Roi Louis XIII.
Cela consistait à réunir en un même lieu, l’assemblée des représentant des trois ordres de
la société de l’Ancien Régime : la Noblesse, le Clergé et le Tiers Etat, venant de toutes les
provinces du Royaume :
«Qui viendront autour de Sa Majesté travailler avec Elle, au bonheur public, à la gloire
et à la prospérité de l’État»
Selon l’ordonnance Royale convoquant les représentant de la «Province de Bretagne», la
réunion des «Etats» était fixée au 05 mai 1789 à Versailles.
PRÉPARATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX
La désignation des représentant du Tiers Etats qui devait représenter autour de 90% de la
population, toutes classes sociales mêlées ; du riche négociant ou armateur au paysan, en
passant par l’aubergiste ou l’épicier du bourg, aux intérêts toujours divergents et souvent
contradictoires, devait se faire au terme d’une sorte d’élection ou suffrage restreint et
indirect, à trois degrés. Au niveau des paroisses : des sénéchaussées (sortes de sous pré-
fectures de l’époque) et de l’évêché.
Dans chaque paroisse, les hommes âgés de plus de 25 ans et inscrits au rôle des impôts
devaient se réunir pour dresser un cahier des doléances qu’ils entendaient faire présenter
au Roi, et désigner parmi eux des délégués qui iraient présenter ledit cahier, à l’assemblée
des délégués au siège de la sénéchaussée quelques jours plus tard.
L’assemblée de sénéchaussée établirait un cahier de doléance collectif, une sorte de syn-
thèse des cahiers de paroisses, et désignerait à son tour des délégués de sénéchaussée à
l’assemblée de l’évêché.
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Les délégués de toutes les sénéchaussées de Cornouaille devaient à leur tour se réunir à
Quimper porteurs de leurs cahiers de sénéchaussée pour élire les députés qui iraient repré-
senter leurs mandants à Versailles.
Les sénéchaussées de Châteaulin, Châteauneuf, Gourin, Quimperlé et Carhaix réunies avaient
droit à deux députés.
Celles de Quimper et Concarneau ensemble, en avaient trois
.
LES CAHIERS DE DOLEANCES
Pleyben faisait partie de la sénéchaussée de Châteaulin la seule de Cornouaille dont tous
les cahiers de doléances à l’exception de deux, ont été perdus.
Je n’ai donc pu retrouver le cahier de doléance qu’ont dressé les Pleybennois aux alentours
du 15 avril 1789.
C’est un peu dommage : il eut été intéressant de connaître les noms de ceux qui l’ont
élaboré. Pour la connaissance du contenu, ce ne doit pas être dramatique. D’une paroisse à
l’autre, tous les cahiers de doléance que j’ai pu consulter se ressemblent beaucoup.
Les cahiers de doléances de Pleyben et de Briec, deux paroisses qui ont beaucoup de traits
communs, ne devraient pas être différents par leur contenu. Je possède une copie du ca-
hier de doléance de Briec daté du «lundy treize avril mil sept cent quatre vingt neuf» qui
comprend 15articles.
L’assemblée comptait 44 délibérants ont 12 membres du corps politique*, le fabricien et le
«procureur terrien». Un notaire : Me THOMAS représentait le bourg, tous les autres étaient
des cultivateurs.
Un autre notaire, venu de Quimper faisait office de greffier chargé de dresser le procès-
verbal de la réunion.
Une remarque : 44 délibérants pour une population de plus de 3 000 habitants, c’est peu.
Sélection par l’impôt ou désintérêt de beaucoup de paysans ? Un seul délibérant pour le
bourg, c’est peu aussi. Ont pourrait dire qu’il s’agissait d’une consultation démocratique-
ment limitée.
Le premier des 15 articles était un acte d’allégeance au Roi :
«Nous déclarons et professons fidélité et obéissance au Roy notre souverain sei-
gneur. Déclarons et professons encore que sa personne est sacrée.»
Les 14 articles peuvent se résumer ainsi :
- Plus d’équité dans la répartition des impôts dont les nobles et le clergé étaient
exemptés;
- Contribution de tous à l’entretien des chemins;
- Aménagement du domaine congéable et suppression de la «banalité» (obligation
faite au paysan de faire moudre son grain au moulin seigneurial);
- Suppression des justices seigneuriales : «que la justice ne soit plus rendue qu’au
nom du Roy»;
- Redistribution de tous les biens ecclésiastiques afin que les «simples prêtres des
paroisses soient affranchis de la honte de la mendicité» ;
- Suppression du tirage au sort pour le recrutement militaire, remplacement par le
volontariat;
- Suppression de la détaxation des vins et eaux de vie en faveur des «riches».
*une sorte de conseil paroissial, comparable à l’actuel conseil municipal. Le fabricien et le procureur terrien
étaient à peu près l’équivalent d‘un maire et d’un adjoint aux finances
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Rien de bien révolutionnaire dans un tel programme. Pourtant, pour le réaliser il fallait
réformer les règles de la vie en société issues de l’Ancienne Coutume de Bretagne, sorte de
constitution datant du 13e ou 14e siècles totalement obsolète. Il fallait aussi supprimer les
privilèges et usages qui se justifiaient dans les temps anciens, mais qui n’avaient plus de
raison d’être à la fin du 18e siècle.
Exemple : l’exemption d’impôt en faveur des nobles.
Jusqu’au 16e siècle ils étaient seuls à être tenus de servir par les armes pour le Duc de Bre-
tagne ou le Roi de France, après le rattachement de 1 532. Non seulement ils avaient l’obli-
gation d’aller risquer leur vie en combattant (ils la perdaient souvent), mais ils devaient
aussi s’armer et s’équiper en montures, armures etc. ... à leur frais.
On pouvait alors considérer qu’ils payaient « l’impôt du sang » à et qu’il était juste qu’ils
soient exemptés de tout autre impôt.
En 1 789 cette obligation n’existait plus, de fait, depuis deux siècles. Si beaucoup de nobles
servaient encore dans les armées royales, c’est en qualité d’officiers de carrière dûment
rémunérés et honorés, encadrant la troupe combattante composée le plus souvent de
paysans.
Il n’y avait donc plus de raison pour que les nobles ne paient pas l’impôt comme tout un
chacun.
Autre archaïsme : les justices seigneuriales, des institutions héritées du Moyen Âge.
Certains seigneurs bénéficiaient d‘un droit de justice « haute, moyenne et basse » sur
l’étendue de leur fief. Tout habitant dudit fief devait, le cas échéant s’adresser à la juridic-
tion de son seigneur.
Lequel seigneur n’exerçant pas lui-même son droit, l’affermait à un professionnel judi-
ciaire : un avocat en général qui prenait alors le titre de « sénéchal et juge unique » de la
juridiction affermée contre espèces sonnantes.
Assisté d’un procureur, d’un greffier et d’un sergent, le « sénéchal » exploitait sa juridiction
comme n’importe quelle entreprise ou commerce. Il avait même tendance, pour rentabi-
liser son investissement, à faire « mousser » les litiges qui lui étaient soumis. En face, le
justiciable, devait se faire assister d’un « procureur » - un notaire en général - pour lui
servir d’avocat et d’interprète.
Tout ce monde finissait par coûter cher, mais ce n’est pas tout : dans une même paroisse,
tous les habitants n’étaient pas soumis à la même justice, et n’étaient donc pas jugés né-
cessairement selon les mêmes critères ni pour le même prix.
Ainsi, à Pleyben, il y avait au moins cinq seigneuries, plus le domaine du Roy.
Deux des seigneuries : Trésiguidy, et (Leun et Kerguillay*) possédaient un droit de juri-
diction. Chaque juridiction avait son siège propre : Trésiguidy à Saint-Ségal, Leun et Ker-
guillay au bourg de Pleyben. Ensemble, ces deux juridictions pouvaient concerner un tiers
des habitants de Pleyben qui devaient impérativement s’adresser à leur sénéchal respectif ;
les autres pouvaient s’adresser directement à la Cour Royale de Châteaulin.
* Le dernier seigneur de Leun et Kerguillay a été le Marquis de La Fayette, plus connu aux Etats Unis qu’à
Pleyben il n’a sans doute jamais mis les pieds. L’absence du Marquis n’a pas empêché qu’il soit jugé
en son nom, ni que ses procureurs cherchent querelle aux paroissiens au sujet d’étals adossés au mur du
cimetière qui étaient loués aux marchands lors des foires, sous prétexte que ces étal se seraient trouvés
sur un terrain relevant du fief de leur seigneur.
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Trois justices pour une même paroisse, cela n’avait plus aucune raison d’être à la veille de
la Révolution, alors que la justice Royale couvrait tout le territoire. Ce que résumait fort
bien la formule des Briécois : «que la justice ne soit plus rendue qu’au nom du Roy, et
que la justice au nom des seigneurs soit supprimée».
Autre réforme souhaitée par les paysans de toutes les paroisses: celle du «domaine
congéable» , le mode de «tenure des terres» quasi-général en Cornouaille (grosso-modo,
l’actuel Sud Finistère)
Dans ce système la propriété foncière rurale comprenait deux volets :
- Au seigneur foncier le «fond» : le sol au dessous de la surface,
- Au domanier tout ce qui se trouvait sur le «fonds», créé ou transformé par le
travail de l’homme : les bâtiments de toutes sortes ; les talus, le sol des terres
labourables ; tous les végétaux l’exception des arbres dits «fonciers» : les bois
d’œuvre.
Dans ce mode de copropriété les deux partenaires n’étaient pas égaux en droit : le seigneur
foncier avait la possibilité à chaque renouvellement de baillée (en principe tous les 9 ans),
de congédier le domanier, en lui rachetant ses biens au prix fixé «à dire d’expert»
Même si le seigneur n’usait qu’assez rarement de cette faculté les domaniers en avaient
assez de se sentir périodiquement à la merci de la bonne ou mauvaise volonté de leur
«partenaire» foncier.
Ceux de Briec proposaient de convertir les droits du seigneur foncier en titre de rente per-
pétuelle dont le montant serait fixé par expertise. Sous réserve de payer régulièrement le
revenu de cette rente, au taux de 5% le domanier disposerait «à perpétuité» de la paisible
jouissance de ses biens.
Voilà donc quelques-unes des réforme assez unanimement souhaitées par le Tiers Etat
rural de Cornouaille. Elles allaient bientôt arriver, les réformes, pas exactement celles sou-
haitées Mais n’anticipons pas.
Après rétablissement des cahiers de doléance des paroisses, la procédure de désignation
des députés de Cornouaille à Versailles, se poursuivit comme prévu. On notera tout de
même que si aux trois assemblées primaires les paysans étaient très largement majoritai-
res, ils n’étaient plus du tout représentés au stade final. Les cinq députés de Cornouaille
étaient avocat, magistrat, notaire ou négociant: le ton était donné : la Révolution à venir
aurait pour seuls acteurs les classes bourgeoises.
Le «peuple» que l’on allait proclamer «souverain» n’aurait droit qu’à faire de la figuration
et servir de masse de manœuvre aux factions qui allaient d’abord s’entendre pour abattre
le pouvoir royal avant de se déchirer et de s’envoyer réciproquement à l’échafaud à tour
de rôle au gré de leur influence dominante. Lorsque, 10 ou 12 ans plus tard, le jeu de mas-
sacre terminé le «peuple souverain» pourrait encore payer les pots cassés. Encore une fois.
n’anticipons pas.
États généraux du
5 mai 1789
Gravure d’après Monnet
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ENTRÉE EN RÉVOLUTION
Les Etats Généraux se réunirent comme prévus à Versailles*, le 05 mai 1789. en présence
du Roy. Les trois ordres réunis demandèrent une constitution garante des droits indivi-
duels.
Le Tiers Etat réclame la suppression des privilèges et l’égalité fiscale.
Après deux mois passés régler la question de savoir comment seraient prises les décisions,
les États Généraux se muèrent le 09 juillet en Assemblée Constituante.
Celle-ci commença ses travaux dans une ambiance survoltée. Dans Paris les choses se
gâtaient; les émeutes se succédaient. Le 14 juillet ce fut la prise de la Bastille, cette vieille
prison dans laquelle étaient enfermés quelques pensionnaires de marque, dont on a fait le
symbole du despotisme royal.
Ce jour les premières têtes coupées plantées au bout d’une pique ont fait leur apparition
à Paris. En province, des châteaux furent attaqués, pillés et incendiés -ce ne fut pas le cas
semble t’il en Bretagne-.
C’est dans ce climat semi-insurrectionnel, que fut proclamée dans la nuit du 04 au 05 août
1789, la première grande réforme de la Constituante : l’abolition des privilège féodaux.
Pendant que Versailles discutait et que Paris s’enflammait, que se passait-il chez nous ?
Rien de particulier, à ma connaissance. A cette époque de l’année les paysans avaient
d’autres chats à fouetter : le blé noir à semer en mai-juin, le foin en juin-juillet, et le début
des moissons fin juillet.
Paris était loin et les nouvelles mettaient à peu près une semaine pour parvenir de là -bas
au bout de la Bretagne
A Pleyben, le 04 août 1789, pendant qu’à Paris on discutait de l’abolition des privilèges
féodaux, la juridiction de Leun et Kerguillay, tenait au bourg son audience ordinaire, qui
aura peut-être été la dernière de son existence.
On jugeait ce jour là entre autres affaires, sous la présidence de «noble Me TREUSSARD,
avocat à la cour» d’une affaire de congément apposant Me de LAUNAY, notaire, aux héri-
tier de Jean URVOAS et Marie-Anne CORNEC, de Kérégant.
Un des héritiers URVOAS était assité par son oncle et curateur François CORNEC, de Ker-
vern. Un certain Me de LEISSÉGUES, dont il sera beaucoup question par la suite était
procureur des héritiers URVOAS.
Pendant qu’on jugeait en son nom à Pleyben, le Marquis de La Fayette se débattait à Paris
pour faire aboutir l’abolition des privilèges dont il étai lui-même bénéficiaire. Si la loi du
04 août a été appliquée sans retard, le procès URVOAS, est resté pendant... pour cause de
dissolution de tribunal.
«L’abolition» lorsqu’elle fut connue, fut sûrement perçue comme une bonne nouvelle. Pour
une fois ... A y regarder de près l’effet de «L’abolition» fut surtout symbolique. Abolies
l’obligation de faire moudre au moulin seigneurial, de même les juridictions, mais les rede-
vances aux seigneurs fonciers n’étaient pas touchées, pas plus que le «domaine congéable»
dont la réforme était si fortement souhaitée et qui n’était pas près de disparaître...
* 1 200 députés dont 600 pour le Tiers Etat
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