taire. Les agents sont alors obligés de
demander plus de billets pour acquérir
un volume de biens et services donné,
absorbant cette offre de monnaie addi-
tionnelle.
L’euro : un progrès
dans la lutte contre l’inflation ?
Avec l’illusion monétaire, les agents ne
voient pas tout de suite l’inflation, mais
ils finissent par la voir (surtout si l’on
admet qu’ils forment des anticipations
rationnelles). Mais lorsqu’ils voient enfin
l’inflation, ils ne voient toujours pas que
c’est un impôt.
On définit généralement l’inflation par
son effet le plus visible (l’augmentation
du niveau général des prix) en oubliant la
cause première (la dérive des finances
publiques). On n’éradique pas un phéno-
mène en s’en prenant uniquement à l’ef-
fet.Tout le monde s’en prend à l’inflation
sans comprendre d’où elle vient, ce qui
est une forme plus subtile de l’illusion
monétaire. De ce point de vue, si l’avè-
nement de la monnaie unique a fait
disparaître la hausse des prix (ou du
moins l’a ralentie), a-t-il pour autant
anéanti la cause première de l’inflation ?
Avec l’euro, c’est l’inflation elle-même
qui est déguisée. Elle est déguisée car
son effet a disparu mais non sa cause : les
finances publiques ne sont pas maîtri-
sées, notamment en France, où le pou-
voir politique peine à stopper la dérive
de la dette publique constatée depuis
bientôt trois décennies.
Or, en l’absence d’effets visibles, les
agents ne peuvent même plus réagir, ils
ne peuvent plus se rebiffer contre les
dérèglements qui s’accumulent mais que
l’on ne voit plus. En effet, l’inflation offi-
cielle est faible ; la plupart des prélève-
ments obligatoires basculent soit sur des
prélèvements indirects (TVA), soit sur
des prélèvements à la source (CSG,
RDS, charges). Ce sont des prélève-
ments dits « indolores », car le contri-
buable ne s’aperçoit même plus qu’il les
acquitte. C’est l’aboutissement du pro-
cessus séculier de contrôle politique : les
agents économiques ont perdu la faculté
de se révolter contre les manipulations
du pouvoir. Tout le monde est alors
victime d’une illusion monétaire (on
croit que l’euro est fort) et les gouver-
nants sont pris à leur propre piège :
en l’absence de réaction des acteurs de
l’économie, rien ne peut enrayer les
dérapages endogènes. Les mécanismes
d’autorégulation sont asphyxiés.
Si l’inflation apparente est effectivement
faible dans la zone euro, c’est parce que
la Banque centrale européenne, indé-
pendante du pouvoir politique, fait son
travail en surveillant scrupuleusement la
masse monétaire en circulation. La
masse monétaire étant stable, le niveau
général des prix ne dérape plus.
Pourtant, le pouvoir d’achat des ménages
continue d’être rongé par la montée
de prélèvements qui ne se voient plus,
mais dont la dérive exerce le même
effet d’usure monétaire que l’inflation.
L’inflation des prélèvements (cause de
l’inflation) n’entraîne plus la montée des
prix (effet) parce que la gestion de la
Banque centrale a été séparée de la ges-
tion des budgets publics en fonction du
principe vertueux de séparation des pou-
voirs. Mais son effet ultime sur le pouvoir
d’achat reste là tant que l’on n’aura pas
supprimé la cause de l’inflation et non
simplement ses différentes manifesta-
tions.
CONCLUSION
La gestion de l’euro a été calée sur
celle de la monnaie du pays le plus
vertueux en matière monétaire à l’é-
poque de sa conception, à savoir celle du
deutsche mark. Mais que se passera-t-il si
le pays vertueux dérape ?
N’oublions jamais que le projet de mon-
naie unique est né du rapport Delors,
qui exprime explicitement la volonté de
contrôler le système monétaire euro-
péen dans le cadre d’une régulation
administrative qui s’est essoufflée au
niveau international depuis la fin des
accords de Bretton Woods. C’est la
poursuite logique du SME alors que le
SMI, établi en 1944 à Bretton Woods,
explosait sous l’effet de l’impossibilité de
maintenir artificiellement des changes
fixes et des taux d’intérêt régulés de
manière autoritaire.
Avec l’euro, on s’est attaqué à l’effet le
plus visible de l’inflation (le dérapage de
la masse monétaire qui entraîne un
accroissement des prix), mais non à sa
cause cachée (le dérapage des finances
publiques). Pire, puisque les signaux sont
neutralisés, les acteurs de l’économie ne
peuvent même plus réagir.
Ni les acteurs politiques, d’ailleurs. En
1981, François Mitterrand nomme le
gouvernement Mauroy pour mettre en
œuvre la politique de relance pour
laquelle il fut élu. La mise en œuvre de
cette politique entraîne des dévaluations
en chaîne tellement marquées et visibles
que Pierre Mauroy est démissionné au
profit d’un autre gouvernement chargé
de lutter contre l’inflation (Fabius,
Bérégovoy).Ainsi, les signaux du marché
obligent les gouvernants à réagir, de la
même manière qu’ils contraignent les
acteurs de l’économie à s’adapter.
Aujourd’hui, ces signaux sont neutralisés
et les gouvernants comme les acteurs
croient que l’euro est fort et que l’infla-
tion a disparu. Tout va bien, en somme,
mais pourquoi le pouvoir d’achat fond-il
inexorablement ?
HISTOIRE DES RELATIONS TUMULTUEUSES ENTRE MONNAIE ET FINANCES PUBLIQUES
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Sociétal N° 56 2etrimestre 2007
Références
M. Friedman, Inflation et systèmes monétaires internationaux,Calmann-Lévy, Paris, 1965.
J. Rueff, L’Âge de l’inflation,Payot, Paris, 1967.
P. Salin, La Vérité sur la monnaie,Odile Jacob, Paris, 1990.
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