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REPÈRES ET TENDANCES
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CONJONCTURES
DOSSIER
LIVRES ET IDÉES
FINANCES PUBLIQUES
JEAN-LOUIS CACCOMO *
Histoire des relations
tumultueuses
entre monnaie et
finances publiques
L’inflation est toujours monétaire, proclamait Milton
Friedman. Pourtant, dès leurs débuts, les États ont cherché dans la multiplication des signes monétaires le
moyen de couvrir leur déficit budgétaire. L’inflation
ne serait-elle pas finalement, à la lumière de l’histoire,
toujours budgétaire ?
« Chez les Français, depuis Charlemagne, et chez les Anglais, depuis
Guillaume le Conquérant, la proportion entre la livre, le shilling et le denier
ou le penny, paraît avoir été uniformément la même jusqu’à présent.
Quoique la valeur de chacun ait beaucoup varié. Car je crois que, dans tous
les pays du monde, la cupidité et l’injustice des princes et des gouvernements, abusant de la confiance des sujets, ont diminué par degrés la quantité réelle du métal qui avait été d’abord contenue dans les monnaies. »
Extrait de Recherches sur la nature et
les causes de la richesse des nations, Adam Smith.
L’
histoire monétaire est passionnante
pour qui sait voir au-delà des aspects
purement techniques et quantitatifs. Car
cette histoire raconte un combat millénaire : le combat incessant entre le pouvoir et la société civile, c’est-à-dire
* Maître de conférences, université de Perpignan.
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l’affrontement permanent entre le pouvoir politique, qui cherche à contrôler
l’économie (et donc les acteurs de l’économie) et l’économie, qui finit toujours
par se rebeller en mettant en œuvre un
puissant processus de libération dont la
motivation est puisée au cœur même
des aspirations individuelles.
MISE EN PERSPECTIVE
HISTORIQUE
L
a monnaie est, comme la roue et l’écriture, une des inventions les plus
fondamentales parmi celles qui ont permis à l’homme d’accéder à la prospérité.
Si la roue a facilité le déplacement physique des hommes et des marchandises,
la monnaie a facilité la comparaison et le
transfert des valeurs, autorisant le déplacement économique des marchandises.
La monnaie est antérieure au pouvoir
politique. Elle existe depuis que les
hommes font du commerce. À ce titre,
elle constitue un progrès radical, dans
le sens où elle permet d’échapper aux
contraintes du troc, notamment aux
contraintes liantes de l’échange bilatéral.
En permettant une multilatéralisation des
échanges, la monnaie augmente considérablement l’espace des échanges, et donc
le gain de l’échange pour ses participants.
Très tôt aussi, comme l’a brillamment
analysé Adam Smith, les États ont cherché
à s’approprier la monnaie, comprenant
son rôle structurant dans l’économie.
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HISTOIRE DES RELATIONS TUMULTUEUSES ENTRE MONNAIE ET FINANCES PUBLIQUES
Celui qui avait prétention à réguler, sinon
à contrôler l’économie se devait de maîtriser la monnaie.
Deux tendances n’ont alors cessé de
s’affronter :
– d’une part, la tendance à s’affranchir
des contraintes et des contrôles par l’innovation monétaire ;
– d’autre part, la tendance par le pouvoir
en place à imposer les contraintes administratives (en réponse aux innovations
monétaires et bancaires) sous la forme
d’un contrôle du système monétaire.
Monnaie et finances publiques
dans le cas de
la monnaie métallique
L’homme a gagné sa liberté en inventant
la monnaie, qui a élargi sans commune
mesure son espace de choix. Les pouvoirs publics ont alors cherché à dompter l’instrument monétaire pour mieux
réguler l’économie. On oublie souvent
que la monnaie a précédé le pouvoir au
point que l’on enseigne qu’elle est l’un
des attributs du pouvoir politique.
Pendant des siècles, les agents de l’économie réalisaient leurs transactions avec
une monnaie métallique. Pour de nombreuses raisons, l’or fut le plus souvent la
référence ultime en ce domaine.
Sous la monarchie, le pouvoir royal a
déjà manifesté sa volonté de dominer la
monnaie. Certes, le pouvoir politique
n’était pas assez fort pour créer de l’or
ex nihilo, même si la quête de la pierre
philosophale fut une obsession constante durant cette période. De nombreux rois se sont entourés d’alchimistes
plus ou moins éclairés qui avaient la
prétention de transformer le plomb
en or. Mais la nature fut plus coriace en
ce domaine que le génie humain : la
contrainte métallique était incontournable. On ne manipule pas aisément la
quantité d’or et c’est ce qui donna sans
doute à l’or son statut d’étalon monétaire.
Alors les rois ont marqué leur effigie sur
certaines pièces d’or, comme un pro-
nelles. La France a connu de nombreuses
priétaire marque ses chevaux, donnant
jacqueries, qui furent des insurrections
naissance à la monnaie officielle (louis
de paysans écrasés par la pression des
d’or). C’est une première étape dans le
impôts. Louis XVI lui-même en a perdu
processus lent d’appropriation par le
la tête, la révolte fiscale déclenchant la
pouvoir de la monnaie. Car elle était à
Révolution française.
ce moment-là un bien
privé utilisé par les agents
Avec la monnaie
C’est que, sous la monarde l’économie en raison
métallique, on
chie, l’impôt se voit. Et
des services qu’il était de
comme il est douloureux,
nature à rendre. Autrecomprend
le contribuable peut se
ment dit, les agents avaient
facilement qu’il
révolter en exprimant sa
confiance dans la monnaie
n’est pas aisé de
douleur contre un État
métallique en raison de sa
trop dépensier, surtout si
valeur intrinsèque directedécréter une modicette dépense royale n’est
ment observable (poids en
fication de la
pas de nature à accroître
or), et non en raison de
masse monétaire.
le bien public, c’est-à-dire
l’effigie royale.
le service rendu au pays
La contrainte
(protection, justice). Car le
Pour bien suivre le raisonmétallique s’impose
prélèvement de l’impôt
nement, il faut comprendre
d’elle-même comme
n’est légitime que si les
pourquoi les gouverneagents ont le sentiment
ments se sont tellement
un carcan
que le produit de l’impôt
intéressés à la monnaie, ne
inévitable.
leur revient sous la forme
pouvant la laisser exister
de biens et services
en tant que bien privé.
publics qu’ils n’auront donc plus besoin
Avec la monnaie métallique, on compd’acquérir sur des marchés privés.
rend facilement qu’il n’est pas aisé de
décréter une modification de la masse
Progressivement, le pouvoir royal commonétaire. La contrainte métallique
prend qu’il peut mettre en circulation
s’impose d’elle-même comme un carcan
plus de pièces avec la même quantité
inévitable. Ce n’est pas un problème (et
d’or, en coupant l’or pur avec un autre
c’est même une qualité précieuse) pour
métal. Il invente ainsi l’ancêtre de la
les agents de l’économie ; c’en est un
planche à billets, et du même coup l’inpour le pouvoir qui a la prétention de
flation. On voit bien que c’est une façon
réguler l’économie en influençant la
de prélever l’impôt sans le dire : c’est un
masse monétaire. Cette prétention
impôt déguisé. Mais c’est aussi une perrégulatrice s’est affirmée explicitement
version de l’instrument monétaire, ainsi
au XXe siècle, cautionnée par les travaux
de Keynes qui proposent une théorisadétourné de son usage premier. C’est
tion de la politique monétaire.
cette perversion qui est à la base de la
dépréciation.
Sous la monarchie, les rois n’avaient sans
doute pas pareil objectif, mais ils étaient
Mais, contrairement à aujourd’hui, les
déjà confrontés sans cesse à un proménages ont alors le choix de leur établème épineux d’équilibre des finances
lon monétaire car la monnaie doit sa
publiques. À certaines époques, en raivaleur à sa nature métallique propre et
son des guerres ou de frais d’apparat, les
non à sa dimension politique (son effidépenses de l’État s’envolaient. Le roi se
gie). Même si cela prend du temps, les
voyait alors dans l’obligation d’augmenacteurs de l’économie finissent par comter les impôts. Mais les impôts ne sont
prendre que la monnaie officielle est
pas populaires. Et ils le sont d’autant
dépréciée : elle contient moins d’or pur.
moins qu’ils sont extrêmement visibles
Et comme ils peuvent la peser et obseret douloureux en raison précisément de
ver directement cette valeur monétaire,
la nature métallique de la monnaie. La
ils peuvent réagir, ce que vont faire prélégende de Robin des bois illustre une
cisément les banquiers et les marchands.
révolte fiscale face à un roi illégitime qui
Si l’impôt est donc déguisé, l’inflation,
utilise le trésor royal à des fins personelle, se voit.
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En conséquence, deux choix sont possibles : soit ils se détournent de la monnaie
dépréciée parce qu’ils ont la possibilité
d’utiliser d’autres monnaies, soit ils
demandent deux louis quand hier ils n’en
demandaient qu’un, d’où l’inflation.
Autrement dit, soit ils demandent une
autre monnaie non dépréciée (non manipulée), soit ils demandent une quantité
supérieure de la monnaie dépréciée
(inflation). Dans les deux cas, la demande
de monnaie (en quantité et en qualité)
peut s’adapter à l’offre (en quantité et en
qualité) car les quantités et les qualités
monétaires sont directement observables lorsque la monnaie est métallique.
Dans ce contexte de concurrence
monétaire à base métallique, la bonne
monnaie chasse la mauvaise car les
agents économiques peuvent se rebeller
contre les abus du prince.
BANQUE CENTRALE
ET INFLATION : UN PROGRÈS
DANS QUEL SENS ?
S
ous la monarchie, il existait donc une
concurrence monétaire qui offrait un
espace de liberté précieux pour les
agents de l’économie. Ils avaient en effet
la possibilité de réagir face à la dépréciation monétaire. À la fin du XIXe siècle
s’ouvre une nouvelle étape avec l’institution des banques centrales, le contrôle du
système bancaire et la démonétisation
de l’or. Ainsi commence ce que Jacques
Rueff appela « l’âge de l’inflation ».
L’effet inflationniste
de la disparition de
la concurrence monétaire
À ce moment, les agents économiques
n’ont plus le choix : ils sont obligés d’utiliser les billets de la banque centrale qui
ont cours forcé sur le territoire de la
nation. Cette monnaie-papier n’a plus de
valeur intrinsèque mais doit sa valeur à
son caractère légal et donc autoritaire.
La conséquence majeure pour le fonctionnement de l’économie est que les agents
utilisateurs de la monnaie ne peuvent plus
vérifier la valeur du billet (notamment en
le pesant). Si la monnaie a une masse, elle
n’a plus de poids. Sa valeur est officielle et
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indirecte. La définition de ces notions de
« valeur officielle » est déjà un sujet de
débats et de discordes parmi les spécialistes de la monnaie. On comprend que ces
notions soient difficilement observables
pour les acteurs (ménages, entreprises,
marchands, banques) de l’économie euxmêmes.
près que le pouvoir politique contrôle
totalement cette création monétaire
alors qu’il peine à maîtriser l’équilibre de
ses finances publiques. Dans ce contexte
où les gouvernements ne parviennent
pas à réduire les dépenses publiques ou
à accroître la pression fiscale déjà douloureusement ressentie, l’instrument
monétaire est utilisé comme un outil de
financement du déficit. C’est encore une
déviation (une perversion) du rôle de la
monnaie, qui n’a jamais été créée par les
agents de l’économie dans ce but. Cette
opération de monétisation de la dette
constitue à nouveau un véritable impôt
déguisé.
En effet, la valeur de la monnaie sera
inversement proportionnelle au niveau
général des prix. Mais le niveau général
des prix est un agrégat construit selon
des conventions statistiques. Ce n’est
pas une grandeur directement observable par les utilisateurs de la monnaie, au
contraire du poids en or. Comme ces
À nouveau, l’inflation finit par se voir, car
notions sont plus abstraites et sujettes à
les agents vont tout de même être en
controverse, cela laisse aussi une plus
capacité de réagir. En effet, l’illusion
grande latitude au pouvoir pour manipumonétaire n’a qu’un
ler la masse monétaire,
temps. Les agents comd’autant que les théories
Le franc suisse
prennent au bout d’un
keynésiennes développées
certain temps que la
dans la seconde moitié du
a été originellement
XXe siècle vont légitimer
masse monétaire suppléétabli en 1850
cette pratique en lui
mentaire n’est pas un
à parité avec
donnant ses lettres de
revenu supplémentaire, de
noblesse.
sorte que l’inflation s’exle franc français.
prime sous l’effet de la
er
Au 1 janvier 1999,
C’est le mécanisme de
prise de conscience des
lorsque le franc
« l’illusion monétaire »,
acteurs : la demande de
remarquablement analysé
monnaie augmente. Si la
français s’efface
par Milton Friedman, qui
demande de monnaie augpour laisser la place
permet aux autorités polimente, c’est parce que les
à l’euro, le franc
tiques de « tromper les
agents n’ont plus le choix
agents » en injectant un
de la qualité de la monsuisse vaut
supplément de masse
naie. Nous ne sommes
425 francs français.
monétaire que ces derplus dans un contexte de
niers vont assimiler (du
concurrence monétaire,
moins provisoirement) à un supplément
mais dans un contexte de monopole
de richesse réelle. Les gouvernements
administré par une banque centrale.
français en ont abusé tout au long du
Alors les agents sont contraints de
XXe siècle, du franc germinal jusqu’à
demander une plus grande quantité de la
l’avènement de l’euro. La comparaison
monnaie dépréciée.
avec le franc suisse est à cet égard
édifiante. Le franc suisse a été originelLorsque le louis d’or était déprécié, cela
lement établi en 1850 à parité avec
signifiait qu’il contenait moins d’or. Aussi
le franc français. Au 1er janvier 1999,
les agents demandaient plus de pièces
lorsque le franc français s’efface pour
pour avoir le même poids en or qui perlaisser la place à l’euro, le franc suisse
mettait d’acquérir une quantité donnée
vaut 425 francs français, ce que l’on trade biens et services (la vraie richesse).
duit alors pudiquement par 4,25 nouLorsque le billet de la banque centrale
veaux francs français.
est déprécié, c’est parce que le même
billet permet d’acquérir un volume
On retrouve dans ce mécanisme un rapréduit de biens et de richesses du fait de
port étroit entre les finances publiques
la montée du niveau des prix déclenchée
et la création monétaire, à la différence
par l’augmentation de la masse moné-
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taire. Les agents sont alors obligés de
demander plus de billets pour acquérir
un volume de biens et services donné,
absorbant cette offre de monnaie additionnelle.
L’euro : un progrès
dans la lutte contre l’inflation ?
Avec l’illusion monétaire, les agents ne
voient pas tout de suite l’inflation, mais
ils finissent par la voir (surtout si l’on
admet qu’ils forment des anticipations
rationnelles). Mais lorsqu’ils voient enfin
l’inflation, ils ne voient toujours pas que
c’est un impôt.
On définit généralement l’inflation par
son effet le plus visible (l’augmentation
du niveau général des prix) en oubliant la
cause première (la dérive des finances
publiques). On n’éradique pas un phénomène en s’en prenant uniquement à l’effet.Tout le monde s’en prend à l’inflation
sans comprendre d’où elle vient, ce qui
est une forme plus subtile de l’illusion
monétaire. De ce point de vue, si l’avènement de la monnaie unique a fait
disparaître la hausse des prix (ou du
moins l’a ralentie), a-t-il pour autant
anéanti la cause première de l’inflation ?
Avec l’euro, c’est l’inflation elle-même
qui est déguisée. Elle est déguisée car
son effet a disparu mais non sa cause : les
finances publiques ne sont pas maîtrisées, notamment en France, où le pouvoir politique peine à stopper la dérive
de la dette publique constatée depuis
bientôt trois décennies.
Or, en l’absence d’effets visibles, les
agents ne peuvent même plus réagir, ils
ne peuvent plus se rebiffer contre les
dérèglements qui s’accumulent mais que
l’on ne voit plus. En effet, l’inflation officielle est faible ; la plupart des prélèvements obligatoires basculent soit sur des
prélèvements indirects (TVA), soit sur
des prélèvements à la source (CSG,
RDS, charges). Ce sont des prélèvements dits « indolores », car le contribuable ne s’aperçoit même plus qu’il les
acquitte. C’est l’aboutissement du processus séculier de contrôle politique : les
agents économiques ont perdu la faculté
de se révolter contre les manipulations
du pouvoir. Tout le monde est alors
victime d’une illusion monétaire (on
croit que l’euro est fort) et les gouvernants sont pris à leur propre piège :
en l’absence de réaction des acteurs de
l’économie, rien ne peut enrayer les
dérapages endogènes. Les mécanismes
d’autorégulation sont asphyxiés.
Si l’inflation apparente est effectivement
faible dans la zone euro, c’est parce que
la Banque centrale européenne, indépendante du pouvoir politique, fait son
travail en surveillant scrupuleusement la
masse monétaire en circulation. La
masse monétaire étant stable, le niveau
général des prix ne dérape plus.
Pourtant, le pouvoir d’achat des ménages
continue d’être rongé par la montée
de prélèvements qui ne se voient plus,
mais dont la dérive exerce le même
effet d’usure monétaire que l’inflation.
L’inflation des prélèvements (cause de
l’inflation) n’entraîne plus la montée des
prix (effet) parce que la gestion de la
Banque centrale a été séparée de la gestion des budgets publics en fonction du
principe vertueux de séparation des pouvoirs. Mais son effet ultime sur le pouvoir
d’achat reste là tant que l’on n’aura pas
supprimé la cause de l’inflation et non
simplement ses différentes manifestations.
CONCLUSION
L
a gestion de l’euro a été calée sur
celle de la monnaie du pays le plus
vertueux en matière monétaire à l’époque de sa conception, à savoir celle du
deutsche mark. Mais que se passera-t-il si
le pays vertueux dérape ?
accords de Bretton Woods. C’est la
poursuite logique du SME alors que le
SMI, établi en 1944 à Bretton Woods,
explosait sous l’effet de l’impossibilité de
maintenir artificiellement des changes
fixes et des taux d’intérêt régulés de
manière autoritaire.
Avec l’euro, on s’est attaqué à l’effet le
plus visible de l’inflation (le dérapage de
la masse monétaire qui entraîne un
accroissement des prix), mais non à sa
cause cachée (le dérapage des finances
publiques). Pire, puisque les signaux sont
neutralisés, les acteurs de l’économie ne
peuvent même plus réagir.
Ni les acteurs politiques, d’ailleurs. En
1981, François Mitterrand nomme le
gouvernement Mauroy pour mettre en
œuvre la politique de relance pour
laquelle il fut élu. La mise en œuvre de
cette politique entraîne des dévaluations
en chaîne tellement marquées et visibles
que Pierre Mauroy est démissionné au
profit d’un autre gouvernement chargé
de lutter contre l’inflation (Fabius,
Bérégovoy). Ainsi, les signaux du marché
obligent les gouvernants à réagir, de la
même manière qu’ils contraignent les
acteurs de l’économie à s’adapter.
Aujourd’hui, ces signaux sont neutralisés
et les gouvernants comme les acteurs
croient que l’euro est fort et que l’inflation a disparu. Tout va bien, en somme,
mais pourquoi le pouvoir d’achat fond-il
inexorablement ? N’oublions jamais que le projet de monnaie unique est né du rapport Delors,
qui exprime explicitement la volonté de
contrôler le système monétaire européen dans le cadre d’une régulation
administrative qui s’est essoufflée au
niveau international depuis la fin des
Références
M. Friedman, Inflation et systèmes monétaires internationaux, Calmann-Lévy, Paris, 1965.
J. Rueff, L’Âge de l’inflation, Payot, Paris, 1967.
P. Salin, La Vérité sur la monnaie, Odile Jacob, Paris, 1990.
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