Soudier - Certeau Freud

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Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
LA
NECESSITE
DE
LA
SORCIERE
METAPSYCHOLOGIQUE
POUR
FREUD
AUPRES
DE
MICHEL
DE
CERTEAU
The
need
for
metapsychological
witchcraft
for
Freud
beside
Michel
de
Certeau
Reçu
le
21
mars
2011,
accepté
le
30
avril
2011
CLAIRE
SOUDIER
Résumé
Freud,
quand
il
évoquait
le
retour
à
la
métapsychologie,
usait
d’un
procédé
de
théorisation
qui
permettait
de
donner
un
cadre
intemporel
aux
constatations
cliniques
qui
résistaient
à
son
interprétation.
Conscient
des
limites
de
l’exercice,
de
l’étroitesse
de
la
part
inventive,
il
nommait
ce
procédé
:
la
sorcière.
Il
indique
par
là
la
dimension
magique,
satanique,
irrationnelle,
et
dans
le
contexte,
il
considère
ce
recours
comme
«faute
de
mieux»,
en
lui
aménageant
une
petite
place
de
confort.
La
métapsychologie
à
ce
stade
constitue
une
sorte
d’effet
iatrogène
parallèle,
un
symptôme
dans
la
cure.
Mais
alors,
si
cette
sorcière
est
inhérente
à
la
cure,
peut‐être
pourrions‐nous
la
supposer
comme
usant
des
mêmes
procédés.
Auquel
cas,
la
cure
serait
l’antagoniste
ou
le
substitut
de
la
métapsychologie.
La
métapsychologie
étant
à
l’analyste,
ce
que
le
symptôme
est
au
patient.
On
peut
donc
dire
que
la
métapsychologie
comme
la
sorcière
s’appliquent
pour
réduire
ou
faire
disparaître
l’erreur
dans
sa
part
humaine.
Ainsi
comprise
la
métapsychologie,
purifiée
de
la
souillure
clinique
entrerait
dans
procédé
mathématique
et
alors
que
nous
croyons
dur
comme
fer
que
la
science
constituait
un
effort
de
lucidité
évolutif,
notre
petit
raisonnement
nous
conduit
à
une
conclusion
inverse.
La
science
nous
apporte
seulement
les
conditions
d’une
crédulité.
Mots-clés : Certeau, Freud, sorcière, histoire.
The
need
for
metapsychological
witchcraft
for
Freud
beside
Michel
de
Certeau
Abstract
Whenever
Freud
evoked
the
trend
of
thought
leading
back
to
metapsychology,
he
would
use
a
theory
process
that
would
give
an
all
time
valid
framework
for
the
clinical
observations
that
did
resist
his
interpretation.
As
he
knew
well
the
limits
of
this
exercise
and
the
narrowness
of
the
inventive
part,
he
named
the
process:
the
wizard.
He
thus
indicates
the
magic
dimension,
the
diabolical
and
irrational
use
of
the
wizard
and,
within
this
context,
he
considers
this
process
as
a
"for
lack
of
a
better"
option
while
leaving
with
a
small
comfort
area.
At
this
stage
metapsychology
constitutes
some
form
of
a
parallel
iatrogeneous
effect,
a
symptom
within
the
cure.
But
then,
if
this
wizard
is
inherent
in
the
cure,
may
be
we
could
assume
that
it
uses
the
same
processes.
In
which
case
the
cure
would
be
the
antagonist
or
the
substitute
to
metapsychology.
Metapsychology
would
be
for
the
analyst
what
the
symptom
is
for
the
patient.
We
can
thus
say
that
metapsychology,
as
well
as
the
wizard,
endeavours
to
reduce
or
smooth
out
the
human
dimension
of
error.
When
metapsychology
is
seen
that
way,
it
is
purified
from
clinical
stains
witch
would
help
it
enter
the
mathematical
process
and,
while
we
1
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
firmly
believe
that
science
constitutes
an
effort
towards
evolutive
lucidity,
our
reasoning
leads
us
to
an
opposite
conclusion.
Science
only
brings
us
the
conditions
of
a
credulity.
Keywords: De Certeau, Freud, Witch, history.
La
necesidad
de
la
bruja
metapsicológica
para
Freud
en
Michel
de
Certeau
Resumen
Cuando
Freud
evocaba
la
vuelta
a
la
metapsicología,
usaba
un
proceso
de
teorización
que
permitía
dar
un
marco
intemporal
a
las
constataciones
clínicas
que
se
resistían
a
su
interpretación.
Consciente
de
los
límites
del
ejercicio,
de
la
estrechez
de
su
parte
inventiva,
llamaba
a
este
procedimiento:
la
bruja.
Con
ello
indica
la
dimensión
mágica,
satánica,
irracional
y,
en
este
contexto,
considera
este
recurso
«a
falta
de
algo
mejor»,
disponiéndole
un
pequeño
sitio
confortable.
La
metapsicología
constituye
en
este
estadio
una
especie
de
efecto
yatrógeno
paralelo,
un
síntoma
en
la
cura.
Pero
entonces,
si
esta
bruja
es
inherente
a
la
cura,
tal
vez
podríamos
suponer
que
usa
los
mismos
procedimientos.
En
ese
caso,
la
cura
sería
la
antagonista
o
la
sustituta
de
la
metapsicología.
Esta
última
sería
al
analista,
lo
que
el
síntoma
es
al
paciente.
Podemos
decir,
por
consiguiente,
que
tanto
la
metapsicología
como
la
bruja
se
aplican
a
fin
de
reducir
o
hacer
desaparecer
el
error
en
su
parte
humana.
Comprendida
de
este
modo
y
purificada
de
la
mancha
clínica,
la
metapsicología
entraría
en
el
proceso
matemático
y
cuando
creíamos
con
una
gran
convicción
que
la
ciencia
constituía
un
esfuerzo
de
lucidez
evolutivo,
nuestro
pequeño
razonamiento
nos
conduce
a
una
conclusión
inversa.
La
ciencia
nos
aporta
sólo
las
condiciones
de
una
credulidad.
Palabras
clave:
Certeau,
Freud,
historia,
Bruja.
NECESSITE
ONTOLOGIQUE
Dans
une
recherche
antérieure1
j’ai
proposé
une
révision
possible
de
la
position
freudienne
telle
qu’elle
est
exposée
dans
le
cadre
général
de
la
deuxième
topique.
Ce
cadre
contenant
les
trois
instances
(ça,
surmoi
et
moi)
laisse
des
ambigüités
descriptives
dont
je
suis
me
suis
efforcée
de
mesurer
le
retentissement
à
partir
d’une
observation
historique
:
les
possédées
de
Loudun.
Guidée
par
la
lecture
séminale
de
Michel
de
Certeau,
j’ai
pu
interroger
et
développer
l’opportunité
d’une
troisième
topique
armée
d’une
instance
supplémentaire,
le
religieux.
Nouvelle
instance,
nouvelle
topique,
fonction
abondamment
explorée
mais
insuffisamment
repérée
dans
sa
spécificité
comme
constante
anthropologique,
j’ai
pu
montrer
que
le
religieux
tenait
sa
spécificité
de
sa
fonction
apaisante
a‐conflictualisante.
Le
champ
épistémologique
du
religieux
est
incontestablement
à
la
pointe
du
questionnement
contemporain,
mais
saisi
comme
un
«
fait
»
par
les
chercheurs,
il
s’avère
que
sa
compréhension,
sur
ce
modèle,
l’assimile
à
un
symptôme.
La
position
freudienne
est
sans
ambigüité
sur
ce
point.
Freud
renonce
à
ce
1
C.
Soudier,
Le
religieux:
l’affaire
de
Loudun
du
XVII
è
au
XX
è
siècle,
Une
épistémè:
d’une
pré‐
conception
à
une
théorisation,
Thèse
de
l’Ecole
Pratique
des
Hautes
Etudes,
Section
des
sciences
religieuses,
Paris‐Sorbonne,
direction
:
Claude
Langlois,
2008.
2
Claire
Soudier,
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and
Research,
2,
2011
paramètre
fonctionnel
pour
considérer
plus
efficacement
le
religieux
comme
une
variable.
Dès
lors
que
l’on
s’affronte
au
religieux
comme
instance,
il
convient
mieux
de
l’explorer
comme
un
processus,
comme
un
agent
dont
on
a
à
saisir
l’ontologie
pour
en
comprendre
les
fonctionnalités.
Nous
allons,
au
cours
de
cet
article
sur
la
possession,
revisiter
deux
auteurs
incontournables
sur
ce
sujet,
Michel
de
Certeau
et
son
livre
La
Possession
de
Loudun
(Certeau,
1989),
Freud
et
son
expression
‘la
sorcière
métapsychologique’
(Freud,
1937,
240).
Ils
ont
en
commun
cette
capacité
à
accueillir
l’improbable
voire
l’impossible,
à
accepter
l’incohérent
et
le
déraisonnable,
le
singulier
et
le
honteux,
l’insignifiant
et
le
détail.
Freud
(ou
la
psychanalyse)
‘re‐ensorcelle’
le
savoir
de
Michel
de
Certeau
dont
le
livre
a
pu
être
considéré
comme
le
plus
diabolique
de
l’année,
le
plus
singulier,
où
de
Certeau
explore
l’irrationnel
d’un
passé
pour
produire
une
explication
rationnelle
contemporaine.
Freud,
lui,
a
porté
sa
recherche
sur
de
l’histoire,
sur
un
passé
impossible
à
retrouver
dans
la
totalité
de
son
origine.
Un
passé
qui
se
dérobe
et
se
déguise,
ce
savoir
énigmatique
est
complice
avec
le
diabolique,
le
démonologique.
Alors,
pour
rendre
compte
d’un
rationnel,
il
en
appelle
à
la
‘sorcière
métapsychologique’.
L’un
(Freud)
conscient
des
difficultés
d’avoir
un
outil
conceptuel
logique
pour
construire
une
psychologie
scientifique
fait
appel
de
façon
ironique
à
la
sorcière,
l’autre
(Michel
de
Certeau)
prend
au
sérieux
l’ironie
péjorative
de
Freud
et
utilise
la
‘sorcière
métapsychologique’
comme
analysée
et
comme
objet
d’historien.
Pour
lui
elle
est
la
croyance
cartésienne
du
fait
que
l’explication
puisse
être
une
interprétation.
En
fait
chacun
s’est
interrogé
sur
la
défaillance
de
sa
discipline.
De
façon
assez
caricaturale
on
peut
dire
qu’une
clinique
de
l’hystérie
se
termine
avec
Freud
qui
en
offre
une
nouvelle
lecture,
et
qu’une
histoire
de
l’hystérie
commence
avec
de
Certeau
avec
le
religieux.
LA
NECESSITE
PHYLOGENETIQUE
L’ambigüité
de
la
notion
de
métapsychologie
tient
à
son
partage
entre
modèle
descriptif
et
modèle
explicatif.
On
sait
bien
que
toute
description
est
un
début
d’interprétation,
mais
l’objet
de
la
psychanalyse
se
constitue
de
productions
immatérielles
et
c’est
le
prisme
historique
qui
nous
a
semblé
l’outil
le
plus
efficace
pour
isoler
ou
confondre
la
sorcière
et
la
métapsychologie
et
prendre
la
notion
freudienne
en
tenaille
entre
l’observation
historique
et
l’interprétation
contemporaine.
La
possession
de
Loudun
Pour
qu’un
fait
devienne
historique,
deux
principes
au
minimum
s’appliquent
:
que
l’histoire
transforme
ce
fait
en
histoire
c’est‐à‐dire
en
narration
;
que
ce
fait
devienne
événement
c’est‐à‐dire
qu’il
devienne
porteur
d’investissement
subjectif
et
collectif
qui
ancre
le
matériel
aux
représentations
psychiques
imaginaires
adéquates.
Fait
historique
et
religieux,
enchâssé
dans
les
contextes
politiques,
idéologiques
et
médicaux
survenant
à
quelques
années
de
celles
que
l’on
nommera
«
la
crise
de
conscience
européenne
»,
ce
fait
historique
a
fait
événement
du
17è
siècle
à
nos
jours,
3
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Research,
2,
2011
l’historiographie
inscrivant
de
façon
durable
un
champ
épistémologique
sur
lequel
maints
auteurs
ne
cessent
de
se
pencher.
L’affaire
des
possédées
de
Loudun
(1632‐1635),
dont
un
des
aboutissements
fut
la
mise
au
bûcher
d’Urbain
Grandier,
prêtre
ayant
pactisé
avec
le
Diable,
précède
la
publication
du
Discours
de
la
méthode
(Descartes),
période
placée
sous
le
signe
de
la
raison
et
de
son
contraire.
Le
bûcher
de
Grandier
est
alors
l’attestation
majeure
et
incontestable
du
‘principe
de
sorcellerie’
qui
entre
dans
le
principe
de
réalité.
C’est
la
pétition
de
cette
réalité
qui
autorise
la
description.
Au
milieu
du
XVIe
siècle,
la
religion
protestante
a
de
nombreux
adeptes
en
cette
ville,
en
particulier
parmi
les
commerçants
et
artisans.
La
ville
passe
alternativement
du
parti
catholique
au
parti
protestant
et
vice
versa.
L’édit
de
Nantes
(1598)
fait
de
Loudun
une
des
places
de
sûreté
des
protestants.
Le
cardinal
de
Richelieu,
soucieux
de
développer
sa
propre
ville
dévalorise
Loudun.
Le
roi
ordonne
la
démolition
du
château
et
favorise
l’implantation
d’ordres
religieux.
Une
grande
peste
frappe
plusieurs
milliers
d’habitants
en
1632
et
c’est
dans
cette
ambiance
qu’a
lieu
l’affaire
d’Urbain
Grandier
(1633)
et
les
possessions
des
ursulines.
La
révocation
de
l’édit
de
Nantes
porte
un
coup
très
dur
à
la
ville,
de
nombreux
protestants
s’exilent.
A
partir
de
septembre
1632
le
couvent
dirigé
par
sœur
Jeanne
des
Anges
présente
d’étranges
manifestations:
une
dizaine
de
sœurs
dont
sœur
Jeanne
des
Anges
sont
prises
de
visions,
puis
de
convulsions,
dévoilent
des
secrets
à
certains
spectateurs,
parlent
en
langues,
blasphèment,
hurlent,
se
contorsionnent
dans
des
attitudes
lubriques.
Elles
sont
possédées.
La
cause
en
est
attribuée
à
Urbain
Grandier,
prêtre
qui
a
refusé
(avant
ces
faits)
la
demande
par
sœur
Jeanne
des
Anges
de
diriger
spirituellement
le
couvent,
prêtre
libertin,
qui
aime
courtiser,
énonce
clairement
certains
avis
anticléricaux,
prêtre
défenseur
de
la
dernière
place
forte
des
protestants,
à
Loudun.
Mais
Grandier,
avant
ce
désordre
religieux,
n’a
jamais
mis
les
pieds
au
couvent
des
ursulines
et
ni
lui
ni
les
sœurs
ne
se
sont
ni
rencontrés
ni
vus.
A
l’origine
donc
une
enquête
sur
une
rumeur
et
si
Grandier
conteste
l’église
sur
l’accréditation
de
cette
rumeur,
l’église
lui
prouve
le
contraire.
L’affaire
des
possessions
fait
grand
bruit,
des
responsables
religieux
français
et
étrangers
mandatés
par
leur
hiérarchie
accourent,
s’en
mêlent,
et
vont
chacun
de
leurs
exorcismes,
interprétations,
invocations
en
la
foi
et
convocation
de
la
toute
puissance
divine.
Le
monde
médical
intéressé
par
l’affaire
s’en
mêle
aussi,
classe
les
manifestations
diaboliques
en
signes
cliniques,
pose
des
diagnostics,
discute
diagnostics
différentiels
selon
les
écoles
et
le
pouvoir
politique
se
substitue
à
ces
autres
savoirs
en
les
dirigeant
et
les
ordonnant.
Foire
d’empoigne,
désordre
des
corps
(et
des
corpus),
désordre
des
paroles,
désordre
des
idéologies,
désordre
et
contre
ordre,
désordre
des
concepts,
des
pensées,
des
acquis,
désordre
devant
le
public
qui
se
masse
de
plus
en
plus
nombreux
et
vient
de
plus
en
plus
loin
pour
observer
cette
immense
scène
où
tout
s’entremêle
dans
des
pensées
et
manifestations
dont
aucune
ne
semble
efficiente.
Urbain
Grandier,
malgré
son
innocence
autoproclamée
en
aucun
pouvoir
de
sorcellerie
et
de
démonologie
est
brûlé
vif
au
bûcher,
par
un
de
ses
collègues
prêtres,
4
Claire
Soudier,
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and
Research,
2,
2011
pour
crimes
de
sorcellerie,
magie,
sortilèges,
irréligion
et
autres
cas
mentionnés
au
procès.
La
fête
collective
peut
se
terminer
en
bouc
émissaire.
Après
la
mort
du
bouc
émissaire,
les
possessions
continuent
et
de
plus
belle.
Jean‐
Joseph
Surin,
prêtre
jésuite
est
mandaté
pour
poursuivre,
voire
arrêter
les
possessions.
En
novembre
1635
il
réussit
à
délivrer
Jeanne
des
Anges
de
son
dernier
démon.
Surin
épuisé
se
vit
à
son
tour
comme
possédé,
Jeanne
des
Anges
devient
élue
et
visionnaire
de
Dieu.
Pour
Surin
deux
chemins
s’ouvrent
pour
lui.
Le
premier
est
celui
de
l’ecclésiastique
qui,
soutenu
par
la
présence
du
très
Haut
accomplit
une
mise
en
acte,
une
liturgie
qui
est
bien
loin
de
l’approximation,
la
raison
domine.
Mais
secondairement
il
réduit
sa
référence
et
interroge
la
disposition
de
Jeanne
des
Anges,
on
dirait
l’anatomie
de
son
âme.
La
subjectivité
devient
substance.
L’histoire
comme
exercice
de
grand
écart
Cette
histoire
des
possédées
de
Loudun
est
un
exemple
macro‐clinique
pouvant
démontrer
un
processus
de
tension
dans
le
système
de
la
pensée
:
confrontation
(donc
conflit)
entre
deux
idéologies
religieuses
:
la
chrétienté
romaine
et
la
réforme
avec
cet
autre
appareil
à
penser
qui
est
le
monde
sociopolitique
au
XVIIe
siècle.
Ce
qui
peut
être
noté
à
travers
ces
symptômes
qui
se
manifestent
sous
une
forme
psychosomatique
(palliant
une
structure
de
pensée
défaillante
donc
non
énonçable)
c’est
leur
fonction
‐
les
symptômes
servent
à
quelque
chose
–
entre
autre
à
réinitialiser
un
fonctionnement
communautaire
religieux
sûrement
éclaté
par
le
contexte
politico‐religieux
d’alors.
Il
s’est
passé
quelque
chose
au
temps
des
ursulines.
Sans
doute
des
représentations
inconciliables
entre
elles
ont‐elles
engendré
un
conflit.
Ce
conflit,
originellement
interne
et
circonscrit
dans
un
couvent,
évolue
en
mises
en
scènes
hystérico‐religieuses
puis
s’est
cherché
une
issue,
une
résolution
dans
des
instances
extérieures
politico‐religieuses
et
médicales.
L’issue
en
a
été
un
bénéfice
thaumaturge
donc
une
résolution
à
vocation
religieuse.
Trois
siècles
après,
ce
conflit
est
repris
lors
d’une
période
de
crise
politique
et
sociale
(mai
soixante
huit)
par
Michel
de
Certeau
qui
en
a
fait
une
historiographie
quasi
exhaustive.
Ce
prisme
conflictuel,
de
Certeau
a
cherché
à
l’interpréter
par
une
lecture
à
la
fois
historienne,
médicale,
religieuse
et
analytique.
L’histoire
de
Loudun
est
donc
renforcée
par
toutes
les
différentes
lectures
qui
ont
été
faites
par
différents
auteurs
au
cours
de
ces
trois
derniers
siècles.
Alors
ne
seraient‐
ce
pas
ces
nombreux
investissements
qui
font
symptôme
alors
que
l’histoire
elle‐même
est
récurrente
c’est‐à‐dire
garde
sa
propre
énergie
en
elle‐même
comme
si
elle
était
auto‐engendrante
?
Nous
sommes
obligé
de
supposer
une
permanence
à
l’histoire
de
Loudun,
que
cette
permanence
a
un
usage
puisque
sans
cesse
réemployée,
condamnée
à
la
répétition,
à
la
rechute,
sans
cesse
remise
au
travail,
réinvestie
comme
un
emblème
et
se
comportant
comme
un
réservoir
pulsionnel.
C’est
un
lieu
psychique
qui
offre
une
réserve
pour
l’avenir,
une
possibilité
d’investissements
constamment
renouvelés
et
constamment
localisés.
5
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
Loudun
donc
est
cliniquement
un
cas
exemplaire
en
tant
qu’il
existe
une
trame
permanente
de
cet
événement
et
qu’il
est
l’objet
d’une
continuité
culturelle
et
psychique.
Il
a
une
valeur
transcendantale
en
tant
qu’il
est
au
creux
d’une
série
de
nœuds
conflictuels
dans
différents
champs
épistémologiques
individuels
et
collectifs
qui
s’affrontent
dialectiquement.
Paradoxalement
l’histoire
est
un
lieu
où
le
récit
agit
sur
l’action
et
vient
en
changer
la
face.
La
narration
de
l’Histoire
passe
par
une
histoire
de
narration.
L’historien
s’écoute
dire
dans
l’instant
ce
qui
revient
au
passé,
l’historien
«
a
pour
fonction
de
conformer
le
«
passé
»
à
l’intelligibilité
qui
organise
un
présent.
»
(Certeau,
1973
:
183).
Fait‐on
alors
de
l’histoire
ou
donne‐t‐on
sens
à
l’histoire
?
Faire
de
l’histoire
est
un
processus
d’intégration,
donner
sens
à
l’histoire
suppose
d’inventer
quelque
chose
parce
que
«
le
caractère
historique
de
l'évènement
n'a
pas
pour
indice
sa
conservation
hors
du
temps
grâce
à
un
savoir
maintenu
intact,
mais
au
contraire
son
introduction
dans
le
temps
des
inventions
auxquelles
il
fait
place.
»
(Certeau,
1987,
213).
L’histoire
n’est
jamais
sûre
L’Histoire
et
le
travail
de
l’historien
reposent
fondamentalement
sur
les
sources
:
archives,
documents,
collectes,
autobiographies,
manuscrits
etc.
;
l’histoire
des
évènements
doit
recouvrir
le
maximum
de
preuves,
tout
expliquer,
être
exhaustif
et
complet.
Elle
doit
vérifier
la
fiabilité
de
ce
qui
est
rapporté
pour
assurer
l’interprétation
et
les
preuves,
faire
jouer
l’induction,
la
déduction
et
l’explication,
être
heuristique
et
exhaustive.
Soumission
de
la
trace
archivée
au
régime
du
vrai
et
du
faux,
du
réfutable
et
du
vérifiable.
L’historien
cherche
à
circonscrire
des
domaines
de
conviction
;
son
interprétation
lui
sera
d’autant
plus
vraisemblable
qu’il
en
aura
cerné
le
domaine
et
vérifié
les
preuves
matérielles
dont
il
s’est
armé.
Ces
preuves
matérielles
nous
pouvons
ontologiquement
les
considérer
comme
objets
soit
perdus
soit
égarés.
Dans
les
deux
cas
ils
introduisent
la
discontinuité
de
l’histoire.
S’ils
sont
perdus,
l’Histoire
comprend
en
son
sein
du
vide
;
s’ils
sont
égarés
(les
objets
égarés
figurent
les
archives,
manuscrits
etc.
;)
ils
font
trou
dans
l’Histoire.
Mais
il
est
sûr
qu’au
départ
l’historien
ne
sait
pas
s’ils
sont
perdus
(renoncement)
ou
égarés
(il
reste
de
l’espoir),
seul
son
investissement
permet
de
retrouver
les
traces.
DE
L’ÉPISTÉMOLOGIE
À
LA
MÉTAPSYCHOLOGIE
Si
l’historien
travaille
sur
des
rappels
(donc
des
objets
égarés)
de
données,
travaille‐
t‐il
avec
des
traces
ou
avec
des
souvenirs
?
Le
psychanalyste
travaille
avec
des
souvenirs
et,
comme
l’historien,
avec
des
objets
égarés
mais
tout
autant
avec
des
objets
perdus.
Les
objets
égarés
tiennent
pour
l’analyste
de
l’ordre
du
mécanisme
du
refoulement,
ceux
qui
sont
perdus,
du
mécanisme
du
déni
ou
de
la
forclusion.
Comme
l’historien,
au
départ,
il
ne
sait
pas
à
quelles
sortes
d’objets
il
a
à
faire.
Mais
le
psychanalyste
ne
cherchera
pas
à
faire
une
histoire
à
partir
de
preuves
matérielles
ni
à
faire
une
histoire
exhaustive
et
encore
moins
donner
à
l’histoire
une
finalité.
Ce
qui
importe
c’est
la
vérité
du
moment
hic
et
nunc.
La
psychanalyse
n’a
jamais
ambitionné
d’être
exhaustive,
au
contraire
6
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
l’ombilicité
de
l’interprétation
réserve
cette
limite
de
l’inatteignable.
Le
psychanalyste
reste
dans
la
singularité
du
sujet,
et
s’il
travaille
sur
l’histoire
du
sujet
c’est
pour
qu’elle
puisse
faire
retour
dans
le
sujet
de
l’histoire.
L’ensemble
du
système
que
propose
l’analyse
est
:
dans
l’immédiat,
comment
l’histoire
du
sujet
fait‐elle
retour
à
l’intérieur
du
sujet.
Le
sujet
qui
est
sur
notre
divan
est
à
la
fois
sujet
en
tant
qu’individu
mais
aussi
sujet
qui
trouve
ses
applications
dans
la
société
et
dans
lequel
le
sens
de
la
séance
s’actualise
dans
la
vie
en
dehors
de
la
séance.
Il
y
a
des
événements
de
son
histoire
qui
vont
naturellement
se
re‐projeter
dans
l’actualité.
Alors
dans
quelle
mesure
s’agit‐il
d’éléments
constants
qui
font
qu’à
ce
moment‐là
on
peut
considérer
que
ce
qui
va
se
reproduire
c’est
le
symptôme
et
ce
qui
va
le
déterminer
c’est
la
structure
?
Ou,
au
contraire,
à
chaque
fois
qu’il
va
actualiser
une
cause,
il
va
remanier
à
la
fois
son
présent
et
la
lecture
de
son
passé
?
Faute
de
pouvoir
répondre
à
l’ensemble
de
ces
questions,
où
situer
le
patient
dans
son
histoire
et
dans
sa
culture,
il
faut
donc
essayer
de
percevoir
s’il
n’y
a
pas
des
évènements
historiques
qui,
dépassant
le
cadre
d’une
vie
humaine,
ressurgissent
régulièrement
et
viennent
marquer
la
permanence
d’un
certain
nombre
de
questions
et
de
mécanismes.
L’historien
et
le
psychanalyste
sont
confrontés
à
un
même
impossible
:
pour
le
premier
faire
revivre
la
réalité
du
passé,
pour
le
second
se
saisir
de
la
réalité
objective
(celle
qui
maintient
le
symptôme)
comme
telle.
Cette
temporalité
historicise
l’événement
en
production
imaginaire
(imaginaire
qui
est
projet
et
promesse
de
lier
le
symbolique
et
le
réel2).
Elle
permet
la
prise
en
compte,
au‐delà
de
l’événement
lui‐même,
de
la
trame
textuelle
qu’il
fait
naître,
des
traces
qu’il
laisse,
des
«
fictions
»
qui
fonctionnent
à
partir
de
lui
et
de
ses
discours
qui
vont
naître
et
le
recouvrir
dans
son
élan
à
exhumer
l’objet
perdu
dont
l’irréparable
perte
concourt
à
le
réinvestir
sans
cesse.
Comme
de
Certeau
le
dirait
autrement,
il
s’agit
de
délimiter
la
place
des
morts
pour
rendre
libre
celle
des
vivants.
Et
en
même
temps
il
nous
dit
que
chaque
époque
lit
son
histoire
qui
n’est
pas
celle
que
l’histoire
retiendra,
qu’en
fait
nous
sommes
dans
un
présent
qui
dure
et
nous
rappelle
que
venant
«
d’un
présent
qui
requiert
de
nous,
vis‐à‐vis
des
autres
et
avec
eux,
une
analyse
visant
à
discerner
les
arrêts
implicites
et
la
force
endormie
dans
l’histoire
que
nous
portons
à
notre
insu
»
(Certeau,
1987
:
69)
notre
histoire
est
notre
insu,
cet
insu
étant
notre
futur.
Lorsqu’il
énonçait
ainsi
son
projet,
il
l’énonçait
devant
les
Jésuites.
Sans
nul
doute,
dans
l’investissement
de
l’historien
il
y
a
une
ouverture
dans
un
espace
d’extension
du
moi
;
l’historien
élargit
son
présent
et
gagne
en
éternité.
Et
le
psychanalyste,
nous
dirions
qu’il
fait
exister
l’infini
de
son
fonctionnement
psychique
à
travers
l’existence
de
son
prochain.
L’histoire
est
une
histoire
de
mouvance.
Elle
est
une
discipline
du
changement
localisée.
L’histoire
est
une
rétrospective
qui
permet
de
se
situer
ici
et
maintenant
:
autrefois
je
fus.
Le
point
de
fuite
de
l’historien
est
sa
filiation
2
Le
réel,
en
psychanalyse,
est
un
concept
(lacanien)
difficile
pour
le
profane
mais
nous
pouvons
le
résumer
comme
l’ordre
de
l’impossible,
ce
qui
échappe
sans
cesse,
le
non
possible
mais
ça
ne
signifie
pas
que
ça
n’existe
pas.
Nous
pouvons
aussi
l’expliquer
ainsi
:
dans
l’ordre
de
la
pensée,
ce
qui
est
impossible
est
bien
réel.
7
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
qui
rejoint
le
passé
de
l’univers.
‘Tout
se
passe
comme
si
ça
c’était
passé
comme
je
vous
le
dis’,
dit
l’historien.
Alors
l’historien
légitime
le
sentiment
de
déjà‐vu.
Freud
a
travaillé
la
notion
du
déjà‐vu
et/ou
d’inquiétante
étrangeté
avec
l’outil
topique
de
l’inconscient.
«
Das
Unheimliche
»
est
l’expression
freudienne
en
langue
allemande
(Freud,
1919
:
211‐
263).
En
dehors
de
l’ambiguïté
sémantique
que
déploie
cet
adjectif
substantivé
(qui
sera
traduit
par
:
«
le
non‐familier
;
l’étrange
familier
;
le
(familier)
pas
comme
chez
soi
(Freud,
1919
:
212)
»),
ce
terme
contient
en
même
temps
«
cette
variété
particulière
de
l’effrayant
qui
remonte
au
depuis
longtemps
connu,
depuis
longtemps
familier
»
(Freud,
1919
:
215)
avec
dans
le
même
mouvement
le
contraire
même
de
ce
qui
est
familier
(un
:
négation
en
allemand).
Ce
qui
est
en
même
temps
familier‐étranger,
familiarité
et
étrangeté.
Pour
Freud
l’inquiétante
étrangeté,
le
déjà‐vu‐déjà‐vécu
est
ce
retour,
dans
une
impression
actuelle,
surgissant
comme
à
l’improviste
et
de
l’extérieur,
d’un
contenu
psychique
inactuel
qui
fait
effraction
et
coalescence
avec
la
perception
réelle.
Le
sujet
rencontre
son
propre
refoulé,
«
l’inquiétante
étrangeté
manifeste
dans
le
réel
la
mémoire
du
refoulé.»
3
Freud
insiste
sur
le
refoulement,
plus
précisément
sur
le
déjà‐vu
comme
retour
du
refoulé
qui
est,
alors,
à
ce
titre
là,
un
symptôme.
L’histoire
(tout
aussi
bien
l’histoire
individuelle)
c’est
‘comment
en
suis‐je
arrivé
là’,
c'est‐à‐dire
que,
dans
un
mouvement
régressif,
je
reprends
depuis
le
début
et
me
tiens
attentif
au
moment
où
il
se
pose
quelque
chose
d’anormal,
quelque
chose
qui
se
laisse
soupçonner
qu’en
tout
état
de
cause
je
ne
devrais
pas
être
là
(maintenant)
à
m’intéresser
à
ce
qui
historiquement
était
là
autrefois
(il
me
manque
une
cause).
La
métapsychologie
est­elle
l’intemporalité
de
l’histoire
?
Quand
de
Certeau,
prend
à
bras
le
corps
l’histoire
de
Surin
(son
double
et
son
ombre)
ainsi
que
celle
des
possédées
de
Loudun
dans
une
période
révolutionnaire
qui
lui
est
contemporaine
(années
1960‐70),
c’est,
pour
lui,
le
déjà‐vu
de
l’histoire
de
Loudun,
démontrant
ainsi
aussi
que
la
mémoire
est
un
sens
interne
et
l’histoire
un
récit
qui
prend
sens
selon
l’actualité.
Donc
avoir
le
sentiment
de
déjà‐vu
c’est
se
mettre
dans
le
futur.
Mais
alors
la
mémoire
est‐elle
le
résultat
de
la
volonté
ou
source
de
la
volonté
?
Surin
son
double
et
son
ombre,
son
déjà‐vu
en
tant
qu’hétéroscopie
ou
héautoscopie
(qui
signifie
se
voir
soi‐même
en
face
de
soi).
Mais
nous
affinerions
notre
pensée
en
disant
que
si
Loudun,
pour
de
Certeau,
représente
le
déjà‐vu,
Surin
est
de
l’ordre
de
la
fausse‐reconnaissance.
Les
deux
concepts
ne
relèvent
pas
du
même
acte
psychique.
Loudun
pour
de
Certeau
est
ce
déjà‐vu
en
tant
qu’il
est
du
présent
traité
comme
un
souvenir,
comme
mémoire
(tout
comme,
par
exemple,
le
rituel
de
la
messe,
de
l’Eucharistie)
;
Surin
est
de
l’ordre
de
la
fausse‐reconnaissance
en
tant
que
c’est
du
souvenir
ramené
dans
le
présent.
Il
en
ressort
cette
dynamique
de
la
production
historique
qui,
comme
le
refoulement
est
source
d’énergie,
est
toujours
réemployée.
Mais
Michel
de
Certeau,
historien
avec
sa
lecture
d’obédience
psychanalytique
lacanienne
nous
faire
part
des
limites
qu’il
trouve
entre
la
psychanalyse
et
l’histoire,
la
première
mettant
son
investissement
sur
la
continuité
et
les
remémorations,
la
seconde
sur
les
ruptures
et
sur
le
mouvement
3
L.
ASSOUN
:
“Inquiétante
(‐étrangeté)”
in
Encyclopédie
Philosophique
Universelle,
T1
p.
1315.
8
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
linéaire.
A
la
lecture
de
son
livre
«
La
possession
de
Loudun
»
il
nous
est
difficile
de
départager
un
Michel
de
Certeau
historien
d’un
Michel
de
Certeau
psychanalyste
de
cette
histoire.
Pour
lui,
l’historien
saisit
l’autre
absent
à
travers
la
trace
écrite,
les
archives,
les
manuscrits
mais
cet
autre
reste
à
tout
jamais
pour
sa
part
insaisissable,
indicible,
énigmatique
dont
l’ombilic
serait
indicible.
Dans
un
langage
lacanien,
Michel
de
Certeau
parlerait
du
sujet
divisé.
Ainsi,
le
travail
historique,
pour
lui,
serait
une
science
fiction
dont
la
visée
scientifique,
objective,
causale
serait
une
chimère
réduisant
à
une
quasi
impuissance
l’approche
d’une
vérité
historique.
Alors
faute
d’approcher
cette
vérité,
il
reste
à
Michel
de
Certeau
«
la
faiblesse
de
croire
».
Avoir
une
faiblesse
dans
le
croire
c’est
avoir
une
faiblesse
dans
la
capacité
de
juger
donc
d’établir
un
procès
avec
une
accusation.
Bien
sûr,
le
malaise
dans
cette
construction
est
la
possibilité
de
l’erreur
:
‘je
croyais
mais
c’était
faux’.
Même
si
je
me
trompe
dans
les
prémisses,
l’apodose
peut
être
vraie.
La
vérité
c’est
ce
que
j’écoute,
ce
que
je
retiens,
même
en
sachant
qu’elle
est
provisoire
j’y
crois.
Mais
l’idée
de
‘crédibilité’,
l’idée
qui
assigne
une
vérité,
même
locale,
même
temporaire,
recouvre
des
propositions
très
différentes.
Il
ne
semble
pas
possible
de
confondre
la
croyance
des
ursulines,
celle
de
Surin,
celle
de
M.
de
Certeau
avec
la
croyance
aux
soucoupes
volantes
ou
telle
ou
telle
production
imaginative.
Pourtant
une
indéniable
parenté
force
à
chercher
des
correspondances,
et
par
là
même
des
explications.
Ces
phénomènes
sont
inexplicables,
ils
intriguent,
ils
interpellent
les
curieux,
ils
forcent
à
‘deviner’.
Freud,
quand
il
évoquait
le
retour
à
la
métapsychologie,
usait
d’un
procédé
de
théorisation
qui
permettait
de
donner
un
cadre
intemporel
aux
constatations
cliniques
qui
résistaient
à
son
interprétation.
Il
s’agissait
de
tirer
des
expériences
du
passé,
d’en
extraire
le
caractère
circonstanciel
pour
ne
garder
qu’un
squelette
au
pire.
Conscient
des
limites
de
l’exercice,
de
l’étroitesse
de
la
part
inventive,
il
nommait
ce
procédé
:
la
sorcière.
Il
indique
par
là
la
dimension
magique,
satanique,
irrationnelle
et,
dans
le
contexte,
il
considère
ce
recours
comme
«
faute
de
mieux
».
FREUD
ET
LA
SORCIÈRE
MÉTAPSYCHOLOGIQUE
La
métapsychologie
définit,
en
psychanalyse,
la
théorisation
de
l’inconscient
donc
toute
la
conceptualisation
et
l’édifice
de
la
psychanalyse.
Freud
utilise
les
termes,
à
ce
sujet,
‘d’enfant‐problème,
de
réalité
suprasensible,
de
mythologie,
de
sorcière’,
c’est
dire
la
difficulté
de
la
tâche
et
combien
la
sollicitation
et
l’utilisation
métaphorique,
qui
tisse
l’œuvre
freudienne,
sert
la
pensée
et
permet
de
penser
la
pensée,
qu’elle
en
est
sa
tenue
et
met
fin,
provisoirement,
au
caractère
inquiétant
(unheimlich)
de
la
difficulté
intellectuelle,
voire
de
son
impasse.
Or
Freud
n’a
pas,
me
semble
t‐il,
posé
de
nomenclature
de
ses
‘hypothèses
théoriques’
ou
de
‘concepts
fondamentaux’,
démontrant
le
caractère
particulier
du
savoir
freudien
qui
s’ambitionnant
d’être
un
savoir
‘scientifique’
rate
son
objet
de
par
son
objet
même.
La
métapsychologie,
pour
Freud,
est
plus
un
besoin
constitutif
et
une
déclaration
d’identité
épistémique
qu’une
rubrique
stable
et
fixée.
Cette
absence
de
9
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
complétude
épistémologique,
il
s’en
explique
dans
un
de
ses
derniers
textes,
Analyse
avec
fin
et
analyse
sans
fin,
où
butant
sur
un
pragmatisme
épistémologique
(ce
que
pourrait
être
le
‘domptage
d’une
pulsion),
il
écrit
:
«
si
l’on
demande
sur
quelles
voies
et
par
quels
moyens
cela
se
produit,
il
n’est
guère
facile
d’apporter
une
réponse.
Il
faut
se
dire
:
«
il
faut
donc
bien
que
la
sorcière
s’en
mêle
».
Entendez
:
la
sorcière
métapsychologique.
Sans
spéculer
ni
théoriser
‐
pour
un
peu
j’aurai
dit
fantasmer
‐
métapsychologiquement,
on
n’avance
pas
ici
d’un
pas.
Malheureusement
les
informations
de
la
sorcière
ne
sont
cette
fois
encore
ni
très
claires
ni
très
explicites.
(Freud,
1937
:
240)
»
Ainsi
la
sorcière
est
une
femme
non
soumise
à
l’inhibition
de
la
pensée
qui
va
droit
à
la
spéculation,
la
théorie,
le
fantasmer,
laissant
place
au
grouillement
d’où
surgissent
les
formes
supérieures
de
l’intelligibilité.
Elle
vient
prendre
le
relais
de
l’observation
quand
celle‐ci
est
quasi
impossible,
suggère
des
hypothèses,
donne
des
éléments
théoriques
qui
permettent
de
rendre
rationnel
des
phénomènes
incompréhensibles
en
vue
de
construire
des
explications
et
les
raccorder
à
d’autres
phénomènes
déjà
décrits,
elle
vient
boucher
des
trous
dans
un
discours
explicatif,
elle
est
l’imaginaire
qui
vient
assurer
le
symbolique
du
tissu
discursif.
Quelle
a
été
la
métapsychologie
que
Jeanne
des
Anges
a
mise
en
place
?
Elle
a
été
obligée
de
développer
un
système
concret
sur
des
phénomènes
abstraits
quasi
impossible
à
nommer,
autrement
dit
elle
en
a
fait
une
théorie.
En
ce
sens
la
sorcière
métapsychologique
ne
peut
épuiser
tous
les
possibles
et
les
cas
possibles
d’une
question
même
si
sa
fonction
est
de
solutionner
quasi
magiquement
les
énigmes
d’une
cure,
accomplir
ce
que
la
raison
humaine
considère
comme
impossible,
qu’elle
supplée
la
raison
et
en
assure
la
réalisation
dans
sa
fonction
de
connaissance
intuite.
«
L’obscure
connaissance
des
facteurs
et
des
faits
psychiques
de
l’inconscient
[...]
se
reflète
[...]
dans
la
construction
d’une
réalité
suprasensible,
que
la
science
retransforme
en
une
psychologie
de
l’inconscient.
On
pourrait
se
donner
pour
tâche
[...]
de
traduire
la
métaphysique
en
métapsychologie
»
(Freud,
1901).
Ou
en
sorcière
métapsychologie.
Il
y
a
donc
un
processus
en
trois
temps
:
nous
avons
une
perception
interne
(endopsychique)
de
certains
phénomènes
en
tant
que
connaissance
obscure
;
celle‐ci
est
projetée
dans
le
monde
extérieur
et
se
représente,
s’élabore,
se
construit
comme
réalité
suprasensible
(entités
métaphysiques,
mythologiques)
;
la
psycho‐analyse
(lyse)
en
tant
que
métapsychologie
retransforme
cette
réalité
transcendante
en
psychologie
de
l’inconscient.
Donc
pour
Freud
la
sorcière
et
la
métapsychologie
ont
la
même
définition
:
elles
donnent
une
unité
et
une
identité
structurale,
une
épistémologie
différente
pour
échapper
au
poids
de
la
réalité,
de
la
clinique
et
sont
donc
une
fiction,
une
illusion
qui
cependant
sont
des
faits
psychiques
de
la
psyché
et
de
la
psychologie.
La
théorie
et
l’illusion
partagent
un
même
territoire
qui
est
de
ne
pas
être
de
la
matérialité
:
l’illusion
est
une
construction
de
l’esprit
d’un
ordre
narcissique,
la
théorie
est
une
construction
de
l’esprit
qui
n’existe
pas
dans
l’ordre
matériel
mais
qu’on
peut
vérifier.
Sur
le
rapport
au
réel
on
peut
mettre
de
l’illusion
mais
l’illusion
ne
vient
pas
contenir
le
réel.
Ainsi
le
rôle
de
la
métapsychologie
est
un
transit
entre
de
la
réalité
que
la
métapsychologie
observe
et
le
discours
qu’on
tient
sur
la
réalité
c’est
à
dire
de
l’illusion
:
par
exemple
l’inconscient
existe
que
par
le
discours
qu’on
tient
sur
lui.
Ma
sorcière
bien­aimée,
ou
selon,
mal
aimée
10
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
La
sorcière,
en
trompant
son
monde,
se
met
dans
une
impasse
en
étant
brûlée
puisque
de
ce
fait,
par
les
cendres,
elle
existe.
On
se
débarrasse
des
parties
illusoires
qui
viennent
souiller
notre
réalité
en
brûlant
la
sorcière.
Son
existence
est
basée
sur
l’illusion
et
la
réalité.
Elle
soutient
l’illusion
et
dans
la
réalité
elle
se
fait
valider
par
le
bûcher.
On
valide
donc
qu’elle
a
fait
ceci
ou
cela
c’est
à
dire
un
don
qui
apparaît
surnaturel,
du
pas
croyable.
Or
l’église
catholique
a
tout
fait
pour
invalider
le
surnaturel
mais
c’est
le
contraire
qui
s’est
passé
par
la
mise
au
bûcher,
elle
l’a
validé,
elle
se
réserve
la
capture
du
croyable
ou
pas
croyable
par
l’intermédiaire
des
miracles.
Le
surnaturel,
le
suprasensible
est
il
un
fait
ou
une
imposture
?
Toujours
est‐il
que
dans
la
possession
on
perçoit
quelque
chose
de
soi‐même
à
l’extérieur
qui
n’est
pas
perçu
à
l’intérieur
de
soi.
Dans
un
texte
de
1923,
Freud
écrit
que
«
nous
n’avons
pas
à
être
étonnés
que
les
névroses
des
temps
précoces
entrent
en
scène
sous
un
vêtement
démonologique.
[...]
Les
possessions
correspondent
à
nos
névroses,
pour
lesquelles
nous
recourons
à
nouveau
à
des
puissances
psychiques.
Les
démons
sont
pour
nous
des
souhaits
mauvais,
réprouvés,
des
rejetons
de
motions
pulsionnelles
écartées,
refoulées.
Nous
récusons
seulement
la
projection
dans
le
monde
extérieur
que
le
Moyen­âge
faisait
subir
à
ces
entités
animiques
;
nous
leur
faisons
prendre
naissance
dans
la
vie
intérieure
des
malades,
là
où
elles
ont
leur
demeure
»
(Freud,
1923
:
217).
Nous
pouvons
dire
qu’il
s’agit
du
non‐vu
non‐su
de
soi‐même,
une
histoire
de
soi‐même
qu’on
ne
reconnaît
pas
comme
soi‐même.
Les
démons
de
Jeanne
des
Anges
comme
représentants
de
sa
libido
ne
sont
pas
reconnus
par
elle
ni
acceptés
par
elle
en
soi‐même
mais
perçus
et
représentés
comme
extérieurs
à
elle‐même.
Si
le
démon
possède,
la
religieuse
est
possédée
donc
ils
ne
s’appartiennent
pas,
le
diable
ne
fait
qu’exprimer
ce
qui
leur
manque.
Il
est
la
perception
de
la
pensée
réfléchie
(jeu
de
miroir),
la
possédée
vit
cette
part
d’elle
même
comme
si
un
étranger
l’habitait.
Et
c’est
vrai
à
ceci
près
que
c’est
une
pensée
qui
l’habite
là
où
autrefois
un
fragment
s’est
perdu.
C’est
un
rendu
biographique
d’une
vacuité
locale
de
l’âme.
Le
démon
a
bien
trouvé
à
se
loger
donc
c’est
qu’il
y
avait
une
place.
Il
est
une
production
virtuelle
qui
vient
combler
une
perte
réelle,
il
est
une
assimilation
d’un
corps
étranger
qui
devient
un
corps
naturel,
vous
savez
comme
une
couronne
sur
une
dent.
Revenons
à
la
sorcière.
Bien
avant
de
se
poser
en
terme
métapsychologique,
la
sorcière
est
un
personnage
mythologique
c’est
à
dire
permet
(comme
les
mythes,
la
Bible)
de
donner
une
forme
la
moins
encombrante
possible
psychiquement
tout
en
donnant
une
marche
psychique
pour
comprendre,
décrire
et
expliquer
(d’où,
par
exemple,
le
caractère
ecclésiastique
à
volonté
universelle
de
la
religion
qui
permet
à
tous
à
se
comprendre
et
comprendre
la
marche
du
monde).
Et,
soulignons
le,
l’exercice
de
la
réflexion
du
père
de
la
psychanalyse
s’est
à
de
nombreuses
reprises
fondé
sur
le
parallèle
mythologique
(Œdipe,
Narcisse
etc.),
descriptif
(chimie,
géologie,
neurologie
etc.)
et
explicatif,
avec
l’exercice
clinique
qui
lui,
est,
mnémotechnique
et
investigateur.
Nous
ne
pouvons
donc
pas
faire
l’impasse
sur
ce
parallèle
entre
la
métapsychologie
et
la
sorcière.
Nous
savons
par
l’histoire
que
le
destin
de
la
sorcière
est
d’être
brûlée
?
Notre
bonne
conscience
s’offusque
du
procédé
et
pourtant
rien
ne
nous
autorise
à
juger
nos
ancêtres.
Cette
sorcière,
on
la
sollicite,
l’utilise,
puis
on
s’en
débarrasse,
on
la
réduit
en
cendres.
Mais
n’est‐ce
pas
sur
les
cendres
d’une
pensée
antérieure
que
l’on
redessine
une
pensée
postérieure
?
Nous
la
savons,
cette
sorcière,
capable
de
jeter
un
sort,
de
‘faire
en
sorte
que…’.
Ainsi
la
psychanalyse
comme
la
sorcière
se
révèlent
capables
d’orienter
11
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
un
destin.
La
sorcière
a
un
pouvoir,
c’est
celui
de
réduire
l’aléatoire.
Ceci
n’est
pas
son
privilège,
tout
théoricien
vise
à
réduire
l’aléatoire
ainsi
que
le
risque
en
limitant
l’extension
de
son
hypothèse
théorique
et
en
gagnant
sur
la
fiabilité
de
son
anticipation.
Une
théorie
présentifie
le
futur
qui
peut
alors
valablement
se
représenter.
On
peut
donc
dire
que
la
métapsychologie
comme
la
sorcière
s’appliquent
à
réduire
ou
faire
disparaître
l’erreur
dans
sa
part
humaine.
Pourtant
cette
sorcière
destinée
à
ne
laisser
qu’une
cendre
dans
la
mémoire
(et
donc
gagne
en
éternité)
doit
bien
entrer
dans
une
économie
libidinale.
A
quoi
sert
la
sorcière
?
à
quoi
sert
le
Panthéon
des
dieux
grecs
?
à
quoi
sert
l’illusion
?
Eh!
bien
peut‐être
faut‐il
admettre
que
l’illusion
et
la
théorie
se
partagent
un
même
territoire,
celui
de
l’attente.
Le
souhait
et
la
vérification
de
son
accomplissement,
si
chers
à
la
science,
se
développent
sous
la
forme
d’un
dialogue
infini
qui
accompagne
nos
débats
intérieurs,
nos
comportements,
l’évaluation
de
ceux
que
l’on
aime
de
l’amour
qui
se
partage.
Le
souhait,
le
prodige,
le
miracle
sont
présents
à
chaque
instant
de
notre
vie,
et
parfois
ils
ne
sont
pas
vains.
Soulignons
ce
point
:
la
sorcière,
la
métapsychologie
sont
tentatrices
en
ce
qu’elles
s’extraient
de
la
singularité
au
profit
du
collectif.
Ce
n’est
pas
une
moindre
question
bien
actuelle
de
poser
la
science
comme
instrument
du
‘malin’.
Mais
ce
serait
une
interprétation
bien
parcellaire
de
cette
réflexion
que
de
devoir
assimiler
le
religieux
à
une
extension
topique,
une
mouvance
des
repères
épistémologiques
:
l’urgence
de
notre
travail
repose
sur
la
nécessaire
évidence
que
la
personne,
dans
toute
sa
singularité,
ne
peut
être
réduite
à
la
théorie
qui
l’anime,
que
ce
soit
de
Certeau,
Surin,
Jeanne
des
Anges
ou
Freud.
L’observation
et
la
lecture
des
textes
rendent
impérieux
le
retour
au
sujet
singulier
?
Il
nous
semble
que
l’instance
du
religieux
puisse
être
autonomisée
à
double
titre,
celui
de
s’opposer
à
la
métapsychologie
freudienne
et
celui
de
restaurer
l’unité
du
tryptique
lacanien,
réel,
imaginaire
et
symbolique.
La
sorcière
et
la
religion
font
territoire
commun
jusqu’à
la
limite
du
sujet.
Mais
spécifiquement,
la
religion
est
une
métapsychologie
qui
se
fonde
à
partir
du
sujet
pour
une
ambition,
une
portée
universelle,
alors
que
la
sorcière
est
une
émanation
d’une
foule
qui
en
est
la
vérité
?
La
sorcière
ne
tient
la
route
que
par
l’effet
d’un
consensus.
Quant
au
religieux,
comme
processus,
il
se
conjugue.
Une
autre
intelligibilité,
un
accueil
de
la
pensée
de
l’autre,
ce
n’est
pas
sorcier.
On
aura
compris
que
‘
l’affaire’
de
Loudun
est
ici
l’exemple
même
d’une
malfaçon
de
l’homme
quand
il
regarde
l’homme
avec
l’optique
de
la
sorcière.
C’est
dire
la
nuisance
de
la
sorcière
puisqu’elle
offre
l’illusion
vaniteuse
d’un
savoir
qu’elle
n’apporte
pas.
C’est
dire
aussi
la
force
déployée
par
la
chrétienté
pour
maintenir
coûte
que
coûte
le
préalable
du
sujet
seul
et
fragile
comme
aune
de
la
communauté.
LES
CENDRES
DE
LA
SORCIÈRE
On
sait
bien
qu’un
raisonnement
s’achève
soit
sur
une
indétermination
soit
par
une
tautologie
si
comme
c’est
le
cas
ici
nous
ne
comptons
sur
aucune
découverte
historique
ou
psychanalytique,
c’est
dans
la
trochlée
de
ces
deux
disciplines
que
nous
espérons
apporter
une
possible
relecture.
12
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
Quand
bien
même
nous
suivrions
servilement
Michel
de
Certeau
dans
sa
démarche
novatrice,
cette
articulation
n’aurait
guère
de
pertinence
quant
à
l’interprétation
d’une
tautologie
du
type
sorcière/métapsychologie.
Alors
nous
pourrions
proposer
un
schéma
de
type
métapsychologie/métaphore/sorcière.
Mais
faute
de
privilégier
sorcière/métaphore
de
métapsychologie,
nous
devons
décider
la
métapsychologie
comme
scientifiquement
assise,
alors
que
la
sorcière
n’exprime
qu’un
portrait
charge
du
contenu
sémantique
de
la
métapsychologie.
Alors
la
sorcière
exprime
une
image
didactique
dont
on
espère
qu’elle
amène
plus
de
clairvoyance
(pour
le
profane)
que
le
terme
métapsychologie.
Mais
si
l’image
de
Freud
s’avère
illustrative
pour
le
psychanalyste,
rien
de
surnaturel,
l’enjeu
de
l’historien
est
autre,
il
a
le
bénéfice
de
l’ancienneté
et
de
la
permanence
de
la
sorcière
qui
pour
lui
est
un
‘fait’.
Le
prodige,
le
miracle,
la
magie
constituent
des
faits
c’est
à
dire
se
présentant
comme
étant
de
la
réalité
et
donc
de
ce
‘fait’
ont
un
effet
mais
sans
un
avoir.
N’est
ce
pas
le
jugement
qui
fait
le
miracle
?
on
voit
quelque
chose
qui
était
déjà
là,
tout
à
coup
on
s’autorise
à
voir
quelque
chose,
on
voit
enfin,
ce
qui
était
empêchait
de
le
voir
a
été
levé.
Tout
comme
la
guérison
est
toujours
derrière
la
maladie
sinon
les
médecins
ne
soigneraient
pas.
Le
débat
s’ouvre
donc
sur
une
appréhension
du
réel.
Une
pensée
peut
s’accommoder
pour
quelqu’un
de
l’opposition
réel/imaginaire,
pour
quelqu’un
d’autre
le
découpage
serait
plutôt
du
type
matériel/réel/imaginaire.
La
science
moderne
tient
un
discours
imaginaire
pour
décrire
le
réel
et
le
réel
pour
décrire
le
matériel.
La
science
‘pille’
les
notions
historiques
et
l’histoire
valide
son
imagination
d’un
réel
qui
valide
ses
constatations
en
mettant
à
l’horizon
son
objectivité.
On
peut
donc,
en
dotant
l’œuvre
de
Freud
de
fondatrice,
constater
que
la
psychanalyse
comme
l’histoire
ne
peuvent
constituer
des
sciences
puisque
tributaire
de
métaphores
donc
le
socle
reste
invérifiable.
Le
danger
de
la
métaphore
est
de
renvoyer
à
une
suite
de
métaphores
et
renoncer
à
une
aporie
du
sens.
Est‐ce
pour
autant
que
l’écriture
de
l’histoire
relève
de
la
pure
subjectivité,
une
sorte
d’autobiographie
déguisée
?
Le
problème
est
facilement
soluble
:
il
y
a
un
écart
irréductible
entre
le
discours
proféré
et
le
discours
reçu.
Le
discours
reçu
c’est
celui
qui
rentre
dans
le
possible
objet
de
l’historien,
le
discours
proféré
c’est
le
discours
mi‐dit
que
doit
recevoir
le
psychanalyste.
Alors
constatons
que
le
psychanalyste,
comme
écoute,
est
la
condition
de
l’histoire.
Il
faut
le
dire,
l’inconscient
est
de
toute
éternité,
et
une
certaine
écoute
existait
bien
avant
le
discours
sur
le
divan.
Quelle
sorcière
!
On
la
découvre
et
c’est
auprès
d’elle
que
l’on
vient
chercher
conseil.
N’est
il
pas
rassurant
de
penser
que
l’aléatoire
et
le
protéiforme
peuvent
traverser
les
instances
psychiques,
devenir
des
pensées,
articuler
de
la
vérité
?
Elle
nous
dit
non
seulement
qu’elle
peut
être
partout,
silencieuse
ou
bavarde.
Bien
avant
l’ère
des
bûchers
elle
était
là,
petite
fée
malicieuse
ou
une
vieille
moisie
de
méchanceté,
mais
rapide
à
comprendre,
un
coup
de
balai
et
les
cendres
se
dispersent,
un
balai
magique
et
hop
je
suis
ailleurs.
Michel
de
Certeau
va
s’appliquer
quelques
siècles
plus
tard,
avec
sa
propre
sorcière,
à
rendre
scientifique
l’œuvre
des
sorciers.
Et
voici
notre
tautologie,
science
et
sorcellerie
se
révèlent
identiques
et
peut‐être
que
la
réalisation
la
plus
décapante
est
la
sorcellerie
du
17è
siècle
qui
a
donné
le
processus
de
la
science
moderne,
celle
qui
l’accusera
alors
d’un
obscurantisme
dont
elle
a
fait
son
miel
pendant
au
moins
quatre
siècles
et
qui
porte
son
jugement
méprisant
sur
le
surnaturel
et
les
prodiges.
13
Claire
Soudier,
International
Psychology,
Practice
and
Research,
2,
2011
Ne
nous
trompons
pas,
ce
constat
est
désagréable
;
il
fâche
et
pourtant
n’est‐il
pas
rassurant
de
penser
que
l’aléatoire
et
le
protéiforme
peuvent
traverser
les
instances
psychiques,
devenir
des
pensées,
articuler
de
la
vérité
?
Mais
bien
sûr
à
la
hauteur
de
la
saisie
cognitive,
et
pour
le
psychanalyste
éprouver
la
valeur
révélatrice
du
transfert,
matériau
premier
de
notre
ouverture
sur
les
autres,
sur
le
monde
qu’ils
habitent
et
qui
me
demande
de
les
rejoindre,
quelque
soit
le
lieu,
quelque
soit
le
temps.
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14

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