L`efficience des organisations d`intégration régionale en Afrique

L’efficience des organisations d’intégration régionale en
Afrique : une approche économique
Bernard Yvars
Maître de Conférences de Sciences Économiques
Chaire Jean Monnet en Intégration régionale comparée
Université Montesquieu-Bordeaux IV
Version provisoire
L’objet de cette communication est de proposer une réflexion sur la pertinence de
l’accès au développement économique par l’action d’organisations d’intégration régionale.
Parmi les organisations régionales conçues dans le cadre africain, celles en charge de la
promotion de l’intégration régionale occupent une place significative (Uemoa, Cemac, Sadc,
etc). La création de telles entités résulte le plus souvent de l’influence exercée par les
anciennes puissances coloniales (Zone franc par exemple structurant monétairement l’Uemoa)
ou par l’Union européenne qui, par exemple en application des accords de Cotonou, tente
aujourd’hui de promouvoir le libre-échange par des Accords de Partenariat Économique,
élaborés en respectant strictement les règles de l’Omc. De tels accords reposent sur des
entités régionales déjà existantes. Ces zones, qui ont une assise juridique définie par des
textes fondateurs fortement inspirés de l’expérience européenne, manquent souvent de
pertinence économique. De façon générale, les processus d’intégration gionale sont fondés
sur le développement des échanges : le commerce extérieur est la variable économique
motrice de telles expériences. Or le commerce international ne doit être la priorité que des
économies dont l’appareil productif est structuré et performant, ce qui a été -ou est- le cas des
expériences d’intégration régionale Nord-Nord (Alena, Union européenne). A contrario, le
régionalisme dans les pays en développement dont les économies sont plus vulnérables
pourrait traiter prioritairement de questions d’intérêt commun concernant les facteurs de
développement, notamment le capital humain (existence de besoins majeurs dans la plupart de
ces pays) et a priori sur des espaces géographiques plus importants que ceux sur lesquels sont
assises les expériences d’intégration économiques actuelles. Le régionalisme africain, par
exemple, conduit à moins de concurrence inter - zones et davantage de concurrence intra-
zone, en particulier au niveau des échanges commerciaux.
Notre papier évaluera dans une première partie l’efficacité macroéconomique des
expériences d’intégration régionale africaines qui poursuivent un objectif d’intégration à la
2
division internationale du travail par le commerce dans un contexte de durcissement des
conditions concurrentielles. Dans une seconde partie, en privilégiant les besoins en capital
humain des pays africains, nous ferons apparaître qu’une redéfinition de l’objet et de l’assise
géographique des processus intégrateurs actuels peut permettre une plus grande
complémentarité des efforts de développement économique et social de ces pays et des zones
qui les regroupent.
I - Un contexte international défavorable aux entités d’intégration
régionale centrées sur l’économie
Il convient tout d’abord de définir ce qu’est un processus d’intégration économique
régionale. De façon traditionnelle, B. Balassa distinguait plusieurs stades de ces processus
qui allaient de la constitution de zones de libre-échange à l’unification économique totale,
conduisant au fédéralisme budgétaire et politique. Cette typologie a perdu une grande partie
de sa pertinence aujourd’hui en raison de la mondialisation des activités et du rôle d’un dollar
étatsunien, aux fluctuations erratiques du cours du change (fréquemment supérieures à 10%),
en tant que monnaie véhiculaire des échanges internationaux. De plus, les accords
commerciaux des membres de l’Omc, organisés ou non en zones d’intégration régionale,
doivent aujourd’hui respecter la clause de la nation la plus favorisée. Un dollar aux
fluctuations erratiques et fortes et l’application de la clause précédente aboutissent au fait que
les zone de libre-échange et même d’union douanière ne correspondent plus à aucune
préférence régionale effective et à aucun degré d’intégration économique véritable. On ne
peut en fait parler d’intégration économique que lorsque des Marchés communs,
effectivement décloisonnés, sont réalisés et qu’une monnaie commune ou unique permet un
fonctionnement efficient de tels marchés. De ce point de vue, il existe alors très peu
d’expériences authentiques d’intégration économique : au XIXème siècle, on peut citer la
constitution de l’État fédéral allemand et dans la période contemporaine, seule l’Union
européenne correspond à un tel scénario et uniquement pour l’espace circonscrit à l’union
monétaire
1
. Précisons à ce propos que si l’euro protège les membres de l’union monétaire des
chocs externes d’inflation, il ne les protège pas des chocs de sous-emploi. Par conséquent,
l’union monétaire actuelle reste très fragile, d’autant plus qu’elle concerne des pays
1
En vérité, l’intégration économique européenne redémarre au 1
er
janvier 1999 avec la réalisation de la monnaie
unique, l’étape antérieure d’union douanière et dans une certaine mesure de marché unique (1958 - 1999) étant
dissoute dans la mondialisation, notamment après les accords de l’Uruguay round. De ce fait et malgré les
apparences, le processus d’intégration économique européen s’est amoindri avec un euro qui à ce jour n’est
toujours pas la monnaie d’un État fédéral européen.
3
insuffisamment convergents et que le policy mix pratiqué est asymétrique et incomplet. La
question de la gouvernance économique de l’Union monétaire est devenue une question
centrale : se rapprocher d’un fédéralisme budgétaire et politique (regroupant les quelques
pays les plus convergents) ou courir le risque d’un délitement de l’union monétaire, comme
le suggère C. Saint Etienne
2
.
De plus, l’approche d’endogénéité de l’intégration économique de Frenkel et Rose (la
monnaie unique stimule le commerce intra-branche en synchronisant les cycles) alors que les
tests empiriques montrent qu’il existe une Europe à plusieurs vitesses, conduit à privilégier
plutôt la thèse de la divergence économique de Krugman (la monnaie unique stimule le
commerce interbranche en désynchronisant les cycles). Plus l’intégration économique tente
de s’approfondir, plus le risque de divergence s’accroit et menace la rennité de la zone
d’intégration régionale en l’absence d’une gulation centralisée suffisante découlant du seul
fédéralisme politique. Plus généralement, dans la période contemporaine, les fondements de
la DIT ont été affinés, notamment par P.A. Samuelson.
A - La refondation théorique de la division internationale du travail
Les enseignements principaux de la théorie du commerce international reposent sur
une hypothèse aujourd’hui démentie par les faits : l’immobilité internationale des facteurs de
production. De ce fait, les États, abrités derrière des barrières tarifaires et/ou non tarifaires, ne
représentent plus le cadre de référence de la production et des échanges des nations. Une des
conséquences en est que le modèle ricardien des coûts comparatifs est largement inadapté à
rendre compte de la spécialisation internationale. Les conditions du commerce entre les
nations ont fortement évolué et contribuent à la polarisation des activités et de l’emploi dans
les zones les moins disantes sur un plan fiscal, social ou environnemental. A ce propos, deux
arguments méritent d’être davantage explicités :
- l’insuffisante pertinence de la référence aux coûts comparatifs ricardiens comme
fondateurs de la spécialisation internationale et de la supériorité du libre-échange sur toute
forme d’échanges organisés ;
- la portée limitée de l’argument de la montée continue en gamme ou de l’accès
ininterrompu à une plus haute valeur ajoutée pour les appareils productifs concurrencés des
pays développés, notamment ceux qui peuvent incorporer intensivement de la recherche-
développement.
2
C. Saint Etienne, La fin de l’euro, Bourin éditeur, 2009.
4
Reprenons chacun des deux arguments.
1. Avantages comparatifs versus avantages absolus
Si nous ne sommes pas encore dans une économie mondiale complètement
décloisonnée, la tendance est à une libéralisation commerciale accrue selon deux modalités :
- les progrès de la négociation multilatérale sous l’égide aujourd’hui de l’OMC ;
- les progrès du régionalisme avec la création fréquente de zones de libre-échange et
plus rare, d’unions douanières.
Ce sont deux voies complémentaires d’accès au libre- échange, le libre-échange
généralisé étant la solution optimale dans l’analyse néo-classique qui établit la réalisation de
gains en bien-être les plus élevés pour les nations coéchangistes. La participation
« convenable » à l’échange international repose alors sur une spécialisation selon les
avantages comparatifs dans un cadre institutionnel des échanges complètement ouvert. Cette
approche vient d’être relativisée par l’économiste américain P. Samuelson (Samuelson, 2004)
qui montre que la mobilité internationale des facteurs de production tend à favoriser la
localisation des activités dans les pays qui ont les coûts absolus les plus bas (en premier lieu,
les coûts salariaux et de protection sociale). La tentation de protection peut être alors forte
dans les pays développés, sauf à fournir des productions plus différenciées. Cette adaptation
se traduit par une montée en gamme des produits des pays les plus avancés, pérennisant un
modèle de coopération internationale les pays leaders (les nations développées) auraient
toujours une étape technologique d’avance sur les pays suiveurs (les pays émergents ou en
développement).
2. L’impasse de la montée en gamme et de la différenciation des produits
J. Bhagwati suggère aux pays développés à main-d’œuvre relativement plus coûteuse
une montée en gamme pour maintenir le gain à l’échange (J. Bhagwati, 2003). Le schéma
mécanique d’une montée en gamme permanente de la production des pays développés
pendant que les productions de gamme inférieure seraient délocalisées dans les pays en retard
de développement, à coût sociaux de production plus bas et dotés d’une main-d’œuvre
relativement moins qualifiée que celle des pays avancés, est un modèle dont la pertinence ne
peut être que de courte période. Cela revient à accepter l’hypothèse discutable qu’il y aura
définitivement une avance technologique des pays actuels les plus avancés sur les autres. Par
ailleurs, le commerce fondé sur la différenciation des produits pourrait progresser moins
5
fortement en raison de la rapidité des transferts de technologie, contribuant à la similitude des
gammes de produits, et des stratégies globales des firmes en position de marché
oligopolistique ou monopolistique. A terme, ces produits différenciés substituables
deviendraient des produits concurrents en raison de l’étroitesse de la différenciation, ce qui
perturbera le développement des productions et des échanges.
B - Des zones d’intégration régionale africaines centrées sur le
commerce
Dans le contexte de mondialisation actuel, l’étude du régionalisme en Afrique soulève
de nombreuses interrogations, en particulier celle de la priorité donnée à l’économie (et à la
logique fonctionnaliste pratiquée, notamment dans la Cee). Le Traité d’Abuja définit un cadre
pour achever l’intégration régionale du continent en consolidant les économies de l’ensemble
des pays africains en un seul marché en s’appuyant sur un processus progressif connaissant
son terme à l’horizon 2028. Ce Traité instituerait la Communauté économique africaine avec
plusieurs étapes de libéralisation définies autour des communautés économiques régionales
(Cer). La création d’une zone de libre-échange dans chaque Cer doit être complétée par une
union douanière et éventuellement un marché commun (voire une union économique). Cet
objectif doit être atteint par des plans visant à stabiliser et à éliminer graduellement les
barrières tarifaires et non tarifaires, adopter un tarif extérieur commun vis-à-vis des échanges
avec les pays tiers, harmoniser les politiques macroéconomiques et promouvoir la libre
circulation de tous les facteurs de production. Précisons cette démarche compatible avec
l’intégration du continent à la DIT.
1 - Une intégration régionale destinée à faciliter l’insertion dans la DIT
A. D. Ouattara, Directeur Général Adjoint du Fonds Monétaire International,
considérait en avril 1999
3
, l'importance de l'intégration régionale comme étape intermédiaire
vers l'intégration des pays en voie de développement à l'économie mondiale : «après deux
décennies de résultats inégaux, la situation économique de l'Afrique s'est améliorée au cours
des dernières quatre années, et les perspectives sont de plus en plus encourageantes. Ceci est
d'autant plus remarquable que les progrès réalisés sont dus surtout à des efforts d'ajustement
interne plutôt qu'à des phénomènes exogènes. Ces efforts ont été caractérisés par la mise en
œuvre de politiques macroéconomiques et structurelles appropriées, visant à améliorer
3 Ière Conférence des Ministres de l'Économie et des Finances de la Francophonie, Monaco, 14 avril 1999.
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