Document 1 : Dans les transcendantalités classiques, la source des qualités perçues dans le monde ne
sont pas originaires du monde et ne sont que des reflets de la croyance en un surmonde.
C'est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses
spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de
tout ce qui est au-delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre
immortalité. C'est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique,
que l'âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ; et quand un poème
exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d'un excès
de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage d'une mélancolie irritée, d'une
postulation des nerfs, d'une nature exilée dans l'imparfait et qui voudrait s'emparer
immédiatement, sur cette terre même, d'un paradis révélé.
Ainsi le principe de la poésie est, strictement et simplement, l'aspiration humaine vers
une Beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est dans un enthousiasme, un
enlèvement de l'âme ; enthousiasme tout à fait indépendant de la passion, qui est
l'ivresse du cœur, et de la vérité, qui est la pâture de la raison. Charles Baudelaire (1821-1867)
«Théophile Gautier», L'Artiste, 13 mars 1859
Document 2 : C’est au 17ème siècle, dans le sillage des révolutions coperniciennes et galiléennes,
qu’apparaissent les premiers discours de la transcendantalité horizontale, liée à l’expérience d’un monde
infini.
Élevons-nous au-dessus de cette triste Terre et voyons de là-haut si la Nature a étalé
toutes ses beautés et ses richesses sur ce petit morceau de Poussière. Ainsi, comme
ceux qui ont voyagé dans des pays lointains, nous pourrons mieux juger ce qui est fait
chez nous et estimer chaque chose à sa juste valeur. Nous admirerons moins ce que l’on
croît Grand en ce Monde, et mépriserons même ces vétilles auxquelles la majorité des
hommes attache ses désirs quand nous saurons qu’il existe une multitude de Terres
habitées comme la nôtre, et aussi belle. Christiaan Huygens (1629-1695)
La découverte des mondes célestes, vers 1690
Document 3 : La montagne, comme l’immensité, sont des sources courantes de transcendantalité pour
l’homme.
Inébranlable, la montagne se dresse dans toute sa puissance. Il va falloir la gravir. Le
vertige ascensionnel commence. Hauts les cœurs !
La montagne fut longtemps l'aspect de la nature le plus méconnu. Les mers et les
continents étaient déjà parcourus de longue date lorsque les premiers sommets furent
atteints. jusqu'au XVIII' siècle, la montagne ne comptait quasiment pas dans la littérature.
Sans doute son accès difficile rebutait les âmes valeureuses, bien que des sages chinois
y aient toujours trouvé un refuge propice à leur méditation. Vouloir accéder aux sommets
signifiait vouloir voler un secret aux dieux. L'Olympe, d'ailleurs, demeure des dieux, mont
le plus élevé de la Grèce, se perdait dans les nuages.
Qu'elle attire passionnément, au point de provoquer la mort, ou qu'elle effraie par sa
masse imposante, la montagne réveille la volonté, en tout cas suscite l'effort. Un
personnage de La Montagne de l'âme (2) dit : «Puisque tu es en montagne, prépare-toi à
souffrir.»
Toujours la montagne est souffrance. Voilà pourquoi il faut la surmonter. La félicité de
l'altitude ne s'obtient qu'au terme d'une peine physique et morale, comme la joie
immense qui anime la fin des pèlerinages. Récompense de l'escalade, elle comble l'âme
d'un sentiment de domination. Des hauteurs, le monde des hommes s'offre en sa prime
jeunesse. Des hauteurs, tout paraît possible. Des hauteurs, vous serez comme des
dieux.
La montagne requiert la possession intégrale de son corps, de son souffle, de son âme.
La grimper, c'est s'entraîner tout entier dans l'épopée : revenir aux sources des rivières,
braver la glace, s'envoler dans le souffle des vents... (...)
Du sommet des montagnes, on embrasse la terre tout autour, mais on goûte aussi dans
un contact immédiat les bienfaits du soleil et des astres. Le rayonnement solaire est plus
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-113 : “La transcendance horizontale du Cosmos” - 10/06/2000 - page 5