1936
LES JEUX NAZIS
Les Jeux olympiques de Berlin commencent par
le traditionnel allumage de la flamme.
ADOLF Hitler fut pratiquement l’organisateur des Jeux
olympiques de l’été 1936 à Berlin. Son entourage se montra bienveillant et
hospitalier, offrant des réceptions somptueuses et coûteuses. Les cérémo-
nies d’ouverture, plus grandioses que jamais, culminèrent par un lâcher de
20 000 oiseaux portant des rubans multicolores, s’élevant dans le ciel.
Nombre d’invités étrangers quittèrent les Jeux impressionnés et éblouis.
Grand manœuvrier, Hitler avait donc atteint son objectif pour les Jeux
olympiques : donner l’illusion que les nazis n’étaient pas aussi ignobles
qu’on les décrivait souvent à l’étranger.
C’est en 1932 que le Comité olympique international avait désigné l’Alle-
magne pour accueillir les Jeux de 1936, soit un an avant l’accession d’Hitler au
pouvoir. Les compétitions d’été devaient se dérouler à Berlin et les Jeux d’hiver
à Garmisch-Partenkirchen en Bavière. Au moment où le COI annonça ce
choix, personne ne savait (du moins pas avec certitude) que c’était une Alle-
magne nazie qui accueillerait ces Jeux. En fait, l’idéal olympique internationa-
liste – unir les peuples du monde grâce à un festival de sports – entrait
tellement en contradiction avec le nationalisme raciste et antisémite des nazis
que l’idée même d’Olympiades nazies semblait aberrante.
Le COI envisagea donc de déplacer ailleurs les Jeux de 1936, mais l’habile
Hitler sut faire juste assez de concessions pour maintenir le choix de l’Alle-
magne. Il savait que les Jeux olympiques constitueraient une aubaine pour les
relations publiques du Troisième Reich. Il s’avéra que le succès des Jeux olym-
piques contribua aussi à sceller le sort de millions de Juifs européens.
En public, les nazis mirent en sourdine leurs sentiments antisémites
durant les Jeux, bien que les Juifs allemands, y compris des athlètes juifs,
aient subi de graves discriminations. Les Juifs furent exclus des clubs de
sports dont ils avaient été membres. Les athlètes juifs d’Allemagne n’eu-
rent droit qu’à des équipements séparés, de piètre qualité.
Pendant les entraînements précédant les Jeux d’été de 1936, Gretl
Bergmann, une championne de classe internationale de saut en hauteur
(et juive) atteignit le record féminin allemand : 1,60 mètre. Le 13 juin,
elle reçut une lettre du Comité olympique allemand. Critiquant ses
récentes performances en saut en hauteur jugées trop irrégulières, le
Comité l’informait qu’elle n’avait pas été choisie comme membre de
l’équipe olympique d’athlétisme de son pays.
À l’été 1936, les Juifs allemands avaient perdu leurs droits civiques.
Leurs entreprises étaient boycottées et leur vie professionnelle limitée.
97
Ils étaient exclus des lieux publics et il leur était interdit d’épouser des
non Juifs. Entre-temps, tout en développant leur politique antijuive, les nazis
comprenaient que la forme physique et les prouesses sportives étaient sus-
ceptibles de renforcer le nationalisme, de favoriser la pureté raciale et de sti-
muler les préparatifs militaires. En conséquence, les perspectives de faire
partie de l’équipe olympique de 1936 étaient quasiment inexistantes pour
les Juifs. Les nominations furent réservées à ceux qui pourraient rapporter le
plus d’honneur au peuple allemand et à l’État nazi.
S’inclinant à peine sous la pression, les responsables du Reich apaisè-
rent le COI en autorisant une sportive juive à représenter l’Allemagne aux
Jeux olympiques d’été de 1936 : Helene Mayer. Cette dernière avait par-
ticipé aux deux Olympiades précédentes pour l’Allemagne et avait
annoncé qu’elle souhaiterait revenir de Californie pour recommencer.
Helene Mayer était demi-juive, une Mischlinge. Elle était également
grande et blonde, correspondant presque au prototype aryen. Le film qui
fut tourné le jour où elle reçut la médaille d’argent dans la compétition
féminine de fleuret la montre en train d’effectuer le salut nazi, le bras
tendu. Si bref et si indécis que fût son salut, il indiquait que l’Allemagne
d’Hitler n’était peut-être pas un endroit si terrible.
Peu avant, le 7 mars 1936, Hitler prononça un discours devant le
Reichstag. Alors qu’il annonçait le recouvrement de la souveraineté alle-
mande sur la Rhénanie, les forces militaires allemandes pénétrèrent à
nouveau dans ce territoire démilitarisé après la Première Guerre mon-
diale. Bien que ce fût une violation flagrante du traité de Versailles,
condamnée par la Société des nations, la décision d’Hitler ne fut pas annu-
lée et les troupes allemandes ne se retirèrent pas. Cependant, comme le
suggère la présence d’Helene Mayer aux Jeux olympiques, Hitler et ses
partisans furent assez habiles pour promouvoir leurs intérêts nationaux
sans froisser outre mesure l’opinion internationale.
Avant le début des Jeux, dans plusieurs pays, notamment aux États-
Unis et en Union soviétique, des mouvements réclamèrent un boycott des
Jeux olympiques en Allemagne. Peu désireux de risquer une telle issue, le
régime nazi fit des concessions pour améliorer son image de marque. Par
exemple, on enleva les panneaux antijuifs qui proliféraient le long des
autoroutes allemandes, à l’entrée des villes et dans de nombreuses rues
et magasins. « Les Juifs sont indésirables ici », disaient certains. « Le Juif
est notre malheur » affirmaient les autres.
Les Jeux d’hiver commencèrent le 6 février à Garmisch-Partenkirchen.
Avant qu’Hitler n’ouvre officiellement les Jeux, les panneaux antisémites
des environs immédiats avaient été retirés. Ils demeurèrent cependant le
long des autoroutes conduisant sur les lieux des compétitions. En se ren-
dant à l’ouverture des Jeux d’hiver, le comte Henri Baillet-Latour, le pré-
sident belge du COI, vit ces démonstrations d’antisémitisme. Il demanda
immédiatement à rencontrer Hitler et lui déclara que de telles pratiques
étaient inacceptables. Hitler prétendit que le protocole olympique ne pou-
vait pas fouler aux pieds des préoccupations de la plus haute importance
en Allemagne, mais lorsque Baillet-Latour menaça d’annuler les Jeux
olympiques de 1936, Hitler donna l’ordre d’enlever les panneaux.
De telles concessions n’étaient que des mesures d’opportunité. Sur le
fond, rien n’était changé dans l’Allemagne nazie à l’égard de la « question
juive ». Le 17 juin par exemple, Hitler promulgua un décret nommant Hein-
rich Himmler chef de toutes les forces de police allemandes. Ajoutant ce
98
1936
La championne juive alle-
mande de saut en hauteur,
Gretl Bergmann fut par la
suite exclue de l’équipe.
pouvoir à l’autorité dont il bénéficiait déjà en tant que chef des SS, Himmler
développa un vaste système de terreur désormais sous son contrôle. Tandis
que les préparatifs des Jeux olympiques d’été se poursuivaient, l’Allemagne
nazie devenait un État policier de plus en plus centralisé.
L’ouverture des Jeux d’été eut lieu le 1er août à Berlin, la capitale paraissant
nette, hospitalière et prospère. Les panneaux et publications antisémites
n’étaient pas visibles. La presse allemande fut chargée de rapporter les exploits
«non aryens » sans commentaires d’ordre racial. Quarante-neuf pays envoyè-
rent des équipes aux Jeux olympiques nazis qui se terminèrent le 16 août.
Parmi ces pays : les États-Unis où l’effort des partisans du boycott pour dénier
à l’Allemagne nazie la légitimité que lui conféraient les Jeux échoua de peu.
Hitler présida l’ouverture dans l’immense stade olympique de Berlin. La
cérémonie se termina par la « course au flambeau » récemment créée pour
apporter le feu depuis l’ancien site des Jeux olympiques grecs jusqu’à Berlin.
Leni Riefenstahl et son équipe étaient présents pour rendre le faste et la com-
pétition sportive. Son film Olympia allait remporter le pre-
mier prix au festival du film de Venise en 1938.
Certaines des meilleures séquences d’Olympia portent
sur un athlète noir américain nommé Jesse Owens. Ce der-
nier avait connu le racisme aux États-Unis, mais aux Jeux
olympiques de 1936, ses quatre médailles d’or furent accla-
mées par les critiques du régime nazi qui affirmèrent que
les victoires d’Owens réfutaient les prétentions d’Hitler à la
supériorité des Blancs.
Malgré l’embarras causé aux nazis par les victoires
d’Owens, Hitler et ses partisans furent plus que satisfaits de
leurs succès olympiques. L’équipe allemande avait remporté
plus de médailles que n’importe quelle autre. Hitler avait
fort bien joué les rôles de l’homme d’État de stature internationale et de leader
national bien-aimé. L’hospitalité allemande convainquit la plupart des visiteurs
étrangers que le Troisième Reich avait des intentions aussi pacifiques que sa
reprise économique était efficace, et que ses objectifs étaient aussi bénins que
sa culture était saine et vigoureuse.
Au moins dix sportifs juifs remportèrent des médailles aux Jeux olympiques
de 1936, entre autres, Samuel Balter, membre de l’équipe américaine de bas-
ket-ball. Gretl Bergmann, pour sa part, émigra aux États-Unis, poursuivit sa
carrière de championne d’athlétisme et respecta son vœu de ne jamais retour-
ner en Allemagne. D’autres sportifs juifs furent moins chanceux. Leur sort
montre l’ampleur colossale de la duperie que furent les Jeux olympiques nazis.
Les nazis assassinèrent à Auschwitz Victor Perez, un Juif français qui, au
début des années 1930, était champion du monde de boxe poids mouche. Lili
Henoch, détentrice du record du monde de lancer de poids et de disque, fut
déportée d’Allemagne en 1942. Elle fut assassinée et enterrée dans une fosse
commune près de Riga, en Lettonie. Attila Petschauer, un escrimeur hongrois
qui avait remporté une médaille d’argent aux Jeux olympiques de 1928, mou-
rut de froid dans un camp de travail nazi en 1943. Un Juif allemand nommé
Alfred Flatow, qui avait remporté trois médailles d’or et une d’argent en gym-
nastique pendant les Jeux d’Athènes en 1896, mourut dans le camp/ghetto de
Theresienstadt (Tchécoslovaquie) en 1942.
L’assouplissement de la pression antijuive prit fin peu après les Jeux de 1936.
Vers la fin de l’année, la campagne antisémite visant à chasser les Juifs d’Alle-
magne se déchaînait.
99
Haut : Adolf Hitler se rend aux
cérémonies d’ouverture des XIe
Jeux olympiques. Bas : Le Noir amé-
ricain Jesse Owens embarrassa Hit-
ler en remportant quatre médailles
d’or.
1936 1936 : Gerhard Leibholz, éminent
juriste juif allemand est privé de son
poste à l’université de Göttingen. •
Ouverture près de Munich du premier
foyer Lebensborn pour les femmes
aryennes enceintes. • Création par
Joseph Goebbels de l’Institut der
NSDAP zum Studium der Judenfrage
(Institut du NSDAP pour l’étude de la
question juive). • Parution du premier
numéro de Forschungen zur Judenfrage
(Recherche sur la question juive), une
revue consacrée à la présentation
pseudo-scientifique de l’idéologie
raciale nazie.
• Les nazis créent des salles de télévi-
sion pour le public en vue de diffuser la
propagande du gouvernement. • Les
Gardes de fer de Roumanie font explo-
100
1936 • LES JEUX NAZIS
David Frankfurter (au premier plan), un étudiant juif de Suisse, fut
condamné à 18 ans de prison pour son rôle dans le meurtre de Wilhelm
Gustloff, responsable de la section des Affaires étrangères au parti nazi.
Outre sa peine de prison, Frankfurter fut déchu de ses droits civiques et
expulsé de Suisse, mais pas avant d’avoir remboursé les frais de justice.
Ce livre pour enfants s’intitule Trau keinem Fuchs auf gruener Heid und
Keinem Jud bei Seinem Eid (On ne peut faire confiance à un renard dans la
lande et à un Juif sous serment). Ce livre diffusait la propagande antisémite
chez les jeunes Allemands qui ne se doutaient de rien. Cette illustration ne
laisse rien à l’imagination.
Le cardinal August Hlond, chef
de l’Église catholique polonaise,
appela à la discrimination des Juifs
polonais, à moins qu’ils ne se
convertissent au catholicisme. Jugé
moins antisémite que bien des
ecclésiastiques polonais, Hlond
n’en publia pas moins une lettre
pastorale attaquant les Juifs pour
leur « moralité malfaisante », ce qui
révélait l’influence croissante de
l’idéologie nazie en Pologne. La
politique antijuive approuvée par
l’Église ébranla la position précaire
des Juifs polonais et exacerba les
tensions entre Juifs et non-Juifs.
ser une bombe dans un théâtre juif à
Timisoara, tuant deux Juifs. • Depuis
l’Amérique, le German-American Bund
achemine des fonds vers le Reich.
• Dans la même veine antijuive que les
luthériens allemands sous le régime
nazi, le principal journal protestant
d’Amérique, Christian Century,
soutient que l’Amérique est une nation
chrétienne dotée d’une culture
chrétienne et qu’elle doit le rester. Les
chrétiens sont indifférents aux
souffrances des Juifs parce que ces der-
niers méritent le châtiment divin pour
avoir refusé de reconnaître Jésus. Le
judaïsme est un prototype racial,
religieux et nationaliste du nazisme.
Ces positions se retrouvent dans une
grande partie de la presse protestante
américaine pendant la Shoah.
4 février 1936 : David Frankfurter, un
étudiant juif de Suisse assassine Wilhelm
Gustloff, le chef du NSDAP en Suisse.
29 février 1936 : Le cardinal August
Hlond, chef de l’Église catholique en
Pologne considéré comme moins antisé-
mite que nombre d’ecclésiastiques polo-
101
1936 • LES JEUX NAZIS
Le nez d’un homme est mesuré pour déterminer s’il
est d’ascendance juive. Les nazis utilisaient toutes sortes
de méthodes et d’instruments pour décider de l’ascen-
dance d’éventuelles victimes. Cette « science » fondée
sur la race n’avait cependant rien de nouveau. Elle
avait été développée par des intellectuels et des méde-
cins au XIXe siècle.
Des juges et des clercs nationaux-socialistes
concluent une cérémonie en chantant Deutschland
Über Alles et le Horst Wessel Lied. Dans leur grande
majorité, les juristes allemands s’adaptèrent
rapidement aux préceptes du nazisme. Le système juri-
dique fut entièrement subverti, la législation fondée sur
la race remplaçant les structures fondamentales de la
société civile. L’accent mis sur la communauté
nationale se retrouvait dans l’ensemble du code
juridique nazi. Les individus définis comme étrangers,
par exemple les Juifs et les Tsiganes, perdirent toute
possibilité de recourir au droit.
L’activité d’un service de surveillance extrê-
mement efficace était un élément déterminant
du système de terreur nazi. Le Service nazi de
la sûreté (Sicherheitsdienst ou SD) entretenait
un réseau de plusieurs milliers d’informateurs
qui fouillaient dans la vie privée de tous les
Allemands. Pendant la guerre, le SD étendit
son champ d’action à toute l’Europe occupée.
Et, après avoir éliminé les « ennemis de l’inté-
rieur », le SD s’attaqua aux « ennemis
raciaux. »
Fondé en 1931 par Heinrich Himmler
gauche sur la photo) qui en fit une section spé-
ciale de la SS, le SD démasquait la déloyauté
et la traîtrise au sein du parti nazi et le proté-
geait contre l’infil-
tration d’espions.
Après la prise du
pouvoir, le SD joua
un rôle décisif en
contrôlant l’état
d’esprit et l’attitude
de la population
allemande.
Le chef du SD
était Reinhard Hey-
drich (à droite sur
la photo), une
grande « brute
blonde » aux yeux
bleus qui incarnait
l’idéal aryen d’Himmler et qui devint le maître
espion des nazis. Heydrich recruta dans le SD
de jeunes universitaires intelligents, utilisant
leurs compétences pour perfectionner son
réseau de surveillance. Parmi leurs tâches les
plus meurtrières pendant la guerre, citons les
décrets « Nuit et brouillard » en vertu desquels
les victimes disparaissaient sans laisser de
traces. En tant que membres des Einsatzgrup-
pen (escadrons de la mort), ils liquidèrent des
partisans et des Juifs en Europe orientale.
Le SD
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !