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Le vivant et l’inanimé
La marionnette et l’automate tiendront une place toute particulière dans la programmation ; l’intensité de
la présence sur scène de ces êtres artificiels, créatures inertes donnant l’impression trouble d’être vivantes,
engendrent fascination et frayeur. Le festival proposera une véritable traversée de cette discipline en pleine
mutation, dont les innovations formelles se nourrissent de plus en plus des nouvelles technologies.
Faust et usages de Faust
, d’Emilie Valantin revisite dans une forme nouvelle de grands classiques, parvient,
entre utopie et dérision, à renouveler profondément le genre et le répertoire de la marionnette, nourri ici par
des enjeux contemporains.
Porteuses, dans leur miniaturisation extrême, d’un effet de réel saisissant, les marionnettes de la célèbre
compagnie néerlandaise Hotel Modern commémorent à leur façon le centième anniversaire du déclenchement
de la Première Guerre Mondiale, avec la reprise exceptionnelle d’un spectacle historique créé en 2011,
La
Grande Guerre
. Mêlant manipulation, théâtre d’objets et vidéo sur d’immenses tables de culture hors sol, les
marionnettistes donnent leur vision de la bataille de Verdun qu’ils projettent sur un écran en fond de scène. Un
film au réalisme sombre apparaît, bricolé en direct, telle l’exhumation d’un passé privé d’images.
Les robots humanoïdes seront présents dans le festival avec deux spectacles franco-japonais. Le premier,
de la chorégraphe franco-espagnole Blanca Li,
Robot
met quant à lui en scène, sur un mode jubilatoire et
résolument optimiste, notre nouveau rapport aux robots, fait à la fois d’attachement affectif, de distanciation
et d’humour, sur fond de rencontre entre deux cultures robotiques, la japonaise et la française.
Le deuxième spectacle robotique sera une adaptation de
La Métamorphose
, de Franz Kafka par le grand
metteur en scène japonais Oriza Hirata. Quatrième pièce du Robot Theater Project, le grand metteur en scène
japonais pose les questions soulevées par l’existence des robots et des androïdes : la vie et la mort, la distinction
entre l’homme et l’androïde et le rapport au travail. Son adaptation très contemporaine du chef-d’œuvre de
Franz Kafka fait passer de la figure du monstre à celle de l’androïde la question de l’altérité radicale, sur fond
de crise économique et de menace de guerre.
Enfin, les musiciens suisses André et Michel Decosterd proposeront, avec
Pendulum Choir
, une œuvre
chorale originale pour 9 voix a capella et 18 vérins hydrauliques, où le corps et la machine sont étroitement
mêlés. Le chœur, placé sur des plateformes inclinables, forme un ensemble mouvant, un corps sonore vivant
dont les chanteurs sont les particules organiques.
Homme / nature
Un troisième axe de la programmation, plus loin du paradigme technologique, explorera l’art comme
créateur d’artifice, dans sa capacité à susciter de la pseudo-nature. Plus l’artifice évoque la nature, plus la
nature se révèle inexistante. La scène devient alors un laboratoire où dans l’expérience perceptive du
spectacle, nature et artifice sont étroitement mêlés : dans
The Artificial Nature Project
, de la chorégraphe
danoise Mette Ingvartsen, sujet et objet, animé et inanimé, organique et mécanique, s’entremêlent jusqu’à un
point de vertige. Dans
Henri Michaux : Mouvements
, de la grande chorégraphe québécoise Marie Chouinard,
c’est l’univers onirique et les paradis artificiels du poète qui sont incarnés par les danseurs « à la lettre ».
Le goût du faux, du pastiche, le report de l’authenticité de la nature sur des objets artificiels et la
glorification du pouvoir créateur d’une imagination démiurgique est aussi à l’œuvre dans les œuvres de Ravel,
de Satie ou de Cage. Ainsi, Ravel sera-t-il à l’honneur avec
Ravel Landscapes
(par la pianiste Vanessa Wagner
et les vidéastes Sinigaglia & Quayola) et
L’Enfant et les sortilèges
, par Les Musiques à ouïr. Ses orchestrations
trompeuses, ses personnages de fer et de bois, sa fascination pour les automates par le caractère toujours
discontinu de son écriture musicale font en effet de Ravel un des représentants majeurs de « l’artificialisme
» musical.
La société comme artifice
Si l’Humain est l’artificiel, il n’y a plus d’instance, ni morale, ni politique, servant de fondement nécessaire
à toute entreprise humaine. Ainsi, le fantasme houellebecquien d’une nouvelle humanité génétiquement
modifiée, dans
Les Particules élémentaires
, mis en scène par Julien Gosselin, est la création factice d’une
nouvelle société, porteuse d’une utopie annonçant la fin de l’espèce humaine. A l’inverse, dans
Germinal
, du
collectif L’Amicale de production, on est témoins de la naissance d’une civilisation, dont le territoire est le
plateau de théâtre, et dont les habitants sont des comédiens. Leurs besoins, leurs capacités, leurs désirs sont
limités : bâtir une société qui n’existera que le temps de la représentation. La pièce est aussi, à cet égard,
une histoire du théâtre, qui part de ses archaïsmes (la pantomime, notamment) pour aboutir à ses objets
technologiques les plus élaborés
Enfin, le grand metteur en scène Robert Wilson livrera avec sa dernière création,
Les Nègres
de Jean
Genet, sa vision de ce monde ritualisé et factice, où tout devient possible, y compris la création d’un espace
fantasmatique que les Nègres essaient de construire à l’aide des mots et des gestes, comme un rempart dressé
contre ce monde qui les a exclus.
Robert Lacombe
Directeur du festival Automne en Normandie
Directeur de l’Établissement public de coopération culturelle Arts 276