- Vous appelez à un «accord global,
juridiquement contraignant». Concrè-
tement, qu'est-ce que cela implique?
- Il faut que la somme des contribu-
tions des 195 Etats nous mette dans la
perspective de limiter le changement
climatique à 2 degrés au cours du siècle.
Parce qu'au-delà de ce niveau, les modèles
scientifiques montrent que nous entrerons
dans un scénario aux conséquences irré-
versibles. Mais l'accord de Paris doit aussi
déterminer les instruments, notamment fi-
nanciers, que nous allons mettre en place
indépendamment des objectifs.
- Qu'en est-il de la faible implication
des pays industrialisés?
- Je ne cesse de rappeler qu'ils ont une
responsabilité historique mais aussi vis-
à-vis du futur. Ce n'est pas une raison de
dédouaner les autres pays. Mais c'est à
eux en premier lieu d'assumer leurs en-
gagements. Les pollueurs traînent le pas.
Au moment où la communauté inter-
nationale redouble d'efforts pour mettre
en place un accord global afin de limiter
les effets des changements climatiques,
plusieurs pays industrialisés, premiers res-
ponsables de la situation actuelle, conti-
nuent de camper dans leurs positions,
limitant leur implication au minimum.
Les contributions ambitieuses de certains
pays comme le Maroc contrastent avec
celles d'autres comme les Etats-Unis qui
ont proposé de réduire entre 26 et 28%
des émissions d'ici 2025. En face, d'autres
géants ont préféré garder le silence et ne
prendre aucun engagement. C'est le cas
notamment de la Chine, qui figure au top
3 des pays les plus émetteurs de gaz à
effet de serre.o
Propos recueillis par
Mohamed Ali MRABI
pération dans ce sens entre le
Maroc et l'Allemagne, suivi
d'un autre avec la France, si-
gné la semaine dernière lors
de la rencontre de haut ni-
veau. L'objectif est de s'unir
pour aider les pays africains
à préparer leurs contributions,
notamment en termes d'ap-
port d'expertise. C'est une ex-
cellente décision, car il s'agit
aussi d'une question d'équité.
Maintenant, il faut bien com-
prendre que les pays africains
sont plus dans une situation de
victimes et non pas de respon-
sables. Ils ont la volonté, parce
qu'ils ont compris qu'il n'est
pas dans leur intérêt de laisser
proliférer le phénomène sous
prétexte qu'historiquement
ils n'y avaient pas contribué.
Donc ils sont prêts à se développer en
utilisant des technologies propres, à une
double condition.
- En quoi consiste cette double
condition?
- Il s'agit d'abord de l'existence d'un
effort international digne de ce nom pour
les aider à s'adapter. Mais aussi de la
mise en place d'instruments et de techno-
logies qui leur permettent de se dévelop-
per sans recourir aux énergies fossiles.
Ce sont des sujets concrets et cruciaux,
qu'il faut résoudre avant le Sommet de
Paris. Je pense que la communauté in-
ternationale a intérêt à investir et à créer
une économie pour que l'Afrique pro-
tège des zones humides ou des massifs
forestiers. Cela nous mettra dans une
meilleure situation pour la neutralité
carbone.
basé sur le développement massif des
énergies renouvelables.
- Cela peut aussi créer des tensions
géopolitiques, surtout pour des pays
pétroliers qui vont perdre une manne
financière…
- Cela va surtout pacifier le monde.
Car, depuis des décennies, tous les
conflits ont été liés directement ou in-
directement au pétrole ou au charbon.
Donc cela va inciter certains pays à se
reconvertir. Ils en ont les moyens, et c'est
dans leur intérêt. C'est un moment pour
rétablir l'équité dans le monde.
- Rabat veut aussi accompagner les
Etats africains dans la préparation de
leurs contributions. Comment vous
évaluez la capacité de ces pays vulné-
rables à relever le défi de l'adaptation?
- Il y avait déjà un accord de coo-
Nicolas Hulot, envoyé spécial du
président de la République française
pour la protection de la planète, a es-
timé que l'engagement marocain a dé-
passé les recommandations du GIEC.
Il s'inscrit déjà dans le modèle de dé-
veloppement du futur grâce à ses plans
d'énergies renouvelables
- L'Economiste: Le Maroc a présen-
té sa contribution à la COP 21. Quelle
est l'importance de ce processus?
- Nicolas Hulot: C'est un signal extra-
ordinaire qui est donné à la communauté
internationale, prioritairement aux pays
les plus émetteurs. Le Maroc a une contri-
bution insignifiante dans les émissions du
gaz à effet de serre. Il subit déjà les consé-
quences du changement climatique. Et
en dépit de cette situation, il présente une
contribution à deux étages, l'un incondi-
tionnel et l'autre conditionnel en fonction
des financements qui pourraient lui être
attribués. Cela permettra de stabiliser ses
émissions de gaz à effet de serre, pour ar-
river à 2,7 tonnes de CO2 par an et par
habitant. Ce qui est en deçà des recom-
mandations du GIEC. En essayant de re-
hausser les contributions des pays les plus
émetteurs, cela va me servir d'argument.
- Le Maroc a lancé des plans ambi-
tieux d'énergies renouvelables. Com-
ment cela peut aider à la réalisation des
objectifs mondiaux d'atténuation des
GES?
- Pour répondre à l'enjeu climatique,
il faudra toute sorte d'instruments, finan-
ciers, économiques, juridiques… Mais
sur le plan technologique, la priorité est
de développer les énergies renouvelables
qui doivent, à terme, répondre exclusi-
vement aux besoins énergétiques de la
planète. C'est aussi le meilleur service
que l'on peut rendre aux pays vulné-
rables. Cela leur permettra d'accéder
à l'indépendance énergétique grâce à
des technologies fiables, et changera le
rapport de forces entre Etats, qui était
jusqu'à présent proportionnel à la déten-
tion de ressources fossiles. L'idée est de
permettre à chaque pays de produire sa
propre énergie à l'intérieur de ses fron-
tières. Ces sources seront gratuites à
terme, après l'amortissement des coûts
du matériel.
Les montants qui ne seront plus des-
tinés à l'énergie pourront être investis
dans d'autres secteurs comme la santé et
la formation. Au moment où vont baisser
les subventions destinées aux énergies
fossiles, chacun doit garder à l'esprit que
le modèle économique de demain sera
Lundi 30 Novembre 2015
IV
Paris COP 21
«Rabat donne l’exemple aux pays industriels»
LES CAHIERS
DE L’EMERGENCE
Australie
25,2
21
Russie
16,6
Argentine
9,1
Brésil
5,7
Indonésie
Inde
2
Mexique
5,9
Chine
7,8
Canada
20,9
Allemagne
11,3
Turquie
57,
8,9
Afrique du Sud
9,1
R.U.
8,9
France
7,5 Italie
8,2 Arabie
Saoudite
19,2
Iran
9,5 Japon
10,2
Corée
du Sud
13,8
Australie
25,2
3,4
d’équivalent CO2 en 2010.
* 1 gigatonne = 1 milliard de tonnes
Selon le 5e rapport
du GIEC, les émissions
de GES induites par
les activités humaines
dans le monde
se sont élevées à
49 Gt*
Pollution grimpante…
(Tonne de CO2/habitant en 2011)
U.E. 28
États-
Unis
Source: Ambassade de France
Nicolas Hulot: «L’accord de Paris doit aussi détermi-
ner les instruments, notamment financiers, que nous
allons mettre en place indépendamment des objec-
tifs» (Ph. Bziouat)
Cartographie sur les émissions mondiales de GES, ramenées à la population. L’Arabie saoudite s’y trouve pénalisée.
L’Australie devient numéro 1 à cause de sa faible population. Le Canada et les Etats-Unis sont sur un pied d’égalité…
La capacité polluante de la Chine reste largement sous-estimée