TRANSPARENCE À WALL STREET
D
ans notre pays, les dirigeants économiques
paraissent immunisés contre le cancer. Les
Anglo-Saxons, eux, ont choisi la transparence :
le milliardaire Warren Buffet, atteint d’un cancer de
la prostate en 2012 ; Jamie Dimon, PDG et président
de JPMorgan, révélant un cancer de la gorge en juillet
2014 ; ou encore Llyod Blankfein, PDG de Goldman
Sachs, informant ses actionnaires en septembre 2015
qu’une biopsie effectuée la semaine précédente a révélé
un lymphome. Avec toujours la même dramaturgie :
une annonce détaillant les traitements, leur durée,
parfois même le nom de l’hôpital – et un diagnostic des
plus rassurants. Llyod Blankfein parle d’un lymphome
« hautement curable », tandis que Jamie Dimon
déclare : « La bonne nouvelle est que le pronostic de mes
médecins est excellent (…). Je me sens actuellement
très en forme et je vous informerai si mon état de santé
vient à changer. » Cinq mois plus tard, il envoie un
e-mail intitulé « Sharing good news » (partage de
bonne nouvelle) révélant qu’une série de scanners
n’a détecté aucune trace de cancer. Une mécanique
huilée comme un scénario hollywoodien, avec un
héros responsable et courageux qui s’engage à remplir
vaillamment sa mission. Pour Olivier Torrès, professeur
à la Montpellier Business school et fondateur d’Amarok
(Observatoire de la santé des dirigeants de PME et des
entrepreneurs), il ne s’agit pas forcément d’un choix
personnel. « Les grands groupes cotés en Bourse font
appel à l’épargne publique, c’est-à-dire à des milliers
d’actionnaires. Ils doivent donc produire régulièrement de
l’information financière, et l’état de santé du dirigeant fait
partie de cette obligation. »
ROSE|MAGAZINE 57
Anne Grommerch, maire de Thionville,
a dû affronter la rumeur de son cancer
durant la campagne électorale.
sait quelque chose. En 2008, l’élue n’avait pas caché
son cancer du sein initial. En 2011, quelques mois
avant les élections législatives, elle récidive. Et pré-
fère taire cette information: «Je ne voulais pas que
cela influe sur la campagne. C’est un moment où l’on
est très exposé publiquement, ce n’est pas évident de gérer
50 personnes par jour qui viennent vous dire: “Alors,
comment ça va, la santé ?”»
Pendant la campagne, néanmoins, l’information fuite.
Et la rumeur s’emballe. «J’ai tout entendu sur mon
état! Mon adversaire socialiste s’est servi de mon cancer
et a fait une partie de sa campagne sur le thème: “Elle est
malade, elle ne finira pas le mandat, il ne faut pas voter
pour elle.” Encore aujourd’hui, quand on tape mon nom
sur Internet, on tombe sur “Anne Grommerch cancer”.»
Madame la députée gagne cependant les élections
et s’exprime, depuis, sans réserve, renvoyant les élus
à leurs responsabilités citoyennes: «On devrait être
beaucoup plus nombreux à témoigner. Les gens ont sou-
vent une image lointaine des politiques. Dire qu’on a un
cancer, c’est montrer qu’on vit les mêmes choses qu’eux.»
Un choix de la vérité qui est aussi celui de la pru-
dence! Selon Philippe Moreau-Chevrolet, la transpa-
rence est la meilleure option en termes de stratégie:
«Soit vous racontez une histoire, et dans ce cas vous êtes
dans la maîtrise de votre récit et vous emmenez les gens
avec vous. Soit vous ne dites rien, et le jour où la vérité
sort vous devenez victime des événements. Les citoyens
pensent alors que vous avez menti et, pire
encore, que si vous avez menti, c’est
certainement parce que ce qui vous
arrive est très grave, bien plus que
ce qu’on raconte. Le silence vous met
à la merci de la moindre révélation,
du moindre infirmier qui dévoilera
une pièce de votre dossier, du moindre
paparazzi qui planquera
devant l’hôpital. Vous
devenez une cible.»