Pour nourrir vos livres faites-vous des recherches ?
Le réalisme, ça commence peut-être avec Flaubert qui
est allé à Carthage pour
Salammbô
.Mais le grand
patron des recherches, c’est Zola. Il disait : «Il y a un
grand sujet, les mines de charbon, je n’ai jamais mis les
pieds là-dedans, je vais écrire le grand roman des mines
de charbon, cela s’appellera
Germinal
.» Il va à Liévin,
ymet l’uniforme de mineur et descend au fond. Ça,
c’est la méthode de Zola. C’est une méthode que j’ai
adoptée, c’est-à-dire que je ne m’intéresse pas à moi-
même, mes sujets ne sont pas de l’ordre de ma vie
privée, ce sont pour moi des grands sujets. Pour
La
Goutte d’or
,j’ai traversé deux fois le Sahara, je suis allé
aux abattoirs municipaux de Chartres. Je suis allé voir
mon boucher, je me suis levé à 5 heures, j’ai passé la
matinée la plus affreuse de ma vie.
Quel est selon vous le rôle de l’écrivain ?
Un écrivain doit enrichir sa propre langue. Il enrichit son
patrimoine. J’aime les mots. Le triomphe quand on
invente un mot c’est de le retrouver dans le
dictionnaire. J’ai inventé «héliophanie» pour
Vendredi
.
Un jour, je reçois la nouvelle édition du Robert et je lis :
«héliophanie, lever du soleil, mot rare et ancien». Rare,
oui, ça n’avait été utilisé qu’une seule fois, mais ancien,
non, ça remontait à 1967, et en citation : la phrase de
mon
Vendredi
.Cela n’arrivequ’une fois dans votrevie.
L’écrivain a pour fonction naturelle d’allumer par ses
livres des foyers de réflexion, de contestation, de remise
en cause de l’ordre établi. Inlassablement, il lance des
appels à la révolte, des rappels au désordre, parce qu’il
n’y a rien d’humain sans création, mais toute création
dérange. Le métier d’écrivain est un métier de création.
C’est pourquoi il est si souvent poursuivi et persécuté.
Quel rapport avez-vous avec la célébrité ?
Pour moi, ce qui compte c’est l’œuvre. J’écris un livre et
puis c’est terminé. Je déteste qu’on m’aborde dans la
rue et qu’on me reconnaisse. Je pense qu’un écrivain
n’est pas une vedette de cinéma. C’est le livre qui doit
êtreconnu, ce n’est pas l’écrivain. Une des choses les
plus merveilleuses qui puisse m’arriver, c’est de voir
dans le métroquelqu’un plongé dans un de mes livres,
et je ne dis rien.
Quel conseil donneriez-vous à un écrivain débutant ?
Pour apprendre le métier d’écrivain, il n’y a que deux
choses à faire. D’abord, lire, lire et encore lire. De bons
livres naturellement. On n’a jamais vu un écrivain qui
n’a pas été un lecteur passionné dans sa jeunesse.
Encore aujourd’hui, je lis plusieurs heures par jour.
Ensuite, il faut écrire. Écriretous les jours. Tout ce qu’on
fait sérieusement, on le fait tous les jours. La peinture,
la musique, le sport, les mathématiques… Et le mieux
pour écrire tous les jours, c’est de tenir un journal.
S’efforcer de noter chaque jour quelque chose et donc
d’observer toute la journée pour avoir quelque chose à
noter le soir. Mais attention ! C’est un métier solitaire, et
c’est très dur. La plupart des métiers s’exercent en
équipe, ou au contact d’autres personnes. Le pauvre
écrivain travaille tout seul, n’a personne pour l’aider, le
consoler, le féliciter. Il y en a qui préfèrent cette
solitude. Ce n’est pas mon cas. J’en souffre, mais, par
malheur,je suis incapable de travailler avec quelqu’un.
C’est aussi un métier merveilleux. Chaque livre est une
aventure totalement nouvelle : rassembler la documen-
tation, écrire le livre, le voir sortir en librairie et suivre
son destin. C’est comme votre enfant qui s’aventure
seul dans le monde. Il reçoit des fleurs, il reçoit des
coups. Vous vous réjouissez et vous souffrez pour lui.
La qualité la plus importante pour un écrivain, c’est
la patience.
Écrire pour la jeunesse
Vendredi ou la vie sauvage
est un best-seller de la
littérature de jeunesse…
C’est un livre meilleur :
Vendredi ou les Limbes du
Pacifique
amélioré en écartant tout ce qui est trop
philosophique. Tout est condensé. Le succès de
Vendredi ou la Vie sauvage
est absolument fabuleux.
Onen est à 7 millions d’exemplaires en France, avec
une trentaine de traductions. C’est le seul de mes livres
traduit en russe. Il est traduit en Tunisie !
Jesuis un auteur pour les jeunes.
Quelle place ont les jeunes, les visites dans les écoles ?
Jesuis invité, je reçois des tas de lettres. Unprofesseur
me dit : «Voilà trois mois que je lis avec mes élèves
Vendredi ou la vie sauvage
.Ils ont mille questions à
vous poser. Est-ce que vous voulez venir ?
Éventuellement, on vient vous chercher ». Je dis oui!
Les élèves sont très durs. J’ai un exemple récent d’un
élèvequi s’est aperçu que ça avait un rapport avec
Robinson Crusoé
,de Daniel Defoe; il me dit : «Ça vous
arrivesouvent de recopier vos livres dans ceux des
autres ?» Mais les élèves sont très contents. Je reçois
très souvent des lettres de remerciements.
Je dis souvent aux enfants : il y a un grand bonheur
dans la vie, c’est la lecture et si vous lisez, vous êtes
quelqu’un de supérieur, vous êtes plus intelligent et
plus heureux que ceux qui ne lisent pas et, où que vous
alliez, vous avez un livre dans votre poche qui vous
permettra de vous évader.
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