5. Choisir la petite voie de la sainteté

publicité
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus — Dix attitudes intérieures 5. Choisir la petite voie de la sainteté En février 1893, Thérèse reçoit l’ordre d’aider mère Marie de Gonzague au noviciat. Trois ans plus tard, lorsque celle-­‐ci est élue prieure, elle demande à Thérèse de donner l’instruction quotidienne de trente minutes aux novices. Elle s’occupera de cinq novices, dont quatre sont ses aînées, sans porter officiellement le titre de maîtresse des novices. Cette nouvelle responsabilité est l’occasion rêvée de conduire les novices à Dieu en leur enseignant la « petite voie » de la sainteté. « J’ai beaucoup appris en remplissant la mission que vous m’avez confiée, surtout je me suis trouvée forcée de pratiquer ce que j’enseignais aux 1
autres. » (Ms C, OC, 260) . Choisir ce que Dieu veut Thérèse a un tempérament volontaire qui la pousse à exercer sa liberté d’une manière à ne vouloir choisir que ce qui fait plaisir au Seigneur. « Choisir », voilà un verbe essentiel dans son vocabulaire. Il dénote une attitude intérieure de sa spiritualité qui la fait agir en conformité avec ce qu’elle désire. Elle sait ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. Rappelons-­‐nous cet épisode de ses trois ans où, devant une corbeille de jouets tendue par Léonie, elle s’écrit spontanément : « Je choisis tout » (Ms A, OC, 84). « Ce petit trait de mon enfance est le résumé de toute ma vie. Plus tard lorsque la perfection m’est apparue, j’ai compris que pour devenir une sainte, il fallait beaucoup souffrir, rechercher toujours le plus parfait et s’oublier soi-­‐même. J’ai compris qu’il y avait bien des degrés dans la perfection et que chaque âme était libre de répondre aux avances de Notre Seigneur, de faire peu ou beaucoup pour Lui, en un mot de choisir entre les sacrifices qu’il demande. Alors comme aux jours de ma petite enfance, je me suis écriée : « Mon Dieu, je choisis tout. Je ne veux pas être une sainte à moitié, cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous, je ne crains qu’une chose c’est de garder ma volonté, prenez-­‐la, car « Je choisis tout » ce que vous voulez. » (Ms A, OC, 84-­‐85). Thérèse est une âme magnanime, une âme de désir au caractère bien trempé qui pensait être « née pour la gloire » (Ms A, OC, 120). Toute jeune, elle désirait devenir « une grande Sainte » (Ms A, OC, 120). La lecture de Jeanne d’Arc ravive ce désir de sainteté, même si sa gloire ne paraissait pas aux yeux des mortels. « Ce désir pourrait sembler téméraire si l’on considère combien j’étais faible et imparfaite et combien je le suis encore après sept années passées en religion. 1
Sur la pédagogie de Thérèse envers ses novices, voir le chapitre « L'éducation: éveiller au désir et à Ja liberté », dans Thérèse de Lisieux, une espérance pour les familles, Nouan-­‐le-­‐Fuzelier, Éditions des Béatitudes, 2003, 2° éd. (2007), p. 67-­‐79. 1 Cependant je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande Sainte, car je ne compte pas sur mes mérites n’en ayant aucun, mais j’espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté même. C’est Lui seul qui, se contentant de mes faibles efforts, m’élèvera jusqu’à Lui et, me couvrant de ses mérites infinis, me fera Sainte. Je ne pensais pas alors qu’il fallait beaucoup souffrir pour arriver à la sainteté » (Ms A, OC, 120). Choisir ce que Dieu veut, c’est devenir une sainte. Pour ce faire, Thérèse ne craint pas de souffrir en renonçant à sa volonté et en ne comptant pas sur ses mérites. Dieu est sa vertu. Elle ne laisse passer aucun petit sacrifice qui lui plairait, ce qu’elle appelle « jeter des fleurs » (PN 34, OC, 717). Vouloir ce que Dieu veut va imprégner toute sa vie et baliser la « petite voie » de la sainteté. Tout sera renouvelé : sa charité fraternelle auprès des sœurs, qui consiste « à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses, à s’édifier des plus petits actes de vertus qu’on leur voit pratiquer » (Ms C, OC, 250) ; sa place au cœur du mystère de l’Église : « Je serai l’Amour » (Ms B, OC, 226) ; sa confiance dans la nuit du néant : « Je chante simplement ce que je veux croire » (Ms C, OC, 244) ; son enseignement auprès des novices : « J’ai compris que ma mission était de les conduire à Dieu » (Ms C, OC, 266) ; la contemplation qui féconde son action, ce « quelque chose de grand, de surnaturel qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus » (Ms C, OC, 268). Si Thérèse choisit tout ce que Dieu veut, c’est qu’elle a l’intime conviction que c’est lui qui l’a choisie. Les sciences humaines sont bien pauvres pour expliquer les obscurs chemins de la grâce divine, de cet appel gratuit qui implique une réponse libre. Il s’agit d’une alliance d’amour, un mystère d’élection, où la personne sent que Dieu l’aime beaucoup plus qu’elle ne peut l’aimer. Thérèse choisit tout, car elle est choisie par le Tout dès sa plus tendre enfance. Aussi, lorsqu’elle découvre que sa « vocation, c’est l’Amour » (Ms B, OC, 226), tout est dit. Une petite voie bien droite Thérèse est convaincue que le Seigneur ne peut lui inspirer des désirs irréalisables, elle peut donc malgré sa petitesse aspirer à la sainteté. Comment ? En choisissant une petite voie faite sur mesure pour elle, qui consiste à prendre l’ascenseur de l’amour que sont les bras de Jésus. Elle découvre dans l’Écriture la réponse à sa quête d’amour et de sainteté, la découverte de sa « petite voie ». Voici ce texte célèbre, écrit quelques mois avant sa mort : « J’ai toujours désiré être une sainte ; mais hélas ! j’ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qui existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants. Au lieu de me décourager, je me suis dit : le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables, je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections, mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel pour une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un siècle d’inventions, maintenant ce n’est plus la peine de gravir les marches d’un escalier, chez les riches un ascenseur le remplace avantageusement. Moi, je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. Alors j’ai recherché dans les livres saints l’indication de l’ascenseur, objet de mon désir, et j’ai lu ces mots sortis de la bouche de La Sagesse Éternelle : Si quelqu’un est tout petit, qu’il vienne à moi. Alors je suis venue, devinant que j’avais trouvé ce que je cherchais et voulant savoir, ô mon Dieu ! ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, j’ai continué mes recherches et voici ce que j’ai trouvé : Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux ! Ah ! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses, ne sont venues réjouir mon âme, l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. Ô mon Dieu, vous avez dépassé mon attente et moi je veux chanter vos miséricordes » (Ms C, OC, 237-­‐238). Désormais, son désir d’être une sainte est comblé, car Jésus lui-­‐même l’élève jusqu’au Ciel par l’ascenseur que sont ses bras. Parce qu’elle est un « tout-­‐petit » qui aime son impuissance en l’abandonnant à Jésus, elle peut accéder au sommet de la sainteté, mais une sainteté faite sur mesure pour elle. Finies les comparaisons avec les autres saints, terminée cette idée héroïque de sainteté à laquelle elle ne peut pas correspondre. Sa petitesse d’enfant, son désir d’amour, ses mains vides suffisent. Elle ne se décourage pas d’être une sainte, car Dieu ne demande pas l’impossible. Elle n’a pas à se changer elle-­‐même, à se « grandir », mais plutôt à s’accepter telle qu’elle est, avec ses défauts et ses limites. Dieu seul peut nous changer en profondeur, puisqu’il est l’Amour qui renouvelle tout. Thérèse trouve sa joie à se laisser porter par son Dieu sur une voie toute droite qui n’est plus « le rude escalier de la perfection ». Sa joie est ce « laisser-­‐
faire » en Jésus qui s’abaisse vers elle et la comble de son amour. Son seul mérite est de ne pas en avoir. La 2 reconnaissance de son impuissance lui enlève tout désir d’héroïsme, d’extases, de choses extraordinaires qui remplissent si souvent l’âme d’orgueil. Novice, elle écrivait à sœur Agnès, bien avant sa découverte de la petite voie : « Je n’ai pas envie d’aller à Lourdes pour avoir des extases, je préfère la monotonie du sacrifice ! Quel bonheur d’être si bien cachée que personne ne pense à vous !… d’être inconnue même aux personnes qui vivent avec vous » (LT 106, OC, 410). Cette petite voie découverte dans les Écritures est faite spécialement pour ceux et celles qui comprennent de l’intérieur que l’acceptation de leur misère attire la miséricorde divine. Thérèse enseignera celle petite voie avec l’autorité de celle qui ouvre un nouveau chemin dans le domaine de la vie spirituelle. Elle réalise très tôt que sa petite voie se distingue de celle des grands saints par l’utilisation des moyens ordinaires et des vertus de l’enfance spirituelle : simplicité, humilité, abandon, droiture, audace et joie de pouvoir consoler Jésus par un amour désintéressé. Le souvenir des fautes passées devient une source de joie, parce qu’il est un rappel du pardon divin toujours actuel. Aucun passé ne peut être trop lourd lorsque nous acceptons notre condition de pécheur pardonné, malgré notre grande fragilité. Sur ce chemin thérésien, nous nous glorifions de nos faiblesses qui nous permettent de regarder Jésus. « Quand on se voit si misérable, on ne veut plus se considérer et on ne regarde que l’unique Bien-­‐Aimé » (LT 109, OC, 415). La confiance, la privation de consolations spirituelles et le sentiment d’être inutile remplacent la peur, les extases et les pénitences particulières. Ainsi, la petitesse, l’impuissance et la faiblesse sont des moyens pour accéder à la sainteté, qui est un accueil, un choix, une aventure à vivre, celle de l’amour. Thérèse se situe très loin de la mentalité de son temps où l’on confondait la sainteté avec certaines manifestations extraordinaires. Sœur Marie de la Trinité, qui a vécu trois ans avec Thérèse au noviciat, donne un superbe résumé de la « petite voie bien droite » dans cette lettre à sœur Germaine, une jeune professe du carmel d’Angers : « Je crois bien que c’est la première fois depuis que le monde est monde qu’on canonise une sainte qui n’a rien fait d’extraordinaire : ni extases, ni révélations, ni mortifications qui effraient les petites âmes comme les nôtres. Toute sa vie se résume en ce seul mot : elle a aimé le bon Dieu dans toutes les petites actions ordinaires de la vie commune, les accomplissant avec une grande fidélité. Elle avait toujours une grande sérénité d’âme dans la souffrance comme dans la jouissance, parce qu’elle prenait toutes choses comme 2
venant de la part du bon Dieu ». 2
Sœur Marie de la Trinité, Une novice de sainte Thérèse, Paris, Cerf, 1985, p.161. Quelques années plus tard, sœur Marie de la Trinité écrit à cette même religieuse : « Le moyen d’être heureux dans la « Petite Voie » de Thérèse, c’est de s’abandonner à Dieu et de penser à soi le moins possible, ne pas même chercher à se rendre compte si l’on fait des progrès ou non : cela ne nous regarde pas. Nous n’avons qu’à nous exercer à faire avec le plus d’amour possible tous nos petits actes de la vie courante, à reconnaître humblement, mais sans tristesse, nos mille imperfections sans cesse renaissantes et à demander avec confiance au bon 3
Dieu de les transformer en amour ». L’expérience de la miséricorde La petite voie thérésienne, qu’on a appelée « voie d’enfance spirituelle », n’est pas réservée à une élite, aux parfaits. C’est une voie que l’on emprunte dès le début de la vie spirituelle, avec la certitude que la miséricorde divine veut se répandre en ceux et celles qui se livrent à elle. Cette petite voie bien droite mène progressivement vers les sommets de l’abandon et de l’amour, à ce point culminant du désir de Jésus d’aimer et d’être aimé. Elle monte doucement à la mesure de notre confiance. Plus on la prend, plus on apprend l’abandon, et plus on s’abandonne à cette « science d’amour », plus on s’ouvre à la miséricorde divine qui veut tout envahir. Thérèse aspire à cette sainteté, qui est fondamentalement une expérience de la miséricorde, malgré son impuissance, sa petitesse, ses mains vides. Dans son acte d’offrande à l’amour miséricordieux, elle écrit : « Je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d’être vous-­‐même ma Sainteté… Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides, car je ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres. Toutes nos justices ont des taches à vos yeux. Je veux donc me revêtir de votre propre Justice et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-­‐même. Je ne veux point d’autre Trône et d’autre Couronne que Vous, ô mon Bien-­‐Aimé ! » (Pri 6, OC, 962-­‐963) Si les saints ont fait de grandes choses pour Jésus, Thérèse se considère comme trop petite pour cela. Les derniers mois de sa vie, elle se voyait, non sans humour, comme un petit zéro qui pouvait tout de même aider le père Roulland, missionnaire en Chine, avec qui elle correspondait : « Moi je puis bien peu de chose, ou plutôt absolument rien si j’étais seule ; ce qui me console c’est de penser qu’à vos côtés je puis servir à quelque chose ; en effet, le zéro par lui-­‐même n’a pas de valeur, mais placé près de l’unité, il devient puissant, pourvu toutefois qu’il se 3
Ibid. p. 159. 3 mette du bon côté, après et non pas avant !… C’est bien là que Jésus m’a placée et j’espère y rester toujours, en vous suivant de loin, par la prière et le sacrifice […] Je vous prie donc, mon Frère, de bien vouloir envoyer votre bénédiction au petit zéro que le bon Dieu a placé près de vous » (LT, 226, OC, 590). Dieu est Saint parce qu’il est Amour (1 Jean 4, 8). Thérèse, magnanime pour elle-­‐même et les autres, comprend que plus elle aime, ou plus Jésus aime en elle, plus elle est sainte. Toutes les « âmes faibles et imparfaites » (Ms B, OC, 220) peuvent donc accéder à ce type de sainteté, car c’est Dieu lui-­‐même qui est leur sainteté. Elles ne perdent pas leur temps à pleurnicher sur leurs faiblesses, mais se précipitent dans l’ascenseur que sont les bras de Jésus, pour se laisser purifier par sa miséricorde infinie. Dans notre monde en proie à tant de peurs et de suspicions, Thérèse ne cesse de nous exhorter à tout miser sur la confiance et la miséricorde. Elle écrit à l’abbé Bellière : « Pour ceux qui l’aiment et qui viennent après chaque indélicatesse Lui demander pardon en se jetant dans ses bras, Jésus tressaille de joie, Il dit à ses anges ce que le père de l’enfant prodigue disait à ses serviteurs : « Revêtez-­‐Le de sa première robe, mettez-­‐lui Un anneau au doigt, réjouissons-­‐nous ». Ah ! mon frère, que la bonté, l’amour miséricordieux de Jésus sont peu connus !… Il est vrai que pour jouir de ces trésors, il faut s’humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d’âmes ne veulent pas faire, mais, mon petit frère, ce n’est pas ainsi que vous agissez, aussi la voie de la confiance simple et amoureuse est bien faite pour vous. » (LT 261, OC, 619). Il ne s’agit donc plus d’accomplir de grandes mortifications ou d’escalader des échelles de la perfection. La jeune carmélite remplace l’image du Dieu justicier, que l’on devait satisfaire par d’innombrables sacrifices et bonnes œuvres, par l’image d’un Dieu miséricordieux qui élève la petite âme par l’ascenseur de l’amour. La tentation est ainsi moins grande de nous justifier par nos bonnes actions, de penser acheter le salut par la perfection, de nous enorgueillir des dons reçus comme s’ils nous appartenaient. Aucune action ou forme extérieure ne peut définir la sainteté, si ce n’est l’amour miséricordieux et ce qui en résulte : l’abandon, la confiance, l’espérance, la reconnaissance. « Je comprends si bien qu’il n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bien que j’ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son père… Ah ! si toutes les âmes faibles et imparfaites sentaient ce que sent la plus petite de toutes les âmes, l’âme de votre petite Thérèse, pas une seule ne désespérerait d’arriver au sommet de la montagne de l’amour, puisque Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance » (Ms B, OC, 220). La sainteté accessible à tous La « petite voie » d’enfance spirituelle a libéré la sainteté des carcans de la perfection et de la justice, bien avant que le concile Vatican II proclame que tous 4
et toutes sont appelés à la sainteté . Thérèse montre que la primauté n’est plus accordée aux efforts et aux vertus, mais à l’action permanente de Dieu en nous qui inspire à chacun le geste d’amour à poser. Voilà la vraie mystique enfin restituée à tous et la sainteté accessible pour tous dans sa beauté intérieure. C’est dans ce sens que la jeune carmélite lance un défi aux « petites âmes » : « Ô Jésus ! que ne puis-­‐je dire à toutes les petites âmes combien ta condescendance est ineffable… je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie. Mais pourquoi désirer communiquer tes secrets d’amour, ô Jésus, n’est-­‐ce pas toi seul qui me les as enseignés et ne peux-­‐tu pas les révéler à d’autres ?…. Oui je le sais, et je te conjure de le faire, je te supplie d’abaisser ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes… Je te supplie de choisir une légion de petites victimes dignes de ton AMOUR » (Ms B, OC, 232). Thérèse de Lisieux a démocratisé la sainteté par sa petite voie de confiance, accessible à tous. Être saint, pour elle, c’est s’ouvrir aux flots de tendresse qui sont contenus en Dieu, s’abandonner à sa miséricorde infinie, consentir à se laisser consumer par cet amour purifiant et transformant dans les petits riens de la vie ordinaire. La sainteté est alors notre faiblesse humaine noyée dans la miséricorde divine. Notre fragilité, accueillie comme une grâce, devient un moyen de nous offrir totalement à l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit. Le vénérable Marie-­‐
Eugène de l’Enfant-­‐Jésus, qui a si bien compris la spiritualité de la petite Thérèse, disait que « Ia sainteté, c’est la force de Dieu, dans la faiblesse de l’homme ». On le voit bien, la « petite voie » de l’enfance spirituelle n’a rien à voir avec l’infantilisme, avec les caprices de l’enfant. Ce n’est pas être crédule, passif, innocent, mais accueillir la miséricorde, s’émerveiller des actions du Seigneur, tout attendre de lui. Cela ne veut pas dire que l’on ne fait rien et qu’on se résigne au péché ; au contraire, on travaille à la transformation du monde et on s’unit à la Croix de 4
Voir mon livre Tous appelés à la sainteté, Montréal/Paris, Novalis/Parole et Silence, 2008 . 4 Jésus. N’est-­‐ce pas lui, le doux et humble de cœur, qui a balisé pour nous le chemin : « La voie par laquelle tu marches est une voie royale, ce n’est pas un chemin battu, mais c’est un sentier qui a été tracé par Jésus Lui-­‐même » (LT 145, OC, 469). Si j’ai placé cette attitude de Thérèse, « choisir la petite voie de la sainteté », au centre des dix autres, c’est pour montrer toute l’importance qu’elle prend dans sa spiritualité. Sous des allures de grande simplicité, cette petite voie de confiance et d’amour est très exigeante par son réalisme spirituel. Je la résume en douze traits significatifs : Ne pas compter sur nos mérites, mais espérer en Dieu qui est notre soutien. Ne pas s’étonner des faiblesses des autres, mais s’édifier de leurs qualités. Ne pas désespérer des échecs, mais supporter nos imperfections. Ne pas s’appuyer sur nos propres forces, mais prendre l’ascenseur de l’amour. Ne pas vouloir tout faire avec effort, mais laisser faire Jésus humblement. Ne pas rechercher ce qui brille, mais rester caché entre les bras de Jésus. Ne pas privilégier ce qui est extraordinaire, mais prendre les moyens ordinaires. Ne pas penser aux peurs qui paralysent, mais s’abandonner au Père. Ne pas comptabiliser les œuvres, mais étancher la soif de Jésus. Ne pas s’attribuer les progrès, mais reconnaître que tout vient de Dieu. Ne pas se décourager, mais croire qu’on est digne d’être aimé. Ne pas se complaire dans la souffrance, mais fixer le regard sur Jésus. Prière de Thérèse Pour obtenir l’humilité Seigneur, ma faiblesse vous est connue ; chaque matin je prends la résolution de pratiquer l’humilité et le soir je reconnais que j’ai commis encore bien des fautes d’orgueil. À cette vue je suis tentée de me décourager mais, je le sais, le découragement est aussi d’orgueil. Je veux donc, ô mon Dieu, fonder sur Vous seul mon espérance ; puisque vous pouvez tout, daignez faire naître en mon âme la vertu que je désire. Pour obtenir cette grâce de votre infinie miséricorde, je vous répéterai bien souvent : « Ô Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au vôtre ». (Pri 20, OC, 20) Jacques Gauthier, Dix attitudes intérieures. La spiritualité de Thérèse de Lisieux, Novalis/Cerf, 2013, 75-­‐89. 
Téléchargement