Draveil Commission Bovine 24 et 25 octobre 2000 Déterminisme génétique des caractères de production laitière Didier BOICHARD INRA, Station de Génétique Quantitative et Appliquée, 78352 Jouy-en-Josas En terme de production laitière, on raisonne classiquement avec les 5 caractères globaux suivants : la quantité de lait (QL), les taux de matière grasse (TB) et de matière protéique (TP), les quantités de matière grasse (QMG) et protéique (QMP) définies par le produit de la quantité de lait et du taux correspondant. Les quantités sont modérément héritables (0.25-0.35) mais variables (CV=20%) de sorte que la variabilité génétique disponible est importante (CVg = σg/µ = 10%). Au contraire les taux sont très héritables (5060%) mais relativement peu variables (CV<10%) de sorte que la variabilité génétique est assez réduite, et plus particulièrement pour le taux protéique (CVg=4%). La quantité de lait est en général modérément opposée aux deux taux (rg=-0.3 à –0.4). Par contre, les quantités de matière, très corrélées entre elles (0.85) ainsi qu’à la quantité de lait (0.8 à 0.9), ne montrent pas d’opposition forte avec les taux (-0.1 à 0.1), taux butyreux et matière grasse étant même positivement corrélés (+0.3). Ces caractéristiques classiques et robustes, en général communes à toutes les races et même aux différentes espèces (brebis, chèvres), sont profondément modifiées en race Holstein depuis les années 80. Dans cette race, on observe en effet une variabilité génétique très forte du taux butyreux dont l’héritabilité dépasse 0.7 et une opposition accrue entre lait et taux butyreux (-0.5). En conséquence, la quantité de matière grasse dépend autant du taux butyreux que de la quantité de lait et se trouve ainsi quelque peu découplée des quantités de lait ou de matière protéique. Cette caractéristique a été largement mise à profit en sélection pour augmenter la quantité de matière protéique tout en diminuant (génétiquement) le taux butyreux. On reviendra plus loin sur le déterminisme génétique de cette particularité Holstein. Au cours de la lactation, on peut considérer trois phases distinctes : Les 4-6 premières semaines, les 4 mois qui suivent, et la fin de la lactation. Ces trois phases correspondent à trois caractères positivement corrélés, mais clairement différents. La corrélation génétique entre les productions durant les phases 1 et 2 n’est que de 0.7 environ, et elle tombe à 0.5 entre les phases 1 et 3. C’est la phase 2 qui est la plus représentative de la production totale. Les taux, en particulier le TP, ont un déterminisme génétique beaucoup plus constant tout au long de la lactation. Le TP apparaît en corrélation génétique négative avec la quantité de lait quel que soit le stade de mesure des deux caractères. Par contre, le TB mesuré en début de lactation – à un stade où il dépend beaucoup de la mobilisation corporelle ne montre pas d’opposition avec la quantité de lait mesurée tout au long de la lactation, et l’opposition s’accroît progressivement avec le stade de lactation de la mesure du TB. La persistance fait l’objet de nombreux débats, en effet une courbe de lactation plus plate faciliterait la conduite des animaux et limiterait les conséquences négatives de la production. Au cours des 20 dernières années, la persistance, mesurée sous forme de ratio, s’est nettement améliorée (figure 1) : la part de production du 1er ou du 2ème mois par rapport au total a diminué. Ce n’est pas un objectif difficile à atteindre dans la mesure où la production totale dépend plus de la production en milieu de lactation que de la production initiale, ce qui conduit à une corrélation génétique positive et forte (0.6 environ) entre production par lactation et persistance (définie sous forme de ratio). Il n’en demeure pas moins que la production en début de lactation a augmenté, ce qui semble inévitable (corrélation génétique d’environ 0.8 avec la production totale), amplifiant ainsi le déséquilibre énergétique initial. On peut considérer qu’une laitière idéale doit présenter les deux caractéristiques suivantes : - une forte production en début de lactation, ce qui implique inévitablement une forte mobilisation corporelle 8 Draveil - une adaptation rapide de l’ingestion aux besoins en vue de retrouver l’équilibre énergétique, gage d’une bonne santé, d’une bonne fertilité, d’un taux protéique élevé et d’une bonne persistance, condition nécessaire pour que la production totale soit élevée. Du point de vue métabolique, une haute productrice présente des caractéristiques très particulières : - à court terme, les besoins de production excèdent très largement les apports de sorte que la vache puise dans ses réserves lipidiques. Il s’en suit une forte lipolyse, peu de lipogénèse, une forte concentration circulante de corps cétoniques et d’acides gras non estérifiés, et une très forte activité hépatique de néoglucogénèse. La glycémie est faible. La faible insulinémie oriente préférentiellement le glucose vers la mamelle - cette situation doit être transitoire et elle est ensuite compensée par une augmentation progressive de la capacité d’ingestion, de sorte que l’équilibre énergétique soit atteint en quelques semaines Par contre, on ne note pas de modifications dans les rendements énergétiques des différentes voies et étapes métaboliques. Le déterminisme génétique sous-jacent qui caractérise une vache laitière haute productrice reste encore principalement inconnu. Un défi important est donc de caractériser les gènes à l’origine des différent caractères impliqués, à savoir 1) le potentiel de production intrinsèque, 2) la concentration du lait en matière grasse et en matière protéique, 3) l’aptitude de la vache à augmenter rapidement sa capacité d’ingestion après la mise bas. Les programmes de détection de QTL menés tant en France qu’à l’étranger ont permis la mise en évidence des principales régions chromosomiques expliquant le déterminisme des caractères de production et de richesse du lait. Le QTL le plus spectaculaire, mis en évidence uniquement en race Holstein, est localisé près du centromère du chromosome 14. Comme dans la plupart des cas, le (les ?) gènes en cause ne sont pas connus. Le TB est le caractère le plus affecté, avec un effet de substitution allélique d’environ 3,5 g/kg, soit une différence entre homozygotes d’environ 7 g/kg et une part de la variance génétique expliquée de l’ordre de 50% ! Des effets moindres sont observés sur le TP et la QMG dans le même sens, sur la quantité de lait dans un sens opposé, tandis que la QMP n’est pas affectée. Ce QTL (ou plutôt gène majeur) est à l’origine Commission Bovine 24 et 25 octobre 2000 des modifications de paramètres génétiques observées en race Holstein. Le chromosome 7 porte un QTL affectant fortement la quantité de lait, la QMP et, dans une moindre mesure, la QMG dans le même sens, le TB dans le sens opposé, tandis que le TP est peu affecté. Sur le chromosome 19, un QTL affecte essentiellement les quantités de matière. Cet exemple est l’un des rares où un gène candidat est avancé, puisque le QTL est localisé au même endroit que le gène de l’hormone de croissance. Le chromosome 26 porte un QTL affectant très fortement les quantités de matière. Le chromosome 11 affecte la quantité de lait mais surtout la persistance. Sur le chromosome 20, un ou deux QTL affectent principalement le TP. Là encore, deux gènes candidats sont présents dans la région, les gènes des récepteurs à la GH et à la prolactine. Les chromosomes 3 et 18 affectent aussi exclusivement le TP. Le chromosome 6 porte deux QTL affectant le TP, l’un étant le locus des caséines, l’autre étant sensiblement plus éloigné. La caractérisation de certains de ces QTL a été engagée mais il s’agit d’un travail très lourd. La stratégie de choix est d’abord d’affiner leur position avec des méthodes de cartographie variées, afin de disposer de gènes candidats fiables en nombre réduit, dont le polymorphisme est ensuite analysé. L’aptitude à mobiliser d’une part, à adapter rapidement la capacité d’ingestion d’autre part, ne peut pas être analysée à partir des dispositifs en ferme déjà réalisés, dans lesquels cette information n’est pas disponible. Un outil de choix pour rechercher les gènes impliqués dans le déterminisme de ces caractères est le dispositif en cours au domaine du Pin. Ce dispositif implique le croisement entre la race Holstein, forte productrice et mobilisatrice, et la race Normande présentant des taux très élevés et un niveau de production et de mobilisation nettement plus modeste. L’intérêt du croisement F2 est de redistribuer aléatoirement les gènes d’origine Holstein et d’origine Normande, pour disposer d’animaux de tous les génotypes possibles (H H, H N et N N) à un locus donné, avec un fond génétique en espérance identique, même s’il est hétérogène. Par ailleurs, le dispositif est largement dimensionné puisqu’il implique la procréation et la mise en production de 600 femelles F2. Pour tirer le maximum de profit de ce protocole long et coûteux, de nombreux caractères sont mesurés et d’autres peuvent être envisagés. Concernant le thème abordé ici, on dispose d’indicateurs phénotypiques relatifs à la pro- 9 Draveil Commission Bovine duction, la qualité du lait, l’aptitude fromagère, le poids et ses variations, la mobilisation corporelle (note d’état), ainsi que divers critères métaboliques. Ce dispositif sera complété par le génotypage des animaux pour une série de marqueurs couvrant tout le génome. Cette approche assez classique permettra de localiser les gènes responsables des différences intra et entre races portant sur les caractères mesurés. 24 et 25 octobre 2000 déterminisme génétique fin reste mal connu. Des régions chromosomiques sont maintenant identifiées ou vont l’être dans un avenir proche mais elles sont anonymes, puisque les gènes impliqués qu’elles contiennent et, a fortiori, le polymorphisme causal de ces gènes, reste pour l’instant inconnu. L’identification de ces gènes à l’origine des mécanismes physiologiques en cascade est un travail multidisciplinaire de longue haleine. En conclusion, si les caractéristiques métaboliques de la vache laitière sont assez bien comprises, leur Figure 1. Evolution des courbes de lactation de la quantité de matière protéique et du taux protéique , en fonction de l’année et de la parité Production de MP (kg) 1.1 1 L1 1990 0.9 L1 1993 L1 1996 L1 1999 L3 1990 L3 1993 L3 1996 0.8 0.7 0.6 L3 1999 0.5 0 50 100 200 250 300 Jours 35 Taux protéique (g/kg) 150 34 33 L1 1990 L1 1993 32 31 L1 1996 L1 1999 30 29 28 27 0 50 100 150 200 250 300 Jours 10