Mai 2008 - vol. 20, no 2

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Publié trois fois l’an au coût de 185 $. Pour tout renseignement, veuillez communiquer
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tél.: (514) 842-3937. Pour abonnements: 1-800-363-3047.
PRÉSENTATION
À deux pas de là, une affiche flamboyante portait ces mots :
« Défense d’user de la parole autrement que pour déguiser sa pensée. »
Je ne vis là qu’un mot d’esprit que j’avais déjà lu ailleurs.
– Jean-Claude Harvey, Les demi-civilisés (1954)
Le présent numéro a pour thème, bien involontaire1, celui des
interdits2.
À partir d’un article original portant sur l’interaction entre le
droit des marques et la religion de Barry Gamache3 s’est greffé un
examen de André Rivest4 sur les limites à la représentation du sexe5
dans la publicité.
1. Mais bien d’actualité si on en croit le torrent de critiques suscitées dans les milieux
de la télévision, du cinéma et des « libres-penseurs » par le projet de loi C-10 ou Loi
de 2006 modifiant l’impôt sur le revenu dont le sous-alinéa 120(16)a)(ii) modifie,
discrètement, la définition de « certificat de production cinématographique ou
magnétoscopique canadienne » (par. 125.4(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu) de
façon à assujettir le certificat à une clause de bonnes mœurs « que le fait d’accorder
à la production un soutien financier de l’État ne serait pas contraire à l’ordre
public ». La talibanisation de la culture ou la Loi de l’impôt comme outil de censure.
Dans un autre ordre d’idées, témoin de la tension entre la création, le financement
et les impératifs de commercialisation, voir l’éditorial de Audrey CÔTÉ, « Documentaires sur les travailleurs du sexe – Un discours dur à avaler ? » [2008-03-15]
L’Itinéraire relativement au film documentaire Hommes à louer de Rodrigue Jean,
à la page 5.
2. « L’interdit donne de la saveur, la censure du talent. [...] J’aime l’interdit et la censure. J’aime l’interdit et la censure parce que je suis anarchiste. » Marc
VILROUGE (1971-2007), Nickel chrome (2003).
3. Avocat et agent de marques de commerce, Barry Gamache est l’un des associés de
LEGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats
et d’agents de brevets et de marques de commerce.
4. Avocat chez Gowling Lafleur Henderson à Montréal.
5. « Et nous alimentons nos aimables remords / Comme des mendiants nourrissent
leur vermine ». – Charles BAUDELAIRE, « Au lecteur », dans Les fleurs du mal
(1857).
247
248
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cela ouvrait la porte, en matière de droits d’auteur, à un rappel
sur la protection des œuvres immorales6 ou licencieuses7 par la professeure Mistrale Goudreau8.
Christian Bolduc et Tomek Nishijima9 traitent de l’apparent
interdit qu’est celui de la protection de l’objet utilitaire par le droit
d’auteur alors que Maria Dikeakos10 présente la prohibition de
divulgation en matière de brevets dans son exposé sur le caveat, la
provisoire et la demande informelle comme outils de protection intérimaire.
Le professeur Pepin11 y va d’un retour historique sur une interdiction de plus d’un siècle : les droits des artistes12, interprètes et
compagnies de disques.
Les capsules13 sont également dans le ton.
Georges Azzaria et Valérie Bouchard14 commentent l’arrêt de
la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Chez Dany15 avec pour
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
« [...] mais n’allez pas dévouer aux ciseaux ignorants d’un censeur les badinages
de l’esprit ou les hardiesses du génie. C’est arrêter l’homme de lettres dans son
essor, exposer ses inspirations au supplice de Procuste, et mutiler notre gloire littéraire ? » M. VIVIEN et al., Traité de la législation des théâtres (Paris, BrissotThivars, 1830), à la page 88.
Ou de la non application de la maxime Nemo audiri debet propriam allegans turpitudinem que Mayrand, dans son dictionnaire des maximes latines traduit par
personne ne doit être entendu alléguant sa propre turpitude « Il répugne au tribunal d’entendre ceux qui sollicitent son aide en raison des illégalités qu’ils ont commises ».
Professeure agrégée, Section de droit civil, Université d’Ottawa ; par ailleurs
vice-présidente des C.P.I.
Avocats du cabinet Smart & Biggar.
Maria Dikeakos, physicienne, Ph.D., est membre du secteur Brevets de LEGER
ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et
d’agents de brevets et de marques de commerce.
Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.
« En vain contre le Cid un ministre se ligue – Tout Paris a pour Chimène les yeux
de Rodrigue – L’Académie en corps a beau le censurer, – Le public révolté s’obstine à l’admirer. » – Nicolas BOILEAU, Satires (1660-1711).
« Il n’y a pas d’offense. Si la presse me convenait, question liberté d’expression, je
n’aurais pas été obligé de fonder mon propre canard... » [de dire Zill] – Didier
DAENINCKX, Éthique en toque, série Le Poulpe (Paris, Seuil/Baleine, 2000), à la
page 109.
Respectivement professeur de droit à l’Université Laval (et membre du comité de
rédaction des C.P.I.) et étudiante à la maîtrise en droit à la même université.
Guilde des musiciens du Québec et Cabane à sucre Chez Dany, [2005] R.J.D.T.
315 (C.R.A.A.A.P.) ; [2006] R.J.D.T. 586 (C.S. Qué) ; 2008 QCCA 331 (C.A. Qué.).
Présentation
249
sous-titre : « le statut de l’artiste16 : la loi interdite de séjour » alors
que Normand Tamaro17 nous livre ses réflexions18 de civiliste autour
de l’affaire Fabrikant19.
Une formule à développer : le résumé de la jurisprudence de
l’année précédente par le commentaire de cinq décisions d’intérêt
dans un secteur couvert par les CPI. Cette année, un palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement20 ou la détermination
d’interdits élevés au rang d’art de Marcel Naud21, « Ce qu’il ne faut
pas faire », cinq décisions de 2007 en droit des brevets de Hélène
D’Iorio22 et une chronique « interdit d’interdire »23 de l’année 2007 en
matière de droits d’auteur24 de Stefan Martin25.
Nous accueillons un nouveau membre au comité de rédaction :
le professeur Pierre-Emmanuel Moyse26 et trois nouveaux membres
16. Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la
scène, du disque et du cinéma, L.R.Q., ch. S-32.01.
17. Avocat à Montréal.
18. « La seule pensée permise est distribuée en flacons de quarante onces, par les
vendeurs autorisés de la Régie de l’Encéphale. » – Jean-Claude HARVEY, Les
demi-civilisés (1954).
19. « Publier ce que l’auteur a supprimé est donc le même acte de viol que censurer ce
qu’il a décidé de garder. » – Milan KUNDERA , Les testaments trahis (Paris, Gallimard, 1993) que l’on pourra apposer au « La censure, quelle qu’elle soit, me
paraît une monstruosité, une chose pire que l’homicide ; l’attentat contre la
pensée est un crime de lèse-âme. La mort de Socrate pèse encore sur le genre
humain. » – Gustave FLAUBERT, Correspondance, [à Louise Colet, 9 décembre
1852.].
20. Où l’on apprend de Wikipédia que http://del.icio.us/ est un site web social permettant de sauvegarder et de partager ses marque-pages Internet et de les classer
selon le principe de folksonomie [néologisme désignant un système de classification collaborative décentralisée spontanée.] par des mots clés (ou tags). Il fut créé
fin 2003 par Joshua Schachter dans le but originel de sauvegarder ses marquepages personnels.
21. Avocat, Marcel Naud est membre de LEGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L.,
un cabinet multidisciplinaire d’avocats, d’agents de brevets et d’agents de marques de commerce.
22. Avocate chez Gowling Lafleur Henderson à Montréal.
23. Pour mémoire rappelons que le célèbre slogan de mai 1968 « Il est interdit d’interdire » (autrement attribué à Jean Yanne (1933-2003)) était accompagné de « Jouir
plus » et de « L’imagination au pouvoir ». Le rédacteur en chef avait alors
douze ans et lisait plutôt les hebdomadaires Pilote et Tintin.
24. La calculatrice de l’auteur s’est manifestement déréglée car il a largement outrepassé les cinq décisions prévues, pour le plus grand bonheur du lecteur !
25. Stefan Martin, M. Fisc. (Aix-en-Provence), LL. M. (Université Laval), D.E.A.
(Paris II – Droit de la propriété intellectuelle, avocat associé du cabinet Fraser
Milner Casgrain, S.E.N.C.R.L ; membre du comité de rédaction des C.P.I.
26. Faculté de droit de l’Université McGill ; on saluera en passant son magistral
traité Le droit de distribution : analyse historique et comparative en droit d’auteur
(Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007) 720 pages ; ISBN 978-2-89635-099-5.
250
Les Cahiers de propriété intellectuelle
au Comité international de rédaction : Jacques deWerra27, Jacques
Labrunie28 et Franumo Lee29.
Et le perlier ! « L’arrêt 40 » plutôt que « la requérante », « De censure » est devenue de « sang sûr » et un « Artiste » était un « art
triste »30.
Bonne lecture !
Laurent Carrière
Rédacteur en chef
27.
28.
29.
30.
Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Genève.
Du cabinet Gusmao Labrunie à Sao Paulo (Brésil).
Du cabinet ORIGIN à Séoul (Corée du Sud).
Sans compter que, dans le même texte, l’auteur Harold G. Fox a été prénommé
Harold, Harrald, Harrold et Herold. Just call me « Harry » !
CAHIERS DE PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE INC.
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Georges AZZARIA, professeur
Faculté de droit
Université Laval, Ste-Foy
Denis LÉVESQUE, avocat conseil
Cain Lamarre Casgrain Wells
Montréal
Danielle BOUVET, avocate
Ministère de la Justice
du Canada
Ejan MACKAAY, professeur
Faculté de droit,
Université de Montréal, Montréal
Laurent CARRIÈRE, avocat
Léger Robic Richard, Montréal
Benoît CLERMONT, avocat
Productions J, Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Jean-Nicolas DELAGE, avocat
secrétaire trésorier
BCF, Montréal
Hélène d’IORIO, avocate
Gowling, Lafleur, Henderson,
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeure
vice-présidente
Faculté de droit, droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Stefan MARTIN, avocat
Fraser Milner Casgrain, Montréal
Pierre-Emmanuel MOYSE,
professeur
Faculté de droit
Université McGill, Montréal
Marek NITOSLAWSKI, avocat
Fasken Martineau Dumoulin,
Montréal
Ian ROSE, avocat
Lavery De Billy,
Montréal
Ghislain ROUSSEL, avocat
président
Bibliothèque et Archives nationales
du Québec, Montréal
Daniel URBAS, avocat
Borden Ladner Gervais,
Montréal
Rédacteur en chef
Laurent CARRIÈRE
Rédacteur en chef adjoint
Stefan MARTIN
Comité de rédaction et comité de lecture
Georges AZZARIA, professeur
Faculté de droit
Université Laval, Ste-Foy
Denis LÉVESQUE, avocat conseil
Cain Lamarre Casgrain Wells
Montréal
Danielle BOUVET, avocate
Ministère de la Justice
du Canada
Ejan MACKAAY, professeur
Faculté de droit,
Université de Montréal, Montréal
Laurent CARRIÈRE, avocat
Léger Robic Richard, Montréal
Benoît CLERMONT, avocat
Productions J, Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Jean-Nicolas DELAGE, avocat
secrétaire trésorier
BCF, Montréal
Hélène d’IORIO, avocate
Gowling, Lafleur, Henderson,
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeure
vice-présidente
Faculté de droit, droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Stefan MARTIN, avocat
Fraser Milner Casgrain, Montréal
Pierre-Emmanuel MOYSE,
professeur
Faculté de droit
Université McGill, Montréal
Marek NITOSLAWSKI, avocat
Fasken Martineau Dumoulin,
Montréal
Ian ROSE, avocat
Lavery De Billy,
Montréal
Ghislain ROUSSEL, avocat
président
Bibliothèque et Archives nationales
du Québec, Montréal
Daniel URBAS, avocat
Borden Ladner Gervais,
Montréal
Comité exécutif de rédaction
Laurent CARRIÈRE
Mistrale GOUDREAU
Stefan MARTIN
Ghislain ROUSSEL
Comité éditorial international
Valérie BENABOU,
professeure agrégée
Directrice du Laboratoire Droit des
affaires et Nouvelles technologies
Université de Versailles en
Saint-Quentin-en-Yvelines
France
Néfissa CHAKROUN
Directrice de la propriété
intellectuelle et Ministère de
l’enseignement supérieur, de la
recherche scientifique et
de la technologie
Tunis, Tunisie
Jacques DE WERRA, professeur
Faculté de droit,
Université de Genève
Genève, Suisse
Dr Franumo LEE
Conseil en propriété intellectuelle
Cabinet ORIGIN
Séoul, Corée du Sud
André LUCAS
Professeur de droit
Université de Nantes, France
Victor NABHAN, conseil
Kimbrough & associés,
Paris
GianLuca POJAGHI, avocat
Studio Legale Pojaghi
Milan, Italie
Antoon A. QUAEDVLIEG,
avocat et professeur
Faculté de droit
Université catholique de Nimègue
Nijmegem, Pays-Bas
Paul E. GELLER
Avocat et professeur adjoint
University of Southern California
Law Center
Los Angeles, USA
Alain STROWEL
Avocat et professeur de droit
Facultés universitaires Saint-Louis
Bruxelles, Belgique
Jane C. GINSBURG
Professeure
Columbia University
School of Law
New York, USA
Paul Leo Carl TORREMANS,
professeur
School of Law,
University of Nottingham
Nottingham, Grande Bretagne
Teresa GRZESZAK, professeure
Faculté de droit
Université de Varsovie, Pologne
Silke von LEWINSKI, professeure
Institut Max-Planck pour le droit
étranger et international des
brevets, du droit d’auteur et
du droit de la concurrence
Münich, Allemagne
Lucie GUIBAULT, avocate
et professeure
Instituut voor Informatierecht,
Amsterdam, Pays-Bas
Jacques LABRUNIE, avocat
Gusmao Labrunie
Sao Paulo, Brésil
TABLE DES MATIÈRES
Articles
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur :
un interdit ?
Christian Bolduc et Tomek Nishijima . . . . . . . . . . . 257
Stratégie de protection intérimaire : le caveat, la provisoire et
l’« informelle » ou la divulgation prohibée
Maria Dikeakos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 293
Entre sacré et profane ou Comment s’articule le rapport entre
convictions religieuses et droit des marques de commerce
Barry Gamache . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317
Les œuvres « immorales ou licencieuses, séditieuses ou
entachées de trahison » et le droit d’auteur canadien
Mistrale Goudreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 459
Une interdiction de plus d’un siècle : les droits des artistes,
interprètes et compagnies de disques, du néant aux « droits
voisins », jusqu’aux « droits d’auteur »
René Pepin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475
Vendre par le sexe : examen sommaire des limites légales à la
représentation du sexe dans la publicité
André Rivest . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 499
255
256
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Capsules
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
Georges Azzaria et Valérie Bouchard . . . . . . . . . . . . 525
Droit des brevets – cinq décisions de 2007 ou
Ce qu’il ne faut pas faire
Hélène D’Iorio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541
Le droit d’auteur en mouvement : chronique de l’année 2007 –
L’interdit d’interdire
Stefan Martin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 547
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement :
la détermination d’interdits élevée au rang d’art
Marcel Naud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 579
Réflexions d’un civiliste autour de Fabrikant c. Swamy –
L’initiative d’une procédure et le droit moral
Normand Tamaro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 597
Vol. 20, no 2
La reproduction de l’objet utilitaire
vis-à-vis le droit d’auteur :
un interdit ?
Christian Bolduc et Tomek Nishijima*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
1. L’ancienne loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
2. La nouvelle loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
2.1 La non-violation du droit d’auteur . . . . . . . . . . . 269
2.2 Les exceptions à l’exclusion . . . . . . . . . . . . . . . 273
2.2.1
L’alinéa 64(3)a) : représentations graphiques
ou photographiques . . . . . . . . . . . . . . . 275
2.2.2
L’alinéa 64(3)b) : marque de commerce . . . . 276
2.2.3
L’alinéa 64(3)c) : matériel dont le motif est
tissé ou tricoté . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
2.2.4
L’alinéa 64(3)d) : œuvres architecturales . . . 281
2.2.5
L’alinéa 64(3)e) : représentations d’êtres, de
lieux ou de scènes réelles ou imaginaires . . . 283
© Christian Bolduc et Tomek Nishijima , 2008.
* Avocats du cabinet Smart & Biggar.
257
258
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.2.6
L’alinéa 64(3)f) : objets vendus
par ensembles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
2.2.7
L’alinéa 64(3)g) : œuvres désignées
par règlement . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286
2.2.8
L’article 64 : date d’entrée en vigueur . . . . . 286
2.2.9
Les droits moraux. . . . . . . . . . . . . . . . 287
3. Les recours. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288
3.1 La saisie avant jugement . . . . . . . . . . . . . . . . 288
3.2 Les dommages-intérêts préétablis . . . . . . . . . . . 291
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292
INTRODUCTION
Un client se présente à votre bureau avec le dessin d’un objet
utilitaire, par exemple, un verre à eau. Vous voyez tout de suite la
fonction utilitaire de cet objet mais ce qui attire votre attention c’est
plutôt sa conception esthétique unique et séduisante. Vous êtes
frappé par l’attrait de ses caractéristiques visuelles nullement dictées par la fonction utilitaire de l’objet. Votre client vous consulte
pour savoir s’il est possible de protéger ce dessin au moyen de la propriété intellectuelle (« PI »).
Vu que le brevet sert à protéger les inventions utiles et que le
droit relatif au dessin industriel est destiné à protéger le caractère
esthétique des objets utilitaires, il est normal de se tourner vers ces
deux formes de PI pour la protection d’objets utilitaires. Toutefois, le
droit d’auteur protégeant l’expression esthétique, on pourrait penser
qu’il peut aussi servir à protéger un objet utilitaire dont l’apparence
est esthétiquement réussie.
L’une des raisons pour lesquelles le droit d’auteur est fréquemment ignoré lorsque l’on considère la protection des objets utilitaires
est le paragraphe 64(2) de la Loi sur le droit d’auteur1 qui rend licite
la violation du droit d’auteur et des droits moraux sur des dessins
dans certaines circonstances. Cette autorisation serait justifiée par
le fait que certains dessins, lorsque produits à une échelle industrielle, devraient plutôt être protégés conformément à la législation
relative aux dessins industriels, et par conséquent, les recours, le cas
échéant, seraient fondés uniquement sur cette législation destinée à
protéger les dessins industriels. Ainsi, le paragraphe 64(2) a pour
but d’éliminer les chevauchements de la législation sur le droit
d’auteur et de la législation sur les dessins industriels. Toutefois,
l’examen attentif de l’article 64 permet de découvrir que la Loi sur le
droit d’auteur peut malgré tout protéger des objets utilitaires dans
certaines circonstances. En particulier, le paragraphe 64(3), qui
énonce les exceptions à l’exception, recèle des solutions limitées mais
1. L.R.C. (1985), ch. C-42. (la « Loi »).
259
260
Les Cahiers de propriété intellectuelle
néanmoins prometteuses. Cela est d’autant plus vrai quand on prend
en compte la longue durée du droit d’auteur : la vie de l’auteur plus
cinquante ans2.
Nous allons donc analyser le paragraphe 64(3) de la Loi sur le
droit d’auteur afin de déterminer dans quelle mesure cette disposition protège les objets tridimensionnels qui sont à la fois utiles et
esthétiques. Pour aider à exposer sereinement le droit actuel, nous
examinerons d’abord la situation qui existait avant l’importante
réforme de 1988. Enfin, dans les circonstances où l’on peut invoquer
la protection du droit d’auteur pour des objets utilitaires, nous soulignerons deux recours très particuliers.
1. L’ANCIENNE LOI
Au Canada, la première véritable législation sur le droit
d’auteur, la Loi sur le droit d’auteur de 19243, suivait le modèle du
Copyright Act, 19114 de l’Angleterre. Suivant la tradition anglaise,
les qualités esthétiques des objets fabriqués industriellement ne
méritaient pas la protection automatique et de longue durée
qu’offrait le droit d’auteur. Voici ce qu’en disait un auteur :
Whereas copyright arose to protect artistic works and patents
arose to protect invention, design laws did not arise to protect
industrial designs. Instead, they evolved from copyright as an
exception for artistic designs applied to specific classes of
industrial goods, or goods within particular industries. The
designs applied to these goods were thought to require some
form of protection, but not of the same strength as copyright.5
Donc, la Loi des marques de commerce et dessins de fabrique6
régissait l’enregistrement des dessins industriels au Canada. Pour
éviter le chevauchement et même la confusion, la législation sur le
droit d’auteur devait être adaptée en conséquence. C’est pourquoi
l’article 46 de la Loi sur le droit d’auteur de 1924 et la règle 11 des
Règles régissant les dessins industriels7 établissaient une distinction
2.
3.
4.
5.
Art. 6 de la Loi sur le droit d’auteur.
1921 (S.C. 1921, ch. 24) et mise en vigueur en 1924.
(R.-U.), 1 & 2 Geo. 5, ch. 46.
Amy MUHLSTEIN et Margaret Ann WILKINSON, « Whither Industrial Design »,
(1999) 14 I.P.J. 1, à la p. 12.
6. S.R.C. 1906, ch. 71.
7. C.R.C. 1978, ch. 964.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
261
entre ce que le droit d’auteur protégeait et ce qui ne pouvait être protégé que par dessin industriel. L’article 46 se lisait comme suit :
46. (1) La présente loi ne s’applique pas aux dessins susceptibles d’être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, à l’exception des dessins qui, tout en pouvant être
enregistrés de cette manière, ne servent pas ou ne sont pas destinés à servir de modèles ou d’échantillons, pour être multipliés
par un procédé industriel quelconque.
(2) En vertu de la Loi sur les dessins industriels, il peut être
dicté un règlement général pour déterminer les conditions sous
lesquelles un dessin doit être considéré comme étant utilisé
dans le but précité.
La règle 11 des Règles régissant les dessins industriels
s’énonçait ainsi :
11. (1) Un dessin est censé servir de modèle ou d’échantillon
destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque
au sens de l’article 46 de la Loi sur le droit d’auteur,
a) lorsque le dessin est reproduit ou destiné à être reproduit
dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles
dans lesquels le dessin est reproduit, ou est destiné à être
reproduit, ne forment ensemble qu’un seul assortiment tel
qu’il est défini au paragraphe (2) ; et
b) lorsque le dessin doit être appliqué à
(i) des tentures de papier peint,
(ii) des tapis, linoléums ou toiles cirées fabriqués ou vendus
à la mesure ou à la pièce,
(iii) des tissus en pièce, ou des tissus fabriqués ou vendus à
la mesure ou à la pièce, et
(iv) de la dentelle qui n’est pas faite à la main.
(2) Aux fins du présent paragraphe, « assortiment » signifie un
groupe d’articles du même genre généralement mis en vente
ensemble, ou destinés à servir ensemble, tous portant le même
dessin sans modification ou, si modification il y a, sans que
262
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’article en souffre dans sa nature ou sans que son identité en
soit modifiée d’une manière appréciable.
Comme on peut le voir, l’article 46 délimitait le droit d’auteur et
le dessin industriel en éliminant le droit d’auteur à l’égard de tout
dessin susceptible d’être enregistré à titre de dessin industriel. En
d’autres mots, un dessin enregistrable à titre de dessin industriel
n’avait pas droit à la protection du droit d’auteur. Le corollaire était
que le titulaire du droit d’auteur qui n’exploitait jamais son œuvre
par la fabrication d’objets à une échelle industrielle conservait, pour
toute la durée du droit d’auteur, le droit d’empêcher la copie de son
œuvre. Le facteur déterminant était donc l’exploitation à titre de
dessin industriel à plus de cinquante exemplaires et l’intention de
faire une telle exploitation au moment de la création de l’œuvre.
Avant d’aller plus loin, rappelons que la protection d’une œuvre
artistique en deux dimensions contre la reproduction en trois dimensions n’est pas un concept nouveau en droit d’auteur. En effet, le
paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur de 1924 était libellé de
façon semblable à l’article 3(1) de la présente Loi sur le droit d’auteur
et se lisait :
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le « droit d’auteur » désigne
le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre, ou une
partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque [...] [nos italiques].
La décision anglaise King Features Syndicate c. Kleeman8, qui
fait autorité au Canada9, fournit un exemple de protection par droit
d’auteur applicable à un objet utilitaire ayant des qualités esthétiques. Les faits de cette décision sont ainsi exposés succinctement par
la Cour fédérale du Canada dans l’arrêt American Greetings Corporation et al c. Oshawa Group Ltd. et al.10, à la page 243 :
Copyright had been obtained for the comic character of Popeye
and plaintiffs subsequently granted licences to make dolls,
mechanical toys, brooches and other articles featuring the figure of Popeye. Defendants after having been refused a licence
then imported similar dolls, toys and brooches under the name
8.
9.
[1941] 2 All E.R. 403, 58 R.P.C. 207 (H.L.) (« King Features »).
Anthony ASQUITH, « Artistic Copyright in Unartistic Drawings », (1984)
C.I.P.R. 267, à la page 269.
10. (1982) 69 C.P.R. (2d) 238 (C.F.P.I.).
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
263
of Popeye. It was held that the defendants’ dolls and brooches
were reproductions in a material form of the plaintiffs’ original
artistic work.
Le principe à retenir de cet arrêt est qu’il y a violation du droit
d’auteur dès lors qu’un dessin original est reproduit en un objet tridimensionnel sans autorisation, que la copie soit tirée directement ou
indirectement du dessin. L’arrêt souligne aussi que l’article 46 ne
s’applique que si, au moment de la création de l’œuvre, l’auteur avait
l’intention d’utiliser le dessin comme modèle ou comme échantillon
pour être multiplié par un procédé industriel. Dans l’arrêt King Features, la Chambre des Lords décida que la broche, qui épousait la
forme du personnage Popeye, violait le droit d’auteur dans le dessin
de ce personnage et ce, même si le détenteur des droits avait subséquemment utilisé le dessin original de Popeye comme modèle pour
être multiplié par procédé industriel afin de réaliser des statuettes
tridimensionnelles. David Vaver en disait ceci :
A quirky decision of the House of Lords on the corresponding
U.K. provision had held that whether a work required design
registration for protection was determined by its author’s
intent at the time the work was first made. If he or she then did
not intend to multiply the work industrially, the work attracted
copyright and a later change of mind was irrelevant : once copyright, always copyright.11
Donc, l’opinion qui prévalait à l’époque était que le droit d’auteur pouvait protéger des objets tridimensionnels, tels que des poupées, en autant que l’auteur, au moment de la création de l’œuvre,
n’avait pas l’intention d’utiliser le dessin comme modèle ou comme
échantillon pour être multiplié par un procédé industriel. Un auteur
en dit ceci :
It is evident that it would be in the interest of the latter to
assert that his original intention was not to industrially apply
his design, in order that he may benefit from the advantages
that copyright confers, in particular, the generous term of life
plus 50 years.12
11. David VAVER, « The Canadian Copyright Amendments of 1987 », (1988) 4 I.P.J.
121, à la page 133.
12. Myra J. TAWFIK, « The Law of Copyright and Industrial Designs in Canada »,
(1991) 7 C.I.P.R. 130, à la page 138.
264
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La capacité de prouver l’absence d’intention dépendait évidemment de l’objet en cause. On peut en effet présumer qu’il serait plus
facile de prouver l’absence d’intention de reproduire à une échelle
industrielle lorsqu’il est question du dessin d’un personnage devant
figurer dans un dessin animé que lorsqu’il s’agit du dessin d’un verre
à eau. Bien qu’il soit difficile de prouver l’intention, il est également
important de souligner deux questions relatives au libellé de l’article
46 et à celui de la règle 11.
Premièrement, le libellé de la règle 11 des Règles régissant les
dessins industriels comporte une ambigüité en ce que le mot « et »
entre les alinéas 11(1)a) et 11(1)b) pourrait être conjonctif ou disjonctif. Dans l’arrêt Royal Doulton Tableware Ltd. c. Cassidy’s Ltd.13, la
Cour fédérale fut d’avis que les deux conditions devaient être rencontrées afin que la Règle 11 ne trouve application : le dessin devait
avoir été reproduit à plus de cinquante exemplaires et avoir été
appliqué aux produits énumérés dans cette règle, tels les papiers
peints, les tapis, les tissus ou la dentelle. Cette décision fut sévèrement critiquée14 car elle est basée sur un raisonnement qui exclut
effectivement la plupart des dessins du domaine des dessins industriels. Deuxièmement, il était permis de se demander s’il fallait être
en présence d’un dessin industriel effectivement enregistré pour que
s’applique la règle d’exclusion de l’article 46.
Dans l’affaire Doral Boats Ltd. c. Bayliner Marine Corp.15, la
Cour d’appel fédérale a mis fin à ce débat et, rejetant l’interprétation
de la Cour fédérale dans Royal Doulton, elle a décidé que la Règle 11
s’appliquait si l’une des conditions stipulées dans les alinéas 11(1)(a)
et 11(1)(b) était rencontrée. Elle a aussi déterminé que l’enregistrement du dessin industriel n’était pas requis pour que l’article 46
trouve application. La Cour d’appel s’exprima ainsi aux pp. 430-31 :
Quant à la nécessité d’enregistrer le dessin dans le délai prescrit, est-il possible que le législateur ait voulu qu’une personne
qui enregistre un dessin avec diligence ait droit à un monopole
d’une durée maximale de dix ans tandis qu’une personne qui
négligerait ou omettrait délibérément de demander l’enregis13. (1984) 1 C.P.R. (3d) 214 (C.F.P.I.) (« Royal Doulton »).
14. Voir, par exemple, William L. HAYHURST, Q.C., « Royal Doulton Tableware Ltd.
v. Cassidy’s Ltd. – Two Views, Copyright : Must Patterns for China Be Protected
By Industrial Design Registrations ? », (1984-85) 1 I.P.J. 171 ; Dan
HITCHCOCK, « Judicial Repeal of the Industrial Design Act ? », (1984-85) 1
I.P.J. 175.
15. [1986] 3 C.F. 421 (C.F.A.) [Doral avec renvois aux C.F.].
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
265
trement d’un dessin aurait droit à un monopole comprenant la
vie de l’auteur et une période de 50 ans après sa mort ? Poser la
question, c’est y répondre.
2. LA NOUVELLE LOI
Le 8 juin 1988, la Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur16
reçut la sanction royale et l’article 64, qui succédait à l’article 46 de
la Loi sur le droit d’auteur de 1924, entra en vigueur. Cet amendement découlait du projet de loi C-60 qui avait été introduit à la
Chambre des communes le 27 mai 198717 et répondait aux recommandations du rapport de 1985 sur la réforme du droit d’auteur intitulée « Une charte des droits des créateurs et des créatrices »18 quant
aux programmes d’ordinateur, aux droits moraux et aux dessins
industriels. Après le rapport de 1985, le Ministère de la consommation et des affaires commerciales mandata William L. Hayhurst (ciaprès « Hayhurst ») de faire des recommandations pour la mise en
œuvre des conclusions du rapport. Il s’inspira du principe suivant :
[...] to require creators of artistic features of useful articles to
register their designs if those articles are put into mass production (more than fifty, this being an arbitrary figure which
seems to have worked satisfactorily for many years), and to
carve out of their subsisting copyright any protection for such
mass-produced articles, while preserving their copyright if,
without authorization, others copy their artistic works by producing different articles.19
Tel que l’indiqua l’honorable Flora MacDonald, alors ministre
des communications :
The Copyright Act should not be transformed into a kind of
catch-all legislation protecting works for which copyright is not
16. Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et apportant des modifications connexes
et corrélatives, L.C. 1988, ch. 15.
17. 2e sess., 33e lég., 1986-87-88.
18. Sous-comité sur la révision de la Loi sur le droit d’auteur. Une Charte des droits
des créateurs : Rapport du sous-comité sur la révision de la Loi sur le droit
d’auteur (Ottawa, Chambre des communes, 1985).
19. William L. HAYHURST, « Report on Revision and Clarification of the Copyright
and Industrial Design Laws to Exclude Purely Utilitarian Articles, and to
Exclude from Copyright the Appearance of Many Utilitarian Articles », préparé
pour le ministre de la Consommation et des Corporations, 16 avril, 1986, à la
page iv, cité dans David VAVER, « The Canadian Copyright Amendments of
1987 », (1988) 4 I.P.J. 121, à la page 134.
266
Les Cahiers de propriété intellectuelle
appropriate. Bill C-60 will therefore provide an objective means
of determining whether or not an article can be protected by
copyright, industrial design, both or neither.20
Les dispositions en question, telles qu’elles apparaissent présentement dans la Loi sur le droit d’auteur, se lisent comme suit :
Définitions
Interpretation
64. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent
article et à l’article 64.1.
64. (1) In this section and section
64.1,
« dessin » Caractéristiques ou
combinaison de caractéristiques
visuelles d’un objet fini, en ce qui
touche la configuration, le motif
ou les éléments décoratifs.
“article” means any thing that is
made by hand, tool or machine ;
« fonction utilitaire » Fonction
d’un objet autre que celle de support d’un produit artistique ou
littéraire.
« objet » Tout ce qui est réalisé à
la main ou à l’aide d’un outil ou
d’une machine.
“design” means features of
shape, configuration, pattern or
ornament and any combination
of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye ;
“useful article” means an article
that has a utilitarian function
and includes a model of any such
article ;
« objet utilitaire » Objet remplissant une fonction utilitaire, y
compris tout modèle ou toute
maquette de celui-ci.
“utilitarian function” , in respect
of an article, means a function
other than merely serving as a
substrate or carrier for artistic or
literary matter.
Non-violation : cas de certains
dessins
Non-infringement re certain
designs
(2) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur ou des
(2) Where copyright subsists in a
design applied to a useful article
20. Débats de la Chambre des communes, 26 juin, 1987, à la page 7669, cité dans
Myra J. TAWFIK, « The Law of Copyright and Industrial Designs in Canada »,
(1991) 7 C.I.P.R. 130, à la page 142.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
droits moraux sur un dessin
appliqué à un objet utilitaire, ou
sur une œuvre artistique dont le
dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin qui
n’en diffère pas sensiblement,
en réalisant l’objet ou toute
reproduction graphique ou
matérielle de celui-ci, ni le fait
d’accomplir avec un objet ainsi
réalisé, ou sa reproduction, un
acte réservé exclusivement au
titulaire du droit, pourvu que
l’objet, de par l’autorisation du
titulaire – au Canada ou à l’étranger – remplisse l’une des
conditions suivantes :
a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires ;
b) s’agissant d’une planche,
d’une gravure ou d’un moule,
servir à la production de plus de
cinquante objets utilitaires.
267
or in an artistic work from which
the design is derived and, by or
under the authority of any person
who owns the copyright in
Canada or who owns the copyright elsewhere,
(a) the article is reproduced in a
quantity of more than fifty, or
(b) where the article is a plate,
engraving or cast, the article is
used for producing more than
fifty useful articles,
it shall not thereafter be an
infringement of the copyright or
the moral rights for anyone
(c) to reproduce the design of the
article or a design not differing
substantially from the design of
the article by
(i) making the article, or
(ii) making a drawing or other
reproduction in any material
form of the article, or
(d) to do with an article, drawing
or reproduction that is made as
described in paragraph (c) anything that the owner of the copyright has the sole right to do with
the design or artistic work in
which the copyright subsists.
Exception
Exception
(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas au droit d’auteur ou
aux droits moraux sur une
(3) Subsection (2) does not apply
in respect of the copyright or the
moral rights in an artistic work
268
Les Cahiers de propriété intellectuelle
œuvre artistique dans la mesure
où elle est utilisée à l’une ou
l’autre des fins suivantes :
in so far as the work is used as or
for
a) représentations graphiques
ou photographiques appliquées
sur un objet ;
(a) a graphic or photographic
representation that is applied to
the face of an article ;
b) marques de commerce, ou
leurs représentations, ou étiquettes ;
(b) a trade-mark or a representation thereof or a label ;
c) matériel dont le motif est tissé
ou tricoté ou utilisable à la pièce
ou comme revêtement ou vêtement ;
(c) material that has a woven or
knitted pattern or that is suitable
for piece goods or surface coverings or for making wearing
apparel ;
d) œuvres architecturales qui
sont des bâtiments ou des modèles ou maquettes de bâtiments ;
(d) an architectural work that is a
building or a model of a building ;
e) représentations d’êtres, de
lieux ou de scènes réels ou imaginaires pour donner une config u r a t i o n , un mo t i f o u u n
élément décoratif à un objet ;
(e) a representation of a real or
fictitious being, event or place
that is applied to an article as a
feature of shape, configuration,
pattern or ornament ;
f) objets vendus par ensembles,
pourvu qu’il n’y ait pas plus de
cinquante ensembles ;
(f) articles that are sold as a set,
unless more than fifty sets are
made ; or
g) autres œuvres ou objets désignés par règlement.
(g) such other work or article as
may be prescribed by regulation.
Idem
Idem
(4) Les paragraphes (2) et (3) ne
s’appliquent qu’aux dessins
créés après leur entrée en
vigueur. L’article 64 de la présente loi et la Loi sur les dessins
industriels, dans leur version
antérieure à l’entrée en vigueur
(4) Subsections (2) and (3) apply
only in respect of designs created
after the coming into force of this
subsection, and section 64 of this
Act and the Industrial Design
Act, as they read immediately
before the coming into force of
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
du présent article, et leurs
règles d’application, continuent
de s’appliquer aux dessins créés
avant celle-ci.
269
this subsection, as well as the
rules made under them, continue
to apply in respect of designs
created before that coming into
force.
En guise de remarque préliminaire, l’article 64 diffère du texte
original en ce qu’il définit des expressions sur lesquelles les tribunaux s’étaient déjà prononcés. Il va sans dire que « (t)he definition of
« design » is not substantially different than the definition established by case law and prior British legislation. »21 Le concept de « dessin » ne vise que les objets utilitaires finis et l’expression « objet fini »
exige une réalisation physique et non pas une idée ou une conception
préliminaire22. Un « objet utilitaire » est un objet remplissant une
fonction utilitaire, c’est-à-dire, une fonction autre que celle de support d’un produit artistique ou littéraire.
2.1 La non-violation du droit d’auteur
À la lecture du paragraphe 64(2) on remarque qu’il ne vise que
les « objets utilitaires ». Par conséquent, un objet purement esthétique, tel qu’une sculpture, n’est pas affecté par le paragraphe 64(2)
et ne perd nullement la protection du droit d’auteur à l’égard de la
violation. Tel que le soulignait Hayhurst :
In consequence, the restriction in subsection [64] (2) should not
trouble those who have copyright in such articles as posters or
sculptures, irrespective of the number of such articles that may
be produced. [...] Subsection [64](2) catches designs such as the
configuration of a mass-produced toaster or automobile : to
impede the copying of substantial arts of designs of such useful
articles beyond the term of an industrial design registration
(currently a maximum of ten years in Canada) has generally
been considered to be excessive [notes en bas de page omises].23
21. William L. HAYHURST, Q.C., « Copyright Subject-Matter », cité dans G.F.
HENDERSON, éd. Copyright and Confidential Information Law of Canada,
Toronto, Carswell, 1994, à la page 92.
22. John S. McKEOWN, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs,
4e éd. feuilles mobiles, Toronto, Thomson/Carswell, 2003, à la page 10-15.
23. William L. HAYHURST, Q.C., « Intellectual Property Protection in Canada for
Designs of Useful Articles : Sections 46 and 46.1 of the Copyright Act », (1989) 4
I.P.J. 381, aux pp. 387 et 391.
270
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Et John McKeown :
Only designs created purely for artistic purposes will be outside
subsection 64(2). A design applied to an article of manufacture
that has a function other than merely serving as a substrate or
carrier for artistic or literary matter, which is reproduced in a
quantity exceeding 50, must be protected under the Industrial
Designs [sic] Act.24
Bien que selon toute vraisemblance les sculptures, par
exemple, ne soient nullement affectées par l’article 64, l’interprétation de l’expression « objet utilitaire » pourrait s’avérer plus difficile que prévu suite à une décision récente de la Cour d’appel
fédérale dans l’affaire Pyrrha Design inc. c. 623735 Saskatchewan
Ltd.25 Dans cette cause, les demandeurs alléguaient que la défenderesse avait violé le droit d’auteur dans des articles originaux de
bijouterie en produisant et offrant en vente des copies de ces bijoux.
La défenderesse, par requête pour jugement sommaire, demanda le
rejet de l’action pour le motif que les bijoux étaient des objets utilitaires et que par conséquent la copie de ces bijoux ne violait nullement
le droit d’auteur, conformément au paragraphe 64(2). La Cour
d’appel renversa la décision du juge de première instance et décida
qu’il n’était pas évident que les bijoux en cause étaient effectivement
des objets utilitaires ou non et qu’un complément de preuve serait
nécessaire pour en décider. La Cour d’appel fait des commentaires
sur la notion d’objet utilitaire aux paragraphes 10, 11 et 13 :
Le juge des requêtes s’est laissé convaincre que les bijoux en
cause étaient des « objets utilitaires ». Le principal argument
invoqué par les intimés à l’appui de la conclusion du juge a été
que les bijoux sont faits pour [TRADUCTION] « être portés »,
qu’ils sont « utilitaires ». Les bagues se portent aux doigts, les
boucles d’oreilles aux oreilles et les colliers autour du cou pour
[TRADUCTION] « donner un effet visuel ». Par conséquent,
les intimés ont soutenu qu’ils avaient une fonction
[TRADUCTION] « autre que celle de support d’un produit artistique ». Tous les bijoux qui peuvent se porter, prétend-on, sont
utilitaires et ils ne sont donc pas protégés par la Loi sur le droit
d’auteur s’ils sont reproduits à plus de cinquante exemplaires.
Par contre, les appelants soutiennent que ce n’est pas parce que
les bijoux se portent qu’ils sont utilitaires, pas plus que le fait
24. Supra, note 22, à la page 10-16.
25. (2004) 36 C.P.R. (4th) 432 (C.F.A.) [Pyrrha avec renvois aux CarswellNat].
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
271
d’accrocher un tableau au mur ne le rend utilitaire. Les bijoux
ne sont pas comme les vêtements, ils ne procurent ni chaleur ni
protection. On les porte à cause de leur apparence, de leur
beauté. Si les intimés ont raison, selon les appelants, la sculpture qui orne une entrée ou le tableau qui embellit un mur est
également utilitaire et il perd la protection du droit d’auteur s’il
est reproduit à plus de 50 exemplaires.
[...]
L’analyse des appelants soulève une question qu’on pourrait
qualifier de sérieuse car autrement, chaque œuvre d’art pourrait être réputée utilitaire tout simplement parce qu’on peut en
profiter comme décoration. Il ne suffit pas de conclure, sans disposer d’éléments de preuve, que parce que les bijoux se portent
ils sont, par le fait même, utilitaires. Il est peu probable qu’on
puisse décider de l’utilité d’une œuvre d’art en fonction uniquement de son existence ; il faut une utilisation pratique en sus
d’une valeur esthétique. Certains bijoux peuvent être utilitaires alors que d’autres ne le sont pas. Par exemple, une épingle
de cravate ou des boutons de manchette peuvent être des bijoux
utilitaires s’ils servent à attacher les vêtements, alors que
d’autres objets, comme les broches ou les boucles d’oreilles, ne
seront que des ornements qui n’ont aucune utilité ni valeur
autre qu’intrinsèque en tant qu’œuvres d’art. En outre, une
sculpture peut avoir été créée uniquement pour être observée
et admirée, mais elle peut aussi servir de presse-papiers. La
question est sérieuse et elle doit être débattue lors d’un véritable procès au cours duquel les parties pourront témoigner.
Malheureusement, bien que ce jugement semble ne pas favoriser la contrefaçon, les parties ont éventuellement réglé cette cause et
on ne sait toujours pas si les bijoux sont effectivement « utilitaires ».
Bien que l’affaire Pyrrha suggère que le fait de caractériser un objet
de non-utilitaire permettra d’éviter le paragraphe 64(2), une telle
détermination n’est pas toujours facile à faire. Et pour compliquer
les choses un peu plus, la Cour d’appel suggère qu’une sculpture
pourrait jouer le double rôle d’objet purement esthétique et d’objet
utilitaire si elle sert de presse-papiers.
Le paragraphe 64(2) fait une distinction entre deux types de
dessins. D’abord il y a les cas où le droit d’auteur subsiste dans un
dessin « appliqué » à un objet utilitaire en ce qu’une caractéristique
visuelle est appliquée sur une surface ou bien en ce que la forme de
272
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’objet est une caractéristique visuelle26. En second lieu, le paragraphe 64(2) vise aussi le cas où le droit d’auteur subsiste dans une
« œuvre artistique dont le dessin est tiré ». Ce serait le cas d’un dessin illustrant l’objet en question (par exemple, un dessin technique).
Une simple lecture du paragraphe 64(2) indique que cette disposition ne vise aucunement l’existence du droit d’auteur ; il n’est
question que de violation du droit d’auteur27. L’existence du droit
d’auteur peut être déterminée en référant aux dispositions usuelles,
c’est-à-dire, les articles 2 et 5 de la Loi. Ainsi, si le droit d’auteur
existe, l’article 64 ne l’abolit pas. Il permet simplement aux tiers de
« violer » le droit d’auteur avec impunité si l’article a été reproduit
à plus de cinquante exemplaires avec l’autorisation de celui qui
détient le droit d’auteur. Ce résultat est bien différent du régime du
tout ou rien qui prévalait à l’époque de l’article 46 de la Loi sur le
droit d’auteur de 1924 où un dessin était soit considéré comme étant
protégé par droit d’auteur durant toute la durée du droit d’auteur,
soit considéré comme non protégé par droit d’auteur et par conséquent ne jouissant d’aucune protection en vertu de la législation
relative au droit d’auteur.
La lecture du paragraphe 64(2) permet d’entrevoir un cas où
l’on pourrait bénéficier de l’existence du droit d’auteur sur un dessin.
A contrario, cette disposition semble prévoir que le droit d’auteur
serait conservé et pourrait être invoqué contre celui qui, sans autorisation, utilise le dessin pour un objet différent. En d’autres mots,
lorsqu’un dessin peut avoir différentes applications, le détenteur
pourra faire valoir le droit d’auteur à l’égard de tout objet non reproduit à plus de cinquante exemplaires. Par exemple, un designer peut
concevoir un dessin esthétique applicable tant pour une gomme à
effacer que pour une barre de savon. S’il fabrique plus de cinquante
barres de savon de cette forme particulière, il ne pourra plus invoquer la protection du droit d’auteur contre ceux qui fabriqueraient
des barres de savon de cette forme ; toutefois, cette activité n’aurait
pas diminué la protection par droit d’auteur pour des gommes à effacer du même design, du moins tant que le détenteur des droits n’aura
pas reproduit cette gomme à effacer à plus de cinquante exemplaires.
Pour savoir si la protection par droit d’auteur est exclue par le
paragraphe 64(2), le contrefacteur éventuel n’a qu’à déterminer si le
26. Cimon Ltd. c. Bench Made Furniture Corp., (1964) 48 C.P.R. 31 (C. de l’É.) aux
pp. 51 et 52.
27. Magasins Greenberg Ltée c. Import-Export René Derhy (Canada) Inc., (1995) 61
C.P.R. (3d) 133 (C.F.P.I.) à la page 136.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
273
dessin a été ou non appliqué à un objet utilitaire à plus de cinquante
exemplaires. Une telle détermination objective réduit sensiblement
les difficultés rencontrées en vertu de l’ancienne législation où il fallait prouver l’intention. Par conséquent, à première vue, le résultat
dans l’affaire King Features ne serait plus le même en vertu du paragraphe 64(2). Cependant, tel qu’il sera discuté ci-dessous, tous les
espoirs pour les Popeye de ce monde ne sont pas perdus puisque
le paragraphe 64(3) comprend une série d’exceptions à la règle
d’exclusion.
Avant de passer au chapitre suivant, voyons brièvement une
question qui n’a pas encore été examinée par les tribunaux et qui
concerne la règle du cinquante plus un. En pratique, la règle du cinquante plus un ne présente aucune difficulté dans le cas d’un objet
aisément reproduit à une échelle industrielle. Mais supposons un
mode de production particulièrement lent dans lequel plusieurs
années s’écouleront avant d’atteindre le chiffre de cinquante plus un.
Dans un tel cas, on peut se demander à quel moment cesse la protection par droit d’auteur. Par exemple, quelle sera la décision de la
Cour dans un cas où l’action aurait été instituée avant que la production n’atteigne le niveau de cinquante plus un mais dans lequel ce
niveau serait atteint alors que l’action est encore pendante ? Prenons
une autre situation plausible : présumons que la production a déjà
dépassé le seuil de cinquante plus un ; est-il encore possible
d’instituer une action pour les actes commis avant d’atteindre le
niveau de cinquante plus un ou, au contraire, est-ce que l’exclusion
s’applique rétroactivement ?
2.2 Les exceptions à l’exclusion
Puisque le droit d’auteur, comparativement au dessin industriel, est plus facile à obtenir et que la durée des droits est beaucoup
plus longue, l’incapacité à faire valoir la protection par droit d’auteur
pourrait avoir des conséquences graves pour certaines activités commerciales. De fait, des groupes d’intérêt ont fait pression sur le
Comité législatif de la Chambre des communes pour empêcher
l’application brutale du paragraphe 64(2). Par conséquent, le projet
de loi C-60 fut élargi et modifié afin de préciser que certaines œuvres
artistiques soient exemptées de l’application de la règle du cinquante plus un et soient protégées de sorte que le droit d’auteur
puisse être invoqué s’il y a contrefaçon. Différents auteurs ont interprété le paragraphe 64(3). David Vaver en a dit ceci :
274
Les Cahiers de propriété intellectuelle
These exemptions radically modify the position under the old
Act. Character merchandising items, textile designs, and
designs applied to articles such as tableware now may carry full
copyright protection ; under the old Act, such designs, if derived
from a work or themselves originally intended to be used as a
mass-produced design, were unprotected unless registered
under the Industrial Design Act.28
Pour sa part, Hayhurst a dit :
Subsection [64](3) is intended to ensure that certain artistic
works are not caught by subsection [64](2) though the works
are designs applied, or arguably applied, to useful articles. If
the works identified in subsection [64](3) have copyright or
moral rights under the general provisions of the Copyright Act,
the enforceability of the copyright or moral rights is unaffected
by subsection [64](2) however many useful articles are made ;
additionally, industrial design protection may be obtainable if
the requirements of the Industrial Design Act are met. [...] The
rationale for subsection [64](3) is, of course, that designs falling
within it do not seem to be ones which are likely to impede legitimate industry. There is some overlap in the paragraphs of subsection [64](3). Paragraphs (a), (b), (c) and (e) are concerned
with certain artistic works that are readily identifiable apart
from the useful articles to which they are applied.29
Voici ce qu’a dit McKeown :
The selection of the items exempted does not appear to be determined by any specific theory or rational other than the overriding consideration that competition is not impeded. It seems
that greeting cards and T-shirts are clearly exempted.30
Quant à G.C. Luglow, ses commentaires sont les suivants :
When a new design is applied to a useful article reproduced in a
quantity of more than fifty, reliance on copyright is no longer
available. Certain types of designs, however, have been
exempted from this rule so that their copyright remains unimpaired. Such designs include those constituting trade-marks,
28. Supra, note 11, à la page 136.
29. Supra, note 23, aux pp. 390 et 391.
30. Supra, note 22, à la page 10-17.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
275
textile patterns, graphics displayed on the face of an article, or
designs employed in merchandising characters or places either
real or fictitious.31
Examinons maintenant les exceptions.
2.2.1 L’alinéa 64(3)a) : représentations graphiques
ou photographiques
La première exception, l’alinéa 64(3)a), vise exclusivement
toute représentation graphique ou photographique qui, lorsque prise
indépendamment de l’objet auquel elle est appliquée, constitue une
œuvre artistique à part entière et de ce fait bénéficie de la protection
du droit d’auteur. Cette œuvre artistique est ensuite appliquée à un
objet utilitaire qui en soi n’a pas droit à la protection du droit
d’auteur. En vertu de l’alinéa 643) a), l’œuvre artistique ainsi
appliquée demeure protégée par droit d’auteur. Tel que le disait
Hayhurst :
Paragraph [64](3)(a) includes the art work of a greeting card,
which is arguably a useful article. It also includes an artistic
still life applied to the side of a pitcher, even if glazed over. 32
Donc, la protection du droit d’auteur s’impose quant à l’œuvre
artistique (c’est-à-dire la représentation graphique ou photographique) mais pas à l’objet lui-même. Ce raisonnement est sensé car il
serait injuste qu’un dessin protégé par droit d’auteur, par exemple,
perde cette protection simplement parce qu’on l’aurait appliqué à un
objet utilitaire.
Le paragraphe 64(3) fut interprété par la Cour d’appel du
Québec dans la décision récente intitulée Magasins Greenberg
limitée c. Import-Export René Derhy (Canada) Inc.33, où il fut question de blousons de cuir auxquels de la broderie avait été appliquée.
La défenderesse, qui avait reproduit les blousons avec la broderie,
niait la contrefaçon du droit d’auteur et basait sa défense sur l’exception du paragraphe 64(2). Toutefois, la Cour, donnant raison à la
31. G.C. LUDLOW, « Intellectual Property (1987-93), Part I Summary of Government Activity », (1993) 25 Ottawa Law Review 91, à la page 93, cité dans Magasins Greenberg limitée c. Import-Export René Derhy (Canada) inc., REJB 200455468 (C.A. Qué.).
32. Supra, note 23, à la page 390.
33. Supra, note 31.
276
Les Cahiers de propriété intellectuelle
demanderesse, fut plutôt d’avis que le paragraphe 64(3) s’appliquait.
Au paragraphe 50, la Cour motivait ainsi sa conclusion :
L’article 64(3) vise, entre autres choses, à protéger le dessin
reproduit sur un objet utilitaire. À titre d’exemple, si un artiste
permet à un fabriquant de t-shirts de reproduire un de ses dessins, les t-shirts vendus à des milliers d’exemplaires ne seront
pas protégés par le droit d’auteur, mais le dessin de l’artiste le
sera et on ne pourra le reproduire sur un autre t-shirt, une robe,
un manteau ou une tasse à café.
Tel que le dit R.E. Mitchell, se référant au paragraphe 64(3) :
Toute ornementation graphique ou photographique sur un
objet tri-dimensionnel, qu’il soit utilitaire ou non, est maintenant couverte par les droits d’auteur. Toutefois, les droits
d’auteur ne protègent pas l’objet lui-même.34
Ainsi, bien que l’on puisse invoquer le droit d’auteur pour
empêcher les tiers de reproduire un objet utilitaire orné d’une représentation graphique ou photographique, l’alinéa 64(3)a) ne protège
pas l’objet utilitaire comme tel. Il permet simplement de faire respecter la représentation graphique ou photographique appliquée à
l’objet utilitaire.
2.2.2 L’alinéa 64(3)b) : marque de commerce
L’alinéa 64(3)b) de la Loi vise les marques de commerce ou les
étiquettes sur des objets. Cette disposition fut récemment discutée
par la Cour suprême du Canada dans la cause Euro-Excellence Inc. c.
Kraft Canada Inc.35 aux paragraphes 9, 10 et 13 :
[9] [...] L’article 64 de la Loi sur le droit d’auteur, qui, en plus
des autres dispositions pertinentes de cette loi, est reproduit
dans l’annexe, traite de la question même qui est un élément
fondamental de l’approche de mon collègue : une œuvre d’art
figurant sur une étiquette et bénéficiant de la protection conférée par la marque de commerce peut-elle également bénéficier
de la protection conférée par le droit d’auteur ? Le législateur a
34. R.E. MITCHELL, « La loi sur les dessins industriels et la protection du design »,
dans La propriété intellectuelle et ses récents développements : une analyse approfondie, Toronto, The Canadian Institute, 1990, à la page 9.
35. 2007 CSC 37.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
277
conclu que des œuvres peuvent bénéficier à la fois de la protection conférée par le droit d’auteur et de celle conférée par la
marque de commerce.
[10] À cet égard, le législateur a adopté l’art. 64 de la Loi
actuelle, qui soustrait certains objets fonctionnels à la protection conférée par le droit d’auteur, mais qui confirme que le
droit d’auteur existe sur les « marques de commerce, ou leurs
représentations, ou étiquettes ». Le législateur a adopté cette
disposition après avoir réfléchi à la possibilité d’un chevauchement entre la législation sur les marques de commerce et celle
sur le droit d’auteur. Si la Cour concluait que les étiquettes
Kraft ne peuvent pas bénéficier à la fois de la protection conférée par la marque de commerce et de celle conférée par le
droit d’auteur, elle se trouverait alors à substituer sa préférence en matière de politique générale à celle du législateur.
[...]
[13] [...] En revanche, l’al. 64(3)b) de la Loi sur le droit d’auteur
permet qu’une œuvre bénéficie à la fois de la protection conférée par le droit d’auteur et de celle conférée par la marque de
commerce. En d’autres termes, le législateur a autorisé un chevauchement entre le droit d’auteur et la marque de commerce.
[...]
Il est clair qu’une œuvre bénéficiant du droit d’auteur peut être
une marque de commerce tout en bénéficiant de la protection conférée par le droit d’auteur. Bien que la grande majorité des marques
de commerce soient bidimensionnelles, des marques tridimensionnelles, appelées signes distinctifs, sont ici d’un intérêt particulier.
Un bon exemple d’un signe distinctif est la bouteille originale de la
boisson gazeuse COCA-COLA. Le signe distinctif est défini comme
suit à l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce36 :
a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants ;
(a) a shaping of wares or their
containers, or
b) mode d’envelopper ou empaqueter des marchandises,
(b) a mode of wrapping or packaging wares
36. L.R.C. (1985), ch. T-13.
278
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dont la présentation est employée
par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer,
les marchandises fabriquées,
vendues, données à bail ou
louées ou les services loués ou
exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des
services loués ou exécutés, par
d’autres.
the appearance of which is used
by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or
performed by others ;
L’article 13 de la Loi sur les marques de commerce concerne
l’enregistrement d’un signe distinctif et se lit comme suit :
Signes distinctifs enregistrables
When distinguishing guises
registrable
13. (1) Un signe distinctif n’est
enregistrable que si, à la fois :
13. (1) A distinguishing guise is
registrable only if
a) le signe a été employé au
Canada par le requérant ou son
prédécesseur en titre de façon à
être devenu distinctif à la date
de la production d’une demande
d’enregistrement le concernant ;
(a) it has been so used in Canada
by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an
application for its registration ;
and
b) l’emploi exclusif, par le requérant, de ce signe distinctif en
liaison avec les marchandises ou
services avec lesquels il a été
employé n’a pas vraisemblablement pour effet de restreindre
de façon déraisonnable le développement d’un art ou d’une
industrie.
(b) the exclusive use by the applicant of the distinguishing guise
in association with the wares or
services with which it has been
used is not likely unreasonably to
limit the development of any art
or industry.
Effet de l’enregistrement
Effect of registration
(2) Aucun enregistrement d’un
signe distinctif ne gêne l’emploi
de toute particularité utilitaire
(2) No registration of a distinguishing guise interferes with
the use of any utilitarian feature
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
279
incorporée dans le signe distinctif.
embodied in the distinguishing
guise.
Aucune restriction à l’art ou à
l’industrie
Not to limit art or industry
(3) L’enregistrement d’un signe
distinctif peut être radié par la
Cour fédérale, sur demande de
toute personne intéressée, si le
tribunal décide que l’enregistrement est vraisemblablement
devenu de nature à restreindre
d’une façon déraisonnable le
développement d’un art ou d’une
industrie.
(3) The registration of a distinguishing guise may be expunged
by the Federal Court on the
application of any interested person if the Court decides that the
registration has become likely
unreasonably to limit the development of any art or industry.
Le signe distinctif, étant une marque de commerce37, peut bénéficier d’une protection perpétuelle38 à la condition de demeurer distinctif et pourvu que l’enregistrement ne gêne pas l’emploi de toute
particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif39. Bien que
l’étude des exigences concernant l’enregistrement des signes distinctifs excède le cadre de notre analyse, qu’il suffise de rappeler que ces
exigences sont plus difficiles à rencontrer que dans le cas d’une
marque de commerce ordinaire. Par exemple, le demandeur doit
fournir une preuve établissant dans quelle mesure et pendant quelle
période de temps la marque de commerce a été employée, a été
annoncée ou a fait l’objet d’une campagne promotionnelle au
Canada40. De plus, un signe distinctif essentiellement fonctionnel
n’a pas droit à l’enregistrement41.
Tandis que le titulaire d’un signe distinctif enregistré bénéficie
du « droit exclusif à l’emploi de ce signe, dans tout le Canada, en ce
qui concerne ces marchandises ou services »42, le droit d’auteur protège le même objet en raison de ses caractéristiques visuelles. Bien
37. Art. 2 de la Loi sur les marques de commerce.
38. Art. 46 de la Loi sur les marques de commerce.
39. Voir, par exemple, Remington Rand Corp. c. Philips Electronics N.V., (1995) 64
C.P.R. (3d) 467 (C.F.A.).
40. Art. 32(1) de la Loi sur les marques de commerce.
41. Roger T. HUGHES et Toni P. ASHTON, Hughes on Trade Marks, 2e éd., feuilles
mobiles, Markham, LexisNexis, 2005, à la page 582. Voir aussi Remington Rand
Corp. c. Phillips Electronics N.V., (1995) 64 C.P.R. (3d) 467 (C.F.A.).
42. Art. 19 de la Loi sur les marques de commerce.
280
Les Cahiers de propriété intellectuelle
que l’enregistrement facilite le recours en violation de marque de
commerce en vertu des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de
commerce, il convient de se rappeler que le détenteur d’une marque
non enregistrée peut intenter une action en concurrence déloyale. En
d’autres mots, bien que l’enregistrement soit avantageux dans un
recours judiciaire, l’absence d’enregistrement n’interdit pas l’exercice de recours contre un contrefacteur. Dans le cadre d’une action en
violation du droit d’auteur où le demandeur fonde son recours sur
l’alinéa 64(3)b), l’existence d’un enregistrement du signe distinctif
aurait pour effet de réduire le fardeau de preuve du demandeur car il
n’aurait pas à prouver que son signe est distinctif, c’est-à-dire qu’il
est une marque de commerce. À noter, cependant, que l’alinéa
64(3)b) n’est pas limité aux marques déposées. Ainsi, le détenteur
d’une marque non enregistrée devrait aussi pouvoir compter sur
la protection contre la violation du droit d’auteur, pourvu qu’il
démontre que la marque en cause est effectivement une marque de
commerce.
Il n’en demeure pas moins que si la forme de l’objet ou sa configuration n’est pas encore distinctive, il faut éviter de présumer que
le droit d’auteur pourra jouer le rôle de protecteur intérimaire pendant que le caractère distinctif se bâtit. Pour devenir distinctif, un
objet devra normalement être soumis à une intense campagne de
publicité et être disponible sur le marché en quantité commerciale
(c’est-à-dire à plus de cinquante exemplaires). Le cas échéant, en
l’absence de caractère distinctif, l’alinéa 64(3)b) n’entre pas en ligne
de compte (car il n’y a pas encore de marque de commerce) et le droit
d’auteur peut être contrefait avec impunité. Ce n’est qu’une fois le
caractère distinctif acquis que la Loi ne tolérera plus la violation du
droit d’auteur, lors même qu’il s’agisse de fabrication en série ; une
conséquence surprenante. Heureusement, il est possible de pallier ce
manque de protection en vertu de la Loi sur les marques de commerce
et l’absence de protection en vertu de la Loi sur le droit d’auteur en
demandant l’enregistrement du dessin à titre de dessin industriel
conformément à la Loi sur les dessins industriels43. Il convient de
noter la restriction du paragraphe 6(3) de la Loi sur les dessins
industriels selon laquelle le demandeur doit déposer sa demande
d’enregistrement dans un délai d’un an à compter de la première
publication du dessin au Canada ou ailleurs. Par conséquent,
lorsque débute la campagne de publicité pour rendre la marque distinctive, le demandeur ne dispose plus que d’un an pour enregistrer
son dessin à titre de dessin industriel. Cependant, si l’on procède cor43. L.R.C. (1985), ch. I-9.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
281
rectement, une fois le caractère distinctif acquis, le détenteur des
droits peut immédiatement bénéficier de la protection que confèrent
le dessin industriel, la marque de commerce et le droit d’auteur.
En conclusion, et jusqu’à ce que les tribunaux ne se soient prononcés, il appert que dès qu’une forme d’objet ou une configuration a
acquis le caractère distinctif requis et est employée à titre de marque
de commerce, les régimes de droit d’auteur et de marques de commerce peuvent jouer un rôle déterminant pour empêcher qu’un objet,
une œuvre artistique ou un signe distinctif, ne soit reproduit illégalement ou n’apparaisse sur le marché. La protection que confère le
droit d’auteur a une durée égale à la vie de l’auteur plus cinquante ans44, tandis que la protection d’une marque dure tant que la
marque demeure distinctive. À cet égard, la protection conférée par
droit d’auteur peut aider à préserver le caractère distinctif de la
marque.
2.2.3 L’alinéa 64(3)c) : matériel dont le motif est
tissé ou tricoté
L’alinéa 64(3)c) concerne les motifs des tissus et les dessins des
revêtements de planchers, de murs ou de mobilier45. Malheureusement, la jurisprudence et la doctrine ne traitent à peu près pas de
cette disposition46. On peut présumer que cet alinéa aura des ressemblances avec l’alinéa 64(3)(a) sauf qu’il est ici question non pas
de représentations graphiques ou photographiques appliquées sur
un objet mais plutôt de matériel qui a un motif tissé ou tricoté.
2.2.4 L’alinéa 64(3)d) : œuvres architecturales
L’alinéa 64(3)d) n’a pas souvent retenu l’attention de nos tribunaux. Voici ce qu’en dit Hayhurst :
Paragraph [64](3)(d) ensures that designs for buildings do not
lose protection as architectural works, irrespective of the number of buildings that are erected, for a building is within
the definition of an “article” and “useful article” in subsection
[64](1).47
44. Art. 6 de la Loi sur le droit d’auteur.
45. Supra, note 23, à la page 390.
46. Voir, par exemple, Milliken & Co. c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc.,
(2000) 5 C.P.R. (4th) 209 (C.F.A.).
47. Supra, note 23, à la page 390.
282
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans l’arrêt Beaudoin c. Constructions Serge Carrière Inc.48, le
demandeur alléguait que la construction d’un condominium par la
défenderesse violait le droit d’auteur sur les plans. Bien que l’action
ait été rejetée pour des motifs de procédure, cette décision est l’un
des rares cas où un tribunal s’est prononcé sur l’alinéa 64(3)d). La
défenderesse prétendait que le paragraphe 64(2) l’exonérait de toute
contrefaçon puisque l’objet (dans ce cas, une bâtisse) avait été reproduit à plus de cinquante exemplaires. Toutefois, la Cour supérieure
fut d’avis contraire et disait, au paragraphe 11 :
Cet argument néglige l’article 64(3) de la même loi qui soustrait
l’application de l’article 64(2) « au droit d’auteur sur une œuvre
artistique dans la mesure où elle est utilisée à l’une ou l’autre des
fins suivantes : »
d) œuvres d’art architecturales qui sont des bâtiments ou des
modèles ou maquettes de bâtiments.
L’article 2 de la loi définit « œuvre d’art architecturale » :
Tout bâtiment ou édifice ou tout modèle ou maquette de bâtiment ou d’édifice.
Aux seules fins de la présente question dans le cadre restreint
du cas sous étude, le Tribunal conclut que les constructions érigées par les compagnies des demandeurs constituent des
œuvres d’art architecturales puisqu’elles avaient « l’intention
de créer quelque chose de beau ou de ravissant et qu’il existait
une originalité » selon la décision Hay c. Hay Construction Co.
v. Sloan et Al. cité par le juge Reed dans D.R.G. Inc. v. Datafile
Ltd. [citations omises].
L’alinéa 64(3)d) prévoit qu’une œuvre architecturale de la
forme d’un bâtiment, même produite à plus de cinquante exemplaires, est protégée par droit d’auteur. Il ne vient pas à l’esprit qu’une
telle œuvre soit considérée comme étant un objet utilitaire commercialisé ou fabriqué en série. Par contre, il serait intéressant de savoir
si une statuette ou tout autre souvenir d’une œuvre architecturale,
par exemple une reproduction miniature de la tour Sears, est protégé
par droit d’auteur.
48. REJB 1997-05108 (C.S. Qué.) au par. 11.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
283
La Loi, à l’article 2, définit « œuvre architecturale » comme
étant « tout bâtiment ou édifice ou tout modèle ou maquette de bâtiment ou d’édifice », ce qui n’inclut pas un objet tel qu’une statuette
miniature. Toutefois, le droit d’auteur interdit la reproduction d’une
œuvre « sous une forme matérielle quelconque »49. Par conséquent,
on peut prétendre que le bâtiment, étant protégé par droit d’auteur,
toute reproduction, « sous une forme matérielle quelconque », telle
qu’une statuette miniature, est aussi protégée. De cette façon, le
titulaire du droit d’auteur sur une œuvre architecturale peut empêcher un tiers de reproduire sous forme miniaturisée l’œuvre architecturale et d’en tirer profit.
2.2.5 L’alinéa 64(3)e) : représentations d’êtres, de lieux ou
de scènes réelles ou imaginaires
Pour des raisons évidentes, depuis son adoption, l’alinéa 64(3)e)
de la Loi est probablement la disposition qui a reçu le plus d’attention de la part des tribunaux. Jean-Philippe Mikus dit ceci :
The Courts have taken nonetheless a generous view of the
notion of “producing” or “reproducing” a work to encompass
three-dimensional reproduction. This is not the least surprising considering the pervasive nature of merchandising in relation to books, movies, albums, etc., where dolls, statuettes,
jewellery or other three-dimensional novelty items take the
shape of two-dimensional characters or scenes of the work.
Depriving the owner of copyright of the right to restrain a
three-dimensional adaptation of a two-dimensional drawing
would disentitle him or her from an equitable share of this
manna.50
William Hayhurst écrit :
Paragraph [64](3)(e) includes a representation of a fanciful animal applied to a T-shirt, or formed into a Toby mug.51
R.E. Mitchell interprète cet alinéa comme suit :
The marketing of characters is protected from now on by Canadian copyright law, regardless of the source of the character,
49. Art. 50 de la Loi sur le droit d’auteur.
50. Jean-Philippe MIKUS, « Of Industrious Authors and Artful Inventors : Industrial Works and Software at the Frontier of Copyright and Patent Law », (2004)
18 I.P.J. 187, à la page 200.
51. Supra, note 23, aux pp. 390 et 391.
284
Les Cahiers de propriété intellectuelle
whether it was conceived of as a doll or whether it was taken
from a cartoon, film or book.52
Ainsi, malgré le paragraphe 64(2), le résultat serait le même
que dans l’affaire King Features mais au lieu de se baser sur
l’intention de l’auteur, il faudrait plutôt faire une détermination
objective de l’alinéa 64(3)e).
La protection découle non seulement d’une représentation graphique d’un personnage mais, tel que démontré dans l’affaire Anne of
Green Gables Licensing Authority Inc. c. Avonlea Traditions Inc.53,
des personnages décrits dans un livre peuvent aussi bénéficier de
cette protection. Comme le dit la Cour supérieure de justice de
l’Ontario dans la décision Anne of Green Gables :
It is clear from the above-quoted passages from L.M. Montgomery’s Anne of Green Gables that the character “Anne” and the
situations in which she finds herself in the book are clearly
delineated, distinctive, thorough, and complete. The defendant
has reproduced or translated these descriptions in her two- and
three-dimensional representations of “Anne” and various other
characters and situations from the text of the book. The literary
work Anne of Green Gables contains a detailed verbal portrait
that captures Anne’s physical image and her personal qualities,
a portrait which I conclude is protected by copyright. I conclude
that, until copyright terminated on April 24, 1992, the copyright in the book Anne of Green Gables extended to the two- and
three-dimensional images based on descriptions of characters
and situations found in the book.54
Les incidences commerciales de cette protection sont importantes. Bien que Hayhurst interprète l’alinéa 64(3)e) comme élargissant
le droit d’auteur à « a fancyful animal applied to a T-shirt, or formed
into a Toby mug », cette disposition va bien au-delà. Le marchandisage de personnages génère des profits énormes pour les entreprises
du monde du divertissement. Les jouets, par exemple, qui sont certainement des objets utilitaires, viennent à l’esprit. De plus, le libellé
de l’alinéa 64(3)e) est tel que la protection du droit d’auteur s’applique aux représentations de lieux ou de scènes imaginaires. Par
conséquent, un jouet de la forme d’une scène fictive serait protégé.
52. Supra, note 34.
53. (2000) C.P.R. (4th) 289 (C.S. d’Ont.) (« Anne of Green Gables »).
54. Ibid., à la page 323.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
285
Rappelons que ce n’est pas la reproduction de l’objet utilitaire
tridimensionnel, s’il existe, que l’on tente de sanctionner mais plutôt
la reproduction sous une forme tridimensionnelle d’une œuvre artistique originale, qu’il s’agisse d’une description littérale ou d’une
illustration. Par conséquent, le droit d’auteur protège des prolongements de l’œuvre originale, ce qui n’est pas un nouveau concept mais
se devait d’être clarifié dans le cas des objets utilitaires.
Celui qui souhaite invoquer l’alinéa 64(3)e) ferait bien de se
rappeler que la protection en question ne vise pas tous les objets utilitaires ayant la forme d’un personnage. Dans l’affaire Tender
Loving Things, Inc. c. Doctor Joy55, où la Cour se prononçait sur une
requête pour précisions, le demandeur, accusant le défendeur de contrefaçon du droit d’auteur sur un dessin bidimensionnel d’un instrument de massage, alléguait que l’œuvre contrefaite était une œuvre
artistique de même qu’un dessin industriel et il faisait référence à
des dessins d’un être fictif. Le défendeur fabriquait et commercialisait un instrument de massage tridimensionnel fait de bois orné d’un
dessin d’un visage réjoui. À la page 19, la Cour dit :
It would seem that one of the theories of defence that the defendant has suggested is that the Happy Massager is not a fictitious being because it is not the subject of a prior fictional work.
The defendant therefore asks, in s.1(j) of the motion, whether
the Happy Massager, as a character, has ever appeared in any
film, video, book or other work and, if so, specific particulars.
The plaintiffs have already alleged in para. 8 of the statement
of claim that the Happy Massager has been depicted in promotional material, without giving any particulars of that material. The inquiry is thus not a fishing expedition. An answer to
the question as to the promotional medium used by the Happy
Massager character may enable the defendant to better understand the plaintiffs’ position and thus reply intelligently. The
plaintiffs will answer request 1(j) for further and better
particulars.
Il ne s’agissait que d’une requête interlocutoire où la Cour ne se
prononçait pas sur le mérite de l’action. Cependant, le commentaire
précité indique que le personnage en cause doit véritablement être
un personnage fictif, étant vraisemblablement apparu dans une
œuvre de fiction. Voici le commentaire d’un auteur sur cet arrêt :
55. (1995) 66 C.P.R. (3d) 12 (C.F.P.I.) (« Tender Loving Things »).
286
Les Cahiers de propriété intellectuelle
In a motion by the defendant to require further particular of the
pleadings in the statement of claim, the court ordered that the
plaintiff had to provide particulars of whether the character
embodied in the plaintiff’s design was “a subjective concept of
the plaintiff or the unique representation of a previously existing fictitious being”.56
Lorsque les objets utilitaires sont dérivés d’un film ou d’une
œuvre littéraire dans lesquels un personnage ou une scène sont suffisamment dépeints et décrits, la protection découlant de l’alinéa
64(3)e) ne devrait pas être contestée. En toute autre circonstance,
comme le suggère l’arrêt Tender Loving Things, le détenteur des
droits devrait être prêt à démontrer que l’article en question provient d’une œuvre de fiction.
2.2.6 L’alinéa 64(3)f) : objets vendus par ensembles
Peu de décisions traitent des deux alinéas suivants. L’alinéa
64(3)f) vise les objets offerts par ensembles, par exemple, des bâtons
de golf, sauf si plus de cinquante ensembles sont fabriqués57. En
d’autres termes, même si l’ensemble compte plus de cinquante
objets, il s’agit d’un seul ensemble et la protection du droit d’auteur
sera disponible. Toutefois, si cet ensemble est fabriqué à une échelle
commerciale, la protection devra provenir d’une autre forme de PI,
telle que la Loi sur les dessins industriels.
2.2.7 L’alinéa 64(3)g) : œuvres désignées par règlement
Cette disposition autorise le gouverneur en conseil à étendre
l’application du paragraphe 64(3) à d’autres œuvres et objets, ce qui
à ce jour n’a pas été fait.
2.2.8 L’article 64 : date d’entrée en vigueur
Les dessins créés après le 8 juin 1988, jour d’entrée en vigueur
de la réforme, bénéficient des nouvelles dispositions de l’article 64 de
la Loi. Ceux qui furent créés avant cette date sont régis par les
anciennes dispositions ; pour eux, l’élément subjectif de l’intention
de l’auteur au moment de la création demeure applicable.
56. Robert B. STORREY, « Industrial Design Committee Report », (1997) 14 C.I.P.R.
55, à la page 58.
57. Supra, note 23, à la page 391.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
287
2.2.9 Les droits moraux
Rappelons que l’exclusion créée par le paragraphe 64(2) concerne non seulement le droit d’auteur mais aussi les droits moraux.
L’inverse est vrai : si l’objet en cause est fabriqué à une échelle commerciale et ne fait pas partie de la liste des exceptions, le paragraphe
64(2) rend licite la violation du droit d’auteur de même que des droits
moraux. Un auteur s’exprimait ainsi :
Insofar as moral rights are concerned, subsection [64](2) has its
peculiarities. Suppose, for example, that copyright subsists in
the design of a jewel box. If 50 or fewer jewel boxes are initially
made, the designer’s right to the integrity of his work would be
infringed if one of the boxes were to be mutilated to the prejudice to the designer’s honour or reputation. If more than 50
were ultimately made with the designer’s authorization it
would then seem to be permissible to engage in mass mutilation of all the jewel boxes without infringing the designer’s
moral rights, no matter how prejudicial.58
Devant le peu d’enseignements dont nous disposons au sujet
des droits moraux quant aux objets utilitaires, il appert que ces
droits devraient être traités conformément aux principes classiques
des droits moraux. Les droits associés aux droits moraux sont décrits
à l’article 14.1 de la Loi comme suit :
Droits moraux
Moral rights
14.1. (1) L’auteur d’une œuvre a
le droit, sous réserve de l’article
28.2, à l’intégrité de l’œuvre et, à
l’égard de tout acte mentionné à
l’article 3, le droit, compte tenu
des usages raisonnables, d’en
revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le
droit à l’anonymat.
14.1. (1) The author of a work
has, subject to section 28.2, the
right to the integrity of the work
and, in connection with an act
mentioned in section 3, the right,
where reasonable in the circumstances, to be associated with the
work as its author by name or
under a pseudonym and the right
to remain anonymous.
Tel que mentionné par la Cour suprême du Canada, « il n’y a
violation de l’intégrité de l’œuvre que si celle-ci est modifiée d’une
58. Supra, note 23, à la page 390.
288
Les Cahiers de propriété intellectuelle
manière préjudiciable à l’honneur ou a la réputation de l’auteur59.
Jusqu’à quel point faudrait-t-il modifier un objet utilitaire pour qu’il
y ait véritablement préjudice à l’honneur ou à la réputation de
l’auteur ? Nul ne le sait. C’est une question d’équilibre entre les
droits de l’auteur et ceux du public, un principe de base du droit
d’auteur. On aura aussi remarqué que parmi les principales lois sur
la PI, c’est-à-dire, la Loi sur les dessins industriels, la Loi sur les marques de commerce, la Loi sur les brevets60 et la Loi sur le droit
d’auteur, seule cette dernière confère une protection spécifique à
l’égard des droits moraux.
Autre point de réflexion : considérons la situation suivante qui
peut survenir comme conséquence à une interprétation littérale du
paragraphe 64(2) et prenons pour acquis que l’exclusion du paragraphe 64(2) s’applique. Étant donné que le droit de l’auteur à
l’anonymat fait partie de ses droits moraux, la Loi semble sans pouvoir pour empêcher un « contrefacteur » de nommer l’auteur et ainsi
donner une fausse impression d’authenticité.
3. LES RECOURS
Vu que le pargraphe 64(3) de la Loi offre pour les objets utilitaires une protection contre la violation du droit d’auteur de même que
des droits moraux, la Loi prévoit aussi des recours. Deux recours, la
saisie avant jugement et le droit à des dommages-intérêts préétablis,
qui sont particuliers à la Loi, seront discutés brièvement.
3.1 La saisie avant jugement
Le paragraphe 38(1) de la Loi autorise les procédures de saisie
avant jugement dans la mesure où une telle procédure est disponible
dans la province où ce recours est exercé :
Propriété des planches
Recovery of possession of copies,
plates
38. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le titulaire du droit
38. (1) Subject to subsection (2),
the owner of the copyright in a
59. Art. 28.2 de la Loi sur le droit d’auteur [nos italiques] ; voir aussi Théberge c.
Galerie d’art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, à la page 349 (« Théberge »).
60. L.R.C. (1985), ch. P-4.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
d’auteur peut, comme s’il en
était le propriétaire, recouvrer
la possession de tous les exemplaires contrefaits d’œuvres ou
de tout autre objet de ce droit
d’auteur et de toutes les planches qui ont servi ou sont destinées à servir à la confection de
ces exemplaires, ou engager à
leur égard des procédures de
saisie avant jugement si une loi
fédérale ou une loi de la province
où sont engagées les procédures
le lui permet [nos italiques].
289
work or other subject-matter
may
(a) recover possession of all
infringing copies of that work or
other subject matter, and of all
plates used or intended to be used
for the production of infringing
copies, and
(b) take proceedings for seizure of
those copies or plates before judgment if, under the law of Canada
or of the province in which those
proceedings are taken, a person is
entitled to take such proceedings,
as if those copies or plates were
the property of the copyright
owner [emphasis added].
Au Québec, le paragraphe 734(1) du Code de procédure civile
autorise expressément le demandeur à faire saisir avant jugement
« le bien meuble qu’il est en droit de revendiquer ». Par conséquent,
l’effet combiné de ces deux dispositions permet au détenteur du droit
d’auteur de faire saisir les objets contrefaits dès les premières phases
d’un recours judiciaire, bien avant qu’un jugement au mérite ne survienne61, ce qui n’est pas prévu expressément dans la Loi sur les brevets, dans la Loi sur les marques de commerce ni dans la Loi sur les
dessins industriels. De plus, tel qu’exprimé récemment par la Cour
fédérale dans l’affaire Diamant Toys, il n’est même pas nécessaire de
rencontrer les conditions du test tripartite d’une demande d’injonction interlocutoire. Ce principe fut établi dans l’affaire Gianni Versace S.p.A. c. 1154979 Ontario Ltd.62, au par. 25 :
La Cour a récemment statué que la partie qui réclame une
ordonnance conservatoire en vertu de l’article 377 des Règles de
la Cour fédérale (1998) n’est pas tenue de satisfaire au critère à
61. Voir, par exemple, Tri-Tex c. Gideon, (1999) 1 C.P.R. (4th) 160 (C.A. Qué.) ; Diamant Toys Ltd. c. Jouet Bo-Jeux Toys Inc., (2002) 19 C.P.R. (4th) 43 (C.F.P.I.)
(« Diamant Toys ») ; Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain inc., [2002] 2
R.C.S. 336 (« Théberge »).
62. (2003) 28 C.P.R. (4th) 217 (C.F.P.I.) [Gianni avec renvois aux CarswellNat].
290
Les Cahiers de propriété intellectuelle
trois volets qui s’applique aux injonctions interlocutoires. Dans
le jugement Diamant Toys Ltd. v. Jouets Bo-Jeux Toys Inc.
(Fed. T.D.), le juge Nadon s’est fondé sur un ajout récent à la Loi
sur le droit d’auteur pour ordonner la saisie avant jugement
d’articles présumément contrefaits. Le juge Nadon a estimé
que, dans cette affaire, les demanderesses avaient établi un cas
prima facie de violation de leur droit d’auteur et que le paragraphe 38(1) de la Loi sur le droit d’auteur, conjointement avec
le paragraphe 377(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), permettaient aux demanderesses de saisir avant jugement tous les
exemplaires contrefaits des œuvres sur lesquelles elles possédaient un droit d’auteur, indépendamment du critère à trois
volets. On trouve dans la Loi sur les marques de commerce une
disposition semblable à l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur
[citations omises].
Bien que la saisie avant jugement puisse être un moyen efficace, il convient de noter que le paragraphe 38(1) ne concerne que le
titulaire du droit d’auteur. A contrario, ceci indique que ce recours
n’est pas valable si les droits invoqués sont les droits moraux. Cette
restriction fut confirmée par la Cour suprême du Canada dans
l’affaire Théberge, où l’on a tracé une distinction nette entre ces deux
droits. À la page 348, la Cour dit :
Par opposition, les droits moraux sont issus de la tradition civiliste. Ils consacrent une conception plus noble et moins mercantile du lien entre un artiste et son œuvre. Ils traitent l’œuvre de
l’artiste comme un prolongement de sa personnalité et lui attribuent une dignité qui mérite d’être protégée. Ils mettent
l’accent sur le droit de l’artiste (que celui-ci ne peut céder, mais
auquel il peut renoncer en vertu du par. 14.1(2)) de protéger
pendant la durée des droits économiques (même lorsque ceux-ci
ont été cédés à un tiers) l’intégrité de l’œuvre et sa paternité (ou
l’anonymat de l’artiste si c’est ce qu’il désire).
À la page 373, la Cour affirme clairement le principe en ces termes :
Je conviens avec le juge Gonthier que l’artiste ou l’auteur qui
allègue la violation d’un droit moral ne peut pas recourir à la
saisie avant jugement permise par l’art. 734 du Code de procédure civile du Québec.
La reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur
291
3.2 Les dommages-intérêts préétablis
En plus de la procédure préalablement décrite, la Loi prévoit
un autre recours intéressant : les dommages-intérêts préétablis63.
Cette sanction est particulièrement utile lorsqu’il est difficile de
faire la preuve des pertes subies. En vertu du paragraphe 38.1(1) de
la Loi, le demandeur peut opter pour des dommages-intérêts préétablis de 500 $ à 20 000 $ par œuvre. Voici le libellé de cette disposition :
Dommages-intérêts préétablis
Statutory damages
38.1. (1) Sous réserve du présent
article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou
l’ordonnance qui met fin au
litige, choisir de recouvrer, au
lieu des dommages-intérêts et
des profits visés au paragraphe
35(1), des dommages-intérêts
préétablis dont le montant, d’au
mo i n s 5 0 0 $ e t d ’ a u p l u s
20 000 $, est déterminé selon ce
que le tribunal estime équitable
en l’occurrence, pour toutes les
violations – relatives à une
œuvre donnée ou à un autre
objet donné du droit d’auteur –
reprochées en l’instance à un
même défendeur ou à plusieurs
défendeurs solidairement responsables.
38.1. (1) Subject to this section, a
copyright owner may elect, at
any time before final judgment is
rendered, to recover, instead of
damages and profits referred to
in subsection 35(1), an award of
statutory damages for all infringements involved in the proceedings, with respect to any one
work or other subject-matter, for
which any one infringer is liable
individually, or for which any two
or more infringers are liable jointly and severally, in a sum of not
less than $500 or more than
$20,000 as the court considers
just.
Dans la cause récente de Microsoft Corporation c. 9038-3746
Quebec Inc.64, la Cour fédérale, se fondant sur le paragraphe 38.1(1),
accorda à la demanderesse des dommages-intérêts préétablis de
500 000 $ (20 000 $ fois 25 œuvres violées). À noter que le paragraphe
38.1(1) ne mentionne pas le cas du titulaire des droits moraux. Par
63. Art. 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur.
64. Microsoft Corporation c. 9038-3746 Quebec Inc., (2007) 57 C.P.R. (4th) 204
(C.F.P.I.) (qui fait présentement l’objet d’un appel).
292
Les Cahiers de propriété intellectuelle
conséquent, suivant le raisonnement de l’arrêt Théberge, il semble
que les dommages-intérêts préétablis soient réservés au titulaire du
droit d’auteur et ne soient pas applicables au titulaire des droits
moraux. Néanmoins, la possibilité de demander des dommages-intérêts préétablis peut être très avantageuse dans certaines circonstances, surtout lorsque l’on considère que ce recours n’est pas prévu
dans la Loi sur les brevets, dans la Loi sur les marques de commerce
ni dans la Loi sur les dessins industriels.
CONCLUSION
Bien qu’il demeure vrai que la protection pour la plupart des
objets utilitaires produits à une échelle commerciale réside dans les
domaines des brevets et des dessins industriels, il ne faut pas négliger la Loi sur le droit d’auteur comme source possible de protection.
Autrement, on se prive d’une durée de protection qui excède de beaucoup celle qui est prévue dans la Loi sur les brevets et dans celle de la
Loi sur les dessins industriels, et n’oublions pas l’importance des
recours spécifiques au droit d’auteur. De fait, ce sont des exceptions à
la règle qui ne s’appliquent qu’à un nombre restreint de cas. C’est
pourquoi l’avocat prévoyant ne rend pas service à son client s’il
ignore ces dispositions précieuses et ne les utilise pas dans toute la
mesure du possible chaque fois que l’occasion se présente.
Vol. 20, no 2
Stratégie de protection intérimaire :
le caveat, la provisoire et
l’« informelle »
ou
La divulgation prohibée
Maria Dikeakos*
1. La protection d’une invention : de la conception
au brevet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
2. Protection intérimaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299
2.1 Le caveat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300
2.2 La demande de brevet provisoire
. . . . . . . . . . . 301
2.2.1
Sa raison d’être et ses exigences
. . . . . . . 302
2.2.2
Avantages et inconvénients . . . . . . . . . . 307
2.3 La demande de brevet informelle . . . . . . . . . . . 311
2.3.1
Exigences de dépôt . . . . . . . . . . . . . . . 312
2.3.2
Priorité et date de mise à la disponibilité
au Canada. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313
3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314
© CIPS, 2008.
* Maria Dikeakos, physicienne, Ph.D., est membre du secteur Brevets de LEGER
ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et
d’agents de brevets et de marques de commerce.
293
1. LA PROTECTION D’UNE INVENTION : DE LA
CONCEPTION AU BREVET
Une façon pour une entreprise de protéger les nouvelles technologies et le savoir-faire qu’elle a développés, ainsi que tous les avantages qui en découlent, est par le secret de fabrique. Toutefois, il
n’est pas toujours possible de garder la technologie secrète. Alors,
une autre option s’avère propice : l’obtention d’un brevet.
Qu’est-ce qu’un brevet ?
Un brevet est un titre de propriété temporaire délivré par le
gouvernement d’un pays à son titulaire, un inventeur ou à un ayant
droit, sur une invention. En échange, le titulaire remet au gouvernement une description complète de l’invention. Cette description est
rendue publique afin que les tiers puissent prendre connaissance et
tirer profit de l’innovation y décrite1.
D’un point de vue pratique, le droit conféré par un brevet est un
droit essentiellement négatif. La délivrance d’un brevet ne donne
pas le droit à son titulaire d’exploiter l’invention, c’est-à-dire de
fabriquer, d’employer, de vendre ou même d’importer l’invention,
mais plutôt elle donne le droit d’empêcher les tiers d’exploiter cette
même invention sans l’autorisation du breveté. Le brevet est donc un
titre de propriété couvrant un bien incorporel. Comme n’importe
quel titre de propriété, un brevet représente un actif que l’on peut
céder (vendre) ou licencier (louer) 2.
Le non-respect des droits du brevet peut être sanctionné par
une action engagée devant les tribunaux. Cependant, un brevet ne
produit des effets juridiques que dans le pays où le brevet a été
1. URL : http://strategis.ic.gc.ca/sc_mrksv/cipo/patents/e-filing/tell4-1f.htm consulté
le 29 octobre 2007.
2. Thierry ORLHAC, « Protection par brevet d’invention et secret de fabrique », dans
Colloque sur les enjeux de la propriété intellectuelle, organisé par l’École des Hautes
Études Commerciales, la Banque Nationale du Canada et Léger Robic
Richard/Robic à Montréal le 1996-10-24 ; disponible à http://www.robic.ca/publications/Pdf/190-TOR.pdf.
295
296
Les Cahiers de propriété intellectuelle
obtenu, et ce même s’il existe ce qu’on appelle des « brevets régionaux » et des « demandes de brevet international ». Pour obtenir une
protection étendue, il faut obtenir un brevet dans chaque pays où
une protection est souhaitée.
La protection conférée par un brevet n’est assurée que pour une
durée limitée, généralement pour vingt ans à compter de la date de
dépôt de la demande de brevet, à condition que les taxes de maintien
appropriées soient payées. Au delà de cette période, le titulaire perd
ses droits sur l’invention. Le brevet tombe alors dans le domaine
public, et l’invention peut donc être exploitée commercialement en
toute liberté par un tiers.
Toutefois, pendant que le brevet est en vigueur, il peut permettre au titulaire de capitaliser et de valoriser les efforts et les travaux de recherche et de développement qui ont été réalisés. Dans le
cadre de licences accordées à des partenaires, il peut permettre de
bien organiser l’exploitation de l’invention. Il peut aussi permettre
de mieux identifier le patrimoine intellectuel et, ainsi, la valeur pour
la société3.
Alors, comment obtenir un brevet ?
Bien que le demandeur veuille tirer profit de son invention aussitôt que possible, il faut éviter toute divulgation de l’invention avant
le dépôt d’une demande de brevet. En effet, la majorité des pays du
monde, sauf les États-Unis et le Canada, demande comme préalable
à l’obtention d’un brevet la nouveauté absolue. Dans ces pays, il est
impossible d’obtenir un brevet si l’invention a été divulguée. Le
Canada et les États-Unis prévoient une année de grâce, ou douze
mois, pour déposer une demande suite à la première divulgation
d’une invention, et sont donc une exception à la règle de nouveauté
absolue.
Une invention pour être brevetable doit remplir les trois conditions de base suivantes :
– être utile (c’est-à-dire être fonctionnelle et exploitable) 4 ;
3. URL : http://www.istia.univ-angers.fr/Innovation/CREATIVITY/brevet-intero.
html consulté le 29 octobre 2007.
4. Art. 2 de la Loi sur les brevets, L.R.C., (1985), ch. P-4, art. 2 ; ch. 33 (3e suppl.),
art. 1 ; L.C. 1992, ch. 1, art. 145, ann. VIII, no 21(F) ; 1993, ch. 2, art. 2 ; ch. 15,
art. 26 ; ch. 44, art. 189 ; 1994, ch. 47, art. 141.
Stratégie de protection intérimaire
297
– être nouvelle partout dans le monde5 ; et
– être non évidente au vu de l’ensemble de l’état de la technique dans
le même domaine ou dans des domaines connexes (c’est-à-dire
constituer un apport inventif)6.
Il est possible de faire breveter :
– un produit ;
– une composition ;
– un appareil ;
– un procédé qui produit quelque chose de vendable ou concret ;
– une amélioration d’un des éléments ci-haut ; et
– une nouvelle application de composés déjà connus.
Dans certains pays, il est possible aussi de faire breveter une
nouvelle forme de vie produite par génie génétique7, de nouvelles
méthodes de traitements médicaux, une méthode de faire des affaires et des logiciels et ce, dans la mesure où les critères requis de
« brevetabilité » sont satisfaits.
En général au Canada, et ce en vertu des articles 2 et 27(8) de la
Loi sur les brevets, il est impossible de faire breveter :
– de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques8 ;
5. Art. 28.2 de la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 15, art. 33.
6. Art. 28.3 de la Loi sur les brevets, L.C. 1993, ch. 15, art. 33.
7. Un exemple célèbre est le brevet aux États-Unis accordé à Harvard College en
1988, sous le numéro 4,736,866, qui revendique des animaux transgéniques :
« [a] transgenic non-human mammal, all of whose germ cells and somatic cells
contain a recombinant activated oncogene sequence introduced into said mammal,
or an ancestor of said mammal, at an embryonic stage ». Le brevet correspondant
au Canada a été accordé au Collège Harvard en octobre 2003 sous le numéro
1,341,442 seulement après un amendement à la demande suite à la décision de la
Cour suprême du Canada (Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets),
[2002] 4 R.C.S. 45) qui a établi qu’une forme de vie supérieure n’est pas brevetable
du fait qu’elle n’est ni une « fabrication » ni une « composition de matières » au sens
du mot « invention » figurant à l’art. 2 de la Loi sur les brevets.
8. Art. 27(8) de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27 ; ch. 33 (3e suppl.),
art. 8 ; L.C. 1993, ch. 15, art. 31 ; ch. 44, art. 192.
298
Les Cahiers de propriété intellectuelle
– les algorithmes sans application pratique9 ;
– une simple idée10 ; et
– une loi de la nature11.
La préparation et la poursuite d’une demande de brevet sont
des tâches complexes. Elles exigent une connaissance approfondie
du régime des brevets et des usages du Bureau des brevets. Pour
cette raison, ces tâches sont normalement confiées aux spécialistes
en la matière que sont les agents de brevets inscrits. Un agent de
brevets compétent s’assurera que la demande est bien rédigée afin
de protéger adéquatement l’invention.
Au Canada, aux États-Unis ainsi que dans de nombreux autres
pays, la préparation d’une demande de brevet comporte la préparation :
– des documents formels ;
– d’une description claire et complète de l’invention et de son utilité ;
– d’une ou des revendications qui délimitent l’étendue de la protection conférée par le brevet ;
– des dessins nécessaires à la compréhension de l’invention ; et
– d’un abrégé (un court résumé du mémoire descriptif).
Tel que mentionné ci-haut, la description de l’invention doit
permettre à tous de bien comprendre l’invention et de pouvoir la
reproduire et en bénéficier une fois le brevet expiré. Une description
insuffisante, erronée ou trompeuse pourrait mener à l’invalidation
d’un brevet.
La rédaction des revendications est également critique. Les
revendications doivent, d’une part, définir l’invention en termes
assez généraux pour avoir une portée maximale et assurer une protection maximale contre d’éventuels contrefacteurs et, d’autre part,
donner suffisamment de précisions pour bien identifier l’invention et
la différencier de toute invention précédente.
Art. 2 de la Loi sur les brevets, LRC, (1985), ch. P-4, art. 2 ; ch. 33 (3e suppl.), art.
1 ; L.C. 1992, ch. 1, art. 145, ann. VIII, no 21(F) ; 1993, ch. 2, art. 2 ; ch. 15, art. 26 ;
ch. 44, art. 189 ; 1994, ch. 47, art. 141.
10. Ibid.
11. Ibid.
9.
Stratégie de protection intérimaire
299
Une fois la demande préparée, elle doit être déposée auprès du
Bureau des brevets par le ou les inventeurs ou par leur ayant droit
(leur employeur, par exemple).
Dans la plupart des pays du monde, incluant le Canada, les brevets sont accordés au premier déposant. Aux États-Unis, les brevets
sont accordés au premier inventeur. Dans les deux cas, et surtout
dans le premier cas, il est important de déposer une demande aussi
rapidement que possible après la mise au point de l’invention afin de
revendiquer sa place et établir une date de priorité. D’autre part, si
l’invention n’est pas encore au point lorsque la demande est déposée,
il se peut que la description soit incomplète et qu’elle omette de
décrire des éléments qui pourraient éventuellement être considérés
comme essentiels et qui pourraient vicier le brevet obtenu ou nuire à
la portée de la protection. Dans un tel cas, on peut envisager le dépôt
d’une autre demande, ce qui par contre engendrera des coûts supplémentaires et risquera d’occasionner des complications au plan des
brevets. Au pire, l’obtention d’un brevet utile n’est plus possible.
Des coûts importants sont associés à la préparation et au dépôt
d’une demande de brevet. Ces coûts incluent les taxes gouvernementales et les honoraires de l’agent de brevets. Une protection étendue
par brevet peut comporter alors des coûts très élevés à court terme.
Les coûts à long terme, associés à la poursuite de la demande, à la
délivrance de l’éventuel brevet et au maintien du brevet, peuvent
aussi s’avérer très élevés. Ces coûts forcent souvent le demandeur à
abandonner ses droits de propriété dans des marchés pourtant prometteurs.
Bien qu’on puisse tirer profit des conventions régionales et des
traités internationaux pour retarder les coûts, existe-t-il une ou
d’autres options ?
2. PROTECTION INTÉRIMAIRE
Une protection intérimaire de l’invention, qui ne nécessite pas
les dépenses et les actions nécessaires à l’obtention de la pleine protection légale que confère la demande de brevet régulière (dite
« demande de brevet complète » ou « demande de brevet formelle »)
avant d’avoir déterminé le potentiel commercial de l’invention, peut
s’avérer une stratégie de protection efficace.
300
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1 Le caveat
Jusqu’en 1909, aux États-Unis, on avait le choix de déposer soit
un caveat soit une demande de brevet regulière.
Le caveat était un document juridique confidentiel, déposé
auprès du Bureau des brevets des États-Unis, servant d’avis officiel
de l’intention de déposer une demande de brevet régulière à une date
ultérieure12. L’objectif principal du caveat était d’empêcher l’octroi
d’un brevet pour la même invention à un inventeur rival pendant la
mise au point de l’invention par l’inventeur. Le caveat expirait un an
après son dépôt, mais était renouvelable par paiements annuels de
frais d’extension.
Similaire à une demande de brevet régulière, le caveat comportait un mémoire descriptif de l’invention (bien que moins détaillé) et
des dessins. Toutefois, il ne comportait pas de revendications. Le
dépôt d’un caveat était moins coûteux que le dépôt d’une demande
régulière, et il n’y avait pas de coût associé à la rédaction des
revendications.
12. Art. 12 de la Loi des brevets des États-Unis de 1836 :
« And be it further enacted, That any citizen of the United States, or alien who
shall have been resident in the United States one year next preceding, and shall
have made oath of his intention to become a citizen thereof, who shall have
invented any new art, machine, or improvement thereof, and shall desire further
time to mature the same, may, on paying to the credit of the Treasury, in manner
as provided in the ninth section of this act, the sum of twenty dollars, file in the
Patent Office a caveat, setting forth the design and purpose thereof, and its principal and distinguishing characteristics, and praying protection of his right till he
shall have matured his invention ; which sum of twenty dollars, in case the person filing such caveat shall afterwards take out a patent for the invention therein
mentioned, shall be considered a part of the sum herein required for the same.
And such caveat shall be filed in the confidential archives of the Office, and preserved in secrecy. And if application shall be made by any other person within one
year from the time of filing such caveat, for a patent of any invention with which
it may in any respect interfere, it shall be the duty of the Commissioner to
deposite the description, specifications, drawings, and model, in the confidential
archives of the Office, and to give notice, by mail, to the person filing the caveat, of
such application, who shall, within three months after receiving the notice, if he
would avail himself of the benefit of his caveat, file his description, specifications,
drawings, and model ; and if, in the opinion of the Commissioner, the specifications of claim interfere with each other, like proceedings may be had in all
respects as are in this act provided in the case of interfering applications : Provided, however, That no opinion or decision of any board of examiners, under the
provisions of this act, shall preclude any person interested in favor of or against
the validity of any patent which has been or may hereafter be granted, from the
right to contest the same in any judicial court in any action in which its validity
may come in question. »
Stratégie de protection intérimaire
301
Lorsqu’une demande de brevet était déposée par un inventeur
rival dans l’année suivant le dépôt du caveat, le Commissaire des
brevets avait l’obligation de prévenir l’inventeur ayant déposé le
caveat de l’existence de cette demande. Une fois l’existence de la
demande signalée, l’inventeur disposait d’un délai de trois mois pour
déposer une demande de brevet régulière incluant des revendications. Si la même invention était revendiquée par les deux demandes
de brevets en question, on déclarait une interférence, et aucun brevet n’était octroyé avant de déterminer lequel des deux inventeurs
était le premier à avoir inventé l’invention. Il faut noter qu’un caveat
ne garantissait ni l’octroi d’un brevet ni la portée de la protection
éventuellement obtenue par le brevet.
Un exemple célèbre est le caveat déposé le 28 décembre 1871
par Antonio Meucci pour son dispositif téléphonique innovateur13.
Lorsqu’en 1874 il fut temps de renouveler le caveat sur son invention, Antonio Meucci omit de le faire, et le caveat fut présumé abandonné. Cette situation ouvrit la porte à Alexander Graham Bell et
Elisha Gray. Les deux inventeurs avaient déposé leurs demandes
respectives le même jour, soit le 14 février 1876, Alexander Graham
Bell devançant Elisha Gray de deux heures. Par conséquent, le
7 mars 1876, le brevet 174,465 portant sur « une amélioration en
télégraphie » fut accordé à Alexander Graham Bell. Par la suite,
Alexandre Graham Bell fut reconnu comme étant l’inventeur du
téléphone. En 1887, le gouvernement des États-Unis tenta de faire
annuler le brevet d’Alexander Graham Bell pour raison de fraude et
de fausse représentation. Cependant, étant donné le décès d’Antonio
Meucci en 1889 et l’expiration du brevet d’Alexander Graham Bell
en janvier 1893, l’affaire se termina sans que le véritable inventeur
du téléphone ayant droit au brevet puisse être déterminé. Fait intéressant à noter, l’empire de la compagnie de téléphone Bell qui s’est
développé au vingtième siècle fut créé sur la base de ce brevet
litigieux.
2.2 La demande de brevet provisoire
Depuis le 8 juin 1995, il est possible de déposer une demande de
brevet provisoire auprès du Bureau des brevets des États-Unis, le
13. Julie M. FENSTER et Douglas BRINKLEY, « Inventing the Telephone – And
Triggering All-Out Patent War », AmericanHeritage.com, URL http://www.
americanheritage.com/events/articles/web/20060307-alexander-graham-belltelephone-patent-telegraph-elisha-gray-thomas-watson-gardiner-hubbardwestern-union-thomas-edison.shtml, mis en ligne le 7 mars 2006 (site consulté le
29 octobre 2007).
302
Les Cahiers de propriété intellectuelle
USPTO (« United States Patent and Trademark Office »)14. Comme
son nom l’indique, la demande de brevet provisoire est une demande
de brevet déposée à titre intérimaire, avant le dépôt d’une demande
régulière.
2.2.1 Sa raison d’être et ses exigences
La demande de brevet provisoire a été conçue, d’une part, pour
offrir aux inventeurs un premier dépôt de demande aux États-Unis
simple et moins coûteux et, d’autre part, pour créer une parité entre
les demandeurs américains et les demandeurs étrangers sous
l’« Uruguay Round » du GATT (« General Agreement on Tariffs and
Trade »)15.
Le dépôt d’une demande de brevet provisoire est une alternative très intéressante pour les inventeurs qui n’ont pas les moyens,
ou le temps, de procéder à un dépôt d’une demande de brevet régulière immédiatement. La demande de brevet provisoire est une
demande de brevet nationale comportant très peu de formalités et
permettant à l’inventeur d’établir un droit de « priorité » pour un coût
initial modique (voir l’article 35 U.S.C. § 111(b)).
La préparation d’une demande de brevet provisoire comprend
généralement :
– la préparation d’une description détaillée, claire, concise et exacte
de l’invention et de la meilleure façon envisagée de réaliser l’invention, afin de permettre à toute personne versée dans le domaine de
reproduire et utiliser l’invention, en conformité avec l’article 35
U.S.C. §112, premier alinéa16 ; et
– la préparation de tout dessin nécessaire à la compréhension de
l’invention préparé en conformité avec l’article 35 U.S.C. §11317.
14. URL : http://www.uspto.gov/web/offices/pac/provapp.htm consulté le 11 octobre
2007.
15. Législation (P.L. 103-465) signée le 8 décembre 1994. Les dispositions sur les
demandes provisoires et la durée de validité d’un brevet sont entrées en vigueur
le 8 juin 1995.
16. Art. 35 U.S.C. §112 Specification :
« The specification shall contain a written description of the invention, and of the
manner and process of making and using it, in such full, clear, concise, and exact
terms as to enable any person skilled in the art to which it pertains, or with which
it is most nearly connected, to make and use the same, and shall set forth the best
mode contemplated by the inventor of carrying out his invention. ».
17. Art. 35 U.S.C. §113 Drawings :
« The applicant shall furnish a drawing where necessary for the understanding of
the subject matter sought to be patented. When the nature of such subject matter
Stratégie de protection intérimaire
303
La demande provisoire n’exige pas la préparation de revendication(s) délimitant la portée de l’invention. De plus, une demande provisoire n’a pas besoin de se plier à un format particulier. Pour
compléter le dépôt d’une demande provisoire, il n’est pas nécessaire
de déposer une déclaration d’inventeur ni une liste de l’art antérieur
(« Information Disclosure Statement »). La demande n’a qu’à être
accompagnée de la taxe de dépôt et des informations suivantes :
– le nom et la résidence de tous les inventeurs ;
– le titre de l’invention ;
– le nom et le numéro d’enregistrement de l’avocat ou de l’agent ;
– l’adresse de correspondance ; et
– toute agence gouvernementale ayant un intérêt propriétaire.
Bien qu’il y ait très peu de conditions à remplir pour le dépôt
d’une demande provisoire, la demande doit toujours fournir suffisamment d’informations pour permettre à toute personne versée
dans le domaine de reproduire et utiliser l’invention. Il ne suffit pas
de décrire une nouvelle idée ou un nouveau concept ; il faut que
l’objet de la demande réponde aux critères de « brevetabilité » mentionnés ci-haut.
La demande provisoire n’a pas besoin de décrire l’invention
dans ses moindres détails secondaires, d’autant plus que certains de
ces détails restent souvent à définir. Il est important que les éléments essentiels de l’invention soient bien décrits. De ce fait, lorsqu’un appareil fait l’objet d’une demande de brevet, il est fortement
recommandé, voire essentiel, que sa description s’accompagne de
dessins illustrant clairement ses éléments essentiels et ses aspects
nouveaux18. Pour pouvoir bénéficier de la date de priorité de la
demande provisoire, l’objet de l’invention revendiquée dans toute
demande régulière ultérieure ne peut pas s’étendre au delà du
admits of illustration by a drawing, and the applicant has not furnished such a
drawing, the Director may require its submission within a time period of not less
than two months from the sending of a notice thereof. Drawings submitted after
the filing date of the application may not be used (i) to overcome any insufficiency
of the specification due to lack of an enabling disclosure or otherwise inadequate
disclosure therein, or (ii) to supplement the original disclosure thereof for the
purpose of interpretation of the scope of any claim. ».
18. Ian COCKBURN, « La demande de brevet provisoire – outil important lorsqu’il se
trouve en de bonnes mains », URL : http://www.wipo.int/sme/fr/documents/
prov_application.htm consulté le 29 octobre 2007.
304
Les Cahiers de propriété intellectuelle
contenu de la demande provisoire. Une description inadéquate peut
mener à une perte des droits sur l’invention et, ainsi, avoir des conséquences désastreuses. Quelques cas particulièrement intéressants
sont présentés dans la section suivante.
Si après le dépôt d’une demande provisoire et lors de la mise au
point de l’invention il y a eu des modifications à l’invention, pour établir une date de priorité pour celles-ci, il serait souhaitable de déposer aussitôt que possible soit une deuxième demande provisoire
décrivant ces modifications, en autant que la demande régulière
ultérieure soit déposée dans l’année suivant le dépôt de la première
demande provisoire puisqu’elle pourra revendiquer la priorité des
deux demandes provisoires, soit une demande régulière décrivant
l’invention incluant ces modifications. La première demande provisoire établira la priorité de la matière originale qui y est décrite et la
deuxième demande, provisoire ou régulière le cas échéant, établira
la priorité de la nouvelle matière qui y est décrite.
La Convention de Paris établit que chacun des pays membres
de la Convention doit accorder aux résidents des autres pays membres les mêmes droits qu’il accorde à ses propres résidents, à savoir le
même type de brevet et la même protection. De plus, la Convention
de Paris accorde aux demandeurs un délai d’un an à compter de la
date de dépôt d’une première demande pour étendre sa protection
dans les autres pays membres de la Convention. Si cette extension de
protection est faite à l’intérieur de cette année, dite « prioritaire »,
commençant à partir de la date de dépôt de la première demande
dans le pays d’origine, ces demandes ultérieures se verront accorder
la même date de dépôt que la première demande. Le dépôt d’une
demande provisoire fait partir le compteur de cette année prioritaire
de la Convention de Paris19.
19. La Convention de Paris, signée le 20 mars 1883 et modifiée le 28 septembre 1979 ;
Article 4A :
« (1) Celui qui aura régulièrement fait le dépôt d’une demande de brevet d’invention, d’un modèle d’utilité, d’un dessin ou modèle industriel, d’une marque de
fabrique ou de commerce, dans l’un des pays de l’Union, ou son ayant cause,
jouira, pour effectuer le dépôt dans les autres pays, d’un droit de priorité pendant
les délais déterminés ci-après.
Article 4C :
(1) Les délais de priorité mentionnés ci-dessus seront de douze mois pour les brevets d’invention et les modèles d’utilité, et de six mois pour les dessins ou modèles
industriels et pour les marques de fabrique ou de commerce.
(2) Ces délais commencent à courir de la date du dépôt de la première demande ;
le jour du dépôt n’est pas compris dans le délai.
(3) Si le dernier jour du délai est un jour férié légal, ou un jour où le Bureau n’est
pas ouvert pour recevoir le dépôt des demandes dans le pays où la protection est
réclamée, le délai sera prorogé jusqu’au premier jour ouvrable qui suit.
Stratégie de protection intérimaire
305
L’article 35 U.S.C. §119(e)20 de la Loi des brevets aux ÉtatsUnis prévoit que pour bénéficier de la date de priorité établie par la
demande provisoire, la demande de brevet régulière ultérieure doit
spécifiquement réclamer cette priorité. La durée d’une demande de
brevet provisoire n’est que douze mois à partir de sa date de dépôt et
ne peut pas être prolongée. Par conséquent, l’inventeur qui veut
réclamer la priorité de la demande provisoire doit le faire dans le
délai prescrit de douze mois. Sinon, et sous réserve que la demande
provisoire ne soit pas convertie en demande régulière, elle deviendra
irrévocablement abandonnée à la fin des douze mois.
L’inventeur ayant déposé une demande de brevet provisoire a
donc un délai de douze mois à partir de la date de « priorité » pour
déposer une demande de brevet régulière21. Pendant cette période de
(4) Doit être considérée comme première demande dont la date de dépôt sera le
point de départ du délai de priorité, une demande ultérieure ayant le même objet
qu’une première demande antérieure au sens de l’alinéa 2 ci-dessus, déposée
dans le même pays de l’Union, à la condition que cette demande antérieure, à la
date du dépôt de la demande ultérieure, ait été retirée, abandonnée, ou refusée,
sans avoir été soumise à l’inspection publique et sans laisser subsister de droits,
et qu’elle n’ait pas encore servi de base pour la revendication du droit de priorité.
La demande antérieure ne pourra plus alors servir de base pour la revendication
du droit de priorité. ».
20. 35 U.S.C. § 119(e) :
« (1) An application for patent filed under section 111(a) or section 363 of this title
for an invention disclosed in the manner provided by the first paragraph of section 112 of this title in a provisional application filed under section 111(b) of this
title, by an inventor or inventors named in the provisional application, shall have
the same effect, as to such invention, as though filed on the date of the provisional
application filed under section 111(b) of this title, if the application for patent
filed under section 111(a) or section 363 of this title is filed not later than 12
months after the date on which the provisional application was filed and if it
contains or is amended to contain a specific reference to the provisional application. No application shall be entitled to the benefit of an earlier filed provisional
application under this subsection unless an amendment containing the specific
reference to the earlier filed provisional application is submitted at such time
during the pendency of the application as required by the Director. The Director
may consider the failure to submit such an amendment within that time period
as a waiver of any benefit under this subsection. The Director may establish procedures, including the payment of a surcharge, to accept an unintentionally
delayed submission of an amendment under this subsection during the pendency
of the application.
(2) A provisional application filed under section 111(b) of this title may not be
relied upon in any proceeding in the Patent and Trademark Office unless the fee
set forth in subparagraph (A) or (C) of section 41(a)(1) of this title has been paid.
(3) If the day that is 12 months after the filing date of a provisional application
falls on a Saturday, Sunday, or Federal holiday within the District of Columbia,
the period of pendency of the provisional application shall be extended to the next
succeeding secular or business day. ».
21. Il ne faut pas confondre l’année prioritaire avec l’année de grâce accordée au
Canada et aux États-Unis pour le dépôt d’une demande de brevet après une
divulgation de l’invention.
306
Les Cahiers de propriété intellectuelle
douze mois, l’inventeur a avantageusement l’opportunité de pouvoir
mettre au point l’invention et sonder le marché sans risquer de
perdre son droit à l’obtention d’un brevet dans les pays demandant la
nouveauté absolue, et sans risquer de se faire voler son invention. La
demande provisoire lui confère également le droit temporaire d’indiquer « brevet en instance » (« Patent Pending ») sur le produit, afin de
dissuader les concurrents et contrefacteurs éventuels.
Une fois la demande de brevet provisoire déposée, l’inventeur a
le choix, dans le délai prescrit de douze mois suivant la date de dépôt
de celle-ci, de i) déposer une demande régulière complète, réclamant
la priorité de la demande provisoire ou, ii) en vertu de l’article
37 CFR §1.53(c)(3)22, de convertir la demande provisoire déposée en
une demande régulière. Dans le premier cas, la demande de brevet
régulière se verra accorder la date de priorité de la demande provisoire, mais la durée de validité du brevet sera de vingt ans à compter
de la date de dépôt de la demande régulière. En effet, en déposant
d’abord une demande de brevet provisoire, suivie douze mois plus
tard de la demande régulière, on obtient dans les faits un brevet
d’une durée de validité de vingt et un ans. Dans le deuxième cas, la
demande de brevet provisoire est elle-même convertie en demande
de brevet régulière, dite « complète », et la durée du brevet obtenu est
de vingt ans de la date de priorité.
Bien que la conversion d’une demande provisoire soit possible,
elle peut s’avérer difficile. L’ajout de matière, tel que des revendications, pourrait être considéré comme un ajout de « matière nouvelle », ce qui n’est pas permis. De plus, la conversion d’une demande
provisoire est plus complexe au niveau des formalités de préparation
et de dépôt qu’une demande régulière réclamant la priorité de la
demande provisoire. La conversion nécessite en effet la préparation
d’un amendement préliminaire pour ajouter des revendications,
d’une pétition de conversion, etc. Toutefois, le principal inconvénient
est l’effet négatif sur la durée de validité du brevet qui ne sera que de
vingt ans à compter de la date de dépôt de la demande provisoire,
c’est-à-dire un an de moins que dans le premier cas. La conversion
d’une demande provisoire en demande régulière présente donc très
peu, voire même aucun avantage pour un déposant.
22. La loi a été modifiée par le A.I.P.A. (« American Inventors Act of 1999 ») pour permettre la conversion d’une demande provisoire à une demande de brevet régulière même si la demande provisoire ne comprend pas de revendications. Cette
modification avait pour but de faire face aux préoccupations émises par certains à
l’effet qu’une demande provisoire ne se qualifiait pas comme demande prioritaire
parce qu’elle ne pourrait pas aboutir à une demande régulière.
Stratégie de protection intérimaire
307
2.2.2 Les avantages et les inconvénients
Bien que les demandes provisoires soient très pratiques, elles
peuvent présenter certains inconvénients. On retrouve sur le site
internet du Bureau des brevets des États-Unis (USPTO) ainsi que
sur celui de l’Office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI ,
« WIPO » étant l’acronyme anglais) une liste des avantages et inconvénients23. Les deux listes non exhaustives qui suivent sont un
résumé de ce qui se retrouve sur ces sites.
Avantages :
(i)
Le dépôt d’un demande provisoire est relativement peu coûteux.
(ii)
La préparation de la demande est relativement facile, n’exigeant pas la rédaction des revendications et nécessitant peu de
formalités.
(iii) La demande provisoire se voit conférer un statut « prioritaire »
avec un numéro provisoire de brevet, aux États-Unis, et une
date de priorité.
(iv) Le dépôt d’une demande régulière, dite « complète », peut être
repoussé d’un an par le dépôt d’une demande provisoire.
(v)
La demande provisoire permet de marquer « brevet en instance » (« Patent Pending ») sur le produit.
(vi) Elle permet de commencer l’exploitation commerciale, de sonder les marchés potentiels et de rechercher d’éventuels distributeurs ou candidats à l’octroi d’une licence.
(vii) Si une demande provisoire est simplement abandonnée sans
avoir servi de demande prioritaire pour une demande régulière, le texte de cette demande provisoire reste secret et n’est
pas publié en conformité avec l’article 35 U.S.C. §122(b)24.
23. URL : http://www.uspto.gov/web/offices/pac/provapp.htm consulté le 11 octobre
2007 ; IAN COCKBURN, « La demande de brevet provisoire – outil important
lorsqu’il se trouve en de bonnes mains », URL : http://www.wipo.int/sme/fr/
documents/prov_application.htm consulté le 29 octobre 2007.
24. Art. 35 U.S.C. 122 « Confidential status of applications ; publication of patent
applications :
(b) PUBLICATION.(1) IN GENERAL.(A) Subject to paragraph (2), each application for a patent shall be published, in
accordance with procedures determined by the Director, promptly after the expi-
308
Les Cahiers de propriété intellectuelle
(viii) Il est possible de déposer de multiples demandes de brevet provisoires sur une invention et de les consolider en une seule
demande de brevet régulière.
(ix) Dans les faits, une durée de brevet de vingt et un ans, au lieu de
vingt ans, est possible. La durée actuelle d’un brevet est calculée à compter de la date de dépôt de la demande régulière et
non de la date de dépôt de la demande provisoire.
(x)
Un inventeur peut déposer une demande provisoire quelle que
soit sa citoyenneté.
Inconvénients :
(i)
Si le délai prescrit pour déposer une demande régulière expire,
les bénéfices de la demande de brevet provisoire ne peuvent pas
être réclamés.
(ii)
Une demande provisoire n’aboutira pas en soi à un brevet ; une
demande de brevet régulière réclamant la priorité de la
demande provisoire doit être déposée à l’intérieur des douze
mois de la date de dépôt de la demande provisoire, ou une pétition en vertu de l’article 37 CFR 1.53(c)(3) doit être soumise
pour convertir la demande provisoire en demande régulière.
(iii) Il n’existe pas de demande provisoire pour les dessins industriels.
(iv) Il n’y a pas d’examen de fond d’une demande provisoire. Une
demande de brevet provisoire ne sera examinée par l’USPTO
que pour vérifier la priorité réclamée par une demande régulière.
ration of a period of 18 months from the earliest filing date for which a benefit is
sought under this title. At the request of the applicant, an application may be
published earlier than the end of such 18-month period.
(B) No information concerning published patent applications shall be made available to the public except as the Director determines.
(C) Notwithstanding any other provision of law, a determination by the Director
to release or not to release information concerning a published patent application
shall be final and nonreviewable.
(2) EXCEPTIONS.(A) An application shall not be published if that application is(i) no longer pending ;
(ii) subject to a secrecy order under section 181 of this title ;
(iii) a provisional application filed under section 111(b) of this title ; or
(iv) an application for a design patent filed under chapter 16 of this title. »
Stratégie de protection intérimaire
(v)
309
Une demande provisoire ne peut pas revendiquer la priorité
d’une demande de brevet, étrangère ou nationale, antérieurement déposée.
(vi) S’il y a plusieurs inventeurs, chaque inventeur doit être indiqué dans la demande provisoire.
(vii) La demande de brevet régulière ultérieure doit avoir au moins
un inventeur en commun avec la demande provisoire pour
réclamer la priorité de la demande provisoire.
(viii) Il n’est pas possible d’apporter des amendements à la demande
provisoire.
Les avantages sont clairs. Le dépôt d’une demande provisoire
permet au demandeur d’établir une date de priorité tout en repoussant la décision de déposer une demande régulière de douze mois.
Toutefois, le dépôt d’une demande de brevet provisoire mal rédigée,
tel que mentionné ci-dessous, peut avoir des conséquences fâcheuses25.
Les auteurs Gunderman et Hammond26 nous donnent l’exemple suivant d’une telle situation fâcheuse. Une demande de brevet
provisoire décrivant le prototype de l’invention est rédigée et déposée rapidement avant la foire-exposition. Dans l’année qui suit, le
demandeur se rend compte que le prototype n’est qu’une réalisation
particulière de l’invention et qu’une réalisation plus générale est
possible. Le dilemme du demandeur : déposer une demande de brevet régulière qui a une portée étroite fondée sur la description de la
demande provisoire et risquer d’avoir un brevet avec peu de valeur
commerciale ou déposer une demande de brevet régulière qui a une
portée plus large mais qui ne réclame pas la priorité de la demande
de brevet provisoire et risquer qu’une tierce partie ait déposé une
demande de brevet sur la même invention avant le demandeur. Dans
le recueil des règles sur les brevets (« Manual of Patent Examination
25. MPEP 2163.03
« 2163.03 Typical Circumstances Where Adequate Written Description Issue
Arises
A description requirement issue can arise in a number of different circumstances
where it must be determined whether the subject matter of a claim is supported
in an application as filed. See MPEP § 2163 for examination guidelines pertaining to the written description requirement. ».
26. Robert D. GUNDERMAN et John M. HAMMOND, « File Now, Pay Later »,
URL : http://www.spectrum.ieee.org/print/5125 consulté le 29 octobre 2007.
310
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Procedure (MPEP) ») issu du Bureau des brevets des États-Unis
(USPTO)27, il est déclaré que la description doit décrire l’invention
revendiquée avec suffisamment de détails afin de permettre à une
personne dans le domaine de conclure que l’inventeur était en possession de l’invention revendiquée. L’inventeur démontre qu’il est en
possession de l’invention revendiquée en décrivant l’invention avec
toutes ses limitations. Bien entendu, le dilemme du demandeur
aurait été évité si la demande de brevet provisoire avait été rédigée
soigneusement.
Un deuxième exemple nous vient de l’affaire Phillips v. AWH
Corp28 aux États-Unis. Le Circuit Fédéral a affirmé que les revendications dans une demande régulière doivent être tout d’abord interprétées à la lumière de la description et du dossier de poursuite
(c’est-à-dire les échanges du demandeur avec le Bureau des brevets)
et non en utilisant des sources extrinsèques tels les dictionnaires.
Alors, pour bénéficier de la date de priorité établie par la demande de
brevet provisoire, il est encore plus important suite à l’affaire Phillip
v. AWH Corp de s’assurer que la description de la demande de brevet
provisoire décrit clairement le sens et la signification des expres27. MPEP 2163 :
« I. GENERAL PRINCIPLES GOVERNING COMPLIANCE WITH THE
«WRITTEN DESCRIPTION» REQUIREMENT FOR APPLICATIONS
...“The ‘written description’ requirement implements the principle that a patent
must describe the technology that is sought to be patented ; the requirement serves both to satisfy the inventor’s obligation to disclose the technologic knowledge
upon which the patent is based, and to demonstrate that the patentee was in possession of the invention that is claimed.” Capon v. Eshhar, 418 F.3d 1349, 1357,
76 USPQ2d 1078, 1084 (Fed. Cir. 2005). ). Further, the “written description
requirement” promotes the progress of the useful arts by ensuring that patentees
adequately describe their inventions in their patent specifications in exchange
for the right to exclude others from practicing the invention for the duration of
the patent’s term. [...] An applicant shows possession of the claimed invention by
describing the claimed invention with all of its limitations using such descriptive
means as words, structures, figures, diagrams, and formulas that fully set forth
the claimed invention. Lockwood c. American Airlines, Inc., 107 F.3d 1565, 1572,
41 USPQ2d 1961, 1966 (Fed. Cir. 1997). Possession may be shown in a variety of
ways including description of an actual reduction to practice, or by showing that
the invention was “ready for patenting” such as by the disclosure of drawings or
structural chemical formulas that show that the invention was complete, or by
describing distinguishing identifying characteristics sufficient to show that the
applicant was in possession of the claimed invention. See, e.g., Pfaff v. Wells
Elecs., Inc., 525 U.S. 55, 68, 119 S.Ct. 304, 312, 48 USPQ2d 1641, 1647 (1998) ;
Eli Lilly, 119 F.3d at 1568, 43 USPQ2d at 1406 ; Amgen, Inc. v. Chugai Pharmaceutical, 927 F.2d 1200, 1206, 18 USPQ2d 1016, 1021 (Fed. Cir. 1991) (one must
define a compound by “whatever characteristics sufficiently distinguish it”). ».
28. Phillips v. AWH Corp., United States Court of Appeals for the Federal Circuit
03-1269, -1286, arrêt du 12 juillet 2005.
Stratégie de protection intérimaire
311
sions utilisées pour revendiquer l’invention. Ceci peut s’avérer difficile en l’absence de revendications formelles. La meilleure approche
pour contourner ce problème est d’inclure dans la description de
l’invention de langage des revendications 29.
Un autre exemple des risques d’une demande provisoire mal
rédigée est décrit dans New Railhead Mfg. v. Vermeer Mfg. Co. &
Earth Tool. Co.30. New Railhead Manufacturing LLC était titulaire
des brevets US 5,899,283 et US 5,950,743 visant un foret pour le
forage horizontal des formations rocheuses et une méthode pour le
forage horizontal des formations rocheuses. New Railhead Mfg a
poursuivi en justice Vermeer Manufacturing Co. et Earth Tool Co.
pour contrefaçon. Toutefois, la Cour a jugé que les deux brevets de
New Railhead Mfg étaient invalides. New Railhead Mfg a fait appel
à la Cour d’appel pour le Circuit Fédéral et, en juillet 2002, la Cour
d’Appel pour le Circuit Fédéral a conclu que le brevet US 5,899,283
délivré réclamant la priorité d’une demande provisoire était invalide
à cause d’une description insuffisante et, par conséquent, d’un manque de support de l’invention dans la demande provisoire. Une fois la
priorité du brevet tombée, le brevet a été jugé invalide pour manque
de nouveauté car le produit de l’invention avait été vendu plus d’un
an avant la date de dépôt de la demande de brevet régulière.
2.3 La demande de brevet informelle
Il existe au Canada un type de demande de brevet, dite « informelle » ou « incomplète », permettant d’obtenir essentiellement les
mêmes avantages qu’une demande provisoire aux États-Unis,
notamment l’obtention d’une date de priorité internationale. Il est à
noter que, grâce à la Convention de Paris, peu importe le pays où la
demande prioritaire est déposée, le droit de priorité qu’elle permet
d’obtenir est international, c’est-à-dire valable pour tous les pays
membres de la Convention de Paris où une demande de brevet régulière sera ultérieurement déposée en réclamant la priorité de cette
première demande.
29. Dennis CROUCH, « Including Claims in Provisional Patent Applications ? »,
16 septembre 2005, URL : http://www.patentlyo.com/patent /2005/09/including_
claim.html consulté le 29 octobre 2007 ; Todd L. JUNEAU, « Why Provisionals
Need Claims », Journal of the Association of University Technology Managers,
(2006), 18-2, p. 60-75.
30. New Railhead Mfg. v. Vermeer Mfg. Co. & Earth Tool. Co., 63 U.S.P.Q. (2d) 1843.
312
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.3.1 Exigences de dépôt
Les changements à la Loi sur les brevets du Canada entrés en
vigueur le 1er octobre 1996 ont permis un certain relâchement des
conditions à satisfaire pour se voir accorder une date de dépôt d’une
demande de brevet au Canada31 (voir Recueil des pratiques du
Bureau des brevets, Chapitre 5).
Une demande de brevet au Canada doit être adressée au « Commissaire aux brevets » et est réputée déposée le jour où elle est livrée
au Bureau des brevets, ou à un établissement désigné par le Commissaire dans la Gazette du Bureau des brevets pour recevoir la correspondance qui lui est adressée.
Pour obtenir une date de dépôt, conformément au paragraphe
28(1) de la Loi sur les brevets, il faut qu’une demande soit conforme
aux exigences de l’article 93 des Règles sur les brevets. Elle doit comprendre :
– une indication, en anglais ou en français, selon laquelle la délivrance d’un brevet canadien est demandée ;
– le nom du demandeur ;
– l’adresse du demandeur ou de son agent de brevet ;
– une description de l’invention, rédigée en anglais ou en français ; et
– la taxe de dépôt, conformément au paragraphe 27(2) de la Loi sur
les brevets et décrite à l’article 1 de l’annexe II des Règles sur les
brevets.
Pour qu’une demande de brevet soit jugée complète, elle doit
également satisfaire aux exigences de forme concernant la présentation des documents (voir articles 68, 69 et 70 des Règles sur les brevets) et aux exigences du paragraphe 94(1) des Règles sur les brevets
concernant la transmission de certains renseignements et documents. Ces renseignements et documents sont les suivants :
– une pétition conforme à l’article 77 des Règles sur les brevets ;
31. Isabelle GIRARD, « Protéger le droit de priorité à une invention par le dépôt d’une
demande de brevet informelle », Bulletin ROBIC de l’été 2002 (vol. 6, no 3), disponible à http://www.robic.ca/publications/Pdf/068.047F %20E02.pdf.
Stratégie de protection intérimaire
313
– un abrégé ;
– une (ou plusieurs) revendication(s) ;
– un dessin auquel renvoie la description ;
– un listage de séquences, s’il est exigé par l’alinéa 111 des Règles sur
les brevets ;
– la nomination d’un agent de brevets, si elle est exigée par l’article
20 des Règles sur les brevets ;
– la nomination d’un coagent de brevets, si elle est exigée par
l’article 21 des Règles sur les brevets ;
– la désignation d’un représentant, si elle est exigée par l’article 29
de la Loi sur les brevets.
2.3.2 Priorité et date de mise à la disponibilité au Canada
Pour obtenir une date de dépôt la plus hâtive possible, et ainsi
établir une date de priorité favorable, l’inventeur peut déposer une
demande incomplète, dite « informelle », qui ne contient que les documents nécessaires pour obtenir une date de dépôt. Cependant, il est
important que la description de l’invention soit détaillée, claire,
concise, exacte et la plus complète possible, afin que la demande
formelle éventuelle puisse validement réclamer la priorité de la
demande informelle. Si nécessaire dans l’année suivant le dépôt
d’une demande informelle initiale, il est possible de déposer des
demandes informelles additionnelles pour protéger des modifications ou des ajouts à l’invention décrite dans la demande informelle
initiale. Le cas échéant, les priorités de toutes ces demandes informelles peuvent être réclamées lors du dépôt de la demande
formelle32.
L’inventeur dispose de douze mois à partir de la date de dépôt
de la demande informelle pour déposer une demande formelle (complète) dans tout pays où une protection par brevet est souhaitée et
bénéficier des droits de priorité de la demande informelle. Pendant
cette période de douze mois, la demande informelle confère à l’invention une protection intérimaire, ce qui permet à l’inventeur de
mettre au point son invention, de sonder le marché et de se procurer
32. Recueil des pratiques du Bureau des brevets au Canada, chapitre 7.
314
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des fonds avant de décider de procéder au dépôt d’une demande de
brevet formelle plus coûteuse.
Si l’inventeur ne veut une protection par brevet qu’au Canada,
une autre option s’offre à lui. L’inventeur peut convertir la demande
informelle en demande formelle dans les quinze mois suivant la date
de dépôt de la demande informelle. Il n’a qu’à transmettre les informations manquantes dans le délai prescrit. Si la demande informelle
n’est pas complétée dans le délai prescrit, elle devient abandonnée.
La demande de brevet formelle et tous les documents relatifs à
celle-ci deviendront accessibles au public à l’expiration de la période
confidentielle de la demande prioritaire la plus ancienne, c’est-à-dire
dix-huit mois après la date de priorité la plus ancienne, à moins
que le demandeur ne requière une date de mise à la disponibilité
avancée33.
Il est à noter qu’une demande de brevet informelle sera mise à
la disponibilité du public par défaut à l’expiration de sa période confidentielle, c’est-à-dire dix-huit mois après sa date de dépôt, même si
elle est abandonnée. Alors, si l’inventeur a gardé son invention
secrète et qu’il ne veut pas ou ne peut pas déposer une demande formelle dans le délai prescrit de douze mois, mais qu’il souhaite néanmoins garder l’option d’un dépôt ultérieur, il doit demander le retrait
de la demande informelle avant sa publication. Un demandeur peut
effectivement retirer toute demande de brevet en déposant une
requête de retrait à cet effet au Bureau des brevets dans les délais
prescrits par la loi34. Une demande retirée avant sa publication est
réputée n’avoir jamais existé35.
3. CONCLUSION
Bien que les coûts de la protection par brevet d’une invention
peuvent s’avérer très élevés, il existe une protection intérimaire de
douze mois. Cette protection intérimaire est obtenue par le dépôt
d’une demande de brevet provisoire, ou « demande informelle », qui
permet à l’inventeur d’établir une date de priorité et de repousser les
coûts élevés associés à la préparation et au dépôt d’une demande de
brevet formelle complète.
33. En conformité avec les paragraphes 10(1) et 10(2) de la Loi sur les brevets.
34. En vertu du paragraphe 28.4(3) de la Loi sur les brevets.
35. Par. 28.2(2) de la Loi sur les brevets.
Stratégie de protection intérimaire
315
Pendant cette période, l’inventeur peut mettre au point son
invention, sonder le marché et chercher des fonds pour procéder à
des dépôts de demandes formelles régulières.
Si l’inventeur ne dépose pas une demande formelle avant la fin
du délai de douze mois, réclamant la priorité de la demande informelle ou provisoire, il perd la date de priorité qui a été réservée par
la demande informelle ou provisoire.
Vol. 20, no 2
Entre sacré et profane ou comment
s’articule le rapport entre
convictions religieuses et droit
des marques de commerce
Barry Gamache*
Mais eux, sans en tenir compte, s’en allèrent,
l’un à son champ, l’autre à son commerce...
Matthieu 22, 5.1
La religion est une chose si grande, qu’il est juste
que ceux qui ne voudraient pas prendre la peine de
la chercher, si elle est obscure, en soient privés.
PASCAL, Pensées, VIII, 574.2
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321
© CIPS, 2008.
* Avocat et agent de marques de commerce, Barry Gamache est l’un des associés de
LEGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats
et d’agents de brevets et de marques de commerce. L’auteur remercie Me Laurent
Carrière pour ses remarques, toujours pertinentes, au cours de la rédaction de cet
article ; il est également reconnaissant envers mesdames Rita Goedike et Lucille
St Arnaud pour toutes les heures égrenées à la mise en page et la révision de ce texte.
1. Traduction œcuménique de la Bible (Paris, Société biblique française et Éditions
du Cerf, 1975), page 52 ; cet extrait marque un moment clé de la parabole des invités à la noce royale.
2. Blaise PASCAL, Pensées, Collection Agora, édition établie par Philippe Sellier
(Paris, Pocket, 2003), page 341. On doit au savant, penseur et écrivain français
Blaise Pascal (1623-1662), entre autres, le calcul des probabilités, les lois de la
pression atmosphérique et de l’équilibre des liquides ainsi que le développement de
la presse hydraulique ; voir à ce sujet Le Petit Larousse illustré (Paris, Librairie
Larousse, 1975), page 1589.
317
318
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2. L’univers particulier du droit des marques de commerce . . 326
2.1 Quelques constatations . . . . . . . . . . . . . . . . . 326
2.2 La notion de « personne » et la question de la
personnalité juridique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 332
2.3 L’importance de l’« emploi » . . . . . . . . . . . . . . . 339
2.3.1
Définition de « marchandises ». . . . . . . . . 340
2.3.2
Définition de « services » . . . . . . . . . . . . 344
2.3.3
L’emploi d’une marque en liaison avec des
marchandises . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349
2.3.4
L’emploi d’une marque en liaison avec des
services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354
3. Organisations religieuses et droit des marques de
commerce : quelques points d’intérêt . . . . . . . . . . . . 357
3.1 Une organisation religieuse peut-elle protéger
l’« achalandage » dans son nom ? . . . . . . . . . . . . 357
3.1.1
Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . 357
3.1.2
L’achalandage dans le nom d’une organisation
religieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370
3.1.3
3.1.2.1
Définition du concept
d’« achalandage » . . . . . . . . . . 374
3.1.2.2
La population de référence . . . . . 376
Les limites à la protection du nom d’une
organisation religieuse . . . . . . . . . . . . . 377
3.2 Questions d’enregistrabilité . . . . . . . . . . . . . . 382
3.2.1
Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . 382
3.2.2
Quelques marques descriptives . . . . . . . . 388
Entre sacré et profane
319
3.3 Le consommateur canadien moyen est-il religieux ? . 393
3.3.1
Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . 393
3.3.2
Affaires décidées par le registraire . . . . . . 399
3.3.3
3.3.2.1
Opposition contre la marque
INFORMAT . . . . . . . . . . . . . 399
3.3.2.2
Opposition contre la marque
graphique EMPIRE KOSHER
POULTRY . . . . . . . . . . . . . . 400
3.3.2.3
Opposition contre la marque
graphique CEC CANADA . . . . . 402
3.3.2.4
Opposition contre la marque
HALAL . . . . . . . . . . . . . . . 403
Selon les circonstances, il faut tenir compte du
consommateur canadien religieux . . . . . . . 405
3.4 Une organisation religieuse peut-elle être une « autorité
publique » en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) ? . . . . 406
3.4.1
La liberté religieuse et l’État en
droit canadien. . . . . . . . . . . . . . . . . . 408
3.4.1.1
Une liberté précieuse : regard sur
l’histoire récente. . . . . . . . . . . 410
3.4.1.2
Une liberté source de conflits ? . . . 413
3.4.2
La liberté religieuse à l’heure des Chartes :
quelques principes . . . . . . . . . . . . . . . 416
3.4.3
Affaires temporelles et affaires spirituelles :
des univers distincts . . . . . . . . . . . . . . 420
3.4.4
Une organisation religieuse peut-elle réclamer
le statut d’« autorité publique » ? . . . . . . . 426
320
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.5 Les références religieuses de la prohibition de l’alinéa
9(1)j) de la Loi sur les marques de commerce . . . . . 429
3.5.1
Quelques définitions . . . . . . . . . . . . . . 429
3.5.2
Examen de la jurisprudence des États-Unis . 437
3.5.3
3.5.2.1
Pour qui la marque de commerce
doit-elle être scandaleuse ? . . . . . 440
3.5.2.2
L’importance des produits dans la
détermination de l’aspect scandaleux
d’une marque de commerce . . . . . 446
Quelques constats sur la marque à connotation
religieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 448
4. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 455
1. INTRODUCTION
« [Q]uand les dieux veulent nous punir ils exaucent nos
prières3 ». Ainsi s’exprimait le personnage tourmenté de Sir Robert
Chiltern dans la pièce Un mari idéal4 d’Oscar Wilde ; Chiltern évoquait ainsi de manière oblique une transaction financière douteuse
qui avait favorisé plusieurs années auparavant son ascension sociale
mais dont la révélation aujourd’hui mènerait à sa ruine. Son allusion
à des réalités surnaturelles sur fond de regret d’affaires nous guide
alternativement vers des préoccupations religieuses et d’autres, bassement mercantiles, qui pourraient n’avoir en commun que leur
pérennité.
En effet, la pérennité, la permanence du sentiment religieux au
cœur de l’histoire humaine se vérifient par la succession de diverses
croyances au cours des siècles, un point noté par un des personnages
de l’œuvre de François Mauriac : « Jupiter [...], Apollon, Mercure,
Diane, Vénus et tous les autres dieux ont donné rendez-vous aux
hommes, à des époques fixes, dans des temples vénérés5 ».
D’autre part, la pérennité du commerce, la stabilité de son existence d’une époque à l’autre (et son exercice par des méthodes toujours nouvelles) étaient soulignées dans l’arrêt Mattel, Inc. c.
3894207 Canada Inc.6 de la Cour suprême où le juge Binnie évoquait
sa longue histoire, dont celle des marques de commerce : « Les techniques marchandes ont beaucoup progressé depuis l’époque où l’on
gravait une « marque » sur des gobelets d’argent ou sur des pichets
3. Oscar WILDE, Œuvres, Collection La Pochothèque (LGF/Livre de poche, 2000),
page 1174.
4. Pièce dont la première eut lieu le 3 janvier 1895, Un mari idéal a pour thèmes l’importance des apparences et les compromissions considérées pour les préserver et,
de manière plus importante, la faute de jeunesse et son pardon possible, lesquels
sont tous explorés par Oscar Wilde en cette période victorienne finissante. Voir à ce
sujet : Richard, ELLMANN, Oscar Wilde (Paris, Gallimard, 1994), page 444.
5. François MAURIAC, Pèlerins de Lourdes, 1931, reproduit dans le volume Lourdes,
préface d’Hubert Prolongeau (Paris, Omnibus, 1998), page 827. Cette parole est la
première d’un dialogue entre un non-croyant et un croyant à proximité du sanctuaire marial des Pyrénées.
6. Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772.
321
322
Les Cahiers de propriété intellectuelle
en terre cuite afin d’identifier les marchandises produites par un
orfèvre ou un potier en particulier7 ».
Avant d’aller plus loin, l’auteur devine déjà la question du lecteur : au-delà de cette « caractéristique commune », quel est le rapport entre marques de commerce et religion ? D’ailleurs, est-il risqué
de traiter à la fois de commerce et de religion dans le cadre d’un
même article ? Tentons cette réponse : une revue du corpus jurisprudentiel canadien relativement aux marques de commerce révèle la
présence indéniable de motivations religieuses dans le cadre de certains litiges. Dans la mesure où la liberté de religion est une liberté
fondamentale garantie tant par la Charte canadienne des droits et
libertés8 que par la Charte des droits et libertés de la personne9 et
puisque les convictions religieuses sont parmi celles qui peuvent être
à la fois les plus fortes et les plus intimes, il n’est sans doute pas inapproprié de se pencher sur les aspects « sacrés » de certains litiges que
les tribunaux « profanes » ont eu à trancher en matière de marques
de commerce.
Après cette mise en situation, examinons quelques données
additionnelles relatives à la présentation de notre sujet, c’est-à-dire
les liens qui existent entre les convictions religieuses et le droit des
marques de commerce.
Tournons brièvement à nouveau notre regard vers l’au-delà.
Comme nous venons de le signaler, les convictions religieuses sont
invariablement présentes au cours des différentes époques que
l’histoire humaine nous permet de recenser. À ce sujet, la richesse et
la diversité des expériences religieuses au cours des siècles dans des
lieux et des circonstances variés rendent difficile toute synthèse sur
la question. Malgré les difficultés, identifions tout de même certains
courants de pensées légués par l’Histoire sur la question de la place
de la religion dans la vie publique, suivant la variété des modèles ou
des impulsions qui ont influencé les rapports collectifs :
• Référons tout d’abord aux époques où l’autorité politique imposait
par la loi le conformisme religieux, une tendance importante à différentes périodes et à laquelle le juge Dickson (tel était alors son
titre) a fait allusion dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd.10 en
mentionnant, par exemple, diverses lois de la période élizabéthaine.
7.
8.
9.
10.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, par. 2.
Charte canadienne des droits et libertés, al. 2a).
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, page 318.
Entre sacré et profane
323
• Plus près de nous, les derniers siècles ont vu surgir quantité de
contestations à une approche religieuse de l’existence et ce, sur de
nombreux fronts. Il suffit d’évoquer ici les dénonciations articulées par une succession d’objecteurs dont la postérité a retenu,
pour certains, des formules qui ont marqué les esprits, de
« l’opium du peuple » à la « névrose collective »11.
• Finalement, au XXe siècle, est apparu le phénomène nouveau du
conformisme antireligieux, imposé brutalement par les dirigeants
de certains pays, avec des succès inégaux selon les époques et les
régions ; à ce sujet, rappelons les plans des gouvernements totalitaires qui, il y a quelques décennies à peine, avaient l’ambition
d’éliminer toute trace d’ouverture à la transcendance dans la vie
de leurs citoyens12.
Même si son existence continue d’être troublante pour certains13, il n’en demeure pas moins que plusieurs autres attribuent à
la religion une précieuse source de sens ; pour cette raison, la religion
– un trajet spirituel auquel une personne adhère volontairement –
est aujourd’hui reconnue (selon certaines circonstances que nous
11. Voir par exemple : Marcel NEUSCH, Aux sources de l’athéisme contemporain
(Paris, Éditions du Centurion, 1977), où sont présentées, entre autres, les œuvres
de Karl Marx, Sigmund Freud, Friedrich Nietzsche et Jean-Paul Sartre.
12. Voir par exemple : Histoire du Christianisme des origines à nos jours, Tome XII :
guerres mondiales et totalitarismes (1914-1958), sous la responsabilité de
Jean-Marie Mayeur (Paris, Desclée-Fayard, 1990), page 762, où sont décrits les
objectifs ultimes de même que certains des outils de la « politique » religieuse des
autorités bolcheviques après la Révolution d’Octobre ; en l’occurrence, celles-ci
ambitionnent rien de moins que « l’extinction de toute croyance autre que le communisme dans la première en date de ses patries. D’où les campagnes récurrentes de la Ligue des sans-dieu, militants d’Émilien Iaroslavsky. Oubliant ses
sources dialectiques, le marxisme soviétique y chausse les lourdes bottes du
scientisme le plus vulgaire. À partir de 1922 se met ainsi en place un vigoureux
instrument de propagande, prioritairement destiné à la jeunesse et à la nouvelle
classe ouvrière en formation : flot de littérature, populaire ou plus sophistiquée,
musées antireligieux, manifestations parodiques ou agressives à grand spectacle... Le 22 mai [1929], un amendement à l’article 13 de la constitution légalise
l’activisme athée, mais proscrit toute évangélisation au grand jour : la liberté « de
religion et de non religion » y devient en effet liberté de « confession religieuse et
de propagande antireligieuse » ». De manière paradoxale, ce contexte particulier
a vu la lutte antireligieuse compétitioner avec l’instauration d’une « religion »
séculière trouvant sa source dans un modèle d’État tout-puissant.
13. Au moment de la rédaction de ce texte, l’actualité québécoise permet le recensement de nombreux « libres propos » sur la place de la religion dans l’espace public,
un point noté par certains chroniqueurs ; voir par exemple : Yves BOISVERT,
« Mon droit est plus fort que le tien », La Presse, 21 septembre 2007, page A9 ;
Lysiane GAGNON, « Tentations totalitaires », La Presse, 2 octobre 2007, page
A25 ; Denise BOMBARDIER, « Le Québec vindicatif », Le Devoir, 24-25 novembre
2007, http://www.ledevoir.com/2007/11/24/165788.html.
324
Les Cahiers de propriété intellectuelle
examinerons) comme valeur positive par les parlements dont certains, dans leurs lois fondamentales, en garantissent le libre exercice
(suivant un cadre que nous examinerons également). Au Canada, ce
libre exercice en matière religieuse est disponible à chaque individu
selon sa conscience car, comme le soulignait la juge Deschamps dans
l’arrêt Bruker c. Marcovitz14, chacun est responsable de sa religion.
Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne15 identifie la liberté de religion comme l’une des libertés fondamentales.
Au niveau constitutionnel, la Charte canadienne des droits et libertés16 mentionne également que la liberté de religion est une liberté
fondamentale, laquelle s’y trouve garantie à l’alinéa 2a). Mais que
protège-t-on au juste ? Les différentes définitions du concept de
« religion » proposées par l’ouvrage Le Grand Robert de la langue
française17 permettent de mesurer l’objet de la liberté garantie de
même que l’ouverture des individus au sacré :
Ë1. LA RELIGION. Reconnaissance par l’homme d’un pouvoir
ou d’un principe supérieur de qui dépend sa destinée et à qui
obéissance et respect sont dus ; attitude intellectuelle et morale
qui résulte de cette croyance, en conformité avec un modèle
social (÷ ci-dessous, 3.), et qui peut constituer une règle de vie.
[...]
Ë2. (XIIe, estre de grant religion « très pieux »). Attitude particulière (individuelle ou collective) dans les relations avec Dieu,
avec le principe suprême, dans le domaine de la religion.
[...]
Ë3. (XVIe). UNE RELIGION. Système de croyances et de pratiques impliquant des relations avec un principe supérieur (le
plus souvent un ou plusieurs dieux...), et propre à un groupe
social.
14. Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54, par. 184. Dans ses motifs (par ailleurs dissidents sur la question considérée par la Cour), la juge Deschamps attribuait cette
phrase à Gandhi.
15. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12 ; au moment de la
rédaction de ce texte, l’effet du projet de loi no 63 intitulé Loi modifiant la Charte
des droits et libertés de la personne présenté le 12 décembre 2007 par la ministre
de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec sur la
liberté de religion reste à déterminer.
16. Charte canadienne des droits et libertés, al. 2a).
17. Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française de Paul Robert, 2e éd., Tome VIII (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), pages 199 et 200.
Entre sacré et profane
325
Dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem18, le juge Iacobucci
a pour sa part proposé la définition suivante :
Une religion s’entend typiquement d’un système particulier et
complet de dogmes et de pratiques. En outre, une religion comporte généralement une croyance dans l’existence d’une puissance divine, surhumaine ou dominante. Essentiellement, la
religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui
sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et
s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion
permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou
avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle.19
Par la référence à l’épanouissement spirituel, on discerne une
sensibilité contemporaine au contour de la définition proposée.
L’influence du monothéisme est également notée par la mention
d’une puissance divine, surhumaine ou dominante. Cette définition
d’une religion met l’accent sur son aspect personnel ; toutefois,
l’aspect communautaire qui y est rattaché mérite également d’être
souligné, comme l’a d’ailleurs fait le juge Bastarache dans ses motifs
dissidents20.
Au sein des grandes traditions religieuses, il n’est pas nécessairement aisé de donner une définition unique et exhaustive d’une
« religion » dans la mesure où ces grandes traditions n’ont pas toutes
des dénominateurs communs si on examine l’objet de leur foi respective. Pensons par exemple aux religions issues de la souche abrahamitique et celles n’y appartenant pas, aux cultures asiatiques imprégnées d’esprit religieux ou encore aux religions traditionnelles
africaines pour en nommer quelques-unes21. Même la réalité de
18. Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551.
19. Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 39.
20. Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 137 ; pour une illustration de cet aspect communautaire au sein d’une tradition religieuse, voir par
exemple Dictionnaire du Judaïsme (Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin
Michel, 1998), page 775.
21. Cette courte énumération n’est évidemment pas exhaustive. On pourra consulter
Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française de Paul Robert, 2e éd., Tome VIII (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), page 201, qui mentionne différentes religions et les classe par époque et par lieu d’origine. À titre illustratif seulement,
soulignons les religions suivantes qui y sont mentionnées : animisme, chamanisme, totémisme, druidisme, bouddhisme, brahmanisme, hindouisme, confucianisme, shintoïsme, taoïsme, judaïsme, islam, christianisme. Cette liste n’est,
bien sûr, ni complète, ni entièrement représentative de toutes les démarches religieuses et ne tient pas compte des différentes branches ou tendances possibles au
sein d’une religion.
326
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’existence divine n’est pas une croyance partagée par toutes les religions. Voilà pourquoi il a été affirmé que chaque religion se présente
à tout le moins « comme une recherche de salut et propose des itinéraires pour parvenir à celui-ci22 ». Cette courte définition a le mérite
de tenir compte d’une compréhension du monde propre à chaque religion23 sans rechercher des dénominateurs communs.
Après ces quelques repères, l’auteur remercie le lecteur de le
suivre maintenant avec précaution dans cette contrée que peu ont
jugé opportun d’explorer ou même de reconnaître.
2. L’UNIVERS PARTICULIER DU DROIT DES MARQUES
DE COMMERCE
2.1 Quelques constatations
La Loi sur les marques de commerce24 (la « Loi ») prévoit, à son
article 26, l’existence d’un registre public des marques de commerce
ainsi que d’une procédure, décrite à l’article 30, visant l’enregistrement de marques de commerce auprès de ce registre. De plus, en
vertu de l’article 19 de la Loi, sous réserve de certaines exceptions,
l’enregistrement ainsi obtenu d’une marque de commerce à l’égard
de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée,
donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de cette marque,
dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou
services.
22. Jean-Paul II, « Le dialogue avec les grandes religions mondiales », Allocution au
cours de l’Audience générale du 19 mai 1999, L’Osservatore Romano, no 21
(2573), 25 mai 1999, page 12, par. 2. Au paragraphe 1, le pape évoquait les traditions religieuses que nous reprenons dans notre texte.
23. Voir à titre d’exemple illustratif seulement la description suivante donnée au
sujet de l’islam par la série Human Rights and the World’s Major Religions, vol.
3 : The Islamic Tradition, William H. Brackney, Series Editor (Westport, Praeger
Perspectives, 2005), page xvi : « (...) Islam, strictly speaking, is not a religion as
the term is generally understood in contemporary or modern Western societies,
that is, as a basically spiritual relationship between humans and God. Rather, it
may more accurately be depicted as a religiously based way of life, or D§n – the
Arabic term by which Islam is described in the Qur’an. As used in the Qur’an and
the Sunna with reference to Islam, the term D§n signifies a way of life in which
the material and the spiritual do not constitute dichotomous modes of experience,
but are regarded as a continuum and an integrated whole in which all aspects of
life – personal and social, economic and political, artistic and intellectual, spiritual and sexual, creative or otherwise – are not only interrelated, but are also
sustained by faith and endowed with religious meaning and ethical
significance ».
24. Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), c. T-13.
Entre sacré et profane
327
Un examen rapide du registre canadien des marques de commerce révèle que de nombreuses organisations religieuses25 n’ont
pas hésité à faire appel aux dispositions de la Loi et à demander
l’enregistrement de marques de commerce en liaison avec les produits et services offerts respectivement par celles-ci. Les exemples
suivants tirés du registre des marques de commerce ne sont certainement pas exhaustifs mais simplement illustratifs de l’éventail des
organisations qui ont requis la protection de la Loi pour leurs marques de commerce ainsi que la variété de leurs formes d’engagement.
D’ailleurs, aucun commentaire éditorial n’est sous-entendu dans le
choix des exemples qui suivent, ceux-ci permettant seulement de
constater la diversité des manifestations religieuses et, à notre
époque davantage sécularisée, la pérennité de certaines préoccupations religieuses. Parmi ces préoccupations mentionnées dans les
services ou marchandises associés aux marques de commerce des
organisations religieuses suivantes, on peut noter :
• le souci du salut éternel et le rapport au divin ;
• le devoir envers autrui ;
• la diffusion de ses croyances ;
• la volonté d’agir en conformité avec les préceptes de sa religion.
Ces quatre préoccupations ne sont évidemment pas isolées les
unes des autres et, pour le fidèle d’une religion, elles peuvent même
être entièrement interdépendantes.
Ainsi, au sujet du salut éternel, à titre d’exemple, le 7 juillet
1998, sous le numéro LMC 497,17226, la marque de commerce THE
25. Nous utilisons ici l’expression « organisation religieuse » dans son sens le plus
large, qu’il s’agisse d’une organisation relevant directement d’une hiérarchie religieuse ou encore d’un regroupement à l’initiative de fidèles d’une religion particulière. La notion d’« organisation religieuse » fait également référence à la
personnalité juridique, quelle que soit sa forme, qui permet à l’organisation d’interagir avec ses propres membres, avec les membres de la société en général
(pour conclure un contrat ou acheter et vendre des biens meubles et immeubles,
par exemple) ainsi qu’avec les instances étatiques. C’est en ayant une personnalité juridique qu’une organisation religieuse peut ainsi transiger avec autrui, ce
qu’une religion, prise comme un système de croyances et même comme une présence spirituelle, ou encore ce qu’un regroupement informel de fidèles ne pourraient faire. Voir à ce sujet les motifs de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt
Untel c. Bennett, [2004] 1 R.C.S. 436, par. 11. La question de la personnalité
juridique d’une organisation religieuse sera davantage développée ultérieurement.
26. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
328
Les Cahiers de propriété intellectuelle
MIRACLE CHANNEL a été enregistrée au nom de Canada for
Christ Broadcasting Association en liaison avec des services ayant
pour objectif de gagner des âmes pour le Royaume de Dieu27 :
(1) Television broadcasting with
the following objectives : to proclaim, through the medium of
television, the gospel of Jesus
Christ across the nation in order
to win souls for the Kingdom of
God ; to bring unity to the Christian Church through encouraging the participation by
Christian Churches and denominations in program production
for television broadcast ; to augment and support the ministry
of local churches ; to promote
strong Christian family values ;
to provide positive alternatives
to existing television programming.
(1) Télédiffusion d’émissions présentant les objectifs suivants :
proclamer, au moyen de la télévision, l’évangile de Jésus-Christ à
travers le pays, aux fins de conversion, d’unifier l’Église chrétienne en encourageant la participation des églises et confessions
chrétiennes dans la production
d’émissions télédiffusées, d’appuyer et de compléter le ministère
des églises locales, de promouvoir
des valeurs profondes au sein des
familles chrétiennes, de fournir
des alternatives positives aux
programmes télévisés actuels.
[traduction fournie par l’OPIC]
Au sujet du devoir envers autrui, à titre d’exemple, le 22 janvier
2004, sous le numéro LMC 600,24528, la marque de commerce suivante a été enregistrée au nom de l’Organisation catholique canadienne pour le développement et la paix pour, entre autres, des
services charitables visant l’organisation des projets de développement social, l’éducation et la sensibilisation publique sur la pauvreté
au Canada, l’amélioration des conditions de vie et de travail aux
pays en développement et des œuvres de secours urgents, ainsi que
la cueillette des fonds pour le financement desdits projets29 :
27. Dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 186, le juge
Binnie a noté l’importance donnée dans la tradition judéo-chrétienne au salut
d’une âme immortelle.
28. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
29. Notons qu’en droit des fiducies, selon l’arrêt Commissioners for Special Purposes
of the Income Tax c. Pemsel, [1891] A.C. 531 (H.L.), les fiducies ayant pour but de
soulager la pauvreté et celles visant à promouvoir la religion sont toutes des
types d’organismes visés par l’expression « organismes de bienfaisance ». On peut
Entre sacré et profane
329
Au sujet de la diffusion de ses croyances, à titre d’exemple, le
11 mai 2007, sous le numéro LMC 687,61030, la marque de commerce
graphique FAITH ci-après reproduite :
a été enregistrée au nom de Rhema Bible Church pour différentes
marchandises dont des publications imprimées permettant la diffusion de convictions religieuses31 :
(1) Publications of a religious
nature, namely magazines,
books, booklets, newspapers,
newsletters, tracts, brochures,
pamphlets ; teaching manuals
and course materials, namely
books, manuals and workbooks ;
pre-recorded audio tapes and
videotapes containing sound
recordings and/or video recordings featuring music and teaching in the fields of Christianity,
(1) Publications à caractère religieux, nommément revues, livres,
livrets, journaux, bulletins,
tracts, brochures, dépliants ;
manuels d’enseignement et matériel de cours, nommément livres,
manuels et cahiers ; bandes sonores préenregistrées et bandes
vidéo contenant des enregistrements sonores et/ou des enregistrements vidéo de musique et
d’enseignement dans les domai-
donc constater le lien intime ayant longtemps existé entre ces deux pôles de la
« bienfaisance » de même que la reconnaissance des vertus de la religion à titre de
valeur positive pour la société puisque les activités visant sa promotion ont été
protégées par l’ombrelle de la « bienfaisance ». Voir à ce sujet les motifs du juge
Iacobucci dans l’arrêt Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority
Women c. Ministre du Revenu national, [1999] 1 R.C.S. 10, par. 144 et ceux du
juge Rothstein dans l’arrêt A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada
(Agence du revenu), 2007 CSC 42, par. 26.
30. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
31. En ce qui concerne la distribution sur les places publiques de brochures religieuses, le juge Rand, dans l’arrêt Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2 R.C.S. 299, a
souligné à leur sujet à la page 332 : « That public ways... have from the most
ancient times been the avenues for such communications, is demonstrated by the
Bible itself : in the 6th verse of ch. xi of Jeremiah these words appear : « Proclaim
all these words in the cities of Judah, and in the streets of Jerusalem » ».
330
Les Cahiers de propriété intellectuelle
religion, theology, spirituality,
ethics and culture ; pre-recorded
compact discs containing sound
recordings featuring music and
teachings in the fields of Christianity, religion, theology, spirituality, ethics and culture ;
pre-recorded digital video discs
(DVDs) containing sound
recording and/or video recordings featuring music and teachings in the fields of Christianity,
religion, theology, spirituality,
ethics and culture.
nes du christianisme, de la religion, de la théologie, de la spiritualité, de l’éthique et de la
culture ; disques compacts préenregistrés contenant des enregistrements sonores de musique et
d’enseignement dans les domaines du christianisme, de la religion, de la théologie, de la
spiritualité, de l’éthique et de la
culture ; vidéodisques numériques préenregistrés (DVD) contenant des enregistrement sonores
et/ ou des enregistrements vidéo
de musique et d’enseignement
dans les domaines du christianisme, de la religion, de la théologie, de la spiritualité, de
l’éthique et de la culture.
[traduction fournie par l’OPIC]
Finalement, au sujet du souhait d’agir en conformité avec ses
préceptes religieux, à titre d’exemple, le 25 mai 2007, sous le numéro
LMC 688,315 32 , la marque de commerce graphique HALAL
MONITORING AUTHORITY ci-après reproduite :
32. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
Entre sacré et profane
331
a été enregistrée au nom de Jami’yyatul Ulama Canada, Canadian
Council of Muslim Theologians (CCMT) pour, entre autres, des services d’inspection, de surveillance et de supervision de type halal 33 :
(1) Halal inspection, monitoring
and supervision of food service
in establishments and institutions namely, slaughterhouses,
restaurants, bakeries, butcher
shops, fish markets, delicatessens, hotels, banquet halls,
hospitals, mosques, catering
facilities, airlines, railways,
senior residences, nursing
homes, day care centres, summer camps ; fast food stands ;
hot dog stands ; juice bars ; halal
food and novelty stores ; rental
of knives, dishes and cutlery and
utensils, and custom blending,
manufacturing and packaging
to ensure compliance with
Islamic law. Certification services, namely monitoring,
inspection and labeling of halal
food products to ensure accordance with Islamic law.
(1) Inspection, surveillance et
supervision des prescriptions
halal dans les services d’alimentation d’établissements et institutions, nommément abattoirs,
restaurants, boulangeries, boucheries, marchés de poisson, épiceries fines, hôtels, salles de
réception, hôpitaux, mosquées,
installations de traiteur, transporteurs aériens, chemins de fer,
résidences pour personnes âgées,
foyers de soins infirmiers, garderies, camps d’été ; stands de repasminute ; stands de hotdogs ; barres aux fruits ; magasins d’aliments halal et de nouveautés ;
location de couteaux, de vaisselle
et de coutellerie et d’ustensiles et
mélange, fabrication et emballage
à façon pour assurer la conformité
à la charia. Services de certification, nommément surveillance,
inspection et étiquetage de produits alimentaires halal pour
assurer la conformité à la charia.
[traduction fournie par l’OPIC]
Ces préoccupations trouvent donc une expression grâce aux
dispositions de la Loi qui permettent ainsi aux organisations religieuses qui y font appel de protéger leurs symboles de garantie
33. Dans la décision Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005] C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury, au par. 14, le registraire
a référé à la preuve produite dans cette affaire et a noté la définition suivante du
mot « halal » dans la tradition musulmane : « ...traduisez par le mot « halal » tout
ce qui est licite, permis autorisé. Le terme « halal » n’est pas exclusivement
employé dans le domaine de la viande mais d’une manière générale il définit tout
ce qui est autorisé par la religion musulmane dans des domaines aussi variés que
la viande, le culte, l’éducation, le mariage, le commerce... ».
332
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’origine34 qui peuvent contenir un ou plusieurs mots (ou des images) qui évoquent, sous un aspect ou un autre, des réalités religieuses (i.e. des mots (ou des images) « à connotation religieuse ») pour
former des marques ayant cette même connotation.
Les organisations religieuses ne sont toutefois pas les seules à
enregistrer des marques de commerce qui contiennent des mots (ou
des images) à connotation religieuse. Par exemple, pour des raisons
de mise en marché qui leur sont propres, des sociétés commerciales
enregistrent également des marques de commerce contenant des
mots (ou des images) à connotation religieuse pour leurs produits et
services respectifs qui ne sont apparemment pas destinés à répondre
à des besoins religieux. À titre d’exemple, le 6 août 1999, sous le
numéro LMC 514,07235, la marque de commerce DON DE DIEU a
été enregistrée au nom de la société Unibroue Inc. (son propriétaire
original) en liaison avec des bières alcoolisées. Certaines organisations commerciales utilisent donc également des mots (ou des images) à connotation religieuse pour distinguer la source de leurs
produits ou services36.
2.2 La notion de « personne » et la question de la
personnalité juridique
Les organisations religieuses peuvent donc bénéficier des
droits offerts par la Loi sur les marques de commerce et sont assujetties à celle-ci dans le cadre de leurs activités qui touchent l’emploi de
marques de commerce. En effet, comme nous venons de le constater,
la protection offerte par la Loi n’est pas disponible uniquement pour
les entreprises qui sont en affaires pour réaliser des profits, mais
également aux organisations qui n’ont pas cet objectif. Sur ce point,
notons la définition très large de « personne » qu’on retrouve à
l’article 2 de la Loi :
34. Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, par. 2 ; voir également
R. c. Église de scientologie, [1997] A.Q. no 3207 (C.S. Québec), le juge Trotier,
par. 64.
35. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
36. Voir par exemple l’affaire H. Sichel Sohne GmbH c. Jordan & Ste-Michelle
Cellars Ltd. – Les Caves Jordan & Ste-Michelle Ltée, (1981) 66 C.P.R. (2d) 266
(C.O.M.C.), G.W. Partington, où le registraire a conclu qu’il y avait une probabilité de confusion entre les marques BLUE ANGEL et BLUE NUN LABEL associées respectivement à des vins, notamment à cause de la connotation religieuse
des marques en cause.
Entre sacré et profane
333
« personne » Sont assimilés à une personne tout syndicat
ouvrier légitime et toute association légitime se livrant à un
commerce ou à une entreprise, ou au développement de ce commerce ou de cette entreprise, ainsi que l’autorité administrative de tout pays ou État, de toute province, municipalité ou
autre région administrative organisée.
La définition de « personne » doit être lue en corrélation avec
l’article 3 de la Loi qui permet de déterminer en quelles circonstances une marque de commerce est réputée adoptée par une personne :
3. Une marque de commerce est réputée avoir été adoptée par
une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en
titre a commencé à l’employer au Canada ou à l’y faire
connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne
l’avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître,
lorsque l’un d’eux a produit une demande d’enregistrement de
cette marque au Canada.
Une marque de commerce est donc réputée avoir été adoptée
par une personne, entre autres, lorsque cette dernière produit une
demande d’enregistrement pour la marque en question.
La notion de « personne » comprend, bien sûr, un individu. Sur
ce point, il suffit de faire référence à l’article 20 de la Loi qui prévoit,
inter alia, qu’aucun enregistrement d’une marque de commerce ne
peut empêcher une personne d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial. Dans l’arrêt Kayser-Roth Canada
(1969) Limited c. Fascination Lingerie Inc.37, le juge en chef adjoint
Noël a souligné que le concept de « nom personnel » (« personal
name » dans la version anglaise de l’article 20) d’une personne référait à un individu (même si la notion de « personne », elle, est beaucoup plus large, selon la définition donnée à l’article 2 de la Loi.).
De plus, dans l’arrêt Compagnie Générale des Établissements
Michelin-Michelin & Cie c. Syndicat national de l’automobile, de
l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses
du Canada (TCA-Canada)38 (« Michelin »), le juge Teitelbaum a
37. Kayser-Roth Canada (1969) Limited c. Fascination Lingerie Inc., [1971] C.F. 84
(C.F.P.I.), le juge en chef adjoint Noël.
38. Compagnie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c. Syndicat
national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs
et travailleuses du Canada (TCA-Canada), [1997] 2 C.F. 306 (C.F.P.I.), le juge
Teitelbaum [appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale au dossier A-38-97 le
17 janvier 1997 ; désistement produit le 12 novembre 1997].
334
Les Cahiers de propriété intellectuelle
confirmé que les dispositions de la Loi s’étendaient à des organismes
sans but lucratif (en l’occurrence, dans cette affaire Michelin, la
défenderesse était un syndicat) :
Les parties ont également débattu l’objet général de la Loi sur
les marques de commerce consistant à protéger les emblèmes
des sociétés et à accroître l’intérêt et la confiance du public dans
l’origine des marchandises et des services sur le marché. Il ne
fait aucun doute que les défendeurs TCA sont, en règle générale, assujettis à la Loi sur les marques de commerce malgré
qu’ils soient, pour reprendre les propos du juge Lesyk, aux
pages 447 et 448, dans Rôtisseries St-Hubert Ltée c. Syndicat
des travailleurs(euses) de la Rôtisserie St-Hubert de Drummondville (C.S.N.), [1987] R.J.Q. 443 (C.S.) (ci-après appelée
St-Hubert), un groupement à but non lucratif, soit une association “qui n’est pas en affaires pour réaliser des profits et généralement n’exerce aucune activité commerciale”.39
La notion de « personne » implique, bien sûr, la personnalité
juridique, qu’il s’agisse d’un individu40 ou encore d’une organisation
dont la loi reconnaît l’existence sous une forme particulière suivant
le type de véhicule légal choisi par ses membres ou dirigeants et
accordé par l’État41. Au Québec, à titre d’exemple, l’existence d’une
organisation religieuse pourrait prendre la forme d’une constitution
selon une loi publique, par exemple la Loi sur les compagnies42, en
vertu de sa partie III, ou encore en vertu d’une loi d’intérêt privé43.
39. Compagnie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c. Syndicat
national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs
et travailleuses du Canada (TCA-Canada), [1997] 2 C.F. 306 (C.F.P.I.), le juge
Teitelbaum [appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale au dossier A-38-97 le
17 janvier 1997 ; désistement produit le 12 novembre 1997], par. 39. Comme
l’identification de la défenderesse l’indique, cette dernière était un syndicat.
40. À ce sujet, la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, prévoit à
son article 1 que tout être humain a la personnalité juridique.
41. À titre d’exemple, si un syndicat dûment constitué a la personnalité juridique, on
ne saurait en dire autant d’un journal syndical, per se, publié par un syndicat :
Rayle c. Parent, [2005] J.Q. no 2040 (C.S. Québec), le juge Chrétien, par. 15.
42. Loi sur les compagnies, L.R.Q., c. C-38.
43. À titre d’exemples d’organisations religieuses dont l’existence découlerait respectivement de l’un ou l’autre véhicule légal, notons qu’au Québec, la communauté
religieuse des Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie a été constituée le
8 décembre 1970 en vertu de la Loi constituant en corporation « Les Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie », L.Q. 1970, c. 85 tandis que le Centre missionnaire des Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie a été constitué le 5 juillet
1996 en vertu de la partie III de la Loi sur les compagnies, L.R.Q. c. C-38, suivant
une consultation du Centre informatique du registre des entreprises du Québec
auprès du registraire des entreprises du Québec le 1er août 2007.
Entre sacré et profane
335
Une société de personnes est également une « personne » au
sens de la Loi44. Toutefois, le nom commercial sous lequel une personne fait affaires n’est pas une « personne » au sens de la Loi et une
demande d’enregistrement ne pourrait donc pas être produite sous
un seul nom commercial. Ce point était souligné par le registraire
dans l’affaire Compagnie des Montres Longines Francillon S.A. c.
Pinto Trading Co.45 dans le cadre d’une analyse de la définition du
mot « personne » de la Loi :
The foregoing definition of “person” has been interpreted to
include sole proprietorships, partnerships, corporations, lawful
associations and joint ventures. The question arises as to
whether a trading style alone qualifies as a “person” within the
meaning of the Act. I know of no statutory provision so indicating and I am thus left to decide the question based on the legal
definition of a “person” as an entity capable of suing and being
sued in its own name, capable of entering into contracts and
capable of holding title to real and personal property. By way of
example, both Rule 110 of the Ontario Rules of Practice, R.R.O.
1980, Reg. 540 and Rule 1713 of the Federal Court Rules provide that a person carrying on business in the respective jurisdiction (i.e. Ontario or Canada) in a name, style of firm name
other than his own name may be sued in such name, style or
firm name. However, judicial interpretation of these rules has
established that an individual trading under a firm name cannot sue in that name. In this regard, reference may be made to
two reported decisions of the Ontario Court of Appeal in
Kaltenback v. Frolic Industries Ltd., [1948] 1 D.L.R. 689, [1948]
O.R. 116 and Robertson & Son v. Blonski, [1956] O.W.N. 642. A
similar finding was made by the Exchequer Court in Battle
Pharmaceuticals v. Lever Bros. Ltd. (1946), 5 C.P.R. 87, [1946]
2 D.L.R. 171, 5 Fox Pat. C. 160, respecting the rules of practice
governing the Exchequer Court which have been succeeded by
the Federal Court Rules. A review of the Québec Civil Code
reveals no provision allowing a person trading under a business
style to commence a legal action under this business style
alone. Since a legal action commenced solely in a person’s firm
name or trading style is a nullity, I consider that a trading style
44. À ce sujet, le Bureau des marques de commerce a publié dans le Journal des marques de commerce un énoncé de pratique le 2 janvier 1985 sur les sociétés et
entreprise en coparticipation de même qu’un second énoncé le 19 juillet 1989 sur
les sociétés de personnes.
45. Compagnie des Montres Longines Francillon S.A. c. Pinto Trading Co., (1983) 75
C.P.R. (2d) 283 (C.O.M.C.), D. Martin.
336
Les Cahiers de propriété intellectuelle
alone does not qualify as a legal person. It therefore follows that
a trading style does not fall within the definition of “person”
appearing in s. 2 of the Trade Marks Act and would therefore
not qualify as an applicant under s. 29 of the Act.46
En autant qu’ils aient la personnalité juridique suivant un
véhicule légal qu’ils auront choisi selon leurs besoins respectifs, les
fidèles regroupés d’une religion ou encore les dirigeants de celle-ci
pourraient donc produire une demande d’enregistrement pour une
marque de commerce au nom de l’entité juridique qui les représente
ainsi. Comme nous l’avons évoqué ci-haut, une société de personnes
peut produire une demande d’enregistrement et est donc une « personne » au sens de la Loi. Le registraire a noté la différence entre les
notions dites « société de personnes » et « nom commercial » (dans un
contexte d’affaires, il est vrai) dans la décision Hearst Holdings, Inc.
c. Wallstrom47 :
[21] L’opposante a fait valoir que la demande n’est pas conforme aux exigences de l’article 30 de la Loi sur les marques de
commerce, car la requérante n’est pas une personne morale.
Dans son argumentation écrite, l’opposante expose ses arguments de la façon suivante :
...la personne morale appropriée des trois particuliers mentionnés comme étant la requérante est une société de personnes. Un nom commercial seul n’est pas visé par la
définition du mot « personne » énoncée dans la Loi sur les
marques de commerce. Étant donné que dans le nom de la
requérante, il n’est pas indiqué qu’il s’agit d’une société de
personnes, la demande d’enregistrement n’est pas conforme
à l’article 30 parce que la requérante désignée ne pouvait
pas avoir l’usage de la marque de commerce requis par les
alinéas 30b) et 30i).
[22] La requérante doit être une « personne » au sens de la Loi,
c’est-à-dire qu’elle doit avoir la capacité de poursuivre et d’être
poursuivie en son propre nom, la capacité de conclure des contrats et la capacité d’être propriétaire de biens meubles et
immeubles. [...] Toutefois, dans la présente affaire [contrairement aux circonstances de l’affaire Pinto Trading Co. évoquée
46. Compagnie des Montres Longines Francillon S.A. c. Pinto Trading Co., (1983) 75
C.P.R. (2d) 283 (C.O.M.C.), D. Martin, page 286.
47. Hearst Holdings, Inc. c. Wallstrom, [2004] C.O.M.C. no 185 (C.O.M.C), J.W. Bradbury.
Entre sacré et profane
337
ci-haut], la requérante n’est pas seulement présentée sous un
nom commercial. C’est plutôt le nom de trois particuliers qui
ont été indiqués, lesquels font affaires sous le nom commercial
de Popeye’s Sailors Exchange, lequel, dans les faits, est le nom
d’une société de personnes, comme il est établi par la preuve.48
Si des fidèles, des représentants ou des dirigeants d’une religion choisissent un véhicule légal qui leur permet d’avoir la personnalité juridique, l’entité qui en résulte peut interagir – au niveau
juridique – avec ses membres, avec les autres membres de la société
en général (pour conclure un contrat ou acheter et vendre des biens
meubles et immeubles, par exemple) ainsi qu’avec les instances étatiques, ce qu’une religion, prise comme un système de croyances et
même comme une présence spirituelle dans la communauté, ou
encore ce qu’un groupement informel de fidèles ne pourraient faire.
Dans un contexte de responsabilité civile, la juge en chef McLachlin
a décrit ainsi le rôle d’un véhicule juridique particulier, soit la corporation ecclésiastique (pour le cas d’une charge d’évêque au sein de
l’Église catholique romaine dans la province de Terre-Neuve) :
[11] Les corporations ecclésiastiques comme St. George’s sont
créées pour servir, à l’échelle du diocèse, d’interface juridique
entre l’Église catholique romaine et la communauté. L’Église
constitue à la fois une présence spirituelle et un intervenant
séculier dans la communauté. La personne morale simple sert
de pont entre ces deux aspects. Comme intervenant séculier,
l’Église interagit de multiples façons avec les membres de la
communauté diocésaine. Elle accomplit de nombreuses activités religieuses, sociales et éducatives. Elle conclut des contrats
avec ses employés. Elle transporte des paroissiens. Elle parraine des activités de bienfaisance. Elle achète et vend des
biens meubles et immeubles. Pour faire tout cela, il lui faut la
personnalité juridique. C’est la personne morale simple qui est
dotée de cette personnalité. Le fait de limiter l’objet de cette
personne morale simple à l’acquisition, la possession et l’administration de biens tient compte seulement d’une partie du rôle
qu’elle est censée jouer et l’ampute artificiellement de certaines
de ses fonctions.
[12] C’est la loi constituant la personne morale simple – An Act
to Incorporate the Roman Catholic Bishop of St. George’s, S.N.
48. Hearst Holdings, Inc. c. Wallstrom, [2004] C.O.M.C. no 185 (C.O.M.C.), J.W.
Bradbury, par. 21 et 22.
338
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1913, ch. 12 (la « Loi ») – qui définit le rôle de celle-ci comme
interface juridique entre l’Église et la communauté. La Loi a
concrètement pour effet de doter de la personnalité juridique la
charge d’évêque, et ce dans tous ses aspects. Elle ne fait pas
simplement qu’habiliter la personne morale à s’occuper des
biens du diocèse.49
Par ailleurs, le fait pour une organisation religieuse d’avoir la
personnalité juridique n’implique pas que celle-ci « absorbe » en son
sein – au niveau juridique – tous les autres intervenants, membres
et fidèles d’une religion donnée, lesquels, individuellement ou collectivement, peuvent également avoir leur propre personnalité juridique, selon des modalités qui leur sont particulières. Ainsi, dans le
contexte d’une demande d’accréditation en droit du travail québécois, le juge Burns a fait la distinction entre la personne de l’évêque
et la corporation constituée en vertu de la Loi sur les évêques catholiques romains50 :
[30] Il faut bien se rappeler que ce lien de communion est établi
entre l’archevêque et l’agent de pastorale, ce qui fait dire aux
intervenants favorables à la position de l’Employeur que
l’agent de pastorale est rien de moins que le prolongement de la
personne de l’archevêque dans la communauté chrétienne. Or,
lorsqu’on fait en l’espèce la distinction nécessaire entre la personne de l’archevêque Ébacher et la corporation désignée
comme l’Archevêque catholique romain de Gatineau-Hull,
c’est-à-dire entre deux personnes juridiques distinctes, on se
doit de constater que ce n’est pas l’archevêque qui est l’employeur, mais cette responsabilité revient plutôt à la corporation.
[...]
[32] Me Caparros reconnaît d’ailleurs clairement l’existence
des deux personnalités juridiques distinctes en ces termes :
« Alors, on est en train de parler d’une corporation qui est
juridiquement différente de l’évêque, monseigneur Untel ou
monseigneur un autre Tel. L’évêque est une personne civile,
une personne sans plus, le canon le qualifie, c’est parce que
... Et la corporation épiscopale est la personne juridique qui
49. Untel c. Bennett, [2004] 1 R.C.S. 436, par. 11 et 12.
50. Loi sur les évêques catholiques romains, L.R.Q., c. E-17.
Entre sacré et profane
339
a les fonctions qu’on lui a attribuées selon la loi et qui les
exerce selon cette loi. » 51
Ainsi les droits et obligations d’une organisation religieuse,
telle la corporation ecclésiastique évoquée plus tôt, survivent au
changement de dirigeant, en l’occurrence de l’évêque, à sa tête52.
2.3 L’importance de l’« emploi »
Si les organisations religieuses – comme les organismes sans
but lucratif – choisissent de protéger leurs marques de commerce en
enregistrant celles-ci en liaison avec leurs marchandises et/ou services, elles sont bien sûr assujetties à la notion d’« emploi » de marque
qu’on retrouve aux articles 2 et 4 de la Loi, laquelle est pertinente
pour le maintien des droits dans une marque de commerce (à titre
d’exemple, notons la procédure selon l’article 45 de la Loi). On
retrouve la définition suivante d’« emploi » à l’article 2 de la Loi :
« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce,
tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison
avec des marchandises ou services.
Pour sa part, l’article 4 de la Loi prévoit :
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison
avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de
la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du
commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur
les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si
elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel
point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la
propriété ou possession est transférée.
(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison
avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.
(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces
51. Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre diocésain de Gatineau-Hull c.
Archevêque catholique romain de Gatineau-Hull, [2004] D.T.T.Q. no 51 (T.T.Q.),
le juge Burns, par. 30 et 32.
52. Untel c. Bennett, [2004] 1 R.C.S. 436, par. 15.
340
Les Cahiers de propriété intellectuelle
marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce
pays en liaison avec ces marchandises.
Comme le juge Pratte de la Cour d’appel fédérale l’a indiqué
dans l’arrêt Enterprise Car and Truck Rentals Co. c. Singer53,
l’article 4 de la Loi (comme les articles 3 et 5 d’ailleurs) n’énonce pas
une règle de fond régissant l’acquisition et l’emploi des marques de
commerce. Cette disposition est jointe aux articles 2 et 6 sous la
rubrique « Définitions et interprétation ». L’article 2 énonce la définition du mot « emploi » tandis que l’article 4 est une disposition qui
attribue simplement un sens spécial à certaines expressions. Il faut
donc appliquer l’article 4 lorsqu’on interprète les dispositions de la
Loi dans lesquelles figure l’expression « emploi ».
L’article 4 de la Loi établit une distinction importante entre un
emploi de marque en liaison avec des marchandises et celui avec des
services. Précisons d’abord les notions de « marchandises » et de
« services ».
2.3.1 Définition de « marchandises »
La notion de « marchandises » est définie à l’article 2 de la Loi (il
s’agit davantage d’une précision que d’une définition exhaustive) :
« marchandises » Sont assimilées aux marchandises les publications imprimées.
Cette précision est importante pour les organisations religieuses dont la diffusion des idées passe souvent par la distribution
d’écrits de toutes sortes (même en cette période d’univers virtuel !).
D’ailleurs, l’inclusion des publications imprimées à la définition de
« marchandises » était une préoccupation clairement exprimée par
les auteurs du Report of Trade Mark Law Revision Committee to the
Secretary of State of Canada54 qui a précédé l’entrée en vigueur de
l’actuelle Loi sur les marques de commerce le 1er juillet 1954 :
As is well-known, many newspapers throughout the Englishspeaking world make use of such titles as “Journal”, “Express”,
“Despatch” and “Times”. No such word would be susceptible of
53. Enterprise Car and Truck Rentals Co. c. Singer, [1998] A.C.F. no 182 (C.A.F.).
54. Report of Trade Mark Law Revision Committee to the Secretary of State of
Canada reproduit dans Harold G. FOX, The Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition, 2e éd., vol. 2 (Toronto, The Carswell Company Limited,
1956).
Entre sacré et profane
341
exclusive appropriation. However, where an arbitrary word is
employed as a title of a publication, there seems to be no reason
why protection should be denied.
Moreover, quite apart from the titles of publications, it has
come to the attention of the Committee that many publishers,
particularly those engaged in distributing pocket books,
employ symbols to distinguish their works. Such symbols often
are the representation of an animal or a geometric design and
they serve admirably to distinguish literary works originating
from a particular source.55
En ce qui concerne la définition de « marchandises » (autre que
la référence aux publications imprimées que mentionne la Loi), celle
fournie par Le Nouveau Petit Robert56 mentionne une « chose mobilière pouvant faire l’objet d’un commerce, d’un marché ». Faut-il donc
comprendre que la définition de « marchandises » dans la Loi exclut
tous les biens immeubles ? Pour répondre à cette question, examinons également la définition de la version anglaise du mot « marchandises », c’est-à-dire « wares ». Le Webster’s II New Riverside
University Dictionary57 définit le mot « wares » de la manière suivante :
a. Articles of commerce : GOODS. b. An asset or benefit, as a
service or personal accomplishment, regarded as an article of
commerce.
La définition de l’expression anglaise « wares » semble plus
large que celle en français pour « marchandises » et comprendrait
ainsi les biens immeubles qui peuvent faire l’objet d’un commerce.
D’ailleurs, cette interprétation qui vise les biens immeubles est
conforme à la pratique du Bureau des marques de commerce du
Canada qui permet l’enregistrement de marques de commerce en
association avec des biens immeubles, dont des lieux de culte décrits
sous la rubrique « marchandises ». À titre d’exemple, notons les inscriptions suivantes (dont certaines mentionnent des lieux de culte)
55. Report of Trade Mark Law Revision Committee to the Secretary of State of
Canada reproduit dans Harold G. FOX, The Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition, 2e éd., vol. 2 (Toronto, The Carswell Company Limited,
1956), page 1155.
56. Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française (Paris, Dictionnaires Le Robert-VUEF, 2002), page 1568.
57. Webster’s II New Riverside University Dictionary (Boston, The Riverside Publishing Company, 1984), page 1301.
342
Les Cahiers de propriété intellectuelle
notées lors d’une consultation du registre des marques de commerce
le 31 juillet 2007 :
• enregistrement LMC 677,47558, obtenu le 22 novembre 2006 pour
la marque de commerce CONDOR PROPERTIES en association
avec « single family homes and condominium buildings » ou « maisons unifamiliales et immeubles en copropriété » [traduction fournie par l’OPIC] ;
• enregistrement LMC 572,89259, obtenu le 30 décembre 2002 pour
la marque de commerce graphique ROYAL BUILDING
SYSTEMS en association avec, entre autres, les marchandises
dites « institutional buildings, including churches, mausoleums,
medical clinics, animal shelters, schools and correctional facilities » ou « bâtiments d’institutions, y compris églises, mausolées,
cliniques médicales, abri pour les animaux, écoles et établissements correctionnels » [traduction fournie par l’OPIC] ;
• enregistrement LMC 335,36060, obtenu le 18 décembre 1987 pour
la marque de commerce LINWOOD HOMES en association avec
les marchandises dites « prepackaged homes, churches, motels,
and small commercial buildings » ou « maisons préfabriquées,
églises, motels et petits édifices commerciaux » [traduction fournie par l’OPIC].
Même en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale61, en
vigueur avant l’actuelle Loi sur les marques de commerce, le registraire permettait l’enregistrement de marques de commerce en liaison avec des biens immeubles, dont des églises. À ce sujet, référons
à l’enregistrement LCD 24,40162, obtenu le 13 juin 1946 pour la
marque de commerce «MODERNAGE» en association avec les marchandises dites : « Buildings of all kinds, including houses, churches,
58. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
59. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
60. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
61. Loi sur la concurrence déloyale, 1932, 22-23 George V, c. 38.
62. Enregistrement consulté le 31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca. Cet enregistrement a toutefois été radié pour défaut de renouvellement le 30 août 1991.
Entre sacré et profane
343
garages, stores, store fronts, schools, farm buildings, creative
designs for houses, garages, stores, store fronts, churches, schools ;
furniture, namely, chairs, general desks and office furniture, sink
cabinets and built-in furniture in general. ».
Pour obtenir l’enregistrement d’une marque de commerce en
liaison avec des biens immeubles, Le manuel des marchandises et des
services des marques de commerce63 publié par le Bureau des marques de commerce précise toutefois qu’il faut en indiquer le type précis, qu’il s’agisse, par exemple, d’étables, de chalets, de bâtiments en
copropriété, de conservatoires, de serres, de maisons, d’immeubles à
bureaux, d’écoles, de remises, d’écuries, etc.
Finalement, sur une note plus générale, si une marchandise
doit subir des transformations en raison de services rendus par la
personne qui vend la marchandise en question, cette dernière ne
perd toutefois pas son statut de « marchandise », comme le soulignait
le registraire dans la décision (Re) Systèmes Proxima Ltée64 :
La partie requérante soumet que les logiciels du titulaire ne
sont jamais vendus seul mais qu’ils forment une composante du
service et donc le logiciel fourni aux clients n’est pas une « marchandise » tel que ce terme est défini par la Loi. Que vu que le
logiciel doit être adapté et modifié en fonction des besoins de la
clientèle, il ne peut y avoir emploi en liaison avec des marchandises, le logiciel étant « merely ancillary » aux services en liaison avec lesquels la marque est utilisée. À mon avis, bien que la
personnalisation et la modification des logiciels du titulaire forment une composante du service offert par le titulaire, il est
clair que le produit final est une marchandise, c’est-à-dire un
logiciel65.
En résumé, une « marchandise » :
• comprend les publications infirmées ;
• est un bien meuble ou immeuble (ce qui inclut les lieux de culte) ;
et
• peut faire l’objet de transformations.
63. Le manuel des marchandises et des services des marques de commerce consulté le
31 juillet 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office
de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse http://cipo.gc.ca.
64. (Re) Systèmes Proxima Ltée, [2003] C.O.M.C. no 21 (Div. Art. 45), D. Savard.
65. (Re) Systèmes Proxima Ltée, [2003] C.O.M.C. no 21 (Div. Art. 45), D. Savard,
par. 8.
344
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.3.2 Définition de « services »
La notion de « services », elle, n’est pas définie dans la Loi. En
l’absence de définition, la jurisprudence énonce que cette notion doit
en fait recevoir une interprétation large et libérale 66.
C’est le juge Strayer dans l’arrêt Kraft Limited c. Registraire
des marques de commerce67 qui a écrit que la notion de « services »
doit être libéralement interprétée ; il a d’ailleurs trouvé appui dans
la jurisprudence états-unienne :
J’en viens à peu près à la même conclusion que celle qu’a tirée la
Cour des appels des douanes et des brevets dans l’affaire American International Reinsurance Co., Inc. v. Airco, Inc. 571 F.2d
941 ; 197 USPQ 69 (1978), à la page 71, où la Cour a fait remarquer ce qui suit concernant le Lanham Act :
[TRADUCTION] Il apparaît évident qu’on n’a jamais tenté
de définir « services » simplement en raison du nombre
incalculable des services que l’esprit de l’homme est capable
d’inventer. Il faudrait par le fait même que ce terme soit
interprété de façon libérale. Vu ce qui précède, chaque cas
doit être tranché en regard de ses faits propres, en tenant
compte comme il convient des précédents68.
Qui plus est, même une organisation sans but lucratif (qui est
par ailleurs comprise dans la définition de « personne » au sens de
l’article 2 de la Loi) peut rendre des « services » au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, comme en a décidé le registraire dans la décision The War Amputations of Canada/les Amputés de Guerre du
Canada c. Faber-Castell Canada Inc.69. Nous développerons ulté66. Kraft Limited c. Registraire des marques de commerce, [1984] 2 C.F. 874
(C.F.P.I.), le juge Strayer ; Hartco Enterprises Inc. c. Becterm Inc., (1989) 24
C.P.R. (3d) 223 (C.F.P.I), le juge Dubé, page 228 ; Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu International Ltd., (2000) 193 F.T.R. 182 (C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer, par. 26 (décision confirmée par Renaud Cointreau & Cie c. Cordon
Bleu International Ltée, [2002] A.C.F. no 143, 2002 CAF 11 (C.A.F.)).
67. Kraft Limited c. Registraire des marques de commerce, [1984] 2 C.F. 874
(C.F.P.I.), le juge Strayer.
68. Kraft Limited c. Registraire des marques de commerce, [1984] 2 C.F. 874
(C.F.P.I.), le juge Strayer, page 878.
69. The War Amputations of Canada/les Amputés de Guerre du Canada c.
Faber-Castell Canada Inc., (1992) 41 C.P.R. (3d) 557 (C.O.M.C.), G.W. Partington, page 560.
Entre sacré et profane
345
rieurement ce point lorsque nous aborderons la question de l’emploi
d’une marque de commerce en liaison avec des services.
Une interprétation large et libérale donnée à la notion de « services » est importante pour les organisations religieuses puisqu’elle
leur permet ainsi de protéger les diverses activités conçues dans le
cadre de leur mission. Cette interprétation est d’ailleurs cohérente
avec le choix d’une définition de « personne » qui comprend à la fois
les individus et les sociétés qui ne sont pas en affaires pour faire des
profits.
Finalement, des services peuvent être ancillaires à la vente de
produits puisque rien dans la définition de « marque de commerce »
ne suggère que les services à l’égard desquels est établie une marque
de commerce se limitent à ceux qui ne sont pas « accessoires » à la
vente de biens70.
À titre illustratif, dans un cadre purement commercial, les services suivants ont été reconnus comme tels (i.e. comme des services),
même s’ils étaient ancillaires à des produits :
• des programmes de bons de réduction relativement à une gamme
de produits alimentaires [marque BREADWINNERS]71 ;
• des services de traitement anti-taches applicables à des tapis et
des moquettes [marque STAINSHIELD]72 ;
• des recettes, suggestions et autre matériel instructif, imprimés
sur les étiquettes de produits alimentaires et applicables à la préparation, la cuisson et/ou l’amélioration desdits produits alimentaires [marque CORDON BLEU]73 :
70. Kraft Limited c. Registraire des marques de commerce, [1984] 2 C.F. 874
(C.F.P.I.), le juge Strayer, page 879 ; Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu
International Ltd., (2000) 193 F.T.R. 182 (C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer, par.
27 (décision confirmée par Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu International
Ltée, [2002] A.C.F. no 143, 2002 CAF 11 (C.A.F.)) ; Sim & McBurney c. Gesco
Industries, Inc., (2000) 9 C.P.R. (4th) 480 (C.A.F.).
71. Kraft Limited c. Registraire des marques de commerce, [1984] 2 C.F. 874
(C.F.P.I.), le juge Strayer, page 879.
72. Sim & McBurney c. Gesco Industries, Inc., (2000) 9 C.P.R. (4th) 480 (C.A.F.).
73. Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu International Ltd., (2000) 193 F.T.R. 182
(C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer (décision confirmée par Renaud Cointreau &
Cie c. Cordon Bleu International Ltée, [2002] A.C.F. no 143, 2002 CAF 11
(C.A.F.)).
346
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans cette dernière affaire impliquant la marque de commerce
CORDON BLEU, la juge Tremblay-Lamer de la Cour fédérale a
constaté que les services de suggestions pour la préparation de produits alimentaires étaient rendus dans la mesure où l’étiquette pour
une sauce pour sandwichs chauds arborait le texte « servir avec notre
délicieux poulet désossé et avec toutes viandes74 ». En concluant à
l’emploi de la marque, la juge Tremblay-Lamer a toutefois noté le
caractère inhabituel des services en question75. Ainsi, le fait qu’un
service soit inhabituel ou même exceptionnel ne devrait pas faire
obstacle à sa reconnaissance comme tel puisque l’éventail des services qu’une personne peut rendre (et que la Loi peut protéger) est
aussi large que l’esprit qui les conçoit. Cette considération est importante car elle donne aux organisations religieuses la souplesse nécessaire pour diffuser leurs idées et leurs doctrines selon le mode de leur
choix, par le biais de services qui peuvent être « inhabituels » si on les
compare à des services offerts par des entreprises commerciales76.
Afin d’illustrer (de manière évidemment non exhaustive) le
large inventaire de services à caractère religieux que les organisations ou des individus ont enregistré en association avec leur marque
74. Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu International Ltée, (2000) 193 F.T.R. 182
(C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer, par. 30 (décision confirmée par Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu International Ltée, [2002] A.C.F. no 143, 2002 CAF 11
(C.A.F.)).
75. Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu International Ltée, (2000) 193 F.T.R. 182
(C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer, par. 40 (décision confirmée par Renaud Cointreau & Cie c. Cordon Bleu International Ltée, [2002] A.C.F. no 143, 2002 CAF 11
(C.A.F.)).
76. Notons toutefois que des services dits « services de publicité et de mise en marché
des produits du requérant » n’ont pas été acceptés à titre de services au sens de la
Loi par la Commission des oppositions dans Ralston Purina Co. c. Effem Foods
Ltd., (1997) 81 C.P.R. (3d) 528 (C.O.M.C.), S.E. Groom, page 534. Selon cette décision, un « service » au sens de la Loi doit profiter à un tiers.
Entre sacré et profane
347
de commerce respective, soulignons les inscriptions suivantes notées
lors d’une consultation du registre des marques de commerce le
17 septembre 2007 (encore une fois, aucun commentaire éditorial
n’est sous-entendu dans le choix des exemples qui suivent) :
Le 18 septembre 1992, sous le numéro LMC 402,78077, la
marque de commerce graphique ci-après reproduite :
a été enregistrée au nom de la Fraternité sacerdotale des enfants du
Verseau pour les services suivants : services religieux, nommément :
messe, baptême, confirmation, mariage, funérailles ; exorcisme,
enseignements religieux, gnostique, esotérique, séminaire, convent
(sic).
Le 16 octobre 2002, sous le numéro LMC 568,85178, la marque
de commerce graphique CHRISTAR a été enregistrée au nom de
International Missions Inc. pour les services suivants :
Selecting, equipping, sending
and providing support for persons to minister in various countries to those in need of the Word
of God.
Sélection, équipement, envoi et
soutien de personnes en mission
dans divers pays auprès de ceux
qui ont besoin de la parole de
Dieu.
[traduction fournie par l’OPIC]
77. Enregistrement consulté le 17 septembre 2007 dans la base de données sur les
marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à
l’adresse http://cipo.gc.ca.
78. Enregistrement consulté le 17 septembre 2007 dans la base de données sur les
marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à
l’adresse http://cipo.gc.ca.
348
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le 20 décembre 2004, sous le numéro LMC 628,65979, la marque de commerce graphique ANGEL WORKS, ci-après reproduite :
a été enregistrée au nom de Madame Nancy Toran Harbin pour, entre
autres, les services suivants :
(1) Production and distribution
of uplifting media programming
to be broadcast via assorted
me d i a na me l y t e l e v i s i o n ,
internet and CD’s and booklets
reflecting : wellness, JudeoChristian principles, The Holy
Bible. (2) Production, manufacture and distribution of uplifting products, namely booklets,
books, CDs and DVDs, which
promote : wellness, JudeoChristian principals, The Holy
Bible. (3) The production, manufacture and distribution of CDs
and tapes with relaxing, uplifting content to benefit charitable
and/or health based causes
namely : shelters for abused
women : agencies which assist
abused women ; agencies which
assist women and men on welfare seeking employment ; hosp i t a l s ; ho s p i c e s ; h e a l t h
research ; organ transplant
awareness ; cancer patients ;
HIV/AIDS patients ; bereaved
families ; congregations of the
Jewish and Christian faith. (4)
(1) Production et distribution de
programmation audiovisuelle
stimulante destinée à être diffusée par des moyens de toutes sortes, nommément la télévision,
Internet et les médias électroniques et ayant trait au mieux-être,
aux principes judéo-chrétiens et
à la Sainte Bible. (2) Production,
fabrication et distribution de produits de spiritualité, nommément livrets, livres, disques
compacts et DVD, qui valorisent
le mieux-être, les principes
judéo-chrétiens, la Sainte Bible.
(3) Production, fabrication et distribution de disques compacts et
de bandes à contenu relaxant et
spirituel destinés à des causes
caritatives et/ou liées à la santé,
nommément abris pour femmes
maltraitées : agences qui aident
les femmes maltraitées ; agences
qui aident les femmes et les hommes bénéficiant de l’aide sociale à
rechercher des emplois ; hôpitaux ; hospices ; recherche en
santé ; sensibilisation à la transplantation d’organes ; patients
79. Enregistrement consulté le 17 septembre 2007 dans la base de données sur les
marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à
l’adresse http://cipo.gc.ca.
Entre sacré et profane
The production and distribution
of uplifting radio programming
reflecting : wellness, JudeoChristian principles, The Holy
Bible. (5) Consulting services
regarding the production, manufacture and distribution of CDs
for religious associations and
a r t i s t s w h i c h p r o mo t e :
wellness, Judeo-Christian principles, The Holy Bible.
349
cancéreux ; patients atteints du
VIH/SIDA ; familles en deuil ;
congrégations de la foi juive et de
la foi chrétienne. (4) Production
et distribution d’émissions de
radio stimulantes ayant trait au
mieux-être, aux principes judéochrétiens et à la Bible. (5) Services de consultation concernant la
production, la fabrication et la
distribution de disques compacts
pour associations religieuses et
artistes qui promeuvent le
mieux-être, les principes judéochrétiens, la Sainte Bible.
[traduction fournie par l’OPIC]
Ces exemples illustrent donc la souplesse qui permet la reconnaissance de différents services à caractère religieux. Une interprétation large et libérale donnée à la notion de « services » en vertu de
la Loi sur les marques de commerce permet ainsi aux organisations
religieuses de protéger leurs marques de commerce en association
avec leurs activités respectives.
2.3.3 L’emploi d’une marque en liaison avec des
marchandises
Pour qu’une marque de commerce puisse faire l’objet d’un
« emploi » en association avec des marchandises, le paragraphe 4(1)
de la Loi prévoit trois conditions. Ainsi, une marque de commerce (au
sens de l’article 2 de la Loi, c’est-à-dire une marque employée par une
personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises
fabriquées, vendues, données à bail ou louées par elle des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées par d’autres) est
réputée employée en liaison avec des marchandises si :
1) lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises,
2) dans la pratique normale du commerce,
3) elle est apposée :
– sur les marchandises mêmes ou
350
Les Cahiers de propriété intellectuelle
– sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées,
ou
– si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel
point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la
propriété ou possession est transférée.
En ce qui concerne les organisations religieuses, la partie de
cette définition qu’il convient de retenir – puisqu’elle fait la différence entre un emploi visé par le paragraphe 4(1) et un autre qui ne
l’est pas – est la mention « dans la pratique normale du commerce ».
Ce libellé fait en sorte que la distribution gratuite de marchandises
(incluant, bien sûr, les publications imprimées) ne constitue pas un
emploi au sens du paragraphe 4(1). La présence des mots « dans la
pratique normale du commerce » a pour conséquence qu’un simple
transfert de possession de marchandises (par ailleurs déjà prévu au
paragraphe 4(1)) n’est pas en soi suffisant pour donner effet à la présomption de cette disposition.
On peut reconnaître de manière générale, sans crainte de se
tromper, que les organisations religieuses ont des préoccupations
qui sont prioritairement de nature spirituelle et altruiste (dans la
mesure où leurs regards sont tournés vers l’au-delà et vers le prochain) plutôt qu’entièrement commerciales80 (encore que de nombreux échanges avec autrui impliquent, bien sûr, des échanges
commerciaux). Dans leurs rapports avec le public, les organisations
religieuses doivent donc être conscientes que toute distribution gratuite du matériel exposant leur doctrine et auquel est associée leur
marque de commerce ne constituera pas un « emploi » de cette
marque au sens du paragraphe 4(1) avec ce matériel81. L’exigence
d’une transaction commerciale est donc une condition d’un emploi
d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises au sens
du paragraphe 4(1) de la Loi. Pour comprendre cette exigence, référons aux motifs du juge Rouleau dans l’arrêt Cordon Bleu International Ltée/Cordon Bleu International Ltd. c. Renaud Cointreau &
Cie82 où celui-ci devait décider si la distribution gratuite de mar80. Les Églises chrétiennes se souviendront des paroles du Christ lorsque Celui-ci
chasse les marchands du temple : « Ôtez tout cela d’ici et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic » (Jean 2, 16 ; Traduction œcuménique de la
Bible (Paris, Société biblique française et Éditions du Cerf, 1975), page 197).
81. Si la distribution gratuite de ce matériel était plutôt décrite comme un service, il
pourrait alors y avoir « emploi » de la marque, comme nous le verrons dans la section suivante.
82. Cordon Bleu International Ltée/Cordon Bleu International Ltd. c. Renaud Cointreau & Cie, [2000] A.C.F. no 1414 (C.F.P.I.), le juge Rouleau.
Entre sacré et profane
351
chandises dites « printed leaflets and booklets of recipes for making
sandwiches, canapes and hors-d’œuvres » pouvait être considérée
dans la pratique normale du commerce au sens du paragraphe 4(1)
de la Loi. En répondant par la négative, le juge Rouleau a mentionné
que la preuve d’un échange commercial était un élément de toute
démonstration d’emploi de marque « dans la pratique normale du
commerce » :
[13] À mon avis, la réponse à la question posée par la présente
affaire se retrouve dans la décision Hospital World Trade
Mark, [1967] R.P.C. 595 (Pat. Off.). Dans cette affaire, la marque de commerce en question était utilisée sur un journal
publié par les demandeurs, qui étaient fabricants de matériel
médical et chirurgical. Le journal servait de publicité pour les
produits des demandeurs, en plus de fournir de la lecture
d’intérêt général pour le personnel médical. Il était distribué
gratuitement et en quantité considérable. Je reproduis au long
les extraits pertinents (aux pages 597-599) :
« I am in no way questioning that the circulation of
this journal provides responsible reading matter on a variety of topics of interest to persons in the hospital and medical professions. It is stated that the applicants distribute
approximately 15,000 copies of the journal free of charge
monthly in the United Kingdom and that they have spent
substantial sums on the production and circulation of
the journal in each of the years 1962, 1963 and 1964. It is
stated that the journal has been very well received by the
hospital staffs to whom it is addressed and there are exhibited copies of letters sent to the applicants, albeit all after
the relevant date of the application, in which persons on
various medical and hospital staffs are writing to be supplied with copies of the journal and to be included in the
mailing list for it. The issue is whether the free distribution of the journal can be regarded as using the trade mark
within the definition contained in section 68 of the Act
which is as follows : –
“‘Trade mark’ means, except in relation to a certification trade mark, a mark used or proposed to be used
in relation to goods for the purpose of indicating, or
so as to indicate, a connection in the course of trade
between the goods and some person having the right
either as proprietor or as registered user to use the
352
Les Cahiers de propriété intellectuelle
mark, whether with or without any indication of the
identity of that person....”
Under section 17(1) of the Act it is incumbent on a person
applying for the registration of a trade mark and claiming
to be the proprietor thereof to assert that it is used or proposed to be used by him. Thus it seems to me that in claiming to be the proprietors of the mark propounded used in
relation to periodical publications, the applicants must be
able to show that they have used it as a trade mark in relation to those goods within the definition contained in section 68 of the Act. [...]
It is necessary in the present case to refer to the observations of Lord Wright in Aristoc v. Rystal Ltd. (1945) 62
R.P.C. 65. In considering the definition of a trade mark in
section 68 he said (from 82, line 48, to 83, line 11) : –
“The limitation in the Act of 1938, ‘in the course of
trade’, sufficiently, in my opinion, preserves the
essential and characteristic function of the mark.
The proprietor is required to be a trader who places
the goods before the public as being his goods. That is
the vital connection, not some later partial and
ephemeral attribution to someone else. ‘Trade’ is a
very wide term : it is one of the oldest and commonest
words in the English language. Its great width of
meaning and application can be seen by referring to
the heading in the Oxford English Dictionary. But it
must always be read in its context. That gives it the
special connotation appropriate to the particular
case. In the Act of 1938, the context shows that
‘trade’ refers to selling or otherwise trading in the
goods to which the mark is applied. Thus, in section
26(2)(b) we find the words ‘goods to be sold or otherwise traded in’ ; the same collocation of words is
found in section 31 ; and again in section 68 in the
definition of limitations. These instances show that
‘trade’ is here used in the particular sense of
merchanting, selling or the like which would nowadays include the more modern practices of hire, purchase, leasing (for example of valuable machines),
letting out for public use, exporting, etc.”
Entre sacré et profane
353
Mr. Lloyd submitted that “or otherwise traded in” covered
the applicant’s free distribution of the journal ; but this
interpretation goes wider, in my opinion, than the examples of “trade” referred to by Lord Wright which all seem to
me to involve some payment or exchange for goods supplied. The word “otherwise” seems to me to indicate,
rather, such other forms of trade as hire, or even barter, of
goods. The free distribution of a journal containing matters of interest of prospective customers and others who
come in contact with the applicants in their main business
as manufacturers of surgical and medical dressings and
hospital supplies, is undoubtedly an aid in their general
public relations and helps to create goodwill in the firm ;
but I do not think that the free distribution can be
regarded as trading in the goods of the application within
the context of the definition of a trade mark. The goods are
not being put on the market for people to buy as a matter of
choice in preference to someone else’s publications. The
persons who receive the free copies are, I think, most likely
to regard them as part of the applicants’ publicity and
advertisement campaign concerned with the sales of
dressings and hospital supplies rather than the products
of a business of publishers. I have come to the conclusion,
therefore, that the applicants’ mark has not been used in
relation to periodical publications for the purpose of indicating a connection in the course of trade within the
definition of a trade mark in section 68 of the Act ».
[14] Ainsi, la distribution gratuite de marchandises tel des
feuillets et des livrets de recettes ne peut être considérée
comme une transaction qui entraîne le transfert de la propriété
ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, qui permettrait d’appliquer la présomption
de l’article 4(1) de la Loi et ainsi considérer la marque de commerce CORDON BLEU employée en liaison avec ces marchandises.83
Dans l’arrêt Positive Attitude Safety Systems Inc. c. Albian
Sands Energy Inc.84, le juge Pelletier de la Cour d’appel fédérale a
83. Cordon Bleu International Ltée/Cordon Bleu International Ltd. c. Renaud Cointreau & Cie, [2000] A.C.F. no 1414 (C.F.P.I.), le juge Rouleau, par. 13 et 14.
84. Positive Attitude Safety Systems Inc. c. Albian Sands Energy Inc., [2006] 2 R.C.F.
50 (C.A.F.).
354
Les Cahiers de propriété intellectuelle
souligné à son tour que la pratique du commerce était une condition
essentielle pour établir l’emploi d’une marque en association avec
des marchandises au sens du paragraphe 4(1) de la Loi :
[32] L’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des
marchandises est donc subordonné au transfert de la propriété
de celles-ci dans la pratique du commerce. Par conséquent, il ne
peut y avoir confusion s’il n’y a pas transfert de marchandises
dans la pratique du commerce. Or, les conclusions de fait du
juge des requêtes touchant l’utilisation du système PASS par
les appelants établissent qu’ils ne pratiquaient pas le commerce relativement à ce système. [...]85.
Ainsi, une démonstration d’« emploi » au sens du paragraphe
4(1) de la Loi exige preuve d’un paiement ou de tout autre échange ou
marché pour les marchandises fournies86.
2.3.4 L’emploi d’une marque en liaison avec des services
Pour qu’une marque de commerce puisse faire l’objet d’un
« emploi » en association avec des services, le paragraphe 4(2) de la
Loi prévoit qu’une marque doit être :
• employée ou montrée dans l’exécution des services ; ou
• employée ou montrée dans l’annonce des services.
Parmi les circonstances permettant l’application de la présomption d’emploi, on note, entre autres, une marque « employée »
dans l’annonce ou l’exécution des services (le législateur a rédigé
cette présomption de manière « circulaire » puisque la définition
comprend le terme défini). Contrairement à la situation de l’emploi
85. Positive Attitude Safety Systems Inc. c. Albian Sands Energy Inc., [2006] 2 R.C.F.
50 (C.A.F.), par. 32.
86. Voir également Banque royale du Canada c. Canada (Registraire des marques de
commerce), [1995] A.C.F. no 1049 (C.F.P.I.) [désistement d’appel le 10 décembre
1997 au dossier A-489-95 de la Cour d’appel fédérale], où le juge Dubé de la Cour
fédérale a indiqué que le mot « commerce » implique une forme de paiement ou
d’échange à l’égard des marchandises fournies ou, à tout le moins, que le transfert
des marchandises ait eu lieu dans le cadre d’un marché (par. 13) ; voir toutefois
Now Communications Inc. c. Chum Ltd., (2000) 5 C.P.R. (4th) 275 (C.O.M.C.),
G.W. Partington, où le registraire a indiqué que la distribution gratuite d’une
revue peut être un emploi au sens du paragraphe 4(1) de la Loi dans une situation
où la partie en cause espérait obtenir des profits suite à la vente d’espace
publicitaire dans sa revue.
Entre sacré et profane
355
d’une marque en association avec des marchandises qui exige la
preuve d’un échange commercial, une marque de commerce est
réputée employée en liaison avec des services si, entre autres, elle est
montrée dans l’annonce de ces services. Ainsi, la publicité d’une
marque pour des services annoncés au Canada serait un emploi de
marque en liaison avec ces services en autant que les services euxmêmes soient rendus au Canada. Ainsi en a décidé le Juge Thurlow
dans l’arrêt Porter c. Don the Beachcomber87 :
What has to be decided in the present appeal is thus whether
advertising in Canada of the trade mark without physical performance in Canada of the services in respect of which it was
registered was use of the trade mark in Canada within the
meaning of the statute.
[...]
I shall therefore hold that “use in Canada” of a trade mark in
respect of services is not established by mere advertising of the
trade mark in Canada coupled with performance of the services
elsewhere but requires that the services be performed in Canada and that the trade mark be used or displayed in the performance or advertising in Canada of such services.88
Dans la mesure où les services sont rendus au Canada, le fait
qu’une marque de commerce soit montrée dans l’annonce de ces services au Canada (dans le cadre de la publicité, par exemple) constitue un emploi de la marque au sens du paragraphe 4(2) de la Loi ;
en effet, le législateur n’a pas imposé la preuve d’un échange commercial en ce qui concerne l’emploi d’une marque en liaison avec des
services. La disparité qui existe entre le paragraphe 4(1) de la Loi –
qui exige la preuve d’une transaction commerciale pour qu’un emploi
de marque soit reconnu en association avec des marchandises – et le
paragraphe 4(2) – qui n’en exige pas dans le cadre d’un emploi de
marque en liaison avec des services – a été soulignée par le registraire dans le cadre de la décision The War Amputations of
Canada/Les Amputés de Guerre du Canada c. Faber-Castell Canada
Inc.89 :
87. Porter c. Don the Beachcomber, (1966) 48 C.P.R. 280 (C. de l’É.), le juge Thurlow.
88. Porter c. Don the Beachcomber, (1966) 48 C.P.R. 280 (C. de l’É.), le juge Thurlow,
pages 284 et 287.
89. The War Amputations of Canada/les Amputés de Guerre du Canada c.
Faber-Castell Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 557 (T.M.O.B.), G.W. Partington.
356
Les Cahiers de propriété intellectuelle
In the present case, the public receives a benefit from the opponent’s education safety program. Further, there is no provision
in the Trade-marks Act which states that a service must be paid
for in order for the service to be performed and I am not prepared to infer that such should be the case. Further, unlike s.
4(1) of the Trade-marks Act, s. 4(2) does not include reference to
services being “in the normal course of trade”90.
La Cour d’appel fédérale a évoqué le même point dans l’arrêt
Sim & McBurney c. Gesco Industries, Inc.91 :
[9] By contrast, under subsection 4(1), in order to be a trademark deemed to be used in association with wares, a number of
conditions must be satisfied, i.e. whether the trade-mark is
used at the time of the transfer of the property or possession of
the wares, whether it is in the normal course of trade, whether
it is marked on the wares or packages. Parliament did not
impose such restrictions or conditions on when a trade-mark is
to be deemed to be used in association with services.92
Le choix du Parlement d’imposer des conditions plus souples
relativement à l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec
des services est certainement avantageux pour toutes les organisations religieuses puisque cette disposition créant la présomption
d’emploi n’impose aucune exigence de transaction commerciale. Les
organisations religieuses peuvent donc employer (au sens du paragraphe 4(2) de la Loi) leurs marques de commerce si ces dernières
sont montrées dans l’annonce ou l’exécution de leurs services respectifs de prédication, de direction spirituelle, d’œuvres de bienfaisance,
etc., en autant que ces services soient rendus au Canada.
90. The War Amputations of Canada/les Amputés de Guerre du Canada c.
Faber-Castell Canada Inc., (1992) 41 C.P.R. (3d) 557 (T.M.O.B.), G.W. Partington, page 562.
91. Sim & McBurney c. Gesco Industries, Inc., (2000) 9 C.P.R. (4th) 480 (C.A.F.).
92. Sim & McBurney c. Gesco Industries, Inc., (2000) 9 C.P.R. (4th) 480 (C.A.F.), par.
9 ; voir également : Goodman & Carr c. Royal LePage Real Estate Services Ltd.,
(1988) 20 C.P.R. (3d) 459 (Div. Art. 45), D. Savard ; Shapiro, Cohen, Andrews,
and Finlayson c. Fireman’s Fund Insurance Co., (1994) 54 C.P.R. (3d) 566 (Div.
Art. 45), M. Herzig.
Entre sacré et profane
357
3. ORGANISATIONS RELIGIEUSES ET DROIT DES
MARQUES DE COMMERCE : QUELQUES POINTS
D’INTÉRÊT
3.1 Une organisation religieuse peut-elle protéger
l’« achalandage » dans son nom ?
3.1.1 Principes généraux
Lorsqu’une organisation religieuse enregistre une marque de
commerce suivant les dispositions applicables de la Loi sur les marques de commerce, celle-ci jouit alors (comme tout titulaire d’une
marque enregistrée) du droit octroyé par l’article 19 de la Loi, c’està-dire, sous réserve de certaines exceptions, l’emploi exclusif de cette
marque de commerce, dans tout le Canada, en liaison avec les marchandises et/ou services mentionnés à l’enregistrement ainsi obtenu.
Nous verrons plus loin les limites auxquelles une organisation religieuse peut malgré tout être confrontée, même lorsqu’elle est titulaire d’un enregistrement.
Lorsqu’elle ne dispose pas d’un enregistrement, une organisation religieuse qui emploie un nom qui permet de la distinguer peutelle se fonder sur les principes d’une action pour « commercialisation
trompeuse » (passing off) lorsqu’une autre entité emploie un nom
similaire pour le même genre de marchandises ou services dans la
même région ? En d’autres mots, l’organisation religieuse a-t-elle
accès au même remède que les entités commerçantes lorsqu’il s’agit
de protéger l’« achalandage » associé à son nom et ainsi éviter la
confusion sur le « marché » ?
Commençons par identifier les types de recours en passing off.
Au Québec, ce recours n’est pas spécifiquement prévu par le Code
civil du Québec (« C.c.Q. »). Examinons toutefois l’article 1457 du
C.c.Q. qui énonce les conditions générales de responsabilité civile
applicables au Québec :
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de
conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi,
s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à
autrui.
Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce
devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à
358
Les Cahiers de propriété intellectuelle
autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral
ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice
causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou
par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.
Bien que la portée de l’article 1457 ne soit manifestement pas
limitée aux litiges de nature commerciale, la Cour d’appel du Québec
a noté que cette disposition pouvait être invoquée comme fondement
juridique pour combattre ce qui serait décrit dans une juridiction de
common law comme du passing off93. En français, le concept de passing off n’a pas d’équivalent lexicologique exact, un fait souligné par
le juge Gonthier de la Cour suprême dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada
Ltd. c. Apotex Inc.94. Toutefois, plusieurs descriptions équivalentes
en français pour désigner l’action en passing off ont été recensées par
la Cour d’appel du Québec ; la juge Rousseau-Houle a ainsi répertorié les descriptions suivantes : « action en imitation trompeuse »,
« action en imitation frauduleuse » et « délit civil de tromperie » au
nom de la majorité dans l’arrêt Kisber & Co. Ltd. c. Ray Kisber &
Associates Inc.95 Plus récemment, dans l’arrêt Demco Manufacturing
Inc. c. Foyer d’artisanat Raymond Inc.96, la Cour d’appel a noté que
ce type de recours pouvait également être qualifié d’action pour
« commercialisation trompeuse » et de « délit de substitution ».
Le recours en passing off fait également l’objet d’une codification, davantage ciblée, par le législateur fédéral. On note ainsi
l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce qui constitue un
énoncé statutaire du délit de substitution. Selon la Cour fédérale, il
s’agit d’une forme de représentation trompeuse en vertu de laquelle
un commerçant profite gratuitement de l’achalandage d’une autre
personne en prétendant que ses produits, ses services ou son entreprise sont ceux de cette autre personne97 :
93. 9055-6473 Québec Inc. c. Montréal Auto Prix Inc., J.E. 2006-1071 (C.A.Q.), par.
21 ; Demco Manufacturing Inc. c. Foyer d’artisanat Raymond Inc., J.E. 2006-285
(C.A.Q.), par. 8.
94. Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
95. Kisber & Co. Ltd. c. Ray Kisber & Associates Inc., [1998] R.J.Q. 1342 (C.A.Q.),
page 1351.
96. Demco Manufacturing Inc. c. Foyer d’artisanat Raymond Inc., J.E. 2006-285
(C.A.Q.), par. 8.
97. Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 c. Les Boutiques Cliquot Ltée,
2003 CFPI 103 (C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer (décision confirmée par Veuve
Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 c. Les Boutiques Cliquot Ltée, 2004
CAF 164 (C.A.F.) et par Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée,
[2006] 1 R.C.S. 824).
Entre sacré et profane
359
7. Nul ne peut :
[...]
b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à
y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services
ou son entreprise et ceux d’un autre ;
Dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc.98, le juge LeBel a
noté que cette dernière disposition créait un droit d’action de nature
civile qui, pour l’essentiel, codifie le délit de commercialisation trompeuse en common law99 (cet énoncé général relativement à la portée
du recours de l’alinéa 7b) de la Loi – si on le compare au recours en
common law – pourrait toutefois faire l’objet de certaines nuances
puisque, par exemple, l’article 7 de la Loi ne peut être invoqué que
lorsqu’un « système relatif aux marques de commerce » est plaidé et
établi par la preuve100 ; par ailleurs, l’alinéa 7b) a une exigence
98.
99.
100.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, par. 23.
Ital-Press Ltd. c. Sicoli, (1999) 86 C.P.R. (3d) 129 (C.F.P.I.), le juge Gibson [désistement d’appel le 3 février 2004 au dossier A-404-99 de la Cour d’appel fédérale],
par. 155. Ce point était également souligné par le juge en chef Richard dans l’arrêt Nissan Canada Inc. c. BMW Canada Inc., 2007 FCA 255 (C.A.F.) [demande
d’autorisation d’appel produite à la Cour suprême du Canada au dossier 32286
le 1er octobre 2007 ; désistement produit le 5 décembre 2007], au paragraphe 14
où celui-ci a écrit que l’alinéa 7b) de la Loi est l’équivalent du recours en passing
off à une exception près ; pour avoir recours à cette disposition, une demanderesse doit établir qu’elle possède une marque de commerce valide, que cette
marque soit enregistrée ou pas. On peut d’ailleurs se demander dans quelles circonstances limitées une marque de commerce ne serait pas invoquée dans une
action en commercialisation trompeuse (forçant ainsi, dans ce cas, une demanderesse à se tourner vers le recours en common law) dans la mesure où le juge
LeBel a indiqué dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S.
302, par. 67 que la doctrine de la commercialisation trompeuse vise à protéger
des monopoles sur des signes, présentations, noms et symboles qui constituent
le caractère distinctif d’une source (soit, en fait, une marque de commerce, au
sens le plus large de cette expression). Afin d’illustrer un recours en passing off
qui ne pourrait être initié en vertu de l’alinéa 7b) de la Loi mais le serait plutôt en
vertu de la common law, on peut suggérer le scénario d’une demanderesse qui
allègue qu’une défenderesse a attiré l’attention du public sur ses services de
publicité et sur ses annuaires de manière à vraisemblablement causer de la
confusion entre les services de publicité respectifs des parties, sans qu’une
marque de commerce spécifique ne soit alléguée. Il s’agissait en fait du scénario
examiné par le juge Gibson dans l’affaire Ital-Press Ltd. c. Sicoli, (1999) 86
C.P.R. (3d) 129 (C.F.P.I.).
360
Les Cahiers de propriété intellectuelle
temporelle, un point souligné par le juge MacGuigan dans l’arrêt
Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd.101).
Qu’il s’agisse d’une action en common law ou selon les énoncés
statutaires que nous venons d’évoquer (en vertu du Code civil du
Québec et de la Loi sur les marques de commerce), c’est l’arrêt CibaGeigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.102 qui répertorie les conditions
d’application de ces recours. Le juge Gonthier y a en effet écrit :
Le concept du passing-off a été énoncé en 1842 dans Perry c.
Truefitt (1842), 6 Beav. 66, 49 E.R. 749, où il semble d’ailleurs
que ce soit la première fois que l’expression passing-off apparaisse : [TRADUCTION] « [u]ne personne ne saurait vendre ses
produits en les faisant passer pour ceux d’une autre personne »
(p. 752 E.R.). Dans Singer Manufacturing Co. c. Loog (1880), 18
Ch. D. 395 (C.A.), conf. par (1882), 8 App. Cas. 15 (H.L.), le lord
juge James décrit le principe de la commercialisation trompeuse et ses fondements, aux pp. 412 et 413 :
[TRADUCTION]... il est interdit à quiconque de faire passer
ses produits pour ceux d’une autre personne et d’utiliser une
marque, un signe ou un symbole, un dispositif ou un autre
moyen qui, sans constituer une déclaration inexacte faite
directement à un acheteur, permet à ce dernier de mentir ou
de faire une déclaration inexacte à quelqu’un d’autre qui est
le client ultime... [C]omme je l’ai affirmé, une personne ne
doit pas, directement ou par l’intermédiaire d’autrui, déclarer faussement que ses produits sont ceux d’une autre
personne...
[...]
Les trois éléments nécessaires à une action en passing-off sont
donc : l’existence d’un achalandage, la déception du public due à
la représentation trompeuse et des dommages actuels ou possibles pour le demandeur103.
La version anglaise des motifs de l’arrêt Ciba-Geigy Canada
Ltd. c. Apotex Inc.104 décrit ainsi les trois éléments nécessaires à une
101.
102.
103.
104.
Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., (1987) 14 C.P.R. (3d) 314
(C.A.F.), page 327.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, pages 131-132.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
Entre sacré et profane
361
action en passing off : « the existence of goodwill, deception of the
public due to a misrepresentation and actual or potential damage to
the plaintiff ». À la lumière du libellé de ce test en langue anglaise,
nous devons fournir quelques précisions lexicologiques sur certains
aspects de celui-ci dans sa version en langue française.
Le deuxième élément de l’action en passing off est décrit dans la
version française des motifs du juge Gonthier comme la « déception »
du public. Selon le Multi Dictionnaire de la langue française105, le
mot « déception » signifie : « espoir non réalisé, insatisfaction... SYN.
désappointement ; désillusion ; frustration ». Il nous semble que le
deuxième élément nécessaire à une action en passing off est davantage la confusion du public due à la représentation trompeuse (plutôt
que sa « déception »). D’ailleurs, dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions
Ritvik Inc.106, le juge LeBel a décrit ce deuxième élément du test
énoncé par la Cour suprême dans l’affaire Ciba-Geigy Canada Ltd. c.
Apotex Inc.107 comme celui de la fausse déclaration ou représentation
trompeuse qui sème la confusion dans le public108.
Finalement, en ce qui concerne le troisième élément du test, il
ne s’agit pas de dommages qui sont seulement possibles, mais de
dommages probables (ou, en anglais, « likelihood of damages »). Sur
ce dernier point, référons aux motifs du juge Létourneau dans la version originale anglaise des motifs de l’arrêt Remo Imports Ltd. c.
Jaguar Cars Limited109 où celui-ci a expliqué dans quelles circonstances le juge Gonthier a employé l’expression « potential damage »
dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.110 :
[89] Three components are necessary for a passing-off action :
the existence of a goodwill, deception of the public due to a misrepresentation and actual or potential damage to the plaintiff :
see Ciba-Geigy Canada Ltd. v. Apotex Inc., [1992] 3 S.C.R. 120,
at page 132 ; Kirkbi AG v. Ritvik Holdings Inc., [2005] 3 S.C.R.
302, at paragraphs 66 to 69. Misrepresentation is not limited to
willful misrepresentation : it also covers negligent or careless
misrepresentation : ibidem, at paragraph 68.
105.
106.
107.
108.
109.
110.
Multi Dictionnaire de la langue française, 4e éd. (Montréal, Éditions Québec
Amérique Inc., 2003), page 412.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, par. 68.
Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Limited, 2007 FCA 258 (C.A.F.).
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
362
Les Cahiers de propriété intellectuelle
[90] I should point out that, in stating the three components of
a passing-off action, Gonthier J. quoted from Lord Oliver in
Reckitt & Colman Products Ltd. v. Borden Inc., [1990] 1 all.
E.R. 873, at page 880. However, when referring to damages,
Lord Oliver retained actual damage or likelihood of damage as
the third component, as opposed to merely potential damage. In
Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition,
previously cited, at page 4-83, the authors also speak in terms
of likelihood of damage and cite the Ciba-Geigy Canada Ltd.
case in support of their statement of that part of the test. These
authorities, taken together with the fact that damages are
assessed on the standard of likelihood in other trade-mark matters, lead me to conclude that the third component of a passing-off action requires proof of actual damage or the likelihood
of damage : see Veuve Clicquot Ponsardin, previously cited, at
paragraphs 37-38, maintaining the standard of likelihood for
both the issues of confusion and depreciation. Accordingly,
when Gonthier J. used the term “potential damage” in CibaGeigy Canada Ltd., I believe that he used the phrase to mean
damages that had not actually occurred. He did not set the
standard for establishing damages in actions of passing off as
anything lower than proof of the likelihood of damages. 111
Après ces précisions, considérons maintenant l’importance
accordée en jurisprudence à ce test en trois éléments lorsqu’il s’agit
d’appliquer l’article 1457 du Code civil du Québec et l’alinéa 7b) de la
Loi sur les marques de commerce.
Selon la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Kisber & Co. Ltd.
c. Ray Kisber & Associates Inc.112, même s’il s’agit de principes de
common law, il peut s’avérer utile d’examiner les « trois éléments »
mentionnés par le juge Gonthier dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada
Ltd. c. Apotex Inc.113 pour déterminer s’il y a eu, dans une instance
donnée, concurrence illicite ou déloyale en vertu des principes généraux de la responsabilité civile et de la Loi sur les marques de commerce114.
111.
112.
113.
114.
Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Limited, 2007 FCA 258 (C.A.F.), par. 89-90.
Kisber & Co. Ltd. c. Ray Kisber & Associates Inc., [1998] R.J.Q. 1342 (C.A.Q.).
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
Kisber & Co. Ltd. c. Ray Kisber & Associates Inc., [1998] R.J.Q. 1342 (C.A.Q.),
page 1352.
Entre sacré et profane
363
Dans l’arrêt 9055-6473 Québec Inc. c. Montréal Auto Prix
Inc.115, la Cour d’appel du Québec a confirmé qu’une demanderesse
qui reproche des gestes de commercialisation trompeuse à une
défenderesse peut se fonder dans la province de Québec à la fois sur
l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce de même que sur
l’article 1457 du Code civil du Québec qui s’appliquent tous les deux
en la matière116. Par ailleurs, dans un tel cas (i.e. lorsqu’une demanderesse invoque à la fois l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce de même que l’article 1457 du Code civil du Québec), la Cour a
indiqué que les mêmes exigences doivent être établies, c’est-à-dire
celles détaillées par le juge Gonthier dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada
Ltd. c. Apotex Inc.117 nommément, l’existence d’un achalandage, la
déception (i.e. la confusion) du public due à la représentation trompeuse et les dommages actuels ou possibles (i.e. probables) pour la
demanderesse118. La preuve de l’intention frauduleuse ou de la
malice du contrevenant n’est pas requise119.
L’adéquation entre les dispositions du Code civil du Québec et
les principes de common law concernant la commercialisation trompeuse a été soulignée aussi tôt qu’en 1992 par le juge Gonthier dans
l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.120 lorsque ce dernier a
cité les auteurs Nadeau et Nadeau au sujet de l’article 1053 du Code
civil du Bas-Canada, en vigueur à l’époque121 :
En dehors des pays de common law, le passing-off n’a pas
d’équivalent lexicologique exact et, en général, ne constitue pas
un délit en soi. En France, par exemple, il est l’une des facettes
de la concurrence déloyale et sa sanction est basée sur la responsabilité civile. Au Québec, les principes du passing-off sont
largement inspirés de la common law. Les remèdes peuvent
être aussi bien recherchés dans le droit fédéral que provincial :
115.
116.
117.
118.
119.
120.
121.
9055-6473 Québec Inc. c. Montréal Auto Prix Inc., J.E. 2006-1071 (C.A.Q.).
9055-6473 Québec Inc. c. Montréal Auto Prix Inc., J.E. 2006-1071 (C.A.Q.),
par. 21.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
9055-6473 Québec Inc. c. Montréal Auto Prix Inc., J.E. 2006-1071 (C.A.Q.),
par. 24.
9055-6473 Québec Inc. c. Montréal Auto Prix Inc., J.E. 2006-1071 (C.A.Q.),
par. 24.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
L’article 1053 du Code civil du Bas-Canada est le prédécesseur de l’actuel article
1457 du Code civil du Québec lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1994
(Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64) ; voir le décret 712-93 du 19 mai 1993,
publié dans la Gazette officielle du Québec, partie II, 2 juin 1993, page 3589.
364
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La concurrence illicite ou déloyale, qui cause un tort injuste
à autrui, ressortit à la responsabilité civile de l’art. 1053 C.
civ. Les actions en dommages-intérêts pour concurrence
déloyale sont instruites en vertu, non seulement de la loi
fédérale, mais aussi des principes généraux de la responsabilité civile délictuelle (Nadeau et Nadeau, Traité pratique
de la responsabilité civile délectuelle (1971), à la page
221).122
Finalement, dans l’arrêt Demco Manufacturing Inc. c. Foyer
d’artisanat Raymond Inc.123 de la Cour d’appel du Québec, on a indiqué que dans l’analyse du préjudice méritant réparation en vertu de
l’article 1457, rien n’empêche, s’agissant de commercialisation trompeuse, de subsumer sous cette règle générale les éléments mis en
lumière par l’énoncé du juge Gonthier relatifs aux trois conditions
nécessaires à une action en passing off 124.
Comme nous l’avons vu, dans l’arrêt 9055-6473 Québec Inc. c.
Montréal Auto Prix Inc.125, la Cour d’appel du Québec a indiqué que
la preuve d’une intention frauduleuse ou de la malice du contrevenant n’est pas requise pour établir le fondement d’une action en commercialisation trompeuse ; toutefois, un tel recours exige malgré tout
un examen de la conduite du prétendu contrevenant. Ainsi, l’auteur
Harold G. Fox dans son traité The Canadian Law of Trade Marks
and Unfair Competition126 soulignait certaines caractéristiques qui
distinguaient l’action en contrefaçon de l’action en commercialisation trompeuse :
The basis of an action for infringement under the Trade Marks
Act is the sale, distribution or advertisement of wares or services in association with a confusing trade mark or trade name
by a person not entitled under the Act to the exclusive use of a
registered trade mark. The remedy in the case of a registered
trade mark is recognized as being available where there is a
violation of the specific property right conferred by the trade
mark law. The remedy for passing off in the case of an unregis122.
123.
124.
125.
126.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, page 133.
Demco Manufacturing Inc. c. Foyer d’artisanat Raymond Inc., J.E. 2006-285
(C.A.Q.).
Demco Manufacturing Inc. c. Foyer d’artisanat Raymond Inc., J.E. 2006-285
(C.A.Q.), par. 12.
9055-6473 Québec Inc. c. Montréal Auto Prix Inc., J.E. 2006-1071 (C.A.Q.),
par. 24.
Harold G. FOX, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition,
3e éd. (Toronto, Carswell, 1972).
Entre sacré et profane
365
tered mark is available only where there is conduct on the part
of the defendant that has led or is calculated to lead to deception. In order to bring an action for infringement the plaintiff
must be the registered owner of the trade mark and title
thereto must reside in him.127
L’action pour commercialisation trompeuse requiert donc un
examen du comportement du prétendu contrevenant. Par contre,
dans le cadre d’une action en contrefaçon, on examinera si le prétendu contrevenant emploie la marque de commerce enregistrée du
demandeur ou encore une marque de commerce qui cause de la
confusion, au sens du paragraphe 6(2) de la Loi sur les marques de
commerce, avec celle-ci. En matière de contrefaçon, l’état d’esprit du
contrevenant est non pertinent, comme le soulignait d’ailleurs le
juge Linden de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toyota Jidosha
Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc.128 :
[11] Supposons qu’une personne fabrique une automobile et la
nomme Lexus, sans savoir qu’une marque de commerce comprenant le même mot a déjà été enregistrée. Cela pourrait-il
constituer une défense à une action en contrefaçon ou un motif
pour conclure qu’il n’y a pas de confusion ? Je ne le pense pas. Il
y a confusion ou il n’y en a pas. La décision ne peut être fondée
sur la connaissance qu’on peut ou non avoir de l’existence d’une
marque de commerce. Il n’existe pas de doctrine de mens rea
dans le domaine des marques de commerce.129
La situation en matière de commercialisation trompeuse n’est
pas la même puisque le comportement du prétendu contrevenant
sera analysé dans l’évaluation des faits d’une situation donnée. Bien
sûr, il ne sera pas nécessaire de rechercher une intention malveillante pour conclure à la commercialisation trompeuse. Au Québec,
ceci découle des principes généraux de responsabilité délictuelle (sur
lesquels se fonde l’action pour commercialisation trompeuse, comme
nous l’avons précédemment indiqué) puisqu’un agissement peut être
générateur de responsabilité pour son auteur même s’il a été commis
avec la plus entière bonne foi130. D’ailleurs, si l’action pour commer127.
128.
129.
130.
Harold G. FOX, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e
éd. (Toronto, Carswell, 1972), page 326.
Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc., [2001] 2 C.F. 15 (C.A.F.)
[demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée le 12 juillet 2001 au dossier 28376].
Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc., [2001] 2 C.F. 15 (C.A.F.),
par. 11 ; voir Mattel, par. 90.
Hébert & Fils c. Desautels et Léveillée, [1971] C.A. 285 (C.A.Q.).
366
Les Cahiers de propriété intellectuelle
cialisation trompeuse se fonde, au Québec, sur l’article 1457 du Code
civil du Québec (comme la Cour d’appel du Québec nous l’a indiqué),
on doit donc alors examiner le comportement du prétendu contrevenant afin d’y déceler l’élément fautif qui engagerait sa responsabilité
(sans toutefois que la preuve d’une quelconque intention malveillante soit nécessaire, comme nous l’avons vu). Sur cette question de
la faute comme élément nécessaire à établir dans le cadre d’une
action pour commercialisation trompeuse (dont le fondement serait,
au Québec, l’article 1457 du Code civil du Québec), notons les propos
des auteurs Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers dans leur
traité La responsabilité civile131 :
[139] [...] Est en faute quiconque a un comportement contraire à
celui auquel on peut s’attendre d’une personne raisonnable
placée dans les mêmes circonstances. L’erreur de conduite est
donc appréciée par rapport à la norme générale d’un comportement humain socialement acceptable, même si toute transgression de la norme sociale n’est pas constitutive de faute civile. La
conduite reprochée doit avoir été contraire soit au standard
imposé par le législateur, soit à celui reconnu par la jurisprudence. C’est donc la violation d’une conduite jugée acceptable
législativement ou jurisprudentiellement qui emporte l’obligation de réparer le préjudice causé.132
[140] [...] La faute reste la violation, par une conduite se situant
en dehors de la norme, du devoir de se « bien » comporter à
l’égard d’autrui, tel que fixé par le législateur ou évalué par le
juge. La notion de faute, constamment façonnée et définie par
la loi et la jurisprudence à travers chaque cas d’espèce, est ainsi
soumise à une évolution dynamique, fonction des transformations de la société elle-même. Elle est le reflet relativement
fidèle de la norme de conduite socialement acceptable à un
moment précis de l’histoire d’un peuple.133
La recherche d’un comportement « fautif » du présumé contrevenant dans le cadre d’une action pour commercialisation trompeuse
était également soulignée par le juge LeBel dans l’arrêt Kirkbi AG c.
131.
132.
133.
Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile,
6e éd. (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003).
Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile,
6e éd. (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003), par. 139.
Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile,
6e éd. (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003), par. 140.
Entre sacré et profane
367
Gestions Ritvik Inc.134, lorsque celui-ci discutait de la deuxième composante de ce type d’action ; il y écrivait que la doctrine de la commercialisation trompeuse englobe désormais la fausse déclaration faite
par négligence ou avec insouciance par un commerçant135.
Finalement, dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc.136,
le juge Binnie, dans une remarque incidente, soulignait ce qu’une
demanderesse devait établir dans le cadre d’une action pour commercialisation trompeuse :
[27] [...] Dans une action pour commercialisation trompeuse,
l’appelante aurait eu le fardeau de démontrer, d’une part, que
le restaurateur intimé a induit les consommateurs en erreur,
intentionnellement ou par négligence, en les amenant à croire
que c’était l’appelante qui était à l’origine de ses services de restaurant et, d’autre part, qu’elle avait de ce fait subi un préjudice (Consumers Distributing Co. c. Seiko Time Canada Ltd.,
[1984] 1 R.C.S. 583, p. 601 ; Kirkbi, par. 68)137.
D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de negligent misrepresentation
auquel le juge Binnie fait allusion, le Black’s Law Dictionary138 mentionne qu’il s’agit d’un cas de « careless or inadvertent false statement in circumstances where care should have been taken ».
On peut donc constater qu’au Canada, une action pour commercialisation trompeuse se distingue d’une action en contrefaçon entre
autres par le fait qu’elle exige une étude des agissements du présumé contrevenant afin d’y déceler un comportement qui serait fautif dans les circonstances (sans qu’il ne soit par ailleurs nécessaire de
prouver que ce comportement ait été intentionnel ou malveillant,
selon les principes généraux de responsabilité civile applicable au
Québec). En exigeant qu’une action pour commercialisation trompeuse requière l’examen des agissements du prétendu contrevenant
afin d’y établir un élément fautif ou de négligence, le Canada semble
s’éloigner des critères pour le même type d’action au Royaume-Uni.
En effet, dans le traité The Law of Passing-Off139, l’auteur Christopher Wadlow mentionne :
134.
135.
136.
137.
138.
139.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, par. 68.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, par. 27.
Black’s Law Dictionary, 8e éd. (St. Paul, MN., West Thomson, 2004), page 1022.
Christopher WADLOW, The Law of Passing-Off – Unfair Competition by Misrepresentation, 3e éd. (London, Sweet & Maxwell, 2004).
368
Les Cahiers de propriété intellectuelle
The defendant’s state of mind is wholly irrelevant to the existence of the cause of action for passing-off. Neither fraud, recklessness, negligence, nor knowledge of the existence of the
claimant’s business are necessary. Nor is it any defence that
the defendant honestly believes that no confusion will result
from his conduct, or that he has an independent claim to use the
name or mark in question. In this respect passing-off is unique
among the common law economic torts, all of which otherwise
require a mental element varying from negligence, through
malice, to malevolence in the sense of a deliberate intention to
injure coupled with an improper motive.140
Puisqu’elles ont des exigences différentes, l’action en contrefaçon et l’action pour commercialisation trompeuse pourraient aboutir
à des résultats différents pour une même série de faits donnés. Ainsi,
dans l’arrêt Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Limited141, le juge
Létourneau de la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion du
juge de première instance à l’effet qu’il y avait confusion entre une
marque employée et la marque de commerce enregistrée de la
demanderesse reconventionnelle en appliquant les critères de l’article 6 de la Loi sur les marques de commerce ; il a toutefois exprimé
son désaccord avec la conclusion à l’effet qu’il y avait eu commercialisation trompeuse (ou passing off) dans les circonstances ci-après
décrites :
[92] L’appelante a valablement enregistré sa marque de commerce en 1981 relativement à des fourre-tout et des bagages et
l’a modifiée en 1984 pour y ajouter des sacs à main et des sacs
d’école. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, les deux parties à
l’instance ignoraient à l’époque l’existence l’une de l’autre, et ce,
jusqu’en 1991. Le juge n’a pas remis en question la crédibilité
de l’une ou l’autre partie. Comment alors peut-on dire que
l’appelante a fait de fausses déclarations délibérément ou par
négligence, créant ainsi de la confusion dans l’esprit du public,
alors qu’elle ignorait l’existence des marques de commerce des
intimées, qu’elle a demandé publiquement et sans opposition
l’enregistrement de sa propre marque, dont elle a ensuite
demandé la modification, et qu’elle a exploité des réseaux commerciaux différents de ceux des intimées ?142
140.
141.
142.
Christopher WADLOW, The Law of Passing-Off – Unfair Competition by Misrepresentation, 3e éd. (London, Sweet & Maxwell, 2004), page 313.
Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Limited, 2007 CAF 258 (C.A.F.).
Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Limited, 2007 CAF 258 (C.A.F.), par. 92 ; le
juge Létourneau s’est toutefois abstenu de trancher cette question dans la
mesure où, selon ses motifs, celle-ci n’avait pas fait l’objet d’un appel.
Entre sacré et profane
369
Dans ses motifs, le juge Létourneau a repris la mention des
fausses déclarations effectuées par négligence identifiées par le juge
LeBel dans l’arrêt Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc.143
Notons finalement cette dernière différence entre une action en
contrefaçon fondée sur une marque enregistrée et l’action pour commercialisation trompeuse : Dans le cas d’une marque de commerce
enregistrée, le défendeur qui emploie la même marque de commerce
ou encore une marque de commerce créant de la confusion au sens de
l’article 6 de la Loi sur les marques de commerce ne peut échapper à
la responsabilité en ajoutant à proximité de la marque dont il se sert
des éléments additionnels pour la distinguer de celle du propriétaire
de la marque enregistrée. Toutefois, dans le cas d’une action pour
commercialisation trompeuse, l’examen du contexte d’emploi du
défendeur et des éléments qui distingueraient la marque de celui-ci
de la marque ou de la présentation sur laquelle un demandeur fonde
son action144 est certainement une considération pertinente. De
plus, dans la mesure où la protection que l’article 19 de la Loi reconnaît à une marque enregistrée ne dépend pas du contexte d’emploi ou
encore d’autres marques ou d’une présentation particulière qui
accompagneraient la marque enregistrée, l’idée qu’il y aurait des
marques de commerce enregistrées « secondaires » qui seraient
moins protégées – puisque leur emploi se limiterait à côtoyer une
marque mieux connue – semble dépourvue de tout fondement. En
effet, la protection conférée par l’enregistrement vaut pour toutes les
marques de commerce, sans égard à la façon dont elles sont effectivement employées145.
143.
144.
145.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, par. 68.
À ce sujet, notons les commentaires du juge en chef Thurlow dans l’arrêt Mr.
Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.F.), à la
page 101 : « À ce stade, le juge a considéré et semble avoir pris en considération le
fait qu’il n’existait aucune ressemblance dans le style des caractères utilisés et
la coloration des enseignes des parties, et que la présentation des deux marques
qu’on retrouve sur les affiches, les boîtes, etc. est très différente. À mon avis, il
s’agirait de facteurs très pertinents si l’action était une action en passing off en
common law. Ces facteurs ne sont pas pertinents dans une action en contrefaçon
d’une marque de commerce enregistrée, et on n’aurait pas dû en tenir compte en
déterminant si les marques de commerce et les noms commerciaux litigieux
créent de la confusion avec la marque enregistrée de l’appelante. ».
Compagnie Générale des Établissements Michelin – Michelin & Cie c. Continental General Tire Canada Inc., [2000] A.C.F. no 1700 (C.F.P.I.), le juge Pelletier,
par. 46.
370
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.1.2 L’achalandage dans le nom d’une organisation
religieuse
Qu’en est-il maintenant d’une organisation religieuse ? Peutelle invoquer l’article 1457 du Code civil du Québec ou encore les
principes énoncés par le juge Gonthier dans l’arrêt Ciba-Geigy
Canada Ltd. c. Apotex Inc.146 dans un cas où il y aurait imitation
trompeuse de son nom ?
Même si la jurisprudence sur la question n’est pas abondante,
notons les propos de la juge Veit de la Cour du Banc de la Reine
d’Alberta dans la décision Arabian Muslim Association c. Canadian
Islamic Centre147 où la demanderesse qui opérait un centre communautaire musulman sous le nom « Canadian Islamic Centre, AlRashid Mosque » cherchait à empêcher un de ses anciens employés
de se servir du même nom pour le même type de service dans la
région d’Edmonton, où était situé le centre de la demanderesse. Dans
cette affaire, la Cour a écrit qu’une organisation religieuse est en
droit d’obtenir la même protection pour l’achalandage dans son nom
qu’une organisation commerciale :
[39] Some text, as noted in Wadlow at p. 144, have suggested
that passing off was an inappropriate mechanism for resolving
disputes between churches :
In the first edition of the present work, it was suggested
that the action for passing-off was an inappropriate way of
resolving disputes between the likes of churches... However, the courts cannot avoid entertaining such disputes
altogether... If litigation is unavoidable, it is probably best
to accept as a matter of policy that the courts should be
able to grant the fullest relief that the situation justifies,
which must include injunctive relief against a misleading
choice of name.
[40] However, it is now clear that a religious organization is
entitled to the same protection as to the goodwill in its name as
is afforded to commercial organizations : Holy Apostolic &
146.
147.
Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120.
Arabian Muslim Association c. Canadian Islamic Centre, (2004) 36 C.P.R. (4th)
6 (Cour du Banc de la Reine (Alberta)), la juge Veit (décision confirmée par Arabian Muslim Association c. Canadian Islamic Centre, (2006) 48 C.P.R. (4th) 305
(C.A. Alb.)).
Entre sacré et profane
371
Catholic Church of the East [(1991), 98 A.L.R. 327]. Moreover,
that entitlement is all the clearer in a situation such as this one
where the complex provides more than a mosque, but provides,
in addition, a school, a gymnasium, and other facilities.
[41] The law is clear that, in order to have the type of goodwill,
or reputation that attracts the public, which is entitled to protection, it is not necessary to have registered a trade-mark or
name. For example, the pen name, or pseudonym, “Mark
Twain” had goodwill and was capable of protection in a passing-off action. In general terms, in order to develop goodwill
that is eligible for protection, it is only necessary that an individual or a group or an organization use a name – for an appropriate length of time which time requirement varies according
to the circumstances – in such a way that its goods and services
are associated with the name and the use of the name has built
up a public following.
[42] In a way similar to the existence of innumerable Roman
Catholic churches around the world called “Notre Dame”, there
are, of course, many Al-Rashid Mosques in Canada and around
the world. However, in the agreed statement of facts the parties
agreed that the “Canadian Islamic Centre – Al-Rashid Mosque”
of Edmonton, Alberta is a unique name known locally, nationally and internationally. Indeed, Edmontonians are proud that
the Al-Rashid Mosque in Edmonton, which was established in
Edmonton in 1941 and is the precursor to the plaintiff organization, was the first mosque in North America.148
En reconnaissant le principe qu’une organisation religieuse est
en droit de protéger l’achalandage dans son nom, la juge Veit a
trouvé appui dans la jurisprudence australienne et plus particulièrement dans l’arrêt Attorney-General c. Holy Apostolic and Catholic
Church of the East (Assyrian) Australia NSW Parish Association149,
où la Cour suprême du territoire de Nouvelle-Galles-du-Sud a
reconnu la protection de l’achalandage dans le nom d’une organisation religieuse en se fondant sur le droit états-unien :
148.
149.
Arabian Muslim Association c. Canadian Islamic Centre, (2004) 36 C.P.R. (4th)
6 (Cour du Banc de la Reine (Alberta)), la juge Veit, par. 39-42.
Attorney-General c. Holy Apostolic and Catholic Church of the East (Assyrian)
Australia NSW Parish Association, (1991) 98 A.L.R. 327 (Supreme Court of New
South Wales – Equity Division), juge Young.
372
Les Cahiers de propriété intellectuelle
However, as a matter of general principle, I cannot see any reason a religious organisation should not have the same protection as to the goodwill in its name as is afforded by the law to
commercial organisations. Surely whilst religious organisations may not have ordinary commercial goodwill, they have
something closely analogous thereto in that their reputation
will be damaged by people falsely ascribing as an adjunct to
them the organisation which is holding itself out by a deceptively similar name. The law on goodwill in this country is substantially the same as in the United States and in that latter
country, the courts have protected goodwill in a religious
organisation’s name in this way. One good example is the decision of the US Circuit Court of Appeals in Purcell v Summers
(1944) 145 F (2d) 979. In that case the Methodist Church was
granted an injunction restraining dissident former members
from using the name “Methodist Episcopal Church, South”.
Parker J said at 984 : “The use by one organisation of the name
of another for the purpose of appropriating the standing and
goodwill which the other has built up is a well recognised form
of the wrong known to the law as unfair competition, against
which courts of equity have not hesitated, in any jurisdiction, to
use the full power of the injunctive process....” At 985 he said :
“We have no doubt that these principles ordinarily applied in
the case of business and trading corporations are equally applicable in the case of churches and other religious and charitable
organisations ; for, while such organisations exist for the worship of Almighty God and for the purpose of benefiting mankind
and not for the purposes of profit, they are nevertheless
dependent upon the contributions of their members for means
to carry on their work, and anything which tends to divert
membership or gifts of members from them injures them with
respect to their financial condition in the same way that a business corporation is injured by diversion of trade or custom.” See
also Jandron v. Zuendel (1955) 139 F Supp 877 in which the
First Church of Christ Scientist in Boston Massachusetts
gained an injunction preventing members of the Third Church
of Christ Scientist in Akron Ohio using the term “Church of
Christ, Scientist” or any variance thereof so similar as to cause
confusion in the minds of the public.150
150.
Attorney-General c. Holy Apostolic and Catholic Church of the East (Assyrian)
Australia NSW Parish Association, (1991) 98 A.L.R. 327 (Supreme Court of New
South Wales – Equity Division), juge Young, page 351.
Entre sacré et profane
373
De ces propos, on peut retenir qu’une organisation religieuse
est en droit d’obtenir protection pour l’achalandage associé à son
nom sous réserve, bien sûr, d’établir que cet achalandage existe. À
titre d’exemple, on peut supposer que le nom « Sanctuaire NotreDame-du-Cap » est bénéficiaire d’une réputation, dans la région de
Trois-Rivières, au Québec, en association avec l’opération d’un sanctuaire marial151. En d’autres mots, si le nom d’une organisation
religieuse bénéficie d’une réputation auprès du public, cette organisation est en droit de faire cesser l’emploi, dans la même région, d’un
nom qui causerait de la confusion auprès du public quant à la source
des activités de l’organisation qui emploie ce nouveau nom152. Pour
reprendre l’exemple du sanctuaire marial dans la région de TroisRivières, il serait raisonnable de soutenir que l’emploi du nom
« Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap » dans cette région en liaison avec
des activités religieuses (pour désigner la source de ces activités) par
une organisation qui n’a aucun lien avec le sanctuaire dont les origines remontent au 17e siècle causerait de la confusion auprès du
public.
De plus, dans l’affaire Arabian Muslim Association c. Canadian Islamic Centre153, même si la juge Veit n’en fait pas une
condition essentielle, l’achalandage dans le nom d’une organisation
religieuse pourrait être plus aisé à démontrer si l’organisation en
question offre également des services qui ne sont pas strictement
religieux auprès de la communauté, par exemple, l’opération d’installations sportives, des lieux pour des rassemblements sociaux, etc.
Nous reviendrons d’ailleurs sur ce point dans l’analyse du concept
d’achalandage. Toutefois, grâce à ce principe général à l’effet qu’une
organisation religieuse peut protéger l’achalandage dans son nom, la
juge Veit a considéré que la réputation du nom « Canadian Islamic
Centre – Al Rashid Mosque » avait été établie (grâce, ici, par les
admissions des parties) et a donc ordonné au défendeur de cesser
d’employer un nom causant de la confusion154.
151.
152.
153.
154.
Selon le site touristique officiel du gouvernement du Québec, ce plus important
sanctuaire marial en Amérique du Nord a été inauguré en 1964 mais ses origines remontent au milieu du 17e siècle ; voir à ce sujet le descriptif des lieux
donné à l’adresse http://www.bonjourquebec.com/qc-fr/fiches/fr/attraits/
1604327.html, consulté le 6 février 2008.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, par. 68.
Arabian Muslim Association c. Canadian Islamic Centre, (2004) 36 C.P.R. (4th)
6 (Cour du Banc de la Reine (Alberta)), la juge Veit.
Voir également : Islamic Society of North America (ISNA Canada) c. Teherany,
(2007) 61 C.P.R. (4th) 78 (C.S. Ont.), la juge Thorburn, par. 30 à 34 relativement
à une demande d’injonction interlocutoire.
374
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Traitons maintenant des questions suivantes : dans le cadre
d’un recours en passing off, comment s’effectue la démonstration de
l’achalandage dans le nom d’une organisation religieuse ? De plus,
lorsqu’il s’agit d’apprécier l’impression laissée auprès du public par
le nom d’une organisation religieuse, doit-on considérer uniquement
l’impression laissée aux fidèles appelés à fréquenter l’organisation
ou peut-on considérer celle laissée auprès du public en général dans
la région où l’organisation religieuse opère ses activités ?
3.1.2.1 Définition du concept d’ « achalandage »
Dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot
Ltée155, la Cour suprême a fourni (dans un contexte commercial, il est
vrai) les indications suivantes pour définir la notion d’« achalandage » (au nom de la Cour, le juge Binnie s’est prononcé sur la question dans une analyse de l’article 22 de la Loi sur les marques de
commerce, disposition qui réfère à l’« achalandage » (ou « goodwill »
en anglais) attaché à une marque de commerce (en l’occurrence, la
marque VEUVE CLICQUOT)) :
[52] Dans Clairol International Corp. c. Thomas Supply &
Equipment Co., [1968] 2 R.C. de l’É. 552, le juge Thurlow a
adopté la définition suivante de l’achalandage attaché à une
marque de commerce, à la p. 573 :
[TRADUCTION] [L]’achalandage attaché à une marque de
commerce est la partie de l’achalandage de l’entreprise de
son propriétaire qui consiste dans l’ensemble des avantages, quels qu’ils soient, tirés de la réputation et des liens que
l’entreprise a établis par des années de labeur honnête ou
au prix de dépenses considérables, et qui est identifiée aux
biens distribués par le propriétaire en liaison avec la
marque de commerce.
[...]
[54] Bien que l’art. 22 n’exige pas la preuve de la « célébrité », le
tribunal appelé à déterminer s’il existe un achalandage susceptible d’être déprécié par un emploi qui ne crée pas de confusion
(comme en l’espèce) tiendra compte de cet élément [i.e. la célébrité], comme de facteurs plus généraux tels le degré de reconnaissance de la marque par les consommateurs de la population
155.
Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824.
Entre sacré et profane
375
de référence, le volume des ventes et le degré de pénétration du
marché des produits associés à la marque de la demanderesse,
l’étendue et la durée de la publicité accordée à la marque de la
demanderesse, sa portée géographique, l’importance de son
caractère distinctif inhérent ou acquis, le fait que les produits
associés à la marque de la demanderesse soient confinés à une
voie de commercialisation restreinte ou spécialisée ou qu’ils
empruntent des voies multiples, ainsi que la mesure dans
laquelle les marques sont perçues comme un gage de qualité.
Voir en général F. W. Mostert, Famous and Well-Known
Marks : An International Analysis (1997), p. 11-15 ; INTA, Protection of Well-Known Marks In the European Union, Canada
and the Middle East (octobre 2004).
[55] Selon les critères qui précèdent, un achalandage considérable est de toute évidence attaché à la marque VEUVE
CLICQUOT, qui va au-delà du vin et du champagne. C’est ce
que Mme Abitbol a déclaré et c’est sur ce fondement que la juge
de première instance a examiné l’affaire. [...]156
Pour établir qu’elle bénéficie d’un achalandage dans son nom,
une organisation religieuse doit établir qu’elle associe son nom à des
produits et/ou services particuliers depuis une certaine période de
temps (qui peut varier selon les circonstances) ; cette impression
sera d’autant plus facile à démontrer si le nom est employé depuis
plusieurs années ou même plusieurs décennies. De plus, dans le cas
d’une organisation religieuse qui opère, par exemple, un sanctuaire
sous un nom donné (pour reprendre le cas précédemment évoqué),
la preuve de cet achalandage pourrait s’effectuer en calculant le
nombre de visiteurs par année, le nombre et la fréquentation des différents offices religieux hebdomadaires de même que la proportion
des visiteurs locaux par rapport à ceux qui ne le sont pas (ce qui suppose que cette information est demandée aux visiteurs). L’opération
de services qui ne sont pas strictement religieux est également pertinente pour apprécier l’étendue de l’achalandage du nom en question.
Il est certainement pertinent d’examiner le caractère distinctif inhérent du nom en question. Par ailleurs, si le sanctuaire opéré par une
organisation religieuse est également un lieu touristique ou historique, la présence de touristes – en plus des fidèles – est certainement une considération importante pour mesurer l’achalandage
156.
Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 52,
54 et 55.
376
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dans le nom d’une organisation religieuse. La promotion du lieu à
travers des canaux qui ne sont pas strictement religieux – par
exemple, des guides touristiques – de même que l’évocation du lieu
dans des volumes de référence – par exemple, des dictionnaires ou
des encyclopédies – seraient certes des circonstances pertinentes
dans l’analyse de l’étendue de cet achalandage. Finalement, selon la
preuve produite, l’achalandage dans un nom peut être reconnu localement, au niveau national ou encore sur le plan international,
comme le soulignait la juge Veit.
La mention de la présence à la fois de pèlerins et de touristes
sur le site tenu par une organisation religieuse nous amène à considérer le bassin de la population de référence pour mesurer la portée
d’un achalandage.
3.1.2.2 La population de référence
Lorsqu’il s’agit de mesurer l’achalandage dans le nom d’une
organisation religieuse, doit-on uniquement tenir compte des fidèles
qui fréquentent l’organisation en question ? Dans le cas d’organisations purement commerciales, le juge Binnie a écrit qu’il fallait
tenir compte du degré de reconnaissance de la marque par les
consommateurs de la population de référence. S’il est aisé de parler
de « consommateurs » dans le cadre de produits vendus ou services
rendus par des organisations commerciales, il est sans doute moins
facile de cerner le bassin pertinent de ceux qui sont susceptibles de
reconnaître le nom d’une organisation religieuse. Sur cette question,
la juge Veit parle d’un « public following ». Comment se mesure toutefois cette notion dans le cadre des activités d’une organisation religieuse ? Contrairement aux organisations commerciales dont les
statistiques de ventes peuvent être facilement comptabilisées, le
même exercice n’est sans doute pas possible pour les organisations
religieuses car il n’est pas nécessairement aisé de mesurer le degré
de ferveur ou la motivation profonde de ceux qui fréquentent un lieu
connu sous un nom donné ; de plus, on doit tenir compte de ceux qui
connaissent bien un nom sans nécessairement fréquenter le lieu
associé à ce nom.
Comme nous y avons fait allusion, il ne nous semble pas pertinent de départager les fidèles des touristes parmi ceux qui fréquentent un lieu tenu par une organisation religieuse ; d’ailleurs, cette
dichotomie touriste/fidèle est sans doute mal adaptée pour tenir
compte de la réalité des visiteurs sur un site religieux. Ainsi, dans
Entre sacré et profane
377
l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem157, la Cour suprême soulignait que de par leur nature même, les croyances religieuses sont
fluides et rarement statiques et qu’il peut fort bien arriver que le lien
ou les rapports d’une personne avec le divin ou avec le sujet ou l’objet
de sa foi spirituelle changent et évoluent avec le temps 158.
Compte tenu des circonstances particulières du contexte dans
lequel évoluent les organisations religieuses, il n’est sans doute pas
approprié de limiter l’examen de l’achalandage rattaché au nom
d’une organisation religieuse en considérant uniquement la fréquentation des seuls fidèles. Ceci est d’autant plus vrai si l’organisation
religieuse a un nom qui soulève un intérêt au niveau touristique ou
historique. C’est sans doute pour cette raison que la juge Veit a souligné la fierté des résidants d’Edmonton (et non des seuls fidèles) au
sujet de la mosquée Al-Rashid dans leur ville, le premier lieu de culte
musulman en Amérique du nord159.
3.1.3 Les limites à la protection du nom d’une
organisation religieuse
Si le nom d’une organisation religieuse peut certainement
bénéficier d’un achalandage, il est toutefois raisonnable de soutenir
qu’un tel nom aura, dans plusieurs cas, un aspect descriptif. Ainsi,
ceux qui opèrent un sanctuaire (à titre d’exemple, encore une fois, le
Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap) ne pourraient réclamer un monopole sur le mot « sanctuaire » per se dans la mesure où il s’agit d’un
mot qui doit rester disponible à ceux qui opèrent des sanctuaires. De
plus, comme y fait allusion la juge Veit, une appellation qui évoque
une figure religieuse (comme par exemple « Notre-Dame ») ne pourrait faire l’objet d’une appropriation exclusive par une seule organisation religieuse à moins qu’elle ne soit adjointe à d’autres mots qui
forment un ensemble dont la distinctivité repose sur la combinaison
de ces différents mots.
Par ailleurs, rappelons que le droit des marques de commerce
vise la protection des noms et l’élimination des situations de confusion dans l’emploi de ces noms auprès du public ; le droit des marques ne devrait donc pas être utilisé à des fins totalement étrangères
à ces objectifs comme, par exemple, l’établissement de limites à la
157.
158.
159.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 53.
Voir à ce sujet la mention sur le site du Edmonton Economic Development Corporation, à l’adresse http://www.edmonton.com/tourism/page.asp?page=1270,
consulté le 6 février 2008.
378
Les Cahiers de propriété intellectuelle
liberté de culte ou, plus généralement, à la liberté religieuse (notion
sur laquelle nous reviendrons plus loin). Illustrons notre propos par
un exemple : si une organisation religieuse obtient l’enregistrement
d’une expression comme « Notre-Dame » pour reprendre l’exemple de
la juge Veit, en association avec l’organisation de rencontres de prières, il ne nous apparaît pas opportun que le droit des marques puisse
alors être utilisé pour empêcher d’autres organisations religieuses
ou d’autres individus d’utiliser la même appellation dans l’organisation de services similaires. Ainsi, si une organisation religieuse
peut effectivement protéger son nom, ce dernier doit comprendre un
élément distinctif ou encore faire partie d’une combinaison qui ellemême, prise dans son ensemble, est distinctive de manière à éviter
des litiges où la question de la liberté religieuse sera certainement
évoquée.
À titre d’exemple, le nom d’une organisation religieuse qui
réfère à un personnage religieux ne sera pas toujours facile à protéger à l’encontre d’une autre organisation qui, de bonne foi, utilise le
même nom. Dans l’affaire L’association de la famille Abruzzese c.
Association de St-Gabriel de l’Adoration, patron d’Abruzzo160, la juge
Desjardins161, alors à la Cour supérieure du Québec, a décidé que la
demanderesse, titulaire d’un enregistrement pour la marque SAN
GABRIELE DELL’ADDOLORATA en liaison avec différentes activités culturelles, sociales, athlétiques et éducatives, ne pouvait réclamer un monopole sur ces mots qui référaient à un saint de l’Église
catholique romaine, malgré le monopole octroyé en vertu de l’article
19 de la Loi. Par son action fondée sur la commercialisation trompeuse et la contrefaçon, la demanderesse demandait à la Cour qu’elle
ordonne que la défenderesse modifie son nom « Association de StGabriel de l’Adoration, patron d’Abruzzo, Associazione San Gabriele
Dell’Addolorata, Padrono d’Abruzzo » obtenu en vertu de la législation provinciale sur les sociétés, en vigueur à l’époque, pour retirer
les mots « San Gabriele Dell’Addolorata ». La preuve révélait que la
demanderesse avait toutefois elle-même utilisé une variété de noms
qui référaient ou incorporaient l’expression « San Gabriele Dell’Addolorata », ce qui suggérait un manque de rigueur de sa part
dans ce qui aurait dû être l’emploi d’un nom unique pour éduquer le
public quant à la source de ses activités.
160.
161.
L’association de la famille Abruzzese c. Association de St-Gabriel de l’Adoration,
patron d’Abruzzo, [1983] J.Q. no 328 (C.S. Québec), la juge Desjardins.
La juge Alice Desjardins a été nommée à la Cour fédérale du Canada, section
d’appel (ainsi que cette instance était connue à l’époque) en 1987.
Entre sacré et profane
379
La juge Desjardins a rejeté le recours de la demanderesse en
soulignant que l’obtention d’un enregistrement pour l’expression
« San Gabriele Dell’Addolorata » pour différentes activités sociales
ne pouvait fonder un recours en commercialisation trompeuse au
sens de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce dans
la mesure où la demanderesse semblait employer l’expression de
manière descriptive, par exemple, en l’associant au mot « Comitato »
(« comité » en français). Sans se prononcer sur la validité de l’enregistrement (une question que n’avait pas soulevée la défenderesse et
sur laquelle la Cour supérieure n’aurait pu se pencher de toutes
façons puisque, selon l’article 57 de la Loi, seule la Cour fédérale a
compétence pour décider de la présence au registre d’une marque de
commerce), la juge Desjardins a constaté que la Loi sur les marques
de commerce ne pouvait pas être utilisée dans les circonstances pour
protéger un emploi exclusif des mots formant l’expression « San
Gabriele Dell’Addolorata » pourtant enregistrée comme marque de
commerce. Elle a écrit :
[28] Le nom «San Gabriele Dell’Addolorata» est le nom d’un
jeune Italien de la région des Abruges, décédé le 20 février
1876, que l’[É]glise catholique a élevé au rang de la sainteté et
qui est honoré et prié par de nombreux catholiques, particulièrement ceux de cette région de l’Italie. L’endroit où il a vécu et
où il est mort, est devenu un endroit de pèlerinage.
[29] Employés avec les mots «Il Comitato», et même avec les
mots «Associazione Famiglia Abruzzese», les mots «San
Gabriele Dell’Addolorata» prennent plutôt un caractère descriptif, en langue italienne, d’un service offert par la demanderesse, à savoir, qu’elle a un comité dont les activités séculaires
ont lieu sous l’égide de ce Saint. L’article 12 (1) (c) de la Loi
reçoit application et non les articles 12 (1) (a) ou (b).
[30] Il y a bien sûr, une similarité très grande entre le nom du
comité de la demanderesse et le nom de l’association de la
défenderesse puisque chacun utilise pour partie le même nom.
La demanderesse ne peut, cependant, prétendre que la variété
des noms qu’elle a utilisé a acquis un sens secondaire distinct à
l’égard de ses services puisque l’article 12 (2) de la Loi ne
s’applique pas au cas visé par l’article 12 (1) (c).
[31] Lors de l’obtention des lettres patentes de la défenderesse,
le droit de la demanderesse à l’usage exclusif des mots «San
Gabriele Dell’Addolorata» ne pouvait être protégé par la Loi vu
380
Les Cahiers de propriété intellectuelle
la variété des mots utilisés, leur caractère purement descriptif
en langue italienne et l’absence d’un sens secondaire distinct.
La défenderesse n’était pas en faute de commettre un délit de
contrefaçon (passing off) au sens de l’article 7 de la Loi. Le nom
corporatif qu’elle obtint n’était pas en violation de la Loi.162
La référence aux dispositions de l’article 12 de la Loi peut sembler surprenante dans la mesure où la Cour supérieure ne se prononçait pas sur la validité de l’enregistrement en cause ; en effet, la
référence à l’alinéa 12(1)c) de la Loi (qui précise qu’une marque est
enregistrable sauf si elle est constituée du nom, dans une langue, de
l’une des marchandises ou de l’un des services à l’égard desquels elle
est employée) de même qu’à l’exception du paragraphe 12(2) (qui prévoit qu’une marque de commerce non enregistrable en raison des alinéas 12(1)a) ou 12(1)b) (mais non de l’alinéa 12(1)c)) peut être
enregistrée si la marque en question est devenue distinctive à la date
de production de la demande d’enregistrement la concernant) aurait
été pertinente dans le cadre d’un litige devant la Cour fédérale sur la
validité – et donc la présence au registre – de l’enregistrement en
question. Toutefois, la manière dont la demanderesse se servait de
sa marque de commerce enregistrée (dans ce cas-ci, comme un descriptif) de même que l’absence de preuve d’une réputation ou d’un
« sens secondaire distinct » associé à cette expression ont été retenues contre la demanderesse, dont l’action a été rejetée.
La juge Desjardins a considéré que l’expression « San Gabriele
Dell’Addolorata » faisait référence avant tout à un saint de l’Église
catholique romaine à qui les fidèles peuvent adresser des prières
d’intercession. Il ne s’agissait donc pas d’une expression idéale pour
constituer une marque de commerce distinctive, c’est-à-dire une
marque qui référait à une seule source ! De plus, le caractère distinctif inhérent d’une telle expression, c’est-à-dire la capacité de celle-ci
d’agir, en soi, comme une marque distinctive, est relativement peu
élevé. La marque de commerce qui est susceptible de faire allusion à
de nombreuses choses (comme l’expression « San Gabriele Dell’Addolorata » suivant la preuve soumise devant la juge Desjardins) est
donc plus difficilement protégeable, à moins d’établir que la marque
en question a acquis un sens secondaire distinct. Cette dernière
162.
L’association de la famille Abruzzese c. Association de St-Gabriel de l’Adoration,
patron d’Abruzzo, [1983] J.Q. no 328 (C.S. Québec), la juge Desjardins, par.
28-31.
Entre sacré et profane
381
notion a été évoquée par le juge Linden de la Cour d’appel fédérale
dans l’arrêt Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp.163 :
[24] Une marque qui ne possède pas de caractère distinctif
inhérent peut tout de même acquérir un caractère distinctif par
un emploi continu sur le marché. Pour établir ce caractère distinctif acquis, il faut démontrer que les consommateurs savent
que cette marque vient d’une source en particulier. Dans la
décision Cartier, Inc. c. Cartier Optical Ltd./Lunettes Cartier
Ltée [(1988), 19 C.I.P.R. 69 (C.F. 1re inst.)], le juge Dubé a conclu
que le nom Cartier possédait peu de caractère distinctif inhérent, puisqu’il n’était qu’un nom de famille, mais qu’il avait
néanmoins acquis un caractère distinctif considérable grâce à
la publicité. De la même manière, dans la décision Coca-Cola
Ltd. c. Fisher Trading Co. [(1988), 19 C.I.P.R. 307 (C.F.
1re inst.)], le juge a conclu que le mot «Cola» en scriptes était
devenu si célèbre qu’il avait acquis un sens secondaire très spécial distinct de la boisson et qui méritait donc d’être protégé.
Si le nom d’une organisation religieuse est composé de mots qui
peuvent faire référence à différentes choses, la preuve que ce nom a
acquis un sens secondaire ou une réputation nous semble une condition essentielle au bien-fondé de tout recours164 où seraient invoqués
163.
164.
Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.F.)
[demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada accordée le
19 novembre 1998 au dossier 26689, désistement produit le 21 juin 1999].
La juge Desjardins a également rejeté le recours de la demanderesse fondé sur
l’article 20 de la Loi, estimant que la défenderesse pouvait bénéficier de l’exception de l’alinéa 20(1)a) dans la mesure où cette dernière disposition ne faisait pas
échec à ce qu’une personne, définie à l’article 2 de la Loi comme comprenant une
association, puisse utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de la
clientèle attachée à la marque de commerce. Dans les circonstances, la Cour a
conclu qu’il n’y avait aucune preuve à l’effet que l’utilisation du nom personnel
de la défenderesse comme nom commercial ait entraîné quelque diminution de
la valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce de la demanderesse
(par. 35). Il est important de noter que la juge Desjardins a considéré que la
notion de « nom personnel » à l’alinéa 20(1)a) de la Loi pouvait faire référence à
une société (et non seulement à un individu) comme d’ailleurs la notion de « personne » qui, dans la Loi, vise à la fois les sociétés et les individus. Sur ce point, la
juge Desjardins n’a pas suivi la décision du juge en chef adjoint Noël dans
Kayser-Roth Canada (1969) Limited c. Fascination Lingerie Inc., [1971], C.F. 84
où la Cour a indiqué que l’expression « nom personnel » (« personal name ») fait
référence à un individu ; la position du juge en chef adjoint Noël était également
celle de la juge Proudfoot de la Cour suprême de Colombie-Britannique dans
Visa International Service Association c. Visa Motel Corporation, 1984 CarswellBC 2190 (C.S. C.-B.), la juge Proudfoot (décision confirmée par Visa International Service Association c. Visa Motel Corporation, (1984) 1 C.P.R. (3d) 109
(C.A. C.-B.)).
382
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des droits sur le nom en question. De plus, même l’obtention d’un
enregistrement n’offre pas la garantie que le nom ainsi « protégé »
puisse faire l’objet d’une appropriation exclusive ; encore faut-il que
ce nom puisse bénéficier d’un sens secondaire.
En résumé, on peut mettre de l’avant les propositions suivantes :
• Le nom d’une organisation religieuse peut bénéficier d’un achalandage ;
• Pour protéger le nom d’une organisation religieuse qui ne serait
pas enregistré comme marque de commerce, il faut établir que ce
nom bénéficie d’un achalandage ;
• L’appréciation de cet achalandage n’est pas limitée uniquement à
l’examen de l’impression laissée par le nom aux seuls membres de
l’organisation religieuse ;
• Les principes de l’action en commercialisation trompeuse peuvent
être invoqués pour protéger le nom d’une organisation religieuse
afin d’éviter que la confusion ne soit créée auprès du public ;
• Lorsque le nom de l’organisation religieuse est enregistré à titre
de marque de commerce, ce nom doit être employé sous sa forme
enregistrée et, dans le cas de mots tirés du vocabulaire courant qui
réfèrent à un aspect ou l’autre de la vie de l’organisation religieuse, doit bénéficier d’un caractère distinctif acquis ou d’un sens
secondaire ;
• Finalement, le droit des marques de commerce ne doit pas être
utilisé pour limiter la liberté religieuse.
3.2 Questions d’enregistrabilité
3.2.1 Principes généraux
Nous avons rappelé au début de cet article que la Loi sur les
marques de commerce offre une procédure d’enregistrement aux propriétaires de marques de commerce. Ceux qui y ont recours peuvent
éventuellement bénéficier du droit exclusif octroyé par l’article 19 de
la Loi, en autant que les exigences de l’article 37 de la Loi (au niveau
de l’examen de la demande d’enregistrement par le registraire) ne
constituent pas un obstacle à l’enregistrement demandé et que toute
Entre sacré et profane
383
opposition suivant l’article 38 de la Loi soit tranchée en faveur de la
partie qui demande l’enregistrement de la marque. D’ailleurs, nous
avons évoqué plus tôt quelques organisations qui ont demandé et
obtenu l’enregistrement de leurs marques de commerce. De plus,
comme nous l’avons vu, l’obtention d’un enregistrement ne garantit
toutefois pas à son titulaire que celui-ci pourra nécessairement
empêcher une autre entité de se servir d’un nom qui ressemble à la
marque enregistrée lorsque la marque en cause est considérée
comme une marque de commerce qui ne possède que très peu de
caractère distinctif inhérent.
Dans la décision Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en
1772 c. Les Boutiques Cliquot Ltée165, la juge Tremblay-Lamer de la
Cour fédérale a rappelé les différents niveaux de protection qui
seront accordés à une marque de commerce selon la force ou faiblesse
relative du ou des mots qui composent la marque en question :
[57] [...] Cette Cour a affirmé que les marques de commerce qui
contiennent des mots qui évoquent les marchandises ou les services qu’offre leur propriétaire sont considérées comme des
marques faibles qui n’ont droit, par conséquent, qu’à une faible
protection. (SkyDome Corp. c. Toronto Heart Industries Ltd.,
[1997] A.C.F. no 275). De plus, une marque de commerce avec
un mot d’usage courant possède un caractère distinctif inhérent moindre et le degré de protection accordé par le tribunal
est limité. (Clorox Co. c. Sears Canada Inc., [1992] 2 C.F. 579
(1re inst.)) Par contre, une marque de commerce composée d’un
mot unique ou inventé a un caractère distinctif inhérent plus
considérable, méritant une protection étendue. (Pink Panther
Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534
(C.A.F.))166
Compte tenu de cette grille d’analyse, on peut comprendre
pourquoi le nom d’une organisation religieuse qui évoque ses activités peut être davantage difficile à protéger en l’absence de preuve
d’un achalandage dans le nom. Suivant ce scénario, dans le cas de
marques de commerce dont le caractère distinctif inhérent est faible
165.
166.
Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 c. Les Boutiques Cliquot Ltée,
2003 CFPI 103 (C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer (décision confirmée par
Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 c. Les Boutiques Cliquot Ltée,
2004 CAF 164 (C.A.F.) et par Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot
Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824).
Veuve Clicquot Ponsardin, Maison Fondée en 1772 c. Les Boutiques Cliquot Ltée,
2003 CFPI 103 (C.F.P.I.), la juge Tremblay-Lamer, par. 57.
384
Les Cahiers de propriété intellectuelle
(c’est-à-dire qu’elles évoquent les marchandises ou services de leur
propriétaire et n’ont droit ainsi qu’à une faible protection), de légères
différences entre deux marques au nom de deux propriétaires différents vont généralement permettre aux consommateurs de distinguer ces marques167 sur le marché, malgré une certaine ressemblance entre celles-ci. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles
la juge Desjardins a rejeté le recours de la demanderesse dans
l’affaire L’association de la famille Abruzzese c. Association de StGabriel de l’Adoration, patron d’Abruzzo168.
Si une organisation religieuse demande l’enregistrement de
son nom comme marque de commerce, le registraire des marques de
commerce s’assurera, en raison de l’article 37 de la Loi, que la
marque qui fait l’objet de la demande respecte certaines dispositions
de la Loi, dont les alinéas 12(1)b) et 12(1)c) qui énoncent des exceptions au principe général à l’effet qu’une marque est enregistrable :
12(1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est
enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :
[...]
b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne
une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la
qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels
elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de
l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises
ou services ;
c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l’une des marchandises ou de l’un des services à l’égard desquels elle est
employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer ;
La question de savoir si une marque de commerce est clairement descriptive de la nature ou de la qualité de marchandises ou
167.
168.
Budget Blind Service Ltd. c. Budget Blinds, Inc., 2007 CF 801 (C.F.), la juge
Simpson, par. 21.
L’association de la famille Abruzzese c. Association de St-Gabriel de l’Adoration,
patron d’Abruzzo, [1983] J.Q. no 328 (C.S. Québec), la juge Desjardins ; voir également Jewish Eldercare Centre c. J.H.H. Foundation, [2002] Q.J. no 5050 (C.S.
Québec), le juge Mongeon, par. 74 à 89, où il était question du nom « Jewish Hospital of Hope » et de son abandon allégué.
Entre sacré et profane
385
services doit être examinée du point de vue de l’acheteur moyen des
marchandises ou services en question. Le mot « nature » désigne une
particularité, un attribut ou une caractéristique du produit ou service, tandis que « clairement » signifie « facile à comprendre, évident
ou simple ». La décision à l’effet qu’une marque est clairement descriptive se fonde sur la première impression ; elle ne doit pas provenir d’une recherche sur le sens des mots169.
Il existe toutefois une distinction importante entre les alinéas
12(1)b) et 12(1)c) : la prohibition de l’alinéa 12(1)b) s’applique uniquement aux mots en langue française ou anglaise tandis que celle
de l’alinéa 12(1)c) vise les mots « dans une langue ». Des dispositions
semblables, du moins quant aux exigences linguistiques (i.e. la nonenregistrabilité d’un mot servant de marque qui est clairement descriptif pour une personne de langue française ou de langue anglaise
et la non-enregistrabilité d’un mot servant de marque qui est le nom,
dans quelque langue que ce soit, du produit y associé), existaient en
vertu de la Loi sur la concurrence déloyale170. C’est sur la base de
cette distinction, dans l’arrêt Gula c. B. Manischewitz Co.171, que le
juge Kellock de la Cour suprême a décidé que la marque de commerce TAM TAM pour des craquelins et produits alimentaires destinés à une clientèle juive était enregistrable même si la marque
suggérait le mot « délicieux » pour une personne qui comprenait le
yiddish ; il ne s’agissait toutefois pas du nom du produit dans cette
langue.
Le fondement des prohibitions des alinéas 12(1)b) et 12(1)c) est
évidemment d’empêcher que des monopoles ne soient octroyés pour
des mots qui décrivent clairement ou encore définissent les marchandises ou services auxquels ces mots seraient associés. Selon le
législateur, ces mots doivent rester disponibles à tous puisqu’ils composent le patrimoine linguistique auquel tous doivent avoir accès
pour décrire leurs marchandises ou services (dont les mots décrivant
les activités religieuses lorsqu’il s’agit de ce type d’activités). Selon
169.
170.
171.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury, par. 25.
Loi sur la concurrence déloyale, 1932, 22-23 George V, c. 38.
Gula c. B. Manischewitz Co., (1947) 8 C.P.R. 103 (C.S.C.). Aux pages 105-106, le
juge Estey a reproduit les dispositions en cause : « 26(1) Subject as otherwise
provided in this Act, a word mark shall be registrable if it (...) (c) is not, to an
English or French speaking person, clearly descriptive or misdescriptive of the
character or quality of the wares in connection with which it is proposed to be
used, or of the conditions of, or the persons employed in their production, or of
their place of origin ; (...) (e) is not the name in any language of any of the wares in
connection with which it is to be used ».
386
Les Cahiers de propriété intellectuelle
les circonstances, certains des mots qui composent le nom d’une
organisation religieuse sont susceptibles de faire partie de ce « réservoir » de mots qui doivent rester disponibles pour tous. À titre
d’exemple, suivant l’alinéa 12(1)b) de la Loi, le registraire devrait
refuser d’octroyer un enregistrement pour le mot « PRIÈRE » en
association avec l’organisation de groupes de prière dans la mesure
où ce mot décrit les activités du groupe et doit rester disponible pour
tous ceux et celles qui veulent organiser des activités similaires.
Ce souci du législateur de préserver la disponibilité de certains
mots est compréhensible puisque la Loi n’offre pas, dans tous les cas,
à un défendeur qui fait face à une réclamation fondée sur une
marque de commerce enregistrée l’opportunité d’une défense fondée
sur le fait que l’expression qu’il utilise n’en est pas une employée à
titre de marque de commerce. Ainsi, contrairement au cas d’une
réclamation en contrefaçon fondée sur l’article 20 de la Loi où le
demandeur doit établir, entre autres, que le défendeur se sert d’une
marque à titre de marque de commerce, il n’est pas nécessaire pour
un demandeur, sous le régime de l’article 22 qui réglemente le délit
de dépréciation, de prouver que le défendeur emploie une marque
comme marque de commerce de manière à distinguer des marchandises ou services172.
Ainsi, en vertu de la Loi sur les marques de commerce, lorsqu’un
demandeur fonde sa réclamation en invoquant sa marque enregistrée, un défendeur ne bénéficiera pas toujours d’une défense à
l’effet qu’il ne se sert pas de cette marque pour distinguer ses produits et services173. Il est donc important de s’assurer que certains
mots descriptifs restent disponibles pour tous ; si tel n’est pas le cas,
le titulaire d’une marque de commerce descriptive qui serait enregistrée pourrait potentiellement disposer d’un recours en vertu de
l’article 22 de la Loi contre quelqu’un qui se sert de la même expres172.
173.
Compagnie Générale des Établissements Michelin-Michelin & Cie c. Syndicat
national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs
et travailleuses du Canada (TCA-Canada), [1997] 2 F.C. 306 (C.F.P.I.), le juge
Teitelbaum [appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale au dossier A-38-97
le 17 janvier 1997 ; désistement produit le 12 novembre 1997], par. 31. La Cour
suprême aurait implicitement confirmé cette approche au niveau de l’interprétation de l’article 22 de la Loi dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques
Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824 ; aux par. 46 et 47, le juge Binnie a mentionné
l’exigence d’un « emploi » de la marque déposée de la demanderesse par la défenderesse mais n’a pas requis que l’emploi de la défenderesse en soit un à titre de
marque de commerce pour distinguer la source des produits ou services y associés. Voir également le libellé de l’article 20.
C’est le cas, comme nous l’avons vu, de l’article 22 de la Loi.
Entre sacré et profane
387
sion, même si ce défendeur potentiel ne se sert pas de celle-ci à titre
de marque de commerce pour distinguer ses produits et services.
Lorsqu’un mot, des mots ou une expression non enregistrables
en vertu de l’un ou l’autre des alinéas de l’article 12 de la Loi sont
compris à l’intérieur d’une marque de commerce qui comprend des
éléments enregistrables, l’ensemble peut être enregistré en autant
que les parties non enregistrables fassent l’objet d’un désistement
suivant l’article 35 de la Loi174 (sous réserve des conséquences de
l’énoncé de pratique publié par le Bureau des marques de commerce
le 15 août 2007) :
35. Le registraire peut requérir celui qui demande l’enregistrement d’une marque de commerce de se désister du droit à
l’usage exclusif, en dehors de la marque de commerce, de telle
partie de la marque qui n’est pas indépendamment enregistrable. Ce désistement ne porte pas préjudice ou atteinte aux
droits du requérant, existant alors ou prenant naissance par la
suite, dans la matière qui fait l’objet du désistement, ni ne porte
préjudice ou atteinte au droit que possède le requérant à l’enregistrement lors d’une demande subséquente si la matière faisant l’objet du désistement est alors devenue distinctive des
marchandises ou services du requérant.
Ainsi, une marque de commerce qui contient du matériel non
enregistrable peut malgré tout être enregistrée si le matériel non
enregistrable fait l’objet d’un désistement ou, suivant l’énoncé de
pratique publié par le Bureau des marques de commerce le 15 août
2007, si le matériel non enregistrable ne vise qu’une portion de la
marque de commerce qui comprend également du matériel enregistrable.
174.
Au moment de la rédaction du présent article, la communauté juridique s’interroge sur les conséquences de l’énoncé de pratique publié par le Bureau des marques de commerce le 15 août 2007 qui prévoit notamment : « Désormais, en
général le registraire n’exigera plus, de celui qui demande l’enregistrement
d’une marque de commerce, l’inscription à des désistements conformément à
l’article 35 de la Loi sur les marques de commerce. Les désistements volontaires
continueront d’être acceptés ». Cet énoncé de pratique pourrait être interprété
comme une abdication par le registraire de ses attributions en vertu de l’article
35 de la Loi. À titre de conséquences prévisibles de cet énoncé de pratique, on
peut citer un faux sentiment d’exclusivité pour les titulaires de marques de commerce enregistrées qui auraient normalement dû comporter un désistement
quant à la portion non enregistrable de celles-ci. Voir à ce sujet le commentaire
intitulé « Au royaume de la confusion ! » par Laurent Carrière, publié dans le bulletin d’information de LEGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L., été 2007, vol.
11, no 3, à l’adresse http://newsletter.robic.ca/nouvelle.aspx ?id=54, consulté le
2 octobre 2007.
388
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.2.2 Quelques marques descriptives
Grâce aux alinéas 12(1)b) et 12(1)c) de la Loi, le législateur
fédéral fait en sorte d’empêcher toute appropriation exclusive de
mots descriptifs (suivant les paramètres de ces dispositions) dans la
mesure où ces mots doivent rester disponibles pour tous. Les mots
qui décrivent un aspect d’une religion ou d’une foi n’échappent pas à
cette règle générale.
Par exemple, dans l’affaire Canadian Jewish Review Ltd. c. The
Registrar of Trade Marks175, le juge Cameron de la Cour de l’Échiquier devait décider si la marque de commerce graphique THE
CANADIAN JEWISH REVIEW, ci-après reproduite, pouvait être
enregistrée en liaison avec des publications imprimées de même
qu’avec des services de distribution et publication de nouvelles et
d’information d’intérêt public et ce, dans le cadre d’un appel suite à
un refus du registraire de procéder à l’enregistrement de la marque
en raison de l’alinéa 12(1)b) de la Loi :
Dans cette affaire, la requérante admettait que les mots formant l’expression « The Canadian Jewish Review » n’étaient pas
enregistrables en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Toutefois, selon
la requérante, lorsque ces mots étaient employés en liaison avec
un graphisme particulier, ci-haut reproduit, la marque dans son
ensemble devenait enregistrable.
Le juge Cameron a rejeté cet argument en concluant que le graphisme employé dans la marque de commerce ne pouvait pas être
distingué des mots (par ailleurs non enregistrables) formant la
marque de commerce :
[...] In my opinion, the trade mark in spite of the design features
is still clearly descriptive in the English language of the character of the wares or services with which it is used. Notwithstanding the disclaimer, the four words (admittedly not registrable
per se) still form the material part of the trade mark and in spite
of the added design features still spell out “The Canadian Jewish Review”. Both the words themselves and the Hebraic letter175.
Canadian Jewish Review Ltd. c. The Registrar of Trade Marks, (1961) 37 C.P.R.
89 (C. de l’É.), le juge Cameron.
Entre sacré et profane
389
press are publici juris and their combination without at least
any design features exclusive of the letters does not in my view
on the evidence before me make the mark, when considered as a
whole, other than descriptive of the wares or services of the
appellant.
[...]
In my opinion, the trade mark when depicted, written or
sounded, would, to a viewer or listener, be clearly descriptive in
the English language of the character or quality of the wares or
services. The application is, in fact, an attempt to register in
another form which has not been proven to have been distinctive at the date of the application, words which by themselves
could not be the subject of registration.176
Comme pour le nom de toute religion qu’on souhaiterait enregistrer en liaison avec les activités de celle-ci, le mot « JEWISH » ne
peut faire l’objet d’une appropriation exclusive.
Dans l’affaire Islamic Society of North America Canada c.
Banque de Montréal177, la requérante demandait l’enregistrement
de la marque de commerce HALAL fondée sur l’emploi projeté de
celle-ci au Canada en liaison avec des « services de fonds mutuels,
nommément courtage de fonds mutuels, distribution de fonds
mutuels, et administration et gestion de fonds mutuels, y compris
perception, investissement et paiement de sommes ». L’opposante
s’opposait à cette demande d’enregistrement en plaidant que, d’une
part, le mot « halal » ne pouvait pas être distinctif des services de la
requérante et que d’autre part, ce mot donnait une description claire
de ceux-ci.
La marque faisant l’objet de la demande d’enregistrement produite par la requérante était composée du seul mot « halal » qui,
selon le Dictionnaire encyclopédique de l’Islam178 signifie « ce qui est
licite, en particulier la nourriture, et la viande des animaux rituellement abattus. Son contraire est har~m ». Si le mot « halal » trouve
application dans le domaine alimentaire, il n’est toutefois pas limité
176.
177.
178.
Canadian Jewish Review Ltd. c. The Registrar of Trade Marks, (1961) 37 C.P.R.
89 (C. de l’É.), le juge Cameron, page 93.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury.
Dictionnaire encyclopédique de l’Islam, édition française (Paris, Bordas, 1991),
page 145.
390
Les Cahiers de propriété intellectuelle
à celui-ci. Ainsi, l’opposante avait produit le témoignage de son
secrétaire général, un musulman pieux, qui a instruit le registraire
sur la signification de ce terme sur lequel la requérante souhaitait
obtenir un monopole suivant l’article 19 de la Loi :
Halal est un terme arabe, employé dans le Qur’an [livre sacré
des musulmans, souvent désigné « Coran » par les non-musulmans], qui signifie licite ou autorisé selon Allah.
On donne communément au concept de « halal » une portée
large, pour désigner les activités autorisées dans tous les
aspects de la vie musulmane [...] « Halal » est souvent employé
pour indiquer qu’un aliment est conforme aux strictes restrictions alimentaires imposées par le droit islamique [...] Toutefois [...] la notion de « halal » ne se limite pas, dans son
application, aux prescriptions alimentaires.
Une nette distinction est établie, dans le contexte des activités
économiques, entre ce qui est « halal » (autorisé) et « haram »
(interdit ). Ainsi, le droit islamique interdit tout marché qui
comporte des prêts à usure et des activités productrices
d’intérêts, de même que les investissements dans des secteurs
commerciaux qui traitent de produits et services [...] socialement destructeurs et douteux sur le plan islamique.
Le mot « halal » est souvent employé comme adjectif, pour
décrire les pratiques commerciales, services financiers, pratiques bancaires et placements conformes à l’Islam. À titre
d’exemple, j’ai connaissance des expressions suivantes : « investissements halal », « fonds communs de placements halal »,
« fonds halal » et ainsi de suite.179
En ce qui concerne le premier motif d’opposition (à l’effet que la
marque de la requérante n’était pas distinctive, c’est-à-dire, suivant
l’article 2 de la Loi, qu’elle n’était pas une marque qui distinguait
véritablement les services avec lesquels elle était employée par son
propriétaire, des services d’autres propriétaires, ou qui était adaptée
à les distinguer ainsi), le registraire a considéré que le terme
« halal », en liaison avec des services financiers, ne pouvait pas distinguer ceux-ci puisque ce terme a pour vocation de désigner une
grande variété de biens et services qui sont autorisés par le droit isla-
179.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury, par. 8.
Entre sacré et profane
391
mique. Il ne s’agit donc pas d’un mot adapté pour distinguer la source
unique d’un produit :
[22] La question est [...] de savoir si la preuve de la requérante
me persuade, selon la prépondérance des probabilités, que le
mot HALAL est de nature à distinguer les services de fonds
communs de placements offerts par la requérante des services
offerts par d’autres. Je conclus que la requérante ne s’est pas
acquittée de cette charge, car s’il est vrai que le terme descriptif
HALAL semble être employé essentiellement dans l’industrie
alimentaire, il ne s’ensuit pas logiquement qu’on pourrait
l’utiliser pour distinguer une source unique dans un domaine
entièrement différent. Au vu de la preuve que le sens du mot
HALAL englobe tous les services et marchandises, et pas seulement les aliments, je ne vois pas comment un musulman pieux
pourrait croire, de prime abord, que des fonds communs de placement nommés HALAL désigneraient une source en particulier au lieu de signaler que les services offerts sont conformes à
la charia. En raison de son caractère descriptif, le mot HALAL
ne permet pas de distinguer les services proposés par la requérante. La conclusion à laquelle j’arrive, à savoir que ce mot ne
peut servir à distinguer les services de la requérante, serait
davantage étayée par des preuves supplémentaires que
d’autres emploient le mot HALAL pour décrire leurs services
financiers ; néanmoins, le peu de preuve d’un tel emploi par un
tiers n’est pas suffisant pour permettre à la requérante de
s’acquitter du fardeau de la preuve. Il demeure que HALAL
peut servir de descripteur pour des services financiers et que ce
fait est suffisant pour lui enlever tout caractère distinctif.180
Parce que le caractère descriptif du mot « halal » empêchait une
marque composée de ce même mot d’être distinctive, le registraire a
aussi considéré que cette marque contrevenait également aux dispositions de l’alinéa 12(1)b) de la Loi :
[26] Bien que la description des services de la requérante ne
donne aucune indication qu’elle cible la communauté musulmane, l’adoption proposée de la marque HALAL laisse suppo180.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury, par. 22. Dans cet extrait, le registraire rappelle qu’en matière d’opposition suivant l’article 38 de la Loi, c’est la
requérante (la personne qui produit la demande d’enregistrement) qui a le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa marque peut être
enregistrée (voir à ce sujet Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S.
772, par. 54).
392
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ser une telle conclusion. Rien ne donne à croire que la requérante estime que cette marque a un sens autre que celui énoncé
dans le Coran ; or la preuve établit sans l’ombre d’un doute que
si le mot HALAL est associé le plus souvent à des aliments
conformes à l’Islam, en revanche son sens n’est pas exclusivement lié aux aliments : ceux qui connaissent la foi musulmane
donneraient au mot HALAL le sens plus général de « autorisé
par le droit islamique ». Dans cette optique, il me semble qu’il
ne conviendrait pas que ce mot soit monopolisé par une seule
entité, surtout au moyen d’une demande d’utilisation proposée181.
Les dispositions de la Loi sur les marques de commerce empêchent donc que des monopoles ne soient octroyés sur des mots ou des
expressions qui n’ont pas vocation d’agir à titre de marque de commerce, c’est-à-dire de signe ou symbole qui distingue une seule
source.
Une marque qui n’est pas composée uniquement du terme
« halal » mais qui comprend ce terme ainsi que d’autres éléments
enregistrables peut tout de même être enregistrée si un désistement
du droit à l’emploi exclusif de ce terme « halal » est produit suivant
l’article 35 de la Loi ou, selon l’énoncé de pratique publié par le
Bureau des marques de commerce le 15 août 2007, si le terme non
enregistrable (ici, « halal ») coexiste avec de la matière enregistrable.
À titre d’exemple, notons l’enregistrement LMC 536,302182, pour la
marque suivante, laquelle est au registre depuis le 31 octobre 2000
au nom de Canadien Halal / Canadian Halal Inc. pour les produits
suivants : « viande, nommément, poulet, veau, bœuf, agneau, salami,
saucisses » :
181.
182.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury, par. 26.
Enregistrement consulté le 2 octobre 2007 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
Entre sacré et profane
393
Cet enregistrement contient, entre autres, un désistement pour
le mot « halal », c’est-à-dire une reconnaissance que le droit à l’usage
exclusif de ce mot, en dehors de la marque de commerce, n’est pas
accordé. Ceci permet donc à plusieurs marques de commerce qui
incorporent le terme « halal » de coexister183 au registre, dans la
mesure où le terme « halal », per se, ne peut faire l’objet d’une appropriation exclusive184 (présumant que le matériel enregistrable qui
compose également chacune de ces marques de commerce ne crée
pas de confusion lorsqu’on examine les marques en question).
3.3 Le consommateur canadien moyen est-il religieux ?
3.3.1 Principes généraux
Lorsqu’il s’agit d’apprécier la probabilité de confusion entre
marques de commerce, cette question doit être examinée selon le critère du consommateur canadien moyen. Les traits de ce personnage
mythique ont récemment été précisés par le juge Binnie de la Cour
suprême dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc.185 :
[56] Quel point de vue faut-il alors adopter pour apprécier la
probabilité d’une « conclusion erronée » ? Ce n’est pas celui de
l’acheteur prudent et diligent. Ni, par ailleurs, celui du « crétin
pressé », si cher à certains avocats qui plaident en matière de
commercialisation trompeuse : Morning Star Co-Operative
Society Ltd. c. Express Newspapers Ltd., [1979] F.S.R. 113
(Ch. D.), p. 117. C’est plutôt celui du consommateur mythique
se situant quelque part entre ces deux extrêmes, surnommé
[TRADUCTION] « l’acheteur ordinaire pressé » par le juge en
chef Meredith dans une décision ontarienne de 1927 : Klotz c.
Corson (1927), 33 O.W.N. 12 (C.S.), p. 13. Voir aussi Barsalou c.
Darling (1882), 9 R.C.S. 677, p. 693. Dans Aliments Delisle Ltée
c. Anna Beth Holdings Ltd., [1992] C.O.M.C. no 466 (QL), le
registraire a dit :
Pour évaluer la question de la confusion, il faut examiner les
marques de commerce du point de vue du consommateur
183.
184.
185.
Reste à voir quelle sera la conséquence de l’énoncé de pratique du 15 août 2007
du Bureau des marques de commerce relativement aux désistements sur la
coexistence de ce type de marques dans la mesure où la matière non enregistrable au sein d’une marque sera moins facilement identifiable puisqu’elle ne
fera plus nécessairement l’objet d’un désistement suivant l’article 35 de la Loi.
Notons que l’enregistrement LMC 688,315 évoqué parmi les exemples donnés
au début de cet article contient, lui aussi, un désistement relatif à l’emploi exclusif du terme « halal » en dehors de la marque de commerce.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772.
394
Les Cahiers de propriété intellectuelle
moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la
marque de l’opposante, qui pourrait tomber sur la marque
de commerce de la requérante utilisée sur le marché en liaison avec ses marchandises.
Voir aussi American Cyanamid Co. c. Record Chemical Co.,
[1972] C.F. 1271 (1re inst.), p. 1276, conf. par (1973), 14 C.P.R.
(2d) 127 (C.A.F.). Comme l’a expliqué le juge Cattanach dans
Canadian Schenley Distilleries, p. 5 :
Il ne s’agit pas de l’acheteur impulsif, négligent ou distrait
ni de la personne très instruite ni d’un expert. On cherche à
savoir si une personne moyenne, d’intelligence ordinaire,
agissant avec la prudence normale peut être trompée. Le
registraire des marques de commerce ou le juge doit évaluer
les attitudes et les réactions normales de telles personnes
afin de mesurer la possibilité (sic) de confusion.
[57] Cela dit, je souscris entièrement à l’opinion formulée par le
juge Linden dans Pink Panther selon qui, dans l’appréciation de
la probabilité de confusion sur le marché, « il faut accorder une
certaine confiance au consommateur moyen » (par. 54). Une
idée semblable a été exprimée dans Michelin & Cie c. Astro Tire
& Rubber Co. of Canada Ltd. (1982), 69 C.P.R. (2d) 260 (C.F.
1re inst.), p. 263 :
. . . on ne doit pas procéder en partant du principe que les
clients éventuels ou les membres du public en général sont
complètement dénués d’intelligence ou de mémoire, ou sont
totalement inconscients ou mal informés au sujet de ce qui
se passe autour d’eux.186
Toutefois, lorsqu’il s’agit d’apprécier la question de la probabilité de confusion entre marques de commerce dont l’une est associée
à des produits destinés à une clientèle religieuse, le facteur relatif au
type de clientèle est-il pertinent afin d’éliminer la probabilité de
confusion (en vertu du raisonnement selon lequel les clients – religieux – à qui s’adressent les produits vendus sous l’une des deux
marques sont davantage susceptibles d’être informés au sujet des
produits qu’ils achètent et en mesure de faire les distinctions nécessaires) ?
186.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, par 56 et 57.
Entre sacré et profane
395
De manière générale, la jurisprudence est à l’effet que la question de la probabilité de confusion doit être tranchée par référence
aux acheteurs probables des marchandises ou services en cause. Ce
point était ainsi souligné par le juge Binnie dans l’arrêt Mattel, Inc.
c. 3894207 Canada Inc.187 :
[86] Les parties empruntent des voies de commercialisation différentes et distinctes à l’intérieur desquelles leurs marchandises et services ne se chevauchent pas. Dans McDonald’s Corp.
c. Coffee Hut Stores Ltd., par. 32, le juge McKeown souligne
que, même si les deux parties vendaient du café, le marché
qu’occupe une boutique spécialisée dans le café est différent de
celui qu’occupe un restaurant-minute (conf. par [1996] A.C.F.
no 774 (QL) (C.A.)). Le genre de clients susceptibles d’acheter
les marchandises et services respectifs des parties est considéré
depuis longtemps comme une circonstance pertinente : General
Motors, p. 692 ; Gill et Jolliffe, p. 8-38 à 8-40.188
Ce même principe était décrit dans les termes suivants par le
juge Noël de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baylor University c.
La compagnie dite The Governor & Company of Adventurers trading
into Hudson’s Bay189 :
[27] Il est de droit constant que la question de la confusion créée
par la vente de marchandises sous des marques de commerce
concurrentes doit être tranchée par référence aux acheteurs
probables de ces marchandises. Dans Cheung Kong (Holdings)
Ltd. c. Living Realty Inc., [1999] A.C.F. no 1966, le juge Evans
s’est prononcé en ces termes :
L’avocate de l’opposante m’a cité certaines décisions à
l’appui de la proposition plus générale suivant laquelle le
critère applicable en matière de confusion est celui de la
confusion créée dans l’esprit du «consommateur moyen».
Elle ajoute que cette personne fictive doit être identifiée en
fonction des consommateurs effectifs du produit auquel la
marque est associée. Ainsi, la question de savoir si une
marque risque de créer de la confusion est une question qui
doit être posée, non pas dans l’abstrait, mais en fonction du
187.
188.
189.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, par. 86.
Baylor University c. La compagnie dite The Governor & Company of Adventurers
trading into Hudson’s Bay, [2000] A.C.F. no 984 (C.A.F.).
396
Les Cahiers de propriété intellectuelle
marché concret dans lequel les marchandises ou services
sont offerts.
Ainsi, dans le jugement Canadian Schenley Distilleries Ltd.
c. Canada’s Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1
(C.F. 1re inst.), le juge Cattanach a fait remarquer (à la page
5) :
Lorsqu’il s’agit de dire si deux marques de commerce
peuvent être confondues, il faut prendre en considération les personnes qui achèteront vraisemblablement les marchandises, c’est-à-dire les personnes
qui forment habituellement le marché, c’est-à-dire
les consommateurs.190
On constate donc que les clients respectifs des parties sont une
considération importante pour apprécier la probabilité de confusion
entre marques de commerce.
Ce principe général doit toutefois être tempéré lorsqu’il est
question d’apprécier la probabilité de confusion en examinant le
libellé des marchandises d’une marque de commerce enregistrée ou
qu’on cherche à enregistrer. Lorsqu’il s’agit d’apprécier la probabilité
de confusion entre marques de commerce dont l’une ou l’autre est
enregistrée ou encore fait l’objet d’une demande d’enregistrement, il
faut considérer le libellé des marchandises et/ou services de l’enregistrement allégué (ou celui de la demande d’enregistrement, selon
le cas) – et non ce qu’une partie, titulaire d’une marque enregistrée
ou en instance, selon le cas, effectue à un moment donné avec sa
marque de commerce ; en effet, ce qui est en cause est le monopole
énoncé à l’article 19 de la Loi. Ce point de droit également important
était aussi évoqué par le juge Binnie dans l’arrêt Mattel, Inc. c.
3894207 Canada Inc.191 :
[53] L’appelante a soutenu que les instances inférieures ont eu
tort d’examiner les activités réelles de l’intimée plutôt que les
termes figurant dans sa demande d’enregistrement de la
marque projetée. Il est vrai qu’il faut s’attacher aux termes
employés dans la demande, parce que ce qui est en cause est ce
que l’enregistrement permettrait à l’intimée de faire, et non pas
ce qu’elle fait actuellement. [...] Cela dit, je ne crois pas que la
190.
191.
Baylor University c. La compagnie dite The Governor & Company of Adventurers
trading into Hudson’s Bay, [2000] A.C.F. no 984 (C.A.F.), par. 27.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772.
Entre sacré et profane
397
Commission ou les tribunaux inférieurs aient mal apprécié la
nature du litige. Les termes employés par l’intimée dans sa
demande ([TRADUCTION] « des services de restaurant, des
services de mets à emporter, des services de traiteur et de banquet ») ont été repris par la Commission et le juge des requêtes,
et à la lecture de leurs motifs respectifs, considérés dans leur
ensemble, je ne crois pas qu’ils aient mal compris la question
qui leur était soumise192.
Ce rappel du juge Binnie est survenu presque deux décennies
après l’énoncé du même principe par le juge en chef Thurlow, souvent repris depuis, dans l’arrêt Mr. Submarine Ltd. c. Amandista
Investments Ltd.193 :
[...] il convient de noter que le droit de l’appelante à l’emploi
exclusif de « Mr. Submarine » ne se limite pas aux parties du
Canada où l’appelante et ses concessionnaires ont exploité une
entreprise, mais s’étend dans tout le Canada. L’appelante a
donc droit à son emploi exclusif dans n’importe quel point de
vente additionnel pour ses sandwiches qu’elle juge bon d’établir. Le droit exclusif de l’appelante n’est pas non plus limité à
la vente de sandwiches par les méthodes qu’elle emploie maintenant ou qu’elle a employées dans le passé. Rien n’empêche
l’appelante de changer la couleur de ses enseignes ou le style de
lettres de « Mr. Submarine », ou d’adopter un système téléphonique et de livraison tel que celui suivi par l’intimée ou tout
autre système convenable pour la vente de ses sandwiches. Si
elle devait effectuer un de ces changements, son droit exclusif à
l’emploi de « Mr. Submarine » s’appliquerait tout comme il
s’applique à son emploi dans l’entreprise qu’elle exploite actuellement. La question de savoir si les marques de commerce ou
les noms commerciaux de l’intimée créent de la confusion avec
la marque enregistrée de l’appelante doit donc être examinée
en tenant compte non seulement de l’entreprise actuelle que
l’appelante exploite dans la région des opérations de l’intimée,
mais aussi de la possibilité de confusion si l’appelante devait
exercer ses activités dans cette région de toute manière qui lui
est permise en utilisant sa marque de commerce en liaison avec
les sandwiches vendus ou les services exécutés dans l’exercice
de son entreprise.194
192.
193.
194.
Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, par. 53.
Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.F.).
Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.F.),
pages 102 et 103.
398
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cet extrait mentionne la « possibilité de confusion » ; on devrait
toutefois parler de « probabilité de confusion » dans la mesure où la
version anglaise mentionne « whether confusion would be likely » en
conformité avec la norme établie par le législateur au paragraphe
6(2) de la Loi.
Ainsi, à titre d’exemple, le titulaire d’un enregistrement pour
une marque de commerce dont le libellé des marchandises est le suivant : « produits alimentaires nommément volaille » bénéficie du
droit à l’emploi exclusif de sa marque de commerce pour de la volaille
quels que soient les canaux de distribution de celle-ci même si, dans
les faits, les ventes sont limitées à une clientèle religieuse qui achète
les produits vendus en raison de leur conformité à certaines prescriptions rituelles. À l’inverse, l’enregistrement qui garantit dans le
libellé des marchandises (ou services) qu’un produit sera vendu
uniquement dans l’établissement opéré par son titulaire selon des
conditions qui respectent des prescriptions religieuses réduit l’étendue du monopole octroyé, diminuant d’autant le risque de confusion
entre la marque en cause et une autre marque similaire (mais non
enregistrée) qui est employée auprès d’une autre clientèle.
Finalement, un autre principe important est à l’effet que dès
lors qu’il y a risque de confusion dans l’une ou l’autre des deux langues officielles du pays, une marque de commerce ne peut être enregistrée suivant le test décrit par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt
Smithkline Beecham Corporation c. Pierre Fabre Médicament195 :
[...] (y a-t-il risque de confusion auprès du consommateur francophone moyen, auprès du consommateur anglophone moyen,
ou, dans certains cas particuliers, auprès du consommateur
bilingue moyen ?) [...]196
Pareillement, lorsqu’il s’agit de décider si une marque de commerce contrevient aux dispositions de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, il
faut analyser l’impression laissée par celle-ci en vertu des deux lan195.
196.
Smithkline Beecham Corporation c. Pierre Fabre Médicament, [2001] 2 C.F. 636
(C.A.F.).
Smithkline Beecham Corporation c. Pierre Fabre Médicament, [2001] 2 C.F. 636
(C.A.F.), par. 15. Pour une application de ce principe, voir la décision antérieure
Pernod Ricard c. Molson Breweries, (1992) 44 C.P.R. (3d) 359 (C.F.P.I.) [désistement d’appel le 29 avril 1994 au dossier A-1269-92 de la Cour d’appel fédérale]
où le juge Denault a apprécié la probabilité de confusion entre les marques
RICKARD’S RED pour de la bière et RICARD pour, entre autres, des liqueurs et
spiritueux, tant du point de vue des Canadiens francophones qu’anglophones.
Entre sacré et profane
399
gues officielles du Canada puisqu’une marque de commerce peut
être descriptive dans une langue et non dans l’autre197.
Compte tenu de ces principes, comment la jurisprudence
aborde-t-elle la question de la probabilité de confusion entre marques de commerce lorsqu’une clientèle religieuse est en cause ?
Avant de revoir certaines décisions du registraire à ce sujet, notons
que la présence d’une clientèle religieuse est certainement une circonstance pertinente pour mesurer la probabilité de confusion entre
marques de commerce198.
3.3.2 Affaires décidées par le registraire
3.3.2.1 Opposition contre la marque INFORMAT
Dans Southam Inc. c. La Communauté des Frères de St-Gabriel
au Canada199, la communauté religieuse requérante demandait
l’enregistrement de la marque de commerce INFORMAT pour des
logiciels informatiques ainsi que pour des services dits « consultation
et réalisation pour favoriser des programmes concrets d’évangélisation » par différents moyens de communication. La société opposante s’était opposée à cette demande sur la base de son
enregistrement pour la marque de commerce INFOMART enregistrée avec différents services informatiques. Dans sa décision, le
registraire a noté que tous les services de la requérante avaient
l’évangélisation comme dénominateur commun. Bien que le libellé
des services de la marque de l’opposante ne semblait nullement correspondre à ce type de services, la preuve révélait que l’opposante
offrait ses services à des organisations charitables et religieuses.
Dans les circonstances, le registraire a considéré que les services
associés à la marque de commerce INFOMART de l’opposante pourraient être offerts aux mêmes secteurs du public qui feraient appel
aux services d’évangélisation de la requérante. Il a ainsi conclu que
la requérante ne s’était pas déchargée de son fardeau d’établir
197.
198.
199.
101482 Canada Inc. c. Registraire des marques de commerce, [1985] 2 C.F. 501
(C.F.P.I.), le juge Joyal, page 505.
Voir par exemple : Columbia Broadcasting System Inc. c. Alpha Corp. of America, (1975) 24 C.P.R. (2d) 180 (C.O.M.C.), N.M. Thurm ; dans cette affaire, le
registraire a noté que les produits respectifs des parties étaient destinés aux
Églises, une circonstance pertinente dans l’appréciation de la probabilité de
confusion ; toutefois, il a conclu dans ce cas à l’absence de probabilité de confusion puisque les marques des parties étaient substantiellement différentes, un
fait qui serait noté par les clientèles religieuses en cause.
Southam Inc. c. La Communauté des Frères de St-Gabriel au Canada, (1992) 42
C.P.R. (3d) 466 (C.O.M.C.), G.W. Partington.
400
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’absence de probabilité de confusion dans les circonstances et a
refusé sa demande d’enregistrement. La demande d’enregistrement
a donc été refusée parce qu’il y avait probabilité de confusion auprès
d’un secteur de la population, soit les personnes qui feraient appel à
des services d’évangélisation comme ceux offerts par la requérante.
3.3.2.2 Opposition contre la marque graphique EMPIRE KOSHER
POULTRY
Dans l’affaire Parrish & Heimbecker, Ltd. c. Empire Kosher
Poultry Inc.200, la requérante demandait l’enregistrement de la
marque de commerce ci-après reproduite pour différents produits de
volaille cacher201 (ou casher) :
L’opposante s’était opposée à cette demande d’enregistrement
sur la base de sa marque EMPIRE enregistrée pour de la dinde. Le
registraire devait donc determiner s’il y avait probabilité de confusion entre la marque graphique EMPIRE KOSHER POULTRY pour
de la volaille cacher et la marque EMPIRE pour de la dinde. La différence entre le type de produits offerts par les parties ainsi que leur
200.
201.
Parrish & Heimbecker, Ltd. c. Empire Kosher Poultry Inc., [1996] T.M.O.B. No.
180 (C.O.M.C.), G.W. Partington.
Selon le Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, publié sous la direction de
Geoffrey Wigoder (Paris, Éditions du Cerf, 1993), le terme cacher signifie :
« Terme hébraïque désignant les aliments jugés « aptes » ou propres à la consommation conformément aux lois de l’alimentation (cacherout) bibliques et rabbiniques. (...) L’emploi du terme cacher dans son acceptation actuelle trouve son
origine dans le Talmud. (...) Le terme de kosher est également employé, surtout
aux États-Unis, pour désigner des spécialités culinaires telles que les « cornichons kosher » ou d’autres plats juifs d’Europe centrale ou orientale. L’expression « kosher-style » désigne alors une spécialité et non la conformité rituelle
d’un plat à la loi juive. Le terme cacher, dans son sens original, peut également
être employé pour signifier qu’un individu est apte à officier ou à prendre part
aux pratiques religieuses juives. De la même façon, il est appliqué aux objets
rituels qui sont considérés comme cacher lorsque leur fabrication est convenable
et qu’ils ont été conservés dans l’état requis ».
Entre sacré et profane
401
clientèle respective a été un argument soulevé par la partie requérante pour tenter de convaincre le registraire qu’il n’y avait pas de
probabilité de confusion dans les circonstances :
[10] With respect to the wares covered in the present application, the applicant has pointed out that there are important differences in the kosher poultry process compared to non-kosher
poultry and meats. Kosher poultry is prepared according to
very specific rules in that the process of slaughtering an animal
requires that it be done in a certain fashion by a ritually trained
slaughterer who says prayers and then completes the slaughtering process in a particular manner. The product is then
examined for flaws, cleaned, salted and packed in ice or kept in
cold for a period of time in accordance with religious law. The
process for preparing the animals for market continues under
religious supervision. The recognition by the purchasing public
assures that the product is strictly kosher and this assurance is
extremely important for religious Jewish people since they
never eat non-kosher meat or poultry, unless faced with a life
threatening situation. Producing kosher products means extra
time of preparation and special installations which result in
extra cost. Kashruth restrictions apply to the diet and treatment of poultry, as well as to the slaughtering and processing.
Quality control and Rabbinic supervision are required at every
stage of growing and production of the applicant’s poultry. The
applicant is a totally integrated kosher poultry producer and
processor.202
Malgré ces différences indéniables, le registraire n’a pas été
convaincu qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion. En effet,
dans ses motifs, il a tenu compte des membres du public qui n’étaient
pas juifs ; ces derniers ignoreraient sans doute qu’un producteur de
viande non cacher ne vendrait pas des produits cacher. Ces membres
du public seraient donc susceptibles de conclure que les produits
associés à la marque graphique EMPIRE KOSHER POULTRY constitueraient une nouvelle variété d’aliments provenant du propriétaire de la marque EMPIRE déjà associée à de la dinde :
[12] With respect to the wares of the parties, I would expect the
average consumer of the applicant’s kosher poultry and meat
products to be discriminating purchasers who would not be con202.
Parrish & Heimbecker, Ltd. c. Empire Kosher Poultry Inc., [1996] T.M.O.B. No.
180 (C.O.M.C.), G.W. Partington, par. 10.
402
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fused by the trade-marks at issue as applied to the respective
wares of the parties. On the other hand, I am of the view that
the average consumer who is aware of the opponent’s EMPIRE
turkeys and who is not Jewish might well conclude that kosher
meat and poultry bearing the trade-mark EMPIRE KOSHER
POULTRY & Design is another line of products being produced
by the opponent. While it might well be that a producer of nonkosher meat and poultry products would not produce a line of
kosher meat and poultry products, I certainly have my doubts
that the average consumer who may not necessarily be Jewish
and who might still encounter the applicant’s wares in the marketplace would be aware that such may be the case.203
Encore une fois, parce qu’un secteur de la population pourrait
conclure erronément que les produits respectifs des parties proviennent d’une seule source, le registraire a refusé la demande d’enregistrement présentée par la requérante.
3.3.2.3 Opposition contre la marque graphique CEC CANADA
Dans l’affaire Les Éditions CEC Inc. c. Friesen204, le requérant
demandait l’enregistrement d’une marque graphique CEC CANADA
pour du matériel didactique chrétien évangélique, nommément : des
manuels, des manuscrits, des questionnaires d’examen, des livres,
des films, des vêtements et autres produits ainsi que des classes éducatives dans le domaine de la catéchèse, nommément dans les écoles,
les églises, les séminaires et les ateliers.
L’opposante s’était opposée à cette demande d’enregistrement,
entre autres, sur la base de son emploi antérieur de la marque CEC
en liaison avec son commerce et avec des publications imprimées,
notamment des manuels scolaires, des cahiers d’exercices, des dictionnaires, des livres scolaires sur tous les sujets enseignés dans les
écoles, y compris les livres traitant de religion.
Le registraire a rejeté l’opposition de l’opposante à l’encontre de
tous les produits et services mentionnés dans la demande d’enregistrement à l’exception des manuels, des manuscrits, des questionnaires d’examen et des livres puisqu’il y avait recoupement entre les
203.
204.
Parrish & Heimbecker, Ltd. c. Empire Kosher Poultry Inc., [1996] T.M.O.B. No.
180 (C.O.M.C.), G.W. Partington, par. 12.
Les Éditions CEC Inc. c. Friesen, [2005] C.O.M.C. no 19 (C.O.M.C.), C. Tremblay.
Entre sacré et profane
403
commerces des parties à ce niveau. Le registraire s’est exprimé
ainsi :
[35] À mon avis, le fait que les marchandises « manuels, manuscrits, [...], questionnaires d’examen, livres » soient qualifiées,
dans le texte original anglais de la demande d’enregistrement,
de « Evangelical Christian educational material » ne suffit pas
à les distinguer des publications imprimées associées à la
marque de l’opposante. En ce qui a trait à la preuve au dossier,
je ne puis conclure à des similitudes entre les publications
imprimées et les affaires de l’opposante et le matériel éducatif
« films, vidéos, audiocassettes éducatifs » mentionné dans la
demande. Je constate aussi que les vêtements et les fournitures
de bureau, de même que les services mentionnés dans la
demande se distinguent des marchandises et du commerce de
l’opposante.
[36] Je suis consciente de l’argument du requérant selon lequel
les parties ne sont pas en concurrence directe et que l’Association [dont le requérant est le président] est un organisme de
bienfaisance sans but lucratif. Toutefois, le fait que les activités
du requérant ne peuvent donner lieu à un gain financier ne
signifie pas qu’il ne pourrait pas vendre les marchandises associées à la marque ni les offrir en vente à des acheteurs potentiels. Comme les marchandises sont de même nature, on
pourrait soutenir que les utilisateurs finaux sont les mêmes.205
Parce que les parties employaient des marques de commerce
similaires dans le domaine du matériel imprimé, le registraire a conclu à la probabilité de confusion entre les marques de commerce des
parties pour ces produits. La présence de matériel religieux parmi
les produits du requérant n’a pas réussi à les distinguer des produits
de l’opposante, puisque selon la preuve, certains des manuels de
l’opposante avaient également une vocation religieuse.
3.3.2.4 Opposition contre la marque HALAL
Dans l’affaire Islamic Society of North America Canada c.
Banque de Montréal206, que nous avons évoquée plus tôt, la requé205.
206.
Les Éditions CEC Inc. c. Friesen, [2005] C.O.M.C. no 19 (C.O.M.C.), C. Tremblay, par. 35-36.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury.
404
Les Cahiers de propriété intellectuelle
rante demandait l’enregistrement de la marque de commerce
HALAL pour différents types de services financiers.
Le registraire a fait droit à l’opposition de l’opposante dans la
mesure où la partie requérante ne s’était pas déchargée du fardeau
d’établir que la marque de commerce faisant l’objet de sa demande
d’enregistrement était distinctive et qu’elle respectait les dispositions de l’alinéa 12(1)b) de la Loi.
Dans le cadre de cette opposition, les parties ont tenté d’établir
le nombre de Canadiens musulmans afin de déterminer l’étendue du
« marché » auquel les produits financiers de la requérante s’adressaient. Toutefois, même en établissant que le nombre de Canadiens
pratiquant la foi islamique était relativement peu élevé par rapport
à la population totale du Canada, le registraire a considéré que ce
fait ne rendait pas nécessairement la marque de commerce HALAL
enregistrable puisque celle-ci donnait, pour ceux qui comprennent le
sens de ce mot, une description claire des services de la requérante.
[27] [...] En tout état de cause, je pourrais sans doute prendre
connaissance d’office qu’un nombre de Canadiens pratiquent la
foi islamique. Sur la question de l’importance de ce nombre, qui
est sans doute assez faible par rapport au nombre de Canadiens
non musulmans, il importe de garder à l’esprit l’identité du
consommateur moyen éventuel du service en question. S’il est
clair que les services financiers ne sont pas exclusivement destinés aux tenants de la foi islamique, il est en revanche manifeste que l’adoption d’un mot connu particulièrement des
musulmans a pour objet d’attirer cette clientèle cible. Même si
la preuve produite par la requérante donne à croire que « halal »
est pour elle un adjectif employé essentiellement par rapport
aux aliments, la requérante ne nie pas que ce mot a une importance avant tout pour les adhérents de la foi islamique.
[28] Je ne crois pas que l’importance relative de la communauté
musulmane au Canada puisse nous empêcher de conclure que
le mot HALAL est clairement descriptif des services faisant
l’objet de la demande. On peut interpréter le simple fait que le
gouvernement du Canada a décidé de tenir des statistiques sur
cette population comme une indication que celle-ci constitue un
élément notable de notre société.207
207.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury, par. 27-28.
Entre sacré et profane
405
Selon les motifs du registraire, il semble évident que la signification d’un terme comme « halal » ne doit pas être connue par
l’ensemble de la population canadienne si, dans un cas comme celuici, ce terme a une signification claire au sein de la communauté
musulmane. Cette considération est importante dans la mesure où
l’alinéa 12(1)b) n’exige pas que le sens descriptif d’un mot pris
comme marque de commerce soit compris comme tel par l’ensemble
ou une majorité de la population canadienne ; au contraire, une
marque de commerce peut contrevenir aux dispositions de l’alinéa
12(1)b) de la Loi en donnant une description claire de la nature ou de
la qualité des produits et services qui y sont associés même si cette
description n’est pas courante au Canada. En ce sens, il faut davantage examiner le sens objectif d’un mot pour déterminer si celui-ci
contrevient à l’alinéa 12(1)b) de la Loi plutôt que de tenter de mesurer la perception de celui-ci pour une majorité de Canadiens puisque
cette analyse ne donnerait pas un résultat satisfaisant ; un mot clairement descriptif aux yeux d’un public informé sur la question
(même si ce public est minoritaire au Canada) ne devrait pas être
enregistré suivant l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Ceci est conforme à
l’approche du juge Pigeon dans l’arrêt Home Juice Co. c. Orange Maison Ltée208, où celui-ci a indiqué qu’il faut interpréter l’alinéa 12(1)b)
de la sorte ; autrement, un commerçant astucieux pourrait monopoliser une expression nouvelle, française ou anglaise (et par ailleurs
descriptive) en l’enregistrant comme marque de commerce dès
qu’elle commencerait à avoir cours dans un autre pays francophone
ou anglophone et avant qu’on puisse démontrer qu’elle est connue au
Canada209.
3.3.3 Selon les circonstances, il faut tenir compte du
consommateur canadien religieux
Pour apprécier la probabilité de confusion entre marques de
commerce dont l’une est associée à des produits ou services destinés
à une clientèle religieuse, on tiendra à la fois compte du consommateur canadien moyen qui ne fait pas nécessairement partie de cette
clientèle mais qui pourrait se procurer les produits ou services en
208.
209.
Home Juice Co. c. Orange Maison Ltée, [1970] R.C.S. 942.
Home Juice Co. c. Orange Maison Ltée, [1970] R.C.S. 942, page 945. Ce point a
été repris récemment par le juge Harrington de la Cour fédérale dans l’arrêt
Sociedad Agricola Santa Teresa Ltda. c. Vina Leyda Limitada, 2007 CF 1301
(C.F.), où il a été décidé que la descriptivité géographique claire d’une marque
composée du nom du lieu d’où proviennent les produits associés à cette marque
ne dépend pas de la connaissance de ce lieu par les consommateurs canadiens,
mais plutôt de la démonstration de l’existence objective de ce lieu.
406
Les Cahiers de propriété intellectuelle
question et, bien sûr, de celui qui en fait partie. Dans certains cas, on
pourra conclure à la probabilité de confusion, surtout si les produits
en cause sont destinés à la même clientèle religieuse (comme dans
l’affaire INFORMAT) ; par contre, s’il y a probabilité de confusion
auprès d’une clientèle (non religieuse) qui pourrait se procurer un
produit qui est par ailleurs destiné à une clientèle principalement
religieuse, on conclura également à la probabilité de confusion entre
les marques de commerce en cause (comme dans l’affaire EMPIRE
KOSHER POULTRY). En résumé, s’il y a probabilité de confusion
pour un groupe (qu’il soit religieux ou non), une marque de commerce
ne pourra pas être enregistrée.
3.4 Une organisation religieuse peut-elle être une
« autorité publique » en vertu du sous-alinéa
9(1)n)(iii) ?
L’article 9 de la Loi sur les marques de commerce énonce diverses prohibitions. Parmi celles-ci, le législateur a prévu un régime
particulier pour les marques dites « officielles » au sous-alinéa
9(1)n)(iii) de la Loi :
9(1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme
marque de commerce ou autrement, une marque composée de
ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait
vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :
[...]
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :
[...]
(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada
comme marque officielle pour des marchandises ou services,
à l’égard duquel le registraire, sur la demande de [...] l’[...] autorité publique, [...] a donné un avis public d’adoption et emploi ;
Les prohibitions du sous-alinéa 9(1)n)(iii) se trouvent davantage étendues par l’effet de l’article 11 et l’alinéa 12(1)e) de la Loi :
11. Nul ne peut employer relativement à une entreprise,
comme marque de commerce ou autrement, une marque adoptée contrairement à l’article 9 ou 10 de la présente loi ou con-
Entre sacré et profane
407
trairement à l’article 13 ou 14 de la Loi sur la concurrence
déloyale, chapitre 274 des Statuts revisés du Canada de 1952.
12(1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est
enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :
[...]
e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit
l’adoption ;
L’avis public donné conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) a
un effet important, celui d’empêcher (grâce à l’article 11) d’autres
personnes, à partir de cette date, d’employer toute marque, « comme
marque de commerce ou autrement », qui est susceptible d’être
confondue avec la marque officielle, sauf pour les marchandises ou
services porteurs de la marque avant la date de l’avis public de la
marque officielle210.
Pour l’autorité publique qui fait une demande en vertu du
sous-alinéa 9(1)n)(iii), les avantages sont considérables puisque le
registraire ne peut refuser de donner l’avis public d’adoption et
emploi d’une marque comme marque officielle pour le motif qu’elle
est simplement descriptive, qu’elle ne permet pas de distinguer les
marchandises ou services de l’autorité publique ou qu’elle est susceptible d’être confondue avec la marque d’un tiers. De fait, le registraire n’a virtuellement pas de pouvoir discrétionnaire de refuser de
donner l’avis public d’adoption et emploi d’une marque comme
marque officielle, une fois que l’auteur de la demande établit qu’il a
satisfait aux critères de la Loi211.
Un critère en trois volets a été adopté par la jurisprudence pour
déterminer si un organisme est une autorité publique212 et a ainsi
droit au régime d’exception prévu par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) :
a) l’organisme doit avoir une obligation envers le public en général ;
210.
211.
212.
Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of
Ontario, [2003] 1 C.F. 331 (C.A.F.) [demande d’autorisation d’appel à la Cour
suprême du Canada refusée le 27 mars 2003 au dossier 29318], par. 34.
Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of
Ontario, [2003] 1 C.F. 331 (C.A.F.), par. 34.
Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of
Ontario, [2003] 1 C.F. 331 (C.A.F.), par. 47.
408
Les Cahiers de propriété intellectuelle
b) il doit, dans une mesure importante, être soumis au contrôle gouvernemental ; et
c)
les bénéfices ne doivent pas servir un intérêt privé mais doivent
profiter à l’ensemble du public.
En ce qui concerne le « contrôle gouvernemental », il s’agit, en
fait, d’une supervision gouvernementale continue des activités de
l’organisme qui réclame le statut d’autorité publique aux fins du
sous-alinéa 9(1)n)(iii)213. De plus, ce contrôle gouvernemental doit
être exercé par un gouvernement canadien214.
En raison de cette exigence de « contrôle gouvernemental », une
organisation religieuse peut-elle être reconnue comme « autorité
publique » ? En d’autres mots, le gouvernement peut-il « contrôler »
les organisations religieuses ? Avant de répondre à ces questions,
examinons la réelle autonomie du fait religieux par rapport à tout
contrôle étatique en droit canadien.
3.4.1 La liberté religieuse et l’État en droit canadien
Dès les années 1950, bien avant l’avènement des Chartes qui
garantissent aujourd’hui certaines libertés fondamentales (dont la
liberté religieuse), la Cour suprême constatait l’existence de certaines libertés personnelles, telles la liberté d’expression et la liberté de
religion. Ces libertés ne trouvaient pas leur fondement dans une
quelconque action de l’État qui les aurait ainsi mises en place ; au
contraire, ces libertés subsistaient comme attributs des personnes ;
en d’autres mots, il ne s’agit pas de libertés dont l’existence dépendrait du bon vouloir de l’État. Lorsqu’il s’agit plus particulièrement
de la liberté religieuse, ce n’est pas l’État qui en est la source ; l’État
doit plutôt reconnaître cette liberté qui se rattache à l’individu
comme attribut de sa personne (avec la réserve habituelle d’une
liberté qui trouve sa limite aux frontières de la même liberté dont
bénéficie le voisin). C’est ainsi que le juge Rand de la Cour suprême
décrivait en 1953 ces libertés personnelles, dont la liberté religieuse,
dans l’arrêt Saumur c. Ville de Québec215, une décision de la Cour
213.
214.
215.
Ordre des architectes de l’Ontario c. Association of Architectural Technologists of
Ontario, [2003] 1 C.F. 331 (C.A.F.), par. 59.
United States Postal Service c. Société canadienne des postes, 2007 CAF 10
(C.A.F.) [demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée
le 28 juin 2007 au dossier 31906].
Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2 R.C.S. 299.
Entre sacré et profane
409
suprême parmi d’autres216 durant cette décennie et qui a mis en évidence les difficultés éprouvées alors par les Témoins de Jéhovah
dans le Québec duplessiste :
Strictly speaking, civil rights arise from positive law ; but freedom of speech, religion and the inviolability of the person, are
original freedoms which are at once the necessary attributes
and modes of self-expression of human beings and the primary
conditions of their community life within a legal order. It is in
the circumscription of these liberties by the creation of civil
rights in persons who may be injured by their exercise, and by
the sanctions of public law, that the positive law operates.217
La liberté religieuse, ainsi que la liberté d’expression, sont des
règles essentielles permettant la vie en société ; il ne s’agit pas de
règles absolues (ou sans limites) mais plutôt de règles de base permettant aux citoyens d’articuler ce qu’ils sont. Elles ne sont pas
« absolues » en ce sens qu’on peut faire appel aux règles de droit
mises en place par le législateur (notamment aux règles de droit civil
et de responsabilité délictuelle) pour obtenir réparation, selon les
circonstances, dans les cas où il y a eu action qui a compromis
l’exercice de cette liberté ; inversement, dans le cadre d’agissements,
y compris ceux découlant d’une liberté personnelle, qui auraient
causé un préjudice à autrui, la victime de ce préjudice pourrait invoquer le droit civil pour obtenir réparation.
Deux ans après l’arrêt Saumur, en 1955, dans l’arrêt Chaput c.
Romain218, le juge Taschereau (tel était alors son titre) soulignait le
droit des Canadiens à la liberté religieuse :
Dans notre pays, il n’existe pas de religion d’État. Personne
n’est tenu d’adhérer à une croyance quelconque. Toutes les religions sont sur un pied d’égalité, et tous les catholiques comme
d’ailleurs tous les protestants, les juifs, ou les autres adhérents
des diverses dénominations religieuses, ont la plus entière
liberté de penser comme ils le désirent. La conscience de chacun
est une affaire personnelle, et l’affaire de nul autre. Il serait
désolant de penser qu’une majorité puisse imposer ses vues
religieuses a une minorité. Ce serait une erreur fâcheuse de
croire qu’on sert son pays ou sa religion, en refusant dans une
216.
217.
218.
Voir à ce sujet : Boucher c. R., [1951] R.C.S. 265 ; Chaput c. Romain, [1955]
R.C.S. 834.
Saumur c. Ville de Québec, [1953] 2 R.C.S. 299, page 329.
Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834.
410
Les Cahiers de propriété intellectuelle
province, à une minorité, les mêmes droits que l’on revendique
soi-même avec raison, dans une autre province219.
Précisons dès à présent deux points : d’une part, le contexte historique particulier de l’après-guerre au moment où cet énoncé a été
effectué ; d’autre part, les acteurs possibles d’un litige où la liberté
religieuse est en cause.
3.4.1.1 Une liberté précieuse : regard sur l’histoire récente
Au Canada et ailleurs, on peut retracer le souci de protéger, dès
le milieu du siècle dernier, certains droits fondamentaux (y compris
la liberté religieuse) comme la volonté d’affirmer certaines règles
fondamentales de vie en société. Quelques années auparavant, ces
mêmes règles avaient été complètement ignorées par certains gouvernements totalitaires qui, en plein cœur de l’Europe, avaient nié à
leurs citoyens ces libertés d’origine, ainsi que les a nommées le juge
Rand. En 1960, le Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la
lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des
minorités (Nations Unies) évoquait dans son étude des mesures discriminatoires dans le domaine de la liberté de religion et des pratiques religieuses220 le cas extrême mais pourtant bien récent de
l’Allemagne nazie :
Ainsi, on se souviendra que la Constitution allemande du
11 août 1919 assurait à tous les habitants de ce pays la pleine
liberté de conscience et de croyance et permettait à chaque
groupe religieux d’administrer et de diriger ses propres affaires, mais que le régime national-socialiste a renversé complètement l’attitude de l’État à l’égard des religions et des croyances.
Les nazis ont voulu établir une « religion du peuple » fondée sur
le sang, la race et le sol. Ils ont limité progressivement l’action
de l’Église catholique dans le domaine des œuvres, de l’enseignement, des sports et des activités de jeunesse ; en même
temps, ils se sont efforcés résolument d’englober l’Église protestante dans leur organisation et de s’assurer progressivement,
par l’emploi de méthodes terroristes, son contrôle absolu. [...]
D’autre part, l’antisémitisme, trait caractéristique du nationalsocialisme, travaillait à l’extermination des juifs. [...] Lorsque
la guerre a éclaté en septembre 1939, la communauté juive
219.
220.
Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834.
Nations Unies. Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Étude des mesures discriminatoires dans le
domaine de la liberté de religion et des pratiques religieuses (New York, Nations
Unies, 1960).
Entre sacré et profane
411
d’Allemagne avait déjà été privée de presque tous les droits
sauf du droit à une existence précaire. Par la suite, l’attitude
des nazis à l’égard des juifs est allée jusqu’à l’anéantissement
physique de larges secteurs de la population juive d’Allemagne.
Cette politique d’anéantissement ne s’est d’ailleurs pas limitée
à l’Allemagne ; elle s’est étendue à tous les pays d’Europe qui,
de 1933 à 1945, ont subi l’occupation allemande ou l’influence
dominante de l’Allemagne. Le nombre des juifs ainsi exterminés a été évalué à plus de 6 millions.221
Pourtant, dès le début des années 1940, l’importance de la
liberté religieuse était notée par le Président américain Franklin
Roosevelt dans son discours dit « « Four Freedoms » Speech » lors de
son message annuel au Congrès le 6 janvier 1941. Parmi les libertés
humaines essentielles identifiées par le Président, on reconnaît la
liberté pour chaque personne de pratiquer sa religion comme bon lui
semble222.
221.
222.
Nations Unies. Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Étude des mesures discriminatoires dans le
domaine de la liberté de religion et des pratiques religieuses (New York, Nations
Unies, 1960).
Le texte complet de ce discours du Président peut être consulté au site Internet
tenu par le Franklin D. Roosevelt Presidential Library and Museum à l’adresse
suivante : http://www.fdrlibrary.marist.edu/4free.html (texte consulté le
16 octobre 2007). Le Président a ainsi déclaré au Congrès :
« In the future days, which we seek to make secure, we look forward to a world
founded upon four essential human freedoms.
The first is freedom of speech and expression – everywhere in the world.
The second is freedom of every person to worship God in his own way – everywhere in the world.
The third is freedom from want – which, translated into world terms, means economic understandings which will secure to every nation a healthy peacetime life
for its inhabitants-everywhere in the world.
The fourth is freedom from fear – which, translated into world terms, means a
world-wide reduction of armaments to such a point and in such a thorough fashion that no nation will be in a position to commit an act of physical aggression
against any neighbour – anywhere in the world.
That is no vision of a distant millennium. It is a definite basis for a kind of world
attainable in our own time and generation. That kind of world is the very antithesis of the so-called new order of tyranny which the dictators seek to create
with the crash of a bomb. ».
Ce discours du Président Roosevelt est à l’origine de quatre affiches célèbres –
une pour chaque liberté – par l’illustrateur et peintre Norman Rockwell ; c’est
d’ailleurs l’illustration de la liberté de culte qui s’avéra pour lui la réalisation la
plus difficile en raison de la délicatesse du sujet : « Ce qui paraîtra parfaitement
pertinent à un spectateur pourra sembler sacrilège à un autre » (Karal Ann
MARLING, Norman Rockwell (Paris, Taschen, 2005), page 38). En dépit des difficultés associées au sujet de la religion, c’est tout de même un autre tableau sur
le même sujet, Saying Grace, de 1951, qui est une des œuvres les plus populaires
de l’artiste.
412
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans leurs motifs dissidents dans l’arrêt R. c. Zundel223, les
juges Cory et Iacobucci rappelaient également comment les événements relatifs à la deuxième guerre mondiale ont provoqué une prise
de conscience sur l’importance de la protection de certains droits fondamentaux (parmi lesquels on peut, bien sûr, inclure la liberté de
religion) :
La tentative des nazis de perpétrer un génocide contre les juifs
et d’autres « non-aryens » qui étaient sous leur contrôle fait
partie de l’histoire des persécutions atroces commises par des
majorités contre des minorités, qui dure depuis trop longtemps
et se répète trop souvent. L’Holocauste est indéniablement
un moment critique de l’apogée des conséquences brutales du
racisme non réprimé. C’est en réaction contre les horreurs de
l’Holocauste que les nations occidentales ont entrepris d’abolir
le racisme. Le juge en chef Dickson a noté cette tendance dans
ses motifs dissidents dans le Renvoi relatif à la Public Service
Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la 348 :
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la protection
des droits et libertés fondamentaux collectifs et individuels
est devenue une question d’intérêt international. Il existe
maintenant un droit international des droits de la personne
constitué d’un ensemble de traités (ou conventions) et de
règles coutumières, en vertu duquel les nations du monde se
sont engagées à adhérer aux normes et aux principes nécessaires pour assurer la liberté, la dignité et la justice sociale à
leurs ressortissants. La Charte est conforme à l’esprit de ce
mouvement international contemporain des droits de la
personne et elle comporte un bon nombre des principes
généraux et prescriptions des divers instruments internationaux concernant les droits de la personne.224
Plus récemment, sans toutefois spécifiquement mentionner le
respect de la liberté de religion, la juge en chef McLachlin évoquait
« certaines normes fondamentales que nulle nation ne devrait transgresser »225 dont l’importance est apparue des plus pressantes après
les horreurs commises par l’Allemagne nazie.
223.
224.
225.
R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731.
R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, pages 810-811.
Allocution de la très honorable Beverley McLachlin, C.P. prononcée à Wellington, Nouvelle-Zélande, dans le cadre de la « Lord Cooke Lecture » de 2005, le
1er décembre 2005. Le texte complet de cette allocution peut être consulté au
site Internet tenu par la Cour suprême du Canada à l’adresse suivante :
http://www.scc-csc.gc.ca/AboutCourt/judges/speeches/index_f.asp (texte
consulté le 28 novembre 2007).
Entre sacré et profane
413
Partie de l’héritage des souffrances découlant du deuxième conflit mondial est donc l’appréciation de l’importance donnée aux
droits et libertés fondamentaux (dont fait partie la liberté de religion) de même que le rejet d’une certaine idée d’un État toutpuissant qui prétendrait (selon différents degrés) au contrôle des
consciences de ses citoyens.
3.4.1.2 Une liberté source de conflits ?
Dans l’arrêt Chaput c. Romain226, le juge Taschereau a fait à la
fois allusion aux droits de l’individu et des groupes religieux ; il mentionne également les actions d’une « majorité » sans préciser qu’il
s’agit d’une majorité de jure, représentée par le gouvernement de
l’heure, ou encore d’une majorité de facto, c’est-à-dire un groupe
majoritaire dans un lieu donné. En énonçant le droit à la liberté religieuse tout en identifiant les acteurs possibles d’un débat à son sujet
(État, groupes, individus), le juge Taschereau anticipe les différents
types de litiges mettant en cause la liberté religieuse, qu’il s’agisse
de litiges impliquant l’État (ou ses représentants) ou de litiges de
nature privée. Dans son texte « Where Can I Pray ? Sacred Space in a
Secular Land »227, Me David M. Brown évoque au moins huit scénarios litigieux :
Partie demanderesse
Partie défenderesse
1. État/gouvernement
Individu
2. Individu
État/gouvernement
3. État/gouvernement
Organisation religieuse
4. Organisation religieuse
État/gouvernement
5. Individu
Organisation laïque
6. Organisation laïque
Individu
7. Individu
Organisation religieuse
8. Organisation religieuse
Individu
Ainsi, s’il est plutôt difficile de contester l’affirmation que les
citoyens « ont la plus entière liberté de penser comme ils le désirent »,
c’est lorsque cette liberté de penser se traduit par des gestes concrets
226.
227.
Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, page 840.
David M. BROWN, « Where Can I Pray ? Sacred Space in a Secular Land »,
(2004) 17 N.J.C.L. 122, page 140.
414
Les Cahiers de propriété intellectuelle
que certains des litiges évoqués ci-haut sont susceptibles de survenir. Par exemple, comment concilier la demande légitime du détaillant à ses employés d’être présents au travail le samedi et celle de
l’employé dont la religion interdit le travail cette même journée.
Dans l’arrêt charnière Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Limited228, le juge McIntyre de la Cour
suprême posait la question dans les termes suivants dans un cas où
la portée de la liberté de religion s’articulait justement dans le cadre
d’une relation employeur – employé :
[...] La thèse selon laquelle chaque personne devrait être libre
d’adopter la religion de son choix et d’en observer les préceptes
ne pose aucun problème. [...] Le problème se pose lorsqu’on se
demande jusqu’où peut aller une personne dans l’exercice de sa
liberté religieuse ? À quel moment, dans la profession de sa foi
et l’observance de ses règles, outrepasse-t-elle le simple exercice de ses droits et cherche-t-elle à imposer à autrui le respect
de ses croyances ? Dans quelle mesure, s’il y a lieu, une personne peut-elle, en pratiquant sa religion, obliger autrui à
accomplir un acte ou à accepter une obligation qu’elle n’aurait
pas autrement accomplie ou acceptée selon le cas ?229
Selon la Cour suprême, la réponse se trouve dans une certaine
mesure d’accommodement (dont il est beaucoup question dans
l’actualité au moment d’écrire ces lignes). Ainsi, dans le cadre d’une
relation employeur-employé, l’obligation d’accommodement est
l’obligation imposée à l’employeur de prendre des mesures raisonnables, sans que cela ne constitue une contrainte excessive, pour composer avec les pratiques religieuses de l’employé qui est victime de
discrimination en raison d’une règle ou d’une condition de travail230.
En vue de bénéficier de cette mesure d’accommodement, la personne
qui revendique la liberté religieuse doit toutefois être prête à effectuer certaines concessions231 en vue d’aider à en arriver à un compro228.
229.
230.
231.
Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Limited,
[1985] 2 R.C.S. 536.
Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Limited,
[1985] 2 R.C.S. 536, pages 553-554.
Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S.
561, page 590 ; voir toutefois l’arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta
(Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489 où la Cour a revu certains des
principes qu’elle avait énoncés dans l’arrêt Bhinder, au sujet d’exigences professionnelles normales ; voir également Colombie-Britannique (Public Service
Employee Relations Commissions) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Limited,
[1985] 2 R.C.S. 536, page 555 ; voir également : Syndicat Northcrest c. Amselem,
Entre sacré et profane
415
mis convenable232. Par contre, vivre au sein d’une communauté qui
s’efforce de maximiser l’étendue des droits de la personne (dont la
liberté de religion) requiert immanquablement l’ouverture aux
droits d’autrui et la reconnaissance de ces droits233.
C’est avec ces règles que les litiges entre parties privées mettant en cause la liberté religieuse peuvent trouver solution. Ainsi, à
titre d’exemple, dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem234, la
Cour suprême a accueilli le pourvoi de Juifs orthodoxes, copropriétaires d’appartements, qui souhaitaient installer des « souccahs » sur
leurs balcons respectifs pour se conformer à l’obligation d’habiter
dans ces petites huttes temporaires pendant la fête religieuse juive
du Souccoth235, durant neuf jours consécutifs de l’année. L’appel a
été accueilli malgré un règlement clair de la déclaration de copropriété qui interdisait notamment d’installer des décorations sur les
balcons et d’y faire des constructions. Dans les circonstances, une
majorité de juges de la Cour suprême a jugé inacceptable l’argument
du syndicat des copropriétaires (qui s’opposait à la construction de
« souccahs ») à l’effet que des intérêts d’ordre esthétique (relatifs à la
jouissance d’une propriété et subissant par ailleurs une atteinte
minime) devaient l’emporter sur l’exercice de la liberté de religion
des appelants236. Ces derniers s’étaient par ailleurs préalablement
engagés à respecter certaines règles de sécurité et de bon goût dans
la construction de leurs « souccahs ».
Par contre, la liberté de religion invoquée pour tenter de se
soustraire à des obligations contractuelles devra céder le pas à
d’autres valeurs démocratiques, précisées dans la Constitution et
les lois, telles l’égalité, la liberté de religion et la liberté de choix
en matière de mariage et de divorce ; ainsi, dans l’arrêt Bruker c.
Marcovitz237, une majorité de juges de la Cour suprême a rétabli la
232.
233.
234.
235.
236.
237.
[2004] 2 R.C.S. 551, par. 88 à 90 ; Multani c. Commission scolaire MargueriteBourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256, par. 79.
Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, page
994.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 87.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551.
Selon le Dictionnaire du Judaïsme (Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin
Michel, 1998), page 775, cette fête juive automnale rappelle le temps où les
Israélites vivaient dans des huttes ou des tentes en branchages pendant leur
marche à travers le désert ; elle est ainsi caractérisée par la construction de
huttes de branchages sous lesquelles on prend le repas, par la récolte de quatre
espèces de plantes ainsi que par des prières d’action de grâces.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 87.
Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54.
416
Les Cahiers de propriété intellectuelle
condamnation à des dommages-intérêts d’un ex-mari qui avait tardé
à accorder à son ex-épouse le divorce religieux juif après le divorce
civil malgré son engagement à l’accorder sans délai, pris lors d’une
entente avec son ex-épouse ; l’atteinte à la liberté de religion de
l’époux (que celui-ci invoquait et que la juge Abella a mise en doute)
a été considérée beaucoup moins grave que le préjudice causé à
l’épouse, en l’occurrence l’impossibilité de se remarier et de refaire sa
vie238 conformément à ses croyances religieuses.
Dans les pages qui suivent, nous examinerons davantage une
composante de la liberté de religion, soit l’attitude de l’État, au
Canada, vis-à-vis les croyances religieuses de ses citoyens et l’obligation pour celui-ci de ne pas intervenir relativement au contenu de
ces croyances tout en garantissant l’espace nécessaire pour articuler
celles-ci.
3.4.2 La liberté religieuse à l’heure des Chartes :
quelques principes
C’est donc dans le contexte particulier d’après-guerre que la
Cour suprême constatait en quelque sorte le droit des citoyens à la
liberté religieuse au Canada. Le court extrait précité de l’arrêt
Chaput c. Romain239 aborde la question de liberté religieuse sous différents aspects. On y touche à la fois la question de la liberté de religion du point de vue de l’État, de l’individu, des religions de même
que des adhérents de chaque religion comme groupes identifiables.
Dès 1955, on pouvait donc formuler les règles suivantes en matière
de liberté religieuse au Canada (à plus d’un quart de siècle de
l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés) :
1) l’État ne peut forcer personne à adhérer à une croyance quelconque ;
2) la liberté religieuse est matière de conscience ;
3) les croyances des citoyens peuvent se manifester par les religions
(qui ont chacune un aspect communautaire) ;
4) une majorité ne peut imposer ses vues religieuses à une minorité.
238.
239.
Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54, par. 76 à 82 et 92 et 93.
Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834.
Entre sacré et profane
417
Avec l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et
libertés, le 17 avril 1982, la liberté de religion se trouve depuis cette
date garantie par la loi fondamentale du pays. C’est d’ailleurs en ces
termes que le juge Dickson (tel était alors son titre) a décrit le
concept de la liberté de religion dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart
Ltd.240 :
Le concept de la liberté de religion se définit essentiellement
comme le droit de croire ce que l’on veut en matière religieuse,
le droit de professer ouvertement des croyances religieuses
sans crainte d’empêchement ou de représailles et le droit de
manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique
et par le culte ou par leur enseignement et leur propagation.
Toutefois, ce concept signifie beaucoup plus que cela.
La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de
coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par
l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela,
elle n’aurait pas choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de
son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment
libre.241
La liberté de religion a donc au moins deux composantes : d’une
part le droit de croire ce que l’on veut et d’autre part, le droit de professer ses propres croyances par leur mise en pratique. En décrivant
ce qu’est la liberté de religion, le juge Dickson en a profité pour
rappeler, comme l’avait fait le juge Taschereau trente ans plus tôt,
qu’une majorité religieuse, ou l’État à sa demande, ne peut, pour des
motifs religieux242, imposer sa propre conception religieuse aux
240.
241.
242.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, page 336.
Si ces motifs ne sont pas religieux, la liberté de religion serait préservée même
s’il y a concordance entre une obligation légale et les préceptes d’une religion,
ainsi que le rappelait le juge en chef Dickson dans l’arrêt R. c. Edwards Books
and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713 à la page 760 : « On n’est pas forcé de s’adonner
à la pratique religieuse simplement parce qu’une obligation légale coïncide avec
les préceptes d’une religion particulière. Je ne puis accepter par exemple que la
prohibition légale d’une conduite criminelle, comme le vol et le meurtre, constitue une contrainte exercée par l’État de respecter certaines pratiques religieuses simplement parce que certaines religions interdissent à leurs fidèles de voler
ou de tuer. Les citoyens raisonnables ne considèrent pas qu’une telle loi les
oblige à rendre hommage à une doctrine religieuse. » ; il précisait toutefois à la
page 761 : « Je ne me prononce pas cependant sur la possibilité qu’une telle loi
puisse limiter la liberté de conscience et de religion de ceux dont le comportement est régi par l’intention d’exprimer ou de manifester leur inobservance
d’une doctrine religieuse. ».
418
Les Cahiers de propriété intellectuelle
citoyens qui ne partagent pas le même point de vue243. L’alinéa 2a)
de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit la liberté
de religion a pour objet de s’assurer que la société ne s’ingérera pas
dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception
qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un
être supérieur ou différent ; c’est en ces termes que le juge en chef
Dickson définissait le type de croyances protégées par la liberté de
religion dans l’arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd.244. Selon le
juge en chef, l’alinéa 2a) ne protège toutefois les particuliers et les
groupes que dans la mesure où les croyances ou un comportement
d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement
menacés.
Au Québec, la liberté de religion est également protégée à
l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne245. Il y a
toutefois deux différences importantes entre la Charte canadienne
des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne
du Québec : d’une part, le premier document fait partie de la loi fondamentale du pays alors que ce n’est pas le cas pour le second (bien
qu’il ait été qualifié de document quasi-constitutionnel246) ; d’autre
part, la Charte canadienne des droits et libertés, à cause de son article
32, a une portée plus restreinte que la Charte des droits et libertés de
la personne puisqu’elle s’applique au Parlement, aux législatures
provinciales et aux entités exerçant des fonctions exécutives (ou
« administratives ») du gouvernement mais non à des parties privées247, ce qui n’est pas le cas de la Charte du Québec qui, elle, peut
être invoquée dans le cadre de litiges entre parties privées248. Toutefois, dans la mesure où il est question de contraintes imposées par
l’État qui mettraient en péril la liberté religieuse, c’est bien sûr
l’alinéa 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés qui sera
invoqué249.
243.
244.
245.
246.
247.
248.
249.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, page 337.
R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, page 759.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12.
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256,
par. 140.
Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 884, par. 44 (Cet énoncé général
peut toutefois être nuancé ; par exemple, dans Hill c. Église de scientologie de
Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, il est mentionné au paragraphe 95 que dans le
contexte d’un litige civil qui n’oppose que des particuliers, la Charte canadienne
des droits et libertés « s’applique » à la common law dans la mesure seulement où
elle est jugée incompatible avec les valeurs de la Charte).
Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 884, par. 93.
Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698,
par. 55.
Entre sacré et profane
419
Bien qu’elle soit ainsi garantie par différents textes fondamentaux, la liberté de religion d’un individu n’est pas sans limite ; elle
s’arrête là où débute la même liberté reconnue à autrui, comme le
soulignait le juge La Forest dans l’arrêt Ross c. Conseil Scolaire du
District No 15250 :
En réalité, notre Cour a confirmé que la liberté de religion
garantit que chacun est libre d’embrasser et de professer, sans
ingérence de l’État, les croyances et les opinions que lui dicte sa
conscience. Cette liberté n’est toutefois pas absolue, étant restreinte par le droit des autres personnes d’embrasser et de professer leurs propres croyances et opinions, et de ne pas être
lésées par l’exercice de la liberté de religion d’autrui. La liberté
de religion est soumise aux restrictions nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre, la santé ou la moralité publics, ainsi que
les libertés et droits fondamentaux d’autrui.251
Si la liberté de religion connaît certaines limites, on peut affirmer que l’étendue de ces limites pourra varier selon les différents
types de manifestation qu’entraîne la liberté religieuse ; ainsi, la
liberté de croyance est plus large que la liberté d’agir sur la foi d’une
croyance252. Lorsqu’il s’agit d’équilibrer les droits en présence, il
importe de rappeler que la Charte canadienne des droits et libertés
qui garantit ces droits doit s’interpréter comme un tout, en évitant
de privilégier un droit au détriment d’un autre253. Dans cette recherche d’équilibre, il faut souligner que la liberté de religion n’est pas
respectée si son exercice entraîne le déni du droit à une participation
pleine et entière dans la société254. Par ailleurs, il peut y avoir conflit
lorsque deux parties aux intérêts opposés invoquent chacune la
liberté de religion ; on évaluera alors les inconvénients pour chaque
partie si la position de l’autre est retenue255.
250.
251.
252.
253.
254.
255.
Ross c. Conseil Scolaire du District no 15, [1996] 1 R.C.S. 825.
Ross c. Conseil Scolaire du District no 15, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 72.
Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1
R.C.S. 772, par. 36.
Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1
R.C.S. 772, par. 31.
Université Trinity Western c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1
R.C.S. 772, par. 35.
Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54, par. 93.
420
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.4.3 Affaires temporelles et affaires spirituelles : des
univers distincts
Près de 20 ans après l’arrêt Big M. Drug Mart Ltd., la Cour
suprême a profité d’un litige de nature privée dans Syndicat
Northcrest c. Amselem256 (où c’était la Charte des droits et libertés de
la personne du Québec qui était en cause) pour tenter une définition
de la notion de « religion ». À ce sujet, le juge Iacobucci a proposé la
description suivante que nous reproduisons à nouveau :
Une religion s’entend typiquement d’un système particulier et
complet de dogmes et de pratiques. En outre, une religion comporte généralement une croyance dans l’existence d’une puissance divine, surhumaine ou dominante. Essentiellement, la
religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui
sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et
s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion
permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou
avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle.257
Plus loin, le juge Iacobucci ajoutait (avant de préciser que la
liberté de religion vise aussi des conceptions – tant objectives que
personnelles – des croyances, « obligations », préceptes, « commandements », coutumes ou rituels d’ordre religieux) :
Pour résumer, la jurisprudence de notre Cour et les principes
de base de la liberté de religion étayent la thèse selon laquelle
la liberté de religion s’entend de la liberté de se livrer à des pratiques et d’entretenir des croyances ayant un lien avec une religion, pratiques et croyances que l’intéressé exerce ou manifeste
sincèrement, selon le cas, dans le but de communiquer avec une
entité divine ou dans le cadre de sa foi spirituelle, indépendamment de la question de savoir si la pratique ou la croyance est
prescrite par un dogme religieux officiel ou conforme à la position de représentants religieux.258
Cette définition de la liberté de religion met davantage l’accent
sur l’aspect personnel de ce droit en omettant de souligner l’aspect
communautaire qui l’accompagne souvent, un point qu’avait pris la
256.
257.
258.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 39.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 46.
Entre sacré et profane
421
peine de souligner le juge Taschereau en 1955 en faisant référence
aux membres de religions présentes au Canada. La description du
juge Iacobucci se veut toutefois assez large pour englober la grande
variété de croyances religieuses, dont celles qui n’auraient pas
d’aspect communautaire. De plus, il faut rappeler les propos du juge
Dickson dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. à l’effet que l’égalité
nécessaire pour soutenir la liberté de religion n’exige pas que toutes
les religions reçoivent un traitement identique, au contraire. En ce
sens, la Charte canadienne des droits et libertés ne permet plus un
énoncé comme celui du juge Taschereau dans l’arrêt Chaput c.
Romain à l’effet que toutes les religions sont sur un pied d’égalité259.
259.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, page 347. La Charte coexiste
toutefois avec certaines dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 qui
énonce le droit à l’enseignement confessionnel pour certains groupes. C’est le cas
de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui a été évoqué par les juges
Iacobucci et Bastarache dans l’arrêt Université Trinity Western c. British
Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772, par. 34 : « (...) l’art. 93 de la
Loi constitutionnelle de 1867 consacre le droit à l’enseignement confessionnel
public dans notre Constitution, dans le cadre du compromis historique qui a
rendu possible la Confédération. L’article 17 de la Loi sur l’Alberta, L.R.C.
(1985), app. II, no 20, et de la Loi sur la Saskatchewan, L.R.C. (1985), app. II,
no 21, l’art. 22 de la Loi de 1870 sur le Manitoba, L.R.C. (1985), app. II, no 8, et la
clause 17 des Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada ratifiées par la
Loi sur Terre-Neuve, L.R.C. (1985), app. II, no 32, allaient dans le même sens.
Bien que les garanties constitutionnelles aient fait l’objet d’une modification
constitutionnelle à Terre-Neuve en 1998 et qu’elles aient été supprimées au
Québec en 1997, elles demeurent en vigueur en Ontario, en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba. ». Dans l’arrêt Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, par.
44, le juge Iacobucci rappelait les origines de cette disposition : « Le paragraphe
93(1) a pour effet de créer ce que, dans son article intitulé « La raison d’être de
l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 à la lumière de la législation
préexistante en matière d’éduction » (1986), 20 R.J.T. 375, le professeur Pierre
Carignan a appelé le « mécanisme de constitutionnalisation » par lequel les
droits et les privilèges relatifs aux écoles confessionnelles, qui avaient été créés
par une loi ordinaire, sont élevés au rang de normes constitutionnelles. » Ainsi,
selon le juge Iacobucci, au paragraphe 35 de l’arrêt Adler, l’article 93 établit un
code complet en ce qui concerne les droits relatifs aux écoles confessionnelles.
Par conséquent, on ne saurait recourir à l’alinéa 2a) de la Charte pour élargir la
portée de ce code complet. Dans l’arrêt Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to
amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, aux pages 1198 et 1199, la
juge Wilson, faisant siennes les paroles de la Cour d’appel d’Ontario, rappelait
(en 1987) que le pays a été fondé sur la reconnaissance (en vertu de l’article 93 de
la Loi constitutionnelle de 1867) de droits spéciaux ou inégaux en matière d’éducation pour certains groupes religieux précis de l’Ontario et du Québec, que l’incorporation de la Charte dans la Loi constitutionnelle de 1982 ne saurait
modifier le pacte confédéral initial et qu’une modification constitutionnelle
expresse serait nécessaire à cette fin. C’est d’ailleurs ce qui a été fait en ce qui
concerne le Québec une décennie plus tard : Modification constitutionnelle de
1997 (Québec), TR/97-141 ; art. 93A de la Loi constitutionnelle de 1867 (voir à ce
sujet Ontario English Catholic Teachers’ Association c. Ontario (Procureur
général), [2001] 1 R.C.S. 470, par. 4).
422
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Puisque chacun, à titre de citoyen, est libre de penser et de professer ce qu’il veut en matière religieuse, l’État n’est donc pas en
mesure d’agir comme arbitre des dogmes religieux auxquels peuvent
adhérer ses citoyens260. En conséquence, les tribunaux séculiers ne
sont ni compétents ni qualifiés pour trancher des questions de doctrine religieuse261 ; de plus, ils ne peuvent décider quelle religion il
faut professer262. De manière paradoxale, cette neutralité étatique
trouve son fondement dans l’évolution de l’idée qu’on se fait de la
nature des convictions religieuses, une évolution qui a elle-même un
fondement religieux, comme le rappelait le juge Dickson dans l’arrêt
R. c. Big M Drug Mart Ltd.263 :
[...] [B]ien des gens, même parmi les adeptes des croyances fondamentales de la religion dominante, ont fini par s’opposer à ce
que le pouvoir coercitif de l’État soit utilisé pour assurer l’obéissance à des préceptes religieux et pour extirper les croyances
non-conformistes. Il s’agissait, à ce moment-là, non plus d’une
opposition fondée simplement sur la conviction que l’État imposait l’observance des mauvaises croyances et pratiques, mais
d’une opposition fondée sur le sentiment que la croyance ellemême n’était pas quelque chose qui pouvait être imposé[e].
Toute tentative d’imposer l’observance de croyances et de pratiques constituait un déni de la réalité de la conscience individuelle et déshonorait le Dieu qui en avait doté Ses créatures.264
Ce développement survenu au sein du christianisme (puisqu’il
s’agit de la religion dont il est question ici) n’est pas sans conséquence au niveau de la compréhension de la nature de l’État qui se
trouverait ainsi évacué de toute composante transcendante. C’est en
raison de cette réalité que l’univers étatique occidental serait dorénavant un monde « désenchanté », pour reprendre l’expression de
l’auteur Marcel Gauchet, entraînant, pour le citoyen moderne, une
nouvelle manière de vivre le fait religieux, sans l’assistance de
l’État :
S’il y a sens ainsi à parler de quelque chose comme une « fin » ou
comme une « sortie » de la religion, ce n’est pas tant du point de
260.
261.
262.
263.
264.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 50.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 67 ; voir également
Levitts Kosher Foods Inc. c. Levin (1999), 87 C.P.R. (3d) 505 (C.S. Ont.), juge
Benotto, où la Cour a refusé de s’immiscer dans l’interprétation de prescriptions
alimentaires cacher.
Ross c. Conseil Scolaire du District no 15, [1996] 1 R.C.S. 825, par. 70 et 71.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, pages 345-346.
Entre sacré et profane
423
vue de la conscience des acteurs que du point de vue de l’articulation de leur pratique. Le critère n’est pas ce que pensent et
croient à titre personnel les membres d’une société donnée. Ce
qui compte et décide, en la matière, c’est l’ordre de leurs opérations de pensée, c’est le mode de leur coexistence, ce sont la
forme de leur insertion dans l’être et la dynamique de leur activité. On peut concevoir, à la limite, une société qui ne comprendrait que des croyants et qui n’en serait pas moins une société
d’au-delà du religieux. Car la religion, ce fut d’abord une économie générale du fait humain, structurant indissolublement
la vie matérielle, la vie sociale et la vie mentale. C’est aujourd’hui qu’il n’en reste plus que des expériences singulières et des
systèmes de convictions, tandis que l’action sur les choses, le
lien entre les êtres et les catégories organisatrices de l’intellect
fonctionnent de fait et dans tous les cas aux antipodes de la
logique de la dépendance qui fut leur règle constitutive depuis
le commencement. Et c’est proprement en cela que nous avons
d’ores et déjà basculé hors de l’âge des religions.265
Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés qui proclame la liberté de religion sonne ainsi le glas d’une société civile uniformément soumise à une divinité, pour reprendre l’idée du juge
Dickson dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. :
Peut-être qu’à une époque où l’on croyait encore à l’existence de
quelque déité à laquelle toute la collectivité était soumise,
l’imposition du conformisme en matière religieuse pouvait
constituer un objectif gouvernemental légitime, mais depuis
l’adoption de la Charte ce n’est plus le cas.266
Cette vision de l’État n’empêche pas le citoyen de croire et de
professer ce qu’il veut en matière religieuse ; d’ailleurs, l’État garantit cette liberté. Toutefois, le citoyen ne peut se tourner vers l’État
pour un quelconque tracé vers la transcendance. D’ailleurs, selon
Jacques Julliard, l’affaissement du christianisme comme système
politico-intellectuel en Occident (dont le juge en chef Dickson vient
de décrire un effet) ferait de lui la religion de la sortie du religieux ;
en fin de compte, le citoyen moderne se retrouverait donc seul face à
265.
266.
Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde, une histoire politique de la
religion (Paris, Gallimard, 1985), page 133.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, page 351. Le juge en chef
Dickson notait toutefois dans l’arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2
R.C.S. 713, à la page 743, que la société est collectivement dans l’impossibilité de
répudier son histoire, y compris l’héritage chrétien de la majorité.
424
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sa liberté personnelle, à son angoisse aussi267. Le retrait de l’État
comme force stabilisatrice et unificatrice dans le domaine du religieux n’entraîne pas la disparition du fait religieux mais engendre
plutôt une « floraison » (ou encore une « anarchie » selon le point de
vue) de diverses croyances dont l’État doit garantir, pour toutes,
l’articulation, sans toutefois agir comme caution de leur validité.
Cependant, pour le citoyen qui a des convictions religieuses et
qui les professe, la croyance de celui-ci en l’existence d’une puissance
divine, pour reprendre l’expression employée par le juge Iacobucci
dans l’arrêt Syndicat Northcrest c. Amselem268, ne le soustrait pas à
l’histoire, mais le plonge plus profondément dans celle-ci269. En ce
sens, la liberté de religion, pour être effective, ne s’exerce pas « sous
le boisseau ». La liberté de religion a donc droit à ses manifestations
qui forment une partie intégrante de la vie en société ; d’ailleurs, la
tolérance de ces manifestations est une valeur qui est à la base même
de la démocratie270. À titre de composante de l’expression de cette
valeur, l’État protège certaines activités, dont celles qui s’exercent à
travers la liberté de religion, de l’ingérence gouvernementale271.
Ainsi même si l’État ne se prononce pas sur le contenu des convictions religieuses de ses citoyens, il y a accord entre l’État et le
croyant pour donner à ce dernier l’espace nécessaire pour articuler ce
qui donne sens à sa vie puisque, comme le reconnaissait la juge en
chef McLachlin dans l’arrêt Chamberlain c. Surrey School District
No. 36272, la religion est un aspect fondamental de la vie des gens273.
En d’autres mots, la neutralité étatique en matière religieuse n’est
pas le miroir de ce que peuvent penser et professer les citoyens au
niveau religieux.
Cette neutralité étatique ne signifie toutefois pas que l’État ne
permettra pas de tenir compte de certains principes de droit d’une
religion donnée (par exemple, en matière matrimoniale), tout en
267.
268.
269.
270.
271.
272.
273.
Jacques JULLIARD, « Le piège de la sincérité », Le Nouvel Observateur, no 1511
(du 21 au 27 octobre 1993), page 25.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 39.
Jean-Paul II, homélie lors de la béatification de Pedro Tarrés i Claret
(1905-1950), Alberto Marvelli (1918-1946) et Pina Suriano (1915-1950), Vallée
de Montorso (Italie), le 5 septembre 2004, L’Osservatore Romano, no 36 (2845),
7 septembre 2004, page 3, par. 8.
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256, par.
76.
David M. BROWN, « Where Can I Pray ? Sacred Space in a Secular Land »,
(2004) 17 N.J.C.L. 122, page 153.
Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710.
Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710, par. 19.
Entre sacré et profane
425
s’assurant que cette possibilité ne devienne une obligation qui pourrait avoir des conséquences sur la liberté religieuse274. D’ailleurs,
dans l’arrêt Bruker c. Marcovitz275, une majorité de juges de la Cour
suprême a considéré que l’aspect religieux d’une obligation intégrée
à une entente relative à des mesures accessoires dans le cadre d’un
divorce ne faisait pas obstacle à sa validité civile et que sa violation,
en l’occurrence l’omission par l’ex-mari de se présenter devant les
autorités religieuses pour obtenir un divorce religieux juif sans délai
malgré un engagement en ce sens, pouvait entraîner l’octroi de
dommages-intérêts276. De plus, les tribunaux peuvent, bien sûr,
trancher des questions de droit de propriété ou de droit civil qui touchent les organisations religieuses, sans se prononcer sur les croyances de celles-ci277 ; c’est d’ailleurs en raison de cette règle que les
tribunaux peuvent entendre tout litige impliquant une organisation
religieuse dans le domaine du droit des marques de commerce (ou de
tout autre domaine du droit qui relève de l’État).
Finalement, l’État peut également choisir d’organiser les rapports civils de certains groupes religieux dans la société ; dans un tel
cas, il ne s’agit toutefois pas de se prononcer sur des convictions religieuses mais plutôt de déterminer les effets civils d’un encadrement
légal qui est donné à des groupes religieux et qui leur permet
d’interagir avec la société civile278.
274.
275.
276.
277.
278.
Voir à ce sujet l’article 21.1 de la Loi sur le divorce, L.R.C. (1985), c. 3 (2e suppl.).
Cette disposition permet au tribunal de rejeter tout affidavit ou autre acte de
procédure déposé par un époux tant que celui-ci refuse de supprimer « tout obstacle, dont la suppression dépend de lui, au remariage de l’autre époux au sein de
sa religion », si par ailleurs cet obstacle au remariage est utilisé de manière malveillante. (Voir à ce sujet : Pierre BOSSET et Paul EID, « Droit et religion : de
l’accommodement raisonnable à un dialogue internormatif ? », (2007) 41 R.J.T.
513, page 537). Afin toutefois de préserver la liberté religieuse et d’éviter que
l’État puisse ignorer les raisons religieuses légitimes d’un époux de maintenir
un obstacle au remariage religieux de l’autre, l’article 21.1 prévoit également
que le tribunal peut renoncer à se prévaloir des pouvoirs octroyés par cette disposition si la partie qui refuse de supprimer l’obstacle au mariage religieux de
l’autre partie met de l’avant des motifs sérieux, fondés sur la religion ou la
conscience.
Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54.
Bruker c. Marcovitz, 2007 CSC 54, par. 51.
Voir à ce sujet : Lakeside Hutterite Colony c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165 ; The
Ukrainian Greek Orthodox Church of Canada c. The Trustees of the Ukrainian
Greek Orthodox Cathedral of St. Mary the Protectress, [1940] R.C.S. 586.
Voir par exemple certaines lois en vigueur au Québec : Loi sur les évêques catholiques romains, L.R.Q., c. E-17 ; Loi sur les fabriques, L.R.Q., c. F-1 ; Loi sur la
constitution de certaines Églises, L.R.Q., c. C-63, Loi sur la liberté des cultes,
L.R.Q., c. L-2 ; Loi sur les terrains de congrégations religieuses, L.R.Q., c. T-7 ; Loi
sur les corporations religieuses, L.R.Q., c. C-71 ; Loi sur les compagnies de cimetières catholiques romains, L.R.Q., c. C-40.1.
426
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.4.4 Une organisation religieuse peut-elle réclamer le
statut d’« autorité publique » ?
Comme nous l’avons vu plus tôt, dans la mesure où l’autorité
publique mentionnée au sous-alinéa 9(1)n)(iii) doit faire l’objet d’un
« contrôle gouvernemental », on peut raisonnablement soutenir
qu’une organisation religieuse ne peut revendiquer ce statut dans la
mesure où la Charte canadienne des droits et libertés met justement
à l’abri les organisations religieuses de toute ingérence et de tout
contrôle gouvernemental en ce qui concerne leurs croyances et leurs
doctrines. La question s’est malgré tout posée dans l’affaire Congrès
juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc.279, suite à une
demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 18.1(1) de la
Loi sur la Cour fédérale280, à l’égard d’une décision rendue par le
registraire des marques de commerce, lequel avait donné, conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi, avis au public que Chosen
People Ministries, Inc. (« CPM ») avait réalisé l’adoption et l’emploi
de la représentation d’une menorah, ci-après reproduite281, comme
marque officielle :
La marque ainsi publiée par le registraire des marques de commerce le 3 novembre 1999 était la représentation stylisée d’une
menorah. Au sujet de l’importance de ce symbole pour la religion
juive, référons au propos du juge Blais :
[26]La menorah est de façon distinctive un symbole juif. Selon
la Bible juive, Dieu lui-même aurait donné au peuple juif la
279.
280.
281.
Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., [2003] 1 C.F. 29
(C.F.P.I.), le juge Blais.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), c. F-7. Cette loi est aujourd’hui connue
sous le nom Loi sur les Cours fédérales depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le
Service administratif des tribunaux judiciaires, L.C. 2002, c. 8, le 2 juillet 2003.
Demande 909,670 consultée le 18 décembre 2007 dans la base de données sur les
marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à
l’adresse http://cipo.gc.ca.
Entre sacré et profane
427
menorah, chandelier, candélabre ou lampe à sept branches.
Depuis qu’il a reçu la menorah, le peuple juif la considère
comme un symbole important. Au paragraphe 2 de son Dossier
de demande, mémoire des faits et du droit du demandeur, le
[Congrès juif canadien] définit la menorah dans les termes
suivants :
[traduction] La menorah est un symbole ancien et sacré de
la foi juive. Comme le crucifix dans la religion chrétienne, la
menorah n’est pas le bien exclusif d’un seul organisme, mais
plutôt un symbole que partagent le peuple et les organismes
juifs partout dans le monde.
[27]En outre, la pièce « W » du dossier de demande (Volume 1 de
3) comporte un extrait tiré de la The New Jewish Encyclopedia,
qui donne la définition suivante :
[traduction]
MENORAH
Nom hébreu donné au chandelier à sept branches initialement fabriqué par Bezalel, artisan dont l’œuvre s’inspire de
la Bible, et placé dans le sanctuaire du Tabernacle. [. . .] La
menorah est devenue depuis un symbole universel du
judaïsme.282
Par son recours, le Congrès juif canadien, un organisme sans
but lucratif voué à la défense des droits de la personne et composé de
représentants provenant de congrégations et d’autres organismes
juifs canadiens, contestait la demande présentée par CPM, un
groupe religieux juif messianique dont l’objectif consiste à « répandre
l’Évangile du Seigneur Jésus-Christ parmi les juifs des États-Unis
d’Amérique et du monde entier »283. Selon le Congrès juif canadien,
la publication de la marque officielle de CPM lui interdirait ainsi
d’employer la menorah dans ses activités, soit un symbole qui
devrait rester disponible pour toutes les organisations juives.
Parmi ses arguments, le Congrès juif canadien plaidait que
CPM n’était pas une « autorité publique » au sens de la Loi. Puis282.
283.
Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., [2003] 1 C.F. 29
(C.F.P.I.), le juge Blais, par. 26 et 27.
Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., [2003] 1 C.F. 29
(C.F.P.I.), le juge Blais, par. 3.
428
Les Cahiers de propriété intellectuelle
qu’une « autorité publique » doit être soumise au contrôle gouvernemental et démontrer une obligation envers le public suivant les critères que nous avons examinés plus tôt, le juge Blais a procédé à
l’examen des activités de CPM pour conclure que ses obligations en
vertu de certaines lois ne la plaçaient pas sous contrôle gouvernemental :
[55] Le fait que la CPM a été constituée en société sans but
lucratif tenant des objectifs de bienfaisance, qu’elle soit exonérée d’impôt, qu’elle puisse délivrer des reçus pour les dons de
bienfaisance, et également le fait que la CPM peut être tenue de
fournir ses comptes, des renseignements financiers et des renseignements qui concernent son fonctionnement au tuteur et
curateur public de l’Ontario ne suffisent pas pour déterminer si
celle-ci est une autorité publique. Tous les organismes caritatifs sont tenus de se conformer aux règlements aux États-Unis
et en Ontario et, du moment qu’ils se conforment aux règlements en vigueur, ils ne sont pas soumis à un contrôle public
« important »284.
En concluant que CPM n’était pas une « autorité publique », le
juge Blais a souligné que l’État ne pouvait intervenir dans la gestion
interne d’organisations comme celle de CPM :
[57] [...] La CPM n’est pas financée par le gouvernement du
Canada ou des États-Unis et n’est nullement soumise au contrôle public de quelque manière que ce soit.
[58] Au contraire, comme l’avocat du [Congrès juif canadien] l’a
affirmé, le gouvernement canadien ne peut intervenir de quelque façon que ce soit dans la gestion d’églises ou d’organismes
caritatifs comme la CPM.
[59] En d’autres termes, la CPM est un organisme caritatif
américain qui exerce des activités au Canada. Cette Cour a
indiqué qu’un tel statut est insuffisant pour que la CPM constitue une « autorité publique » [...] C’est pourquoi le registraire
semble avoir commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir
discrétionnaire puisque la CPM, n’étant pas soumise à un contrôle public et n’ayant aucune obligation envers le public, n’a
donc pas droit à une marque officielle.285
284.
285.
Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., [2003] 1 C.F. 29
(C.F.P.I.), le juge Blais, par. 55.
Congrès juif canadien c. Chosen People Ministries, Inc., [2003] 1 C.F. 29
(C.F.P.I.), le juge Blais, par. 57, 58 et 59.
Entre sacré et profane
429
La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Blais286.
Au nom de la Cour, le juge Sexton a indiqué que le gouvernement
n’exerce aucun contrôle sur les activités de CPM dans la poursuite
des objets de celle-ci, soit de « répandre l’Évangile du Seigneur
Jésus-Christ » parmi les juifs, ni dans la façon de conduire ses affaires en vue d’atteindre cet objet. De plus, le fait que CPM, à titre
d’organisme de bienfaisance, soit tenue de respecter, comme tous les
autres organismes de bienfaisance, la législation visant ce type
d’organisme, notamment les lois fiscales, ne la soumet pas à un contrôle gouvernemental suffisant pour lui conférer la qualité d’autorité
publique287.
Pour les organisations religieuses, s’agit-il d’un désavantage
que de ne pouvoir réclamer le statut d’autorité publique ? Puisque la
vie spirituelle et les croyances des organisations religieuses échappent à tout contrôle gouvernemental, ce qui préserve à la fois leur
vitalité et leur indépendance, on peut supposer qu’il s’agit d’un
« désavantage » que ces organisations ne voudraient pas voir disparaître et qui assure la mise à l’abri de leurs croyances et leurs doctrines de tout encadrement étatique.
3.5 Les références religieuses de la prohibition de l’alinéa
9(1)j) de la Loi sur les marques de commerce
3.5.1 Quelques définitions
En plus d’imposer un régime d’exception pour les marques officielles, l’article 9288 impose d’autres prohibitions, dont celles qu’on
retrouve à l’alinéa 9(1)j) qui prévoit :
9(1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme
marque de commerce ou autrement, une marque composée de
ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait
vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :
[...]
j) une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral ;
286.
287.
288.
Chosen People Ministries, Inc. c. Congrès juif canadien, 2003 CAF 272 (C.A.F.).
Chosen People Ministries, Inc. c. Congrès juif canadien, 2003 CAF 272 (C.A.F.),
par. 4.
Il est intéressant de noter la référence à l’une des grandes religions monothéistes qu’on retrouve dans la Loi qui énonce à son alinéa 9(1)g) que nul ne peut
employer, selon les paramètres de cette disposition, l’emblème du Croissant
rouge sur fond blanc adopté par un certain nombre de pays musulmans.
430
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les prohibitions de l’alinéa 9(1)j) se trouvent davantage étendues par l’effet de l’article 11 et l’alinéa 12(1)e) de la Loi (que nous
avons déjà reproduits au début de la partie 3.4).
La Loi prévoit donc que nul ne peut adopter à l’égard d’une
entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque
composée ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral. En raison de l’alinéa 12(1)e) de la Loi, une telle
marque ne serait également pas enregistrable.
Une révision de la définition des différents mots de l’alinéa
9(1)j) nous permettra de cerner les contours religieux de cette disposition.
Ainsi, afin de mesurer la portée de ce qui fait l’objet de la prohibition, soit « une devise ou un mot », consultons la définition donnée
pour ces termes par l’ouvrage Le Grand Robert de la langue française. Le terme « mot » est défini de la manière suivante : « Élément
sémantiquement codé d’une langue [...]289 ». Le même ouvrage définit ainsi le mot « devise » : « Formule qui accompagne l’écu dans les
armoiries » et « Maxime, petite phrase, mot qui est gravé sur un
cachet, une médaille290 ».
Puisque la prohibition de l’alinéa 9(1)j) vise uniquement les
« mots » et les « devises », on peut s’interroger sur l’autorité du registraire de rejeter, par exemple, une demande d’enregistrement qui
serait composée d’éléments graphiques mais ne serait toutefois pas
visée par la définition limitative de « devise291 ». Notons toutefois que
ce que la Loi interdit est l’adoption (et l’enregistrement) d’une
marque (qui comprendrait ainsi toute marque composée d’un élément nominal et/ou d’un élément graphique) dont la ressemblance
289.
290.
291.
Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française de Paul Robert, 2e éd., Tome VI (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), page 591.
Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française de Paul Robert, 2e éd., Tome III (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), page 492.
On pourra toutefois consulter la traduction anglaise du mot « devise », c’est-àdire « device » laquelle est définie de la manière suivante dans le Webster’s Ninth
New Collegiate Dictionary (Markham, Ontario, Thomas Allen & Son Limited,
1988), page 347 : « something fanciful, elaborate, or intricate in design » de même
que « an emblematic design used esp. as a heraldic bearing ». La réalité visée par
ce mot en langue anglaise semble donc plus large que celle pour le même mot en
langue française.
Entre sacré et profane
431
est telle qu’on pourrait la confondre avec une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral ; c’est donc l’adoption et l’enregistrement d’une telle marque qui est interdite et il s’agit donc de
déterminer si le critère de « ressemblance » avec une devise ou un
mot ainsi qualifié est rempli.
Pour ce qui est des adjectifs employés par le législateur pour
qualifier le mot ou la devise faisant l’objet de la prohibition de
l’alinéa 9(1)j), Le Grand Robert de la langue française définit l’adjectif « scandaleux » par « qui cause du scandale », ce qui oblige bien sûr
à examiner la définition du nom à l’origine de l’adjectif. Ainsi, le mot
« scandale » est défini par Le Grand Robert de la langue française292 :
A. Relig. Ë 1. Occasion de péché créée par la personne qui, par
son exemple ou ses conseils, incite les autres à se détourner de
Dieu ; le péché lui-même, commis par celui qui incite (scandale
actif) et par celui qui se laisse entraîner (scandale passif)...
[...]
Ë 2. Fait troublant, contradictoire, qui met un obstacle à la
croyance religieuse, qui sème la dissension [...]
[...]
B. Cour. Ë 1. (1657). Effet démoralisant et grand retentissement dans le public de faits, d’actes ou de propos de mauvais
exemple. [...]
[...]
Ë 2. [...] Grave affaire qui émeut l’opinion publique, à la fois par
son caractère immoral et par la personnalité des gens qui y sont
compromis. [...]
[...]
Ë 3. Fait immoral et révoltant. [...]
292.
Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française de Paul Robert, 2e éd., Tome VIII (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), page 620.
432
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le même ouvrage définit le mot « obscène » de la manière suivante :
Ë Qui offense ouvertement la pudeur ; qui présente un caractère très choquant en exposant sans atténuation, avec cynisme,
l’objet d’un interdit social, notamment sexuel [...]293.
Finalement, l’adjectif « immoral » est défini de la manière suivante par le même ouvrage :
Ë 1. (Personnes). Qui viole les principes de la morale, agit de
manière contraire à la morale, à une morale donnée.
[...]
Ë 2. (Choses). Contraire à la morale.294
C’est donc par la notion de « scandale » que l’alinéa 9(1)j) évoque
une réalité dont les origines sont religieuses.
Cette référence religieuse rattachée à la notion de « scandale »
était soulignée par le juge Dickson dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart
Ltd.295 lorsque celui-ci a référé à Blackstone296 en reproduisant un
extrait de son œuvre au sujet du repos dominical imposé par l’État et
les effets de sa violation dans un pays chrétien à la fin du 19e siècle :
[TRADUCTION] ... [O]utre le fait qu’il est tout à fait inconvenant et scandaleux de permettre que, dans un pays qui se veut
chrétien, l’on fasse publiquement des affaires séculières le
dimanche, sans compter la corruption des mœurs qui résulte
habituellement de la profanation de ce jour, le fait de sanctifier
un jour sur sept à des fins de détente, de repos et de culte public
rend un service admirable à l’État pris simplement comme institution civile. Il permet d’humaniser par la conversation et la
socialisation, les manières des classes inférieures qui, sans
293.
294.
295.
296.
Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française de Paul Robert, 2e éd., Tome VI (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), page 860.
Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française de Paul Robert, 2e éd., Tome V (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), page 394.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.
William BLACKSTONE, Commentaries on the Laws of England, Book 4,
William Draper Lewis, ed. (Philadelphie, Rees Welsh and Company, 1897).
Entre sacré et profane
433
cela, dégénéraient en férocité sordide et en égoïsme sauvage ; il
permet à l’ouvrier laborieux de reprendre, en bonne forme et
avec entrain, son travail la semaine qui suit ; il contribue à
imprimer dans l’esprit des gens ce sens du devoir envers Dieu
qui est si nécessaire pour en faire de bons citoyens, mais
qu’estomperait un travail ininterrompu, sans période de temps
prévue pour l’adoration de leur Créateur.297
La neutralité étatique en matière religieuse que nous avons
évoquée plus tôt a bien sûr sonné le glas d’une telle instrumentalisation de la religion employée comme outil de l’État pour favoriser
l’harmonie sociale.
Aujourd’hui, la notion de « scandale » englobe mais n’est toutefois pas limitée à une réalité profane. À titre d’exemple, on peut référer au « scandale du Watergate » comme l’a fait la Cour suprême298
sans nécessairement évoquer la violation d’une norme spécifiquement religieuse. Afin d’illustrer des agissements jugés scandaleux
dans un contexte judiciaire, référons à l’arrêt Mugesera c. Canada
(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)299 où la Cour
suprême a rejeté une requête en raison, entre autres, du caractère
scandaleux des allégations qu’elle comportait et que la Cour a pris
soin de décrire :
[16] Bien que cela ne soit pas coutumier, la teneur de la requête
et de ses allégations nous oblige à en dénoncer le caractère
inadmissible à tous les points de vue. Elle comporte une véritable attaque contre l’intégrité des juges de notre Cour. Pour
tenter d’établir le prétendu complot juif et l’abus de procédure
dont la famille Mugesera serait victime, cet acte de procédure
utilise systématiquement l’insinuation et la spéculation irresponsables. Il invoque aussi des pièces sans pertinence, au
contenu totalement inapproprié et trompeur. L’étude de la
requête et des pièces à son soutien confirme l’emploi d’une
méthode de rédaction peu soucieuse des exigences de rigueur,
de modération et de respect des faits qui s’imposent à tout avocat, en sa qualité d’officier de justice, dans la mise en œuvre de
la procédure judiciaire. Nous devons alors constater qu’aucune
des allégations de la requête, qu’aucun élément des déclara297.
298.
299.
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, page 317.
Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général) ; White, Ottenheimer &
Baker c. Canada (Procureur général) ; R. c. Fink, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 10.
Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2
R.C.S. 91.
434
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tions assermentées produites au soutien de celle-ci, qu’aucun
des documents auxquels ces déclarations renvoient ne justifie
la demande à l’égard des membres de notre Cour ou de la décision de l’appelant d’entamer et de poursuivre le présent
appel.300
Toutefois, le fait de viser des réalités qui sont aujourd’hui profanes, comme le manquement à une norme de conduite qui se traduirait par un comportement outrancier, n’empêche pas au qualificatif
« scandaleux » de référer également à des réalités dont la violation
serait « troublante » pour les membres d’un groupe religieux donné,
pour reprendre l’une des définitions fournies par Le Grand Robert de
la langue française.
L’alinéa 9(1)j) de la Loi a donné lieu à relativement peu de jurisprudence et aucune décision repertoriée, selon notre recensement,
relativement à une marque de commerce dont il aurait été allégué
qu’elle est « scandaleuse » dans la mesure où son emploi ou enregistrement aurait été « troublant » pour les membres d’un groupe religieux donné.
Les quelques décisions ayant considéré l’alinéa 9(1)j) soulignent toutefois que l’impression donnée par une marque de commerce dont il est allégué qu’elle ressemble à une devise ou un mot
« scandaleux, obscène ou immoral » doit être mesurée auprès de gens
qui ne sont pas relativement peu en nombre ; en d’autres mots, ce
groupe de personnes « qui ne sont pas relativement peu en nombre »
doit conclure que la marque ressemble à une devise ou un mot « scandaleux, obscène ou immoral ». Ainsi, dans une décision non rapportée
du 27 octobre 1978301, le registraire des marques de commerce a
rejeté une demande d’enregistrement représentant, entre autres, le
dessin stylisé et réaliste d’une danseuse aux seins nus en liaison avec
différents articles de restauration. Le registraire a fondé son refus
sur l’effet qu’aurait la marque de commerce en question sur une
partie importante de la population :
In La Marquise Footwear Inc.’s Application (1946) 64 R.P.C. 27
Mr. Justice Evershed overuled the Registrar’s decision refusing
to register the non-invented word OOMPHIES for shoes on the
admitted ground that the word “OOMPH” was American slang
300.
301.
Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2
R.C.S. 91, par. 16.
Décision du registraire du 27 octobre 1978 relativement à la demande 409,882.
Entre sacré et profane
435
for sex appeal. Evershed, J. while overuling the Registrar made
it quite clear that he had no disagreement with the principles
upon which the Registrar acted, stating at p. 30 :
I must wholeheartedly accept the proposition that it is the
duty of the Registrar (and it is my hope that he will always
fearlessly exercise it) to consider not merely the general
taste of the time, but also the susceptibilities of persons, by
no means few in number, who still may be regarded as old
fashioned and, if he is of the opinion that the feelings or
susceptibilities of such people will be offended, he will
properly consider refusal of the registration. I should certainly hope that, in taking, as I do in this case, a different
view from him, I am in no way debasing the standard
which, as a servant of the State, he should exercise and
maintain in his jurisdiction.
No one in Canada can fail to be aware of the change of the role
of women in Canadian society which has been achieved through
years of political and social action. Many Canadians both male
and female find that the representation of women in the media
as sex objects is offensive to their sense of propriety and others
find such representation offensive to their sense of morality.
[...]
The mark which is the subject of this application is flagrantly
offensive to the sense of propriety or morality of persons in Canada, by no means few in number, and is not registrable pursuant to Section 9(1)(j) of the Trade Marks Act.302
Inversement, dans l’affaire Miss Universe, Inc. c. Bohna303, le
registraire a rejeté un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 9(1)j) à
l’encontre d’une demande d’enregistrement pour la marque MISS
NUDE UNIVERSE pour l’opération d’un concours de beauté. Le
registraire a rejeté ce motif d’opposition pour absence de preuve
mais a néanmoins rappelé le test applicable dans les circonstances :
In the present case, as it is not obvious that the trade mark
MISS NUDE UNIVERSE is objectionable under s. 9(1)(j), the
302.
303.
Décision du registraire du 27 octobre 1978 relativement à la demande 409,882,
pages 3 et 4.
Miss Universe, Inc. c. Bohna, (1991) 36 C.P.R. (3d) 76 (C.O.M.C.), D. Savard.
436
Les Cahiers de propriété intellectuelle
opponent had to support the facts alleged in its statement of
opposition. The opponent has stated that MISS NUDE UNIVERSE consists of a word with immoral connotations adopted
with a business enterprise. In his affidavit, Mr. Honchar states
that the opponent does not disapprove of nudity, per se, but the
reality remains that for a large segment of the general public,
nudity creates a suspicion of impropriety or sexual innuendos.
However, no evidence to that effect has been submitted. I must
say that at present we live in what is commonly called a “permissive age” where previously accepted moral standards are
undergoing change. The difficulty is to determine what are the
acceptable standards today and what would still be considered
immoral, scandalous, or obscene by some people by no means
few in number. There is no evidence of record with respect to
that matter. I had regard to the dictionary definitions of the
words “scandalous” “obscene” and “immoral” as well as the
word “nude” and I must conclude that the dictionary definitions
do not permit me to conclude that the word “nude” can be considered a word that is “scandalous”, “obscene” or “immoral”.
Consequently, in the absence of evidence to the contrary, I cannot conclude that the trade mark MISS NUDE UNIVERSE
which incorporates the word “nude” is a mark prohibited by
s. 9(1)(j) of the Act. The opponent’s ground of opposition raised
pursuant to s. 12(1)(e) is therefore unsuccessful.304
La décision du registraire sur ce point a été confirmée par le
juge Strayer de la Cour fédérale305.
Cette décision du registraire fait allusion à la difficulté de
déterminer ce qui serait immoral auprès des gens qui ne sont pas
relativement peu en nombre. Le registraire évoque également
l’évolution rapide des normes morales. Ainsi, ce qui aurait pu être
scandaleux il y a cinquante ans ne le serait plus nécessairement
aujourd’hui306. Quoique le registraire ait raison d’affirmer que notre
époque serait, sous certains aspects, davantage permissive que
d’autres qui l’ont précédée, il pourrait également être soutenu que,
304.
305.
306.
Miss Universe, Inc. c. Bohna, (1991) 36 C.P.R. (3d) 76 (C.O.M.C.), D. Savard,
page 82.
Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1992] 3 C.F. 682 (C.F.P.I.), le juge Strayer, page
690 ; la Cour d’appel fédérale qui a éventuellement été saisie de cette affaire ne
s’est toutefois pas prononcée sur cette question (Miss Universe, Inc. c. Bohna,
[1995] 1 C.F. 614 (C.A.F.)).
Sheldon BURSHTEIN, « Scandalous, Obscene and Immoral Marks », (1984) 1
C.I.P.R. 192, pages 194 et 195.
Entre sacré et profane
437
sous d’autres aspects, certains comportements ou attitudes qui ne
faisaient apparemment sourciller personne à des époques antérieures ne seraient plus du tout acceptables aujourd’hui, par exemple
l’emploi par des adultes de produits du tabac à proximité de jeunes
enfants. Ainsi, on peut affirmer que notre époque n’est pas le témoin
de la disparition de tous les tabous mais plutôt celle du remplacement d’anciens tabous par des nouveaux, selon les soucis ou les
inquiétudes de la société à une époque donnée.
3.5.2 Examen de la jurisprudence des États-Unis
En l’absence de jurisprudence au Canada sur la notion de marques dites « scandaleuses », examinons la jurisprudence des ÉtatsUnis307, où le siècle dernier a permis de recenser quelques décisions
mettant en cause des marques à connotation religieuse dont
l’enregistrement a été refusé par les instances étatiques en raison du
caractère dit scandaleux des marques en question, suivant la législation en vigueur aux différentes époques concernées. Cette liste doit
être examinée avec précaution puisqu’elle reflète assurément les
perceptions et les susceptibilités d’une époque donnée. Il n’est pas
inutile de rappeler la mise en garde du Trademark Trial and Appeal
Board du U.S. Patent and Trademark Office dans la décision In re
Old Glory Condom Corp.308 :
[W]hat was considered scandalous as a trademark or service
mark twenty, thirty or fifty years ago may no longer be considered so, given the changes in societal attitudes. Marks once
thought scandalous may now be thought merely humorous (or
even quaint), as we suspect is the case with the marks held
scandalous in Ex parte Martha Maid Mfg. Co., 37 USPQ 156
(Comr. Pats. 1938) [“QUEEN MARY” (and design) for women’s
underwear] and In re Runsdorf, 171 USPQ 443 (TTAB 1971)
[“BUBBY TRAP”] for brassieres].309
Dans le cadre des paragraphes qui suivent, nous mentionnerons quelques marques dites scandaleuses – même si le texte de loi
307.
308.
309.
Les États-Unis ne sont toutefois pas le seul pays ayant permis le développement
de la jurisprudence sur la question ; voir par exemple la décision HALLELUJAH
Trade Mark, [1976] R.P.C. 605 (Trade Marks Registry) où l’enregistrement de la
marque HALLELUJAH pour des vêtements a été refusé au Royaume-Uni.
In re Old Glory Condom Corp., (1993) 26 USPQ2d 1216 (U.S. Patent and Trademark Office – Trademark Trial and Appeal Board).
In re Old Glory Condom Corp., (1993) 26 USPQ2d 1216 (U.S. Patent and Trademark Office – Trademark Trial and Appeal Board), page 1219.
438
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pertinent, analysé par la doctrine, énonce une interdiction qui
n’utilise pas le vocabulaire précis de « marque scandaleuse310 ». En ce
sens, nous suivrons l’exemple de l’auteur Stephen R. Baird qui analyse certains exemples de marques scandaleuses tout en notant
que l’interdiction énoncée par la législation américaine, à l’époque
examinée par celui-ci, vise l’enregistrement de marques de commerce qui consistent ou sont composées de matière scandaleuse ou
immorale311.
Dans une décision qui a été qualifiée de « talisman »312 de toute
la jurisprudence sur le sujet des marques dites scandaleuses aux
États-Unis, la Court of Customs and Patent Appeals a refusé en 1938
l’enregistrement de la marque MADONNA en association avec du
vin dans l’affaire In re Riverbank Canning Company313. Dans une
décision partagée, la Cour a considéré que la signification principale
de l’expression « Madonna » dans le monde anglo-saxon des années
1930 était une référence à la Vierge Marie ou encore à sa représentation graphique. La majorité de la Cour n’a pas considéré le mot
« Madonna » en lui-même scandaleux mais était davantage troublée
par le type de produits auxquels ce mot serait associé. D’ailleurs,
rappelons qu’en 1938, au moment où cette décision a été rendue, le
régime sec de la prohibition (inscrit pour un temps dans la Constitution américaine314) avait cessé d’avoir effet en 1933. Le juge Lenroot
a ainsi écrit au nom de la majorité :
310.
311.
312.
313.
314.
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
page 663 ; voir à ce sujet la note infrapaginale 5 : « To be precise, it is a misnomer
to refer to « scandalous or immoral trademarks. » The Lanham Act does not proscribe the registration of scandalous or immoral trademarks ; it forbids the registration of trademarks that consist of or comprise scandalous or immoral matter.
Lanham Act §2(a). Nevertheless, this Article will utilize the shorthand, albeit
imprecise, phrase « scandalous or immoral trademarks, » when referring to
marks that « consist of or comprise scandalous or immoral matter. » » .
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
page 663.
Theodore H. DAVIS, Jr., « Registration of Scandalous, Immoral, and Disparaging Matter Under Section 2(a) of the Lanham Act : Can One Man’s Vulgarity be
Another’s Registered Trademark ? », (1993) 83 TMR 801, page 807.
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals) ; en 1959, l’enregistrement de la même marque, MADONNA,
pour des vins a à nouveau été refusé par une décision laconique dans In re P.J.
Valckenberg, GmbH, (1959) 122 USPQ 334 (Patent Office Trademark Trial and
Appeal Board).
Voir à ce sujet le détail des amendements de la Constitution des États-Unis
d’Amérique que présente dans un tableau la faculté de droit de l’Université
d’Oklahoma, lequel a été consulté le 4 février 2008 à l’adresse http://www.
law.ou.edu/hist/constitution/Amend.shtml.
Entre sacré et profane
439
Whether wine in itself is harmless we are not called upon here
to determine, and we express no opinion upon that subject.
Probably a majority of the people of the United States believe
that, moderately used, it is harmless, but it is likewise true that
wine, generally speaking, is included within the term “intoxicating liquor” ; that for a number of years, under national prohibition, the manufacture and sale of wine for use as a beverage
was prohibited ; that several States now prohibit such sale ; and
that, wherever its sale is permitted, the seller must be licensed
and is subject to strict regulations governing the conduct of
such business.
[...]
Appellant’s officers are evidently of the belief that the use of
said mark would be an aid to its business. It may not be
objected to by many wine drinkers, as the record tends to show
by affidavits introduced by appellant ; but it is a matter of common knowledge that the United States is not a wine drinking
country, such as are some of the countries of Europe, and probably only a very small minority of its people use wine even moderately. In determining whether the mark, used upon wine, is
scandalous, we must consider the viewpoint, not of wine drinkers alone, but also of those who do not use wine as a beverage.
[...]
In our opinion, to commercialize the name of, or a representation of, the Virgin Mary as a trade mark is of very doubtful propriety, and we feel certain that its use upon wine for beverage
purposes would be shocking to the sense of propriety of nearly
all who do not use wine as a beverage, and also to many who do
so use it ; therefore, we think such use of the word “Madonna”
would be scandalous and its registration prohibited under said
trade mark act.315
La Cour a examiné la marque de commerce MADONNA comme
si cette dernière comprenait également la représentation graphique
de la Vierge Marie, alors que ce n’était pas le cas, une approche qui a
été critiquée par la doctrine316. De plus, comme nous l’avons noté, la
315.
316.
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals), pages 269 et 270.
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
page 709.
440
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cour a analysé non pas seulement l’aspect « scandaleux » de la
marque de commerce prise en elle-même mais a examiné la nature
des produits associés à cette marque afin de déterminer si cette dernière serait alors scandaleuse ; en d’autres mots, suivant le raisonnement de la Cour, une même marque de commerce pourrait être
scandaleuse ou pas selon la nature des produits ou services auxquels
une marque à connotation religieuse serait associée. Toutefois, selon
certaines remarques incidentes de la Cour, dans certains cas, une
marque pourrait être scandaleuse sans considération des produits
qui y seraient associés. Finalement, la Cour a déterminé que le
public pertinent pour déterminer si une marque de commerce est
scandaleuse n’était pas limité aux seuls consommateurs du produit ;
en effet, la Cour a jugé opportun d’analyser à la fois la réaction de
ceux qui consomment du vin et de ceux qui n’en consomment pas.
Dans des motifs dissidents, le juge Jackson a écrit que la
marque MADONNA associée à des vins n’était pas scandaleuse et
que ce même mot avait préalablement été enregistré par des tiers
pour des produits aussi divers que des tissus, de l’eau de cologne, des
médicaments, du savon, des produits dentaires, de la crème, des
métaux précieux et des articles alimentaires ; dans certains cas, on
avait même associé au mot la représentation de la Vierge Marie317.
Ces différentes positions nous permettent de constater qu’il
n’est pas toujours aisé de déterminer ce qui constituerait une marque de commerce scandaleuse. Puisque la réponse à cette question
implique un certain jugement de valeur, nous pouvons affirmer qu’il
n’existe pas nécessairement de réponse unique aux différents cas
susceptibles de se présenter ; la réponse variera selon la personne
à qui la question est posée ou le groupe auprès duquel l’effet de
la marque est analysé318. Tentons toutefois de poser quelques principes.
3.5.2.1 Pour qui la marque de commerce doit-elle être scandaleuse ?
Une majorité de la Cour dans l’affaire In re Riverbank Canning
Company319 a considéré l’impression de la marque MADONNA
317.
318.
319.
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals), page 270.
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
pages 664-665.
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals).
Entre sacré et profane
441
auprès de l’ensemble des consommateurs. Une révision de la jurisprudence subséquente à cette décision montre que cette approche n’a
pas été uniformément suivie dans le cadre de contestations relatives
à des marques à connotation religieuse. Par exemple, dans Ex parte
Summit Brass and Bronze Works, Inc.320, le commissaire des brevets
a refusé l’enregistrement des mots « Agnus Dei » accompagnés d’une
représentation graphique pour des « metallic tabernacle safes ». Le
premier commissaire adjoint Fraser a considéré que la commercialisation d’un emblème religieux comme « Agnus Dei » serait troublante pour la plupart des personnes de foi chrétienne ; la marque
reprenant cette expression serait donc scandaleuse et ce, malgré les
représentations de la partie requérante à l’effet qu’elle avait apparemment le soutien (« apparent approval ») du clergé catholique dont
certains de ses membres avaient acquis les produits en cause. Par
contre, dans In re Sociedada Agricola E. Comerical Dos Vinhos
Messias, S.A.R.L.321, la requérante souhaitait enregistrer la marque
MESSIAS pour du vin et du brandy. La signification religieuse du
mot « Messias » a été notée par le membre Leach dans ses motifs :
The word “Messias” is the full equivalent of the word “Messiah”
which is defined in part in Webster’s New World Dictionary of
the English Language (College edition) as, “in Judaism, the
promised and expected deliverer of the Jews”, and “in Christianity, Jesus, regarded as this deliverer, and hence called the
Christ”.322
Dans ce cas, le Patent Office Trademark Trial and Appeal
Board a refusé l’enregistrement de cette marque de commerce en
soulignant que pour le public américain, le mot « Messiah » (l’équivalent du mot inclus dans la marque MESSIAS) signifierait une
référence à Jésus-Christ.
Ainsi, pour qui la marque de commerce doit-elle être scandaleuse ? Doit-on ainsi apprécier l’impression créée auprès de
l’ensemble du public ? Auprès du groupe religieux concerné par la
marque de commerce choisie ? Pour les consommateurs pour qui le
320.
321.
322.
Ex parte Summit Brass and Bronze Works, Inc., (1943) 59 USPQ 22 (Commissioner of Patents).
In re Sociedade Agricola E. Comerical Dos Vinhos Messias, S.A.R.L., (1968) 159
USPQ 275 (Patent Office Trademark Trial and Appeal Board).
In re Sociedade Agricola E. Comerical Dos Vinhos Messias, S.A.R.L., (1968) 159
USPQ 275 (Patent Office Trademark Trial and Appeal Board), page 275.
442
Les Cahiers de propriété intellectuelle
produit associé à la marque de commerce est destiné ? Selon l’auteur
Baird323, l’approche à privilégier lorsqu’il s’agit de déterminer l’enregistrabilité aux États-Unis d’un mot ou d’un symbole qui a une
importante signification religieuse est de considérer l’impression
commerciale de la marque en examinant le contexte d’emploi de
celle-ci et les produits auxquels elle serait associée du point de vue
du groupe spécifique qui considère que ce mot ou ce symbole a une
importante signification religieuse. En autant que ce groupe ne soit
pas choqué par l’emploi de la marque en question, l’enregistrement
ne devrait pas être refusé. Ce test laisse toutefois ouverte la question
de savoir s’il faut préalablement à cette étude déterminer si un
groupe religieux donné représente une partie non négligeable de la
population (sans qu’il ne soit nécessaire que ce groupe soit majoritaire).
Cette dernière difficulté est par ailleurs évoquée par ce même
auteur lorsqu’il analyse l’affirmation du juge Lenroot dans In re
Riverbank Canning Co.324, à l’effet qu’une hypothétique demande
d’enregistrement pour enregistrer le nom de l’Être Suprême à titre
de marque de commerce serait certainement et correctement rejetée
puisqu’il s’agirait alors objectivement d’une marque scandaleuse.
Ainsi, une marque composée du nom de l’Être Suprême serait scandaleuse dans tous les cas alors que dans d’autres situations, comme
pour la marque MADONNA, cette dernière serait scandaleuse selon
le type de produit qui y serait associé. Comme le note l’auteur Baird,
le nom de l’Être Suprême n’est toutefois pas unique et connaît autant
de déclinaisons qu’il existe de groupes religieux : « GOD, ALLAH,
JAHWEH, LORD, ISHWAR, RAMA, VISHNU, KRISHNA325 ». Toutefois, selon le raisonnement du juge Lenroot, tous les vocables
connus désignant l’Être Suprême ne seraient pas enregistrables et
ce, sans qu’il ne soit nécessaire de considérer les produits ou services
auxquels une telle marque serait associée (contrairement à la
marque MADONNA dont l’aspect scandaleux résultait de son association à du vin). Selon Baird, cette approche pourrait toutefois
conduire à refuser l’enregistrement d’un mot qui n’a aucune connota-
323.
324.
325.
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
page 711.
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals).
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
page 706.
Entre sacré et profane
443
tion religieuse mais qui, pour une seule personne, désigne l’Être
Suprême. Par contre, il ne serait pas nécessaire qu’une majorité
reconnaisse dans un mot la désignation de l’Être Suprême pour refuser à ce mot les avantages de l’enregistrement. Il n’est pas aisé
d’établir la frontière entre ces deux situations326. Sur cette question,
Baird propose les règles suivantes : d’une part, il n’est certainement
pas nécessaire qu’une majorité du public reconnaisse dans une
marque de commerce le nom de l’Être Suprême ; d’autre part, une
marque de commerce pourrait être considérée scandaleuse uniquement en fonction de la perception d’un groupe religieux en particulier (qui n’a pas à être majoritaire au sein de la population) et qui
reconnaîtra dans la marque le nom de l’Être Suprême327 suivant ses
propres doctrines.
Le dernier principe semble avoir été appliqué dans des cas où
l’on a tenté d’enregistrer des marques de commerce composées de
mots ayant une signification particulière pour un groupe religieux
donné. Ainsi, dans In re Reemtsma Cigarettenfabriken G.m.b.H.328,
l’enregistrement de la marque SENUSSI pour des cigarettes a été
refusé puisque ce mot « senussi » référait, selon la preuve, au nom
d’une importante communauté musulmane329 dont les règles interdisent à ses membres l’usage du tabac. Dans les circonstances, une
marque SENUSSI pour des cigarettes a donc été considérée scandaleuse. Les motifs de cette affaire In re Reemtsma Cigarettenfabriken
G.m.b.H.330 suggèrent également que le produit auquel une marque
à connotation religieuse serait associée est une considération pertinente dans l’appréciation du possible aspect scandaleux de celle-ci
(comme pour le cas de la marque MADONNA). Inversement dans
In re Waughtel331, on a permis l’appel du refus d’enregistrer une
326.
327.
328.
329.
330.
331.
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
page 706.
Stephen R. BAIRD, « Moral Intervention in the Trademark Arena : Banning the
Registration of Scandalous and Immoral Trademarks », (1993) 83 TMR 661,
page 706.
In re Reemtsma Cigarettenfabriken G.m.b.H., (1959) 122 USPQ 339 (Patent
Office Trademark Trial and Appeal Board).
Selon le Collins English Dictionary, 3e éd. (Glasgow, Harper Collins Publishers,
1994), page 1410, ce groupe connu en Afrique du Nord et en Arabie a été fondé en
1837 par Sidi Mohammed ibn Ali al Senussi ( ?1787-1859).
In re Reemtsma Cigarettenfabriken G.m.b.H., (1959) 122 USPQ 339 (Patent
Office Trademark Trial and Appeal Board).
In re Waughtel, (1963) 138 USPQ 594 (Patent Office Trademark Trial and
Appeal Board).
444
Les Cahiers de propriété intellectuelle
marque graphique composée du mot « amish », ci-après reproduite,
pour des cigarettes :
Cette marque n’a pas été jugée scandaleuse dans la mesure où
il a été mis en preuve que rien dans les principes ou enseignements
religieux de la communauté amish332 n’interdit l’emploi du tabac ; la
marque n’a donc pas été jugée scandaleuse pour les membres de ce
groupe religieux.
Dans la décision In re In Over Our Heads, Inc.333, le Trademark
Trial and Appeal Board a permis l’appel du refus d’enregistrer
une marque graphique MOONIES, ci-après reproduite, pour des
poupées :
Le Trademark Trial and Appeal Board a noté que l’expression
« Moonies » référait, selon une définition, aux membres de l’Église de
l’Unification (« The Unification Church ») fondée par le Révérend
Sun Myung Moon. Toutefois, il a été décidé que la marque faisait
davantage référence au verbe « to moon » qui, en langue anglaise,
signifie l’action d’un individu exposant ses fesses. En effet, les
poupées associées à la marque de commerce graphique MOONIES
avaient la caractéristique d’exposer cette partie de leur « anatomie ».
332.
333.
Selon le Collins English Dictionary, 3e éd. (Glasgow, Harper Collins Publishers,
1994), page 49, la communauté amish est un groupe religieux mennonite qu’on
retrouve aux États-Unis et au Canada et qui tire son origine d’un prêcheur
suisse du 17e siècle, Jakob Amman.
In re In Over Our Heads, Inc., (1990) 16 USPQ2d 1653 (U.S. Patent and Trademark Office – Trademark Trial and Appeal Board).
Entre sacré et profane
445
Dans la décision In re Hines334, le Trademark Trial and Appeal
Board a réexaminé une décision négative qu’elle avait rendue quelques mois auparavant335 et a permis la publication pour fins d’opposition de la marque graphique BUDDA BEACHWEAR, ci-après
reproduite, pour des articles vestimentaires :
Dans cette affaire336, le Trademark Trial and Appeal Board
devait déterminer si la marque était « disparaging » suivant la législation américaine, une notion qui ne semble pas avoir d’équivalent
dans la Loi sur les marques de commerce. Le Trademark Trial and
Appeal Board a noté la référence au fondateur du Bouddhisme dans
la marque mais a admis qu’il disposait de peu de renseignements sur
le personnage religieux337 en cause pour rendre une décision ; les
adhérents du bouddhisme seraient sans doute mieux placés pour
s’exprimer sur cette question. Ainsi, si des bouddhistes avaient des
motifs pour s’objecter à l’enregistrement de cette marque de commerce, ils pourraient se prévaloir de la procédure d’opposition. Le
Trademark Trial and Appeal Board s’est donc abstenu d’imposer sa
propre appréciation pour celle des principaux intéressés, en l’occurrence les fidèles du bouddhisme, et a fait droit à la demande ; aucune
opposition répertoriée contre celle-ci n’a par la suite été recensée.
334.
335.
336.
337.
In re Hines, (1994) 32 USPQ2d 1376 (U.S. Patent and Trademark Office – Trademark Trial and Appeal Board).
In re Hines, (1994) 31 USPQ2d 1685 (U.S. Patent and Trademark Office – Trademark Trial and Appeal Board).
In re Hines, (1994) 32 USPQ2d 1376 (U.S. Patent and Trademark Office – Trademark Trial and Appeal Board).
Selon Le Petit Larouse illustré (Paris, Librairie Larousse, 1975), page 1191,
Bouddha est le nom sous lequel on désigne habituellement le fondateur du
bouddhisme, Gautama, qui est à l’origine de cette religion au Ve siècle avant la
présente ère.
446
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette approche de la jurisprudence américaine (i.e. la mesure
de l’impression créée par une marque donnée auprès de la communauté pour qui elle aurait un sens) peut se comparer à l’approche
qu’a eue récemment le registraire des marques de commerce, au
Canada, dans un contexte d’opposition où était soulevé l’aspect descriptif d’une marque (plutôt que son aspect scandaleux) dans l’affaire
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal338.
Ici, le registraire a refusé l’enregistrement du terme « halal » puisqu’il a été démontré que ce terme a une signification claire au sein de
la communauté musulmane même si ce mot n’était pas compris ou
connu par l’ensemble ou même une majorité de la population canadienne.
3.5.2.2 L’importance des produits dans la détermination de l’aspect
scandaleux d’une marque de commerce
Sur la question de l’importance à attribuer aux produits et services dans la détermination du caractère scandaleux d’une marque
de commerce qui reprend un mot à connotation religieuse, là aussi la
jurisprudence ne révèle pas une position unanime sur la question.
Ainsi, dans In re Riverbank Canning Company339, le juge Lenroot a
écrit :
It is therefore obvious that, in determining whether a mark
“consists of or comprises scandalous matter,” consideration
ordinarily must be given to the goods upon which the mark is
used.340
Dans la même décision, le juge Jackson, dissident, soulignait
que la marque en cause, MADONNA, avait préalablement été enregistrée pour différents produits, allant des médicaments à l’eau de
cologne, sans que cette situation ne soit jugée scandaleuse ; toutefois,
le juge Jackson a vu dans certains commentaires de la majorité un
338.
339.
340.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury.
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals).
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals), page 269. Cette position mérite toutefois d’être nuancée
puisque le juge Lenroot a suggéré que la marque composée du nom de l’Être
Suprême serait scandaleuse, sans référence aux produits qui y seraient
associés.
Entre sacré et profane
447
énoncé à l’effet que l’enregistrement d’un mot comme « Madonna » en
association avec tout produit, quel qu’il soit, serait scandaleux341.
Selon le juge Jackson, la marque en cause n’était pas scandaleuse et
serait d’ailleurs une marque qui pourrait avantageusement être
associée à des articles religieux (ce qui, a contrario, suggère qu’il
existerait certainement des cas où l’association entre un mot à
connotation religieuse et certains produits spécifiques (dont l’emploi
est proscrit, par exemple, dans une tradition religieuse donnée)
pourrait être jugée scandaleuse par les membres se rattachant à
cette tradition comme dans In re Reemtsma Cigarettenfabriken
G.m.b.H.342). Les désavantages pour les tiers d’une appropriation
exclusive d’un mot comme « Madonna » pour des articles religieux
n’ont toutefois pas été considérés par le juge Jackson.
Par contre, dans Ex parte Summit Brass and Bronze Works,
Inc.343, le premier commissaire adjoint Fraser a refusé l’enregistrement d’une marque de commerce composée entre autres des mots
« Agnus Dei » ; dans ses motifs, il s’est opposé à la commercialisation
d’un symbole qui n’a d’autre signification que religieuse et ce, sans
examen du produit auquel il serait associé. Fait intéressant à noter,
on s’est interrogé dans cette dernière décision sur la capacité d’un
mot à caractère religieux d’agir comme marque de commerce, c’està-dire comme symbole qui distinguerait la source unique d’un
produit :
By the same token, it is my opinion that neither the words nor
the picture of applicant’s mark are capable of trade mark significance when applied to any article in the nature of religious
paraphernalia. They are so commonly used for purposes of
sacred adornment that their appearance on a metallic tabernacle safe would inevitably impress the Christian observer as
nothing more than appropriate embellishment.344
341.
342.
343.
344.
« In our opinion, to commercialize the name of, or a representation of, the Virgin
Mary as a trade mark is of very doubtful propriety » était cet extrait des motifs de
la majorité que le juge Jackson a reproduit dans ses propres motifs ; toutefois,
selon les motifs de la majorité, c’est plutôt le nom de l’Être Suprême qui serait,
per se, une marque scandaleuse.
In re Reemtsma Cigarettenfabriken G.m.b.H., (1959) 122 USPQ 339 (Patent
Office Trademark Trial and Appeal Board).
Ex parte Summit Brass and Bronze Works, Inc., (1943) 59 USPQ 22 (Commissioner of Patents).
Ex parte Summit Brass and Bronze Works, Inc., (1943) 59 USPQ 22 (Commissioner of Patents), page 23.
448
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette dernière préoccupation rejoint celle exprimée par le
registraire des marques de commerce, au Canada, dans la décision
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal345,
où on a jugé que l’appropriation exclusive par une entité du mot
« halal » ne devrait pas être permise puisqu’en l’occurrence, ce mot
désigne tout produit ou service qui est licite selon le droit islamique ;
un tel terme serait donc généralement incapable d’être employé pour
distinguer la provenance unique de produits ou services qui y
seraient associés (quels qu’ils soient) et ne serait donc pas enregistrable, suivant la décision du registraire.
Ces considérations n’empêchent toutefois pas les organisations
religieuses de tenter d’obtenir la protection qu’offre l’article 19 de la
Loi en enregistrant leurs marques de commerce respectives ; comme
nous l’avons vu au début de ce texte, plusieurs de ces marques ont été
enregistrées. Toutefois, si la marque de commerce en question n’est
qu’un mot (ou une expression) à caractère religieux, cette « marque »
pourrait ne pas être perçue comme le symbole distinctif d’une seule
entité et, à moins d’avoir acquis un caractère distinctif par l’emploi
qui en aurait été fait, elle pourrait conséquemment ne pas bénéficier
d’une protection très étendue (comme ce fut le cas pour une marque
composée uniquement du nom d’un saint de l’Église catholique
romaine, pour reprendre un exemple évoqué précédemment).
3.5.3 Quelques constats sur la marque à connotation
religieuse
Ce bref survol de la jurisprudence états-unienne nous permet
de constater qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer dans quelles
circonstances une marque de commerce serait considérée « scandaleuse » en raison d’un aspect religieux qui s’y rattacherait. Au
Canada, on peut raisonnablement soutenir que ce même constat prudent s’impose en ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 9(1)j) de
la Loi et ce, pour les marques qui contiennent des mots (ou des images) à connotation religieuse, même si la disposition ne vise évidemment pas uniquement ce type de marques. À titre d’exemple, le mot
« Madonna » – qui a tant fait couler d’encre aux États-Unis parmi
ceux qui s’intéressent aux marques de commerce – a été, au Canada,
enregistré par des entités distinctes pour divers produits à différentes époques (ces marques de type MADONNA coexistent donc au
345.
Islamic Society of North America Canada c. Banque de Montréal, [2005]
C.O.M.C. no 202 (C.O.M.C.), J.W. Bradbury.
Entre sacré et profane
449
registre au nom de propriétaires différents puisqu’elles sont respectivement associées à des produits qui visent des marchés distincts) :
• Enregistrement LMC 136,858346, obtenu le 7 août 1964 pour des
cartes de souhaits;
• Enregistrement LMC 138,043347, obtenu le 6 novembre 1964 pour
des matelas, des sommiers et des lits;
• Enregistrement LMC 573,543348, obtenu le 14 janvier 2003 pour
des vins.
D’ailleurs, aux États-Unis, environ un demi-siècle après la
décision In re Riverbank Canning Company 349 , la chanteuse
Madonna Ciccone350 (dont le nom de scène est Madonna) a obtenu
l’enregistrement d’une marque MADONNA pour des services de
divertissement le 19 janvier 1988 sous le numéro 1,473,554351.
Au Canada, malgré le fait que certains mots (ou images) à
connotation religieuse puissent difficilement être perçus comme
marques de commerce, on peut constater que des organisations religieuses (mais d’autres, carrément commerciales) ont tout de même
pu enregistrer ce genre de marques en liaison avec leurs produits et
services respectifs. Manifestement, la marque qui contient un ou des
mots (ou des images) à connotation religieuse continue d’exercer un
346.
347.
348.
349.
350.
351.
Enregistrement consulté le 28 janvier 2008 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
Enregistrement consulté le 28 janvier 2008 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
Enregistrement consulté le 28 janvier 2008 dans la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à l’adresse
http://cipo.gc.ca.
In re Riverbank Canning Company, (1938) 37 USPQ 268 (Court of Customs and
Patent Appeals).
Le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. (Don Mills, Ontario, Oxford University
Press, 2004), page 927, contient deux entrées distinctes pour le terme
« Madonna ». La première mentionne : « noun Christianity 1 (prec. by the) a
name for the Virgin Mary. 2 (usu. madonna) a picture or statue of the Madonna »
tandis que la seconde signale : « (born Madonna Louise Veronica Ciccone)
(b.1958), US pop singer and actress. She rose to international stardom in the
mid-1980s through her records and accompanying videos. ».
Enregistrement consulté le 28 janvier 2008 dans la base de données sur les marques de commerce du United States Patent and Trademark Office, à l’adresse
http://tess2.USPTO.gov/.
450
Les Cahiers de propriété intellectuelle
attrait certain dans la mesure où plusieurs n’hésitent pas à obtenir
la protection qu’offre la Loi pour s’en assurer une exclusivité, comme
nous l’avons vu au début de cet article. Dans le cas d’organisations
religieuses, il s’agit de produits ou services ayant un lien avec la mission de l’organisation en question. Dans le cas d’organisations commerciales, il s’agit de produits qui ne sont pas ordinairement liés à la
pratique de la religion mais qui sont associés à une marque qui
contient un ou des mots (ou des images) à connotation religieuse, suivant des choix particuliers de mise en marché352. Dans certains cas,
un commerçant peut choisir d’associer son produit à une marque qui
contient un mot à connotation religieuse à cause du lien historique
entre un produit et un groupe religieux donné, par exemple les boissons alcoolisées fabriquées par certains ordres religieux353. Dans les
cas où il s’agit de marques de commerçants, celles-ci ne causent généralement pas de difficulté et ne sont pas considérées « scandaleuses » ; par exemple, dans le cas de marques nominales, le ou les mots
à connotation religieuse en cause ont souvent acquis un sens autonome dans un contexte qui n’est pas religieux354.
352.
353.
354.
La jurisprudence donne certains exemples de mots à connotation religieuse qui
sont intégrés à des marques de commerce employées par différentes entreprises
commerciales pour des produits qui n’ont pas de vocation spécifiquement religieuse ; voir par exemple : Jordan Wines Ltd., also doing business as Danforth
Estates c. Meagher’s Distillery Ltd., (1978) 44 C.P.R. (2d) 274 (C.O.M.C.), G.
Metcalfe, où le registraire a décidé qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion
entre les marques DOMAINE DE LA CHAPELLE et DOMAINE associées respectivement à des vins ; Southland Corp. c. Blackcomb Skiing Enterprises, Limited Partnership, (1992) 46 C.P.R. (3d) 269 (C.O.M.C.), M. Herzig [désistement
d’appel le 7 avril 1997 au dossier T-233-93 des dossiers de la Cour fédérale], où le
registraire a décidé qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion entre les marques 7TH HEAVEN EXPRESS pour, entre autres, l’opération d’une école de ski
et OH THANK HEAVEN FOR 7-ELEVEN pour l’opération d’épiceries ; Westcoast Contempro Fashions Ltd. c. Wholesale Heaven Ltd., (1994) 55 C.P.R. (3d)
264 (C.O.M.C.), D.J. Martin, où le registraire a décidé qu’il y avait une probabilité de confusion entre les marques WHOLESALE HEAVEN et ALMOST
HEAVEN associées respectivement à des vêtements ; Sunshine Coast Beverages
Ltd. c. Nippon Drug Trading Inc., (1998) 85 C.P.R. (3d) 388 (C.O.M.C.), G.W.
Partington, où le registraire a décidé qu’il y avait une probabilité de confusion
entre la marque graphique HEAVEN LEGEND pour des extraits de ginseng et
la marque LÉGENDE pour des boissons gazeuses à base de ginseng.
Voir à ce sujet la décision Andres Wines Ltd. c. Hiram Walker & Sons Ltd., (1980)
61 C.P.R. (2d) 245 (C.O.M.C.), F. Léger ; dans cette affaire, le registraire a noté la
récurrence au registre de marques incorporant des mots suggérant des titres ou
des lieux abbatiaux i.e. « abbé », « abbaye » et « abbey » en liaison avec des
liqueurs.
À titre d’exemple, une consultation le 22 février 2008 de la base de données sur
les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à
l’adresse http://cipo.gc.ca, a révélé la présence au registre de plusieurs marques
incorporant le mot « miracle ». Selon Le Grand Robert de la langue française,
dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de Paul Robert,
Entre sacré et profane
451
Au-delà de la question de l’aspect scandaleux qui pourrait être
soulevée dans certains contextes commerciaux à cause d’une marque
qui contient un ou des mots (ou des images) à connotation religieuse,
soit à cause de l’association entre un mot ou une image à caractère
religieux et un type de produit spécifique, soit à cause de la valeur
« sacrée » d’un mot ou d’une image qui ne se prêterait pas au commerce, on peut davantage s’interroger sur la capacité de ce type de
marque de commerce d’agir comme symbole pouvant distinguer la
source d’un produit ou d’un service, dans un contexte proprement
religieux. En effet, comme nous y avons fait allusion plus tôt, cette
exclusivité n’est pas absolue puisque les mots (et les images) à connotation religieuse ne devraient pas être retirés du bassin de mots (et
d’images) auquel tous ont accès pour décrire leurs activités communes ou encore les caractéristiques semblables d’organisations similaires (voilà d’ailleurs pourquoi l’enregistrement du terme « halal »
seul a été refusé). À titre d’exemple, plusieurs marques enregistrées
au nom de propriétaires différents incorporent chacune le mot
« God » pour des produits ou services de nature religieuse355 ; dans
ces circonstances, on peut affirmer que ce n’est pas la seule composante « God » qui est la partie distinctive de la marque mais plutôt
355.
2e éd., Tome VI (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988),
page 479, le sens le plus ancien du mot « miracle » référe à un « [f]ait extraordinaire où l’on croit reconnaître une intervention divine bienveillante, auquel on
confère une signification spirituelle » ; toutefois, ce mot signifie également une
« [c]hose étonnante et admirable qui se produit contre toute attente ». C’est sans
doute ce dernier sens que suggèrent les marques suivantes :
• MIRACLE WHIP pour des « salad dressings », enregistrement LCD 3315 du
18 septembre 1933 ;
• MIRACLE-GRO pour « a water soluble plant food and fertilizer », enregistrement LMC 127,613 du 17 août 1962 ;
• MIRACLE MART pour des « services of operating a retail department store »,
enregistrement LMC 236,840 du 26 octobre 1979 ;
• VICTORIA’S SECRET THE MIRACLE BRA pour « clothing, namely brassieres », enregistrement LMC 530,906 du 9 août 2000.
À titre d’exemple, une consultation le 22 février 2008 de la base de données sur
les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à
l’adresse http://cipo.gc.ca, a révélé la présence au registre de marques incorporant le mot « God » (dont certaines sont mentionnées ci-après) en liaison avec des
produits ou services de nature religieuse :
• THE WHOLE PEOPLE OF GOD pour du matériel visant l’enseignement religieux des enfants, enregistrement LMC 391,801 du 13 décembre 1991 ;
• SONS OF GOD pour des services de club de motocyclette et services ministériels, enregistrement LMC 648,278 du 15 septembre 2005 ;
• GOD ROCKS pour, entre autres, des magasines sur le christianisme et les
questions d’éthique, enregistrement LMC 639,896 du 16 mai 2005 ;
• GOD’S MYSTERIOUS WAYS pour de la fourniture d’information personnelle, spirituelle et positive ayant trait à la foi, enregistrement LMC 660,493
du 8 mars 2006.
452
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’association originale entre celle-ci et d’autres mots. D’ailleurs,
puisque plusieurs organisations religieuses utilisent le mot « God »
dans leurs marques de commerce respectives, de légères différences
entre toutes ces marques seront suffisantes pour éviter la confusion.
Dans le cas de marques qui ont une composante nominale, rappelons que certains mots peuvent avoir plusieurs sens (dont un sens
qui pourrait référer à une réalité religieuse) ; dans ces cas, il faudra
examiner ces différents sens afin de déterminer celui (ou ceux) qui
serait compris par les consommateurs356, incluant par les membres
d’un groupe religieux donné pour qui le mot a une signification particulière.
Si un mot (ou une image) à connotation religieuse est une composante d’une marque enregistrée par un commerçant, l’étendue de
la protection obtenue pourrait se réduire à cette marque spécifique
pour les produits ou services précis qui y sont associés. À titre
d’exemple, le propriétaire de la marque fictive CADEAU DU BON
DIEU, enregistrée pour des vêtements pour nourrissons, pourrait
devoir tolérer d’autres marques de commerce qui incorporent le mot
« Dieu », même pour des produits semblables (à l’exception des marques pour qui un lien avec l’Être Suprême serait jugé scandaleux
(selon les produits ou services en cause) suivant une application de
l’alinéa 9(1)j) de la Loi et qui pourraient donc être contestées pour ce
motif). D’ailleurs, une marque comme CADEAU DU BON DIEU
n’est pas composée exclusivement d’un mot à connotation religieuse ;
sa distinctivité inhérente repose donc sur la combinaison originale
de mots qui la caractérise et non sur le mot « Dieu » seul357. En
résumé sur ce point, si un mot (ou une image) à connotation reli356.
357.
Voir à ce sujet la décision Elder’s Beverages (1975) Ltd. c. Le Registraire des marques de commerce, [1979] 2 C.F. 735 (C.F.P.I.), où le juge Cattanach a analysé à
la page 740 l’impression laissée par le mot « ELDER » dont une des significations
réfère à un membre du conseil de fabrique de l’Église presbytérienne.
À titre d’exemple, une consultation le 22 février 2008 de la base de données sur
les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, à
l’adresse http://cipo.gc.ca, a révélé la présence au registre de marques de commerce incorporant le mot « God » (dont certaines, au nom de propriétaires différents, sont mentionnées ci-après) en liaison avec des produits ou des services qui
n’ont apparemment pas de vocation spécifiquement religieuse :
• GOD HAND pour différents produits dont des machines de jeu pour salle de
jeux électroniques, enregistrement LMC 691,144 du 29 juin 2007 ;
• THANK GOD IT’S PAYDAY pour la fourniture de services financiers, enregistrement LMC 659,620 du 22 février 2006 ;
• THANK GOD IT’S FONDUE pour du bouillon à fondue, enregistrement LMC
700,567 du 9 novembre 2007.
Entre sacré et profane
453
gieuse est intégré à une marque de commerce qui contient d’autres
éléments, l’ensemble qui en résulte pourrait être une marque de
commerce qui profiterait d’une certaine distinctivité inhérente358,
selon les circonstances ; toutefois, dans ce contexte, il pourrait être
difficile, selon le mot ou l’image en cause, de reconnaître un monopole au bénéfice d’un seul commerçant sur ce seul mot (ou cette seule
image) à connotation religieuse pour un produit ou service donné359.
Finalement, le propriétaire d’une marque enregistrée qui contient un ou des mots à connotation religieuse (ou même une image à
connotation religieuse, puisque les mêmes principes s’appliquent)
doit employer celle-ci sous la forme particulière qui fait l’objet de
l’enregistrement ; dans le cas contraire, le bénéfice du monopole
pourrait être retiré, notamment dans le cadre de procédures en vertu
de l’article 45 de la Loi dont la vocation est de vérifier la réalité de
l’emploi d’une marque enregistrée. Si une marque qui contient un
mot ou une image à connotation religieuse est employée dans une
forme qui diffère de sa version enregistrée, les deux marques doivent
tout de même présenter les mêmes caractéristiques dominantes suivant la jurisprudence sur la question360. Par exemple, dans l’affaire
358.
359.
360.
Voir par exemple les décisions Cheung’s Bakery Products Ltd. c. Saint Anna
Bakery Ltd., (1992) 46 C.P.R. (3d) 261 (C.O.M.C.), M. Herzig [appel au dossier
T-217-93 des dossiers de la Cour fédérale devenu sans objet suite à un règlement
entre les parties] et Saint Anna Bakery Ltd. c. Cheung’s Bakery Products Ltd.,
(1996) 70 C.P.R. (3d) 241 (C.O.M.C.), D.J. Martin, où le registraire a considéré
dans l’un et l’autre cas que la présence de l’élément « Saint » parmi d’autres éléments dans la marque de commerce graphique SAINT ANNA BAKERY LTD.
renforçait la distinctivité inhérente de celle-ci ; voir également les motifs du juge
Henry, de la Cour suprême, dans l’arrêt Barsalou c. Darling, (1882) 9 R.C.S. 677,
à la page 693, au sujet de l’exemple d’une marque qui contiendrait la représentation d’une église.
Au sujet de marques composées du seul mot « God », il est intéressant de noter
qu’une demande d’enregistrement 1,354,642 du 5 juillet 2007 pour une marque
graphique GOD en liaison avec des bijoux, présentement en instance à l’Office
de la propriété intellectuelle du Canada, fait l’objet d’un rapport d’examen du
30 janvier 2008 qui indique que la marque en question en est une dont l’adoption
est interdite par l’alinéa 9(1)j) de la Loi sur les marques de commerce ; pourtant,
une demande 1,152,948 antérieurement produite le 17 septembre 2002 pour une
marque nominale GOD en liaison avec une boîte de nuit a été abandonnée suite à
un rapport d’examen qui ne soulevait toutefois aucune objection de cette nature.
On constate donc que même à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada,
les circonstances qui pourraient justifier une objection en vertu de l’alinéa 9(1)j)
de la Loi donnent lieu à des appréciations différentes, selon l’examinateur au
dossier.
Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc., (1992) 44 C.P.R. (3d) 59 (C.A.F.)
[demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée : 47
C.P.R. (3d) v].
454
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ridout & Maybee c. Zimmermann-Graeff & Muller GmbH & Co.361,
suite à des procédures initiées en vertu de l’article 45 de la Loi, le
propriétaire en cause devait démontrer l’emploi de la marque graphique suivante (qui référait à un évêque) pour certains types de
vins :
Dans la preuve d’emploi produite, on retrouvait les deux étiquettes suivantes (mais aucune preuve montrant une étiquette
reprenant la marque sous sa forme enregistrée) :
Le registraire a décidé que l’étiquette de droite était une
marque entièrement différente de celle enregistrée et n’était donc
pas utile pour démontrer l’emploi de la marque enregistrée ; cependant, l’étiquette de gauche a été considérée comme une preuve
d’emploi de la marque reproduite au registre car en dépit des différences, le registraire a jugé que la marque enregistrée et cette
361.
Ridout & Maybee c. Zimmermann-Graeff & Muller GmbH & Co., (2004) 38
C.P.R. (4th) 471 (Div. Art. 45), D. Savard.
Entre sacré et profane
455
étiquette de gauche présentaient les mêmes caractéristiques dominantes. Cet exemple illustre bien l’obligation qu’a le propriétaire
d’une marque enregistrée – qui contient un mot ou une image à
connotation religieuse – de toujours employer celle-ci sous sa forme
enregistrée ou encore sous une forme qui reprend les mêmes caractéristiques dominantes de la marque enregistrée ; en effet, le monopole
octroyé en vertu de l’article 19 de la Loi pour une marque qui
contient un mot (ou une image) à connotation religieuse ne couvre
pas obligatoirement toutes les variantes d’emploi qui reprennent le
même mot (ou la même image). Cette règle générale ne vise toutefois
pas seulement les marques à connotation religieuse mais bien toutes
les marques enregistrées.
Cependant, dans le cas particulier d’une marque qui contient
un mot ou une image à connotation religieuse et qui fait l’objet d’un
enregistrement, le monopole ainsi octroyé vise la représentation
exacte de la marque, prise comme un tout (ou une marque qui en
reproduit les mêmes caractéristiques dominantes) en liaison avec les
produits ou services spécifiques mentionnés à l’enregistrement ; le
monopole ne vise toutefois pas la seule composante qui est un mot ou
une image à connotation religieuse (lorsque cette composante est
isolée) que d’autres peuvent également employer avec leurs produits
ou services respectifs, suivant les circonstances que nous avons examinées. Si une partie plaide qu’un de ces autres emplois cause de la
confusion, il faudra alors examiner, entre autres, le caractère distinctif (inhérent et acquis) des marques en cause, comme nous
l’avons indiqué.
4. CONCLUSION
Les convictions religieuses sont parmi celles les plus intimes362.
Elles permettent à l’individu de communiquer avec l’objet de sa foi363
et, selon la tradition religieuse concernée, elles façonnent sous divers
aspects les liens avec autrui364. Parmi les liens qu’ont les organisa362.
363.
364.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 52.
Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 39.
Voir à titre d’exemples illustratifs seulement quelques aspects des enseignements ou pratiques de certaines traditions religieuses :
• Dictionnaire du Judaïsme (Paris, Encyclopaedia Universalis et Albin Michel,
1998), page 775, en ce qui concerne la prière communautaire dans la tradition
juive ;
• Jean-Paul II, homélie lors de la béatification de Pedro Tarrés i Claret
(1905-1950), Alberto Marvelli (1918-1946) et Pina Suriano (1915-1950),
Vallée de Montorso (Italie), le 5 septembre 2004, L’Osservatore Romano, no 36
456
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tions religieuses avec les tiers ou encore avec l’État, on retrouve ceux
résultant de droits réclamés sur des marques de commerce, un sujet
peu étudié mais dont les effets sont pourtant bien réels.
De ce pan particulier de la jurisprudence qui a été examiné,
retenons cette mise en garde : le droit des marques de commerce ne
devrait pas être utilisé pour limiter d’une façon ou d’une autre le
droit d’autrui à la liberté religieuse. Plus précisément, les droits sur
une « marque » ne devraient pas être utilisés pour limiter l’emploi
d’un mot ou d’un symbole qui est significatif pour un groupe religieux
et qui devrait ainsi demeurer disponible pour les membres de ce
groupe ainsi que pour la société en général. Les monopoles qui peuvent tout de même être octroyés sur de tels mots ou symboles doivent
donc être interprétés restrictivement.
Ceci dit, il est toutefois clair que les organisations religieuses
peuvent réclamer la même protection pour leurs marques de commerce que les organisations purement commerciales. Elles ont donc
la liberté de prendre les mesures qui s’imposent afin d’éliminer toute
probabilité de confusion lorsqu’il s’agit de défendre cet aspect de leur
patrimoine. Dans ce cas, les organisations religieuses doivent prouver que leurs marques de commerce respectives sont distinctives et
peuvent identifier la source de leurs produits ou services.
Dans l’affaire Krishan Jit Sidhu c. Maharishi International
Trade Marks Corporation365, le registraire devait analyser le caractère distinctif de la marque de certification TRANSCENDENTAL
MEDITATION. Dans ses motifs, il a pris note d’un argument (par
ailleurs non mentionné dans les procédures) d’une partie au sujet de
l’expression « transcendental meditation ». D’une part, l’opposante
soulignait que cette dernière expression était un énoncé sacré qui ne
devait pas faire l’objet d’une appropriation exclusive ; par contre, la
365.
(2845), 7 septembre 2004, page 3, par. 8, en ce qui concerne la vie communautaire dans la tradition chrétienne ;
• Human Rights and the World’s Major Religions, vol. 3 : The Islamic Tradition,
William H. Brackney, Series Editor (Westport, Praeger Perspectives, 2005),
page 133, en ce qui concerne certaines perspectives humanistes dans la tradition musulmane ;
• « Bouddhisme » dans Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française de Paul Robert, 2e éd.,
Tome II (Montréal, Les Dictionnaires Robert – Canada S.C.C., 1988), page 99,
en ce qui concerne la compassion dans la tradition bouddhique.
Krishan Jit Sidhu c. Maharishi International Trade Marks Corporation, (1983)
74 C.P.R. (2d) 250 (C.O.M.C.), D.J. Martin.
Entre sacré et profane
457
même partie semblait réclamer des droits exclusifs sur les mots
« Transcendental Meditation Centre ». Cette situation illustre donc
bien la tension qui existe à l’intersection d’univers répondant à des
règles très différentes.
Tel mot est-il sacré ? Peut-il faire l’objet d’une appropriation
exclusive ? Le défi pour toute instance décisionnelle est sans doute
d’établir la juste frontière pour la reconnaissance des droits de chacun dans ce domaine particulier. Le décideur appelé à trancher un
cas mettant en cause une marque qui contient des mots ou des images à connotation religieuse se souviendra toutefois de cette assurance du livre des Proverbes : « [C]elui qui sème la justice a une
récompense sûre366 ».
366.
Prov 11, 18 ; Votre Bible (Paris, Apostolat des Éditions, 1972), page 877.
Vol. 20, no 2
Les œuvres « immorales ou
licencieuses, séditieuses
ou entachées de trahison »
et le droit d’auteur canadien
Mistrale Goudreau*
Concernant les œuvres allant à l’encontre de l’ordre public, le
législateur avait bien au départ indiqué son choix dans la première
loi sur le droit d’auteur au Canada : « aucun livre immoral ou licencieux, séditieux ou entaché de trahison ou autre semblable œuvre littéraire, scientifique ou artistique ne pourra être enregistré ou
former l’objet d’un droit de propriété [littéraire ou artistique] »1.
Mais la clarté de la solution législative n’allait pas durer ; le législateur abolit l’exclusion en 19212. Depuis, les juristes se sont interrogés sur la signification de cette abolition. Fallait-il croire que ces
œuvres immorales ou licencieuses, séditieuses ou entachées de trahison, bref ces œuvres qui contreviennent à l’ordre public, bénéficiaient pleinement de la protection de la Loi sur le droit d’auteur3 ou
qu’au contraire, irrémédiablement entachées par leur violation des
valeurs fondamentales de la société, elles ne méritaient plus le soutien du législateur4 ? Par ailleurs, l’ordre public doit-il prohiber toute
© Mistrale Goudreau, 2008.
* Professeure agrégée, Section de droit civil, Université d’Ottawa.
1. Acte concernant la propriété littéraire et artistique, L.C. 1868, c. 54, art. 3. Lors des
codifications, les articles correspondants contiennent des prescriptions semblables, voir S.C. 1886, ch. 62 , art. 5(2) et S.C. 1906, ch. 70, art. 7.
2. Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, 11-12 Geo. V, c. 24, art. 48.
3. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42.
4. Robert G. Howell, « Copyright and Obscenity : Should Copyright Regulate Content ? », (1994) 8 I.P.J. 139, à la p. 151.
459
460
Les Cahiers de propriété intellectuelle
représentation obscène ou toute réflexion questionnant l’autorité
établie ?
Mais en vérité, l’ordre public ne demande pas que l’on pose la
question en termes si radicaux. L’ordre public n’intervient que dans
la mesure nécessaire pour préserver ces règles essentielles au « bon
fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité »5,
« établies pour sauvegarder des intérêts, même particuliers, considérés comme essentiels à la paix et à la prospérité du groupe ... »6, « the
purpose of which is to protect and promote the basic values of the
community »7. Il utilise toute une panoplie de moyens pour y parvenir : on pense bien sûr aux interdictions du droit criminel, et en droit
privé, à la nullité des contrats qui violent l’ordre public, mais il y a
aussi les fins de non-recevoir ou l’application de la doctrine des
« clean hands »8, ou de l’adage « nemo auditur »9. Nul n’est besoin de
prendre une position de principe, interdire toute représentation ou
œuvre offensante, ou encore rendre inapplicable in toto la Loi sur le
droit d’auteur10 à ces œuvres ; il suffit d’ajuster selon les faits de
l’affaire, par exemple en évaluant l’exploitation indue du thème
défendu ou en refusant au titulaire certaines prérogatives du droit
d’auteur.
Car le juge qui recourt à l’ordre public le fait avec parcimonie,
reconnaissant qu’une intervention trop grande de sa part est susceptible de déstabiliser l’ordre juridique11. Interdire la production et la
circulation du matériel jugé offensant restreint la liberté d’expression et peut priver l’auteur des moyens normalement réservés aux
5.
Philippe MALAURIE, L’ordre public et le contrat (Étude de droit civil comparé –
France, Angleterre, U.S.S.R.) (Reims, Matot-Braine, 1953), à la p. 69.
6. Marcel PLANIOL et Georges RIPERT, Traité pratique de droit civil français,
2e éd. (Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1952-1957), p. 226.
7. Voir la définition d’ordre public « public order », du Quebec Research Centre of
Private and Comparative Law, The Private Law Dictionary, 2 éd. (Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 1991), p. 148.
8. Robert HOWELL, loc. cit., note 4, à la p. 154 questionne l’application de cette doctrine aux actions en contrefaçon d’œuvres obscènes, la jugeant applicable seulement aux actes frauduleux.
9. Philippe MALAURIE, op. cit., note 5, aux pp. 208 et s. Les sanctions de l’ordre
public sont aussi multiples en droit québécois, voir M. CUMYN, « Les sanctions
des lois d’ordre public touchant à la justice contractuelle : leur finalités, leur efficacité », (2007) 41 Revue juridique Thémis 1.
10. Supra, note 3.
11. Voir Re Millar Estate, [1938] R.C.S. 1, à la p. 5, où le juge Duff rappelle les propos
du juge Alderson, dans l’affaire Egerton c. Brownlow et al., (1853) 4 H.L. Cas. 1, à
la p. 106 : laisser le juge déterminer librement ce qui est mieux pour le bien public
« would altogether destroy the sound and true distinction between judicial and
legislative functions ».
Les œuvres « immorales ou licencieuses »
461
autres créateurs. Les juges feront preuve de réserve, notamment
lorsqu’ils détermineront ce qu’est une œuvre obscène et lorsqu’ils
sanctionneront la violation des droits d’auteur sur une œuvre obscène ou séditieuse.
Définition de l’œuvre obscène : l’obscénité et la défense du
mérite artistique
Dans la section sur les « infractions tendant à corrompre les
mœurs »12, deux dispositions du Code criminel traitent des infractions liées au matériel pornographique et obscène : l’article 163 qui
porte sur la production, la distribution et la possession de matériel
obscène et l’article 163.1 qui traite de la production, de la distribution et de la possession de pornographie juvénile, ou de l’accès à un
tel matériel. Dans ces dispositions législatives, on crée des exceptions, notamment en faisant référence aux actes reliés aux arts. À
l’égard des infractions relatives à la pornographie juvénile, le législateur crée un moyen de défense fondé sur la valeur artistique. Le
paragraphe 163.1(6) prévoit que : « Nul ne peut être déclaré coupable
d’une infraction au présent article si les actes qui constitueraient
l’infraction ont un but légitime lié à l’administration de la justice, à
la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts et ne posent pas de
risque indu pour les personnes âgées de moins de dix-huit ans. ».
Ce moyen de défense n’est pas mentionné dans la disposition
sur les actes relatifs au matériel obscène. Cependant, dans les affaires Brodie13 et Butler14, la Cour suprême y a fait référence. La Cour
devait interpréter le paragraphe 163(8) du Code qui dispose que :
« [...] est réputée obscène toute publication dont une caractéristique
dominante est l’exploitation indue des choses sexuelles [...] ». Elle
estima que pour déterminer si l’exploitation des choses sexuelles
était indue, elle devait entre autres15 vérifier le critère des « besoins
12. Voir les articles 163 à 173 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, et le titre de
la section les concernant.
13. Brodie c. The Queen, [1962] R.C.S. 681.
14. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452.
15. À la suite de l’adoption du paragraphe 163(8), on ne suit plus le critère énoncé
dans l’arrêt R. c. Hicklin, (1868) L.R. 3 Q.B. 360. Le juge en chef Cockburn y avait
affirmé à la p. 371 : [TRADUCTION] « ... le critère de l’obscénité est celui de
savoir si l’objet qu’on prétend obscène a tendance à dépraver et à corrompre les
personnes susceptibles de subir ces influences immorales et d’avoir en leur possession une publication de ce genre ». Désormais la norme applicable en matière
de matériel obscène est « l’exploitation indue des choses sexuelles ». La Cour
suprême utilise trois critères appliqués d’une manière objective, pour établir ce
« caractère indu » : la « norme sociale de tolérance », le « traitement dégradant ou
déshumanisant » et les « besoins internes » de l’œuvre. Voir Brodie c. The Queen,
462
Les Cahiers de propriété intellectuelle
internes », c’est-à-dire le moyen de défense fondée sur la valeur artistique.
Elle explique ainsi son raisonnement :
Même le matériel qui contrevient en soi aux normes sociales ne
sera pas considéré comme « indu », s’il est requis pour traiter un
thème [artistique] sérieusement.16
Elle précise :
[traduction] [j]e ne crois [pas] qu’il y ait exploitation indue si on
ne met pas plus l’accent sur ce thème que ce qui est requis pour
traiter le thème d’un roman de façon sérieuse, honnête et
intègre. Je ne mets pas en doute que l’œuvre attaquée est un
ouvrage sérieux de fiction. Elle ne possède aucune des caractéristiques souvent décrites dans les décisions en matière
d’obscénité – l’obscénité pour l’obscénité, la concupiscence du
sensualiste, la dépravation dans l’esprit d’un auteur obsédé par
l’obscénité, la pornographie, l’appel à un intérêt lascif, etc.
L’article reconnaît qu’un auteur sérieux doit jouir d’une certaine liberté pour produire une œuvre ayant une valeur artistique et littéraire réelle et la qualité de cette œuvre, comme
l’ont souligné les témoins et comme l’indique le bon sens, doit
vraiment permettre d’établir non seulement une caractéristique dominante, mais également s’il y a exploitation indue.17
Mais comment reconnaître une exploitation indue des choses
sexuelles ? Pour le faire, dit la Cour, on tient compte par exemple de
« l’objectif artistique de l’auteur, la façon dont il a présenté l’histoire,
la représentation et l’interaction des personnages et la création des
[1962] R.C.S. 681, p. 704 à 706 ; Towne Cinema Theatres Ltd. c. La Reine, [1985] 1
R.C.S. 494 ; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 ; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120. On reconnaît trois
catégories de pornographie : « la représentation des choses sexuelles accompagnées de violence constitue presque toujours une exploitation indue des choses
sexuelles. Les choses sexuelles explicites qui constituent un traitement dégradant ou déshumanisant peuvent constituer une exploitation indue si le risque de
préjudice est important. Enfin, les choses sexuelles explicites qui ne comportent
pas de violence et qui ne sont ni dégradantes ni déshumanisantes sont généralement tolérées dans notre société et ne constituent pas une exploitation indue des
choses sexuelles, sauf si leur production comporte la participation d’enfants » : R.
c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 ; R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55 ; Little Sisters
Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120.
16. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 482.
17. Brodie c. The Queen, [1962] R.C.S. 681, p. 704,705, tel que cité dans R. c. Butler,
[1992] 1 R.C.S. 452, p. 482-483.
Les œuvres « immorales ou licencieuses »
463
effets visuels au moyen de jeux habiles de caméra [...], le témoignage
d’experts, le fait que le film a reçu la cote « Réservé aux adultes » et
qu’il ne peut ainsi être présenté aux personnes de moins de 18 ans, et
le fait que les organismes de censure de plusieurs provinces ont permis la présentation du film en question18 ». On examine aussi « si
l’exploitation des choses sexuelles joue un rôle justifiable dans le
développement de l’intrigue ou du thème et si, d’après l’ensemble de
l’œuvre, elle ne représente pas simplement de l’obscénité pour de
l’obscénité, mais joue un rôle légitime lorsqu’on l’évalue en fonction
des besoins internes de l’œuvre elle-même19 ». À partir de ces critères, on comprend que, pour les tribunaux, les œuvres dotées de
valeur artistique sont les œuvres qui sont exploitées dans le milieu
artistique (la Cour examine alors le mode de distribution de l’œuvre),
ou les œuvres dont les auteurs jouissent déjà du statut social
d’artiste20 (la Cour l’établit par les témoignages d’experts), ou encore
les œuvres qui correspondent à la norme sociale d’œuvre d’art (la
Cour examine la structure de l’œuvre). Les critères sont donc plutôt
objectifs, l’intention de l’auteur est prise en considération mais n’est
qu’un indice parmi beaucoup d’autres. La défense joue lorsque la
caractéristique déterminante du matériel en cause est l’expression
esthétique et représente ainsi une « tentative d’épanouissement personnel de la part de l’artiste21 », le tout jugé selon les normes sociales.
On peut noter ici que la valeur artistique exigée pour cette
défense à l’infraction est différente de celle nécessaire pour satisfaire
à la Loi sur le droit d’auteur22. En matière de droit d’auteur, une
œuvre, pour être protégée, ne demande pas un mérite artistique23, et
18. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 482 se référant à la décision R. c. Odeon Morton Theatres Ltd., (1974) 16 C.C.C. (2d) 185 (C.A. Manitoba).
19. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 483.
20. Ce fut une des critiques de la Cour suprême à l’égard de l’Agence de douanes qui,
pour juger de l’obscénité des œuvres, ne se renseignait pas sur la réputation de
l’auteur : Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, aux par. 184-185.
21. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 505.
22. Supra, note 3.
23. Même l’expression « œuvre artistique » employée dans la Loi sur le droit d’auteur
n’est utilisée qu’à titre de description générale des œuvres qui acquièrent un sens
par un moyen visuel et il n’est pas nécessaire d’évaluer le caractère « artistique »
de ces créations. Par conséquent, des étiquettes dans un système de classement
sont des œuvres artistiques : voir DRG Inc. c. Datafile Ltd., [1988] 2 C.F. 243
(C.F.P.I.), p. 253, conf. sur d’autres points (1991) 35 C.P.R. 243 (C.F.A.). Dans
l’affaire Cuisinaire c. South West Imports Ltd., [1968] 1 R.C.É. 493, p. 514, par.
69-71, conf. sur d’autres points [1969] R.C.S. 208, le tribunal a jugé que, pour
déterminer si une chose est une œuvre artistique, le mérite artistique est sans
importance, mais que l’objet doit, à tout le moins, faire appel à un sens
esthétique.
464
Les Cahiers de propriété intellectuelle
une œuvre littéraire n’a pas à appartenir à la littérature24. Au contraire, en matière d’obscénité et pornographie juvénile, la conception
sociale de l’artiste, de l’œuvre d’art, sera la norme applicable.
La Cour, dans l’affaire Sharpe25, s’éloignera un peu de cette
conception axée sur la reconnaissance sociale. La Cour, devant analyser le contenu du moyen de défense fondée sur la valeur artistique,
prévu au paragraphe 163.1(6), s’exprime ainsi :
[62] La première question est de savoir ce que vise le moyen de
défense. Il semble clair qu’il doit être établi de manière objective, étant donné que le législateur n’a pu vouloir que le simple
fait d’invoquer la valeur artistique constitue un moyen de
défense. Deux possibilités s’offrent donc. Premièrement, la
« valeur artistique » peut s’entendre de la qualité de l’œuvre
selon l’observateur objectif. Il n’est pas rare, dans la vie de tous
les jours, qu’on dise d’une œuvre d’art que, même si elle constitue véritablement de l’art, elle n’a aucune « valeur artistique »
ou en a très peu. Si l’expression « valeur artistique » est utilisée
dans ce sens, il incombe alors au tribunal d’évaluer la qualité de
l’œuvre d’art. L’étudiant qui fait l’apprentissage d’un art,
l’artiste inepte ou l’artiste qui rompt avec les conventions pour
établir un nouveau mode d’expression pourrait se faire dire que
son œuvre manque de « valeur artistique » et donc être incapable de se prévaloir du moyen de défense. En tenant pour
acquis que tel était le sens de l’expression « valeur artistique »,
on a fait valoir que le moyen de défense est trop restreint et
arbitraire pour protéger adéquatement l’expression artistique.
[63] Le deuxième sens qui peut être donné à l’expression
« valeur artistique » est « qui possède la qualité reconnue à
l’art » ou « qui participe de l’art ». Selon ce sens, tout créateur
d’art quel qu’il soit est protégé même si ses efforts produisent
une œuvre grossière ou immature selon l’observateur objectif.
Cette interprétation paraît davantage compatible avec l’intention du législateur, car on imagine difficilement qu’il a voulu
assujettir la responsabilité criminelle à la valeur de l’art de
l’accusé. Il serait discriminatoire et irrationnel de permettre à
24. Voir Ladbroke Ltd. c. William Hill, Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.), à la p. 472,
où la Chambre des Lords déclare, concernant un coupon de pari de football ;
« True it is that no award of literary taste or quality is involved that would give to
the coupon the award of literature as normally understood ; but [...] that cannot
be a decisive factor... ».
25. R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45.
Les œuvres « immorales ou licencieuses »
465
un bon artiste d’échapper à la responsabilité criminelle mais
d’incriminer un artiste plus marginal, moins talentueux ou
moins conformiste. Une telle interprétation irait à l’encontre de
la nécessité d’interpréter le moyen de défense d’une manière
large et libérale. Je conclus que les mots « valeur artistique »
doivent s’entendre de toute forme d’expression pouvant raisonnablement être considérée comme de l’art. Toute valeur artistique objectivement établie, si minime soit-elle, suffit à fonder
le moyen de défense. Tant qu’il produit de l’art, l’artiste ne
devrait tout simplement pas craindre d’être poursuivi en vertu
du par. 163.1(4).
[64] La question de savoir ce qui peut raisonnablement être
considéré comme de l’art est certes difficile et fait depuis toujours réfléchir les philosophes. Bien qu’il soit généralement
admis que l’« art » s’entend notamment de la production, selon
des principes esthétiques, d’œuvres émanant de l’imagination,
imitées ou originales (New Shorter Oxford English Dictionary
on Historical Principles (1993), vol. 1, p. 120), la question de
savoir si un dessin, un film ou un texte en particulier est de l’art
doit être tranchée par le juge du procès, compte tenu de toute
une gamme de facteurs. L’intention subjective du créateur sera
pertinente, mais probablement non concluante. La forme et la
teneur de l’œuvre peuvent permettre de déterminer s’il s’agit
d’art. Ses liens avec des conventions, traditions ou styles artistiques peuvent également être un facteur à considérer. L’avis
d’un expert sur le sujet peut être utile. D’autres facteurs comme
le mode de production, de présentation et de distribution peuvent aider à déterminer si l’écrit ou la représentation a une
valeur artistique. Il se peut qu’avec l’évolution de la jurisprudence l’identité des facteurs à considérer se précise.
La Cour se déclare donc prête à reconnaître la défense basée
sur la valeur artistique à l’auteur moins talentueux, à l’enfant qui
fait l’apprentissage d’un art, au novice qui produit des œuvres immatures, au créateur marginal qui rompt avec les normes artistiques.
Pourtant, la Cour, pour reconnaître la constitutionnalité de l’infraction de possession de pornographie juvénile, exclura, par le biais de
l’interprétation des infractions relatives à la pornographie, deux
applications problématiques : « (1) les écrits ou représentations que
l’accusé seul a créés et conserve exclusivement pour son usage personnel ; (2) les enregistrements visuels créés par l’accusé ou dans lesquels il est représenté, qui ne dépeignent aucune activité sexuelle
illégale et que l’accusé conserve exclusivement pour son usage per-
466
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sonnel26 ». Ces cas ne seraient pas couverts par les infractions du
Code criminel. Il y a donc des circonstances où celui qui dessine, écrit
ou photographie pour son usage personnel, crée du matériel sans
valeur artistique nécessitant que la Cour intervienne pour rendre les
infractions inapplicables à son endroit. Dans l’esprit de la Cour, il y
aurait une différence entre celui-là qui crée (pour son intérêt personnel), sans produire de l’art, et l’apprenti qui s’exerce, dont la création
est empreinte d’une valeur artistique, peut-être minime mais objectivement déterminable. La différence nous semble ténue dans la réalité. Néanmoins, munis des critères fournis par la Cour suprême, les
tribunaux ont jugé que certains vidéos ou photos étaient dépourvus
de mérite artistique27.
On voit donc ici que le législateur, par l’adoption du paragraphe
163.1(6), et la Cour, par la reconnaissance de la défense basée sur
la valeur artistique en matière d’obscénité, cherchent à préserver
l’expression artistique, qui est « au cœur des valeurs relatives à la
liberté d’expression [...], tout doute à cet égard [devant] être tranché
en faveur de la liberté d’expression28 ». Mais, la tentative, si louable
est-elle, nous semble problématique : ce n’est point, à notre avis, la
valeur artistique qui en fait accorde à l’œuvre un statut plus acceptable. C’est plutôt que dans son ensemble l’œuvre n’exploite pas
indûment les choses sexuelles, qu’elle ne vise pas à valoriser ou promouvoir le comportement violent, déshumanisant ou dégradant29,
26. R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, au par. 110. Ces exceptions ne s’appliqueront pas
si l’accusé a fait des menaces de divulguer les enregistrements vidéo : voir R. c.
Dabrowski, 2007 ONCA 619.
27. Voir par exemple R. c. L.W., (2006) 206 C.C.C. (3d) 543 (Ont. C.A.) où l’accusé
avait pris des photos de ses activités sexuelles avec une mineure puis, à la suite
de leur rupture, avait fait un simple collage des photos et l’avait transmis à des
tiers par courriel. La Cour déclare à la p. 545 : « there was no air of reality to any
possible defence of artistic merit, as there was nothing in the collage that could
reasonably be viewed as art » . Voir aussi R. c. Randy Price, [2004] B.C.J. 814 où
la Cour déclare au par. 84 : « I agree with the Crown that the Eleven Videos are
devoid of any artistic or literary purpose. There is no plot, it is an understatement
to describe the dialogue as marginal and the filming is at best amateur. ».
28. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 486.
29. La Cour suprême, dans de nombreux passages, donne une idée de ce qu’elle
estime être dégradant ou déshumanisant : « [D]ans R. c. Ramsingh, (1984), 14
C.C.C. (3d) 230 (B.R. Man.), le juge Ferg a expliqué en détail le genre de matériel
visé par cette description. Il mentionne, à la p. 239 : [traduction] Elles sont exploitées, représentées comme si elles désiraient retirer du plaisir de la douleur, en
étant humiliées et traitées seulement comme un objet de domination sexuelle
masculine, ou dans des scènes d’asservissement cruelles ou violentes. [...] le
matériel dégradant ou déshumanisant place des femmes (et parfois des hommes)
en état de subordination, de soumission avilissante ou d’humiliation. Il est contraire aux principes d’égalité et de dignité de tous les êtres humains » : R. c.
Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 478-479. « Le juge Shannon dans la décision R. c.
Les œuvres « immorales ou licencieuses »
467
même si elle dépeint des scènes obscènes ou présente des parties obscènes. On comprend mieux alors l’impératif donné par la Cour
suprême de lire l’œuvre dans son ensemble pour la déclarer obscène :
« Pour déterminer si une chose est obscène, il faut l’examiner au complet, en accordant une grande attention au contexte, au ton et à
l’objet. Une œuvre peut paraître obscène mais être en réalité une
satire ou critique politique mordante30 ». Tant que le message qui
ressort de l’ensemble de l’œuvre n’est pas de présenter sous un
aspect favorable, ou de préconiser des actes sexuels impliquant des
enfants, ou, pour reprendre les critères de la jurisprudence, des
scènes sexuelles accompagnées de violence ou qui sont déshumanisantes ou dégradantes31 et susceptibles de causer un préjudice32
Wagner, (1985), 43 C.R. (3d) 318 (B.R. Alb.), décrit plus justement le matériel
lorsqu’il fait observer, à la p. 331 : [traduction] Les femmes, en particulier, sont
privées d’une identité humaine unique et sont représentées comme des jouets
sexuels, qui répondent hystériquement et instantanément aux demandes de
faveurs sexuelles des hommes. Elles vénèrent les organes génitaux des hommes
et leur valeur personnelle dépend de l’apparence esthétique de leurs organes
génitaux et de leurs seins » : R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 500.
30. Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2
R.C.S. 1120, au par. 238.
31. Sur la notion de traitement dégradant et déshumanisant, voir notre note 29. La
Cour donne en exemple la représentation de pratiques sado-masochistes ; Little
Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2
R.C.S. 1120, au par. 60. Le caractère préjudiciable de ces pratiques est contesté,
ce qui amène des auteurs à estimer que la cour se rallie à une conception traditionnelle de la morale pour juger de l’obscénité : voir C.F. STYCHIN, Law’s
Desire : Sexuality and the Limits of Justice (London, Routledge, 1995), p. 71 à 75 ;
Becki L. ROSS « It’s Merely Designed for Sexual Arousal : Interrogating the Indefensibility of Lebian Smut » dans B. Cossman et al., Bad Attitude/s on Trial : Pornography, Feminism, and the Butler Decision (Toronto, University of Toronto
Press, 1997, 151), p. 153.
32. Pour expliquer ce préjudice, la Cour indique : « l’obscénité risque de causer un
préjudice social en ce qu’une partie importante de la population est humiliée par
les présentations grossièrement déformées qu’elle véhicule [...] si l’on veut parvenir à une véritable égalité entre les hommes et les femmes, on ne peut ignorer la
menace que présente pour l’égalité le fait d’exposer le public à certains types de
matériel violent et dégradant. Le matériel qui représente les femmes comme une
catégorie d’objets d’exploitation et d’abus sexuels a une incidence négative sur
[traduction] “la valorisation personnelle et l’acceptation de soi” » R. c. Butler,
[1992] 1 R.C.S. 452, p. 497 et 501. La Cour suprême fait entre autres référence au
Rapport sur la pornographie du Comité permanent de la justice et des affaires
juridiques (rapport MacGuigan) (1978), à la p. 18 :4 : « Le danger évident et incontestable de ce genre de matériel est qu’il encourage certaines tendances malsaines au sein de notre société canadienne. Il met l’accent sur les stéréotypes
masculins et féminins au détriment des deux sexes. La dégradation, l’humiliation, la soumission et à l’en croire, la violence dans les relations humaines
seraient tout à fait normales et acceptables. ». La Cour reconnaît toutefois qu’un
lien de causalité entre pornographie et perpétration de crimes violents n’a pas été
prouvé. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 493 et 501. Sur les difficultés de cerner
cette notion très floue de préjudice à la société, voir Arnie HERSCHORN, « Cau-
468
Les Cahiers de propriété intellectuelle
excédant les normes de tolérance de la société, l’objectif des dispositions législatives est respecté et là doivent s’arrêter les interdictions.
À notre avis, la valeur artistique n’est qu’un aspect secondaire de la
question33 et ne doit pas jouer de rôle dans l’évaluation des tribunaux, puisqu’il s’agit de protéger la liberté d’expression des citoyens,
présumément même de ceux sans talent34. Nous croyons qu’en fait la
défense de valeur artistique ne joue un rôle utile35 que parce que
l’État ou les tribunaux appliquent erronément le test de l’exploitation indue des choses sexuelles36, la défense pouvant alors protéger ceux dont la liberté ne devrait pas être brimée. Cependant ce
critère risque de conduire à une iniquité dans le traitement des
accusés de ces infractions.
Néanmoins, il faut noter l’attitude conciliante du législateur et
des tribunaux qui ont tenté d’harmoniser la protection du public
contre l’obscénité et la liberté artistique. Par contre, c’est sans surprise que nous n’avons trouvé aucun effort d’accommodement entre
liberté artistique et ouvrage séditieux. La sédition ou trahison et
autres infractions contre l’autorité et la personne de la reine sont des
infractions prévues au Code criminel37 et elles ne connaissent pas
d’exception pour les œuvres de valeur artistique. En règle générale,
elles requièrent la preuve d’une intention d’inciter à la violence, au
désordre public ou à la conduite illégale contre l’État38. Les articles
59(4) et 60 combinés précisent qu’est présumé avoir une intention
séditieuse, quiconque fait la promotion de la force pour opérer un
changement de gouvernement au Canada et ils nient l’intention
séditieuse de celui qui entend uniquement, de bonne foi, démontrer
que les autorités ont été induites en erreur ou se sont trompées,
33.
34.
35.
36.
37.
38.
sation of Harm and the Charter Guarantee of Freedom of Expression », (2003) 14
Nat’l J. Const. L. 217 ; Aleardo ZANGHELLINI, « Is Little Sisters Just Butler’s
Little Sister ? », (2004) 37 U.B.C. L. Rev. 407.
Certains ont même une opinion plus tranchée : « The inclusion of an artistic merit
defence for these two types of material was a blinding stupidity in the first
place. » Bruce RYDER, « The Harms of Child Pornography Law », (2003) 36
U.B.C. L. Rev. 101, au par 19.
Sinon on risque d’accorder un statut privilégié aux célébrités alors que les
auteurs moins fortunés sont traités avec plus de sévérité ; voir l’exemple du traitement privilégié du livre Sex de Madonna fourni par Becki L. ROSS, op. cit., note
31, p. 171-172.
Certains ont analysé les décisions de la Cour suprême comme affirmant que la
valeur artistique est inconciliable avec l’obscénité, rendant la défense en réalité
complètement stérile. Aleardo ZANGHELLINI, loc. cit., note 32, aux par. 112 à
118.
La cause Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120 en fournit un exemple probant.
Art. 46 et 59 du Code criminel, supra, note 12.
Boucher c. R., (1951) 99 C.C.C. 1 (C.S.C.).
Les œuvres « immorales ou licencieuses »
469
signaler des erreurs ou défectuosités des autorités ou amener, par
des moyens légaux, des modifications de quelque matière de gouvernement au Canada. Cela semble avoir suffi au législateur pour assurer une protection adéquate de la liberté de s’exprimer, celle-ci
n’étant permise que si le discours n’incite pas à la violence subversive. L’œuvre artistique, même du plus haut niveau, ne mérite plus
de défense si elle fait la promotion de l’emploi de la force contre
l’État.
Reste à voir comment l’ordre public envisage la protection des
droits des auteurs sur les œuvres contraires à l’ordre public. Là
encore, la réserve des juges s’observe, notamment lorsqu’ils doivent
déterminer les sanctions de la violation du droit d’auteur portant sur
des œuvres obscènes ou séditieuses.
La sanction de la violation du droit d’auteur sur les œuvres
obscènes ou séditieuses
Au Canada, la doctrine a déjà traité de la question39 : on cite
généralement les causes Pasickniak c. Dojacek40 et Aldrich c. One
Stop Video41 comme établissant que les œuvres obscènes sont protégées par le droit d’auteur bien que le juge puisse refuser certaines
sanctions de la violation du droit d’auteur en raison de la nature de
l’œuvre42. Cette solution a été approuvée, puisqu’elle est conforme à
une certaine jurisprudence de common law43 et parce que, comme
nous le verrons, l’ordre public ne demande pas de refuser entièrement les recours des titulaires de droit d’auteur.
Une violation du droit d’auteur donne généralement droit de
réclamer une injonction, des dommages-intérêts, une reddition de
compte ou une remise des exemplaires contrefaits et des planches
ayant servi à leur fabrication44. Comme le démontre l’affaire
Aldrich, plusieurs des revendications de l’auteur sont souvent parfaitement compatibles avec les impératifs de l’ordre public. En ce qui
concerne l’octroi de l’injonction, les deux objectifs du droit d’auteur et
de l’ordre public coïncident généralement : il s’agit dans les deux cas
d’arrêter la diffusion de l’œuvre contrefaisante et contraire à l’ordre
public. Le juge peut parfaitement rendre l’ordonnance.
39.
40.
41.
42.
R. HOWELL, loc. cit., note 4.
Pasickniak c. Dojacek, [1928] 2 D.L.R. 545.
Aldrich c. One Stop Video, (1987) 17 C.P.R. (3d) 27 (C.S. C.-B.).
La décision Aldrich a été suivie dans R. c. Ghnaim, (1988) 28 C.P.R. (3d) 463
(C. prov. Alberta), au par. 3. inf. en partie sur d’autres motifs 32 C.P.R. (3d) 487
(C.A. Alberta).
43. R. HOWELL, loc. cit., note 4, p. 147 à 151.
44. Art. 34 de la Loi sur le droit d’auteur, supra, note 3.
470
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Par contre, la demande de dommages-intérêts ou de reddition
de compte crée un conflit avec les principes d’ordre public : comme le
souligne la décision Aldrich, il ne peut y avoir de perte de gain si
la vente ou la location de l’œuvre était illégale45. En l’espèce, la
demande de dommages-intérêts fut refusée, faute de possibilité de
ventes légales d’exemplaires, et la reddition de compte fut aussi
refusée pour les mêmes raisons46. D’ailleurs, ces profits seraient des
produits de la criminalité dont le juge pourrait ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté lors de l’imposition de la peine à un
accusé reconnu coupable47.
La remise des exemplaires contrefaits et des planches qui ont
servi ou sont destinées à servir à la confection48 demande un examen
plus approfondi de la question. La possession de matériel obscène
n’est pas illégale en soi ; seule la possession aux fins de publication,
distribution, mise en circulation, vente ou exposition est une infraction49. En matière de pornographie juvénile, l’article 163.1 est plus
englobant mais nous l’avons vu, dans l’affaire Sharpe50 la Cour y a
inséré des droits légitimes de posséder à un usage personnel, des
photos ou dessins exécutés de la main de l’accusé. Selon que l’acte de
possession sera illégal ou non, le juge pourra remettre les exemplaires ou planches servant à la contrefaçon au titulaire du droit
d’auteur. Dans l’affaire Aldrich, la possession étant légale, le juge
ordonna, avec raison, à notre avis, la remise au demandeur de ces
objets51.
Mais si la question de l’œuvre obscène semble réglée, le cas des
œuvres séditieuses ou subversives nous semble plus incertain. C’est
que, contrairement aux œuvres obscènes, dont il vaut toujours mieux
restreindre la diffusion dans l’intérêt public, les œuvres qui jettent le
discrédit sur des figures d’autorités n’ont pas nécessairement avan45. Aldrich, supra, note 41, p. 61.
46. Aldrich, supra, note 41, p. 62.
47. Voir l’article 462.37(1) du Code criminel, supra, note 12 : « Sur demande du procureur général, le tribunal qui détermine la peine à infliger à un accusé coupable
d’une infraction désignée – ou absous en vertu de l’article 730 à l’égard de cette
infraction – est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article et
des articles 462.39 à 462.41, d’ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté
des biens dont il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils
constituent des produits de la criminalité obtenus en rapport avec cette infraction désignée ; l’ordonnance prévoit qu’il est disposé de ces biens selon les instructions du procureur général ou autrement en conformité avec la loi. ».
48. Art. 38 de la Loi sur le droit d’auteur, supra, note 3.
49. Art. 163(1) et 163(2) Code criminel, supra, note 12.
50. R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45.
51. Aldrich, supra, note 41, p. 62-63.
Les œuvres « immorales ou licencieuses »
471
tage à être censurées. Il peut être à l’avantage du public au contraire
de largement les diffuser. L’ordre public demande alors de reconnaître une défense d’intérêt public à l’action en contrefaçon.
La doctrine a identifié certains cas de jurisprudence où l’intérêt
public avait commandé de diffuser des œuvres à l’encontre de la
volonté des auteurs. Dans l’affaire Lion Laboratories Ltd. c. Evans52,
des employés d’un manufacturier d’alcootest utilisé par les forces
policières avaient remis à un journal des documents mettant en
doute l’exactitude des appareils, ce qui avait mené à une demande en
injonction interlocutoire pour bris de confiance et violation de droit
d’auteur. La Cour d’appel britannique refusa la demande en admettant une défense d’intérêt public, applicable tant en matière de droit
d’auteur que de bris de confiance. Dans d’autres décisions, les tribunaux anglais ont accepté l’existence de la défense d’intérêt public
bien que la jugeant inapplicable aux faits soumis53. Selon certains
juges, la défense est réservée aux circonstances les plus graves. Dans
l’affaire Beloff c. Pressdram Ltd.54, le juge Ungoed-Thomas indique
que seuls sont visés les « misdeeds of a serious nature and importance to the country », les « matters carried out or contemplated, in
breach of the country’s security, or in breach of law, including statutory duty, fraud, or otherwise destructive of the country or its people,
including matters medically dangerous to the public and doubtless
other misdeeds of similar gravity »55. Des tests moins sévères semblent avoir été acceptés dans d’autres affaires, mais n’ont pas été
approuvés par la suite56. Le principe de la défense d’intérêt public
52. [1985] Q.B. 526.
53. Voir entre autres Beloff c. Pressdram Ltd et al., [1973] 1 All E.R. 241 (Ch. D.) ;
Attorney General c. Guardian Newspapers (No. 2), [1990] 1 A.C. 109 (en obiter
aux p. 275H-276A) ; Express Newspapers c. News (UK), [1990] 3 All E.R. 376
(Ch.D.), p. 382 ; Hyde Park Residence Ltd. c. Yelland, [2001] Ch. 143 (C.A. (Angleterre)) ; Ashdown c. Telegraph Group Ltd., [2001] EWCA Civ 1142 ; [2002] Ch.
149 (C.A. (Angleterre)).
54. Beloff c. Pressdram Ltd. et al., [1973] 1 All E.R. 241 (Ch. D.).
55. Id., p. 260.
56. Dans l’affaire Lion Laboratories Ltd. c. Evans, [1985] Q.B. 526, la Cour d’appel
précise que l“[inquity] is merely an instance of just cause or excuse for breaking
confidence”. [voir p. 536 F] Il s’agit, selon elle, de trouver la juste balance entre le
droit du public d’être informé et le droit de garder des informations confidentielles (voir p. 536G-H). Selon la décision Hyde Park Residence Ltd. c. Yelland, [2001]
Ch. 143 (C.A. (Angleterre)), l’intérêt public serait plutôt restreint au cas où
l’œuvre est : “(i) immoral, scandalous or contrary to family life ; (ii) injurious to
public life, public health and safety or the administration of justice ; (iii) incites or
encourages others to act in a way referred to in (ii) (voir le par. 66). Ces catégories
n’ont pas été retenues dans la décision Ashdown c. Telegraph Group Ltd., [2001]
EWCA Civ 1142 ; [2002] Ch. 149 (CA (Angleterre)), au par. 58 : “we do not consider that Aldous L.J. was justified in circumscribing the public interest defence to
472
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sera aussi accepté au Canada par la Cour d’appel fédérale dans
l’affaire R. c. James Lorimer & Co., sans discussion de son étendue57.
On voit ici apparaître les faiblesses fondamentales de la
défense, dont deux nous semblent mériter d’être commentées. En
premier lieu, le droit d’auteur en principe ne protège pas les idées,
uniquement l’expression de ces idées dans l’œuvre, la façon dont
elles sont articulées, les différents moyens et formes par lesquels
elles sont communiquées58. Or, pour satisfaire les besoins de l’intérêt
public, il suffira souvent de divulguer l’information pertinente sans
utiliser le texte même de l’auteur, sa formulation ou son mode
d’expression59. L’ordre public ne commande pas alors de s’approprier
l’expression d’autrui. La reproduction ou la publication de l’œuvre
sera donc une contrefaçon même s’il était d’intérêt public de divulguer l’information ou les idées que l’œuvre contenait.
Cependant ce n’est pas toujours le cas : comme le souligne la
Cour d’appel britannique dans l’affaire Ashton60, en citant l’affaire
Fressoz et Roire du 21 janvier 199961, « [t]here will be occasions when
it is in the public interest not merely that information should be
57.
58.
59.
60.
61.
breach of copyright as tightly as he did. We prefer the conclusion of Mance L.J.
that the circumstances in which public interest may override copyright are not
capable of precise categorisation or definition.”. Sur l’incertitude ainsi créée sur
l’étendue de la défense, voir Phillip JOHNSON, « The Public Interest : Is It Still a
Defence to Copyright », (2005) 16-1 Ent. L.R. 1, p. 5-6.
R. c. James Lorimer & Co., [1984] 1 C.F. 1065 (C.A.F.), p. 1078. La Cour précise
que ce moyen de défense d’intérêt public reste ouvert « dans des circonstances
appropriées à l’encontre d’un droit d’auteur que l’État peut faire valoir ».
CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, au par.
8.
Pour l’exposé d’un argument semblable en matière de droit constitutionnel de
liberté d’expression, voir David FEWER. « Constitutionalizing Copyright : Freedom of Expression and the Limits of Copyright in Canada », (1997) 55 U.T. Fac. L.
Rev 175, au par. 102.
Ashdown c. Telegraph Group Ltd., [2001] EWCA Civ 1142.
CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c. France. Le directeur d’un journal, le
Canard enchaîné, et un journaliste, ont publié un article concernant le directeur
d’une entreprise qui venait de refuser d’augmenter les salaires de son personnel
et ils ont reproduit des extraits des feuilles d’impôt de celui-ci, montrant les fortes
augmentations de salaire qu’il avait reçues. Le directeur a porté plainte pour
détournements d’actes ou de titres par fonctionnaire public, violation du secret
professionnel, vol de documents et recel à la suite d’une infraction. La condamnation des défendeurs par la Cour d’appel de Paris valut à l’État français d’être
sanctionné par la Cour européenne des Droits de l’Homme qui estima qu’il avait
agi en violation de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de
l’Homme de 1950. La Cour a jugé qu’il fallait laisser « aux journalistes le soin de
décider s’il est nécessaire ou non de reproduire le support de leurs informations
pour en asseoir la crédibilité ».
Les œuvres « immorales ou licencieuses »
473
published, but that the public should be told the very words used by a
person, notwithstanding that the author enjoys copyright in them »,
mais la Cour reconnaît qu’il sera « very rare for the public interest
to justify the copying of the form of a work to which copyright
attaches62 ».
En second lieu, c’est le contenu incertain de l’ordre public qui
peut miner son efficacité. Si l’on convient certes avec les tribunaux
que l’ordre public ne doit jouer que rarement, il demeure cependant
qu’on peut s’étonner parfois du refus des juges de l’invoquer. Une des
œuvres qui montrent le mieux les mouvances de l’ordre public est
l’ouvrage Mein Kampf d’Adolf Hitler. Rédigé par celui-ci lors de son
emprisonnement en 1923 et 1924, le livre est en partie autobiographique et expose la doctrine raciale que Hitler a mise en place après
sa prise de pouvoir en Allemagne et qui mènera à la mort de millions
de personnes. L’ouvrage présente clairement la France comme une
nation à abattre – un extrait suffit à s’en convaincre : « C’est pour
cette raison que la France est, et reste, l’ennemi que nous avons le
plus à craindre. Ce peuple, qui tombe de plus en plus au niveau des
nègres, met sourdement en danger, par l’appui qu’il prête aux Juifs
pour atteindre leur but de domination universelle, l’existence de la
race blanche en Europe »63.
L’histoire prouve irréfutablement que la menace était sérieuse.
Or, si Mein Kampf était largement et gratuitement diffusé en Allemagne, l’autorisation de publier une traduction sur le territoire français était refusée64, ce qui poussa les Nouvelles éditions latines à
passer outre en publiant une traduction non autorisée en 193465.
Saisie d’une action par l’éditeur de Hitler, la première Chambre du
Tribunal de commerce de Paris, « se référant à la loi qui protège les
écrits de tout genre, sans prendre en considération la personne de
l’auteur ni la nature ni le caractère de la publication » interdira à
l’éditeur français de continuer à imprimer ou à vendre la traduction66. Une autre traduction d’extraits de l’ouvrage de Hitler, assor62. Ashdown c. Telegraph Group Ltd., [2001] EWCA Civ 1142, par 42 et 59.
63. A. HITLER, Mein Kampf Mon Combat (Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934),
p. 621.
64. Une version autorisée, mais tronquée, passant sous silence les passages les plus
inquiétants pour les Français, aurait été publiée en 1938 (Adolf HITLER, Ma
Doctrine, Arthème Fayard, Paris, 1938, tel que rapporté dans Wikipedia http://fr.
wikipedia.org/wiki/Mein_Kampf#_note-2 (dernière consultation 31 janv. 2008).
65. A. HITLER, supra, note 63.
66. Hitler et sa doctrine, Éditions de l’Ère nouvelle, Paris, 1934, p. 5. En fait, la doctrine estime que la défense d’intérêt public ne peut être soulevée dans le système
de droit civil, la notion d’abus de droit étant à même de limiter l’usage des droits
474
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ties de critiques, sera publiée quelque mois plus tard par les Éditons
de l’ère nouvelle67. En 1980, les Nouvelles éditions latines republieront leur traduction mais seront forcées par arrêt de la Cour d’appel
de Paris de joindre un texte de huit pages relatant les crimes du troisième Reich. Le contenu du texte sera adopté par les juges de la Cour
d’appel de Paris par décision du 30 janvier 198068. Que, à la suite de
la prise du pouvoir en Allemagne par Hitler, quelques années avant
l’invasion de la France par l’armée commandée par le Führer et
l’extermination systématique de plusieurs segments de la société, les
juges n’aient pas jugé bon de permettre au peuple français de
prendre connaissance, dans tous ses détails, de la doctrine raciale et
des desseins du dirigeant du pays voisin, montre bien la force toute
relative de l’ordre public judiciaire...
d’auteur. Alain STROWEL, Droit d’auteur et copyright : divergences et convergences : étude de droit comparé (Bruxelles, Établissements Émile Bruylant, 1993),
p. 270.
67. Hitler et sa doctrine, supra, note 66.
68. No JurisData : 1980-762147.
Vol. 20, no 2
Une interdiction de plus
d’un siècle : les droits des artistes,
interprètes et compagnies
de disques, du néant aux
« droits voisins », jusqu’aux
« droits d’auteur »
René Pepin*
INTRODUCTION
Le 18 décembre 2007, un projet de loi à caractère bipartisan et
bicaméral a été présenté au Congrès américain, de façon à y amender sa loi sur le droit d’auteur, le Copyright Act1. Son but est de
reconnaître, pour une première fois, un droit d’auteur aux musiciens
et interprètes. Au cours des décennies, le Congrès a examiné un
grand nombre de projets de loi en ce sens, mais aucun n’a été ultimement adopté2. Cette fois-ci est peut-être la bonne. Le projet est piloté
à la Chambre des représentants3 par les députés Howard Berman et
Darrell Issa, et au Sénat4 par Patrick Leahy et Orrin Hatch, tous
©
*
1.
2.
René Pepin, 2008.
Professeur, Faculté de droit, Université de Sherbrooke.
Codifié à 17 U.S.C.A. 101 et s.
Et ce, en dépit du fait que lors de la dernière grande révision de la loi, en 1976, il
avait été prévu (à l’article 114 (d)) que le Registraire des droits d’auteur fasse une
étude de la question. Il a effectivement recommandé la reconnaissance de droits
d’auteur pour les interprètes, mais cela est resté lettre morte.
3. H. R. 4789, 110th Congress, 1st Session. La loi est appelée Performance Rights Act.
4. Voir le projet S. 2500, du 18 décembre 2007. Il est identique au projet présenté à la
Chambre des représentants.
475
476
Les Cahiers de propriété intellectuelle
membres influents de comités sur la justice, les tribunaux, le réseau
Internet et les droits d’auteur.
Aux États-Unis, la loi sur le doit d’auteur reconnaît depuis
longtemps un droit d’auteur, dans le domaine de la musique, à la personne qui compose une pièce musicale, qu’on appelle compositeur, et
à celle qui compose des paroles qui l’accompagnent, appelée parolier.
Mais c’est tout. Pour plusieurs raisons que nous allons tenter
d’explorer, ni les musiciens qui prêtent leur talent pour donner vie à
la musique en feuilles, ni les chanteurs ou chanteuses, ni les compagnies de disques n’ont de droit d’auteur sur le fruit de leur labeur.
Les stations de radio qui font jouer des disques doivent acquitter des
droits d’auteur, gérés par des sociétés de gestion collective comme
ASCAP5. Mais ces sommes sont versées aux compositeurs et paroliers, et en pratique en bonne partie aux compagnies de disques, à
qui les droits d’enregistrement et de reproduction mécanique ont été
cédés. On peut illustrer cette situation par un exemple souvent utilisé en doctrine : quand les stations de radio font jouer la chanson
« White Christmas » dans le temps des Fêtes, les ayants droit d’Irwin
Berlin sont rémunérés pour les paroles et la musique qu’il a composées, mais les héritiers de Bing Crosby, qui a fait de cette chanson un
très grand succès commercial, ne reçoivent strictement rien !
C’est cela que le projet de loi veut changer, principalement en
modifiant les articles 106 et 114 de la loi. L’article 106 énumère les
droits exclusifs des détenteurs de droits d’auteur. Il mentionne celui
d’enregistrer une œuvre, de la reproduire dans un support qu’on
appellera en français des disques, et de les offrir en vente au public6.
Mais cela n’englobe pas l’exécution publique de l’œuvre musicale.
L’article 114 prévoit que le droit relatif aux exécutions publiques ne
se rapporte qu’aux œuvres transmises en format numérique7. Le
5. Pour: American Society of Composers, Authors and Publishers, fondée en 1914.
L’autre société de gestion collective d’importance est BMI (Broadcast Music Inc.),
fondée en 1940 à la suite d’une dispute entre ASCAP et l’industrie de la radiodiffusion. Pour en savoir davantage sur ce conflit qui fut très dur, voir R.L. BARD et L S.
KURLANTZICK, « A Public Performance Right in Recordings: How to Alter the
Copyright System Without Improving It », (1974) 43 Geo. Wash. L. Rev. 152,
p. 167-9.
6. La loi parle alors de « phonorecords » voir art 106: « [...] the owner of copyright [...]
has the exclusive rights: (1): to reproduce the copyrighted work in copies or phonorecords; [...] (3): to distribute copies or phonorecords [...] to the public ». Nous verrons que cette notion ne doit pas être confondue avec celle de « sound recording »,
qui est l’œuvre musicale elle-même, peu importe le support physique dans lequel
elle est incorporée.
7. L’article 114(c) confirme que rien dans la loi n’interdit qu’on se serve d’un tournedisques pour exécuter publiquement une œuvre, et le paragraphe (d)(1) prévoit que
Une interdiction de plus d’un siècle
477
député Howard Berman, lors de la présentation du projet de loi, a
expliqué que son but essentiel était de faire en sorte que les stations
de radio dites conventionnelles, qui utilisent les ondes hertziennes
pour distribuer des signaux en format analogique, soient aussi obligées de payer des droits pour les « artists, musicians and the sound
recording labels »8. Il s’agit d’accomplir une espèce de parité avec la
situation des compagnies de câble, ou celles qui gèrent des satellites,
ou qui distribuent de la musique par Internet, qui doivent payer des
droits d’auteur aux artistes-interprètes.
M. Berman a mentionné aussi que les États-Unis étaient l’un
des rares pays à ne pas reconnaître ce type de droit d’auteur9 et que
cela pénalisait doublement les principaux intéressés. En effet, beaucoup de traités prévoient des ententes de réciprocité. Vu que les
disques fabriqués à l’étranger qui sont joués aux États-Unis ne génèrent pas tout ce qui serait dû en matière de droit d’auteur, les artistes américains ne reçoivent pas d’indemnisation lorsque les disques
fabriqués dans leur pays sont vendus et joués à l’étranger.
Le projet de loi, enfin, d’après ses promoteurs, n’aurait pas à
être craint, car il n’aura qu’un impact limité. Il prévoit en effet que
les stations de radio qui ont des revenus bruts de moins de 1,25 million de dollars par an – et qui composent 77 % de l’ensemble – paieraient un montant fixe de 5 000 $ par an. Celles à caractère public
– comme celles qui sont exploitées par une institution d’enseignement – paieraient seulement 1 000 $ par an. Il y aurait aussi exonération complète pour la musique jouée à certains endroits, comme
aux lieux de culte, et les règles spécifiques qui existent présentement
pour les restaurants et bars ne seraient pas affectées.
Nous allons tenter, dans le présent texte, de mieux comprendre
les différences de traitement qu’on observe dans les diverses lois sur
le droit d’auteur aux États-Unis et au Canada, deux pays de tradition anglo-saxonne, entre les droits des compositeurs et paroliers et
ceux des interprètes et compagnies de disques. Nous allons chercher
les règles spéciales qu’il contient ne s’appliquent que pour une « digital audio transmission ». Notons que cette disposition n’existe que depuis 1995.
8. Le texte de cette présentation se trouve facilement à partir du site Internet personnel de Howard L. Berman, un représentant de l’État de Californie.
9. En effet, la Convention de Rome, traité adopté en 1961, auquel les États-Unis n’ont
toujours pas adhéré, prévoit que lorsqu’un « phonogramme » est utilisé aux fins
d’exécution publique à la radio, il doit être versé une rémunération équitable à l’artiste et au « producteur » du phonogramme. Voir Steven J. D’ONOFRIO, « In Support or Performance Rights in Sound Recordings », (1981) 29 U.C.L.A. Law Rev.
168, p. 177-8.
478
Les Cahiers de propriété intellectuelle
à voir si ces différences tiennent principalement à des accidents de
l’Histoire, ou si elles s’expliquent par la compréhension qu’on a eue,
au début du XXe siècle, de ce qui fait l’objet du droit d’auteur, et des
personnes qui peuvent en bénéficier. Nous allons aussi examiner,
mais de façon accessoire, la situation des compagnies de disques,
parce qu’elle a des éléments communs avec celle des artistes et interprètes.
Nos ambitions sont donc limitées. Nous ne traiterons pas de la
musique transmise par signal numérique. Et nous ne nous intéresserons qu’à la musique diffusée par les stations de radio. Car d’autres
règles s’appliquent lorsque, à la télévision, une pièce musicale est
incorporée dans un film10. Notre étude a donc ainsi un caractère
essentiellement historique. Il ne s’agit pas de déterminer si les artistes ou musiciens ont des droits d’auteur. On sait qu’ils n’en ont pas
encore en vertu de la loi américaine, et qu’ils en ont au Canada, mais
seulement depuis la réforme adoptée en 1997. Il s’agit de voir ce qui
peut expliquer ou justifier ce statut particulier.
Aux États-Unis
Lorsqu’on étudie l’histoire des diverses législations en matière
de droit d’auteur, il ressort assez clairement qu’il n’y a pas eu initialement de volonté arrêtée de la part du Congrès américain, qui a
la compétence législative en matière de propriété intellectuelle,
d’exclure les artistes-interprètes du champ visé par la loi sur le droit
d’auteur. Il suffit de remonter au XIXe siècle pour se trouver au
temps où n’existait aucune possibilité d’enregistrer une performance
musicale. À ce moment, seules pouvaient recevoir une protection de
la loi les personnes qui produisaient de la musique en feuilles, et celles qui composaient des paroles pour accompagner la pièce musicale.
On ne peut pas voir comment un musicien, ou un chanteur, aurait pu
recevoir une protection légale, puisque leur prestation, aussi excellente soit-elle, disparaissait dès la fin de leur performance. Même si
le Congrès l’avait voulu, il n’aurait pu leur reconnaître de droit
d’auteur. On sait qu’une des conditions absolument fondamentales
pour qu’une œuvre puisse être protégée légalement est qu’elle existe
de façon plus que fugace : elle doit être incorporée dans un support
10. Ainsi la loi canadienne (Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42, ci-après:
« la LDA ») prévoit à l’article 2, à la définition de l’expression « enregistrement
sonore » que: « est exclue de la présente définition la bande sonore d’une œuvre
cinématographique lorsqu’elle accompagne celle-ci ». De même, l’article 17 est à
l’effet que dès qu’un artiste-interprète accepte que sa prestation soit incorporée
dans un film, il perd les droits accordés à l’article 15.
Une interdiction de plus d’un siècle
479
matériel quelconque. De toute façon, en 1909, lors de l’adoption de la
première loi dite « moderne »11 en matière de droits d’auteur, personne ne pouvait prédire l’importance qu’allait acquérir la musique
enregistrée.
Ce n’est donc que lorsqu’il devint techniquement possible
d’enregistrer une pièce musicale qu’on a pu commencer à s’interroger sur le statut juridique des artistes-interprètes. Et très tôt des
intérêts économiques importants sont entrés en jeu, faisant en sorte
que seuls les compositeurs et les paroliers soient rémunérés.
Les personnes qui composent de la musique ou des paroles
n’ont jamais eu beaucoup de difficulté à obtenir une protection pour
le fruit de leurs efforts. C’est que leur travail s’exprime, traditionnellement, d’abord sous une forme manuscrite. Et les écrits ont été le
premier type d’œuvre à être protégé par les lois en matière de droit
d’auteur. On a aussi réalisé assez tôt, même si ce fut avec quelques
hésitations, que lorsqu’il y avait exécution publique de leur œuvre,
ils devaient également être rémunérés. Car c’était une façon de « produire » ou « reproduire » leur œuvre. Dans la pièce musicale jouée, on
retrouve en effet les paroles composées, de même que les notations
musicales initialement consignées sur des portées. On a trouvé normal qu’il en soit ainsi, de la même façon qu’on trouve correct que
l’auteur d’une pièce de théâtre soit rémunéré lorsqu’il vend des
exemplaires du texte de la pièce, et aussi chaque fois qu’elle est jouée
devant un public.
C’est à l’arrivée de la radio, dans les années ’20, que des questions juridiques plus délicates se sont posées. Initialement, les stations de radio n’ont pas payé de droits d’auteur. On rapporte que cela
était vu favorablement par les compositeurs, parce que cela pouvait
faire augmenter les ventes de musique en feuilles12. Mais les compositeurs ont assez vite réalisé tout le potentiel commercial de ce
nouveau médium, de sorte qu’ils ont créé une société de gestion collective, qui a commencé à réclamer des droits d’auteur aux stations
de radio, ce qui a amené les tribunaux à se pencher sur ces questions.
Dès 1917, la Cour suprême des États-Unis, dans l’affaire Shanley13,
11. On dit « moderne » parce qu’avant 1909 les appareils pouvant permettre de reproduire mécaniquement la musique, qu’il s’agisse de rouleaux pour pianos mécaniques, cylindres de cire ou autres, pouvaient être utilisés impunément. Voir,
surtout, White-Smith Music Publishing Co. v. Apollo inc., 28 S. Ct. 319 (1908).
12. Nous avons étudié cette problématique dans: « Le droit de faire jouer la radio en
public, ou la petite histoire d’une drôle d’exemption », (2002) 1 C.J.L.T. 51, p.
52-3.
13. Sherbert v. Shanley Co.. 37 S. Ct. 232.
480
Les Cahiers de propriété intellectuelle
avait jugé qu’un hôtel ou restaurant qui engage un orchestre pour
jouer de la musique se trouve à « exécuter publiquement » les œuvres
musicales. Les tribunaux ont cependant fait preuve d’hésitation lorsqu’il fut question de la position des stations de radio lorsqu’elles font
jouer des disques. Ainsi, en 1924 une cour de district de l’Ohio a jugé
dans l’affaire American Automobile Accessories qu’une station de
radio n’exécute ni ne représente une œuvre en public, puisqu’il n’y a
pas d’auditoire en studio lorsque le disque est joué14. Mais en appel,
l’année suivante, cette décision a été renversée15, de sorte qu’on
considère depuis ce temps qu’une exécution est faite « en public »
même si elle n’a pas lieu devant un grand nombre de personnes
assemblées dans un même endroit, et qu’une exécution peut être
faite « for profit » même si aucun prix d’entrée n’est exigé du public.
Les artistes de cette époque, musiciens ou chanteurs, ont également tenté de se faire reconnaître juridiquement des droits. Et ils
ont initialement connu quelques victoires. Ainsi, en 1937, dans
l’affaire Waring v. WDAS Broadcasting Station16, le plaignant était
un chef d’orchestre qui, après des débuts modestes, avait conclu avec
la compagnie Ford un contrat fort lucratif pour jouer des pièces à la
radio. Puis il conclut une entente avec une compagnie de disques, la
Victor Talking Machine Co.17, pour la confection d’un certain nombre
de disques. Mais il y avait une entente claire à l’effet que les disques
ne pouvaient être entendus à la radio. Sur chaque disque confectionné, il y avait une étiquette apposée qui se lisait « Not licensed for
radio broadcast ». Malgré cela, la station de radio défenderesse a
acheté en toute légalité un certain nombre de disques, a payé à
l’ASCAP les redevances applicables et a fait jouer les disques à la
radio. D’où la demande d’injonction de M. Waring.
La décision est intéressante pour notre propos mais, malheureusement, le juge Stern, qui a rendu la décision, a estimé que les
droits mis de l’avant par le plaignant n’étaient pas protégés par la loi
14. J.H. Remick v. American Automobile Accessories, 298 F. 628 (1924).
15. 5 F.2d 411 (1925). La demande d’en appeler à la Cour suprême a été refusée. Les
décisions qui ont suivi celle-ci ont porté sur la question de savoir si le public
lui-même, lorsqu’il écoute de la musique jouée à la radio, « exécute » ou « représente » l’œuvre si l’appareil est dans un endroit accessible au public, avec pour
conséquence qu’il aurait pu avoir à payer des redevances. La question a été
tranchée par la Cour suprême dans Buck v. Jewell-Lasalle Realty Co., 51 S. Ct.
410 (1931), où un hôtel reproduisait dans les chambres des clients, par un système de haut-parleurs, la musique diffusée à la radio.
16. 327 PA. 433, 194 A. 631. La décision est de la Supreme Court de Pennsylvanie.
17. Qui allait devenir la compagnie RCA Victor.
Une interdiction de plus d’un siècle
481
sur le droit d’auteur18. Restait à voir si la common law pouvait fournir le remède réclamé. Il a formulé ainsi les questions à trancher :
i) si le chef d’orchestre et ses musiciens ont un droit de propriété dans
leur interprétation artistique de l’œuvre ; ii) si oui, jusqu’à quel point
est-il possible de les faire valoir au moment de la « publication » de
l’œuvre ; et iii) peut-on dire que la station de radio a fait preuve de
concurrence déloyale ?
Sur le premier point, le juge a dit que cette question se posait
pour la première fois, car auparavant il n’existait rien qui puisse
conserver pour la postérité l’exécution publique d’une œuvre. Il s’est
montré très sensibilisé à la situation des interprètes, qui risquaient
de perdre rapidement leur gagne-pain avec l’invention de la musique
enregistrée. Leurs services risquaient d’être beaucoup moins requis !
Il a estimé, dans des propos qui feraient la joie des artistes-interprètes aujourd’hui, qu’ils atteignent souvent un niveau de talent qui
leur permet de réclamer des droits de propriété sur leur création19.
Sur la question de savoir si ces droits disparaissent au moment de la
publication, il répond par la négative. Il rappelle d’abord quel est le
sens du mot « publication » en droit d’auteur : c’est uniquement
lorsque des exemplaires d’une œuvre sont confectionnés et offerts en
vente au public qu’il y a publication. Ce qu’on appelle « communication éphémère d’une œuvre », comme la récitation publique d’un
texte non publié, n’est pas une publication20. Or, faire jouer un
disque à la radio ne constitue pas une « publication ». D’autre part,
les avis apposés sur les disques ne constituaient pas une restriction
au commerce au point d’aller contre l’ordre public21. Ici telle restriction sert une fin légitime. Sans elle, les artistes devraient exiger un
prix prohibitif avant d’accepter que leur exécution d’une œuvre
puisse être enregistrée et jouée à la radio, vu la perte considérable de
revenus par la suite. Sur la dernière question, le juge Stern a estimé
18. Supra, note 16, p. 437: « The property rights claimed by plaintiff are admittedly
not the subject of protection under existing copyright laws ». Et ce, en vertu du
grand principe en matière de droit d’auteur, venant du Statute of Anne, selon
lequel on ne peut réclamer d’autres droits que ceux mentionnés dans la loi. Voir
l’article 89 de la loi canadienne.
19. Ibid., notamment aux pages 440-2. Il écrit notamment: « [...] the performer [...]
contributes by his interpretation something of novel intellectual or artistic value,
he has undoubtedly participated in the creation of a product in which he is entitled to a right of property [...] ».
20. On retrouve encore cette distinction dans la loi américaine à l’article 101, sous la
définition du mot « Publication », et dans notre droit à l’article 2.2 de la LDA. Elle
a été historiquement importante, car il fut un temps, comme on le voit un peu
dans l’arrêt étudié, où les droits des créateurs n’étaient pas les mêmes avant et
après la publication de leur œuvre.
21. Ibid., p. 447.
482
Les Cahiers de propriété intellectuelle
qu’il y avait concurrence déloyale. La station de radio ne s’était pas
procuré les disques de façon frauduleuse, mais elle s’était approprié
pour son propre profit le génie musical et artistique du plaignant et
de son orchestre. En effet, le demandeur et le défendeur sont en compétition l’un avec l’autre dans le domaine du divertissement du
public. Tous deux sont rémunérés par des commanditaires. Il était
inéquitable que la station de radio n’ait plus qu’à débourser le prix
d’achat des disques avant de se mettre à la recherche de commanditaires22.
Les artistes-interprètes ont aussi obtenu une victoire en 1939
dans l’affaire Whiteman23, du moins en première instance, devant
une cour de district de l’État de New-York. Les faits étaient très semblables à ceux de la décision que nous venons d’étudier. On peut
noter cependant cette précision : le contrat d’enregistrement de la
musique jouée par l’orchestre prévoyait spécifiquement que la compagnie RCA n’acquérait aucun droit de vendre les disques aux fins de
diffusion à la radio. Sur la première question, à savoir l’existence de
droits de propriété issus de la common law pour le chef et les membres de l’orchestre, la compagnie RCA en a admis tout de suite
l’existence. Mais elle a prétendu, ce qui était nouveau, qu’elle avait
elle-même des droits relatifs à l’enregistrement effectué. Cette prétention a été rejetée par le juge Leibell. À son avis, tout le travail
effectué par les ingénieurs du son et les techniciens de RCA a servi
seulement à enregistrer le plus fidèlement possible la « performance » de l’orchestre. Seuls l’orchestre et son chef accomplissaient
une œuvre protégée par la common law24. Le juge s’est ensuite
demandé si le fait pour une personne d’acheter un exemplaire d’un
disque l’aurait autorisée à le faire jouer à la radio, en supposant qu’il
n’y ait pas eu l’avis sur les disques de ne pas agir ainsi. Selon le tribunal, cela aurait été illégal, principalement pour des motifs de concurrence déloyale. Car agir ainsi permet de s’accaparer le fruit du
travail d’autrui, qui peut avoir une grande valeur économique, pour
un prix dérisoire25. Il était donc normal de considérer que l’acquéreur d’un disque ne pouvait l’utiliser que pour les fins voulues par les
artistes et la compagnie de disques : le faire jouer sur un phonographe, pour fins personnelles.
22. Ibid., p. 449 et s.
23. RCA Mfg. Co., Inc. v. Whiteman, 28 F. Supp. 787 (1939).
24. Ibid., p. 792. Le juge écrit notamment: « None of the efforts of RCA were directed
towards perfecting Whiteman’s artistic interpretation of the musical composition, but all were directed towards « capturing » completely for the matrix or master record his unique interpretations. ».
25. Ibid., p. 793.
Une interdiction de plus d’un siècle
483
La décision a malheureusement été renversée en appel, et ce
fut le début d’une longue débâcle pour les artistes impliqués dans ces
combats. Le juge Hand, qui rendit la décision de la Circuit Court of
Appeals26, a tout de suite bien cerné les questions à trancher : i) si le
chef d’orchestre, Whiteman, ou la compagnie de disques, RCA,
avaient des droits en vertu de la common law qui auraient été violés
par la diffusion à la radio de la pièce musicale ; ii) si les droits de Whiteman ont été réduits ou éteints par le contrat passé avec RCA ; iii) la
valeur juridique de l’avis sur les disques interdisant de les faire jouer
à la radio ; et iv) la question de la concurrence déloyale.
Sur la première question, le tribunal en est arrivé à une position contraire à celle du juge de première instance. Le juge Hand a
bien voulu admettre, sans en être convaincu, que le chef d’orchestre
et les musiciens avaient créé une œuvre qui mérite protection. Ce ne
serait probablement pas le cas cependant pour la compagnie de disques27. Mais, quoi qu’il en soit, tout droit de propriété issu de la common law cesserait lors de la vente d’exemplaires des disques, et l’avis
de restriction d’utilisation n’aurait plus de valeur juridique. Le motif
essentiel semble avoir été que le droit d’auteur, qu’il repose sur la loi
ou sur la common law, consiste seulement à donner le pouvoir
d’empêcher d’autres personnes de reproduire une œuvre28. Or, la
station de radio n’a rien fait de tel. À son avis lorsqu’il y a « publication » d’une œuvre, les droits en vertu de la common law s’éteignent.
Et par la « publication », l’auteur se trouve à perdre contrôle sur
l’utilisation de son œuvre, car tout acquéreur peut disposer à sa
guise de l’exemplaire acheté, sauf si un type d’utilisation est interdit
dans la loi. Or, la loi ne reconnaît pas de droits spécifiquement aux
artistes et interprètes29. Selon le juge Hand, une personne ne peut en
même temps perdre le monopole sur l’utilisation de son œuvre, parce
qu’on en vend des copies au public, et vouloir le préserver à d’autres
égards. Il reconnaît que la situation créée par la vente de disques et
leur diffusion à la radio va grandement affecter les artistes, au point
de vue économique, mais que si remède il y a, il faudrait le trouver
26. 114 F.2d. 86 (1940).
27. Ibid., p. 88, où il écrit: « [...] we shall assume it covers the performances of an
orchestra conductor, and- what is far more doubtful- the skill and art by which a
phonographic record maker makes possible the proper recording of those performances upon a disc. ».
28. Ibid: « Copyright in any form, whether statutory or at common-law, is a monopoly; it consists only in the power to prevent others from reproducing the copyrighted work. ».
29. Ibid., p. 89.
484
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dans une modification de la loi30. Enfin, le juge a également rejeté
l’argument relatif à la compétition déloyale. Car il n’y aurait pas de
grand principe juridique à l’effet que personne ne peut s’approprier
le travail d’autrui. En l’occurrence, comme Whiteman et RCA ne
bénéficient plus de droits de common law, il n’y a plus rien qui leur
permette de continuer à régenter quelles utilisations des disques le
public acquéreur peut faire.
Mais le coup fatal pour les artistes est venu de la loi. Le Congrès
avait adopté en 1890 une loi anti-monopoles, la Sherman Act. Après
la grande dépression, commencée en 1929, on se mit à craindre
encore davantage que des compagnies ou des syndicats adoptent des
pratiques qui entravent le commerce. C’est pourquoi on les combattit
par des lois, étatiques ou fédérales. Par exemple, une loi de Floride
de 1937 a interdit aux détenteurs de droits d’auteur dans le domaine
de la musique de former une association qui déterminerait le prix
des licences pour l’exécution publique des pièces musicales. Et les
stations de radio de cet État n’auraient pas à payer de droits d’auteur
dans le cas de pièces exploitées par une société de gestion collective.
Les tentatives des compositeurs ou artistes de s’attaquer à la validité
de ces lois a eu initialement un succès partiel31. Mais, en 1946, le
Congrès a adopté une loi, appelée Lea Act, qui a interdit toute grève,
et donc toute négociation collective sérieuse, qui aurait eu pour effet
de préserver les emplois existants dans le domaine de la radio, ou qui
aurait eu pour effet de restreindre l’utilisation des disques32.
Le Congrès a aussi adopté en 1971 une loi, la Sound Recording
Act33, qui interdit la reproduction illégale des pièces musicales. Mais
elle cherchait essentiellement à lutter contre la contrefaçon des
disques. Les compositeurs et paroliers recevaient une protection
additionnelle, cette fois sur l’œuvre musicale créée lors d’un enregistrement. Mais cela n’a pas changé la position des artistes ou inter30. Ibid: « Any relief which justice demands must be found in extending statutory
copyright to such works, not in recognizing perpetual monopolies, however limited their scope. ».
31. Voir, notamment, Buck v. Gibbs, Atty. Gen. Of Florida, 34 F. Supp. 510 (1940), et
Buck v. Gallagher, 36 F. Supp. 405 (1940).
32. 60 Stat. 89 (1946). La loi modifiait l’article 506 de la Federal Communications Act
de façon à ce qu’il se lise ainsi: « It shall be unlawful by the use of force or by use of
other means to coerce or attempt to coerce a licensee to employ any person in
excess of the number of employees needed by such licensee to perform actual services ». La problématique est bien expliquée dans le texte de S. D’ONOFRIO,
supra, note 9, pp. 179-81. La disposition en question est restée en vigueur
jusqu’en 1980.
33. Publ. L. no 92-140, 85 Stat. 391. La loi a donné lieu à la version moderne de l’article 102 du Copyright Act.
Une interdiction de plus d’un siècle
485
prètes. La position des compagnies de disques n’a pas été
fondamentalement modifiée non plus. Il est vrai qu’elles peuvent lutter contre le piratage de disques, parce qu’elles exercent souvent en
pratique les droits des créateurs, ici celui de reproduire les œuvres
musicales dans des « phonorecords ». Mais ce qui les aurait intéressées au plus haut point – la possibilité d’exiger des droits d’auteur
pour elles-mêmes lorsque les stations de radio font jouer des disques
– n’a pas été obtenu. Car, on l’a mentionné, l’article 106(4) de la loi
établit, à titre de droit exclusif, celui d’exécuter l’œuvre en public,
mais l’article 114 (c) est à l’effet que « This section does not limit
or impair the exclusive right to perform publicly, by means of a
phonorecord, any of the works specified by section 106(4) ».
On peut mentionner, pour terminer notre examen du droit
américain, qu’on ne doit pas être trop surpris de constater les réticences du Congrès vis-à-vis les prétentions des interprètes. Il a aussi
été très méfiant envers les compagnies de disques. Pendant des
décennies, il a cherché à limiter leurs pouvoirs, de peur qu’elles agissent en monopole à l’égard des disques qu’elles ont fabriqués. Ainsi,
on a mis tôt dans la loi une disposition34 inspirée du droit anglais et
qu’on a connue au Canada à l’ancien article 1935 de la LDA. Selon
cette disposition, dès que le créateur d’une œuvre musicale a accepté
qu’elle soit enregistrée sur disque, tout intéressé peut faire son
propre enregistrement de la pièce, en payant les redevances déterminées par les autorités gouvernementales. Les œuvres musicales font
donc l’objet de ce qu’on appelle une « licence obligatoire ».
Le Congrès a aussi incorporé dans la loi ce qu’on appelle communément la « first sale doctrine ». L’article 109 prévoit à ce sujet
que l’acquéreur d’un exemplaire d’un disque peut en disposer à sa
guise. On voulait ainsi s’assurer que les compagnies de disques
seraient rémunérées une seule fois, lors de la vente des disques.
Elles ne peuvent exiger quoi que ce soit du propriétaire légitime du
disque, même s’il décide de l’écouter des dizaines de fois, ou de le prêter à un ami, ou de le donner. La seule limite est l’utilisation à des
fins commerciales36, comme la fabrication de copies additionnelles
du disque.
34. Cette réalité est bien expliquée dans le texte de BARD et KURLANTZICK, supra,
note 5, p. 162. La disposition législative pertinente se trouve maintenant à l’article 115 de la loi américaine.
35. On peut en lire le texte en consultant la refonte de 1970: Loi sur le droit d’auteur,
S.R.C. 1970, c. C-30.
36. Ce qui est prévu à l’article 109 (B)(1)(A). Et même là, il faut, pour agir légalement, obtenir la permission des détenteurs de droits d’auteur sur l’œuvre musicale, le « sound recording », pas de la compagnie de disques.
486
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Au Canada
On sait que le droit canadien est inspiré directement du droit
britannique. La première loi britannique sur le sujet, le Statute of
Anne37 de 1910, protégeait les œuvres musicales et les écrits, qu’il
s’agisse de romans, poèmes, théâtre, sous leur forme imprimée. Mais
les auteurs, en permettant cette forme de publication, perdaient tout
droit en vertu de la common law d’empêcher leur exécution publique
sans leur consentement38. La loi ne protégeait donc que la reproduction de l’œuvre sous la forme graphique. La première loi protégeant
l’exécution publique des œuvres fut la Dramatic Copyright Act,
adoptée en 1833, visant les œuvres dramatiques. L’exécution
publique des œuvres musicales fut protégée en 1842 par la Literary
Copyright Act39. Ce sont ces lois qui se sont appliquées au Canada
jusqu’à l’adoption de la première loi d’inspiration canadienne en
192140, entrée en vigueur en 1924. Cette loi, on le devine, ne traite
pas du tout de droits des exécutants. Elle prévoit le droit exclusif des
créateurs quant à la multiplication des exemplaires de leurs œuvres,
et de confectionner « toute empreinte, rouleau perforé [...] ou autres
organes à l’aide desquels l’œuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement41 ». Comme aux États-Unis, la
notion d’exécution publique d’une œuvre a amené sa part d’hésitations en jurisprudence, car on s’est demandé si le fait pour le public
d’écouter dans l’intimité du foyer une œuvre jouée à la radio constituait une exécution « publique »42.
L’étude du droit canadien nous convainc assez rapidement que
les hésitations que nous avons identifiées en droit américain sur la
reconnaissance de droits aux artistes-interprètes ont été essentiellement les mêmes43. Le Canada a aussi connu une période où la question de la reconnaissance de leurs droits ne se posait pas, tant qu’il
ne fut pas techniquement possible d’enregistrer une œuvre. Dans ce
cas, la prestation de l’artiste, aussi excellente soit-elle, disparaissait
37. 8 Ann. c. 19 (1710), article 1: « [...] the author of any book [...] that shall hereafter
be composed [...] shall have the sole liberty of printing and reprinting such book
and books for the term of fourteen years [...] ».
38. H. FOX, Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2e éd. (Toronto,
Carswell, 1967), p. 146.
39. Ibid.
40. Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, 11-12 Geo. V, ch. 24.
41. Voir art. 3(1) et 3(1)(d).
42. Voir, notamment, Canadian P.R.O. c. Ford Hotel, [1935] C.S. 18.
43. Pour une étude globale du droit canadien, voir P. DUSSAULT, L’interprète et le
droit d’auteur: simple interprète ou auteur de droit (Mémoire de maîtrise, U. de
Montréal, 1988).
Une interdiction de plus d’un siècle
487
à jamais une fois l’exécution terminée. Il manquait donc une des
conditions essentielles pour la reconnaissance d’une œuvre au sens
de la loi, soit l’existence dans un support matériel. L’autre problématique, très longtemps débattue, était de savoir si l’apport d’un artiste
est suffisant pour qu’on puisse le qualifier d’original, au sens de la
loi.
Jacques Boncompain, dont la thèse de doctorat a été publiée en
197144, en fait état. À son avis, plusieurs personnes qui interviennent pour faire du manuscrit d’un auteur ou des partitions d’un
compositeur un produit fini offert en vente au consommateur, ne
méritent pas de se faire accorder de droit d’auteur. C’est que leur
apport est essentiellement technique. Ainsi par exemple, le studio
d’enregistrement qui fait tout en son pouvoir pour capter sur disque
toute la richesse du son produit par un orchestre, ne fait rien qui
puisse être qualifié d’apport « artistique »45. Son travail consiste à
capter le plus fidèlement possible les sons produits dans la salle de
concert ou le studio d’enregistrement. Boncompain est cependant
plus nuancé quand il s’agit du travail des musiciens, chanteurs, ou
acteurs. Il reconnaît que, dans plusieurs cas, c’est l’interprétation
d’un artiste en particulier qui fait qu’une œuvre connaîtra un très
grand succès commercial. Il admet alors que maintenant qu’existent
des techniques d’enregistrement de leur interprétation, « [...] l’interprète mérite de bénéficier d’un statut particulier afin que son apport
personnel ne soit pas utilisé au détriment de ses intérêts d’ordre
moral ou matériel46 ». Mais il ne se prononce pas à savoir si ce « statut particulier » mérite qu’on lui reconnaisse un droit d’auteur dans
le plein sens du terme, c’est-à-dire avec tous les droits exclusifs
énumérés à l’article 3 de la loi.
L’importance de l’apport des artistes a aussi été reconnue quelquefois en jurisprudence, mais ce fut surtout le cas aux États-Unis.
Par exemple, dans l’affaire Waring, dont nous avons traité47, la
Supreme Court de Pennsylvanie a reconnu que si un artiste est
capable de prendre de la musique en feuilles et de lui « donner vie »
44. J. BONCOMPAIN, Le droit d’auteur au Canada. Étude critique (Ottawa, Le
cercle du livre de France, 1971).
45. Ibid., aux pp. 108 et s. Ainsi il écrit (p. 108): « L’auteur est un créateur. [...] Rien
de tel chez les intermédiaires, dont l’apport est le fruit d’une utilisation de la technique ou de connaissances commerciales. ». On peut voir qu’il en est ainsi pour
l’éditeur. Les choix relatifs à la mise en pages, à la taille des caractères, ou à d’autres questions techniques semblables ne peuvent convaincre qu’il y a eu apport
suffisamment original.
46. Ibid., p. 123.
47. Supra, note 16.
488
Les Cahiers de propriété intellectuelle
en quelque sorte, il la transforme grâce à son talent, qui résulte d’un
effort intellectuel certain. De même, dans la décision Whiteman48, le
tribunal a parlé de la « contribution artistique » du chef d’orchestre et
de la compagnie de disques. Mais on doit dire que dans de tels cas, les
tribunaux ont reconnu aux artistes un droit de la nature du droit de
propriété sur leur œuvre, non un véritable droit d’auteur. Ce qui leur
permet à tout le moins d’éviter que leur performance soit reproduite
sans leur consentement, ou soit utilisée à d’autres fins. Par exemple,
dans l’affaire Zacchini49, jugée par la Cour suprême des États-Unis,
un artiste de cirque faisait un numéro de « human cannonball »,
c’est-à-dire qu’il était propulsé par un canon à quelques dizaines de
mètres, pour atterrir dans un filet. Malgré l’interdiction de filmer sa
« performance », un journaliste d’une station de télévision l’a fait et
son numéro, qui durait au plus 20 secondes, a été diffusé plusieurs
fois en ondes. Le tribunal a donné raison à Zacchini, mais n’a jamais
abordé la question d’un possible droit d’auteur. Il a simplement
reconnu que toute personne a droit d’exploiter commercialement son
image comme elle le veut. C’est ce droit que le journaliste et son
employeur n’avaient pas respecté.
Au cours des ans, il y eut plusieurs comités ou organismes
gouvernementaux qui se sont penchés sur la question des droits
d’auteur et qui eurent l’occasion de se prononcer sur une éventuelle
reconnaissance de droit aux artistes et interprètes. Nous allons faire
un survol de ceux qui nous semblent les plus importants.
La commission Ilsley, qui fut une commission royale d’enquête,
a remis son rapport en 195750. Elle avait été créée principalement
pour faire des recommandations au gouvernement fédéral sur
l’opportunité de son adhésion à différents traités internationaux sur
le droit d’auteur. Il lui fallait déterminer si la loi canadienne fournissait un stimulant suffisant à la créativité des auteurs canadiens, si
les Canadiens avaient un accès adéquat aux œuvres, le tout évidem48. Supra, note 23.
49. Zacchini v. Scripps-Howard Broadcasting Co., 433 U.S. 562 (1977). Au Canada,
c’est par le biais du droit à la bonne réputation, à l’image et à la vie privée que les
tribunaux reconnaissent que chacun peut exploiter commercialement son image
à sa guise. Voir Deschamps c. Renault Canada Ltd., (1977) 18 C. de D. 937 et
Krouse c. Chrysler Canada Ltd., (1971) 25 D.L.R. (3d) 49. Le droit de chacun sur
son image serait de la nature du droit de propriété. Mais on voit que cela est bien
insuffisant pour fonder un droit relativement à l’enregistrement de l’interprétation d’une œuvre.
50. Commission royale sur les brevets, le droit d’auteur, les marques de commerce et
les dessins industriels: Rapport sur le droit d’auteur (Ottawa, Imprimeur de la
Reine, 1957).
Une interdiction de plus d’un siècle
489
ment dans le cadre de la notion d’intérêt public51. Nous n’avons pas à
scruter longuement le rapport de la commission, car elle n’a pas
abordé la question du statut des artistes et interprètes et ses recommandations n’ont reçu aucune suite directe. Notons tout de même
que, dans la partie du rapport sur les enregistrements sonores et les
radiodiffuseurs, elle a noté que la loi traite de la protection accordée
aux disques « comme s’ils étaient des œuvres musicales », et donc que
les compagnies de disques ne bénéficient pas de véritable droit
d’auteur sur leurs produits. Elle a souhaité que cette situation ne
soit pas modifiée52. Quant à la durée de la protection sur ces enregistrements, elle a étudié la possibilité qu’elle soit réduite. Elle a dit, au
sujet des artistes-interprètes, que le fait que les redevances cessent
avant 50 ans « n’empêchera probablement pas, un artiste musicien
de se produire53 ». En ce qui concerne l’intérêt public, elle a dit qu’il
serait avantageux que les enregistrements sonores soient soustraits
plus tôt aux paiements de redevances, puisque les disques connaîtraient une plus grande diffusion !
En 1971 le Conseil économique du Canada a remis un important rapport54. À la différence de la commission Isley, il a fait une
étude dont la portée était plus large. Il s’agissait de savoir si l’ensemble des lois fédérales qui ont une incidence économique devaient être
modifiées, vu les nombreux changements techniques, économiques
et sociaux survenus dans la dernière décennie. Il s’agissait de
conseiller le gouvernement fédéral afin qu’il adopte une politique
d’innovation et d’information. Le conseil a déposé trois rapports,
dont le dernier est consacré aux questions de propriété intellectuelle.
Selon le conseil, deux motifs importants justifiaient une nouvelle étude de ces questions. D’abord, plusieurs entraves au commerce international avaient été aplanies depuis la fin de la seconde
51. Ibid., p. 7. Cela est tiré de la formulation du mandat de la commission.
52. Elle a réalisé, avec une sorte de prescience, que les compagnies de disques pourraient s’appuyer sur les mots « comme s’ils étaient des œuvres » pour réclamer
des droits d’auteur quand les disques sont joués à la radio. Mais il aurait fallu
pour que ce droit soit exercé qu’interviennent des sociétés de gestion collective
pour accorder les permis et faire la chasse aux contrevenants. Comme aucune
demande d’approbation de tarif n’avait été faite, l’affaire est restée lettre morte.
On verra que lorsque les compagnies de disques ont voulu aller dans cette direction, la loi a été modifiée.
53. Ibid., p. 86. La commission traite du « droit de réglementer l’exécution publique
d’une émission radiodiffusée » (p. 32), mais traite alors seulement de ce qu’on
trouve au paragraphe 69(2) de la loi, c’est-à-dire l’obligation ou non de payer des
droits lorsqu’on fait jouer un poste de radio en public.
54. Rapport sur la propriété intellectuelle et industrielle (Ottawa, Information
Canada, 1971).
490
Les Cahiers de propriété intellectuelle
guerre mondiale. Il s’agissait alors de voir si notre Loi sur le droit
d’auteur constituait ou non une barrière non tarifaire importante à
ce commerce. D’autre part, la commission Ilsley avait produit son
rapport depuis une dizaine d’années, et aucune suite n’y avait été
donnée. Il y avait lieu de regarder les implications économiques pour
les années 70 des recommandations de la commission55.
En matière de droits d’auteur, le conseil n’a pas formulé de
recommandations très précises. Il voulait que ses études servent de
base à l’élaboration d’une politique à être formulée par d’autres organismes. Il a tout de même eu le mérite de faire prendre conscience
aux gouvernements que l’information a maintenant une importance
économique décisive. Ainsi le domaine du droit d’auteur ne devait
plus être considéré comme une spécialité ésotérique. Il doit faire
partie de la politique économique du Canada.
Quant à ses conclusions en matière de droits d’auteur, il a jugé
qu’il n’y avait pas lieu d’augmenter ou diminuer les droits accordés
par la loi aux créateurs. Comme il l’écrit : « [... ] nous ne recommandons aucune réduction notable du degré ni du genre de protection
offerte aux détenteurs de droits d’auteur canadiens mais d’autre
part, nous nous opposons fermement à tout accroissement sensible
de cette protection [...]56.
Le conseil s’est montré favorable à la création d’un droit d’auteur à l’égard des radiodiffuseurs, sur leurs propres émissions, ce
qui leur permettrait d’en autoriser l’enregistrement et la diffusion
future57. Mais il n’a pas souhaité de changement du statut des compagnies de câble. Les compagnies de disques n’ont pas trouvé grâce
non plus à ses yeux. Il écrit, à leur égard : « [...] quant au producteur
d’enregistrement, même si son personnel fait un précieux travail
véritablement « créateur », son commerce est la vente d’un objet
matériel, disque ou bande magnétique, et c’est de ce commerce qu’il
doit attendre sa rémunération 58 ».
En ce qui concerne les exécutants, leur demande de pouvoir
restreindre les utilisations ultérieures de tout enregistrement de
leur interprétation aurait une dimension qui touche leurs droits
55. Ibid., pp. 6-7.
56. Ibid., p. 153-4. Il y a eu cependant deux commissaires, liés au monde syndical, qui
se sont dissociés des conclusions principales.
57. Ibid., p. 168.
58. Ibid, p. 169.
Une interdiction de plus d’un siècle
491
moraux59, et une autre à caractère économique. Mais, dans l’un et
l’autre cas, le conseil conclut qu’une protection suffisante peut se
trouver dans les termes des contrats conclus entre les artistes et
interprètes et les premiers détenteurs des droits d’auteur, ou les cessionnaires60. Le conseil s’est dit sensible à leur sort, mais croit que
l’ajout de droits nouveaux n’aura pas nécessairement pour effet
d’améliorer leur situation économique. Exiger le consentement de
plus de personnes avant qu’une œuvre puisse être diffusée aura pour
effet « d’ajouter un nouvel élément de litige et de retard61 ». Et la diffusion ou l’exécution publique accrue des œuvres est souvent bénéfique aux interprètes, car des études ont montré que cela augmente
la vente des disques d’une chanson devenue très populaire.
Tout de suite après la publication du rapport du Conseil économique, le ministre de la Consommation et des Corporations a
annoncé la formation d’un groupe de planification dans le but de
l’étudier et de faire des recommandations en vue de modifications de
la loi62. Le rapport produit par Keyes et Brunet est intéressant quant
à la question qui nous intéresse, car ils y consacrent plusieurs pages.
Ils ont trouvé important de se pencher sur les œuvres qui, à ce
moment, n’étaient pas protégées par des conventions internationales, soit les enregistrements sonores, les émissions radiodiffusées et
les représentations par des exécutants63.
En ce qui concerne les disques, on sait que la question délicate
en ce domaine était de savoir si les compagnies de disques pouvaient
exiger des redevances lorsqu’ils sont joués en public et, surtout,
quand ils sont diffusés à la radio. Keyes et Brunet rappellent qu’elle
s’est réglée par voie législative au Canada, parce que le gouvernement a été forcé de prendre position. En effet la Performing Rights
Organisation a déposé en 1968 un état des droits qu’elle entendait
percevoir sur l’exécution au Canada d’enregistrements sonores. Elle
basait sa prétention sur la disposition de la loi prévoyant que : « [...]
le droit d’auteur existe pendant le temps ci-après mentionné, à
59. Il s’agirait alors du droit de contrôler l’utilisation de son image et de ses interprétations artistiques pour qu’elles conservent leur intégrité artistique, et se
protéger contre la possibilité d’être ridiculisés aux yeux du public. Voir S.
GLOBERMAN et M. ROTHMAN, Analyse économique du droit d’artiste-interprète (Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1981), p. 3.
60. Ibid., p. 171.
61. Ibid., p. 170.
62. L’aboutissement de ce travail est contenu dans le livre de KEYES et BRUNET: Le
droit d’auteur au Canada. Propositions pour la révision de la loi. (Ottawa, Consommation et Corporations Canada, 1977).
63. Ibid., p. 42.
492
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’égard des empreintes, rouleaux perforés et autres organes à l’aide
desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement, comme si
ces organes constituaient des œuvres musicales, littéraires ou dramatiques64 ». Le parlement a réagi en modifiant la loi en janvier
1971, principalement parce qu’il était convaincu que les droits additionnels à acquitter le seraient pour des disques non fabriqués au
Canada et mettant en vedette des artistes étrangers. À ce sujet,
Keyes et Brunet ont recommandé la reconnaissance d’un droit exclusif d’exécution en public et de radiodiffusion mais « à condition de
pouvoir démontrer de manière satisfaisante qu’il est possible de
créer des mécanismes pour exercer ces droits65 ». Dans ce cas, au
moins, on créerait un régime semblable à celui qui existe pour les
films, ce qui assure une meilleure rémunération pour ceux qui
possèdent des droits d’auteur sur le film.
Au sujet des artistes, interprètes ou autres exécutants, après
avoir rappelé les positions de la commission Isley et du Conseil économique du Canada, Keyes et Brunet ont examiné ce qu’il en était au
niveau international. La protection éventuelle de leurs droits a été
étudiée la première fois en 192866, lors d’une conférence tenue pour
réviser la Convention de Berne. Mais aucune disposition n’a été
adoptée à ce moment. En 1948, à Bruxelles, on proposa à nouveau
que leurs prestations soient de quelque façon protégées, mais sans
succès là aussi. On a tout de même reconnu que la question devait
être étudiée davantage, et que les droits recherchés n’étaient pas
identiques à ceux des créateurs dont on parle dans les lois sur le droit
d’auteur. Ce qui faisait que les conventions internationales ne les
visaient pas. Mais, au moins, on s’est intéressé à leur sort, et c’est à
partir de ce moment qu’on a commencé à employer l’expression
« droits voisins » pour décrire les droits qui pourraient leur être
reconnus. Une première convention internationale adoptée en 1961,
le Traité de Rome, a porté spécifiquement sur les droits des interprètes, des compagnies de disques, et des radiodiffuseurs. Il s’agit de
la Convention internationale sur la protection des artistes interprètes
ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes
de radiodiffusion. C’est dans ce traité qu’on trouve l’essentiel des
protections que notre loi accorde maintenant aux interprètes aux
articles 15(1) et 19(1). La première disposition donne à l’interprète le
droit de contrôler les enregistrements de sa prestation, et la seconde
prévoit le principe de la rémunération équitable pour toute exécution
64. Voir au paragraphe 4(3) dans la refonte de 1970 et à l’article 8 de la loi de 1921.
65. Supra, note 62, p. 96.
66. Ibid., p. 123.
Une interdiction de plus d’un siècle
493
publique et toute radiodiffusion de sa prestation qui a été fixée dans
un enregistrement sonore. Mais le chemin a été long à parcourir, car
le Canada n’y a adhéré qu’en juin 199867.
Keyes et Brunet se sont donc montrés globalement favorables
aux arguments avancés par les artistes et interprètes. Ceux-ci
auraient raison de dire que les contrats collectifs ou individuels qui
peuvent avoir été signés avec des compagnies de disques ne les protègent pas suffisamment contre des tiers qui auraient enregistré et
utilisé une prestation sans autorisation. Mais, de façon plus importante, ils avancent qu’à titre de créateurs, ils ont le droit de recevoir
des redevances chaque fois qu’est exécutée en public leur prestation,
que ce soit à la radio, à la télévision ou autrement68. Par contre, selon
les mêmes auteurs, « Le fait de prévoir un tel droit dans la loi sur le
droit d’auteur soulève toutefois des difficultés69 ». Les inconvénients
identifiés sont les suivants : une règle uniforme imposée par la loi au
sujet des redevances pourrait avoir un impact négatif sur les conventions collectives ou les contrats individuels alors en vigueur.
Certains compositeurs et paroliers craignent de plus que leurs
redevances soient réduites si des montants doivent être versés aux
artistes-interprètes. Et ceux qui auraient à verser des droits additionnels n’envisagent pas cette perspective comme quelque chose de
très positif. Ils auraient à assumer un coût additionnel pour un produit qui est exactement le même qu’auparavant.
Pour ces motifs, Keyes et Brunet ont recommandé que l’octroi
d’un droit sur les interprétations doit être « contrôlé avec soin »,
notamment en étant limité aux interprétations faites par des Canadiens70. Les droits exclusifs accordés par la loi seraient limités à trois
éléments : celui de faire un enregistrement d’une prestation, de
reproduire cet enregistrement, et celui de radiodiffuser et exécuter
en public une prestation. Le tout « Sous réserve que soient aplanies
les difficultés ayant trait à la viabilité de mécanismes collectifs, au
partage des recettes et à la multiplicité des licences [...]71 ». Il semble
bien que ces difficultés n’ont pu être aplanies, car il n’y a pas eu de
suite directe donnée à leurs recommandations relatives aux artistesinterprètes.
67. Voir J. S. McKEOWN, Fox Canadian Law of Copyrights and Industrial Designs
3e éd. (Toronto, Carswell, 2000), p. 761.
68. Supra, note 62, p. 124 et s.
69. Ibid., p. 126.
70. Ibid., p. 126-7.
71. Ibid., p. 127.
494
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Quelques années plus tard, en 1981, une autre étude à caractère économique du droit d’artiste-interprète a été produite pour le
compte de Consommation et Corporations Canada72. Elle conclut
que, malgré les recommandations de Keyes et Brunet, du strict point
de vue économique, il n’y a pas d’avantage marqué à ce que la loi leur
reconnaisse des droits spécifiques. On lit dans le sommaire que
« L’étude n’a pu établir de façon irréfutable qu’un droit d’artisteinterprète aurait des avantages sociaux significatifs ». En plus des
autres contraintes et désavantages que d’autres commissions
d’études ont signalés en cas de reconnaissance de droits additionnels, celle-ci a identifié que les artistes-interprètes forment trois
groupes bien distincts : D’abord, les grandes vedettes, qui ont un
poids économique suffisant pour imposer leurs conditions à chaque
fois qu’il est question d’enregistrer ou diffuser leurs prestations ;
ensuite, les artistes qui ont un emploi à plein temps et qui sont adéquatement protégés par leur contrat d’emploi ; enfin, les artistes à
temps partiel, et les jeunes qui tentent de percer le marché. C’est
cette dernière catégorie qui, à première vue, pourrait le plus bénéficier de protections additionnelles. Mais une analyse économique n’a
pas démontré que leur sort s’en trouverait amélioré de façon significative73.
Enfin, mentionnons rapidement qu’en 1984, dans le livre blanc
De Gutenberg à Télidon74, déposé par le gouvernement fédéral en
prévision de la révision de la loi, des considérations pragmatiques
l’ont encore une fois incité à ne pas reconnaître aux interprétations le
statut d’œuvres protégées75. Par contre, l’année suivante, le souscomité permanent des communications et de la culture, chargé de
formuler des propositions pour la révision de la loi, a émis l’avis
suivant : « Par principe, tous les créateurs devraient être protégés
contre l’emploi non autorisé de leur propriété intellectuelle.
L’artiste-exécutant est un créateur au même titre que les autres [...]
L’interprétation doit donc être protégée sans égard à l’œuvre interprétée76 ». Et, en 1986, un groupe de travail présidé par Mme Flora
MacDonald, alors ministre des Communications, a appuyé sans
72. Voir supra, note 59.
73. Ibid., p. 114-7. La dernière phrase du sommaire se lit ainsi: « Les considérations
d’ordre économique, dans l’ensemble, militent donc contre l’établissement d’un
droit d’artiste-interprète ».
74. (Ottawa, Consommation et Corporations Canada, 1988).
75. Ibid., p. 12.
76. Une Charte des droits des créateurs et créatrices. Rapport du sous-comité sur la
révision du droit d’auteur (Comité permanent des communications et de la culture, octobre 1985), p. 60.
Une interdiction de plus d’un siècle
495
réserve ces recommandations77, surtout en ce qui concerne le droit
moral des artistes. Mais on connaît la suite. La loi de 1988, qui a
accompli la première grande réforme du domaine du droit d’auteur ,
réforme qui s’est fait attendre une cinquantaine d’années, a complètement passé sous silence ces questions. Ce n’est finalement qu’en
1994, dans le contexte de l’adhésion du Canada à l’Organisation
mondiale du commerce78, qu’est apparue pour la première fois dans
la loi canadienne une reconnaissance des droits des artistes-interprètes, qui ont été qualifiés du vocable « droit d’auteur ».
CONCLUSION
De notre examen du droit des États-Unis et du Canada, il ressort assez clairement que le statut juridique des artistes et interprètes a été très semblable pendant des décennies. On peut reconnaître
une première période, avant qu’existent les techniques d’enregistrement, où la protection juridique des prestations était impensable,
parce que toutes purement éphémères.
Lorsque les disques sont apparus sur le marché, et que la radio
s’est développée, vers les années ’20 et ’30, quelques tentatives ont
été faites pour obtenir une reconnaissance juridique de droits, essentiellement aux États-Unis, qui se sont soldées par des échecs. Deux
motifs apparaissent clairement pour expliquer cela. D’abord, il a
subsisté longtemps un doute quant à savoir si le travail accompli par
les intermédiaires entre les créateurs et le public consommateur
méritait d’être appelé « œuvre ». Les artistes-interprètes ont peutêtre été victimes de certains jugements hâtifs. Comme on estime
sans difficulté que l’éditeur ne fait pas un travail qui fait suffisamment appel au talent ou au jugement, et qu’on a considéré initialement que les compagnies de disques font un travail essentiellement
technique, on a peut-être conclu un peu vite que tous les intermédiaires qui contribuent à la confection du produit fini offert en vente au
consommateur ne font pas un travail suffisamment créatif.
L’autre motif fut la crainte des parlements vis-à-vis les compagnies de disques. On a cru qu’elles pourraient exploiter le public par
le fait qu’elles auraient un monopole sur la vente des disques qu’elles
ont fabriqués. Lorsqu’une chanson devient populaire, les gens qui
77. Le statut de l’artiste: Rapport du groupe de travail (Ottawa, Approvisionnements
et Services Canada, 1986), p. 38.
78. Voir Loi de mise en œuvre de l’accord sur l’OMC, L.C. 1994, ch. 47, art 58, ajoutant un article 14.01 à la Loi sur le droit d’auteur.
496
Les Cahiers de propriété intellectuelle
veulent se procurer un exemplaire de la version popularisée par tel
musicien ou chanteur sont obligés de payer n’importe quel prix exigé
par la compagnie de disques. C’est à prendre ou à laisser.
C’est pourquoi les parlements ont incorporé deux limites à la
loi. D’abord, le droit pour une autre compagnie de disques de réaliser
une autre interprétation de la pièce musicale. Puis ce qu’on a appelé
au sud de la frontière la « first sale doctrine », c’est-à-dire ce principe
en vertu duquel une compagnie de disques est rémunérée seulement
lorsqu’elle vend un exemplaire d’un disque, jamais après. On n’a pas
inscrit cette règle de façon aussi explicite dans le droit canadien,
mais le principe reste le même. La Cour suprême l’a encore récemment confirmé. Dans l’affaire Théberge79, il s’agissait d’un peintre
canadien de grand renom qui s’est objecté à ce que les propriétaires
d’une galerie d’art utilisent un procédé chimique qui permettait
d’enlever toute l’encre sur une affiche achetée légalement, et de la
transférer sur un support ressemblant davantage à un canevas. Le
juge Binnie a dit, au nom de la majorité, que c’était légal, puisqu’il
n’y avait pas eu reproduction de l’œuvre. Là où il y avait un exemplaire de l’œuvre au départ, il n’y en avait encore qu’un à la fin. Mais
il a aussi rappelé que la loi établit un équilibre entre les droits des
créateurs et ceux du public, en accordant des droits exclusifs aux
créateurs, mais dont la nature est limitée. Quand une personne se
procure un exemplaire d’une œuvre, c’est normalement le droit de
propriété qui s’applique. Sa seule limite est que l’acheteur ne peut
accomplir un acte que la loi réserve au créateur. Comme il l’écrit :
« Une fois qu’une copie autorisée d’une œuvre est vendue à un
membre du public, il appartient généralement à l’acheteur, et non à
l’auteur, de décider du sort de celle-ci80 ». Malheureusement pour
eux, les artistes-interprètes ont subi un peu le même sort que celui
réservé aux compagnies de disques. Il aurait été difficile de justifier
pourquoi ils mériteraient de percevoir des redevances chaque fois
qu’un disque est joué à la radio ou dans un endroit public, alors que
les compagnies de disques ne le pouvaient pas.
Enfin, on doit reconnaître qu’au plan conceptuel, la notion de
droit des artistes-interprètes n’est pas exempte de difficultés. Le
titre qui coiffe notre texte laisse entendre que leurs droits sont passés du stade des droits dits « voisins », à celui de véritable droit
d’auteur, dans le plein sens du terme. C’est que le législateur a choisi
d’utiliser le terme « droit d’auteur » aux articles relatifs aux droits
79. Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain Inc., [2002] 2 R.C.S. 336.
80. Ibid., au par. 31.
Une interdiction de plus d’un siècle
497
des interprètes, des compagnies de disques et des radiodiffuseurs81.
Pourtant, quand on y regarde de plus près, on voit que les droits des
interprètes ne peuvent avoir un statut tout à fait identique à celui
des créateurs au sens traditionnel. Une première différence se constate quand on réalise que leurs prestations n’ont pas besoin d’être
originales pour être protégées. En effet, l’article 15 est ainsi formulé
que l’artiste se fait reconnaître des droits sur sa prestation, sans qu’il
soit fait allusion à l’exigence de l’originalité. C’est pourtant une
condition absolument incontournable pour les œuvres dites traditionnelles, littéraires, musicales, artistiques ou dramatiques82. De
plus, on constate qu’une prestation d’un musicien ou interprète est
protégée par la loi dès sa création, avant même qu’elle soit enregistrée. Le sous-alinéa 15(1)(a)(iii) dit que l’un des droits de l’interprète, à l’égard de son interprétation, est de « la fixer sur un support
matériel quelconque ». Ici, une œuvre est protégée par la loi sans rencontrer l’autre exigence pourtant cruciale pour les œuvres dites
traditionnelles, l’existence dans un support matériel quelconque.
On note aussi d’autres différences, de moindre importance. La
durée de la protection accordée aux prestations des interprètes n’est
pas la même que pour la plupart des œuvres, soit la vie du créateur,
et 50 ans après sa mort83. Et quant aux droits moraux, les auteurs en
doctrine disent qu’il n’est pas si sûr que les artistes et interprètes
puissent en bénéficier. Tel que l’écrit S. Handa84, comme il n’est pas
absolument certain qu’on puisse dire que ce qu’ils font est une
« œuvre » au sens où la Loi sur le droit d’auteur l’entend, ils n’ont
peut-être pas de droits moraux, puisque ceux-ci sont reconnus à
« l’auteur d’une œuvre85 ».
Quoi qu’il en soit, le législateur a fait son choix de reconnaître
des droits aux artistes, interprètes, et aux compagnies de disques, et,
à notre avis, il est préférable qu’il en soit ainsi. On a vu que plusieurs
commissions d’enquête qui se sont penchées sur le sort des artistesinterprètes ont douté que leur condition économique soit améliorée
81. C’est d’ailleurs le titre de la partie II de la loi: « Droit d’auteur sur les prestations,
enregistrements sonores ou signaux de communication ».
82. Voir, notamment, l’article 5(1) de la loi et la définition, à l’article 2, de l’expression
« toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale ».
83. L’alinéa 23(1)(a) prévoit une période de 50 ans après la première fixation d’une
prestation.
84. S. HANDA, Copyright Law in Canada (Toronto, Butterworths, 2002), p. 384-5, où
il écrit: « The situation is even more troublesome when considering a performance » et « As moral rights subsist only in works, there are presumably no moral
rights in a performer’s performance, sound recording ou communication signal ».
85. Voir l’article 14.1 LDA.
498
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sensiblement par la reconnaissance de droits dans la loi. Cet argument ne nous paraît pas convaincant. Il est vrai que la Loi sur le droit
d’auteur n’empêche pas la loi de l’offre et de la demande de jouer. Il
nous apparaît que plusieurs jeunes créateurs se plaignent à tort du
fait qu’ils soient mal rémunérés en laissant entendre que cela serait
dû à des déficiences de la loi. On ne changera pas cette réalité économique que ce ne sont que les auteurs à succès qui peuvent éventuellement dicter leurs conditions aux maisons d’édition, compagnies de
disques, producteurs, etc. Mais il reste que la Loi sur le droit d’auteur
est essentielle pour tous les créateurs, en ce qu’elle interdit que
soient multipliés les exemplaires de leurs œuvres sans leur consentement. N’importe quel auteur à succès serait grandement désavantagé s’il était légal qu’une personne achète un seul exemplaire de son
œuvre et s’empresse de la rendre accessible à tous sur Internet. Les
artistes-interprètes bénéficient maintenant aussi de cette protection
contre ce genre de fraude.
Pour les protéger efficacement, il a fallu qu’eux aussi, comme
les compositeurs et paroliers, fassent gérer leurs droits par une
société de gestion collective, ce qui fut fait. Il y a maintenant des
tarifs qui sont approuvés par la Commission du droit d’auteur86. La
boucle est maintenant bouclée. Reste à savoir si aux États-Unis on
ira jusqu’au bout du processus.
86. Pour voir ce qui s’est produit après l’adoption des amendements de la loi en 1997
voir, notamment, J. DANIEL, « Le cadre juridique de la gestion collective des
droits d’auteur au Canada », (1998) 11 C.P.I., 257 et E. LEFEBVRE, « La première décision de la Commission du droit d’auteur sur les droits voisins : un
rendez-vous manqué et une stabilisation législative qui s’impose », (2000) 13
C.P.I. 363.
Vol. 20, no 2
Vendre par le sexe : examen
sommaire des limites légales
à la représentation du sexe
dans la publicité
André Rivest*
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 501
1. La sexualité dans la publicité et ses effets . . . . . . . . . . . 502
1.1
Les manifestations de la sexualité dans la publicité . . . 502
1.2
L’effet de la publicité à connotation sexuelle . . . . . . . 503
2. La réglementation de la sexualité dans la publicité . . . . . . 505
2.1
Les contrôles législatifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . 505
2.1.1
Les droits fondamentaux en jeu . . . . . . . . . 505
2.1.2
Les mesures législatives et la
Charte canadienne . . . . . . . . . . . . . . . . 506
2.1.3
Le Code criminel et la sexualité dans
la publicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 508
© André Rivest, 2008.
* Avocat chez Gowling Lafleur Henderson à Montréal. L’auteur tient à remercier
Nicolas Cayouette de son assistance à la préparation de ce texte ; les opinions
exprimées sont toutefois celles de l’auteur.
499
500
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1.4
2.2
Le contrôle réglementaire de la publicité radio
et télédiffusée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515
2.2.1
2.2.2
2.3
La Charte québécoise et la discrimination . . . . 512
Le contrôle préalable de la publicité par
le CRTC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 515
2.2.1.1
Les codes et lignes directrices
applicables aux radiodiffuseurs . . . 516
2.2.1.2
Bureau de la Télévision du Canada . 517
Le mécanisme de plainte relativement à la
publicité radiodiffusée . . . . . . . . . . . . . . 518
2.2.2.1
La plainte au CRTC . . . . . . . . . 518
2.2.2.2
Les plaintes aux diffuseurs et
organismes d’autoréglementation . . 520
L’autoréglementation et les Normes canadiennes
de la publicité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 520
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 522
INTRODUCTION
Dans cette ère de l’information, le citoyen reçoit chaque jour des
milliers de messages. Ces messages prennent notamment la forme
d’information, de directives, de sollicitation ou de publicité. Plus particulièrement, le citoyen est constamment sollicité par la publicité et ce,
sous toutes sortes de formes1. En fait, la publicité à laquelle fait face le
citoyen du XXIe siècle se fait de plus en plus insidieuse et se retrouve
dans la quasi-totalité des médias. Elle se retrouve certes dans des
médias traditionnels comme les imprimés ou la télévision, mais également sur les bandes de patinoires, les rames de métro, les circuits fermés de diffusion et, naturellement, sur l’Internet. La publicité prend
même une forme virale, les messages publicitaires étant dorénavant
communiqués par l’entremise d’amis ou de parents. On la retrouve également dans des œuvres artistiques par l’entremise du placement de
produits. Il existe désormais bien peu d’endroits où le citoyen du
XXIe siècle est à l’abri des messages publicitaires.
Dans des sociétés de consommation comme les démocraties occidentales, l’importance des messages publicitaires est évidente. Pour
maintenir le rythme de croissance soutenue de nos économies, il
importe aux producteurs et aux distributeurs des biens et services de
faire connaître leurs produits et de sensibiliser les consommateurs à
leurs propres besoins. Ainsi, des milliards de dollars de revenus sont en
jeu et la publicité est souvent garante du succès commercial des producteurs et distributeurs de produits et services. Celui qui sait utiliser la
publicité afin que soient reconnus ses marques et ses produits pourra
profiter de retombées économiques importantes.
Par leurs messages publicitaires, les annonceurs cherchent à attirer l’attention des consommateurs ou à associer leur produit ou service
1. Les chiffres avancés par différentes études varient grandement quant au nombre
total de messages publicitaires qu’une personne moyenne reçoit et la méthodologie
utilisée par les intervenants est parfois douteuse. Un sommaire de ces études
apparaît sur le site Internet de l’Association des agences de publicité américaines
à www.aaaa.org/eweb/upload/FAQs/adexposures.pdf. Il est raisonnable d’estimer
toutefois que la personne moyenne serait exposée à une centaine de messages
publicitaires par jour auxquels elle porterait attention.
501
502
Les Cahiers de propriété intellectuelle
à un certain mode de vie. Pour atteindre de tels objectifs, les annonceurs n’hésitent pas à utiliser la sexualité, expressément ou implicitement, dans leurs publicités. En effet, la sexualité, quelle que soit sa
forme, n’est pas étrangère à la rhétorique de la publicité. Au contraire,
dans certaines industries, l’utilisation de la sexualité dans les messages
publicitaires a pris une importance démesurée.
Nous nous proposons donc d’identifier les circonstances de l’utilisation de la sexualité en matière de publicité et ses effets sur les
citoyens et la société. Nous examinerons diverses dispositions législatives susceptibles de s’appliquer pour contrôler la diffusion de messages
publicitaires à caractère sexuel explicite ou implicite.
1. LA SEXUALITÉ DANS LA PUBLICITÉ ET SES EFFETS
1.1
Les manifestations de la sexualité dans la publicité
L’utilisation de la sexualité dans la publicité n’est pas un phénomène nouveau ; depuis les premiers balbutiements de la publicité, des
représentations à connotation sexuelle ont été utilisées dans le cadre
de messages commerciaux. L’utilisation de messages à connotation
sexuelle est souvent justifiée par les annonceurs comme moyen ayant
pour effet d’augmenter l’intérêt des consommateurs et, par conséquent,
les ventes2.
Les bénéfices commerciaux de l’utilisation d’une publicité à connotation sexuelle sont souvent remarquables. Ainsi, Jovan, Inc. était au
début des années 1970 une petite compagnie active dans la vente de
parfums. Les principaux de la compagnie ont choisi alors d’utiliser des
messages publicitaires avec références sexuelles explicites pour mettre
en marché une nouvelle ligne de parfums et eaux de cologne. Les messages publicitaires mentionnaient notamment « Sex Appeal. Now you
don’t have to be born with it ». Cette nouvelle approche permit à la compagnie de faire croître ses ventes de 1,5 million en 1971 à 77 millions de
dollars en 1978 3.
Le contenu à caractère sexuel peut simplement être utilisé pour
attirer l’attention. Les psychologues reconnaissent l’instinct sexuel
2. Voir notamment Tom REICHERT, Sex in advertising research : A review of content,
effects, and functions of sexual information in consumer advertising, Annual
Review of Sex Research, 2002 en ligne : http://findarticles.com/p/articles/
mi_qa3778/is_200201/ai_n9032366.
3. Tom REICHERT, The Erotic History of Advertising (Amherst, (N-Y), Prometheus
Books, 2003).
Vendre par le sexe
503
comme étant la seconde réaction intuitive de l’individu après l’instinct
de préservation et il est donc compréhensible que les références sexuelles dans la publicité soient particulièrement efficaces. C’est le cas lorsqu’un corps nu ou partiellement nu est utilisé pour promouvoir un
produit qui a peu ou aucun rapport avec l’image, ce qui est fait notamment dans le cas de certains messages publicitaires concernant les
véhicules automobiles.
Dans d’autres circonstances, le contenu sexuel devient une partie
intégrante du message de marque. C’est souvent le cas des campagnes
promotionnelles pour certains parfums, pour des bijoux ou pour des
boissons alcoolisées.
La présentation de la sexualité dans la publicité peut prendre plusieurs formes. Plus souvent qu’autrement, elle consiste en des représentations d’un corps nu ou partiellement nu. Cette façon de faire est
typique des annonces créées pour la promotion de certains produits de
luxe, notamment de parfums, de lingerie ou de haute couture.
Parfois, la publicité présente des comportements de nature
sexuelle et ceux-ci se traduisent par une communication corporelle
entre le modèle et le consommateur ou par l’expression orale. En
d’autres circonstances, les messages publicitaires font simplement référence implicitement à la sexualité ou à des symboles sexuels.
Ces messages à contenu sexuel sont présents partout dans la
publicité, que celle-ci soit diffusée, imprimée ou sur Internet. Le nombre de ces messages semble au surplus augmenter, particulièrement
dans les imprimés et sur l’Internet. Il est donc légitime de s’interroger
sur les effets qu’ont de telles publicités sur la société.
1.2
L’effet de la publicité à connotation sexuelle
Manifestement, le contenu sexuel de la publicité a l’effet d’attirer
l’attention. De plus, les recherches démontrent que l’utilisation de la
sexualité dans la publicité peut affecter les comportements4. Au-delà
de ces avantages pour les publicitaires, il importe toutefois de se
demander quel effet la publicité peut ainsi avoir sur l’ensemble de la
société.
4. American Psychological Association, Task Force on the Sexualization of Girls,
2007, Report of the APA Task Force on the Sexualization of Girls, Washington,
DC : American Psychological Association, www.apa.org/pi/wpo/sexualization.html.
504
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Tout indique que la sexualité dans la publicité affecte le respect de
soi, particulièrement chez les jeunes. Ainsi, certains d’entre eux ne
savent s’apprécier si leur apparence physique ne correspond pas à celle
des modèles apparaissant dans les magazines populaires5. Au surplus,
une étude récente démontre que l’image de la femme dans les annonces publicitaires a un lien direct avec les dépressions chez les jeunes
adolescentes6. De plus, la boulimie, l’anorexie et l’anxiété sont aussi
des conséquences de l’image véhiculée par la publicité à connotation
sexuelle.
Les jeunes cherchent désormais à ressembler à un certain idéal
qui leur est présenté. Ainsi, selon l’American Society for Aesthetic Plastic Surgery, le nombre d’adolescentes de moins de 18 ans ayant eu
recours à une augmentation mammaire est passé de 3,872 en 2002 à
11,326 en 2003. D’ailleurs, les implants mammaires sont maintenant
offerts aux États-Unis à titre de cadeaux de graduation7.
Par ailleurs, l’utilisation de la sexualité dans la publicité a pour
effet d’affecter la vision de la sexualité dans notre société. Notamment,
la publicité à connotation sexuelle représente souvent les hommes et les
femmes dans des positions sociales traditionnelles. Ceci a pour effet de
renforcer les stéréotypes relativement aux rôles des femmes et des
hommes dans notre société. Particulièrement, la publicité à connotation sexuelle renforce le concept de la femme objet et de la femme
confinée dans un rôle traditionnel8.
Certes, l’utilisation de la sexualité dans la publicité n’est pas la
seule cause de l’hyper-sexualisation des adolescents ni de la survie des
stéréotypes relativement aux rôles des hommes et des femmes dans
notre société. Toutefois, considérant la capacité de la publicité d’attirer
l’attention et d’affecter les comportements, il est légitime de croire
qu’elle contribue de façon significative à de tels effets. Il importe donc
de considérer si les mécanismes de réglementation et de contrôle de
l’utilisation de la sexualité dans la publicité sont suffisants.
5. Sandra G. BOODMAN, « For More Teenage Girls, Adult Plastic Surgery »,
[26 octobre 2004] Washington Post, page A01.
6. Ibid. page 25 ; Voir aussi : Durkin, S.J. & Paxton, S.J. (2002) « Predictors of vulnerability to reduced body image satisfaction and psychological wellbeing in response
to exposure to idealized female media images in adolescent girls » Journal of Psychosomatic Research, 53, 995-1005.
7. Washington Post, supra, note 5.
8. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L’image des
femmes : Rapport du Groupe de travail sur les stéréotypes sexistes dans les médias
de radiodiffusion, Gatineau, 1982, [L’image des Femmes].
Vendre par le sexe
505
2. LA RÉGLEMENTATION DE LA SEXUALITÉ DANS LA
PUBLICITÉ
2.1
Les contrôles législatifs
2.1.1 Les droits fondamentaux en jeu
La protection des droits fondamentaux des citoyens, particulièrement par l’entremise de chartes de droits et libertés, a pris au cours des
20 dernières années une importance sans précédent dans notre société.
Les chartes ont ainsi influencé les règles dans tous les secteurs d’activité de la société. Et au cœur de ces droits fondamentaux se retrouve la
liberté d’expression, ce droit qui est l’essence même des démocraties
pluralistes occidentales.
À son article 2(b), la Charte canadienne des droits et libertés9
(ci-après « Charte canadienne ») reconnaît :
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
[...]
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression,
[...]
Pour sa part, la Charte des droits et liberté de la personne (ci-après
« Charte québécoise »)10 énonce à son article 3 :
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la
liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la
liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté
d’association.
Cette reconnaissance consacrée à la liberté d’expression fait en
sorte que l’État ne peut restreindre impunément ce droit, notamment
par l’adoption de législation restrictive.
9.
Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
10. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12. [Charte québécoise] ;
Irwin Toys Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927 [Irwin Toys] ;
Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712 [Ford].
506
Les Cahiers de propriété intellectuelle
On pourrait naturellement être porté à croire que la liberté
d’expression se limite toutefois au domaine de la politique. Ce n’est toutefois pas le cas et la protection offerte par la Charte canadienne s’étend
à l’expression commerciale, et donc à la publicité. En effet, la publicité
commerciale a été reconnue dès 1986 par la Cour d’appel du Québec11
comme étant une forme d’expression protégée par l’article 2(b) de la
Charte canadienne12 ainsi que par l’article 3 de la Charte québécoise.
La Cour suprême du Canada a confirmé cette même interprétation en
1988 dans l’arrêt Ford13. En conséquence, la publicité ne peut facilement être limitée ou encore censurée.
Par ailleurs, le législateur a l’obligation d’adopter des lois pour
protéger l’ordre social et les groupes vulnérables de la société, particulièrement contre la discrimination. Le droit à la protection contre la discrimination est d’ailleurs un droit reconnu par la Charte canadienne et
la Charte québécoise14.
Le législateur protège l’ordre social et les groupes vulnérables
notamment en adoptant des lois et des règlements de nature pénale ou
criminelle. L’objectif de telles mesures est la protection du public et
celle de l’ensemble de la collectivité contre certaines actions extrêmes
susceptibles de causer un préjudice.
Le droit fondamental à la libre expression et les droits fondamentaux de la collectivité peuvent ainsi venir directement en conflit lorsqu’il est question de certaines publicités à connotation sexuelle.
La publicité constitue donc une forme d’expression et ce droit est
fondamental dans une société libre et démocratique15. Les limites
législatives à la publicité se doivent donc d’être justifiées.
2.1.2 Les mesures législatives et la Charte canadienne
Le législateur possède le pouvoir de sanctionner les pratiques qui
causent un préjudice à la société ou à certains groupes minoritaires
11. Irwin Toys Ltd. c. P.G. du Québec (C.A., 1986-09-18) ; [1986] R.J.Q. 2441 [Irwin
Toys].
12. Supra, note 9.
13. Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12. [Charte québécoise] ;
Ford supra, note 10.
14. Irwin Toys, supra, note 11.
15. Irwin Toys et Ford, supra, note 10.
Vendre par le sexe
507
lesquels ont, historiquement, subi des discriminations et des violations
de leurs droits fondamentaux. Ce pouvoir existe même lorsque les pratiques résultent de l’exercice des droits fondamentaux.
En effet, il est de l’essence même de notre société que les droits
fondamentaux soient encadrés. Les tribunaux ont dû se pencher fréquemment sur l’étendue des limites qui peuvent être imposées par le
législateur. En ce qui concerne la liberté d’expression, la Cour suprême
a analysé à plusieurs reprises les motifs du législateur afin de déterminer si les limites imposées étaient raisonnables en vertu de l’article premier de la Charte canadienne16. Cet article prévoit :
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits
et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que
par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et
dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une
société libre et démocratique.
Dans l’arrêt R. c. Oakes, la Cour suprême a développé un test
interprétant l’article premier et l’analyse constitutionnelle d’une
atteinte à un droit garanti devra respecter les critères établis par celleci17. Lors de l’évaluation d’un moyen qui porte atteinte aux droits
fondamentaux, la Cour devra évaluer l’importance et l’urgence de
l’objectif par rapport à la nature de l’atteinte. Il faut que ce moyen
soit bien conçu afin de minimiser l’atteinte aux droits garantis et
celui-ci doit avoir un lien direct avec l’objectif à atteindre. Il doit
aussi y avoir une proportionnalité entre les effets préjudiciables des
mesures et leurs effets bénéfiques18. Si tous les critères de ce test
sont remplis, l’atteinte sera une limite raisonnable aux droits fondamentaux dans une société libre et démocratique.
Toute mesure législative visant à restreindre la liberté d’expression doit donc satisfaire le test de l’article 1 de la Charte canadienne.
Bien qu’il n’existe pas au Canada de disposition législative visant directement à interdire ou à réglementer la publicité à connotation sexuelle,
certaines dispositions législatives seraient toutefois susceptibles de
s’appliquer.
16. Irwin Toys et Ford, supra, note 10 ; RJR Macdonald Inc. c. Canada (Procureur
général), [1994] 1 R.C.S. 311.
17. R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
18. Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835.
508
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1.3 Le Code criminel et la sexualité dans la publicité
Le Code criminel vise à sanctionner des pratiques particulièrement répréhensibles au sein de la société. Ainsi, un crime est défini
comme : « ... A social harm that the law makes punishable... »19. Les dispositions du Code criminel visent donc à interdire et punir les actes
susceptibles de causer des « troubles sociaux ».
Certaines dispositions du Code criminel pourraient donc s’appliquer à la publicité à connotation sexuelle lorsque celle-ci devient un
« trouble social ». Plus particulièrement, l’article 163 du Code criminel
relatif aux publications obscènes s’applique à toutes les formes de
publication et de distribution de matériel obscène. Cet article prévoit :
163. (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas :
a) produit, imprime, publie, distribue, met en circulation, ou a en
sa possession aux fins de publier, distribuer ou mettre en circulation, quelque écrit, image, modèle, disque de phonographe ou
autre chose obscène ;
[...]
(2) Commet une infraction quiconque, sciemment et sans justification ni excuse légitime, selon le cas :
a) vend, expose à la vue du public, ou a en sa possession à une telle
fin, quelque écrit, image, modèle, disque de phonographe ou autre
chose obscène ;
[...]
d) annonce quelque moyen, indication, médicament, drogue ou
article ayant pour objet, ou représenté comme un moyen de rétablir la virilité sexuelle, ou de guérir des maladies vénériennes ou
maladies des organes génitaux, ou en publie une annonce.
(3) Nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction visée au présent article si les actes qui constitueraient l’infraction ont servi le
bien public et n’ont pas outrepassé ce qui a servi celui-ci.
19. Bryan A. GARNER, Black’s Law Dictionary, 7e éd. (St-Paul, Minn, West Group,
1999), page 377.
Vendre par le sexe
509
(4) Pour l’application du présent article, la question de savoir si un
acte a servi le bien public et s’il y a preuve que l’acte allégué a
outrepassé ce qui a servi le bien public est une question de droit,
mais celle de savoir si les actes ont ou n’ont pas outrepassé ce qui a
servi le bien public est une question de fait.
[...]
(8) Pour l’application de la présente loi, est réputée obscène toute
publication dont une caractéristique dominante est l’exploitation
indue des choses sexuelles, ou de choses sexuelles et de l’un
ou plusieurs des sujets suivants, savoir : le crime, l’horreur, la
cruauté et la violence.
Cette disposition prévoit des peines importantes pour la personne
ou l’organisation trouvée coupable. Lorsque l’infraction est poursuivie
par voie de procédure sommaire, la personne trouvée coupable peut se
voir imposer une peine de six mois de prison ou une amende de
2 000 $20. Cette amende peut même atteindre 100 000 $ pour une
organisation ou une personne morale21. Le législateur a aussi inclus
la possibilité d’imposer une suramende à la discrétion du tribunal22.
Par ailleurs, si l’infraction est poursuivie par voie d’acte criminel, la
peine de prison peut atteindre deux ans23.
Dans l’affaire Butler, la Cour suprême du Canada a déterminé
que cette disposition du Code criminel constituait une limite à la liberté
d’expression reconnue par la Charte canadienne mais que cette limite
était justifiée dans une société libre et démocratique24.
Il est important de noter que la norme de tolérance de l’obscénité
en droit criminel n’est pas nécessairement la même que peut avoir
l’ensemble de la population. La norme d’obscénité en droit criminel est
une norme collective applicable à l’ensemble du Canada mais celle-ci
peut varier selon le public visé25. Ainsi, cette norme est une moyenne
20. Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, art 734(1) a) [Code criminel].
21. Ibid., 735(1) b) et 735(2) C.cr. « Organisation », pour la culpabilité d’une personne
morale à une infraction criminelle : R. c. Fane Robinson, [1941] 3 D.L.R. 409
(D.A.C.S. Alb.).
22. Code criminel, supra, note 20, art. 737.
23. Ibid., art. 732.
24. R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 ; [Butler].
25. Gisèle CÔTÉ-HARPER, Pierre RAINVILLE, Jean TURGEON, Traité de droit
pénal canadien, 4e éd., (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998), page 156 [Traité
de droit pénal].
510
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de l’ensemble de la société et non seulement celle des personnes les
plus sensibles, du juge à l’instance ou encore du public intéressé26.
La Cour suprême du Canada a dû se pencher à plusieurs reprises
sur l’interprétation du caractère obscène de documents ou encore de
vidéos. Celle-ci a jugé que l’obscénité est constituée d’éléments dégradants ou déshumanisants27 causant un préjudice important à la
société et qui excèdent le seuil de tolérance 28.
Cette même Cour a jugé que la présence de violence et de sexualité ou encore d’éléments déshumanisants et dégradants sont pratiquement toujours obscènes et dépassent les normes établies par la société
et par le législateur.
Toutefois, l’interprétation du critère de la sexualité en présence de
violence ne doit pas être analysée de façon indépendante, comme nous
le rappelle la Cour d’appel du Québec dans la décision R. c. Latreille29.
Il s’agissait en l’espèce de déterminer si cinq photographies de scènes
sadomasochistes prises par l’accusé étaient obscènes selon l’alinéa
163(1)a) du Code criminel. La Cour municipale de Montréal30 et la
Cour supérieure31 avaient conclu que ces photographies qui contenaient des scènes de violence et de sexualité étaient obscènes. La
Cour d’appel a infirmé ces jugements en statuant qu’il n’y avait
aucune preuve que les activités photographiées outrepassaient le
seuil de tolérance de la société et que celles-ci causaient un préjudice
important à la société. Subsidiairement, la Cour d’appel a rappelé
que ces photographies n’avaient pas été diffusées ou publiées.
Pour sa part, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé, dans l’arrêt R. c.
Smith32, que les histoires se trouvant sur un site Internet et décrivant des agressions sexuelles et des meurtres de femmes étaient obscènes. Dans ce même arrêt, la Cour a infirmé la décision du jury et
ordonné un nouveau procès en ce qui a trait aux accusations portant
sur des photographies de femmes nues exposées sur le site Internet
qui dépeignaient des scènes fictives de violence et de meurtres. La
Cour a jugé, en s’inspirant de l’arrêt Buttler, qu’il doit y avoir un carac26. Ibid., page 156-157.
27. R. c. Butler, supra, note 24.
28. R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80 ; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, 2000 CSC 69 ;
Butler Ibid.
29. R. c. Latreille, 2006 QCCA 562, AZ-50370250 (C.A. Qué.).
30. R. c. Latreille, 2004 CanLII 58270 (Cour municipale de Montréal).
31. Latreille c. R., 2006 QCCS 793 (C. Sup. Qué.).
32. R c. Smith, 2005 CanlII 23805 (C.A. d’Ont.).
Vendre par le sexe
511
tère explicite à la sexualité prévue à l’article 163(8) du Code criminel et
que la simple nudité accompagnée de violence n’est pas automatiquement obscène. Même si les scènes de violence devaient être sexuellement explicites, le seuil de l’obscénité sera seulement atteint si la Cour
conclut que cette scène contient des éléments dégradants ou déshumanisants.
En cas de violation de l’article 163 du Code criminel, toute poursuite intentée par les autorités compétentes sera une poursuite de
nature purement criminelle et en conséquence, l’ensemble des règles
du droit criminel devront être appliquées.
Le Procureur général devra démontrer hors de tout doute raisonnable la commission de l’acte et l’intention spécifique qui est prévue au
paragraphe 163(2) du Code criminel. Il devra donc démontrer la
connaissance de l’accusé à l’effet que des actes spécifiques ont pour effet
de rendre la publicité obscène33. Ainsi, dans l’arrêt Jorgensen34, la
Cour suprême du Canada a acquitté l’accusé puisque celui-ci n’avait
pas visionné les scènes spécifiques qui étaient obscènes dans les
films en vente de son commerce. D’autre part, l’ignorance volontaire
de la définition d’obscénité selon la jurisprudence en droit criminel
ne serait pas un moyen de défense possible pour l’accusé.
Finalement, l’éventualité d’une poursuite criminelle contre une
personne morale soulève plusieurs difficultés à cause de la nature
même de ce type d’infraction, et de l’intention spécifique qui doit être
prouvée35. Le poursuivant devra démontrer qu’il ne s’agit pas seulement d’un acte émanant du représentant de la personne morale mais
bien de l’âme dirigeante de la personne morale36.
Il est possible qu’une publicité comportant des connotations
sexuelles et dans laquelle des éléments de violence sont présents puisse
être considérée obscène par les tribunaux si tous les critères énoncés
précédemment sont rencontrés. Dans certaines juridictions, des dispositions similaires interdisant les publications obscènes ont en effet servi
à porter des accusations contre des marchands suite à la publication de
messages publicitaires à contenu sexuel37. Vu toutefois les exigences
33.
34.
35.
36.
37.
R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55.
Ibid.
Traité de droit pénal, supra, note 25, page 429.
R. c. Forges du Lac inc., 1997 CanLII 10565 (C.A. Qué.).
La compagnie Abercrombie & Fitch a effectivement fait l’objet d’accusations à la
suite de la publication de certains messages publicitaires dans un centre commercial en Virginie. Les accusations ont subséquemment été retirées. Voir en
ligne http:// www.msnbc.msn.com/id/22993326/
512
Les Cahiers de propriété intellectuelle
jurisprudentielles relativement à l’application de cette disposition
du Code criminel et vu le contexte social actuel, il serait exceptionnel au
Canada qu’un message publicitaire à connotation sexuelle puisse donner lieu à des accusations criminelles sur la base du fait qu’il constituerait du matériel obscène.
2.1.4. La Charte québécoise et la discrimination
La Charte québécoise stipule à l’article 10 que :
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en
pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe,
la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la
mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la
langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le
handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[les italiques sont nôtres]
Il est prévu que toute dérogation intentionnelle à cette interdiction peut entraîner l’attribution à la victime de dommages punitifs en
plus des autres dommages accordés. De plus, le législateur québécois a
expressément prévu à l’article 11 de la Charte québécoise38 que :
11. Nul ne peut diffuser, publier ou exposer en public un avis, un
symbole ou un signe comportant discrimination ni donner une
autorisation à cet effet.
Selon certains auteurs39, cet article viole le droit à la liberté
d’expression mais constitue une atteinte justifiée en vertu de l’article
premier de la Charte canadienne. En conséquence, cette limite à la
liberté d’expression serait considérée raisonnable dans une société libre
et démocratique.
Pour que l’article 11 de la Charte québécoise puisse trouver application, la discrimination en cause doit être l’une de celles prévues à son
article 10. Cette discrimination doit être la source d’un préjudice ou
38. Charte québécoise, supra, note 13, art. 11.
39. Henri BRUN, Guy TREMBLAY, « Droit constitutionnel », 4e éd. (Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 1998), page 1121, par. 2 ; [Droit constitutionnel].
Vendre par le sexe
513
d’un désavantage pour la personne ou le groupe de personnes qui l’invoquent40. Lorsque les tribunaux doivent trancher une question de cet
ordre, ils doivent appliquer le test de l’arrêt Oakes41 et déterminer
si cette distinction est raisonnable dans une société libre et démocratique.
On peut certainement penser qu’un message publicitaire à connotation sexuelle peut comporter de la discrimination et, par conséquent,
constituer une violation de l’article 11 de la Charte québécoise. Cela
pourrait, à notre avis, être le cas d’un message publicitaire dégradant à
l’endroit des femmes qui sont alors représentées comme étant purement des objets. Pour invoquer la violation, la victime doit avoir fait
l’objet de discrimination et d’atteinte à ses droits fondamentaux. Elle
pourra par ailleurs choisir le forum devant lequel elle sera entendue.
Ainsi, elle peut déposer une plainte à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse du Québec (la « Commission ») ou
encore déposer une poursuite à la Cour supérieure du Québec42.
À première vue, la plainte à la Commission représente certains
avantages pour les particuliers qui se sentent lésés, car ce forum
entraîne des frais minimes. Au surplus, la Commission effectue gratuitement une enquête pour déterminer s’il y a eu ou non de la discrimination. Si la Commission détermine qu’il y a eu de la discrimination, elle
prendra fait et cause pour le particulier et portera le dossier devant le
Tribunal des droits de la personne.
Le Tribunal des droits de la personne possède de vastes pouvoirs
de réparation, dont notamment celui d’accorder des dommages moraux,
des dommages punitifs ou encore d’émettre des ordonnances de cesser
de faire. Une ordonnance de cesser de faire est une mesure de redressement qui met fin au litige et rend le contrevenant passible d’une peine
d’outrage au tribunal43. La décision du Tribunal des droits de la personne est finale et exécutoire mais n’a pas d’effet rétroactif44.
Cependant, aucun des recours exclusifs de la Cour supérieure45
ne peut être intenté devant ce tribunal administratif et de ce fait,
40.
41.
42.
43.
Ibid., page 1102.
R. c. Oakes, supra, note 17.
Selon l’article 71 et 131, Charte québécoise ; supra, note 13.
Par exemple : Commission des droits de la personne c. Camping et Plage Gilles
Fortier Inc., 1994 CanLII 2350 (T.D.P. Qué.).
44. Communauté urbaine de Montréal c. Cadieux, 2002 CanLII 27377 (C.A. Qué.) ;
Droit constitutionnel, supra, note 39, page 991.
45. Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans le L.R.C.
(1985), app. II, no 5, art. 96.
514
Les Cahiers de propriété intellectuelle
aucun recours urgent ou en injonction interlocutoire ne peut être
présenté devant ce dernier46.
Pour sa part, la Cour supérieure présente certains avantages,
notamment pour les injonctions interlocutoires et pour tous les recours
spéciaux d’urgence dont le but est de faire cesser la discrimination dans
les meilleurs délais. Dans le cas d’une publicité qui porterait atteinte
aux droits fondamentaux d’une personne, il est évident que le recours
en injonction47 devant la Cour supérieure serait le plus efficace et le
plus rapide pour l’obtention d’une ordonnance ayant pour effet de
faire cesser l’atteinte.
De plus, le Code civil du Québec permet à un groupe de personnes
ciblées par une publicité discriminatoire d’intenter devant la Cour
supérieure un recours collectif à l’encontre des personnes à l’origine de
cette discrimination. Ainsi, l’ensemble de ce groupe, même s’il n’est pas
clairement défini lors du dépôt de la requête pour permission d’exercer
un recours en justice, peut ester en justice et obtenir une réparation
adéquate.
Dans la décision Malhad c. Métromédia C.M.R.48, la Cour d’appel
a accueilli l’appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté
une requête pour permission d’exercer un recours collectif. En
l’espèce, un animateur de radio avait tenu des propos diffamatoires
envers un groupe ethnique de chauffeurs de taxi et une requête pour
permission d’intenter un recours collectif a été présentée. La Cour
supérieure avait déterminé qu’une action en diffamation était
incompatible avec le recours collectif mais cette décision fut renversée par la Cour d’appel. À ce jour, une décision sur le fond de cette
affaire est toujours attendue.
À notre avis, la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Malhad
confirme qu’un groupe peut se prévaloir du recours collectif lorsque ses
membres ont fait l’objet d’une publicité discriminatoire contraire à
l’article 11 de la Charte québécoise. Une publicité à connotation sexuelle
présentant un groupe de personnes, par exemple des femmes, de façon
dégradante ou discriminatoire pourrait ainsi donner lieu à un tel
recours. On peut présumer que le risque d’un recours collectif a déjà un
effet dissuasif.
46. Droit constitutionnel, supra, note 39, page 991.
47. Code de procédure civile, L.R.Q., c. C-25, art. 753 C.p.c.
48. Malhad c. Métromédia C.M.R., [2003] R.J.Q. 1011 (C.A. Qué.).
Vendre par le sexe
2.2
515
Le contrôle réglementaire de la publicité radio
et télédiffusée
2.2.1 Le contrôle préalable de la publicité par le CRTC
Le Conseil canadien de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (« CRTC ») est un organisme indépendant créé par la
Loi sur le conseil de la radiodiffusion et des communications canadiennes49. Cet organisme est mandaté exclusivement pour réglementer les
réseaux de radiodiffusion et de télécommunications du Canada. Le
CRTC accorde les licences à chacun des radiodiffuseurs et assujettit
l’attribution de celles-ci à des conditions d’exploitation. Le pouvoir
discrétionnaire du CRTC repose sur l’émission des licences de radiodiffusion et chaque diffuseur demeure responsable de sa propre programmation. Ainsi, les pouvoirs du CRTC sont les suivants50 :
12. (1) Le Conseil peut connaître de toute question pour laquelle il
estime :
a) soit qu’il y a eu ou aura manquement – par omission ou commission – aux termes d’une licence, à la présente partie ou aux
ordonnances, décisions ou règlements pris par lui en application
de celle-ci ;
b) soit qu’il peut avoir à rendre une décision ou ordonnance ou à
donner une permission, sanction ou approbation dans le cadre de
la présente partie ou de ses textes d’application.
(2) Le Conseil peut, par ordonnance, soit imposer l’exécution, dans
le délai et selon les modalités qu’il détermine, des obligations
découlant de la présente partie ou des ordonnances, décisions ou
règlements pris par lui ou des licences attribuées par lui en application de celle-ci, soit interdire ou faire cesser quoi que ce soit qui y
contrevient. [les italiques sont nôtres]
(3) Toute personne touchée par l’ordonnance d’un comité chargé,
en application de l’article 20, d’entendre et de décider d’une question visée au paragraphe (1) peut, dans les trente jours suivant
l’ordonnance, demander au Conseil de réexaminer la décision ou
49. Loi sur le conseil de la radiodiffusion et des communications canadiennes, L.R.C.
(1985), c. C-22.
50. Genex Communications Inc. c. Canada (Procureur Général), 2005 CAF 283.
516
Les Cahiers de propriété intellectuelle
les conclusions du comité, lesquelles peuvent être annulées ou
modifiées par le Conseil, après ou sans nouvelle audition.
Le CRTC doit aussi s’assurer que les émissions et publicités diffusées au Canada respectent l’alinéa 3 g) de la Loi sur la radiodiffusion51 :
3. (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de
radiodiffusion :
[...]
g) la programmation offerte par les entreprises de radiodiffusion
devrait être de haute qualité ;
Plusieurs décisions du CRTC sont à l’effet que les émissions et les
publicités obscènes ne respectent pas cette norme52.
Le CRTC favorise nettement l’autoréglementation des différents
intervenants agissant dans le domaine de la radiodiffusion. Ainsi, il
assujettit l’attribution de licences au respect de certains codes et lignes
directrices élaborés par l’Association canadienne des radiodiffuseurs
(« ACR ») ou par la Société Radio-Canada.
2.2.1.1 Les codes et lignes directrices applicables aux radiodiffuseurs
L’ACR est le porte-parole national des radiodiffuseurs privés du
Canada et représente la très grande majorité de ceux-ci. À la demande
du CRTC, l’ACR a adopté un Code de déontologie et des lignes directrices d’application volontaire sur les stéréotypes sexuels. Le Code de
déontologie stipule notamment que les radiodiffuseurs sont responsables de la publicité diffusée sur leurs ondes et doivent respecter les
lignes directrices. Ces lignes directrices ont été révisées en 1990 et sont
devenues le Code d’application concernant les stéréotypes sexuels à la
radio et à la télévision.
Parmi les neuf lignes directrices du Code se trouvent les éléments
suivants :
• Obligation de respecter la diversification dans la représentation des
personnes des deux sexes ;
51. Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), c. B-9.01.
52. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, CRTC
2007-388, Gatineau, CRTC, 2007 ; Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, CRTC 2006-668, Gatineau, CRTC, 2006.
Vendre par le sexe
517
• Obligation d’exprimer l’égalité intellectuelle et affective des deux
sexes ;
• Interdiction de toute exploitation sexuelle ; et
• Engagement d’éliminer les stéréotypes négatifs et d’inciter à la présentation de modèles positifs.
Le respect du Code est volontaire mais le CRTC tient compte de
son respect par les diffuseurs dans le cadre de l’obtention ou du renouvellement d’une licence. Il fournit des directives pour aider les diffuseurs à éviter toute discrimination relative à la représentation des
sexes dans leur programmation.
De façon parallèle, la Société Radio-Canada a adopté ses Lignes
directrices concernant les représentations à l’antenne des personnes des
deux sexes. Ces lignes directrices comportent des directives, similaires à
celles du Code de l’ARC, que la Société Radio-Canada s’est engagée à
respecter.
2.2.1.2 Bureau de la Télévision du Canada
Toutes les publicités qui sont diffusées par des diffuseurs privés
doivent être autorisées par le Bureau de la Télévision du Canada53
(« BTV »). Cet organisme indépendant regroupe plusieurs télédiffuseurs et son but est d’approuver les publicités qui seront diffusées
sur les stations de ses membres. Le BTV peut retirer des scènes qui
ne respectent pas le code de l’ACR et imposer des restrictions à la
mise en onde de cette publicité. On peut d’ailleurs lire ce qui suit sur
le site Internet du BTV54 :
Les allusions au sexe ne peuvent convenir à tous les types d’émissions et, lorsque nécessaire, les Services Telecaster proposeront
des restrictions relatives à la mise en ondes. Une scène (ou plusieurs scènes) qui contrevient aux objectifs et/ou à une des lignes
directrices, sera retirée. Les exemples suivants sont un point de
référence seulement et ne se limitent pas à ces exemples :
• Un message publicitaire ne peut contenir des scènes explicites
de sexe.
53. Bureau de la Télévision du Canada, en ligne : Tvb.ca « http://www.tvb.ca/
buton2f.htm »
54. Ibid.
518
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• Il ne peut y avoir de voyeurisme ou de gros plans des parties du
corps telles que les seins, les fesses et/ou la fourche.
• Il ne peut y avoir de stimulations telles que le frottement des
seins, des fesses et/ou de la fourche.
• Les messages publicitaires des magasins pour adultes et jouets
érotiques ne peuvent faire la démonstration du mode d’emploi
de ces produits. Selon le type de produit, les images pourraient
être restreintes à un plan panoramique à l’intérieur du magasin et le nom des produits, des logos et des marques ne peuvent
être visibles.
Révisé – octobre 2007
Dans le cas de la publicité à être diffusée sur les ondes de la
Société Radio-Canada, celle-ci doit être préalablement soumise au
Bureau du Code publicitaire de la Société et approuvée par celui-ci.
2.2.2. Le mécanisme de plainte relativement à la publicité
radiodiffusée
2.2.2.1 La plainte au CRTC
Le CRTC peut recevoir des plaintes des citoyens concernant toutes les émissions, publicités et informations diffusées à travers le
Canada.
Le CRTC fournit un formulaire de plaintes sur son site Internet et
permet le dépôt électronique de celles-ci55. Les plaintes peuvent être
acheminées au radiodiffuseur ou encore au Conseil canadien des
normes de la radiotélévision (« CCNR »). Le CCNR est un organisme
indépendant et non gouvernemental créé par l’ACR ; il est chargé
notamment d’administrer le Code d’application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la télévision.
Le CRTC peut aussi étudier les plaintes et rendre une décision.
En l’espèce, le CRTC considère que le code de l’ACR représente la
norme de l’industrie et que toute dérogation à cette norme entraînera
une décision défavorable à l’encontre du radiodiffuseur.
55. CRTC en ligne, http://www.crtc.gc.ca/RapidsCCM/Register.asp ?lang=F.
Vendre par le sexe
519
Cependant, une décision défavorable du CRTC à propos d’une
émission ou d’une publicité n’entraînera aucune conséquence directe
car les plaintes du public ne sont qu’une des composantes du processus
de révision des licences56. Les décisions défavorables sont notées dans
le dossier du radiodiffuseur et elles seront considérées lors du renouvellement de la licence de ce dernier57. Le CRTC peut alors refuser
de renouveler une licence ou encore ordonner le retrait ou la suspension de celle-ci. Cependant, le CRTC n’exerce qu’exceptionnellement
les pouvoirs tels que l’ordonnance de retrait ou de suspension des
licences accordées. Lors de l’analyse de renouvellement des licences,
les plaintes du public ne sont qu’un seul des éléments qui seront
considérés par le CRTC. Pour rendre une décision, le CRTC doit analyser une multitude de facteurs dont notamment les aspects économiques et sociaux.
L’affaire récente de Genex Communication et sa station de radio
CHOI FM à Québec démontre bien la réticence du CRTC à intervenir
dans une situation abusive. En l’espèce, le CRTC avait reçu plus de 47
plaintes durant la période de 1999 à 2001 et ce, relativement à diverses
violations des normes de conduite dans le cadre d’une émission diffusée
par la station CHOI FM. La réaction du CRTC fut d’imposer un renouvellement à court terme de la licence de la station CHOI FM ainsi que
des conditions supplémentaires incluant l’obligation de respecter le
Code d’application concernant les stéréotypes sexuels à la radio et à la
télévision58.
Le CRTC a aussi jugé que la suspension ou le retrait de la licence
n’était pas approprié à cette étape, car il n’y avait pas d’indication
qu’une suspension ou une révocation aurait les effets voulus considérant l’intention de Genex de respecter les conditions de licence59. Dans
les 13 mois qui ont suivi cette décision, 45 plaintes ont été déposées
au CRTC et il était devenu évident que Genex n’allait pas respecter
ses obligations malgré ses engagements. Des audiences publiques
furent tenues dans le cadre desquelles le public et tous les intéressés
ont pu se faire entendre60. Suivant ces audiences, le CRTC a refusé
56. Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au par. 27.
57. Par exemple voir : Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, CRTC 2002-189, Gatineau, CRTC, 2002 ; [CRTC 2002-189] et aussi :
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, CRTC 2004271, Gatineau, CRTC, 2004.
58. CRTC 2002-189.
59. Ibid., par. 73.
60. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, CRTC
2003-11, Gatineau, CRTC, 2003.
520
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de renouveler la licence de Genex61. Par ailleurs, la Cour fédérale
d’appel a permis à la station CHOI FM de continuer ses opérations
pendant la durée des procédures juridiques et ce, jusqu’au refus de la
Cour suprême d’entendre cette cause62.
2.2.2.2 Les plaintes aux diffuseurs et organismes
d’autoréglementation
Les plaintes quant à la publicité radiodiffusée sont normalement
acheminées directement aux radiodiffuseurs. Ceux-ci doivent alors
répondre à la plainte et peuvent volontairement retirer la publicité le
cas échéant.
Dans le cas de radiodiffuseurs privés, les plaintes peuvent également être acheminées au Conseil canadien des normes de la radiotélévision (« CCNR »).
Le CCNR est un organisme indépendant responsable de l’autoréglementation de l’industrie et du processus de plaintes de l’ACR. Le
CCNR traite ainsi les plaintes qui portent sur la publicité diffusée par
ses membres et les violations aux divers code de déontologie de ceux-ci.
Les plaintes, si reçues, peuvent ainsi conduire au retrait de la publicité.
2.3
L’autoréglementation et les Normes canadiennes
de la publicité63
En matière de réglementation de la publicité, la méthode préconisée par le législateur et par l’industrie de la publicité a été l’autoréglementation. Les Normes canadiennes de la publicité est un organisme
chargé de l’autoréglementation de l’industrie de la publicité canadienne. Il offre aussi un service d’approbation de la publicité destinée
aux enfants.
Les Normes canadiennes de la publicité réglemente toutes les
formes de messages publicitaires, que ceux-ci soient imprimés ou diffu61. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, CRTC
2002-271, Gatineau, CRTC, 2004.
62. Genex Communications Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 2004 CAF 279 et Genex Communications Inc. c.
Canada (Procureur Général), 2005 CAF 283.
63. Normes canadiennes de la publicité, en ligne : Tvb.ca « http://www.adstandards.com/fr/index.asp ».
Vendre par le sexe
521
sés. Cet organisme possède son propre code, soit le Code canadien des
normes de publicité. L’article 14 de ce code prévoit :
14. DESCRIPTIONS ET REPRÉSENTATIONS INACCEPTABLES
Il est reconnu que des publicités peuvent déplaire à des personnes, sans qu’elles n’enfreignent pour autant les dispositions de cet
article ; et, le fait qu’un produit ou un service en particulier puisse
offenser certaines personnes, ne constitue pas une raison suffisante pour s’objecter à une publicité sur ce produit ou ce service.
La publicité ne doit pas :
(a) tolérer quelque forme de discrimination personnelle que ce
soit, y compris la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe ou l’âge ;
(b) donner l’impression d’exploiter, tolérer ou inciter de manière
réaliste à la violence ; ni donner l’impression de tolérer ou d’encourager expressément un comportement physiquement violent ou
psychologiquement démoralisant ; ni encourager expressément
ou montrer une indifférence manifeste à l’égard d’un comportement illicite ;
(c) discréditer, dénigrer ou déprécier une personne, un groupe de
personnes, une entreprise, un organisme, des activités industrielles ou commerciales, une profession, un produit ou service, tous
faciles à identifier, ou tenter de le/les exposer au mépris public ou
au ridicule ;
(d) miner la dignité humaine, ou témoigner de façon évidente
d’indifférence à l’endroit d’une conduite ou d’attitudes portant
atteinte aux bonnes mœurs prédominantes au sein de la population ou encourager de façon gratuite et sans raison une conduite
ou des attitudes portant atteinte aux bonnes mœurs prédominantes au sein de la population.
Les Normes canadiennes de la publicité ont également pour but
de traiter les plaintes des citoyens et celles de l’industrie relativement à
la publicité, que celle-ci soit diffusée ou imprimée.
Certaines publicités ont été jugées contraires à l’article 14, dont
notamment une publicité dans laquelle une femme affichait une allure
522
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fatiguée alors qu’elle se tenait près d’un appareil ménager, car cela
avait pour effet de ridiculiser et dénigrer les femmes64. Deux publicités
de jeans qui illustraient une jeune femme, torse nu, exposant une
partie de ses seins ont été jugées comme portant atteinte aux bonnes
mœurs65. De plus, une publicité affichant une femme avec un buste
généreux et l’inscription « Juste du vrai » a été déclarée péjorative
envers les femmes66.
Une personne peut facilement déposer une plainte aux Normes
canadiennes de la publicité en vertu du Code canadien de la publicité et
cette plainte sera par la suite étudiée par le Conseil canadien des normes de la publicité. Ce dernier peut, par la suite, demander aux diffuseurs de retirer la publicité mais ne peut pas imposer son retrait.
Si le diffuseur refuse de retirer cette publicité, le Conseil se
réserve le droit d’annoncer publiquement qu’il est l’objet d’une décision
négative de celui-ci.
CONCLUSION
La prolifération des messages publicitaires à connotation
sexuelle, tout comme les représentations sexuelles dans les médias en
général, est sans aucun doute l’une des causes des troubles physiques et
psychologiques des adolescents et de l’existence continue de stéréotypes
sexuels. Les études démontrent en effet que les représentations dans
les médias influencent nos comportements et que les représentations à
connotation sexuelle, notamment dans la publicité, ont considérablement augmenté.
Aussi, après le tabac, les aliments génétiquement modifiés et l’alimentation rapide, il ne serait pas surprenant que la sexualité dans les
médias, et particulièrement dans la publicité, devienne la prochaine
cible des organismes populaires et communautaires.
Les membres de ces organismes et du public en général peuvent
se prévaloir des mécanismes de plainte aux diffuseurs ou aux Normes
canadiennes de la publicité. Ces mécanismes sont généralement suffisamment souples et flexibles pour permettre la reconnaissance et le
64. Normes canadiennes de la publicité, Rapport du quatrième trimestre 2006,
Montréal, NCP, 2006.
65. Normes canadiennes de la publicité, Rapport du troisième trimestre 2005, Montréal, NCP, 2005.
66. Normes canadiennes de la publicité, Rapport du quatrième trimestre 2006,
Montréal, NCP, 2006.
Vendre par le sexe
523
respect d’un nouveau consensus populaire. Le défaut principal de ces
mécanismes est toutefois qu’ils ne permettent pas l’imposition de
sanctions obligatoires.
Les membres des organismes populaires et du public peuvent
également, dans des cas extrêmes, porter une plainte privée pour publication obscène en violation des dispositions du Code criminel.
Considérant toutefois la difficulté d’obtenir la condamnation
d’une personne pour publication obscène et considérant que les plaintes
aux organismes d’autoréglementation n’ont pas toujours un effet suffisamment dissuasif, il est probable que le débat quant au contrôle de la
publicité à connotation sexuelle se fera dans le cadre de recours collectifs, tout comme cela a été fait pour le tabac et comme cela est présentement fait pour l’alimentation rapide. Cela est particulièrement
vraisemblable dans les circonstances actuelles où le droit du tribunal
d’octroyer des dommages punitifs en l’absence de dommages réels
semble en voie d’être reconnu67.
67. Voir notamment Riendeau c. Brault & Martineau, 2007 QCCS 4603 (C.S. Qué.) ;
en appel.
Capsule
Statut de l’artiste :
la loi interdite de séjour
Georges Azzaria et Valérie Bouchard*
La cabane à sucre Chez Dany peut passer à l’histoire. Elle est la
première à avoir intéressé la Cour d’appel du Québec1 à une affaire
qui devait circonscrire certaines des définitions fondamentales de la
Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des
artistes de la scène, du disque et du cinéma2. S’il est regrettable que
la Cour se bute essentiellement à des considérations propres au droit
administratif, sans éclaircir les écueils qui caractérisent l’interprétation de la loi, il demeure que cette décision est un prétexte commode pour exposer, même succinctement, les enjeux irrésolus du
statut de l’artiste. En effet, la question à l’origine du litige consiste à
déterminer si une cabane à sucre offrant des prestations musicales
d’un employé salarié peut être considérée comme une productrice au
sens de la loi mais, au final, c’est parce que l’accordéoniste qui s’y
© Georges Azzaria et Valérie Bouchard , 2008.
* Les auteur(e)s sont respectivement professeur de droit à l’Université Laval et étudiante à la maîtrise en droit à la même université.
1. Note : au moment de rédiger ce texte, le délai pour porter la cause devant la Cour
suprême du Canada n’était pas expiré.
2. L.R.Q., c. S 32.1 [ci-après « la loi »]. C’est la première fois que la Cour d’appel rend
une décision qui peut l’amener à déterminer certains des fondements de la loi.
Cependant la Cour d’appel a rendu une décision en 1995 concernant l’attribution
des secteurs de négociation, voir Conseil du Québec de la Guilde canadienne des
réalisatrices et réalisateurs c. Association québécoise des réalisatrices et réalisateurs de cinéma et de télévision, 1995 CanLII 4748 (C.A.). La Cour a aussi traité des
relations entre la loi et l’art. 96 de la Loi sur les compagnies (responsabilité des
administrateurs), voir Wright c. Syndicat des techniciens et techniciennes du
cinéma et de la vidéo du Québec, [2004] R.J.Q. 7 (C.A.). Par ailleurs, la loi est citée
par la Cour d’appel sur des points de droit administratif dans : Montréal (Ville de)
c. Centre Immaculée Conception inc., [1993] R.J.Q. 1376 (C.A.) (art. 67) ; Tribunal
administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.) (art. 68).
525
526
Les Cahiers de propriété intellectuelle
exécute n’est pas un artiste que l’affaire est classée. La qualification
de l’employeur perd alors de son utilité. Voyons comment s’est
déroulée cette histoire où, fait singulier, la plupart des protagonistes
ne désiraient pas être impliqués.
1. L’HISTOIRE JUDICIAIRE
En 2004, la Guilde des musiciens du Québec présente devant la
Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des
associations de producteurs (CRAAAP)3 une requête en jugement
déclaratoire4 afin d’établir le statut de producteur à Chez Dany, une
cabane à sucre qui reçoit ses convives au son de l’accordéon, et de
l’obliger à négocier avec elle les conditions d’engagement des musiciens y travaillant5. La requête est soumise par l’association professionnelle, sans consultation ou assentiment du seul musicien alors
concerné6, Mario Veillette. Ce dernier semble satisfait de ses conditions de travail et craint par ailleurs que l’intervention de la Guilde
ne lui fasse perdre ses prestations d’assurance-emploi pendant la
saison morte. En somme, l’accordéoniste redoute que la protection de
la Guilde l’éloigne de ses acquis économiques. Pourtant, la Guilde
allègue agir en droite ligne avec l’esprit même de la loi, dont elle souligne ainsi les objectifs qui ont présidé à son adoption, près de
vingt ans plus tôt : une loi « remédiatrice »7 qui doit se ranger parmi
celles, à caractère social, qui cherchent à mieux équilibrer les relations de travail entre les artistes et les producteurs. En effet, constatant que les artistes étaient désavantagés en regard des autres
catégories de travailleurs, le législateur québécois a instauré un
régime de négociation adapté aux réalités du travail dans le monde
des arts de la scène, du disque et du cinéma. Une des particularités
de cette loi est de conférer un statut de travailleur autonome aux
3. Guilde des musiciens du Québec et Cabane à sucre Chez Dany, [2005] R.J.D.T. 315
(C.R.A.A.A.P.) [ci-après « Chez Dany, CRAAAP »].
4. Voir les articles 58 et 61 de la loi.
5. Conformément à l’article 28 de la loi, l’association a auparavant transmis un avis
de négociation à l’établissement, lequel a refusé d’engager des pourparlers, alléguant ne pas être un producteur visé par la loi.
6. Le plus souvent, le regroupement des artistes à l’intérieur d’une association qui les
représente n’est pas l’initiative des artistes eux-mêmes, comme ce serait le cas
d’employés qui veulent se syndiquer, mais celle de l’association, en l’espèce la
Guilde des musiciens.
7. Ce terme est utilisé par Me Corriveau, président de la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs, dans Guilde
des musiciens du Québec et Hippodrome de Montréal inc., [2003] R.J.D.T. 1700
(C.R.A.A.A.P.), au par. 100. Il écrit : « [...] la Loi est une loi “remédiatrice” visant à
corriger le déséquilibre prévalant traditionnellement entre artistes et producteurs
de certains domaines de production artistique, lorsque vient le moment pour
ceux-ci de négocier des ententes portant sur les conditions d’engagement ».
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
527
artistes, tout en les soumettant à un régime de négociation collective. Devant la Commission, la Guilde rappelle les commentaires de
la ministre qui a présidé à l’adoption de la loi :
Pour les fins de l’établissement d’un régime de relations de
travail approprié au lien contractuel entre les artistes et les
producteurs, nous avons prévu des dispositions reconnaissant
juridiquement que les artistes sont réputés exercer leur art à
leur propre compte si un ou plusieurs producteurs retiennent
leurs services professionnels pour des prestations déterminées.
Cette présomption établit clairement que les rapports entre les
deux parties ne créent pas de liens de subordination. En conséquence, les contrats collectifs échappent aux lois habituelles
des relations de travail et aux règles courantes de la négociation.8
Ainsi, suivant l’article 2 de la loi, l’artiste est « une personne
physique qui pratique un art à son propre compte et qui offre ses services moyennant rémunération, à titre de créateur ou d’interprète,
dans un domaine visé à l’article 1 » et le producteur, une « personne
ou une société qui retient les services d’artistes en vue de produire ou
de représenter en public une œuvre artistique dans un domaine visé
à l’article 1 ». La loi instaure par ailleurs une présomption à l’article
6 lorsqu’elle indique : « Pour l’application de la présente loi, l’artiste
qui s’oblige habituellement envers un ou plusieurs producteurs au
moyen de contrats portant sur des prestations déterminées est
réputé pratiquer un art à son propre compte ». Partant, la Guilde en
tire l’interprétation suivante : la loi s’applique automatiquement en
présence d’un artiste et d’un producteur. La qualité de salarié de
l’accordéoniste ne le soustrait pas à l’application de la loi, laquelle, a
contrario, précise à son article 5 : « La présente loi ne s’applique pas à
une personne dont les services sont retenus pour une occupation
visée par une accréditation accordée en vertu du Code du travail
(chapitre C-27) ou par un décret adopté en vertu de la Loi sur les
décrets de convention collective (chapitre D-2) ». D’autre part, la
Guilde prétend qu’on ne peut assimiler l’artiste à un salarié dans le
but de contourner la loi, pas plus qu’il est permis d’utiliser le bénévolat dans le même dessein, tel que la Commission l’a conclu dans
l’affaire Simard9. Quant à la détermination du statut de producteur,
la Guilde retient le critère énoncé dans l’affaire Provigo et estime par
8. Projet de loi 90, Journal des débats, 1987, vol. 29, no 159, aux pp. 10849 et s.
9. Simard c. Union des artistes, [1996] C.R.A.A. 628.
528
Les Cahiers de propriété intellectuelle
conséquent que l’entité qui détient le plus de contrôle sur la prestation de l’artiste doit être qualifiée de productrice 10.
Devant la CRAAAP, Chez Dany plaide que le musicien est un
salarié, intégré à l’entreprise au même titre que le cuisinier : il ne
pratique pas son art à son propre compte. De surcroît, il ne peut offrir
ses services à un autre employeur et son salaire est déterminé par
Chez Dany, lequel demeure le seul à courir un risque économique.
En somme, l’accordéoniste n’est pas un artiste visé par la loi et les
faits en cause renversent la présomption de l’article 6. Chez Dany
considère par conséquent ne pas être un producteur. L’entreprise
plaide également que l’accordéoniste ne produit pas une œuvre
artistique, mais de la musique d’ambiance. Ce dernier argument, qui
soulève d’emblée une discussion sur la nature même d’une œuvre
musicale, n’a pas été développé plus avant11.
Le tribunal administratif accueille la requête de la Guilde des
musiciens. Pour la CRAAAP, ce n’est pas autour de la notion de salarié qu’il faut interpréter les faits : tel n’est pas le libellé de la loi.
Cette dernière trace plutôt une ligne de partage entre le fait de pratiquer son art à son propre compte et le fait d’être visé par une accréditation ou un décret. Ainsi, selon la Commission, l’objectif du
législateur est de permettre à tous les artistes de s’accrocher à une
forme ou une autre de négociation collective :
L’article 5 établit que la Loi ne s’applique pas à une personne
dont les services sont retenus pour une occupation visée par
une accréditation accordée en vertu du Code du travail (chapitre C-27), ou par un décret adopté en vertu de la Loi sur les
décrets de convention collective (chapitre D-2). Suivant le sens
ordinaire et grammatical de la disposition, la Loi ne peut donc
10. Provigo distributions inc. c. Guilde des musiciens du Québec, [2002] R.J.D.T. 767
(C.R.A.A.A.P.), au par. 80 : « [...] il est primordial que l’employé temporaire puisse
négocier avec la partie qui exerce le plus grand contrôle sur tous les aspects de
son travail et non seulement sur la supervision de son travail quotidien ».
11. Rappelons que la production ou la représentation d’une œuvre artistique est un
critère essentiel pour l’application de la loi. Cependant la qualification de l’œuvre
est une question à laquelle il faudrait réfléchir. À titre d’exemple, la musique
d’ambiance est une représentation artistique en public, voir Provigo Distributions inc., supra, note 10. Toutefois, la production de sons visant à animer une
foule s’assimile à de la sonorisation et n’est pas une représentation artistique.
Voir Guilde des musiciens et Centre Molson inc., [2004] R.J.D.T. 1629
(C.R.A.A.A.P.). Requête en révision judiciaire rejetée D.T.E. 2005T-582 (C.S.
Qué. ; 2005-05-31). Requête pour permission d’appeler rejetée 500-09-015765050 (C.A. Qué., 2005-08-24).
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
529
s’appliquer à une personne dont la fonction est visée par une
accréditation ou par un décret. [...] Le libellé de l’article 5 ne
souffre pas d’ambiguïté à cet égard : une telle restriction de
portée générale ne repose pas sur une distinction entre salariés
et travailleurs à leur propre compte. Il y apparaît clairement
que la qualité de salarié n’est pas l’élément retenu par le législateur pour déterminer si une personne est exclue a priori de
l’application de la Loi. C’est l’existence d’une accréditation ou
d’un décret qui est déterminante.12
La preuve soumise ne démontre pas qu’un décret ou une convention lie l’accordéoniste. Par ailleurs, la présomption de l’article 6
s’applique au musicien : « Il s’agit d’une personne physique qui est
interprète, contre rémunération, de pièces du répertoire folklorique.
L’exécutant exerce dans un domaine visé par l’article 1 : la musique.
En outre, il s’oblige habituellement envers Chez Dany au moyen de
contrats portant sur des prestations déterminées »13. Puisque la
Commission accueille la requête, la cabane à sucre Chez Dany est
placée devant l’obligation de négocier les conditions de travail du
musicien avec l’association accréditée, soit la Guilde des musiciens14, laquelle devient la représentante de l’accordéoniste. Or,
l’affaire est portée en appel.
Devant la Cour supérieure15, le litige porte sur les motifs
d’évocation. Toutefois, le tribunal ne détermine pas la norme de contrôle applicable en droit administratif, mais s’invite au débat sur
l’interprétation de la loi.
L’argument principal soulevé par Chez Dany porte sur une
« erreur fondamentale » de la Commission, soit celle d’inférer que son
employé est un artiste visé par la loi. Ainsi, en déclarant que le musicien salarié est assujetti à la loi, la Commission interprète l’article 6
de manière si large que cela équivaut à affirmer que l’article s’applique « à tout artiste dans toutes les circonstances »16. Une telle
interprétation prive de portée les définitions d’« artiste » et de « producteur » contenues à l’article 2. En somme, la Commission omet de
distinguer le salarié et le travailleur autonome et son verdict cons12.
13.
14.
15.
Chez Dany, CRAAAP, supra, note 3, aux par. 63-64.
Ibid., aux par. 72-73.
L’obligation de négocier est prévue à l’article 30 de la loi.
Cabane à sucre Chez Dany c. Commission de reconnaissance des associations
d’artistes et des associations de producteurs, [2006] R.J.D.T. 586 (C.S.) [ci-après
« Chez Dany, C.S. »].
16. Ibid., au par. 15.
530
Les Cahiers de propriété intellectuelle
titue « une appréciation manifestement déraisonnable des faits et du
droit applicable »17. À titre d’intervenante, l’Association québécoise
de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) abonde
dans le même sens. Pour cette association, seuls les artistes travaillant à leur propre compte sont visés par la loi : « Or, en l’espèce, dans
sa décision, la Commission a conclu que la Loi s’appliquait aux artistes sans distinction quant à leur statut réel de pigistes et de salariés »18. Selon l’ADISQ :
[...] l’ensemble de la preuve indique que l’accordéoniste embauché par la requérante [Chez Dany] ne peut d’aucune façon être
assimilé à un travailleur autonome, à un pigiste ou, de façon
générale, à une personne qui exerce un art à son propre compte.
[...] Ainsi, l’erreur de la Commission dans l’application des faits
au texte de l’article 6 de la Loi est manifestement déraisonnable et conduit au résultat absurde selon lequel tout musicien
engagé, pour qui que ce soit, sera visé par la présomption de
l’article 6.19
La Guilde des musiciens, pour sa part, construit son argumentaire sur la compétence de la Commission qui détient une expertise
spécialisée et dont les décisions sont finales et sans appel en vertu
d’une clause privative20. Selon la Guilde, les prétentions adverses
dénaturent l’intention du législateur :
La Guilde et ses partisans soumettent donc à cette Cour que
tout le raisonnement de la requérante et des intervenantes de
première part repose sur des prémisses erronées. Ainsi, en prétendant que la présomption contenue à l’article 6 de la Loi ne
peut être absolue, elles ne peuvent comprendre le fonctionnement de la décision de la Commission et elles dénaturent, du
même souffle, les véritables intentions du législateur pour s’y
attaquer.
Car, écrit-on, la Loi sur laquelle reposent les prétentions de la
Guilde et des intervenantes qui lui sont favorables représente
une loi remédiatrice et d’ordre public qui empêche toute tentative de rechercher une autre «vérité» ou de démontrer «sa vérité».
17.
18.
19.
20.
Chez Dany, C.S., supra, note 15, au par. 24.
Ibid., au par. 68.
Ibid., aux par. 72-73.
En effet, il n’est pas permis d’exercer de recours contre la Commission, sauf sur
une question de compétence. Voir les articles 67 et 68 de la loi.
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
531
Un tel exercice, prétend-on, est voué à l’échec et doit se heurter
au choix du législateur. [Les italiques sont nôtres.]21
Le juge rejette cette interprétation : la « vérité » de l’accordéoniste doit s’insérer dans celle de la loi. Ainsi, la Cour supérieure
commence son verdict par un rappel des faits où elle trouve pertinent
de mentionner que l’accordéoniste est un ex-pompiste. Cette qualification de l’interprète n’est pas anodine : le tribunal semble considérer que, à la manière de l’autre loi sur le statut de l’artiste adoptée
par le gouvernement québécois, une personne doit impérativement
se déclarer artiste professionnel pour être qualifiée comme tel22.
Pour la Cour supérieure, tout se passe comme si les principaux protagonistes devaient impérativement se reconnaître dans la loi : « Si
l’on se fie strictement aux éléments factuels de ce dossier, il ne fait
aucun doute que l’employé Veillette ne se considérait pas comme un
artiste, non plus que son employeur comme un producteur, au sens
de l’article 2 »23. Pourtant, le juge souligne que dans un affidavit
détaillé, M. Veillette se déclare musicien. Faut-il en déduire que ce
musicien n’est pas un artiste professionnel ? L’affidavit précise que
« ses principales fonctions sont l’accueil de la clientèle, l’animation et
la création de la musique d’ambiance »24. Ainsi, le juge semble d’avis
que cette description de tâches ne fait pas de l’accordéoniste un
artiste qui exécute une œuvre artistique. Il compare plutôt le travail
de l’accordéoniste à celui de l’organiste du centre Bell25, au sujet
duquel, dans une décision qu’il a lui-même rendue26, il a confirmé la
décision de la CRAAAP établissant que l’organiste ne produisait pas
une œuvre artistique27. La cour souligne de plus que les gens qui se
rendent à la cabane à sucre n’y vont pas avec l’intention d’écouter de
la musique, contrairement à ceux qui se déplacent pour entendre un
concert. En regard à la jurisprudence antérieure, l’argument a toute21. Chez Dany, C.S., supra, note 15, au par. 109.
22. Voir l’article 7 de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des
métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q.,
c. S-32-01 qui pose que : « A le statut d’artiste professionnel, le créateur du
domaine des arts visuels, des métiers d’art ou de la littérature qui satisfait aux
conditions suivantes : 1o il se déclare artiste professionnel ; [...] ».
23. Chez Dany, C.S., supra, note 15, au par. 138.
24. Ibid., au par. 131.
25. Centre Molson inc., supra, note 11.
26. Il est étonnant que le juge, qui cite sa propre décision, sache par ailleurs pointer
clairement la norme de contrôle applicable dans ladite affaire du Centre Molson,
soit la décision manifestement déraisonnable, alors qu’il est passablement vague
dans Chez Dany. Assez vague pour que la Cour d’appel du Québec doive la déterminer et déduire de ses motifs que, même s’il ne le précise pas effectivement, il
applique certainement la norme de la décision manifestement déraisonnable.
27. Voir Centre Molson inc., supra, note 11.
532
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fois peu de mérite quant à la détermination des statuts d’artiste et de
producteur. L’affaire Provigo a clairement établi que la musique
d’ambiance est une représentation artistique en public : personne ne
va chez son épicier pour écouter principalement de la musique et
Provigo a néanmoins été déclarée « producteur » en vertu de la loi. Le
recours du juge à cette notion de public ressemble à un effort de relativisation de l’aspect artistique et professionnel du travail de l’accordéoniste, permettant à la Cour de faire cette affirmation :
Au-delà des considérations purement juridiques, ne faut-il pas
comprendre de la décision de la Commission, du point de vue de
la Guilde et des intervenantes qui lui sont favorables, que ces
parties considèrent que, dès qu’une personne s’accompagne
d’un instrument pour en amuser quelques autres ou créer une
espèce d’ambiance, dans un lieu donné à vocation restreinte,
elle devient automatiquement un artiste captif, pour ainsi dire,
forcément assujetti à la Loi qu’on connaît puisque son
employeur doit être réputé là et alors, dans quelque circonstance que ce soit, un producteur au sens de la même Loi. N’estce pas alors l’imposition d’une certaine forme de captation
qu’on applique à l’occasion en matière testamentaire ou encore
d’asservissement ou contrainte obligée ?28
La Cour refuse en effet que la loi puisse avoir une portée aussi
large. En interprétant la loi au regard des faits, le tribunal statue
que : « [s]ans doute que cet employé est rémunéré selon une prestation déterminée, mais sûrement pas en vertu de «contrats portant
sur des prestations déterminées» dont il est question à l’article 6 de
la Loi »29. C’est ainsi que la Cour supérieure tranche : « Il y a en
conséquence erreur de la part de la Commission qui donne à
l’article 6 une extension que le législateur n’a pas prévue en ce qu’elle
confond l’exécution par un artiste «au moyen de contrats portant sur
des prestations déterminées» avec les directives qui sont données au
salarié dans le cadre de son emploi »30. La Commission a donc omis
de considérer des éléments factuels avant d’appliquer la présomption de l’article 6 de la loi. Résultat : « cet accordéoniste ne constitue
pas un artiste au sens de la Loi, et en conséquence la requérante ne
peut pas être considérée comme un producteur »31. La Guilde porte
l’affaire en appel.
28.
29.
30.
31.
Chez Dany, C.S., supra, note 15, au par. 120.
Ibid., au par. 116.
Ibid., au par. 159.
Ibid., au par. 169.
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
533
Devant la Cour d’appel32, les deux questions débattues portent
sur le contrôle judiciaire. La première se décline comme suit :
« Quelle est la norme de contrôle applicable lorsque la Commission
recourt, comme ici, à la présomption prévue par l’article 6 de la Loi
pour déterminer si une personne est un artiste et son employeur un
producteur au sens de la Loi ? ». Sur cette question, la Cour estime
nécessaire de déterminer la norme de contrôle applicable, laquelle
n’a pas été précisée par le juge de la Cour supérieure. Se référant à
l’arrêt de principe U.E.S., Local 298 c. Bibeault33 et aux critères qui y
sont énoncés34, elle écrit notamment que :
[...] la Loi vise la protection des artistes qui ne bénéficient pas
de la protection qu’offre une accréditation syndicale ou ne sont
pas couverts par un décret de convention collective (article 5). À
cette fin, elle confère à la Commission des pouvoirs qui se rapprochent de ceux dont dispose la Commission des relations de
travail en vertu de l’article 39 du Code du travail pour déterminer si une personne est un salarié inclus dans l’unité d’accréditation. En vertu de la Loi, il revient en effet à la Commission
de déterminer qui est artiste ou producteur. De plus, l’article 6
de la Loi concerne un aspect précis qui touche à la raison d’être
de la Loi et de la Commission, savoir la détermination du statut
professionnel de l’artiste. Il est naturel, dans ce contexte, que
l’article 58 de la Loi confère à la Commission le pouvoir de
« décider de toute demande relative à la reconnaissance d’une
association d’artistes ou d’une association de producteurs », de
désigner un arbitre ou un médiateur pour l’application de certaines dispositions, de donner son avis au ministre relativement à l’application de la Loi et de définir, sur demande, des
secteurs de négociation ou des champs d’activités relatifs à la
reconnaissance.35
La Cour d’appel juge que la norme de contrôle applicable est
celle de l’erreur manifestement déraisonnable. Sans reprendre le
détail du raisonnement qui intéresse davantage le droit administra-
32. Guilde des musiciennes et musiciens du Québec c. Cabane à sucre Chez Dany,
2008 QCCA 331 [ci-après « Chez Dany, C.A. »].
33. [1988] 2 R.C.S. 1048.
34. Soit les critères suivants : « a) la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel ; b) l’expertise de l’organisme administratif par rapport à celle de la cour de révision quant à la question en litige ; c) l’objet de la loi et
de la disposition particulière ; d) la nature de la question – de droit, de fait ou
mixte de fait et de droit ».
35. Chez Dany, C.A., supra, note 32, au par. 43.
534
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tif, il importe toutefois de mentionner que la Cour d’appel réitère
l’expertise spécialisée et exclusive de la Commission.
La seconde question examinée par la Cour est formulée de la
manière suivante : « Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que la décision rendue par la Commission en application de la
présomption prévue à l’article 6 de la Loi est manifestement déraisonnable ? ». Selon le tribunal d’appel, le juge de la Cour supérieure
semble s’ingérer dans l’appréciation des faits, mais cela n’est pas
fatal parce que l’intrusion est étrangère à la ratio decidendi de la
décision qui porte plutôt sur l’omission de la Commission de considérer des faits essentiels à l’application de l’article 6. Sur l’existence
des contrats, première condition d’ouverture de l’article 6, la Cour
d’appel mentionne « [...] l’interruption saisonnière des prestations de
l’accordéoniste ne permet pas [...] de conclure que ce dernier se lie
chaque année au moyen d’un contrat à durée déterminée et que, par
conséquent, il s’oblige depuis trois ans envers l’intimée au moyen
d’une pluralité de contrats »36. Pour la Cour d’appel, c’est une erreur
manifestement déraisonnable que de déduire, comme l’a fait la Commission, qu’il y aurait plusieurs contrats sur des prestations déterminées. Par conséquent, le juge de la Cour supérieure n’a pas erré en
déduisant que la Commission avait commis une erreur manifestement déraisonnable.
2. LES INCERTITUDES DE L’HISTOIRE JUDICIAIRE
Cette décision de février 2008 de la Cour d’appel, bien qu’elle
puisse recevoir un écho favorable en droit administratif, ne règle en
rien les éléments d’incertitude qui recouvrent la loi sur le statut de
l’artiste quant aux définitions de « producteur » et d’« artiste ».
D’une part, la définition de « producteur » demeure encore
imprécise. Dans le dossier de Chez Dany, c’est l’absence du statut
d’artiste qui évite aux tribunaux la tâche d’en définir les contours.
Pourtant, une clarification jurisprudentielle demeure nécessaire
entre les décisions de la Cour supérieure et l’interprétation de la
CRAAAP. En effet, dans les quelques décisions rendues à ce jour37, la
Cour supérieure semble vouloir limiter la portée de la loi. La Cour
hésite devant le pouvoir donné aux associations d’intervenir dans
36. Ibid., au par. 64.
37. Voir Centre Molson inc., supra, note 11 ; Chez Dany, C.S., supra, note 15 ;
Café Sarajevo c. Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des
associations de producteurs, [2004] R.J.Q. 874 (C.S.).
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
535
toute relation entre un « artiste » et une entité qui lui offre une scène.
Ce passage du jugement est révélateur de la réticence de la Cour :
« [e]t voilà qu’à un moment donné la Guilde s’interpose et exige que la
requérante négocie avec elle [...] »38 [nos italiques]. À l’autre bout du
spectre, la CRAAAP interprète largement l’application de la loi
quant à la qualité de producteur. Elle en pose comme limite celui qui
agit passivement en simple locateur de salles39. En outre, elle y
inclut le propriétaire de bar, de restaurant ou de café, même si le propriétaire ne possède pas de contrat écrit avec l’artiste ou n’intervient
pas dans le contenu artistique de la performance et même si le propriétaire ne rémunère pas l’artiste et que le cachet est constitué par
« le passage du chapeau » dans le public. C’est le cas notamment dans
l’affaire du Café Sarajevo, une décision de la Commission renversée
elle aussi par la Cour supérieure40.
D’autre part, la définition de l’artiste semble maintenant
exclure le salarié à contrat indéterminé. Ces considérations ne ressortent pas clairement de la loi ou de l’intention du législateur, mais
elles se glissent doucement dans son interprétation. Rappelons que
l’autre loi sur le statut de l’artiste pose explicitement que la loi ne
s’applique pas à un artiste salarié41. La loi cherche à remédier à trois
difficultés de la condition d’artiste, soit : un statut ambivalent, une
iniquité socio-économique et une absence de reconnaissance sociale
et professionnelle42. En somme, la loi comble le vide juridique qui
prive l’artiste d’un statut dans l’ordonnancement social et qui compense le fossé socio-économique creusé entre les artistes et la société,
de même que celui creusé entre les artistes et leurs employeurs. Sans
38.
39.
40.
41.
Chez Dany, C.S., supra, note 15, au par. 117.
La Place à côté et Guilde des musiciens du Québec, 2004 CRAAAP 397.
Sarajevo, supra, note 37.
Voir l’article 5 de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des
métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, supra,
note 22.
42. En 1986, la ministre des Affaires culturelles, dans son mémoire au Conseil des
ministres sur la Commission parlementaire sur le statut de l’artiste, identifiait
trois problèmes reliés à la condition socio-économique des artistes : « 1o le caractère hybride et changeant de ce statut, 2o le déséquilibre ou la non adéquation
entre l’apport des artistes au développement social, économique et culturel et
leur rétribution financière, ainsi que leur reconnaissance sociale, 3o l’écart du
statut socio-économique des artistes par rapport à d’autres catégories de producteurs ou de travailleurs ». Mémoire de la Ministre des Affaires culturelles au Conseil des ministres sur la Commission parlementaire sur le statut de l’artiste,
31 janvier 1986 à la p. 1 cité par Ghislain ROUSSEL, « Historique et objectifs des
législations québécoises sur le statut de l’artiste », dans Journée d’études sur
le statut de l’artiste, Actes de la journée d’étude sur le statut de l’artiste,
16 novembre 1991 (Montréal, Association littéraire et artistique canadienne,
1992), à la p. 14.
536
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’intervention du législateur, il est impossible pour les artistes de former un syndicat reconnu par le Code du travail puisqu’ils ne satisfont pas généralement à la définition de salarié. Ils ne peuvent alors
forcer leurs employeurs à négocier une entente collective. En plus de
devoir négocier des conditions de travail à la pièce, ils doivent faire
face, seuls, à la problématique de la négociation « multi-patronale »,
contractant avec des producteurs variés. Par ailleurs, si l’artiste
travaille à son compte, il n’est pas un entrepreneur :
Une première confusion que nous voulons faire ressortir
concerne une fausse identité entre l’entrepreneurship artistique et l’artiste. L’artiste participe (temporairement) et s’identifie (partiellement) au rêve artistique d’un producteur. Il n’en
assume point les risques, pas plus qu’il ne rassemble les divers
éléments de production. Il offre un service et reçoit un cachet en
contrepartie, même s’il assume nécessairement une responsabilité eu égard à l’art qu’il pratique, cela ne constitue pas un élément suffisant pour en faire un entrepreneur.43
L’objectif de la loi est donc de donner un statut à l’artiste. Un
statut qui ne peut être tiré des structures juridiques déjà existantes
et qui, compte tenu des spécificités du travail artistique, nécessite
l’invention et l’intervention du législateur :
[...] la loi sur le statut de l’artiste a permis de faire bénéficier les
artistes d’un statut professionnel adapté à leur contexte de travail et de mettre en place un régime de négociation d’ententes
collectives avec ceux qui retiennent leurs services professionnels. Avant la loi, les associations d’artistes étaient liées aux
producteurs de la scène, du disque et du cinéma par de simples
ententes contractuelles en dehors de tout cadre juridique. La loi
sur le statut de l’artiste est devenue ce cadre légal.44
Il s’agissait donc de forcer le regroupement pour faire face à la
marginalisation des artistes dans la société et leur accorder les
mêmes droits que l’ensemble des autres travailleurs.
43. Claude PICHETTE, Le statut juridique de l’artiste interprète (Québec, Gouvernement du Québec, ministère des Affaires culturelles, Service gouvernemental de la
propriété intellectuelle et du statut de l’artiste, 1984), à la p. 121.
44. Québec, Assemblée nationale, « Adoption du principe, projet de loi no64 », dans
Journal des débats, vol. 35, no 53 (26 novembre 1996) à la p. 3372 [Ministre
Louise Beaudouin].
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
537
Ce qui distingue Chez Dany de la plupart des autres décisions
concernant la portée de la loi est que M. Veillette a un statut : il est
un employé salarié permanent de la cabane à sucre. À ce titre, la querelle autour de Chez Dany devient un prétexte pour discuter de la
syndicalisation forcée du secteur culturel qui découlerait de l’application de la loi sur le statut de l’artiste. C’est du moins ce que la Cour
supérieure donne à penser. Dans une autre affaire : « Les pouvoirs
que confère la loi à une association d’artistes permettent de conclure
qu’il s’agit d’une association de nature syndicale au sens de la Loi sur
les syndicats professionnels »45. Or, cette syndicalisation est singulière. Elle permet des incursions là où elle n’a reçu aucune invitation,
dans des entreprises où il n’y a aucune mobilisation des travailleurs.
De fait, la Guilde procède souvent en feuilletant les journaux à
l’affût des représentations artistiques pour forcer la négociation avec
ceux qui les présentent. Elle n’attend pas qu’un de ses membres lui
soumette cette demande. Cette « collectivisation contraignante » est
à la fois le centre vital de la loi et son aspect le plus contesté, celui qui
par ailleurs est probablement à la source des réticences de la Cour
supérieure. La particularité de cette approche est reliée à l’adhésion,
officiellement libre, mais dans les faits, forcée, aux associations
représentatives. Il est vrai que la loi prévoit la liberté d’adhésion de
l’artiste et celle du producteur46. Il est vrai aussi qu’il était de
l’intention du législateur de respecter la liberté d’association :
« Liberté d’association, équité, équilibre entre la non-obligation pour
un artiste d’adhérer à une association professionnelle et le respect
des conditions minimales d’engagement de celui-ci par un producteur, tels étaient les objectifs fondamentaux du projet de loi
no 90 [Loi sur le statut de l’artiste] »47. Cependant, la loi impose que
les conditions négociées dans toute entente soient au minimum
celles de l’entente collective en vigueur48 et elle stipule par ailleurs
que tout producteur, même s’il n’est pas membre de l’association
reconnue, est lié par l’entente collective49. Enfin, l’article 26 consacre
45. Confédération des syndicats nationaux c. Association des professionnelles et professionnels de la vidéo du Québec, [2001] R.J.D.T. 1184 (C.S.).
46. Voir les articles 7 et 42.2 de la loi.
47. ROUSSEL, supra, note 422, à la p. 23.
48. Voir l’article 8 de la loi : « L’artiste a la liberté de négocier et d’agréer les conditions de son engagement par un producteur. L’artiste et le producteur liés par
une même entente collective, ne peuvent toutefois stipuler une condition moins
avantageuse pour l’artiste qu’une condition prévue par cette entente ».
49. Voir l’article 40(2) de la loi : « Dans le cas d’une entente conclue avec une association reconnue de producteurs, l’entente collective lie chaque producteur membre
de l’association reconnue, de même que tout autre producteur œuvrant dans le
champ d’activités de l’association, même si l’association est dissoute ».
538
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sans équivoque la reconnaissance incontournable des associations
d’artistes :
Toute association de producteurs et tout producteur ne faisant
pas partie d’une association de producteurs doivent, aux fins de
la négociation d’une entente collective, reconnaître l’association reconnue d’artistes par la Commission comme le seul
représentant des artistes dans le secteur de négociation en
cause.
En pratique, les musiciens50 et les producteurs sont donc dans
tous les cas liés par la loi. Ainsi, le législateur veut protéger et parvient à protéger même ceux qui ne le veulent pas. La prégnance de
cette loi, qui est plus facilement comprise dans d’autres domaines du
droit, dérange et, à l’évidence, dérange la Cour supérieure. Cela tient
peut-être à ce mythe de l’artiste sans attache, mythe d’ailleurs
retenu par la ministre lors de l’adoption de la loi pour éviter de qualifier l’artiste de travailleur salarié, afin de préserver son autonomie :
« la liberté requise pour la pratique même d’un art accentue le caractère autonome de la profession »51.
En définitive, nous sommes devant des enjeux irrésolus qui
tiennent à la fois des incertitudes quant à l’interprétation de la loi,
mais aussi à des perceptions « irréconciliées », sinon inconciliables,
de l’artiste et de la création artistique. Au-delà des considérations
socio-économiques, cette loi qui protège sans considération pour la
qualité artistique, protège-t-elle unilatéralement de peur d’oublier le
prochain Mozart ? À l’opposé, la réticence répétée de la Cour supérieure quant à cette forte expansion de la loi cache-t-elle une vision
de l’art qui réserve uniquement la protection pour le Mozart consacré ? D’autre part, dans ce refus de voir dans l’artiste un simple travailleur, n’y a-t-il pas l’incarnation de toute une vision romantique
50. Les musiciens qui ne sont pas membres de la Guilde doivent payer pour chaque
représentation un permis et ce, à même leur propre cachet sans bénéficier des
avantages que procure une cotisation au syndicat. Ainsi, ceux qui résistent à s’associer à une organisation de représentation finissent souvent par céder devant
les impératifs économiques. La sentence arbitrale rendue entre la Guilde et
l’ADISQ témoigne à cet effet. Lors de la présentation de sa preuve, l’ADISQ fait
entendre plusieurs musiciens, producteurs ou gérants racontant comment ils en
sont venus à adhérer à la Guilde, même à l’encontre de leurs principes. Guilde des
musiciens du Québec (GMQ) et Association québécoise de l’industrie du disque, du
spectacle et de la vidéo (ADISQ), 2002-09-16, aux pp. 28 et s.
51. Québec, Assemblée nationale, « Adoption du principe, projet de loi 90 » dans Journal des débats, vol. 29, no 147 (1er décembre 1987) à la p. 9940 [Ministre Lise
Bacon].
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
539
de sa condition, laquelle doit protéger une identité marginale et singulière ? Et cette marginalité assimilée par les artistes eux-mêmes
ne leur semble-t-elle pas être spécifiquement cette garantie d’une
place dans la société52 ? Au confluent de tous ces mythes sur la qualité d’artiste, la loi choque parce que son effet « collectivisant », voire
« syndicalisant », sape la singularité de l’artiste et, ce faisant, l’idée
que « [...] l’expression artistique n’a pas à être soumise à d’autres
finalités qu’elle-même »53.
52. Au sujet de la singularité de l’artiste en tant que fondement de son identité et de
son pouvoir social, voir Nathalie HEINICH, L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique (Paris, Gallimard, 2005).
53. Ibid., à la p. 35.
Capsule
Droit des brevets –
cinq décisions de 2007
ou
Ce qu’il ne faut pas faire
Hélène D’Iorio*
1. Warren Wessel c. Cansco Ltd.1 – Examen de l’état de
l’instance
Dans cette cause, les demandeurs n’avaient pas répondu à un
avis d’examen de l’état de l’instance dans le délai prévu et le protonotaire avait rejeté l’instance pour cause de retard. Immédiatement
après l’expiration du délai prévu pour la réponse à l’avis d’examen de
l’état de l’instance, les demandeurs avaient déposé un avis de changement de procureurs. Les nouveaux procureurs des demandeurs
avaient demandé au protonotaire de reconsidérer son ordonnance.
Le protonotaire avait alors accordé une ordonnance rétablissant
l’instance comme une instance à gestion spéciale. Les nouveaux procureurs des demandeurs avaient expliqué le retard en raison d’une
erreur de leur part quant à la date à laquelle était due la réponse à
l’avis d’examen de l’état de l’instance. Le défendeur avait fait appel
de la décision du protonotaire rétablissant l’instance, à l’appui de la
Règle 399 des Règles de la Cour fédérale, en alléguant que la preuve
déposée par les demandeurs aurait dû démontrer une erreur commise par les demandeurs ou par les procureurs qui occupaient à la
date de l’ordonnance initiale du protonotaire.
© Hélène D’Iorio, 2008.
* Avocate chez Gowling Lafleur Henderson à Montréal.
1. (2007) 57 C.P.R. (4th) 307 (C.F.).
541
542
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En appel, la Cour note qu’en vertu de la Règle 399 (1)b), toute
ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu à la
suite d’un événement fortuit ou à une erreur, peut, sur requête, être
annulée ou modifiée. En vertu de cet article, la Cour a déterminé
qu’elle avait la discrétion de modifier l’ordonnance rejetant l’action
puisque la Cour était satisfaite qu’il y avait eu erreur, même si cette
erreur avait été commise par les nouveaux procureurs des demandeurs.
2. Grenke c. Corlac Inc.2 – Le Commissaire aux brevets
doit-il être une partie à une procédure en vertu de
l’article 52 de la Loi sur les brevets ?
Le protonotaire Laferrière a décidé que le Commissaire aux
brevets n’aurait pas dû être constitué partie et que sa présence
n’était pas nécessaire pour les fins d’une demande reconventionnelle
où les défendeurs recherchaient une ordonnance en vertu de
l’article 52 de la Loi sur les brevets. Les défendeurs avaient été poursuivis pour contrefaçon de deux brevets. En défense et demande
reconventionnelle, les défendeurs alléguaient que les brevets étaient
non valides et que l’un des deux brevets appartenait à l’un des défendeurs. Les défendeurs réclamaient une ordonnance en vertu de
l’article 52 de la Loi sur les brevets visant à modifier les registres du
Bureau canadien des brevets, afin d’identifier l’un des défendeurs
comme titulaire du brevet. Pour ce faire, les défendeurs soutenaient
que le Commissaire aux brevets devait être constitué comme partie
pour s’assurer qu’il serait tenu de donner effet à l’ordonnance de la
Cour. Le protonotaire revoit dans sa décision deux arrêts de la Cour
fédérale en la matière. Dans l’arrêt Axia Inc. c. NorthStar Tool Corp.,
le juge von Finckenstein avait exprimé l’opinion que la Cour ne pouvait ordonner au commissaire de modifier les registres en vertu de
l’article 52 s’il n’était pas une partie à l’instance. Dans l’affaire
Micromass Uk Ltd. c. Commissaire aux brevets, la juge Layden-Stevenson avait déclaré qu’une demande en vertu de l’article 52 de la loi
pouvait être produite par le cessionnaire d’un brevet, avec préavis au
commissaire.
Le protonotaire Laferrière distingue les décisions Axia et
Micromass parce qu’elles avaient été rendues en vertu de la Partie 5
des Règles de la Cour fédérale alors que l’action en contrefaçon avait
été commencée sous la Partie 4 des Règles. Le protonotaire Laferrière base sa décision sur le fait que la Cour fédérale a le rôle exclusif
2. (2007) 57 C.P.R. (4th) 126 (C.F.).
Droit des brevets – cinq décisions de 2007
543
en matière de modification et de radiation des registres du Bureau
canadien des brevets et que le commissaire n’a aucune discrétion et
ne peut que donner effet aux ordonnances rendues par la Cour. Pour
ces raisons, le protonotaire Laferrière tranche la question en affirmant que le commissaire n’a pas à être constitué ou ne devrait pas
avoir été constitué partie et que sa présence n’est pas nécessaire au
sens de la Règle 104 des Règles de la Cour fédérale.
3. Genencor International, Inc. c. Commissaire
aux brevets – Qui doit être constitué partie à un
appel d’une décision du Conseil de réexamen ?
Cette décision est d’intérêt puisque la présente instance constitue le premier appel d’une décision rendue en vertu de l’article 48.4
de la Loi sur les brevets par le Conseil de réexamen. Dans cette
affaire, le Conseil de réexamen avait trouvé que l’ensemble des
revendications du brevet du demandeur n’étaient pas valides. La
décision du Conseil avait été portée en appel par le breveté. Une fois
l’appel institué, une tierce partie, Novozymes A/S, la partie qui avait
demandé le réexamen du brevet (le « requérant ») avait fait une
demande à la Cour afin d’être nommée partie à l’appel. En première
instance, le protonotaire Morneau3 ajoute Novozymes A/S comme
partie à l’appel, une décision renversée par le juge Pinard en appel4.
En l’occurrence, le juge Pinard trouve que l’appel de la décision du
Conseil de réexamen est un recours d’origine législative et que le
droit d’appel est conféré par l’article 48.5 de la Loi sur les brevets, qui
ne confère le droit d’appel qu’au titulaire du brevet. Cette loi ne
confère aucun droit d’appel à la partie ayant demandé le réexamen.
Le juge Pinard détermine également que la procédure de réexamen
proprement dite débute à l’article 48.3 de la Loi sur les brevets. La
participation du requérant se limite au dépôt d’un dossier
d’antériorités et à une explication de la pertinence des antériorités
par rapport à la brevetabilité des revendications. La participation du
requérant se termine à l’article 48.2 et il n’est pas partie à la procédure de réexamen qui commence à l’article 48.3. La procédure de
réexamen relevant des articles 48.3 et suivants n’intéresse que le
Conseil de réexamen et le titulaire du brevet, et seul ce dernier a le
droit de contester l’issue en appel. Par conséquent, lorsque la décision du Conseil de réexamen est portée en appel par le titulaire du
brevet, le requérant ne peut constituer une « personne qui était une
partie dans la première instance et qui a dans l’appel des intérêts
3. (2006) 52 C.P.R. (4th) 253 (C.F. protonotaire).
4. (2006) 52 C.P.R. (4th) 367 (C.F.).
544
Les Cahiers de propriété intellectuelle
opposés aux siens » en vertu de la Règle 338(1)a) des Règles de la
Cour fédérale.
La décision du juge Pinard a été portée en appel et maintenue
par la Cour d’appel5. La permission d’en appeler à la Cour suprême
du Canada a été refusée6.
4. Apotex Inc c. Sanofi-Aventis Canada Inc.7 – Sursis
d’exécution d’une ordonnance portée en appel
En janvier 2006, Sanofi avait déposé une demande de contrôle
judiciaire en vertu de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets au sujet
des brevets 2,382,387 et 2,382,459 portant sur le RAMIPRIL, utilisé
dans le traitement de la haute pression. Le ministre de la Santé, sans
attendre l’issue de la demande de contrôle judiciaire, eu égard à la
décision rendue dans l’arrêt AstraZeneca Inc. c. Canada par la Cour
suprême de Canada (2006), 52 C.P.R. (4th) 145, accorde un avis de
conformité à Apotex Inc. le 12 décembre 2006. Le ministre de la
Santé accorde également un avis de conformité à Ratiopharm Inc. le
13 décembre 2006 pour le même produit, le produit de Ratiopharm
étant un produit générique autorisé par Sanofi. Sanofi dépose alors
une demande de contrôle judiciaire ainsi qu’un sursis d’exécution de
la décision du ministre accordant un avis de conformité à Apotex. Le
29 décembre 2006, la Cour suspend la décision du ministre et
demande qu’Apotex et le ministre se comportent comme si aucun
avis de conformité n’avait été octroyé. La Cour accorde un sursis
d’exécution, en dépit du fait qu’elle conclut que Sanofi n’a démontré
aucun préjudice irréparable, parce qu’à son avis la décision du
ministre d’accorder un avis de conformité alors qu’une demande de
contrôle judiciaire en vertu de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets a
été présentée, constitue un manque de respect à l’endroit de la Cour
fédérale.
Apotex porte cette décision en appel. La Cour accepte que
l’appel soulève une question sérieuse. Elle juge qu’Apotex a démontré l’existence d’un préjudice irréparable puisque Apotex a démontré
que le premier générique a un avantage sur le marché. Pour ce qui
est de la balance des inconvénients, la Cour est d’avis qu’un sursis
d’exécution de l’ordonnance de la Cour favorise Apotex puisque la
décision rétablit le statu quo.
5. (2007) 52 C.P.R. (4th) 378 (C.A.F.).
6. 25 octobre 2007, 32065.
7. (2007) 54 C.P.R. (4th) 402 (C.A.F.).
Droit des brevets – cinq décisions de 2007
545
5. Eli Lilly Canada Inc. c. Novapharm Ltée8 – La suffisance
du mémoire descriptif pour un brevet de sélection
Dans la décision du juge Hughes d’une procédure intentée en
vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), le juge Hughes conclut que Eli Lilly n’a pas démontré le caractère non fondé de l’allégation de Novopharm selon laquelle le
mémoire descriptif du brevet 2,041,113 (’113) est insuffisant. Bien
que la décision traite de plusieurs questions, la question principale
est la suffisance du mémoire descriptif pour un brevet de sélection.
Le juge Hughes conclut que, puisque le brevet ’113 est un brevet de
sélection, le mémoire descriptif doit exposer clairement et explicitement la nature de l’invention et en particulier, les avantages et bénéfices liés à cette dernière. Le juge Hughes revoit en détail le mémoire
descriptif du brevet ’113 pour en conclure que tout avantage n’est
décrit que de façon rhétorique et que, par conséquent, Eli Lilly n’a
pas prouvé le caractère infondé des allégations de Novapharm
touchant l’insuffisance du mémoire descriptif.
8. (2007) 58 C.P.R. (4th) 214 (C.F.).
Capsule
Le droit d’auteur en mouvement :
chronique de l’année 2007
Stefan Martin*
1. Il est interdit d’interdire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 549
2. Panorama des œuvres de l’esprit . . . . . . . . . . . . . . . 551
2.1 Lorsque les techniques d’entraînement de hockey ne
constituent pas une chorégraphie d’un ballet . . . . . 551
2.2 Lorsque le simple synopsis d’une œuvre ne constitue
pas une œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 552
3. L’objet du droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 554
3.1 Le fardeau de la preuve quant à la notion
d’originalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 554
3.2 Photographie et propriété de l’objet photographié. . . 555
3.3 L’originalité : le simple réarrangement ne crée
pas une nouvelle œuvre originale . . . . . . . . . . . 555
4. La titularité des droits d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . 556
© Stefan Marin, 2008.
* Stefan Martin, M. Fisc. (Aix-en-Provence), LL. M. (Université Laval), D.E.A. (Paris
II – Droit de la propriété intellectuelle, avocat associé du cabinet Fraser Milner
Casgrain, S.E.N.C.R.L. Ce texte reprend l’allocution présentée à l’occasion de l’assemblée générale de l’ALAI Canada qui s’est tenue à Montréal le 26 mars 2008.
547
548
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4.1 La portée du paragraphe 13(3) de la Loi : l’œuvre
réalisée dans le cadre d’un emploi . . . . . . . . . . . 556
5. Les exceptions au droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . 557
5.1 La notion de recherche telle qu’entrevue par la
Commission du droit d’auteur . . . . . . . . . . . . . 557
5.2 L’exception de parodie. . . . . . . . . . . . . . . . . . 558
6. Les recours. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 560
6.1 La requête pour l’obtention d’une déclaration
judiciaire d’absence de contrefaçon . . . . . . . . . . . 560
6.2 La question des saisies informatiques . . . . . . . . . 561
6.3 La poursuite du renouveau de l’injonction
interlocutoire au Québec . . . . . . . . . . . . . . . . 562
6.4 La violation à une étape ultérieure. . . . . . . . . . . 563
6.5 La violation à une étape ultérieure dans le cas de
l’importation : les tribulations de la Cour suprême
dans l’affaire Kraft . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 564
6.6 À la recherche des coupables : la responsabilité des
administrateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 570
7. Les moyens de défense à une action en contrefaçon. . . . . 572
7.1 Le conflit entre droit d’auteur et liberté syndicale . . 572
8. Les actions pécuniaires de la contrefaçon . . . . . . . . . . 574
8.1 Le prix d’une licence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 574
8.2 Les dommages-intérêts préétablis . . . . . . . . . . . 574
8.3 Les dommages-intérêts punitifs . . . . . . . . . . . . 576
1. IL EST INTERDIT D’INTERDIRE
Ce slogan qui symbolise l’esprit du mouvement étudiant du
printemps 1968 résume tout aussi bien la perception du public du
droit d’auteur en cette fin d’année 2007. En fait, il faudrait plutôt
parler d’une certaine exaspération qui découle de la mise en œuvre
de ce droit qui demeure du profane largement incompris. Le consommateur ne comprend pas l’interdiction de télécharger, de la même
manière qu’il ne saisit pas la raison d’être des mécanismes anti-copie
que l’on retrouve au sein des CD-Rom de musique ou de films. Le
quidam est également interpellé par les poursuites engagées à
l’encontre de personnes à qui l’on reproche d’avoir utilisé des logiciels de partage de fichiers. Le droit d’auteur a perdu élégance et
popularité et il est désormais entrevu comme un instrument
d’oppression et non comme un outil de la diffusion de la connaissance
et du savoir.
Cette rupture a connu son apogée en décembre 2007 alors qu’un
mouvement populaire sans précédent a contraint le gouvernement
du Canada à reporter le dépôt d’un projet de loi attendu depuis plus
de dix ans visant à amender la Loi sur le droit d’auteur. Cette réaction, qui pourrait être résumée par le dicton populaire « trop de
droits d’auteur, c’est comme pas assez », a également marqué la
jurisprudence. La Cour suprême a poursuivi un mouvement qui a
débuté en 2002 par l’arrêt Théberge1, qui s’est poursuivi en 2003 par
l’arrêt Desputeaux2, en 2004 dans les affaires CCH3 et SOCAN4, en
2006 dans l’arrêt Robertson5, et finalement en 2007, par la décision
rendue dans l’affaire Kraft6. Mouvement de recentrage afin de tenir
compte de la dimension sociale du droit d’auteur et des intérêts légi1.
2.
3.
4.
5.
Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336.
Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [2003] 1 R.C.S. 178.
CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339.
SOCAN c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427.
Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S., 363 ; Frédérick PINTO, « Les quotidiens ont-ils le droit de reproduire des articles sur des bases de données ? Les
conséquences de l’arrêt Robertson », (2005), 17-1 Cahiers de propriété intellectuelle
185.
6. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37.
549
550
Les Cahiers de propriété intellectuelle
times des utilisateurs ou véritable dénaturation d’un droit qui aurait
pour vocation essentielle la protection des auteurs et créateurs ?
Le petit monde du droit d’auteur est en pleine effervescence.
Pour bien saisir le tourment résultant de ces arrêts, un bref retour
dans le passé s’impose. Au cours des cent dernières années, la Cour
suprême a généralement fait preuve d’une certaine générosité à
l’égard des auteurs ou des titulaires de droits. Il est intéressant de
comparer deux extraits d’arrêts rendus par la Cour suprême à un
peu plus de dix ans d’intervalle :
Cette distinction faite entre le droit d’exécuter une œuvre et
celui de l’enregistrer n’est pas étonnante compte tenu de l’objet
et des fins de la Loi. Comme le souligne le juge Maugham dans
l’arrêt Performing Right Society, Ltd. v. Hammond’s Bradford
Brewery Co., [1934] 1 Ch. 121, à la p. 127, [TRADUCTION] « la
Copyright Act de 1911 a un but unique et a été adoptée au seul
profit des auteurs de toutes sortes, que leurs œuvres soient littéraires, dramatiques ou musicales ». Voir également l’article
premier de la Convention de Berne révisée déjà citée. 7
Le juge en chef McLachlin et les juges Iacobucci, Major et
Binnie : La Loi sur le droit d’auteur confère à l’intimé à la fois
des droits économiques et des droits moraux sur son œuvre. Les
droits économiques sont fondés sur une conception des œuvres
artistiques et littéraires qui les considère essentiellement
comme des objets de commerce. Ces droits peuvent être cédés et
l’intimé ne peut faire valoir en vertu de la Loi que les droits
économiques qu’il a conservés. Les droits moraux, qui sont
incessibles, traitent l’œuvre comme un prolongement de la personnalité de l’artiste et lui attribuent une dignité qui mérite
d’être protégée. Il n’y a violation de l’intégrité de l’œuvre que si
celle-ci est modifiée d’une manière préjudiciable à l’honneur ou
à la réputation de l’auteur. Les droits moraux restreignent de
façon permanente l’utilisation que les acheteurs peuvent faire
d’une œuvre une fois que son auteur s’en est départi, mais il
faut tenir compte des limites qui constituent une partie essentielle des droits moraux créés par le législateur. Il ne faut pas
interpréter les droits économiques en leur attribuant une
portée tellement large qu’ils engloberaient les mêmes éléments
que les droits moraux, ce qui rendrait inapplicables les limites
aux droits moraux imposées par le législateur.8
7. Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467.
8. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336.
Le droit d’auteur en mouvement
551
Les six arrêts rendus par la Cour suprême du Canada depuis
2002 ont largement entériné, et il s’agit encore là d’un euphémisme,
les doléances des utilisateurs. S’agit-il d’un pur hasard, dû aux aléas
de l’organisation judiciaire ? Rien n’est moins sûr. Résultant d’un
droit à la recherche de ses valeurs, il y a là une source de réflexion.
2. PANORAMA DES ŒUVRES DE L’ESPRIT
2.1 Lorsque les techniques d’entraînement de hockey ne
constituent pas une chorégraphie d’un ballet
Un différend opposant deux exploitants d’un centre de perfectionnement de hockey aura permis de délimiter la portée de la notion
de « chorégraphie » qui figure à l’article 2 de la Loi sur le droit
d’auteur (la « Loi »). Le demandeur entre autres arguments prétendait que son système d’entraînement de joueurs de hockey devait
être assimilé à une chorégraphie. La Cour repousse à juste titre ce
moyen en observant que l’apprentissage d’un sport tel que le hockey
est par définition dynamique et ne peut être comparé à la mise en
scène d’une chorégraphie :
The Plaintiffs submit that teaching drills are akin to the choreography for a ballet. A more apt example might be the choreography for a “figure skating” program. However, I find that
teaching an aspect of a sport where modifications and clarifications are often needed to assist the student in understanding
certain moves or techniques are more akin to a dynamic game
than a strictly choreographed, repetitive and coordinated set of
motions such as one may observe in ballet or ice dancing.9
La décision repose sur une jurisprudence désormais bien
établie qui est à l’effet « qu’une représentation sportive peut difficilement être qualifiée d’œuvre »10 en raison notamment du caractère
imprévisible de son déroulement :
I agree with the board. Even though sports teams may seek to
follow the plays as planned by their coaches, as actors follow a
script, the other teams are dedicated to preventing that from
occurring and often succeed. As well, the opposing team tries to
9. Gold In the Net Hockey School Inc. c. Netpower Inc., 2007 ABQB 520, § 28.
10. FWS Joint Sports Claimants c. Commission du droit d’auteur, (1991) 36 C.P.R.
(3d), p. 489-490 ; Interbox Promotion Corp. c. 2428-0414 Québec inc., 2003 CF
1254, § 21.
552
Les Cahiers de propriété intellectuelle
follow its own game plan, which, in turn, the other team tries to
thwart. In the end, what transpires on the field is usually not
what is planned, but something that is totally unpredictable.
That is one of the reasons why sports games are so appealing to
their spectators. No one can forecast what will happen. This is
not the same as a ballet, where, barring an unforeseen accident,
what is performed is exactly what is planned. No one bets on
the outcome of a performance of Swan Lake. Ballet is, therefore, copyrightable, but team sports events, despite the high
degree of planning now involved in them, are not : see Harold G.
Fox, Canadian Law of Copyright & Industrial Designs, 2nd ed.
(Toronto : Carswells, 1967), p. 139 ; Nimmer On Copyright
(1990), at p. 2-138 ; Canadian Admiral Corp. v. Rediffusion Inc.
(1954), 20 C.P.R. 75 at p. 92, [1954] Ex. C.R. 382, 14 Fox Pat. C.
114. A “mere spectacle standing alone” cannot be copyrighted :
see Tate v. Fullbrook, [1908] 1 K.B. 821 at p. 832, 77 L.J.K.B.
577, 98 L.T. 706 (C.A.). It is necessary for copyright not to have
“changing materials” that are “lacking in certainty” or “unity” :
see Green v. Broadcasting Corp. of New Zealand, [1989] 2 All
E.R. 1056, per Lord Bridge (P.C.) at p. 1058, even though some
variations could be permitted : see Kantel v. Grant, [1933] Ex.
C.R. 84 at p. 95 ; see also Wilson v. Broadcasting Corp. of New
Zealand (1988), 12 T.P.R. 173. The unpredictability in the playing of a football or hockey game is so pervasive, despite the high
degree of planning, that it cannot be said to be copyrightable.
The American cases are not helpful here, given the different
statutory provisions and jurisprudence : see, for example, Baltimore Orioles v. M.L.B. Players Assn., 805 F. 2d 663 (1986).11
2.2 Lorsque le simple synopsis d’une œuvre ne constitue
pas une œuvre
Selon une formule consacrée qui mérite d’être rappelée, la
jurisprudence reconnaît que le monde des idées ne relève pas de la
protection de la Loi. Cela étant dit, la distinction entre l’idée et
l’expression demeure un exercice très délicat, a fortiori lorsque les
débats portent sur la trame d’une œuvre ou sa composition.
Aux termes d’une métaphore anodine, la composition peut être
entrevue comme le squelette, la charpente de l’œuvre. Elle constitue
non seulement l’organisation des idées, mais également celle de
11. FWS Joint Sports Claimants c. Commission du droit d’auteur, (1991) 36 C.P.R.
(3d), p. 489-490.
Le droit d’auteur en mouvement
553
l’expression, dont elle est le fil conducteur. Chafee définit ce qu’il
appelle le « pattern of the work » comme étant « The sequence of
events, and the development of the interplay of characters »12. Le
professeur Nimmer met en évidence l’existence de cette trame par la
comparaison de deux œuvres littéraires, Romeo et Juliette et West
Side Story. Le thème commun aux deux œuvres peut se définir
« comme une histoire d’amour entre membres de deux familles marquées par leur hostilité réciproque » . Le thème est banal, donc non
protégeable. Par contre, la lecture en parallèle des deux ouvrages
permet de faire ressortir une structure commune composée de 13 éléments. Il ne s’agit pas, selon cet auteur américain, de protéger
chaque élément séparément (rencontre lors d’une soirée dansante
d’un garçon et d’une fille membres de groupes hostiles, aveu de leur
amour réciproque mais impossible, la fille se trouvant malheureusement promise à un autre, le garçon est contraint à l’exil à la suite de
l’assassinat du cousin de la fille, etc.) mais bien d’envisager la combinaison de ces éléments13.
Au Canada, la doctrine et la jurisprudence estiment que la composition d’une œuvre constitue généralement une partie importante
de celle-ci :
But if what is meant is the reproduction of dramatics situations
or incidents and characters in the same order and arrangement
as in the earlier work, or of dialogue, such will constitute an
infringement.14
Fox suggère d’apprécier la contrefaçon d’après la similarité des
deux œuvres sur l’ensemble de la composition15.
La Cour d’appel du Québec ne semble pas partager cette conclusion. Dans une affaire qui portait sur la prétendue violation du
synopsis d’une œuvre audiovisuelle, en l’espèce d’une émission de
télévision, la Cour estime que le squelette d’une œuvre ne peut en soi
être considéré comme objet du droit d’auteur :
Bref, en 1992, l’appelant a pensé qu’il serait souhaitable que
quelqu’un produise et diffuse un nouveau concours d’amateurs
12. John CHAFEE, « Reflexions on the law of copyright », (1945) 45 Columbia Law
Review, p. 503-513.
13. Melville B. NIMMER, Nimmer on Copyright, p. 13.03 [A].
14. Harold G. FOX, The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2e éd.
(Toronto, Carswell, 1967), p. 367.
15. Ibid., p. 368.
554
Les Cahiers de propriété intellectuelle
et il a couché d’une façon très générale cette idée dans un document ; il n’y a aucune information dans ce document qui aurait
pu aider une personne à exploiter l’idée de l’appelant sans ellemême, par son talent et son jugement, mettre de la chair alentour du squelette que constituaient les têtes de chapitre mentionnées plus haut ; le squelette n’a aucune valeur, c’est la chair
qui l’entoure qui a un prix ; en d’autres mots, le document de
l’appelant ne comportait aucun renseignement pour lequel un
exploitant de l’idée aurait été prêt à payer un prix afin de ne pas
lui-même utiliser son talent et son jugement pour incarner
l’idée dans une œuvre.16
Cette décision doit être condamnée. En effet, le synopsis d’une
œuvre ne relève pas du monde des idées mais constitue indéniablement l’expression d’une idée matérialisée.
3. L’OBJET DU DROIT D’AUTEUR
3.1 Le fardeau de la preuve quant à la notion d’originalité
L’article 34.1 de la Loi stipule que :
Dans toute procédure pour violation du droit d’auteur, si le
défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou la qualité du
demandeur :
a) l’œuvre, la prestation, l’enregistrement sonore ou le signal de
communication, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, présumé être protégé par le droit d’auteur ;
b) l’auteur, l’artiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d’auteur.
En d’autres termes, le fardeau de la preuve quant à l’absence
d’originalité incombe au défendeur. Ce principe est rappelé utilement par le juge Gomery, dans le cadre d’une action portant sur la
contrefaçon d’une œuvre architecturale :
La partie défenderesse n’a pas réussi à convaincre le Tribunal
que les plans de l’architecte Bigras ne sont pas originaux et ne
16. Cummings c. Canwest Global Broadcasting Inc., EYB 2007-116183 (C.A. Qué.), §
11
Le droit d’auteur en mouvement
555
sont pas protégés par la loi ; elle ne s’est pas déchargée de son
fardeau de prouver le contraire.17
3.2 Photographie et propriété de l’objet photographié
Il y a plus d’un siècle, la Chambre des Lords dans la célèbre
affaire Dickens18 avait énoncé l’un des principes fondamentaux de la
matière, soit la distinction entre la propriété physique d’une œuvre
des droits intellectuels s’y rattachant. Ce principe a été rappelé par
la Cour d’appel du Québec dans une affaire portant sur le droit
d’auteur sur une photographie. Les appelants alléguaient que le
photographe ne pouvait recourir à la protection offerte par la Loi dès
lors qu’il n’était pas propriétaire des objets photographiés. Ce moyen
quelque peu suranné a été rejeté sans peine par la Cour :
Les appelants, par leur premier moyen d’appel, confondent le
droit d’auteur sur les photographies et les droits que pourrait
avoir (ou ne pas avoir) l’intimée dans les objets photographiés.
La Loi sur le droit d’auteur ne subordonne pas le droit d’auteur
sur une photographie à la propriété de l’objet photographié ;
elle n’exige pas non plus de celui qui prétend au droit d’auteur
qu’il ait un droit quelconque sur ou dans l’objet ainsi photographié. L’affaire américaine que citent les appelants au soutien
de leur proposition (Brisgeman Art Library v. Corel Corp.) ne
leur est en réalité d’aucun secours, l’objet photographié dans
cette affaire étant lui-même protégé par le droit d’auteur, ce qui
conférait à la photographie le caractère de reproduction d’une
œuvre protégée. Ce premier moyen des appelants ne peut donc
être retenu [notes omises].19
3.3 L’originalité : le simple réarrangement ne crée pas une
nouvelle œuvre originale
Les contours de la notion d’originalité sont désormais bien balisés en droit canadien. La Cour suprême, dans l’arrêt CCH a endossé
l’idée que l’originalité est le résultat de l’exercice du talent, du jugement et de la mise en œuvre d’un certain effort intellectuel :
Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, un
œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre.
17. Corporation de développement immobilier Intersite c. Immobilière Versant III
inc., EYB 2007-125440 (C.S. Qué.), § 31.
18. In re Dickens, [1935] Ch. D. 267.
19. RTI Turbo inc. c. Canada Allied Diesel Company Ltd., EYB 2007-125083 (C.A.
Qué.), § 21.
556
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est-à-dire
novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de
l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du
talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux
connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une
compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de
se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet
exercice du talent et du jugement implique nécessairement un
effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que
requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable
au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement
mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait
requérir la seule modification de la police de caractères d’une
œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour
justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre
« originale ».20
C’est sur le fondement de cet attendu que la Cour d’appel du
Québec a jugé qu’un simple effort éditorial consistant à modifier le
format d’un jeu qui se présentait à l’origine sous forme de fiches placées dans un boîtier et qui se trouvent désormais unies dans un livre,
ne constituait pas un effort intellectuel suffisant pour conférer à
cette nouvelle présentation le degré d’originalité requis par la Loi.
En l’espèce, la Cour relève que les fiches, le solutionnaire et le livre
d’instructions sont demeurés identiques et que le simple fait de présenter « le tout sous la forme d’un cahier relié par une spirale » constitue un simple exercice mécanique21.
4. LA TITULARITÉ DES DROITS D’AUTEUR
4.1 La portée du paragraphe 13(3) de la Loi :
l’œuvre réalisée dans le cadre d’un emploi
Le paragraphe 13(3) de la Loi stipule que l’employeur est le premier titulaire des droits d’auteur sur les œuvres réalisées par ses
employés. Un jugement rendu par la Cour du Banc de la Reine de la
Saskatchewan, reprenant une jurisprudence traditionnelle et constante, fait observer que cette disposition ne trouve application que
20. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, p. 349, §
16.
21. Ghanotakis c. Expertises didactiques Lyons inc., EYB 2007-128211 (C.A. Qué.), §
51-54.
Le droit d’auteur en mouvement
557
dans la mesure où l’œuvre a été réalisée dans le cadre des fonctions
de l’employé. Dans l’espèce soumise à l’appréciation de la Cour, un
professeur de mathématiques avait développé de sa propre initiative, sans instructions de son employeur et sans rémunération additionnelle, un recueil de textes. Sur le fondement de ce constat, la
Cour écarte la mise en œuvre du paragraphe 13(3) de la Loi :
I am of the view however, for the reasons stated in my assessment of the potential strength of the plaintiff’s claim under the
preceding issue, that the governing portion of the Copyright
Act, supra, is not s. 13(3), but rather s. 13(1) which provides :
13(1) Subject to this Act, the author of a work shall be the
first owner of the copyright therein.
In addressing this issue, unlike Rule 173 where it is the pleadings which must determine the outcome, affidavit materials
may be considered. It is for that reason that the affidavit of the
plaintiff with the incorporated reference to the correspondence
of Mr. Landgraf is most apposite. I will not repeat the comments of Mr. Landgraf, but a combination of the plaintiff’s affidavit and Mr. Landgraf’s historical review leads me to the
conclusion that the criteria set forth in s. 13(3) of the Copyright
Act have not been established. While it may fairly be said that
the plaintiff as the author of a work, was in the employment of
the defendant at the relevant time, the work was not made in
the course of his employment and therefore the employer is not
to be considered the first owner of the copyright. Rather, the
author under the auspices of s. 13(1) is the first owner of the
copyright material. As a result, there is no issue regarding
assignment or the lack of a written assignment from the
employer to the plaintiff of the materials in question. In my
view, the materials at no time belonged to the defendant
employer.22
5. LES EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR
5.1 La notion de recherche telle qu’entrevue par la
Commission du droit d’auteur
L’article 29 de la Loi crée une exception au droit d’auteur en
faveur de l’utilisation équitable d’une œuvre à des fins de recherches
22. Wiebe and Saskatchewan Institute of Applied Science and Technology, 2007
SKQB 60, § 38.
558
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ou d’études privées. Dans l’arrêt CCH, la Cour suprême a renversé
une jurisprudence pourtant bien établie et a jugé que le régime des
exceptions devait être interprété libéralement. Partant de ce principe, la Cour a jugé que le mot recherche devrait être interprété « de
manière large afin que les droits des utilisateurs ne soient pas indûment restreints »23.
Dans la décision Tarif no 22.A (Internet Services de musique en
ligne) 1996-2006, la Commission du droit d’auteur a pris au pied de
la lettre cette invitation de la Cour. La Commission a en effet jugé
que la mise à la disposition par des sites de musique offrant des téléchargements d’extraits d’œuvres musicales pour écoute préalable
par leurs clients, serait couverte par l’article 29 de la Loi. La Commission a estimé que l’écoute préalable permet de « planifier l’achat
d’un téléchargement » en identifiant « les sites offrant ces biens, en
choisir un, établir si la piste est disponible, vérifier qu’il s’agit de la
bonne version et ainsi de suite ». La Commission conclut :
Si copier un arrêt en vue de pouvoir conseiller un client ou un
senior est une utilisation « à des fins de recherche » comme
l’entend l’article 29, écouter au préalable un extrait en vue de
décider d’acheter ou non un téléchargement ou un CD l’est
aussi.24
Cette déclaration est sujette à caution et n’entre pas dans les
prévisions de l’article 29 de la Loi. La notion de recherche ne réfère
pas aux efforts qui peuvent être déployés « pour trouver quelque
chose » mais bien à un effort intellectuel visant l’étude d’une question et le développement de connaissances nouvelles. L’approche
adoptée par la Commission, si elle devait demeurer en l’état, aurait
ainsi pour effet de dénaturer l’exception d’utilisation équitable et ce
faisant, de perturber l’ensemble du régime des exceptions.
5.2 L’exception de parodie
On rappellera que l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec
dans Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau 25, a provoqué un
revirement jurisprudentiel en reconnaissant la parodie comme une
23. CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, § 51.
24. Tarif no 22.A (Internet Services de musique en ligne) 1996-2006, § 109.
25. Productions Avanti Ciné Vidéo inc. c. Favreau, [1999] R.J.Q. 1939 (C.A. Qué.).
Le droit d’auteur en mouvement
559
exception au droit exclusif de l’auteur justifiée par le droit de critique :
Dans la première situation, il est clair que la loi est restrictive
et que l’exception ne trouve d’application que dans les cas
qu’elle définit, nommément les fins de critique. Or, on le sait, la
critique d’une œuvre intellectuelle ou artistique n’est pas que
sérieuse ou savante ; elle peut aussi être humoristique ou drôle
grâce à une opération d’amplification, de déformation et d’exagération de l’œuvre visée, en un mot, elle emprunte les voies de
la caricature ; elle n’en sera souvent que plus mordante. En ce
sens, elle pourrait constituer une exemption pourvu que les exigences de la loi soient satisfaites.26
Cette conclusion trouve certainement appui dans l’arrêt rendu
par la Cour suprême du Canada dans l’affaire CCH qui a jugé que les
exceptions au monopole de l’auteur ne doivent pas faire l’objet d’une
interprétation restrictive27.
Il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre de l’exception
de parodie demeure un exercice particulièrement délicat, tel qu’en
fait foi un jugement récent de la Cour supérieure, intervenu dans le
cadre d’un différend qui opposait le syndicat des journalistes du
Journal de Québec au propriétaire du quotidien. Dans le contexte de
ce conflit de travail, les employés en grève avaient déployé une banderole qui reproduisait une version légèrement modifiée du logo du
Journal. En défense à l’action engagée par le propriétaire du quotidien, le syndicat invoquait notamment l’exception de parodie.
Sur cette question, la réponse du tribunal demeure nébuleuse.
La Cour estime en effet que les ajouts apportés par le syndicat au
logo du Journal ne sont pas assez significatifs pour créer une œuvre
nouvelle :
[25] Premièrement, en ce qui concerne l’argumentation des
défendeurs voulant que les ajouts en fassent une nouvelle
œuvre ne peut être retenue. Il apparaît clairement que l’œuvre
utilisée par les défendeurs est une contrefaçon de celle enregistrée par la demanderesse. Pour réussir sur ce point, les
défendeurs auraient dû faire la preuve qu’il s’agit d’une nouvelle œuvre, ce qui n’a pas été fait.28
26. Ibid., p. 1954.
27. CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339.
28. Corporation Sun Média c. Le Syndicat canadien de la fonction publique, EYB
2007-120979, (C.S.), § 25.
560
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’argument n’est pas persuasif. Dans les circonstances, l’exception de parodie doit avant tout être rejetée compte tenu que l’utilisation du logo par le syndicat n’avait pas pour but de critiquer l’œuvre
artistique mais bien le titulaire du droit d’auteur.
6. LES RECOURS
6.1 La requête pour l’obtention d’une déclaration
judiciaire d’absence de contrefaçon
Une étrange action engagée devant la Cour supérieure de
l’Ontario par Research in Motion Limited « RIM », devenue célèbre
par la distribution du BlackBerry, a permis de redéfinir la portée de
l’article 37 de la Loi sur le droit d’auteur en ce qui a trait à l’émission
d’ordonnances de « non-contrefaçon ». Pour mémoire, l’article 37 de
la Loi stipule que « la Cour fédérale, concurremment avec les tribunaux provinciaux, connaît de toute procédure liée à l’application de
la présente loi, à l’exclusion des poursuites visées aux articles 42 et
43 ». On rappellera que ce recours est spécifiquement prévu par
l’article 60(2) de la Loi sur les brevets qui permet à une partie
d’engager une action afin d’obtenir une déclaration judiciaire l’exonérant de tout acte de contrefaçon.
Les faits à l’origine des débats s’avèrent fort simples. En
réponse à une lettre de mise en demeure de la compagnie Atari, titulaire des droits d’auteur sur un jeu électronique connu sous le nom de
Breakout, RIM a engagé une action pour faire déclarer que le jeu
Brick Breaker incorporé au BlackBerry n’enfreint pas les droits
d’auteur d’Atari sur ses jeux. Atari, au soutien de l’irrecevabilité de
cette action, alléguait pour l’essentiel que la Loi ne prévoyant pas
ce recours, elle ne pouvait prospérer. À ce titre, Atari rappelait la
conclusion de la Cour suprême dans l’affaire CCH selon laquelle les
droits et recours prévus par la Loi sont exhaustifs et ne peuvent ainsi
faire l’objet d’un élargissement prétorien29.
La Cour n’a pas fait droit à cette prétention. Elle a au contraire
jugé qu’à moins d’une disposition expresse et limitative dans la Loi,
ses pouvoirs généraux lui permettaient d’engager les débats tel que
proposé par RIM :
In my view there is much merit to this submission. The Superior Court is a court of general jurisdiction with all the powers
29. CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, 349.
Le droit d’auteur en mouvement
561
that are necessary to do justice between the parties. This jurisdiction is unlimited and unrestricted in substantive law in civil
matters except where specifically provided for to the contrary[10]. In my view, there is nothing in the Copyright Act
that specifically abrogates this court’s general jurisdiction to
grant such declarations.30
6.2 La question des saisies informatiques
Dans un arrêt rendu en 2000, dans l’affaire D & G. EnviroGroup Inc. c. Bouchard, la Cour d’appel avait jugé qu’à défaut d’une
autorisation judiciaire ad hoc, l’article 734 du Code de procédure
civile ne permettait pas de saisir le « contenu d’un ordinateur » :
Je partage aussi l’avis du premier juge suivant lequel l’article
734 C.p.c. ne permet pas de saisie le contenu d’un ordinateur.
L’article 734 n’a pas été conçu pour cela. Un ordinateur ne peut
faire l’objet d’une fouille sans la permission d’un juge, aux
conditions et suivant les modalités déterminées par celui-ci. Si
un mécanisme à cette fin n’a pas été prévu spécialement par le
législateur, rien n’empêche une partie de tenter d’obtenir ex
parte une injonction provisoire mandatoire ou de s’autoriser de
l’article 20 C.p.c. pour obtenir une ordonnance sui generis.31
Cette position désormais bien établie a été renversée par un
jugement récent de la Cour supérieure. La Cour estime en effet qu’il
faut donner une interprétation contemporaine à l’article 38(1) de la
Loi qui permet la saisie de tous les exemplaires contrefaits d’une
œuvre :
[24] L’art. 38 (1) parle de planches destinées à produire les
exemplaires contrefaits référant ainsi au procédé traditionnel
d’imprimerie. Le Tribunal estime cependant que ce terme doit
s’interpréter de façon à lui donner un contenu susceptible
d’évoluer selon les progrès de la technologie.
[25] Le Tribunal estime donc que la demanderesse pouvait saisir tant les exemplaires contrefaits que les modes technologiques de les reproduire.32
30. Research in Motion Limited c. Atari Inc., 2007 33987 (ON S.C.), § 21.
31. D. & G. Enviro-group inc. c. Bouchard, REJB 2000-18862 (C.A. Qué.), p. 4.
32. Gestion Radisson Design inc. c. Structure Marine Amarco inc., EYB 2007-113281
(C.S. Qué.), § 24, 25.
562
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ce revirement jurisprudentiel doit être approuvé. En effet, il
fait écho au principe de neutralité technologique de la Loi qui a été
rappelé par un arrêt récent de la Cour suprême dans l’affaire Thomson33. Par ailleurs, il condamne un certain courant de pensée selon
lequel la fouille d’un ordinateur compromet davantage le droit à la
vie privée que la saisie traditionnelle d’objets physiques.
6.3
La poursuite du renouveau de l’injonction
interlocutoire au Québec
À l’encontre de la solution adoptée par la Cour fédérale34 et par
les juridictions des autres provinces du Canada, les tribunaux du
Québec ont adapté les critères traditionnels de l’injonction interlocutoire aux particularités du droit d’auteur. En se fondant sur un arrêt
rendu il y a plus de vingt ans par la Cour d’appel du Québec35, les tribunaux ont jugé qu’en présence d’un droit clair et d’un plagiat incontestable le critère du préjudice irréparable ne devait pas être pris en
compte. Ce principe a été rappelé par la Cour supérieure dans le
contexte d’une action en contrefaçon d’une brochure publicitaire :
[67] Il n’y a pas lieu d’examiner le poids des inconvénients
lorsque le droit est clair[10].
[68] Il n’y a pas lieu non plus d’examiner le préjudice pouvant
découler de l’ordonnance lorsque le droit est clair[11].
[69] Dans les affaires de contrefaçon, lorsque le plagiat est flagrant, l’injonction interlocutoire est accordée sans qu’il n’y ait
nécessité de prouver le préjudice irréparable ou l’insuffisance
des dommages-intérêts[12].36
Cette décision s’inscrit dans le cadre d’un courant jurisprudentiel désormais bien établi37 qui doit être approuvé. Lorsque la titularité des droits n’est pas contestable et que la contrefaçon est
33. Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S., 363.
34. Voir cependant Gianni Versace S.p.A. c. 1154970 Ontario Ltd., 2003 C.F. 1015 §
25 ; Diamant Toys Ltd. c. Jouets Bo-Jeu Toys inc., 2002 F.C.T. 384.
35. Benjamin Distribution Ltd. c. Les Éditions Flammarion ltée, 68 C.P.R. (2d),
p. 251 (C.A. Qué.).
36. Gestion Radisson Design inc. c. Structure Marine Amarco inc., EYB 2007-113281
(C.S. Qué.), § 67, 68, 69.
37. Fox c. Von Huene, REJB 2000-20074 (C.S. Qué.) ; Gestion Radisson Design inc. c.
Structure Marine Amarco inc., J.E. 2007-381 (C.S. Q ué.) ; Tremblay c. Nguyen,
J.E. 98-133 (C.S. Qué.) ; Dessins Drummond Inc. c. 3223701 Canada Inc., J.E.
99-504 (C.S. Qué.).
Le droit d’auteur en mouvement
563
elle-même indiscutable, il n’y a aucune raison de prolonger les
débats et de renvoyer l’affaire au juge du fond qui sera éventuellement saisi de la demande d’injonction permanente.
6.4 La violation à une étape ultérieure
Il est désormais bien établi en jurisprudence que la mise en
œuvre de l’alinéa 27(2)b) de la Loi (vente, location, mise en circulation, exposition publique) n’est pas subordonnée à la preuve que le
défendeur a une connaissance réelle ou effective de la contrefaçon.
La preuve de cette connaissance peut se faire par présomption et
découle notamment « de la prise de conscience de faits à partir desquels une personne raisonnable conclurait à la contrefaçon du droit
d’auteur »38.
Par ailleurs, les tribunaux ont d’une manière constante
condamné l’aveuglement volontaire du défendeur :
La connaissance peut également être établie lorsque la conduite des défendeurs s’assimile à l’ignorance volontaire. Dans
R. c. Laurier Office Mart Inc. (1994), 58 C.P.R. (3d) 403 (C. Ont.
(Div. prov.)), décision confirmée à (1995), 63 C.P.R. (3d) 229 (C.
Ont. (Div. gén.)), une affaire de violation de droit d’auteur
visant un service de photocopie, la Cour provinciale a décrit, à
la page 412, l’ignorance volontaire en ces termes :
[traduction]
L’ignorance volontaire survient lorsqu’une personne qui a
pris conscience du besoin de se renseigner, refuse de le
faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité et préfère
rester dans l’ignorance. En pareil cas, elle a une connaissance réelle et sa croyance en un autre état de choses est
sans importance. (Voir R. c. Sansregret, 1985 CanLII 79
(C.S.C.), [1985] 1 R.C.S. 570 ; 58 N.R. 123 ; 35 Man. R. (2d)
1 ; 18 C.C.C. (3d) 223.).39
C’est sur le fondement de ces principes que la Cour fédérale a
sanctionné les revendeurs de logiciels de Microsoft contrefaits. La
Cour retient la responsabilité des défendeurs en constatant qu’ils
ont négligé de vérifier la provenance des articles incriminés, a fortiori lorsque le prix d’acquisition s’avérait extrêmement bas. Le juge
38. Clark, Irwin & Co. c. C. Cole & Col. Ltd., (1960) O.R. 117 (C.A. Qué.), p. 123.
39. R. c. Laurier Office Mart Inc., (1994) 58 C.P.R. (2d) 403 (C. Ont. Div. prov.).
564
Les Cahiers de propriété intellectuelle
constate également que les défendeurs ne se sont prêtés qu’à un examen très sommaire des articles incriminés alors qu’un examen plus
poussé leur aurait permis de constater que la qualité d’impression
des CD-ROM était de moindre qualité et que le soupçon des défendeurs aurait dû être éveillé par le fait que le prix des CD-ROM était
extrêmement bas40.
6.5 La violation à une étape ultérieure dans le cas de
l’importation : les tribulations de la Cour suprême
dans l’affaire Kraft
Les faits à l’origine de cette affaire sont bien connus et ne méritent qu’un bref rappel. L’espèce soumise à l’appréciation de la Cour
visait la distribution parallèle au Canada de barres de chocolat
CÔTE D’OR et TOBLERONE fabriquées par le titulaire légitime des
marques de commerce en question et vendues à l’étranger. Kraft Belgique et Kraft Suisse, fabricants de ces chocolats, ont enregistré au
Canada les droits d’auteur portant sur trois logos de CÔTE D’OR et
deux logos de TOBLERONE (l’ours et la montagne). D’une manière
concomitante, ces entités ont concédé des licences exclusives à Kraft
Canada portant sur ces œuvres artistiques. C’est sur le fondement de
cette licence exclusive que Kraft Canada a engagé une action en contrefaçon à l’encontre d’Euro Excellence à laquelle ont fait droit tant
la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale qui ont endossé l’idée
que la défenderesse, en violation de l’alinéa 27(2)e), a importé et
vendu au Canada des œuvres artistiques reproduites sur l’emballage
des barres de chocolat41. Pour mémoire, cet article se lit comme suit :
27. (2) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci-après en ce qui a trait à l’exemplaire
d’une œuvre, d’une fixation d’une prestation, d’un enregistrement sonore ou d’une fixation d’un signal de communication
alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir
que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce
droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit
au Canada par la personne qui l’a produit :
a) la vente ou la location ;
40. Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec inc., 2006 CF 1509, § 84.
41. Commentaires de l’arrêt rendu par la Cour d’appel, voir : Hilal EL AYOUBI,
« L’affaire Kraft Canada Inc. c. Euro-Excellence Inc. : le droit d’auteur au secours
des marques de commerce en mal de recours », (2006) 18-2 Cahiers de propriété
intellectuelle 367 ; Robert J. TOMKOWICZ, « Copyrighting chocolate : Kraft
Canada v. Euro-Excellence », (2006-07) 20 Intellectual Property Journal 399.
Le droit d’auteur en mouvement
565
b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur ;
c)
la mise en circulation, la mise ou l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en public, dans un but commercial ;
d) la possession en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c) ;
e) l’importation au Canada en vue de l’un ou l’autre des actes
visés aux alinéas a) à c).
Dans une décision très partagée, la Cour suprême a accueilli le
pourvoi et mis à néant l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. Sur la
question de la portée de l’alinéa 27(2)e), le juge Rothstein rappelle
tout d’abord que cette disposition « traduit ainsi l’intention du législateur d’assurer que le titulaire du droit d’auteur canadien obtienne
une juste récompense même s’il ne détient pas le droit d’auteur à
l’étranger »42.
Ceci étant dit, le juge Rothstein est d’avis que l’alinéa 27(2)e) de
la Loi ne trouve pas application en l’espèce dans la mesure où le titulaire du droit d’auteur ne peut se plaindre d’une violation qu’il aurait
lui-même commise :
[15] Selon l’argument des sociétés Kraft, les présumés « auteurs
de la violation hypothétique » (les personnes qui auraient violé
le droit d’auteur si elles avaient produit les œuvres contestées
au Canada) sont les sociétés mères Kraft, Kraft Foods Belgium
SA (« KFB ») et Kraft Foods Schweiz AG (« KFS »). Cependant,
KFB et KFS sont aussi, respectivement, les titulaires des droits
d’auteur de Côte d’Or et de Toblerone dont il est question en
l’espèce. Le droit d’auteur même n’a pas été cédé à Kraft
Canada. Pour retenir l’argument des sociétés Kraft, la Cour
devrait donc conclure que les titulaires du droit d’auteur peuvent violer leur propre droit d’auteur s’ils ont concédé le droit
d’auteur à un licencié exclusif tout en conservant ce droit
d’auteur. À mon avis, la Loi sur le droit d’auteur ne permet pas
aux licenciés exclusifs d’intenter contre le titulaire-concédant
du droit d’auteur une action pour violation de son propre droit
d’auteur. Si KFS ou KFB avait reproduit les étiquettes de Kraft
au Canada en violation du contrat de licence conclu avec Kraft
42. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, § 21.
566
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Canada, le seul recours dont disposerait Kraft Canada serait
une action pour rupture de contrat et non pour violation du
droit d’auteur. Étant donné que le titulaire du droit d’auteur ne
peut pas être responsable de la violation de ce droit envers son
licencié exclusif, il n’y a en l’espèce aucune violation hypothétique et, partant, aucune contravention à l’al. 27(2)e) de la part
d’Euro-Excellence.43
La solution très technique apportée par la Cour au différend a
pour effet d’occulter les vrais enjeux du débat. En effet, au-delà de
l’argument de texte, il convient de déterminer si les revendications
des demanderesses peuvent être conciliées avec les objectifs de la Loi
sur le droit d’auteur tels qu’ils ont été formulés par la Cour suprême
dans l’affaire Robertson :
[69] La Cour a maintes fois déclaré que la Loi sur le droit
d’auteur vise deux objectifs généraux : la promotion, dans
l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres
artistiques et intellectuelles, et l’obtention d’une juste récompense pour le créateur de l’œuvre. Voir Théberge c. Galerie d’Art
du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, 2002 CSC 34, par.
30 ; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004]
1 R.C.S. 339, 2004 CSC 13, par. 23 ; et Société canadienne des
auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427, 2004 CSC
45 (« SOCAN »), par. 40. Comme ces objectifs se trouvent
souvent en contradiction, les tribunaux [traduction] « doivent
s’efforcer de maintenir un juste équilibre entre ces deux objectifs » : J. S. McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and
Industrial Designs (4e éd. (feuilles mobiles)), p. 1-13.44
Ces objectifs ont été exprimés d’une manière plus simple encore
par cette même Cour dans son arrêt Mattel :
[21] Les marques de commerce constituent en quelque sorte
une anomalie du droit de la propriété intellectuelle. Contrairement au titulaire de brevet ou au titulaire du droit d’auteur, le
propriétaire d’une marque de commerce n’est pas tenu de faire
bénéficier le public d’une innovation pour jouir en retour d’un
monopole. En l’espèce, la marque de commerce n’est même pas
un mot inventé comme le sont « Kodak » ou « Kleenex ».
43. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, § 15.
44. Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, § 69.
Le droit d’auteur en mouvement
567
L’appelante s’est simplement approprié le diminutif utilisé couramment pour les enfants prénommées Barbara. En revanche,
le titulaire d’un brevet doit inventer quelque chose de nouveau
et d’utile. Et quiconque souhaite obtenir un droit d’auteur doit
enrichir le répertoire humain d’une œuvre expressive. Dans les
deux cas, le public a décidé, par la voix du législateur, qu’il
convenait d’encourager ces inventions et de faciliter ces nouvelles expressions par l’octroi d’un monopole protégé par la loi (c. à
d. en empêchant quiconque d’exploiter sans autorisation
l’invention ou l’expression protégée par le droit d’auteur).45
On conviendra qu’il paraît bien difficile de réconcilier ces objectifs et la protection de l’emballage d’un produit de consommation
courante. En paraphrasant les propos de la Cour, peut-on raisonnablement conclure que la protection par le droit d’auteur de cet objet
est de nature à encourager la création au bénéfice de l’intérêt général ? Cette question appelle évidemment une réponse négative.
Cette dimension des débats n’a pas échappé au juge Fish qui a
estimé que la thèse des demanderesses constitue une dénaturation
du droit d’auteur :
[56] Sans me prononcer sur cette question, j’exprime un doute
sérieux quant à la possibilité de transformer ainsi le droit régissant la protection de la propriété intellectuelle au Canada en
un instrument de contrôle du commerce qui n’est pas envisagé
par la Loi sur le droit d’auteur.46
Ces propos font écho à ceux de la Cour suprême des États-Unis
dans l’affaire L’anza47, dont les faits présentent une étrange similarité avec ceux à l’origine de l’affaire Kraft. L’anza avait engagé une
action en contrefaçon de droit d’auteur fondée sur les étiquettes
apposées sur des bouteilles de shampoing qu’elle fabriquait. Cette
action visait une compagnie américaine qui avait acquis des produits
distribués en Europe et les avait importés et vendus aux États-Unis.
La Cour suprême des États-Unis a rejeté le recours du fabricant en
observant que :
In construing the statute, however, we must remember that its
principal purpose was to promote the progress of the “useful
45. Mattel U.S.A. Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, par. 21.
46. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, § 56.
47. Quality King Dist. Inc. c. L’anza Research Int. Inc., 523 US 535.
568
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Arts” ... by rewarding creativity, and its principal function is
the protection of original works, rather than ordinary commercial products that use copyrighted material as a marketing
aid.48
Par ailleurs, la stratégie développée par Kraft repose essentiellement sur une confusion entre le droit des marques et le droit
d’auteur. Or, tel que l’a rappelé la Cour suprême dans l’affaire
Kirkbi, chacun des droits de propriété intellectuelle obéit à une
logique qui lui est propre :
[37] La valeur économique des droits de propriété intellectuelle
stimule l’imagination et l’esprit procédurier des titulaires de
ces droits dans leur quête d’une protection permanente de ce
qu’ils considèrent comme leur propriété légitime. Cette quête
comporte le risque d’abandonner des distinctions fondamentales nécessaires entre diverses formes de propriété intellectuelle
et leurs fonctions juridiques et économiques. Le présent pourvoi, où la question de la différence entre les brevets et les marques de commerce doit être examinée, illustre bien ce risque.49
En d’autres termes, on ne devrait pas, sous couvert de la Loi sur
le droit d’auteur, protéger un signe qui relève de par sa nature de la
Loi sur les marques de commerce. Cette solution a été adoptée par le
juge Bastarache :
[91] L’alinéa a) prévoit que « [c]onstitue une violation du droit
d’auteur [. . .] la vente ou la location » d’un exemplaire d’une
œuvre. En termes simples, le fait de vendre un bien de consommation sur lequel figure un logo qui est une œuvre protégée ne
revient pas à vendre cette œuvre. L’œuvre en tant que telle est
simplement un élément accessoire du bien de consommation et,
partant, la vente de ce bien ne saurait à proprement parler être
considérée comme étant la vente de l’œuvre. Un logo apposé sur
un emballage peut certes jouer un rôle essentiel dans la vente
de l’article contenu dans cet emballage, mais c’est le rôle qu’il
joue en tant que marque de commerce et non en tant qu’œuvre
protégée par le droit d’auteur. Pour qu’on puisse conclure à la
violation de l’al. 27(2)a), l’œuvre vendue doit être davantage
qu’un simple élément accessoire de la vente d’un autre article.50
48. Ibid., p. 20.
49. Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, § 37.
50. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37, § 91.
Le droit d’auteur en mouvement
569
Finalement, il est regrettable que la Cour ait négligé de se prononcer sur l’un des moyens invoqués par l’appelante, soit l’abus de
droit. Cette théorie civiliste trouve son équivalent en common law
dans la doctrine du misuse51. Pour l’essentiel, il s’agit de sanctionner
l’exercice déraisonnable d’un droit, notamment lorsque cet exercice
dénature le droit d’auteur ou se trouve en porte-à-faux avec ses
objectifs d’intérêt général. Cette théorie a pourtant été reçue en droit
canadien, tel qu’en font foi les propos du juge Binnie dans l’affaire
Théberge :
Un contrôle excessif de la part des titulaires du droit d’auteur
et d’autres formes de propriété intellectuelle pourrait restreindre indûment la capacité du domaine public d’intégrer et
d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de
l’ensemble de la société, ou créer des obstacles d’ordre pratique
à son utilisation légitime.52
Cette théorie a également été endossée par la Cour d’appel
fédérale dans la célèbre affaire Lego :
Il serait abusif et inéquitable pour le public et pour les concurrents de permettre à une personne de bénéficier des avantages
qu’offrent un brevet et un monopole lorsqu’elle est simplement
titulaire d’une marque de commerce, en particulier si la personne en cause ne peut par ailleurs obtenir un brevet ou si elle
est simplement titulaire d’un brevet qui a expiré. Une personne
pourrait obtenir ce monopole semblable à un brevet parce
qu’une marque de commerce confère à son titulaire le droit à
l’emploi exclusif en liaison avec les marchandises afin d’indiquer la source de ces marchandises.53
Or, en l’espèce, il ne fait aucun doute que les démarches judiciaires engagées par Kraft ne peuvent être réconciliées avec les
51. Lasercomb v. Reynolds, 911 F.2d 970 (4th Cir. 1990) ; Video Pipeline, Inc. v.
Buena Vista Home Entertainment, 342 F.3d 191 (3d Cir. 2003) ; Assessment Technologies v. WIREdata, 350 F.3d 640 (7th Cir. 2003) ; Int’l Motor Contest Assoc.
Inc. v. Staley, No. 05-3080, N.D. Iowa June 19, 2006 ; Robert J. TOMKOWICZ,
« Copyrighting chocolate : Kraft Canada v. Euro-Excellence », (2006-07) 20 Intellectual Property Journal 399, aux p. 423-425 ; K. JUDGE, « Rethinking Copyright
Misuse », (2004) 57 Standford Law Review, p. 901.
52. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, § 32. En
doctrine, on se référera à Sunny HANDA, « Reverse Engineering Computer Programs Under Canadian Copyright Law », (1995) 40 McGill Law Journal 621,
p. 651.
53. Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., [2004] 2 R.C.F. 241, § 42.
570
Les Cahiers de propriété intellectuelle
objectifs de la Loi sur le droit d’auteur. En effet, ces démarches ne
visent nullement la protection d’une œuvre artistique mais ont pour
seul but de cloisonner des marchés en contravention au principe de
libre concurrence.
6.6 À la recherche des coupables : la responsabilité des
administrateurs
L’adjonction des administrateurs ou des officiers d’une personne morale à titre de défendeurs dans une action en contrefaçon de
droit d’auteur constitue, dans la perspective du titulaire des droits,
une arme particulièrement persuasive, a fortiori à l’égard de compagnies aux destins incertains ou précaires. En effet, bien des actions
s’avèrent futiles ou inutiles si l’on prend en considération l’absence
ou le peu de valeur des actifs de la défenderesse, rendant ainsi par
définition illusoire l’exécution d’un éventuel jugement54.
Les critères afférents à la responsabilité des administrateurs
ont été dégagés il y a plus de trente ans dans l’arrêt Mentmore. Le
juge Le Dain a estimé que l’administrateur engage sa responsabilité
lorsque sa conduite ne relève pas des activités ordinaires de la personne morale « mais plutôt [de] la commission délibérée d’actes qui
[sont] de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une
indifférence à l’égard du risque de contrefaçon »55.
Ces principes qui ont été dégagés dans une affaire de brevet ont
été appliqués dans le contexte d’une action en contrefaçon de droit
d’auteur, notamment dans le jugement Ital-Press Ltd. :
Compte tenu du critère énoncé dans la décision Mentmore, je
suis convaincu que la preuve démontre que Mme Sicoli, qui était
l’âme dirigeante des sociétés défenderesses pendant toute la
période pertinente aux fins qui nous occupent, et qui était apparemment également l’unique administratrice et actionnaire
des sociétés défenderesses aux moments pertinents, manifestait tout au moins une certaine indifférence à l’égard du fait que
les actes des sociétés défenderesses risquaient d’entraîner une
violation du droit d’auteur, ou manifestait une certaine indiffé54. Sur cette question, on se référera utilement à l’excellent article de Marc-André
HUOT, « La responsabilité des actionnaires, administrateurs et dirigeants
lorsque la compagnie viole des droits de propriété intellectuelle », (2005) 17-1
Cahiers de propriété intellectuelle 67.
55. Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandise Manufacturing Co. Inc.,
(1978) 40 C.P.R. (2d) 164 (C.A.F.).
Le droit d’auteur en mouvement
571
rence à l’égard du risque de violation du droit d’auteur telle que
celle qui a selon moi été commise. Dans ces conditions, je conclus que Mme Sicoli est personnellement responsable de la violation, comme l’est également Il Nuovo Mondo Publishing Inc.
dans le cas de l’annuaire de 1994, et Alberta Italian Yellow
Directory Inc. dans le cas de l’annuaire de 1995-1996.56
Au regard des prescriptions de l’article 317 du Code civil du
Québec et des critères afférents au soulèvement du voile corporatif,
on a pu s’interroger sur l’application des critères de l’arrêt Mentmore
au Québec. Cette incertitude a été dissipée par la Cour fédérale dans
le cadre d’une action opposant la compagnie Microsoft à divers distributeurs de logiciels contrefaits. Pour l’essentiel, la Cour estime que,
compte tenu que la Loi sur le droit d’auteur est une loi fédérale, le
régime de responsabilités des administrateurs est identique quelle
que soit la province où ont été commis les actes de contrefaçon :
[94] La Cour répond à cet argument que l’article 1457 du Code
civil du Québec ne s’applique pas. La Cour fédérale a été constituée par le Parlement, en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, comme tribunal additionnel pour assurer
la meilleure exécution des lois du Canada. Elle n’assure pas
l’application des lois provinciales, sauf dans la mesure où une
loi provinciale est accessoirement pertinente. Le statut de
« personne morale » des sociétés à numéro est un exemple facile.
Une loi provinciale qui établit une responsabilité ou dégage une
personne d’une responsabilité ne peut guère être considérée
comme accessoire (Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint
John Shipbuilding Ltd., 1997 CanLII 307 (C.S.C.), [1997] 3
R.C.S. 1210 et Succession Ordon c. Grail, 1998 CanLII 771
(C.S.C.), [1998] 3 R.C.S. 437).
[95] La question est de savoir si M. Cerrelli a enfreint deux lois
fédérales, la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur les marques
de commerce. Sa responsabilité serait la même peu importe
qu’il soit établi au Québec, en Ontario ou n’importe où ailleurs
au Canada.
[96] La décision Mentmore, précitée, s’applique. Je n’ai vraiment aucune hésitation à conclure, selon la prépondérance des
probabilités, qu’il y a eu, de la part de M. Carrelli, commission
56. Ital-Press Ltd. c. Sicoli, 1999 CanLII 8048 (C.F.), § 148.
572
Les Cahiers de propriété intellectuelle
délibérée d’actes de nature à constituer une violation du droit
d’auteur de Microsoft et une contrefaçon de ses marques de
commerce et qu’il a persisté dans l’indifférence.57
Il faut reconnaître qu’une telle solution, si elle se justifie sur
le plan pratique, se heurte à des objections considérables dont la
moindre n’est pas de nature constitutionnelle. En effet, au regard
des règles relatives au partage des compétences, il semblerait que la
question de la responsabilité civile des administrateurs relève des
législations des provinces.
7. LES MOYENS DE DÉFENSE À UNE ACTION
EN CONTREFAÇON
7.1 Le conflit entre droit d’auteur et liberté syndicale
D’une manière classique, les relations entre le droit social et le
droit d’auteur sont envisagées au titre de la question de la titularité
des droits portant sur les créations de salariés. Mais plus récemment, le contentieux s’est enrichi de décisions portant sur l’utilisation par des syndicats, dans le contexte de conflits de travail,
d’œuvres prenant plus souvent qu’autrement la forme des logos
d’entreprises.
On soulignera ainsi avec intérêt une décision rendue par la
Cour supérieure dans le cadre d’une demande d’injonction interlocutoire présentée par la Corporation Sun Media, propriétaire, entre
autres choses, du Journal de Québec. Les faits sont classiques et ne
méritent qu’un bref rappel. Dans le cadre d’un conflit de travail opposant les parties, le syndicat a reproduit, à quelques modifications
près, l’essentiel du logo du Journal de Québec afin de véhiculer un
certain message dans le contexte du conflit de travail. Le logo a été
reproduit sur une banderole, elle-même reproduite sur le site Internet du syndicat et dans le quotidien Média-Matin, réalisé et diffusé
par les journalistes en grève. Sur ces entrefaites, la Corporation Sun
Media a engagé une demande d’injonction interlocutoire visant la
cessation de la contrefaçon de ses droits d’auteur portant sur le logo.
Sur le fondement de l’article 2(b) de la Charte canadienne des
droits et libertés, le syndicat estimait que la Loi sur le droit d’auteur
ne pouvait être invoquée pour « bâillonner » le droit de parole des
57. Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec inc., 2006 CF 1509, § 94-96.
Le droit d’auteur en mouvement
573
salariés engagés dans un conflit de travail les opposant à leur
employeur. En d’autres termes, la liberté d’expression devrait recevoir préséance sur le droit de propriété du propriétaire du Journal de
Québec.
Dans la lignée d’une jurisprudence constante58, le tribunal a
rejeté la prétention du syndicat en jugeant pour l’essentiel que les
valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression et aux droits d’auteur
ne devaient pas être hiérarchisées :
[30] La liberté d’expression prévue par l’article 2 de la Charte et
par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne
du Québec[9] et reconnue par la jurisprudence, doit se faire
dans le respect des autres lois tant criminelles que civiles.
Cette liberté d’expression ne permet pas à un syndicat ou à un
citoyen ordinaire d’aller à l’encontre d’autres lois criminelles ou
civiles. Ce sont les limites fixées reconnues par la jurisprudence
à cette liberté d’expression.
[33] La liberté d’expression prévue par la Charte et reconnue
par nos tribunaux doit être faite dans le respect des autres lois.
On ne peut commettre un acte criminel comme on ne peut commettre un délit civil sous le couvert de la liberté d’expression
prévue par les chartes. La Loi sur le droit d’auteur ne restreint
pas la liberté d’expression, mais applique une certaine limite à
l’utilisation de biens des tiers.59
Par ailleurs, dans un attendu qui ne souffre d’aucune ambiguïté, le tribunal a précisé que l’existence d’un conflit de travail ne
saurait justifier la violation des droits d’auteur de la demanderesse :
[32] Le tribunal ne peut se convaincre que le seul fait d’être en
conflit de travail permet à un tiers d’utiliser la propriété d’un
autre et ce n’est pas brimer la liberté d’expression, mais c’est
une juste limite à cette liberté d’expression.60
58. Voir notamment Canadian Tire Corporation Ltd. c. Retail Clerks Union, (1985) 7
C.P.R. (3d) 415 ; Michelin & Cie c. SNAATATTC (TCA-Canada), [1997] 2 C.F.
306, 382-383 (C.F.P.I.).
59. Corporation Sun Média c. Le Syndicat canadien de la fonction publique, EYB
2007-120979, (C.S. Qué.), § 30 et 33.
60. Corporation Sun Média c. Le Syndicat canadien de la fonction publique, EYB
2007-120979, (C.S. Qué.), § 32.
574
Les Cahiers de propriété intellectuelle
8. LES SANCTIONS PÉCUNIAIRES DE LA
CONTREFAÇON
8.1 Le prix d’une licence
La détermination des dommages au titre de la contrefaçon de
droits d’auteur demeure un exercice toujours délicat. Dans bien des
cas, le demandeur n’est pas en mesure d’apporter une preuve tangible des dommages qu’il a subis du fait de la violation de ses droits
et les tribunaux, usant de leur large discrétion en la matière, tentent
de trouver une solution équitable selon les circonstances propres à
chaque affaire.
Dans une instance portant sur la contrefaçon d’une œuvre
architecturale, la Cour supérieure du Québec rappelle que cet écueil
initial peut être surmonté en recourant au prix d’une licence, soit le
montant qu’aurait exigé ou pu exiger le demandeur si son consentement avait été sollicité :
Dans Webb & Knapp c. City of Edmonton la Cour suprême a
reconnu que le droit d’auteur présente parfois un problème
d’évaluation quant à la détermination du préjudice pécuniaire
subi par le titulaire des droits, et se réfère à un arrêt anglais où
le tribunal a statué que dans des cas de contrefaçon de plans
d’une œuvre architecturale, il faut se demander ce qu’il en
aurait coûté pour obtenir une licence pour utiliser les droits
d’auteur de la manière dont ils ont été utilisés. La preuve établit que la demanderesse aurait été satisfaite de recevoir
50,000 $ pour ses plans et sa maquette, mais qu’elle voulait
aussi un pourcentage sur les ventes. Le Tribunal est d’avis
qu’elle aurait accepté un règlement pour un montant moindre,
mais la défenderesse n’a fait aucune offre. [notes omises]61
8.2 Les dommages-intérêts préétablis
L’article 38.1 de la Loi permet au demandeur d’opter pour
l’octroi des dommages-intérêts préétablis, dont le montant peut
varier de 500 $ à 20 000 $, relativement à chaque œuvre contrefaite.
Cette mesure qui a été instaurée par les amendements à la Loi de
61. Corporation de développement immobilier Intersite c. Immobilière Versant III
inc., EYB 2007-125440 (C.S. Qué.), § 36.
Le droit d’auteur en mouvement
575
1997 n’a fait l’objet que d’un nombre limité de décisions. Le paragraphe 5 de l’article 38.1 de la Loi énumère au titre des facteurs dont
devraient tenir compte les tribunaux dans la détermination du montant de ces dommages, le comportement des parties à l’instance et la
nécessité de créer un effet dissuasif62.
Dans le jugement rendu dans l’affaire Microsoft déjà évoquée,
la Cour fédérale a également tenu compte de l’aveuglement volontaire des défendeurs, de la perte de profits du titulaire des droits
d’auteur, du chiffre d’affaires réalisé par le contrefacteur et du fait
que les défendeurs avaient omis de présenter tout document comptable susceptible d’étayer les incidences financières de la contrefaçon63. La Cour dans sa discrétion a attribué à la demanderesse le
montant maximum prévu par la Loi, soit 20 000 $ par œuvre contrefaite64.
Ces principes ont été repris par cette même Cour dans l’affaire
Louis Vuitton. La Cour discute également du troisième facteur envisagé au paragraphe 5 de l’article 38, soit le caractère dissuasif de la
condamnation :
Next, I turn to the need to deter others. The LV products that
are the subject of copyright protection are highly-valued by consumers. Being seen with one of the Plaintiffs’ Copyrighted
Works is a statement that carries significant societal weight
in some sectors of the population. However, the continuing
infringement of this and similar high-fashion accessories with
similar copyright protection erodes the position that legitimate
copyrighted products hold in the marketplace. Why would a
person buy the Plaintiffs’ Copyrighted Works when « knockoffs » can be sold and bought with few negative consequences ?
More seriously, why buy the legitimate product when others
seeing it will assume that it is not likely a « real » LV Copyrighted Work ? Although, to many, this aspect of the infringe-
62. Sur cette question, voir Laurent CARRIÈRE, « Voies et recours civils en matière
de violation de droits d’auteur au Canada », Développements récents en droit de la
propriété intellectuelle (2001) (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001) 395, aux
p. 435-456.
63. Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec inc., 2006 CF 1509, § 109-111 ; voir
également Louis GRATTON, « Le montant maximal de dommages-intérêts préétablis en droit d’auteur canadien accordé dans une affaire d’anti-contrefaçon »,
(2007) 19-3 Cahiers de propriété intellectuelle 1147.
64. Ibid., § 112.
576
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ment is not serious, the erosion of the market for which the
Plaintiffs have worked very hard is a serious consequence of the
continuing behaviour of the Defendants and others who may
also be infringing the Copyrighted Works. Another aspect of
deterrence that is relevant is the behaviour of the Defendants.
The award in this case should attempt to deter conduct where
orders of the Court and other legal remedies are blatantly
ignored. In my view, a high award is necessary to deter future
infringement and, secondarily, to deter open disrespect for
Canada’s copyright protection laws.65
On notera que ce critère risque de faire double emploi puisqu’il
est également au cœur de l’attribution des dommages punitifs ou
exemplaires.
8.3 Les dommages-intérêts punitifs
Une doctrine et une jurisprudence unanimes enseignent que
les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ont vocation de punir
et par-delà de dissuader :
On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la
mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la Cour.
Les dommages-intérêts punitifs n’ont aucun lien avec ce que le
demandeur est fondé à recevoir au titre d’une compensation. Il
vise non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur. C’est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son
outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur.
Ils revêtent le caractère d’une amende destinée à dissuader le
défendeur et les autres d’agir ainsi. Il importe de souligner que
les dommages-intérêts punitifs ne devraient être accordés que
dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à
punir et à dissuader.66
Dans le cadre de poursuites engagées aux termes de la Loi, ces
dommages ont généralement été accordés dans les circonstances
suivantes :
65. Louis Vuitton Malletier S.A. c. Yang, 2007 FC 1179, § 25.
66. Hill c. Église de scientologie, [1995] 2 R.C.S. 1130, à la p. 1208.
Le droit d’auteur en mouvement
577
– lorsque les dommages réels s’avèrent trop faibles67 ;
– lorsque les défendeurs ont fait preuve d’une attitude particulièrement « agressive » avant et pendant les procédures68 ;
– lorsque l’attitude du défendeur équivaut à un désintérêt, voire un
mépris, pour les droits d’auteur69 ;
– l’aspect punitif et dissuasif de ces dommages exemplaires70.
À ces critères désormais classiques, on doit également ajouter,
comme le rappelle la Cour fédérale dans son jugement SOCAN c.
728859 Alberta Ltd., que l’octroi des dommages exemplaires a également pour but d’éviter de conférer au contrefacteur une sorte de
« licence légale » :
The Society of Composers has, in effect, claimed both general
damages and exemplary damages. The former are by way of the
licence fees. The weakness in stopping merely at licence fees is
that a user of music to which the clients of the Society of Composers hold the right might, in the event that the only damages
were the licence fees outstanding, look upon legal proceedings
not as either punishment or deterrent, but merely as a cost of
doing business, indeed, not an excessive cost and one only to be
encountered if the Society of Composers noticed and prosecuted
the infringement. The addition of taxable costs payable by a
Defendant in such an instance is relatively small. This, a claim
for punitive or exemplary damages may be in order. 71
Dans l’affaire Microsoft, la Cour fédérale a ajouté un certain
nombre de critères qu’elle résume comme suit :
La Cour a noté que de nombreux facteurs pouvaient influer sur
la gravité du caractère répréhensible et elle a énuméré certains
d’entre eux au paragraphe 113, notamment le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée, l’intention
et la motivation du défendeur, le caractère prolongé de la
67. N.F.L. Enterprises L.P. c. 1019491 Ontario Ltd., [1999] CarswellNat 1513 ; Weiss
c. Prentice-Hall Canada et al., (1996) 66 C.P.R. (3d) 417.
68. Socan c. Bergerie Jean-Claude Borduas, B.E. 99-561.
69. Collection 45e Parallèle Inc., REJB 1999-15500.
70. Socan c. 348803 Alberta Ltd., (1997) 79 C.P.R. (3d) 449.
71. SOCAN c. 728859 Alberta Ltd., (2000) 6 C.P.R. (4d) 355, à la p. 360.
578
Les Cahiers de propriété intellectuelle
conduite inacceptable du défendeur, le fait qu’il ait caché sa
conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler, le fait qu’il
savait ou non que ses actes étaient fautifs et le fait qu’il ait ou
non tiré profit de sa conduite répréhensible.72
En conclusion, la Cour a octroyé à la demanderesse la somme de
200 000 $73.
72. Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec inc., 2006 CF 1509, § 118.
73. Ibid., § 120.
Capsule
Palmarès jurisprudentiel 2007
en droit du divertissement :
la détermination d’interdits
élevée au rang d’art
Marcel Naud*
Le palmarès étant un moyen de classement populaire concernant les productions artistiques dans divers domaines, c’est sous
cette forme que sont rapportés dans cet article un « top 5 » des décisions rendues au Québec au cours de l’année 2007 ayant un lien
manifeste avec les entreprises artistiques et les industries culturelles et comportant des enjeux dignes de mention1.
1re position : quelle audition doit passer une personne
appelée à auditionner ?
C’est à une question semblable que l’honorable Pierre Tessier
de la Cour supérieure a dû répondre dans la décision qu’il a rendue le
2007-03-27 dans l’affaire Actra c. Québec (Procureur général)2. Cette
décision a ainsi permis de rappeler le principe de retenue judiciaire
© CIPS, 2008.
* Avocat, Marcel Naud est membre de LEGER ROBIC RICHARD, S.E.N.C.R.L., un
cabinet multidisciplinaire d’avocats, d’agents de brevets et d’agents de marques de
commerce.
1. À une époque où les palmarès individuels, avec les lecteurs de musique en format
numérique, collections de DVD et autres del.icio.us, font contrepoids aux palmarès
des distributeurs, diffuseurs et détaillants, l’auteur tient à souligner que le choix
des décisions rapportées dans le présent article résulte d’une sélection subjective et
que d’autres auraient pu en arriver à un résultat différent.
2. 2007 QCCS 1293.
579
580
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dans les cas où une décision gouvernementale repose sur l’exercice
d’un pouvoir discrétionnaire assez large.
Le 2006-02-14, Me Mylène Alder, autrefois directrice générale
adjointe de l’Association des producteurs de Films et de Télévision
du Québec (APFTQ), est nommée membre et vice-présidente de la
Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des
associations de producteurs (« CRAAAP »), par décret gouvernemental. La Cour est alors saisie d’une requête en annulation de cette
nomination et en mandamus par treize demanderesses3, toutes des
associations reconnues d’artistes, qui, dans une lettre adressée précédemment à la ministre de la Culture et des Communications,
exprimaient leur mécontentement quant au processus de consultation et à son résultat de même que leurs craintes de partialité de
Me Alder, du fait qu’elle provenait du milieu des producteurs plutôt
que des artistes.
Les demanderesses souhaitent contraindre le gouvernement à
tenir une consultation et prétendent que le décret est invalide parce
qu’il n’y aurait pas eu telle consultation préalable.
CRAAAP est une créature statutaire de la Loi sur le sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la
scène, du disque et du cinéma4 (la « LSA »).
Comme son nom l’indique, le rôle principal de ce tribunal administratif, qui exerce des fonctions quasi judiciaires, est d’interpréter
et de voir à l’application des lois québécoises sur le statut de l’artiste,
en reconnaissant les associations d’artistes et les associations de producteurs compétentes à négocier des ententes collectives, tout en
définissant les secteurs de négociation ou les champs d’activités pour
lesquels une reconnaissance peut être accordée5.
3. Nommément : Actra, Union des artistes (UDA), Société des auteurs de radio, Télévision et cinéma (SARTEC), Writers Guild of Canada (WGC), Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), Le Conseil du Québec de la guilde
canadienne des réalisateurs (CQGCR), Alliance québécoise des techniciens de l’image et du son (AQTIS), Société professionnelle des auteurs et compositeurs québécois (SPACQ), Guilde des musiciens et musiciennes du Québec, Association des
professionnels des arts de la Scène du Québec (APASQ), Canadian Actor’s Equity
Association (CAEA), Association québécoise des auteurs dramatiques (AQAD) et
Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV).
4. L.R.Q., c. S-32.1.
5. L’article 56 énonce l’ensemble des fonctions de la CRAAAP.
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
581
L’article 44 de la LSA stipule que :
« [l]a Commission se compose de trois membres dont un président et un vice-président, nommés par le gouvernement, sur
proposition du ministre de la Culture et des Communications,
après consultation de personnes ou d’organismes qu’il considère
comme représentatifs des milieux des arts et des lettres. » [Nos
italiques.]
Le cœur du litige réside dans la détermination de la portée de
cette exigence de la LSA de consulter des personnes ou des organismes que le gouvernement considère comme représentatifs des
milieux des arts et des lettres avant d’exercer son pouvoir de nomination.
La trame factuelle permet d’établir qu’une certaine forme de
consultation avait été effectuée. En effet, Pierre Milette, directeur de
cabinet adjoint pour la ministre de la Culture et des Communications et témoin lors de l’instruction de l’affaire, avait mené des
consultations verbales et informelles auprès de diverses personnes
et organismes, et avait reçu de la part de certains d’entre eux6 des
lettres fournissant des suggestions de candidatures. Il s’avère cependant que, dans le processus, 12 des 13 associations demanderesses
n’ont pas été consultées et qu’aucune rencontre subséquente avec
des gens du milieu n’a eu lieu pour discuter des candidatures suggérées.
Dans son examen du régime juridique en vertu duquel les associations sont reconnues, le juge relève que le droit d’être consultées
pour la nomination d’un membre de la CRAAAP ne fait pas partie de
ceux octroyés par les articles qui énoncent ces droits dans la LSA ou
la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des
métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs7 (la « Loi S-32.01 »). La source du droit ne réside donc que dans
le libellé de l’article 44 de la LSA.
Le juge observe que ce passage de la LSA énonçant que la nomination survient après consultation, lequel résulte d’un récent amendement8, ne crée pas un nouveau processus de consultation, mais
6. En particulier de l’APFTQ, l’ADISQ, l’AQTIS et de Denise Robert (présidente de
Cinémaginaire inc.).
7. L.R.Q., c. S-32.01.
8. Projet de loi no 42 Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les
artistes professionnels.
582
Les Cahiers de propriété intellectuelle
vient plutôt codifier une pratique qui avait déjà cours. Dans son
témoignage, Pierre Milette a d’ailleurs indiqué que le gouvernement
avait toujours fait des consultations à ce sujet depuis 1999.
Dans son interprétation de la signification de l’expression
« milieux des arts et des lettres », le juge remarque que cette expression n’est pas autrement utilisée dans la LSA ou la Loi S-32.01, tandis que le législateur utilise les concepts définis de « domaines », de
« secteur » et de « champs d’activités » ailleurs dans ces lois. De plus,
l’expression « après consultation de personnes ou d’organismes qu’il
considère comme représentatifs des milieux » se retrouve dans
d’autres lois9 afférentes à la culture.
En effectuant des comparaisons avec certaines lois dans le
domaine du travail10 et de l’éducation11, la Cour signale que dans les
mécanismes de consultations requis pour nommer les membres du
Conseil des services essentiels, de la Commission des lésions professionnelles ou un recteur ou pour fermer définitivement une école, les
organismes ou interlocuteurs à être consultés sont expressément
identifiés. Selon cette logique, si le législateur avait voulu faire de
même pour la nomination des membres de la CRAAAP, il aurait
libellé l’article 44 de la LSA en conséquence.
La Cour prend soin d’indiquer que l’article 44 de la LSA
n’impose pas à la ministre de consulter :
a) à la fois des personnes et des organismes ou d’en consulter un
nombre en particulier, pourvu que plus d’une personne ou plus
d’un organisme soit consulté ;
b) une association reconnue d’artistes ou de producteurs en particulier ou toutes ces associations ;
c)
9.
des personnes ou organismes objectivement représentatifs ou les
plus représentatifs, mais plutôt ceux qu’il considère subjectivement comme représentatifs ;
La Cour mentionne les suivantes : Loi sur le Conseil des arts et des lettres du Québec (L.R.Q., c. C-57.02), Loi sur la Société de développement des entreprises culturelles (L.R.Q., c. S-10.002), et Loi sur la Société de la Place des arts de Montréal
(L.R.Q., c. S-11.03).
10. Code du travail (L.R.Q., c. C-27) et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
11. Loi sur l’Université du Québec (L.R.Q., c. U-1) et Loi sur l’instruction publique
(L.R.Q., c. I-14, en vigueur en 1988).
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
583
d) des organismes ou personnes relevant d’un secteur, champ
d’activités ou domaine en particulier ; ou
e) selon des modalités ou des paramètres précis, de telle sorte que
la consultation peut prendre diverses formes et que les personnes ou organismes consultés n’ont pas à approuver ni les candidatures ni le choix des nominations.
En l’espèce, la Cour estime qu’en ayant effectué les démarches
énoncées précédemment, le gouvernement a accompli la formalité
essentielle énoncée à l’article 44 de la LSA de consulter des personnes ou des organismes qu’il considère comme représentatifs des
milieux des arts et des lettres avant de nommer Me Alder membre de
la CRAAAP.
Malgré l’acuité de la justification juridique de cette conclusion,
certains observateurs pourraient néanmoins avoir de la difficulté à
la concilier avec l’intention exprimée en termes plus politiques à
l’Assemblée nationale et rapportée dans le Journal des débats du
2004-04-21, où la ministre indiquait que cette disposition visait à
répondre au souhait des associations d’artistes d’être consultées sur
la désignation des membres de la Commission.
Cependant, au-delà de ces considérations, il faut retenir que la
nature discrétionnaire du pouvoir de nomination exercé par le gouvernement confère à ce dernier la faculté d’agir à sa guise à l’intérieur des limites fixées, ce qu’il a fait en l’espèce. Les motifs12
pouvant justifier l’exercice du contrôle judiciaire d’une décision
basée sur un pouvoir discrétionnaire du gouvernement n’étant pas
présents, la Cour rejette donc la requête en annulation de nomination et en mandamus des demanderesses.
Enfin, en ce qui a trait à la crainte de partialité, la Cour indique
que les antécédents professionnels ne constituent pas en eux-mêmes
des obstacles à devenir un décideur impartial et que ces craintes doivent plutôt être traitées au cas par cas, dans le cadre de requêtes en
récusation. La Cour conclut qu’en l’espèce, il n’y a « aucun motif
sérieux de penser, ni preuve à cette fin que Me Mylène Alder, à titre
de vice-présidente de la Commission, rendrait des décisions destinées à plaire aux producteurs dans un esprit partial et fermé, sans
12. Parmi lesquels la Cour cite : la mauvaise foi des décideurs, l’exercice du pouvoir
discrétionnaire dans un but incorrect et l’utilisation de considérations non
pertinentes.
584
Les Cahiers de propriété intellectuelle
égard à la preuve produite, aux représentations des parties et aux
règles pertinentes. »
2e position : la défense d’un poste de radio ne peut servir de
prétexte pour diffamer ses opposants
Les tribunaux sont rarement enclins à condamner la partie qui
succombe à des dommages exemplaires et à payer les frais extrajudiciaires de la partie ayant gain de cause. Toutefois, ils accepteront de
le faire lorsque, de leur point de vue, les circonstances le justifient,
comme ce fut le cas dans le jugement rendu le 26 juin 2007 dans
Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la
vidéo c. Genex Communications inc13.
Dans cette affaire, en plus des dommages moraux de 350 000 $
que les intimés Genex Communications Inc. (« Genex »), l’administrateur de Genex Patrice Demers (« PD ») et l’animateur JeanFrançois Fillion (« JFF ») ont été condamnés solidairement à verser
aux requérants Association québécoise de l’industrie du disque, du
spectacle et de la vidéo (« ADISQ »), Me Solange Drouin (viceprésidente aux affaires publiques et directrice générale de l’ADISQ),
Lyette Bouchard (directrice générale adjointe de l’ADISQ) et Jacques
Primeau (président de l’ADISQ), les intimés ont aussi été condamnés
à payer 200 000 $ en dommages exemplaires et 43 742,79 $ en frais
extrajudiciaires.
Ces condamnations sont le résultat de propos concernant les
requérants tenus à l’automne 2001 et l’hiver 2002 sur les ondes de la
station CHOI-FM de Québec par JFF avec l’accord tacite de Genex et
PD que le juge Jean-Guy Dubois de la Cour supérieure a qualifiés
d’illégaux, hors de proportion, vulgaires et dégradants, et de l’exercice conséquent par les requérants d’un recours pour protection de
leur réputation.
Plusieurs extraits des propos en question ont été reproduits
dans le texte du jugement. À titre illustratif, à l’égard de chacun des
requérants, on peut relever les suivants :
À l’égard de l’ADISQ :
« Maudite gagne de crottés. [...] Maudite gagne de chiens. [...]
L’ADISQ, c’est du crime organisé légal.[...] Oui, c’est la mafia
légale ! »
13. 2007 QCCS 3582.
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
585
À l’égard de Me Solange Drouin :
« Maudite...plotte ! De maudite plotte de marde ! À qui je veux
parler de çà depuis des mois et des mois, si ce n’est pas des
années. [...] Maudite folle de maudite conne ! [...] c’est la plus
grande hypocrite. [...] Cochonne, vache et chienne ! [...] Il n’y
a pas longtemps, dont André Gagné poussait dans l’cul de
Solange Drouin, ça je le sais très bien. Ces gens-là couchent
ensemble, ou il y a des pots-de-vin [...] »
À l’égard de Lyette Bouchard :
« Oh, il y en a une nouvelle... [...] Oui, oui, l’assistante. [...] Vache
en chef et vache adjoint. »
À l’égard de Jacques Primeau :
« Tout le monde couche avec tout le monde. Jacques Primeau,
président de l’ADISQ s.v.p., c’est le chum de Michel Bélanger,
c’est le prétentieux gérant de RBO. Vous ne trouvez pas Jacques
Primeau qu’il a l’intelligence de mener l’ADISQ. [...] C’est un
croche. »
Ces propos, et plusieurs autres, ont été tenus par JFF comme
suite à la décision de l’ADISQ de faire des représentations auprès du
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadienne
(« CRTC ») à l’encontre de Genex et plus particulièrement de sa station CHOI-FM lors de l’audition concernant la demande de renouvellement de la licence radiophonique de Genex pour cette station.
L’ADISQ tenait à faire valoir le fait que CHOI-FM ne respectait pas
le quota minimum de 65 % de contenu musical francophone. Les intimés ont tenté de justifier les propos de JFF au sujet des requérants
comme s’inscrivant dans un soi-disant débat vis-à-vis ces derniers au
sujet des représentations à l’audition devant le CRTC pour renouvellement de la licence.
Du reste, la preuve a révélé que :
• l’émission radiophonique animée par JFF était devenue au printemps 2002 l’émission la plus populaire de la Ville de Québec avec
une cote d’écoute du matin de 6 h à 9 h de 65 200 auditeurs ;
586
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• JFF recevait une rémunération annuelle de 120 000 $ à 160 000 $
entre le 1er septembre 1999 et le 31 août 2004 tandis que PD recevait une rémunération annuelle de 149 000 $ ;
• les revenus de PD et JFF étaient liés à des bonis de performance
offerts par Genex ;
• même après le début des procédures, JFF a tenu d’autres propos
diffamatoires à l’endroit des requérants ;
• beaucoup de plaintes ont été déposées auprès du CRTC à
l’encontre de CHOI-FM ; et
• les requérants ont souffert des propos tenus par JFF.
Dans ses motifs, la Cour a tenu compte du fait que la fixation
des dommages moraux est arbitraire et que parmi les critères à
prendre en considération peuvent figurer la gravité intrinsèque de
l’acte diffamatoire, son impact sur les victimes, la durée raisonnablement prévisible du dommage causé, la caractère intentionnel et le
degré de diffusion de l’acte.
Les termes employés par la Cour pour justifier les condamnations au-delà des dommages moraux sont sans équivoque :
la nature particulière de la présente instance, montre un abus
délibéré du droit de parole qu’a utilisé, de façon illégale et vulgaire, Jean-François Fillion avec l’accord tacite des intimés,
Patrice Demers et Genex Communications. Il faut donc en
conséquence poser des gestes réprobateurs pour laisser voir
que quiconque aurait le mépris de la réputation de quelqu’un
d’autre, comme l’ont eu les intimés, qu’il y a des conséquences
qui en découlent et qu’il faut payer les frais engagés par les
requérants pour faire valoir leurs points de vue et surtout prouver à un tribunal qu’ils n’avaient pas à être affublés injustement de paroles telles celles qui ont été prononcées par l’intimé
Jean-François Fillion.
Il restera à voir si les conclusions de cette affaire auront l’effet
dissuasif escompté et inciteront à l’avenir les médias de masse cherchant à accroître leurs cotes d’écoute par des procédés douteux à
exercer la retenue et le contrôle voulus pour éviter que semblables
situations ne se reproduisent.
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
587
3e position : le rôle de l’écrit pour l’attribution d’un rôle dans
une série télévisée
Le 29 juin 2007, dans l’affaire Aetios Productions inc./Virginie
1 inc. c. Tousignant14, la juge Michèle Monast de la Cour supérieure
du Québec a accueilli une requête en révision judiciaire présentée
par un producteur, annulant par le fait même la décision arbitrale
rendue précédemment par l’intimée, Me Lyse Tousignant, et rejetant
un grief déposé par l’Union des Artistes (« UDA »), mise en cause.
À l’origine, l’UDA avait présenté un grief devant l’intimée pour
défendre les intérêts de Marie Joanne Boucher (« MJB »), une comédienne qui avait, depuis plusieurs années, un rôle dans le téléroman
« Virginie ».
Le 11 mars 2003, la productrice offre à MJB de signer un nouveau contrat pour la saison 2003-2004, mais la comédienne informe
alors la productrice qu’elle s’est déjà engagée envers un tiers à jouer,
« du mercredi au samedi de la fin juin à la fin août » dans un théâtre
d’été en région, limitant sa disponibilité pour le tournage et les répétitions. (Au cours des années précédentes, les journées de tournages
étaient concentrées les lundis, mardis et mercredis. Pour la saison
2003-2004, des changements à l’horaire étaient à prévoir en raison
d’un retard de l’auteure).
Ce manque de disponibilité de la comédienne a ainsi indisposé
la productrice qui, dès le lendemain, enjoint à la comédienne de choisir entre le rôle offert et son engagement au théâtre d’été. Le surlendemain, la comédienne informe la productrice qu’elle est disposée à
renoncer au théâtre d’été pour conserver son rôle dans Virginie et
une représentante de la productrice lui indique qu’elle lui enverra
une lettre d’entente (« deal memo ») pour confirmer les termes de
l’engagement. Une semaine plus tard, Fabienne Larouche, auteure
de la série et principale dirigeante de la productrice, blâme la comédienne pour avoir été désobligeante à son endroit avec l’équipe
de tournage et que cela a compromis irrémédiablement son désir
de continuer à écrire pour son rôle. Depuis, la productrice refuse
d’envoyer la lettre d’entente.
La décision d’arbitrage rendue par l’intimée donne droit à
l’UDA et à MJB en déterminant qu’un contrat avait été valablement
14. 2007 QCCS 3070.
588
Les Cahiers de propriété intellectuelle
formé, que la productrice devait confirmer l’engagement par écrit et
que l’écrit était un moyen de confirmation du contrat plutôt qu’une
condition à son existence. Dans sa décision, l’intimée indiquait :
Comme l’engagement se fait par écrit, lorsqu’il y a eu rencontre
de volonté sur les éléments essentiels du contrat, il revient
alors au producteur de mettre par écrit l’engagement. Dans le
présent cas, il y a eu rencontre de volontés sur les éléments
essentiels et le producteur devait s’exécuter, en omettant de le
faire, il enfreignait la clause 5-2.01 de l’entente. Même si l’écrit
est nécessaire pour être considéré cpmme [sic] « contrat », le
producteur ne peut le retenir indûment lorsqu’il y a eu entente
sur les éléments essentiels. Il doit le coucher par écrit et il doit
être honoré par les parties.
Au niveau de la révision judiciaire de cette décision, la productrice adopte la position selon laquelle « l’arbitre intimée a donné [à]
l’entente collective une interprétation erronée et déraisonnable en
concluant que l’écrit n’est pas une condition expresse et obligatoire à
l’existence du contrat d’engagement d’artiste ».
La clause 5-2.01 de l’entente collective prévoit que
« [l]’engagement de l’artiste se fait par contrat écrit sur le formulaire de l’Annexe A. Le contrat d’engagement doit contenir
tous les renseignements demandés sur ledit formulaire et il
doit être signé par l’artiste et le producteur avant le début du
travail. » [Nos italiques.]
L’UDA pour sa part maintient la position selon laquelle le contrat d’engagement a été valablement formé par la rencontre des
volontés des parties et que le non-respect de la formalité de l’écrit
peut être justifié par un manquement de la productrice, qui était
tenue de fournir cet écrit pour confirmer l’entente.
La Cour n’a pas retenu cette dernière interprétation, qu’elle
considère contraire à la volonté des parties d’assujettir la formation
du contrat à une forme solennelle, comme le permet l’article 1385
C.c.Q. Selon la Cour :
L’entente collective constitue la loi particulière des parties et
leurs rapports doivent être examinés à la lumière des dispositions qui y sont contenues. [...] En l’espèce les dispositions de
l’entente étaient sans équivoque et il n’y avait pas nécessité de
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
589
recourir aux règles du droit civil pour les interpréter. [...] Ce faisant, elle a modifié le texte de l’entente collective et s’est
attribuée une juridiction qu’elle n’avait pas.
Du reste, la Cour, en accueillant la requête, a conclu à l’application de la décision correcte comme norme de révision, impliquant
un degré de retenue judiciaire peu élevé considérant l’absence de
clause privative dans la loi, le champ de spécialisation de l’arbitre et
la nature du problème posé.
4e position : un tournage en anglais n’empêche pas nécessairement la production qui l’intègre de résulter en une œuvre
en français
Comme suite à une requête en interprétation fondée sur l’article 5815 de la LSA présentée par l’APFTQ ainsi que Zone 3 et Zone 3
X1 inc. (les « Requérantes »), la CRAAAP (ci-après la « Commission »), dans sa décision16 du 27 décembre 2007 accueillant la
requête, a conclu que la version française de la série d’animation
Cotoons entrait dans le domaine de production du film et constituait
une version originale relevant de la juridiction exclusive de l’UDA et
ce, malgré que la portion imbriquant des personnages du monde réel
avait été tournée en anglais.
La Commission énonce comme suit la question en litige :
« [l]e film d’animation Cotoons qui comporte une version française et une version anglaise est-il le fruit d’une seule production originale en français et relevant exclusivement du secteur
de négociation attribué à l’UDA ou le fait de deux productions
originales, l’une en français, relevant de l’UDA et l’autre, en
anglais, relevant de l’Alliance of Canadian Cinema, Television
and Radio Artists (ACTRA) ? »
La preuve a permis de révéler notamment que, dans la version
française de cette coproduction entre le Canada et la France :
15. L’article 58 de la LSA permet en effet à la Commission, en tout temps sur requête
d’une personne intéressée, de décider si une personne est comprise dans un secteur de négociation ou, selon le cas, dans un champ d’activités, et de toutes autres
questions relatives à la reconnaissance.
16. Association des producteurs de films et de télévision du Québec c. Alliance of
Canadian Cinema, Television and Radio Artists, 2007 CRAAAP 435.
590
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1. Deux tiers de chaque épisode sont réalisés en animation seulement et l’autre tiers est réalisé en superposant de l’animation à
des scènes tournées dans le monde réel ;
2. Les scénarios sont écrits en français ;
3. Les voix pour l’animation sont enregistrées en français pour
ensuite y joindre l’animation ;
4. Le tournage pour la portion de chaque épisode dans le monde
réel avec de véritables comédiens est effectué en anglais, en raison de la clientèle américaine qui tolère peu le doublage de personnages du monde réel et à qui notamment la version anglaise
est destinée ;
5. Les personnages animés s’exprimant en français sont superposés aux images des comédiens du monde réel s’exprimant en
anglais ;
6. La portion de chaque épisode tournée avec des comédiens du
monde réel s’exprimant en anglais est ensuite doublée en français.
Cette affaire concerne un principe fondamental de la LSA, et
plus particulièrement de la définition des secteurs de négociation,
celui de l’exclusivité de la représentation. En application de ce principe, la Commission considère qu’une œuvre dans son ensemble doit
pouvoir être rattachée à l’un ou l’autre des domaines de production,
afin d’éviter toute superposition de reconnaissance sur une même et
unique prestation.
En l’espèce, le fait que la version française de l’œuvre, tout
comme sa version anglaise, comporte une portion originale et une
portion doublée crée une situation particulière qui exige une fine
interprétation de la LSA et de la portée des secteurs de négociations
relevant de l’ACTRA et de l’UDA.
Le secteur de négociation exclusive de l’ACTRA concerné est
défini comme suit :
Tous les artistes exécutants dans le domaine du film de langue
anglaise et dans la province de Québec.
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
591
Tous les artistes exécutants dans tous les domaines de production artistique [incluant doublage] en langue anglaise, sauf le
film et les annonces publicitaires, à l’exclusion de ceux représentés par le Canadian Actor’s Equity Association ». [Soulignements dans la décision même.]
Le secteur de négociation exclusive de l’UDA concerné est
défini comme suit :
Toute personne qui s’exécute ou est appelée à être vue ou
entendue à titre d’artiste interprète dans tous les domaines de
production artistique, [...] à l’exception des productions faites et
exécutées en anglais et destinées principalement à un public de
langue anglaise [...]. [Soulignements dans la décision même.]
Les domaines de production auxquels s’applique la LSA sont
quant à eux énumérés à son article 1 :
La présente loi s’applique aux artistes et aux producteurs qui
retiennent leurs services professionnels dans les domaines de
production artistique suivants : la scène y compris le théâtre, le
théâtre lyrique, la musique, la danse et les variétés, le multimédia, le film, le disque et les autres modes d’enregistrement
du son, le doublage et l’enregistrement des annonces publicitaires. [Soulignements dans la décision même.]
Enfin, l’article 2 de la LSA définit le film comme « une œuvre
produite à l’aide d’un moyen technique et ayant comme résultat cinématographique, quel qu’en soit le support, y compris le vidéo ».
C’est dans ce contexte que les requérantes veulent s’assurer
que la prestation des comédiens du monde réel, malgré qu’elle soit en
anglais, ne fasse pas de l’ensemble de la version française de l’œuvre
une production qualifiée de « production faite et exécutée en
anglais », de sorte que la convention applicable soit celle de l’UDA
pour l’ensemble des prestations requises pour produire l’œuvre en
français.
Dans ses motifs, la Commission écarte le rattachement de la
version française de l’œuvre dans son ensemble au domaine du doublage car, selon elle, le fait de recourir au procédé de doublage au
stade de la production du film plutôt qu’en postproduction et pour
une portion relativement petite de l’œuvre ne peut créer un tel effet.
592
Les Cahiers de propriété intellectuelle
De la même façon, la Commission écarte le rattachement de la
version anglaise de l’œuvre dans son ensemble au domaine du film,
car cette version est subséquente à une version intégrale en français
et l’utilisation de la portion de l’œuvre comportant la prestation des
comédiens en langue originale anglaise demeure modeste par rapport à l’ensemble de l’œuvre doublée.
Ce faisant, la Commission met par ailleurs en relief le fait qu’en
règle générale, dans la définition des secteurs de négociations comportant une dimension linguistique, la distinction se rattache surtout à la langue de la production de l’œuvre plutôt qu’uniquement à
la langue de prestation des comédiens.
Ainsi, et tenant compte de la preuve dans son ensemble et des
circonstances entourant la production de la version française incorporant une prestation de comédiens s’exprimant en anglais et subséquemment doublée, la Commission considère que cette version ne
peut être qualifiée de « film de langue anglaise » au sens de la reconnaissance accordée à l’ACTRA ni de « production faite et exécutée en
anglais » au sens de l’exception prévue à la reconnaissance de l’UDA.
En tranchant de la sorte, la Commission rappelle que la LSA
« n’a pas pour objet d’interdire de nouvelles façons de faire, notamment dans le contexte contemporain de coproduction avec l’étranger », et que les reconnaissances concernant les secteurs de négociation « doivent s’interpréter les unes par rapport aux autres de
manière à ne pas créer des situations inutilement conflictuelles ».
5e position : Toute personne qui joue de la musique n’est pas
musicienne
L’année 2007 aura également permis de rappeler qu’un règlement doit viser tous les citoyens de la même manière, en ce sens qu’il
ne peut discriminer entre des catégories ou au sein de catégories de
gens.
C’est sur ce principe que le juge Antonio Discepola de la Cour
municipale de la ville de Montréal s’est appuyé pour rendre sa décision du 2007-06-22 dans l’affaire Silva Toro c. Montréal (Ville)17. Il
s’agissait alors de trancher les questions soulevées par une requête
en inconstitutionnalité visant le paragraphe 9(3) du Règlement sur le
17. 2007 CanLII 25684 (QC C.M.).
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
593
bruit18 (le « Règlement ») de la ville de Montréal (la « Ville » ou la
« poursuivante »). Dans son contexte, cette disposition prévoit que :
8. L’émission d’un bruit perturbateur d’un niveau de pression
acoustique supérieur au niveau maximal de bruit normalisé
fixé par ordonnance à l’égard du lieu habité touché par cette
émission est interdite.
9. Outre le bruit mentionné à l’article 8, est spécifiquement prohibé lorsqu’il s’entend à l’extérieur ;
[...]
3o le bruit produit par un musicien ambulant au moyen
d’instruments de musique ou d’objets utilisés comme tels,
en tout temps s’il est fait usage d’instruments à percussion
ou d’instruments fonctionnant à l’électricité, et en période
de nuit dans les autres cas ; (les italiques sont nôtres)
La requête a été présentée par des défendeurs dans divers dossiers devant la Cour après qu’ils aient reçu, malgré l’absence de
plaintes du voisinage, plusieurs constats d’infraction pour avoir produit un bruit provenant d’instruments à percussion ou d’instruments fonctionnant à l’électricité, après que la Cour eut reconnu que
la poursuivante s’était déchargée de son fardeau de preuve.
Les défendeurs reconnaissent former un groupe de musiciens
ambulants, avec un répertoire de musique indienne de l’Amérique
du Sud, jouant durant l’été dans un lieu touristique du VieuxMontréal depuis plusieurs années. Pour ce faire, ils se procurent
annuellement un permis de la Ville sur lequel est notamment inscrit
l’interdiction d’utiliser des instruments à percussion ou fonctionnant
à l’électricité.
Les défendeurs soutiennent que le règlement en vertu duquel
ils seraient reconnus coupables est invalide parce que discriminatoire. L’essentiel de leurs prétentions consiste à dire que le Règlement ne peut pas imposer des obligations et contraintes aux
musiciens ambulants différentes, ou plus importantes, de celles
imposées aux autres citoyens, que ces derniers soient musiciens ou
non.
18. R.R.V.M. c. B-3.
594
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Ville pour sa part soutient que le terme « musicien ambulant » englobe toute personne jouant de la musique en public, sans
égard au contexte, et qu’une telle personne devient, de ce fait, assujettie au Règlement.
Dans sa décision, le juge s’est référé aux définitions du dictionnaire des termes « musicien » et « ambulant » étant donné que le
Règlement ne donnait aucune définition de ces termes. Il lui est
apparu dès lors clair que le sens ordinaire du mot « musicien »
désigne une personne « exerçant la profession de jouer de la
musique » et non toute personne qui en joue, et que l’adjectif « ambulant » qualifie celui qui se déplace pour exercer son activité professionnelle. Il en découle que la portée de l’expression « musicien
ambulant » dans le Règlement exclut toute personne produisant un
bruit avec des instruments à percussion ou fonctionnant à l’électricité autre qu’un « musicien ambulant », c’est-à-dire une personne
dont le métier consiste à exécuter, diriger ou composer de la musique
en se déplaçant en divers endroits pour ce faire.
Le juge s’est permis de remarquer dans ses motifs que le libellé
du Règlement avait ainsi pour effet de « pénaliser celui qui a le plus
de talent et qui est susceptible d’être le moins dérangeant » en permettant aux autorités de n’agir que contre des musiciens ambulants
qui font usage d’instruments à percussion ou électriques, ajoutant
même que cela n’était pas « très rassurant pour la tranquillité
publique »...
Pour illustrer son propos, le juge est allé jusqu’à donner
l’exemple fictif d’un duo jouant de la musique en public où les deux
membres utilisent des instruments prohibés, mais où le premier,
n’étant pas musicien ambulant, émet des sons insupportables alors
que l’autre, correspondant par ailleurs à la définition de « musicien
ambulant », « joue de ces instruments d’une façon divine ». Dans un
tel cas, le juge conclut que, considérant la portée des définitions, le
Règlement fait en sorte que « [l]a poursuivante pourrait émettre une
contravention contre le musicien ambulant, mais non [à l’autre] malgré que ce dernier émette un bruit beaucoup plus dérangeant pour la
tranquillité publique que le musicien ambulant. »
Par ailleurs, dans l’arrêt Ville de Montréal c. 177380 Canada
Inc.19, la Cour d’appel du Québec a indiqué que la Cour devait
19. 2003 CanLII 47989 (QC C.A.).
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement
595
d’abord déterminer si un règlement était conforme à sa loi habilitante avant d’aborder les questions de constitutionnalité.
Ainsi, en ce qui a trait à la conformité ou non du Règlement à la
loi habilitante, la Cour a reconnu que la Ville avait effectivement le
pouvoir de réglementer le contrôle du bruit, mais que l’interdiction
du paragraphe 9(3) du Règlement avait créé une interdiction visant
les musiciens ambulants plutôt que quiconque.
En tenant compte des principes voulant qu’un règlement doit
viser tous les citoyens de la même manière et qu’une disposition discriminatoire non autorisée par une loi habilitante soit ultra vires
même dans les cas où la disposition serait fondée sur des considérations raisonnables20, la Cour a donc déclaré que le paragraphe 9(3)
du Règlement était inopérant vis-à-vis les défendeurs dans le cadre
de ce litige particulier et a ainsi rejeté la poursuite contre les défendeurs.
Du reste, la Cour s’est abstenue de déclarer que le Règlement
était inconstitutionnel puisque, dans les faits, même si l’interdiction
visant les musiciens ambulants d’utiliser des instruments à percussion ou électriques a pour effet d’imposer une différence de traitement entre les musiciens ambulants et les autres musiciens ou
citoyens qui jouent de la musique, cette différence de traitement
était fondée sur l’occupation et non pas un des motifs énumérés à
l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés21 (la
« Charte ») ou un motif analogue. En outre, rien dans la preuve ne
permettait de conclure que la différence de traitement imposait un
fardeau dénotant une application stéréotypée ayant une incidence
sur la dignité humaine, comme le requiert le test élaboré par la Cour
suprême pour déterminer si une disposition est contraire à la
Charte.
L’année 2008 est prometteuse
L’année 2008 s’annonce faste en décisions visant les entreprises artistiques et les industries culturelles si on se fie, entre autres,
20. Ces principes ont été énoncés notamment dans l’arrêt Ville de Montréal c. Arcade,
[1985] 1 R.C.S. 358, p. 405.
21. Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.), constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur
le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
596
Les Cahiers de propriété intellectuelle
au fait que la Cour d’appel du Québec a déjà rendu deux décisions
en février dernier dans les affaires Gestion B. Brisson et Associés inc.
c. Fortier22 et Guilde des musiciennes et musiciens du Québec c.
9009-0531 Québec inc. (Cabane à sucre Chez Dany)23. À ce rythme,
un palmarès ne suffira plus : il faudra songer à y consacrer un gala
en entier.
22. 2008 QCCA 254.
23. 2008 QCCA 331.
Capsule
Réflexions d’un civiliste autour de
Fabrikant c. Swamy :
l’initiative d’une procédure
et le droit moral
Normand Tamaro*
Fabrikant, de sinistre mémoire, s’est d’abord plaint d’une violation de droits prévus à la Loi sur le droit d’auteur1 (LDA) dans une
action déposée le 29 avril 19922. Il reprochait à des collègues universitaires d’avoir irrégulièrement profité de ses travaux, notamment
en cherchant à s’en approprier les droits d’auteur et les droits
moraux. Jusque-là il exerçait un recours légitime, qui aurait pu
déboucher sur une transaction ou un jugement qui aurait établi les
droits des uns et des autres.
Peut-être que son recours était sérieux ? Si la chose avait été
avérée, il n’est pas déraisonnable pour un auteur de ressentir une
grande frustration. Nos tribunaux ont admis il y a longtemps que la
contrefaçon peut dans un certain sens, être assimilée à un vol3.
Fabrikant n’a pas laissé la justice civile suivre son cours. Le 24 août
1992 il assassinait quatre de ses collègues dans l’enceinte de
©
*
1.
2.
3.
Normand Tamaro, 2008.
Avocat à Montréal.
L.R.C. (1985), c. C-42.
Fabrikant c. Swamy, 500-05-006680-928.
Canadian Performing Right Society Ltd. c. United Amusement Corp., (1932) 71
C.S. 483, 484 : « The infringement of a copyright may in a way be assimilated to
theft as it is the appropriation without right of the property of a third party, for the
Copyright Act provides penalties for infringements, and it is only proper that the
Court should come to the aid of the owner of the copyright to protect his rights ; ».
597
598
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’université. Et il y a fort à parier que si les défendeurs dans son
action entreprise quelques mois plus tôt s’étaient trouvés sur les
lieux, ils auraient été victimes du carnage.
Les meurtres ont été commis en 1992. Fabrikant a été jugé coupable et condamné à perpétuité sans possibilité de libération avant
25 ans.
Étonnamment, son dossier entrepris en Cour supérieure s’est
continué. Ce dossier a fait les manchettes des médias en novembre
20074, alors que l’honorable juge Gilles Hébert se récusait, invoquant notamment les motifs qui suivent :
[4] Face à cette situation, je me sens incapable d’assurer le respect de la règle de l’apparence d’impartialité, car je ne me sens
pas la sérénité nécessaire pour continuer le procès, fusse par
sens du devoir.
[5] Je crois que le juge qui a l’intime conviction qu’il n’a plus la
sérénité requise pour juger objectivement ou qu’il pourrait être
perçu ainsi doit se récuser. C’est la décision que je prends.5
Avant de se récuser, l’honorable juge Hébert aurait pris soin de
demander aux procureurs des défendeurs de lui adresser une
demande pour mettre fin aux procédures. Il se serait récusé alors que
Fabrikant avait un comportement cynique et agressant, multipliant
des propos insultants et dénigrants à l’encontre des défendeurs, de
leurs procureurs et de la Cour.
L’honorable juge Hébert sentait qu’il était de son devoir de
demander le transfert du dossier au juge en chef. Pourquoi l’honorable juge Hébert n’a-t-il pas mis fin aux procédures proprio motu ?
Nous adoptons l’hypothèse qu’il estimait sans doute que Fabrikant
en appellerait aussitôt, par exemple au motif qu’il aurait un droit
constitutionnel d’ester auprès des tribunaux.
Il ne s’agissait pas ici pas de donner accès aux meilleurs moyens
de défense à un prévenu ou d’entendre un condamné sur ses droits
civils sans relation avec les faits l’ayant conduit à la prison pour des
meurtres. Il s’agissait plutôt d’entendre des faits et des prétentions
4. Par exemple, « Le juge Hébert met fin au procès de Fabrikant en se retirant »,
André Cédilot, La Presse : www.cyberpresse.ca/article/20071114/
CPACTUALITES/ 711140649/1019/CPACTUALITES.
5. Le 13 novembre 2007, 2007 QCCS 5144.
Réflexions d’un civiliste autour de Fabrikant c. Swamy
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sur des œuvres, alors qu’il avait tué pour ces œuvres. La chose est
horrible à sa face même.
Les tribunaux de l’Angleterre puritaine du XIXe siècle refusaient d’entendre un auteur relativement à des œuvres alors considérées obscènes ou diffamatoires6. Cette jurisprudence n’a plus sa
place compte tenu de l’évolution de ces notions. Toutefois, il nous
paraît possible de l’adapter aux faits du dossier Fabrikant, et de suggérer que la Cour supérieure pouvait refuser proprio motu
d’entendre Fabrikant, sans qu’il soit besoin d’une requête des défendeurs avant de rejeter l’action. Les plaideurs ont beaucoup de latitude. La décence ne peut toutefois pas admettre par complaisance
des droits aux plaideurs, qu’ils soient en demande ou en défense.
L’inconfort vécu par l’honorable juge Hébert n’était certainement pas dû uniquement au comportement détestable de Fabrikant.
Gageons que l’honorable juge en avait déjà vu d’autres au fil des dossiers qui lui ont été assignés. Même si Fabrikant avait montré beaucoup de déférence à l’égard de la Cour, nous opinons que l’inconfort
de l’honorable juge n’aurait pas été moins grand. Nous sommes
enclin à considérer que ce qui était en cause était un ordre public en
relation avec la dignité et l’intégrité de la Cour, conjugué à l’intérêt
du public, qui confie des prérogatives importantes aux tribunaux, de
voir radier ce type de dossier.
Un regard sur le passé, qui plus est sur des dossiers de droits
d’auteur, aurait pu fournir à l’honorable juge Hébert l’occasion de ne
pas attendre vainement une requête des procureurs des défendeurs,
et donc de ne pas craindre la solution drastique d’une fermeture du
dossier à la seule initiative de la Cour. Peut-être que les tribunaux
d’appel auraient pu décider qu’une telle décision aurait été intempestive ? Mais il est certain que le reproche n’aurait pas été celui d’un
jugement qui n’aurait pas été fondé sur la jurisprudence préexistante. Après tout, les pouvoirs inhérents de la Cour, c’est aussi du
droit britannique, qui plus est du droit ancestral.
Cela dit, suivant « l’auto récusation » de l’honorable juge
Hébert, le dossier a été transféré à l’honorable juge Nicole Morneau,
qui a rendu jugement le 26 novembre 20077.
6. Voir une décision de la Cour fédérale qui relève cet état du droit procédural : Surgical Corp. c. Downs Surgical Canada Ltd., [1982] 1 C.F. 733 (C.F.P.I.).
7. Fabrikant c. Swamy, 2007 QCCS 5431.
600
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Après de nombreux incidents de procédure tous aussi détestables les uns que les autres, l’honorable juge Morneau va ultimement
rejeter l’action en puisant aux pouvoirs inhérents de la Cour, mais
pas avant de faire remarquer que le recours était en toute hypothèse
voué à l’échec, comme s’il fallait encore d’autres justifications au
rejet de cette procédure pendant laquelle le demandeur s’était totalement disqualifié, et pour laquelle le public ne veut même plus savoir
si elle était ou non fondée à l’origine :
[16] La conduite de Fabrikant constitue un abus de procédure
et du système judiciaire auquel le Tribunal doit sans plus
tarder, en vertu de ses pouvoirs inhérents, mettre un terme
définitif. Nous y reviendrons car il y a davantage, puisque ses
réclamations sont irrémédiablement vouées à l’échec.
[35] Dans ce contexte et vu tout ce qui précède, la Cour supérieure a la responsabilité et le devoir d’utiliser ses pouvoirs et
de mettre terme définitivement aux procédures de Fabrikant
qui, pour reprendre les termes utilisés par madame la Juge
Arbour de la Cour suprême, sont oppressives, vexatoires en
plus de violer les principes fondamentaux de justice sousjacents au sens de l’équité et de la décence de la société.
À partir d’ici, nous oublions Fabrikant, pour nous concentrer
sur les motifs liés à la prescription que retient l’honorable juge
Morneau pour déclarer que le recours de Fabrikant était voué à
l’échec. Cette question est plus plaisante pour un juriste qui a la prétention que l’on peut au Canada être de formation civiliste et faire du
droit d’auteur.
La Cour va s’appuyer sur un jugement interlocutoire rendu par
l’honorable juge Marie St-Pierre. Avec beaucoup d’égards pour la
Cour, nous allons maintenant soulever l’hypothèse que les motifs
n’étaient peut-être pas appropriés, alors que de toute évidence le
recours était prescrit sous tous ses aspects. De notre point de vue,
qu’il s’agisse des droits d’auteur ou des droits moraux le recours était
dans un cas comme dans l’autre prescrit.
L’honorable juge Morneau va citer sa collègue au long. Nous
reprenons en plus bref la démonstration de la Cour.
Se fondant en cela à un passage tiré de la décision de la Cour
suprême dans l’affaire Compo Co. c. Blue Crest Music Inc.8, la Cour
8. [1980] 1 R.C.S. 357, p. 372-373.
Réflexions d’un civiliste autour de Fabrikant c. Swamy
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nous dira d’abord que pour se prononcer sur les délais de prescription quant aux droits reconnus par la Loi sur le droit d’auteur, il faut
recourir exclusivement à celle-ci. Or, si à l’époque de l’introduction
de l’action la loi prévoyait l’existence des droits moraux, elle prévoyait un délai de prescription uniquement quant aux droits
d’auteur. Nous reprenons les dispositions pertinentes du texte de la
décision :
12(7) Indépendamment de ses droits d’auteur, et même après la
cession partielle ou totale desdits droits, l’auteur conserve la
faculté de revendiquer la paternité de l’œuvre, ainsi que le
privilège de réprimer toute déformation, mutilation ou autre
modification de ladite œuvre, qui serait préjudiciable à son
honneur ou à sa réputation.
24. Une action pour violation du droit d’auteur ne peut plus
être intentée après l’expiration d’un délai de trois ans à compter de cette violation.
La Cour va par la suite nous indiquer que les droits d’auteur et
les droits moraux étaient deux chose distinctes. Elle va notamment
s’aider de Fox. Nous laissons parler la Cour (en reprenant ses sources) :
[30] Le droit canadien en matière de droit d’auteur s’intéresse
aux droits économiques et aux droits moraux, à tout le moins
depuis 1931, à la suite de l’introduction des dispositions relatives au droit moral visant à donner suite aux engagements du
Canada découlant de son adhésion à la Convention de Rome sur
le droit d’auteur9.
[31] Les droits moraux sont distincts des droits économiques de
l’auteur :
Le droit d’auteur (du moins dans la tradition britannique
qui s’est transmise au Canada) a une vocation essentiellement économique et vise à garantir à son titulaire (qui n’est
pas toujours l’auteur on le sait) l’exclusivité de la production
ou de la reproduction de l’œuvre, de sa représentation, de sa
9. Laurent CARRIÈRE, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle,
Droit d’auteur et droit moral : quelques réflexions préliminaires, Service de la formation permanente du Barreau du Québec (Cowansville, Éditions Yvon Blais,
1991), p. 245.
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Les Cahiers de propriété intellectuelle
publication, de sa traduction, de son adaptation etc., y compris le droit d’autoriser l’un ou l’autre de ces actes. Les
droits moraux, par contraste, sont rattachés à l’auteur, et
plus précisément à la personne physique de l’auteur et en sa
seule qualité d’auteur : il existe en vue de la protection de
l’honneur et la réputation de l’auteur et s’attachent à la personne “comme la lueur au phosphore” [...].10 (Nos italiques)
[35] L’article 12(7) prévoit que l’auteur d’une œuvre, même
après cession partielle ou totale de ses droits d’auteur, conserve
la faculté d’en revendiquer la paternité. La Loi ne précise pas la
procédure de revendication. La doctrine réfère à l’injonction11 :
As Fox (Harold George) once wrote, Some Points of Interest
in the Law of Copyright (1945-46), 6 University of Toronto
Law Journal 100 :
Has this section added anything material to the law ? In so
far as to the right to claim authorship is concerned, it would
appear that it added something of little extent and value.
Apart from statute an author has no claim in libel against
another person who announces himself as the author of his
work. The right to claim authorship is statutory only. Presumably this right can be established in an action but there
apparently the remedy ceases. The author can apparently
obtain no damages ; perhaps he can obtain an injunction ;
but unless the injunction is directed to restraining the
publication of the work without including the true author’s
name on the work, an injunction will do him little good. That
part of the section is to some extent an illustration of the
type of legislation that so often emerges from Parliament –
conceived in vagueness, poorly drafted, sententious in utterance, and useless in practical application.12 (Nos soulignements)
[37] Alors, la Loi ne contient aucune disposition relative au
délai au cours duquel ce recours peut ou doit être exercé ;
10. Marie-France BICH, Emploi et propriété intellectuelle – Médiation sur les droits
moraux du salarié, Service de la formation permanente du Barreau du Québec,
Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999), p. 220.
11. Sunny HANDA, Copyright Law in Canada (Toronto, Butterworths, 2002), p. 376.
12. Hugues G. RICHARD et Laurent CARRIÈRE, réd., Canadian Copyright Act
Annotated (Toronto, Carswell, 2002), p. 14.1-5 et 14.1-6.
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l’article relatif à la prescription[15] ne s’applique qu’aux violations du droit d’auteur.
Subsection 12 (7) was criticized as being ineffective. The
section did not provide for any specific remedy for the violation of moral rights, no limitation period was mentioned,
the term of protection was unclear, and nothing was said
concerning assignment and waiver. It seems that there is
only one reported case where an author succeeded on the
basis of the section.13 (Nos italiques)
[46] Les réparations possibles restent celles qu’autorisait l’article 12(7) de la Loi, tel qu’il se lisait au moment des publications (de 1981 à 1986) : des réparations de nature déclaratoire
et injonctive exclusivement.
[49] Les violations alléguées au présent dossier sont survenues
avant les amendements de 1988 et alors que la Loi ne contenait
aucune disposition limitant l’exercice du recours en revendication de paternité dans le temps.14
[50] Les amendements de 1988 et de 1997, bien qu’ils aient
changé et clarifié les règles du jeu en matière de prescription
quant à toute violation de droits moraux survenue après le
8 juin 1988, quelle que soit la date de création de l’œuvre, ne
s’appliquent pas à une violation survenue avant cette date. À
défaut de disposition spécifique limitant dans le temps l’exercice du droit de revendiquer la paternité de l’œuvre (création de
1981 à 1986), Fabrikant pouvait toujours le faire au moment où
il a obtenu la permission d’amender ses procédures pour y
joindre Hoa et Xistris. Au surplus, personne n’a alors plaidé
prescription.
On le constate, les droits moraux auraient été imprescriptibles
à l’époque des faits pertinents. Avec respect, nous n’en sommes pas
convaincu.
Nous revenons à l’ancien paragraphe 12(7) :
12(7) Indépendamment de ses droits d’auteur, et même après la
cession partielle ou totale desdits droits, l’auteur conserve la
13. John S. McKEOWN, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Design
(Toronto, Carswell, 2000), p. 249.
14. Hugues G. RICHARD et Laurent CARRIÈRE, réd., Canadian Copyright Act
Annotated, (Toronto, Carswell, 2002), p. 41-2, 41-3.
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Les Cahiers de propriété intellectuelle
faculté de revendiquer la paternité de l’œuvre, ainsi que le
privilège de réprimer toute déformation, mutilation ou autre
modification de ladite œuvre, qui serait préjudiciable à son honneur ou à sa réputation.
Fox nous dit notamment de cette disposition :
That part of the section is to some extent an illustration of the
type of legislation that so often emerges from Parliament – conceived in vagueness, poorly drafted, sententious in utterance,
and useless in practical application.
Nous en connaissons des dispositions de la LDA qui ont été fort
mal écrites. Par exemple, l’ancien texte de l’alinéa 3(1)f), dont le
texte anglais dans la loi résultait d’une pauvre traduction tirée du
texte original de la Convention de Berne, alors que le texte français
de la LDA provenait de son côté de cette pauvre traduction, plutôt
que du texte original et officiel français de la Convention15. En relation avec l’ancien paragraphe 12(7), la question se pose pour un civiliste : peut-on affirmer péremptoirement que l’ancien paragraphe
12(7) rencontrait tous les qualificatifs que Fox lui accolait ?
Personnellement, le texte nous semble un texte clair selon la
méthode du droit civil, alors que nous tenons compte qu’il est tiré de
la Convention de Berne, qui regroupait plus particulièrement des
pays de droit civil, et alors que la langue officielle de la Convention
était le français.
Et pourquoi n’aurait-il pas été possible de prétendre à des
dommages-intérêts en raison d’une violation de ce droit ? Ce n’était
certainement pas la jurisprudence qui s’y opposait.
Bien des années avant que le droit moral soit reconnu expressément à la LDA, sous la plume de Mignault, la doctrine considérait
que la diffusion d’une œuvre pouvait avoir un effet sur la réputation
d’un auteur :
La vente de la propriété littéraire, n’est pas une vente absolue ;
l’auteur ne cède que le droit de publier son ouvrage. De là il
suit : 1o que l’éditeur ne peut rien retrancher du livre, en chan15. C.A.P.A.C. c. CTV Television Network, [1968] R.C.S. 676, 680 (j. Pigeon) ; Telus
Communications Company c. SOCAN, 2008 CAF 6.
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ger le titre ou supprimer le nom de l’auteur sans le consentement de ce dernier. Il y a même plus : l’écrivain a le droit de
faire tout changement à son livre, pourvu, toutefois, que ce ne
soit pas de nature à entraîner des dépenses additionnelles à
l’éditeur. 2o L’éditeur ne peut pas détruire l’ouvrage, il est
obligé de le publier, car l’auteur n’a pas entendu aliéner l’espoir
de la réputation.16
Notre ancienne Cour d’appel avait fait remarquer qu’une
atteinte à la réputation d’un auteur pouvait être compensée monétairement :
D’un autre côté, nous aurions été disposés à accorder un montant appréciable de dommages, réels et punitifs, mais surtout
punitifs, pour la suppression des noms d’auteurs et les changements de titres de certaines pièces. Ces méthodes sont plus que
déloyales, elles constituent des fraudes intolérables.
Un auteur a droit au crédit de son travail, au respect de ses textes, et aussi au bénéfice matériel qui peut lui résulter du prestige de son nom ou de la vogue de ses œuvres.17
Encore une fois avant sa reconnaissance législative, le juge en
chef Fitzpatrick nous renvoie à la doctrine française du droit moral
pour l’importer au Canada :
In the absence of English authorities on the subject, I referred
to the French books which treat at great length of such contracts as we are now considering. The majority of French writers, and among them some of the most eminent, such as
Pardessus, held that the obligation to publish is always to be
considered as an implied term in every contract for the purchase of the manuscript of a book ; but admitting with the
minority that a contract might be drawn which would transfer
the whole property in the manuscript to the purchaser so that it
would be in his power to retain it in his possession for his own
personal use, all the French authorities admit that where, as in
the present case, the parties have chosen to leave so much to
intendment and implication, the court should give to the con16. Pierre-Basile MIGNAULT, « La propriété littéraire », (1881) 3 La Thémis 43, 55.
17. Joubert c. Géracimo, (1916) 26 B.R. 97, 110-111, le juge Carroll avec lequel
concourent les juges Trenholme et Lavergne sur un banc formé de cinq juges.
606
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tract a construction wide enough to include the obligation to
publish, that being, generally speaking, the more probable
intention of the parties, as it was in this case their admitted
intention at the inception of their negotiations. »18
In conclusion, therefore, I hold that, as argued on behalf of the
respondents and as found in both courts below, the conditions
which together made up the consideration moving to the
respondent were the payment of the stipulated price, $500, in
instalments of $250 each, and the publication of the work in
and as part of the series, « Makers of Canada. » The respondent
fully performed his contract when he wrote and delivered the
manuscript and if, in the exercise of his undoubted right, the
appellant properly rejected it as unsuitable for the purpose for
which it was intended, viz., publication in the « Makers of Canada » series, then both parties were free to rescind the contract
altogether and the respondent upon the return of so much of the
consideration as he had received was entitled to have the
manuscript returned to him. It cannot be denied that by the
appellant’s refusal the respondent was deprived of the chief
consideration which moved him to write the manuscript, that is
the benefit to his literary reputation resulting from publication.19
Le juge La Forest, alors à la Cour d’appel et pour la Cour
d’appel, ne sera pas en reste, alors qu’il recourt au droit français pour
interpréter l’ancien paragraphe 12(7) :
There does not appear to be any jurisprudence on this provision
[l’ancien paragraphe 12(7)] in Canada, but the conclusion I
have reached receives support from the attitude taken to this
right in Europe where it originated. This right comprehends
what is known there as the « droit moral » [...] A leading text on
this concept, Georges Michaelides-Nouaros, Le droit moral de
l’Auteur, [...] indicates the necessary distinction that must be
made in the treatment of works of art, such as architectural
works, the function of which is utilitarian as well as artistic.20
18. Le Sueur c. Morang & Co., (1911) 45 R.C.S. 95, 98-99.
19. Ibid, pp. 99-100.
20. New Brunswick Telephone Co. c. John Maryon International Ltd., (1982) 141
D.L.R. (3d) 193, 248 (C.A. N.-B.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour
suprême du Canada refusée avec dépens à [1982] 2 R.C.S. viii.
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En 1934, quelques années après l’incorporation du droit moral
à la loi, la Cour supérieure tient en considération des dommages à la
réputation :
Considering that while the evidence of damage sustained by
plaintiff by reason of the invasion of his rights by the defendants, as aforesaid, is general and the measure thereof, in the
present instance, difficult of ascertainment, the Court is none
the less convinced that the plaintiff has sustained damage by
the unauthorized and wrongful acts of the defendants ;
[...] a sum of $200 will be adequate to compensate the plaintiff
for all damage sustained by him by reason of the acts aforesaid,
as well for the unauthorized use of his material as for possible
injury to his reputation as an author ;21
La Cour supérieure le fera notamment en 1985, alors que les
faits se déroulent dans une enceinte universitaire :
La preuve révèle que ce ne sont pas les profits qui sont importants en l’espèce car les demandeurs n’ont rien touché de significatif à la date du procès, du moins à la suite de la publication.
De toute façon, la preuve est inexistante à ce sujet. Il appert
plutôt que beaucoup de prestige et de chances d’avancement
sont attachés à une telle publication pour des professeurs particulièrement.
Il n’en reste pas moins que le défendeur a subi des dommages
importants, dommages non pécuniaires. Il ne nous apparaît
pas utile de diviser les dommages comme l’a fait le défendeur
dans les conclusions de sa demande reconventionnelle. Le
défendeur, après avoir tant travaillé et s’être totalement fié aux
demandeurs, se retrouve dans le ridicule. Il a senti le besoin de
s’excuser auprès de son père pour la honte ou les faux espoirs
créés. Sa réputation a été affectée grandement car les demandeurs ont délibérément laissé savoir qu’il était quantité négligeable en ne le reconnaissant pas coauteur.22
21. Groller c. Wolofsky, (1934) 72 C.S. 419, 421.
22. Goulet c. Marchand, J.E. 85-964, 22 (C.S. Qué.).
608
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Et au Canada il n’y avait pas qu’au Québec qu’un lien entre la
réputation et un dommage compensable monétairement était fait23.
Il n’est pas de notre intention de faire ici la genèse du droit
moral. Nous relevons toutefois qu’avant l’introduction du droit moral
dans la loi française sur le droit d’auteur, la jurisprudence et la doctrine françaises fondaient plus particulièrement la reconnaissance
du droit moral sur le droit à la réputation, un droit que l’on connaît
fort bien au Québec et dont une atteinte peut être réparée financièrement. Or, quant à nous, la reconnaissance législative du droit moral,
alors que le législateur avait omis d’en prévoir les redressements en
cas d’atteintes, n’engendrait pas une exclusion du droit civil québécois quant aux redressements. Pour utiliser cet exemple, n’oublions
pas que nos tribunaux se sont fondés sur le droit civil pour pallier le
silence de la LDA quant aux règles contractuelles régissant
l’exploitation d’œuvres futures24.
Ainsi donc, si auparavant la LDA ne prévoyait spécifiquement
un délai de prescription que quant à un recours fondé sur le droit
moral reconnu à la LDA, alors il aurait fallu s’en remettre aux délais
prévus au Code civil. N’oublions pas que pour rendre ce droit imprescriptible en France, il avait fallu l’intervention du législateur,
puisque, auparavant, ce droit suivait notamment les règles de la responsabilité délictuelle entourant la diffamation.
23. Par exemple, Kaffka c. Mountain Side Developments Ltd., (1982) 62 C.P.R. (2d)
157, 162-163 (C.S. C.-B.) ; Horn Abbot Ltd. c. W.B. Coulter Sales Ltd., (1984) 77
C.P.R. (2d) 145, 156 (C.F.P.I.).
24. Diffusion YFB Inc. c. Disques Gamma (Québec) Ltée, REJB 1999-12456 (C.S.
Qué.) ; dans un autre dossier, la Cour d’appel a confirmé cette solution : Turgeon
c. Michaud, REJB 2003-43940 (C.A. Qué.).
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