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No49 - Samedi 27 février 2010
REF TE
Région 5
Développement / Soixante entrepreneurs qui font l’Alsace
Frank Mathis, la jeunesse du bois
PDG de l’entreprise familiale de Muttersholtz, aux profondes racines historiques, Frank Mathis incarne la jeunesse et le renouvellement des en-
trepreneurs régionaux.
en sa bonne étoile, il lui en a
fallu quelques stères depuis
qu’il arepris, en 1999, les
commandes de l’entreprise
que lui cède son père Paul-
Henri. Al’époque, Mathis vit
encore douloureusement les
conséquences financières dé-
sastreuses du chantier du
Centre de culture kanake
Jean-Marie Tjibaou, en Nou-
velle-Calédonie, un des
«grands projets»duprésident
François Mitterrand. Conçu
par Renzo Piano, l’ensemble
est une extraordinaire réfé-
rence pour le bois lamellé
collé et sa richesse expressi-
ve. Pour la PME du Centre Al-
sace, le projet de rêve se
muera en un long cauchemar
provoqué par les coûts dis-
proportionnés du chantier et
des défauts de paiement.
Après treize ans de procédu-
res, Mathis n’a toujours pas
été entièrement indemnisée.
Si elle l’est un jour... Du ja-
mais vu dans cette entreprise
«Lebois ajuste besoin de soleil et d’eau, c’est magique!C’est un don de Dieu», proclame Frank Mathis.
(Photo DNA – Cédric Joubert)
Le bois sous toutes ses for-
mes ases apôtres plus ou
moins inspirés. Frank Mathis,
46 ans, en fait sans doute
partie, qui n’hésite pas àpro-
clamer une forme de credo
devant un public de diri-
geants d’entreprise réunis
dans ses murs par les Apéros
du ManagementLe bois est
le seul matériau de construc-
tion naturellement renouvela-
ble. Le bois ajuste besoin de
soleil et d’eau, c’est magique!
C’est un don de Dieu, un maté-
riau qui adéjà sauvé l’huma-
nité avec l’arche de Noé». D’un
naturel réservé et chaleu-
reux, adepte d’un humour
plus anglo-saxon que latin, le
PDG de l’entreprise familiale
de Muttersholtz ne fait pas
mystère de croire, sans en
faire un étendard.
«Concentré sur la
reconstruction»
De la foi chevillée au corps,
mais surtout en l’homme et
recteur industriel, Eric de
Taddeo, un homme venu de
l’industrie automobile. D’au-
tres profils atypiques, comme
le Sciences Po Jean Howiller,
sont venus renforcer la direc-
tion.
Aux yeux de Frank Mathis,
après une décennie aux com-
mandes, la grande affaire de
sa vie reste la transmission
de l’entrepriseJ’hésitais, je
souhaitais voyager, j’avais en-
vie de travailler ailleurs, je me
serais plutôt vu dans l’exploi-
tation forestière», dit ce di-
plômé de l’École du bois de
Mouchard et de l’École de
commerce de Saint-Dié. Pré-
cisant, l’œil rieurJe n’étais
pas un élève très brillant, je
crois». Il répond néanmoins à
l’appel de Paul-Henri qui sou-
haite lui passer la mainLa
succession s’est très bien pas-
sée, alors que mon père, lui,
avait vécu une situation plus
difficile...»
«Un métier exaltant
mais dur»
Dans le cadre fiscal fran-
çais, une succession d’entre-
prise est financièrement très
lourde àassumer, les héri-
tiers passant une bonne par-
tie de leur carrière àpayer le
rachat, avant de songer à
transmettre. C’est ce qui ex-
plique que tant de PME fami-
liales se fassent absorber par
des groupes, faisant de Ma-
this un cas rareJ’ai trois en-
fants, je ne ferai pas pression
sur eux», assure le chef d’en-
treprise.
Chef d’entreprise dévoué et
convaincu, un métier qu’il ju-
ge «exaltant mais dur», Frank
Mathis défend sans conces-
sion ses jardins secrets:lafa-
mille, la lecture et les soirées
théâtrales, le sport assez in-
tensément. Ses mandats col-
lectifs sont limités àsabran-
che, dans la filière bois où il
s’engage lorsqu’il trouve du
sens et se sent utileJ’aime-
rais bien avoir une vie de fa-
mille normale... J’ai besoin
d’un équilibre, trouver des
ressources. Nous sommes
dans des métiers où il faut fai-
re preuve d’imagination. Et
c’est àmoi de chercher des
idées nouvelles».
Antoine Latham
ayant pignon sur rue depuis
1875.
«C’est mon père qui aconti-
nué àsuivre ce dossier. Pour
ma part, je me suis concentré
sur la reconstruction de l’en-
treprise», dit aujourd’hui
Frank Mathis. Avec quelque
succès puisque l’affaire, forte
de 190 collaborateurs, aplus
que doublé ses effectifs en
dix ans et réalisé 40 millions
d’euros de chiffre d’affaires
en 2009. Le leader français
du lamellé-collé aconnu plu-
sieurs années de croissance à
deux chiffres, sauf en 2009,
bien sûr. Mais 2010 s’annon-
ce plus prometteuse.
«Une direction plus
collégiale»
«J’ai voulu une direction
plus collégiale, je suis très
transparent avec les salariés,
ycompris au comité d’entre-
prise. En 1999, nous n’avions
plus de bureau d’études ni
d’agences de travaux. J’ai créé
tout cela, et on m’a parfois re-
gardé d’un drôle d’air», dit
l’industriel. Qui sait parfaite-
ment que tout peut être
sous-traité et que l’entreprise
plus que séculaire, connue
pour avoir participé àlare-
construction du Haut-Koe-
nigsbourg pourrait se conten-
ter d’un rôle d’intermédiaire.
Frank Mathis n’en veut pas:
«Aforce de sous-traiter, on
n’est plus rien!Nous devons
être proches de nos clients fi-
naux, sur les chantiers, et en
même temps investir dans des
moyens de production deve-
nus très capitalistiques». C’est
le cas àMuttersholtz où les
investissements vont se pour-
suivre sous la houlette du di-
60 ans, 60 portraits
Al’occasion des 60 ans de l’Adira, les DNA ont lancé un projet
sans précédent par son choix éditorial, opéré en toute indépen-
dance, et par son étendue dans le temps. Durant un an seront
en effet publiés soixante portraits d’industriels, d’entrepreneurs
et de créateurs d’entreprise. L’objectif de cette fresque, centrée
sur les personnes, est d’esquisser la figure pérenne de l’écono-
mie alsacienne dans sa diversité et sa profondeur, dans ses as-
pirations et ses limites.
Patrons d’entreprise assumant une longue histoire, comme
c’est le cas aujourd’hui avec Frank Mathis, dirigeants de socié-
tés multinationales passionnément attachés àl’Alsace, artisans
de grande classe, sous-traitants se battant dans un monde dur
ou inspirateurs de jeunes pousses fertilisées par la recherche:
l’économie est tout cela àlafois. La série s’efforcera d’en don-
ner un reflet fidèle, exprimant les préoccupations des acteurs
économiques d’aujourd’hui. Elle fera l’objet d’un dossier spécifi-
que sur les sites des DNA comme de l’Adira.
Adira, une doyenne encore sexy
L’Agence de développement
économique du Bas-Rhin (Adi-
ra) fête cette année soixante
ans d’existence. Cet organisme
dont le budget est porté princi-
palement par le conseil géné-
ral, le conseil régional et la
communauté urbaine de Stras-
bourg est la plus ancienne
agence de développement fran-
çaise.
l’enseignement supérieur. El-
le prend aujourd’hui toute la
mesure du tournant tertiaire,
entamé en Alsace avec un
certain retard.
Plasticité face au changement
Alalecture de cette histoi-
re, ce qui frappe, c’est la plas-
ticité de l’association au fil
des années et son aptitude
constante àentendre les be-
soins des entreprises et àles
aider. Ceci tout en restant un
organisme modeste en taille,
et qui n’a consommé qu’un
nombre restreint de prési-
dents, pour l’essentiel Auber-
ger, Wenger-Valentin, Bord,
Hoeffel et Grignon. Ils ont en
commun d’avoir adapté assez
aisément le comité d’expan-
sion aux nouvelles donnes de
l’économie et de la politique.
Al’origine, le 27 octobre
1950, on trouve un certain
Pierre Pflimlin, alors député
du Bas-Rhin et ministre de
l’Agriculture, qui lance le Co-
mité d’étude et d’action pour
l’économie alsacienne
(CEAEA). Il rassemble autour
des deux préfets des person-
nalités du monde des entre-
prises:réunion de volontés
publiques et privées dans un
objectif d’intérêt général, sin-
gulièrement le développe-
ment de l’emploi, cet alliage
est toujours vivace 60 ans
plus tard. Pierre Pflimlin ré-
Pierre Pflimlin inaugurant la foire européenne de Strasbourg en 1955.
(Archives DNA)
L’Adira asoixante ans. Et
cette longue vie té mar-
quée de bien des change-
ments, inspirés par la néces-
sité d’adapter constamment
cet instrument àl’évolution
du contexte économique et
aux attentes des territoires
qu’il sert. L’agence, on ne
parle plus guère aujourd’hui
de «comité d’expansion», ne
porte son nom actuel que de-
puis 1968. Elle té régiona-
le de 1968 à1977, elle a
connu une période très inten-
se de prospection internatio-
nale avant de se recentrer sur
le développement endogène
du département. Elle aac-
compagné des phases d’ex-
traordinaire expansion mais
aussi toutes les crises vécues
par l’Alsace depuis l’après-
guerre, s’efforçant de trouver
des solutions. Elle té long-
temps tournée vers l’indus-
trie, tout en travaillant très
tôt, et àcet égard en précur-
seur, avec la recherche et
pond en fait, le premier en
France, àl’appel des idées
nouvelles lancées par le mi-
nistre de la Reconstruction
Eugène Claudius-Petit, qui
préconise un plan national
d’aménagement du territoire.
Une dimension prospective
Plus tard, en 1953, le
CEAEA se scinde, donnant
naissance au CAHR dans le
Haut-Rhin, qui apoursuivi sa
route, et le Centre régional de
productivité de Strasbourg.
Cette section se transforme
en 1955 en Comité pour
l’économie bas-rhinoise dont
la direction est confiée àRe-
né Uhrich. Alafois intellec-
tuel et engagé dans l’action,
auteur de nombreux ouvra-
ges, l’homme va durablement
marquer l’agence de dévelop-
pement naissante de son em-
preinte. En particulier une vi-
ve attention portée àlaré-
flexion prospective, qui reste
présente aujourd’hui. Et puis
les élus ont besoin d’outils à
leur main. En 1968, est créée
l’Association de développe-
ment et d’industrialisation de
la région Alsace, qui coor-
donne les deux comités d’ex-
pansion départementaux.
Neuf ans plus tard, une nou-
velle Adira se crée, àvocation
départementale, tandis que
sont dissous les comités anté-
rieurs... On le voit, le balan-
cier territorial ne date pas
d’hier.
On ne s’en souvient plus
guère aujourd’hui mais, en
1955, l’Alsace comptait
55000 salariés dans le texti-
le. Beaucoup pressentaient et
redoutaient l’affaiblissement
de cette industrie. Il fallait à
tout prix implanter de nou-
velles activités plus porteuses
d’avenir:l’automobile, la
pharmacie, la mécanique,
l’équipement électrique, au
niveau mondial, voient dans
l’Alsace un territoire singu-
lier, bien situé, offrant une
main d’œuvre abondante,
des terrains, de l’énergie bon
marché. L’industrie alleman-
de puis des groupes améri-
cains le comprendront très
bien. Ce qui vaut parmi tant
d’autres l’implantation d’INA
Roulements, en 1958, de
Scherer, en 1964, de Lilly, en
1968. Année faste, celle-là, et
les événements de mai n’ont
pas dissuadé les investisseurs
américains qui ouvrent égale-
ment General Motors. En
2000, pour ses cinquante
ans, l’Adira avait estimé à
40000 le nombre d’emplois
créés depuis 1950, dans 400
entreprises nouvelles.
Un nouveau projet
Depuis dix ans, s’il ne s’est
pas tari loin de là, le rythme
s’est ralenti avec des implan-
tations plus petites, des pro-
jets parfois plus volages. La
concurrence entre les régions
européennes, les Alsaciens
ne s’en rendent pas toujours
compte, est cent fois plus in-
tense qu’en 1950. En 2010,
l’Adira est recentrée sur le
département, le développe-
ment du tissu économique et
l’accueil des investisseurs, la
prospection étant assurée par
Alsace International. Elle a
resserré son conseil d’admi-
nistration, défini un projet
stratégique, expédié ses char-
gés d’affaires sur le terrain,
prouvé son utilité sur les dos-
siers les plus chauds. La
doyenne aréglé sa montre à
l’heure du numérique et joue
la modeste. On reste dans le
Bas-Rhin, tout de même.
A.L.
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