La chute de "Flak Rat" le 31 décembre 1943 à Arjuzanx. (première partie)
Ce vendredi, tard dans la matinée, les Dubrasquet, père et fils, venus de Morcenx Bourg sont à
la ferme du Songe. Ils sont occupés à remplir les bouteilles de vin destinées au repas de fin d'année
offert par Mr Malet à ses employés, lorsque soudain un bruit sourd de moteurs et de mitraillages les
attire hors du chai. Comme de nombreux habitants de la région, ils assistent à un intense combat
aérien qui se déroule au-dessus d'eux à 6000 mètres d'altitude. Une pluie de douilles et de maillons
tombe du ciel. Quelques avions de chasse allemands s'opposent à une formation de bombardiers lourds
qui s'étire sur des kilomètres en direction de l'est.
Aux environs de midi, un bombardier en perdition et éloigné de son groupe décroche de sa
trajectoire. Nos sommeliers voient des parachutes s'ouvrir. Ils en comptent cinq, six, sept puis huit et
regardent l'avion tomber en piqué dans la direction sud-est, à environ 1 km. Ils se précipitent alors à
travers bois vers le point de chute.
Que faisait cet avion au dessus d'Arjuzanx ? Qui était-il, d'où venait-il ? Combien d’hommes
étaient à bord ? Quelle était leur mission ?
- Le bombardement dans le contexte de l’époque :
En marge de la conférence de Casablanca qui réunissait du 14 au 24 janvier 1943 à l’hôtel
Hanfa, Roosevelt, Churchill et les généraux De Gaulle et Giraud (Staline ayant décliné l’invitation), il
avait été décidé que les anglais opéreraient les bombardements de nuit et les américains les
bombardements de jour. La doctrine américaine qui prévalait alors dans les états-majors depuis 1935,
préconisait des bombardements massifs opérés par des formations serrées d'un très grand nombre
d'avions et à très haute altitude. L’altitude, pensaient-ils, mettait les bombardiers à l’abri de la Flak et
leur conférait un relatif avantage face aux chasseurs, ces derniers perdant beaucoup de leur maniabilité
au-dessus de 20 000 pieds. Les bombardiers américains développés dans cette optique, étant équipés,
eux, de turbocompresseurs (General Electric ne tarissait pas d’éloges sur ses turbocompresseurs, grâce
auxquels les bombardiers volaient si haut que rien ne pouvait les atteindre). Au fil des mois, il fallut se
rendre à l'évidence : l'artillerie anti-aérienne allemande (notamment le canon de 88 mm), était efficace
au moins jusqu'à 30 000 pieds, et si les chasseurs n'étaient pas à l'aise à très haute altitude, les
bombardiers ne valaient guère mieux. La première mission en Europe de l’USAAF eut lieu le 17 août
1942. Après la période de mise au point de la technique d’opération, la fin de l'année 43 voyait les
bombardements de masse sur les infrastructures militaires et industrielles, surtout celles liées aux
activités aériennes, s'intensifier autant sur l'Allemagne que sur l'ouest de l'Europe. Pour le seul mois de
décembre le tonnage de bombes déversé par la 8ème Air Force a été de 13.142 tonnes. Le but était
d'affaiblir au maximum le potentiel des forces aériennes ennemies qui avaient vu doubler leur effectif
tant en avions qu'en personnel durant l'année 43.
Rien que pour le mois de décembre 10 missions ont été effectuées :
-
- 1 décembre 281 bombardiers sur Solingen et Leverkusen
- 5 décembre 550 bombardiers sur Bordeaux et Cognac
- 11 décembre 523 bombardiers sur la zone industrielle de Emden
- 13 décembre 649 bombardiers sur Brême et Hambourg
- 16 décembre 535 bombardiers sur Brême
- 20 décembre 470 bombardiers sur Brême.
- 22 décembre 439 bombardiers sur Osnabruck et Munster.
- 24 décembre 670 bombardiers sur 23 bases de V1 dans le Pas-de-Calais
- 30 décembre 658 bombardiers sur Ludwigshafen.
- 31 décembre 571 bombardiers sur Bordeaux, Cognac, etc.
Les pertes étaient parfois très lourdes, jusqu’à 25 avions perdus par sortie.
- Le point de chute de l’avion :
Cet extrait de la carte IGN au 50000, celle que l'on appelait "carte d'Etat Major" montre le
secteur d’Arjuzanx tel qu’il existait avant le bouleversement causé par l’exploitation de la mine de
lignite. C'est une révision de 1942 où figurent les routes et les chemins qui ont disparu. Le point de
chute de l’avion se situe à environ 150 mètres à l'est de la maison "le Mousse". J'ai découvert que
l'endroit était répertorié dans différentes sources d'origine US comme "la maison du marin", et repris
sous ce nom par les archives de l'USAAF, sans doute par le hasard de traductions alternées.
L'emplacement de la chute se devine encore par l'impact sur la végétation dû sans doute aux
différents liquides, huiles, essence, acide des batteries etc. ainsi qu’aux résidus de la lente calcination
d'une partie de la carcasse pendant plusieurs jours. La croissance de l'herbe ou du maïs actuellement
cultivé dans ce champ est nettement diminuée à cet endroit. Une recherche d'éléments métalliques et
autres débris confirme l'endroit précis dont j'ai effectué le relevé GPS ( 43° 59’ 37 " Nord et O° 50’
55" Ouest) avec l'aide de Mr Castagnède, l'exploitant du champ qui m'a affirmé avoir dû déverser des
tonnes de fumier à cet endroit sans résultat totalement satisfaisant.
- L’identification :
A l'époque, une photo au moins a été prise. La date en est indéterminée, sans doute plusieurs
jours après le crash. Peut-être en existe t'il d'autres. Malheureusement seule la queue de l'avion figure
sur le document mais elle montre clairement les éléments d'identification de l'appareil. J'ai retrouvé un
cliché original (je pense qu'il a été tiré à de nombreux exemplaires car des arjuzanais disent en
posséder d'identiques, à moins qu'il ne s'agisse de reproductions). C'est un petit format, 6x9 cm pour
être précis, moins les marges il ne reste pas beaucoup de surface utile et le grain est un peu gros ce qui
ne permet pas d'identifier les personnages.
Ce document provient de la collection de la secrétaire de mairie de l'époque, mme Yvonne
Devert. Il m'a été confié par sa nièce Mme liquinano (Une reproduction de cette photo figure dans la
communication de Gaston Dupouy sur le bulletin de la société de Borda en 1989 intitulée "bataille
aérienne à Arjuzanx").
Grâce aux marquages de queue parfaitement lisibles, il a été facile de retrouver l'avion dans les bases
de données de L’USAAF et de l’identifier.
La lettre S dans un triangle blanc est le code d’identification du 401ème Groupe de
Bombardement (401st – BG) de la 8ème AIR FORCE, stationné à la Base 128 située près de
Deenethorpe dans le sud de l’Angleterre. L’appareil, un quadrimoteur, portait également sur le
fuselage le marquage IW-A (non visible sur la photo), indiquant qu’il appartenait au 614ème escadron
du Groupe. Ce marquage était en service fin 43 au moment de cette mission. Début 44 le triangle était
noir avec lettre blanche, une bande de couleur transversale était rajoutée et les avions n’étaient plus
peints, ils restaient couleur aluminium.
L’appareil tombé à Arjuzanx était de type B17-G, numéro de série complet 42-37770 (le
premier chiffre est toujours omis). Comme le voulait la tradition son équipage et son équipe de
maintenance lui avaient donné un nom. Ils avaient choisi FLAK RAT (le rat de la Flak). Le
bombardier sortait des usines Douglas Aircraft, de Long Beach, en Californie et faisait partie du bloc
de production B-17G-10-DL. Sa livraison à l’USAAF avait été effectuée le 23 Août 1943 à Denver au
Colorado puis il avait été acheminé vers l’Angleterre où il était arrivé le 19 novembre 1943 à la Base
128 de Deenethorpe. Il était "flambant neuf".
Le B-17G, dernière variation du modèle B17, a été la version construite dans le plus grand
nombre d'exemplaires. Les livraisons ont commencé fin 1943. Comme pour le modèle précédent, le B-
17F, trois constructeurs participèrent à la production : Douglas avec 2395 exemplaires, Lockheed
avec 2250 exemplaires ; Boeing produisant à lui seul 4035 appareils. Les B-17 produits par Douglas
étaient codés avec le code DL, ceux construits par Lockeed-Vega avec le code VE et les appareils
construits par Boeing avec les lettres BO.
- Le groupe de Bombardement :
Insigne de la 8ème AIR FORCE et Codes et Insignes d’épaule des 4 escadrons La base de Deenethorpe en 1944 (arch. USAAF)
Le 401ème Groupe de Bombardement était commandé depuis le mois de juin 1943 par le
Colonel Harold W. BOWMAN. Le 614ème escadron de bombardement était sous les ordres du
Major Ivan Wayne EVELAND. Le 401-BG était opérationnel depuis le 26 novembre 1943, date à
laquelle il avait mené sa première mission de combat avec pour cible BREME en Allemagne. Le 30
décembre 1943 le groupe subissait sa première perte d’équipage, celui du Lt Trian Neag dans la
mission sur Ludwigshafen qui visait à détruire une usine de fabrication de carburant synthétique. Le
31 décembre 1943, deux autres équipages du 401BG étaient portés manquants au retour de mission.
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