les luttes etudiantes de 2007-2009

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FACULTE DE PHILOSOPHIE, SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES
NICOLAS BRUSADELLI
Mémoire de Master 2 de Sociologie
Parcours « ethnographie et science de l‟enquête »
LES LUTTES ETUDIANTES DE 2007-2009
INSCRIPTION DANS UN CYCLE DE MOBILISATION ET DIVISIONS SOCIALES DES
MOUVEMENTS
Sous la direction de
MM. BERTRAND GEAY ET DENIS BLOT
ANNEE UNIVERSITAIRE 2010 – 2011
1
Résumé
Au-delà de la seule lutte anti-CPE de 2006, c‟est toute la dernière décennie qui a été marquée
en France par les mobilisations de la jeunesse scolarisée. En partant de l‟exploration des
mouvements étudiants amiénois de 2007-2009, en les réinscrivant dans un cycle de
contestation universitaire qui débute en 1998, ce mémoire se propose de fournir un éclairage
quant à l‟expérience étudiante récente, quant à son histoire, ses pratiques et ses formes de
structuration. Il se propose ensuite de se pencher sur les lignes de fracture ayant parcourues
ces mobilisations, révélatrices à la fois de dispositions socialement différenciées à
l‟engagement et des modalités particulières de concrétisation de ce dernier dans le milieu
étudiant des années 2000. Fruit d‟une méthodologie complémentaire alliant méthodes
qualitative et quantitative, ce travail pose l‟hypothèse de l‟émergence d‟une pratique politique
à caractère générationnelle ayant émergé ces dix dernières années dans l‟enceinte
universitaire, renvoyant ainsi à une mémoire, des liens, des vécus et des enjeux communs.
Remerciements
Je tiens à remercier Bertrand Geay et Denis Blot pour leur direction et leurs conseils, Audrey
Molis pour ses précieuses archives et son soutien intellectuel, Delphine Bouenel et Lucile
Jamet pour la qualité de nos échanges et l‟ensemble des documents qu‟elles ont mis à ma
disposition, Delphine Delamarre pour son aide indispensable lors du travail de collecte des
données, Laurianne Alluchon pour ses relectures nocturnes et enfin Daniel Couapel pour son
travail de compilation systématique des coupures de presses régionales.
« Le difficile, en sociologie,
c’est d’arriver à penser de façon complètement étonnée, déconcertée,
des choses qu’on croit avoir comprises depuis toujours. »
Pierre Bourdieu1.
1
BOURDIEU P., « La délégation et le fétichisme politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 1984,
n° 52-53, pp. 49-55.
2
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION .................................................................................................................... 5
I – L’EXPERIENCE ETUDIANTE DE 2007-2009 : HISTOIRE ET FORMES DES
MOUVEMENTS .................................................................................................................... 18
1 Ŕ DE L‟AUTOMNE 2007 AU PRINTEMPS 2009 : UN « FEU DE PAILLE » DEVENU « FEU DE
BOIS » .................................................................................................................................... 19
1.1 Ŕ Un enseignement supérieur en pleine mutation ................................................................... 19
1.2 Ŕ La mobilisation éclair de l‟automne 2007 ........................................................................... 22
1.3 Ŕ L‟Education Nationale en mouvement : du printemps 2008 au printemps 2009 ................ 25
Remue-ménage dans le monde éducatif .................................................................................................................... 25
La fronde des Enseignants-Chercheurs .................................................................................................................... 28
Le relais étudiant, « Acte 2 » du mouvement anti-LRU ............................................................................................ 31
2 Ŕ LES FORMES DES MOUVEMENTS : ZOOM SUR LE CAS AMIENOIS ........................................ 34
2.1 Ŕ Un cadre d‟injustice néo-marxiste ....................................................................................... 35
2.2 Ŕ Rupture dans le répertoire d‟action : les implications du « blocage » ................................. 40
2.3 Ŕ L‟ « auto-organisation » des mouvements ........................................................................... 44
De l’organisation du mouvement social… ................................................................................................................ 44
… à des organisations de mouvement social ............................................................................................................ 46
CONCLUSION Ŕ UN CYCLE DE MOBILISATION ETUDIANT ? .............................................. 49
II – MISE EN PERSPECTIVE - CHAMP SYNDICAL ET ESPACE DES
MOBILISATIONS ................................................................................................................. 53
1 Ŕ CHAMP ET SYNDICALISME ETUDIANT ............................................................................... 54
1.1 Ŕ Champ syndical étudiant ou champ de la représentation étudiante ? .................................. 55
1.2 Ŕ Jeu et illusio, capitaux, rétributions ..................................................................................... 58
1.3 Ŕ Les cadres de perception du syndicalisme étudiant ............................................................. 62
1.4 Ŕ Processus d‟autonomisation du champ et stratégie de l‟UNEF en 2007-2009 .................... 64
2 Ŕ ESPACE ET MOUVEMENTS ETUDIANTS .............................................................................. 68
2.1 Ŕ Auto-organisation et stratégies syndicales à Amiens .......................................................... 69
2.2 Ŕ De la notion d‟ « espace des mouvements sociaux »… ....................................................... 71
2.3 Ŕ … à celle d‟ « espace des mobilisations étudiantes » .......................................................... 74
2.4 Ŕ Les lignes de fractures des mouvements étudiants .............................................................. 76
CONCLUSION Ŕ DES AFFRONTEMENTS AUX FACTEURS MULTIPLES ................................. 81
III – DIVISIONS SOCIALES DU MOUVEMENT ET TRAJECTOIRES
D’ENGAGEMENT DIFFERENCIEES ............................................................................... 83
I Ŕ LA COMPOSITION SOCIALE DE L‟ « ESPACE DE LA MOBILISATION » DE 2009 .................... 84
1 Ŕ Les caractéristiques des étudiants mobilisés ........................................................................... 85
2 Ŕ Les divisions sociales du mouvement..................................................................................... 89
3 Ŕ Des trajectoires d‟engagement différenciées .......................................................................... 92
II Ŕ « ZOOM » SUR LES TRAJECTOIRES MILITANTES : DES DISPOSITIONS « ANTIAUTORITAIRES » ? ................................................................................................................. 97
1 Ŕ De l‟incapacité à s‟organiser sur le long terme en milieu étudiant ......................................... 98
Cyril, entre sentiment d’inutilité et culpabilisation .................................................................................................. 98
Les formes d’ « auto-organisation », une voie de réalisation de soi ...................................................................... 101
2 Ŕ Le rejet du champ de la représentation étudiante ................................................................. 103
Séverine, un entre-deux social fondateur ............................................................................................................... 103
Défense des classes populaires et remise en cause du champ : le « peuple » contre les « élites » ......................... 106
3
3 Ŕ Les organisations contre les individus .................................................................................. 109
Adrien, ou les conséquences d’un rapport « malheureux » à l’école ..................................................................... 109
La société des individus .......................................................................................................................................... 112
CONCLUSION Ŕ ORGANISATIONS ET CLIVAGES SOCIAUX .............................................. 115
CONCLUSION ..................................................................................................................... 117
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 123
GLOSSAIRE DES SIGLES ................................................................................................ 128
TABLE DES ILLUSTRATION .......................................................................................... 130
TABLE DES ANNEXES ..................................................................................................... 130
ANNEXES ............................................................................................................................. 131
4
INTRODUCTION
L‟université française a connu ces dernières années nombre de mouvements étudiants,
dont les plus récents Ŕ en 2007 et en 2009 Ŕ ont, à maints égards, tenu lieu de « douche
froide » pour les groupes de jeunesse ayant connu la mobilisation victorieuse de 2006 contre
le Contrat Première Embauche (CPE). Pour ceux qui avaient été les acteurs de cette dernière
dans l‟enceinte universitaire, le vécu différencié entre les mobilisations n‟en a été que plus
détonant. « Contre un gouvernement autoritaire, nous avons gagné en nous organisant de
manière à atteindre un niveau de démocratie rarement connu auparavant. Nous avons
construit l’unité étudiante, impulsé l’unité syndicale, gagné le retrait du CPE et enrayé la
machine libérale », écrivait le journal syndical de l‟UNEF2-Amiens en mai 2006, révélant
l‟état d‟esprit de certaines franges dirigeantes de la lutte étudiante. Les mobilisations qui ont
suivi n‟ont pas connu le même destin, mais ont au contraire été le lieu de défaites
revendicatives. Une première explication de cette évolution pourrait être trouvée dans
l‟isolement des milieux étudiants (2007) ou universitaires (2009), isolement renforcé par la
faiblesse des relais médiatiques nationaux (2007) et par l‟accroissement de la répression
policière (2007-2009). Entre la mobilisation de 2006 en celles de 2007-2009, les
« coordonnées de la situation », pour reprendre un langage militant, avaient changées. Sans
avancer l‟existence d‟un changement majeur dans la « structure des opportunités
politiques3 », le concept étant trop flou par bien des aspects4, force est de constater que la
prise de pouvoir politique de l‟oligarchie financière française en 2007 5 a considérablement
modifié l‟état du rapport des forces sociale et politique du pays. L‟adoption par les urnes d‟un
programme néolibéral affiché, la stratégie politique d‟inspiration néoconservatrice qui l‟a
2
Union Nationale des Etudiant de France, première organisation étudiante représentative.
« Le concept de structure des opportunités politiques (SOP) rend compte de l‟environnement politique auquel
sont confrontés les mouvements sociaux, et qui peut selon la conjoncture exercer une influence positive ou
négative sur leur émergence et leur développement ». FILLEULE O. & MATHIEU L., « Structure des
opportunités politiques » in FILLEULE O., MATHIEU L. PECHU C. (dir.), Dictionnaire des mouvements
sociaux, SciencesPo.- Les Presses, coll. Références / Sociétés en mouvement, 2009.
4
Si son premier modèle, mis au point par D. Mc Adam, est difficilement utilisable en raison des facteurs
quasiment indéfinis rendant possible un changement dans la SOP, les tentatives de modélisation systématique
ultérieure (S. Tarrow, H. Kriesi, C. Tilly, J. Mc Carthy, M. Zald) semblent souffrir une vision trop structuraliste
et idéaliste. Avec H. Fram, nous considérerons plutôt que « chaque moment de confrontation se définit de
manière propre, voire unique », le défi analytique revenant alors à « identifier une série de déterminants qui, dans
une séquence temporelle, peut expliquer les dynamiques de l‟interaction entre l‟état et les mouvements
d‟opposition, aussi bien que les effets institutionnels de cette dynamique ». Concernant toutes ces références voir
FILLEULE O., MATHIEU L. PECHU C., Ibid.
5
Voir PINCON-CHARLOT M. & M., Le Président des Riches, Enquête sur l’oligarchie dans la France de
Nicolas Sarkozy, Editions Broché, Zones, 2010.
3
5
permise ou encore la posture d‟ « ouverture » adoptée par le parti majoritaire ont été autant
d‟éléments de redistribution des rapports de pouvoir dans les champs syndicaux et politiques.
Pour l‟organisation syndicale étudiante dominante Ŕ l‟Union Nationale des Etudiants de
France, grande absente des mobilisations étudiantes depuis 20076, ce bouleversement
politique intervient tout juste un an après la reconnaissance de ses cadres à la fois par les
représentants des syndicats de salariés et par les représentants de l‟Etat. Cet élément s‟avérera
déterminant dans les choix stratégiques opérés depuis lors : « avant le CPE tout le monde s’en
foutait de ce que racontait l’UNEF, on pouvait bien se permettre de perdre ! », notait encore
récemment, et à juste titre, une militante du syndicat membre de son Bureau National (BN)
depuis 20067. Dans les rangs du Parti Socialiste (PS), principal parti d‟opposition acquis à la
logique d‟autonomie des universités, les voix s‟élevant contre la loi relative aux Libertés et
Responsabilités des Universités (LRU) se firent également rares en 2007. Au-delà de la
question de l‟isolement, il importe cependant de comprendre l‟expérience étudiante ellemême, son histoire et ses formes de structurations, différenciées en fonction des groupes en
présence. A l‟échelle du pays, la mobilisation étudiante de 2007 fut initiée par le Collectif
Etudiant Contre l‟Autonomie des Universités (CECAU), regroupant des organisations
étudiantes minoritaires, de Sud Etudiant à la Fédération Syndicale Etudiante (FSE) en passant
par l‟Union des Etudiants Communistes (UEC), les Jeunesses Communistes Révolutionnaires
(JCR) et la principale tendance oppositionnelle de l‟UNEF, la TUUD8. Si la mobilisation
dépassa largement les forces militantes de ces organisations, bénéficiant en outre de la
réactivation de réseaux mis en état de veille depuis la fin de la mobilisation contre le CPE,
l‟absence d‟alliés occupant des positions dominantes dans les champs politiques et syndicaux
et la reprise en main du pouvoir médiatique par le pouvoir politique 9 constituaient un terreau
bien peu favorable à une issue victorieuse : « on était vraiment SEULS, seuls seuls seuls »,
raconte Daniel, militant amiénois et syndicaliste étudiant depuis 2007. Malgré tout, la période
politique qui s‟ouvre ainsi en 2007 sera celle d‟une mobilisation quasi-permanente de la
jeunesse. Dans les universités, la proximité temporelle des mobilisations permet aux réseaux
d‟interconnaissance nés en leur sein de se survivre, régulièrement réactivés quand vient le
6
Nous reviendrons, dans le cours de ce mémoire, sur la stratégie déployée par la première organisation étudiante
au cours de ces mobilisations, ainsi que sur ses déterminants.
7
Ces notes sont issues de mon cahier de terrain, et furent prises après une discussion informelle tenue lors du
congrès de l‟UNEF d‟avril 2011
8
Le Tendance pour une Unef Unitaire et Démocratique, issue de l‟ancienne Tendance Tous Ensemble, jadis
animée par les jeunes militants de la Ligue Communiste Révolutionnaire. La TUUD à réalisé un score de 13%
des voix au congrès de l‟UNEF de 2007 et de 15.1% lors du congrès de 2009 (date à laquelle elle est présente
dans 27 sections syndicales sur 85 Ŕ les « Associations Générales Etudiantes », AGE Ŕ dont 8 lui sont acquises)
9
Voir PINCON-CHARLOTS M. et M., Op. Cit.
6
temps de l‟action. Dans les organisations étudiantes, une durée de 2 ans permet aux équipes
militantes de trouver une certaine homogénéité, le renouvellement des cadres étant marginal
sur une durée aussi courte. Dans les lycées aussi les rythmes de mobilisation se succèdent : à
l‟automne 2007, au printemps 2008, à l‟hiver 2008 puis au printemps 2009. Etudiants et
lycéens se retrouvent alors régulièrement dans la rue, leurs revendications faisant échos les
unes aux autres. L‟heure est enfin également aux mobilisations répétées du côté des
enseignants, notamment contre les suppressions de postes dans le secondaire et contre les
réformes néolibérales de la recherche dans le supérieur. Au printemps 2009, c‟est une grande
partie de la « communauté universitaire » qui se retrouve dans la rue, rejointe de manière
sporadique par certaines franges lycéennes issues du mouvement de l‟hiver précédent.
A Amiens, les mobilisations étudiantes de 2007 et 2009 ne forment qu‟une seule et
même temporalité politique, leurs protagonistes construisant un rapport de filiation entre elles
jusque dans leurs dénominations (« LRU 1 » et « LRU 2 »). Plus encore, la mobilisation
étudiante de 2009 semble être une réactivation, permise par un changement de conjoncture, du
mouvement social né dans les universités à l‟automne 2007. A l‟Université de Picardie Jules
Verne (UJPV), ce dernier avait été particulièrement puissant : impulsé par l‟UNEF-Amiens, il
y avait regroupé très rapidement des milliers d‟étudiants en Assemblées Générales (AG),
notamment en Sciences Humaines et Sociales, avant de se généraliser à quasiment tous les
sites de l‟Université, menant l‟UPJV dans un conflit d‟une rare intensité. L‟ensemble des
pôles universitaires, à l‟exception du site médical, avait ainsi été bloqué jusqu‟à la fin du mois
de décembre, faisant d‟Amiens l‟une des trois dernières villes mobilisées. La faculté des Arts
d‟Amiens fut même la dernière Unité de Formation et de Recherche (UFR) mobilisée de
France, accueillant le 27 janvier la dernière Coordination Nationale Etudiante (CNE) du
mouvement, Dans les mémoires syndicales, ce mouvement Ŕ par les enjeux dont il était
porteur aux yeux de ses acteurs, par les luttes âpres qu‟ils avaient engendrées entre étudiants
sur des questions stratégiques, par la répression à laquelle il avait dû faire face et par la défaite
cinglante qu‟il avait finalement connue Ŕ représente toujours un traumatisme aujourd‟hui. Si
la perception de la mobilisation est largement plus variable chez ses acteurs non syndicalistes,
elle n‟en reste pas moins une expérience marquante dont l‟intensité explique pour partie la
réactivation de ses réseaux militants, un an plus tard, à la faveur d‟une conjoncture politique
et sociale perçue par les organisations étudiantes comme plus prometteuse : défaite relative de
la majorité gouvernementale lors des élections municipales de 2008 ; crise financière heurtant
le pays et ayant poussé le gouvernement à accorder un plan de soutien aux banques de 360
7
milliards d‟euros, remettant ainsi en cause l‟argument des « caisses vides » ; mise en
mouvement, tant espérée deux ans plus tôt par les étudiants, des Enseignants-Chercheurs
(EC) ; grève générale en Guadeloupe ; mobilisation de secteurs significatifs privés et publics
en métropole ; etc. Il n‟est cependant pas aisé de parler d‟un seul et unique mouvement
étudiant au printemps 2009. Une mobilisation prit en effet corps dans les universités et
quelques grandes écoles, dans le cadre d‟un mouvement initié par les enseignants-chercheurs
qui reste à ce jour le conflit le plus long qu‟ait connu l‟Université française depuis 1968. Ce
mouvement, qui se voulait celui de la « communauté universitaire », est intervenu dans une
conjoncture politique particulière Ŕ grève générale des salariés guadeloupéens à l‟initiative du
Liyannaj Kont Pwofitasyon10 (LKP) suivie de trois temps forts de grève générale dans la
métropole Ŕ en se superposant, ou plutôt en prenant la suite, d‟un autre mouvement né dans le
primaire et le secondaire. Aux côtés et à côté du mouvement étudiant proprement
universitaire, d‟autres mobilisations étudiantes virent le jour, connaissant des rythmes, des
enjeux, des plates-formes revendicatives et des cadres de perception partiellement différents.
En Picardie, si le mouvement dans les universités a été relativement homogène11, il n‟a en
effet existé que peu de liens directs ou de cadres revendicatifs réellement unifiés avec les
étudiants mobilisés dans les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM), la
distance géographique des sites rajoutant à une syndicalisation étudiante mineure dans ces
structures. Le constat est largement similaire si l‟on considère les étudiants mobilisés dans les
universités et leurs camarades d‟Institut Universitaire de Technologie (IUT), fournissant de
plus les forces vives d‟un mouvement dont le leadership était jalousement gardé par les
directeurs d‟IUT qui l‟avaient initié, empêchant autant que faire se peut les rencontres avec
les mobilisations perçues comme « politiques » qui émergeaient dans les filières généralistes.
*
*
*
Cette même séquence politique, qui s‟ouvre en 2007 par des temps de mobilisations
accrus dans le milieu étudiant, correspond également à une bifurcation dans ma propre
trajectoire militante. Militant politique à la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) depuis
10
Le « Collectif contre l‟exploitation outrancière », qui regroupe une cinquantaine d'organisations syndicales,
associatives, politiques et culturelles de la Guadeloupe. Il est à l'origine de la grève générale qui a touché l'île
entre le 20 janvier et le 4 mars. Son porte-parole est Élie Domota, secrétaire général du syndicat majoritaire de la
Guadeloupe, l'Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG).
11
Avec des plates-formes revendicatives sensiblement différentes en fonction des organisations syndicales et
politiques en présence dans les sites universitaires, mais se recoupant largement (Abrogation de la LRU, retrait
de la réforme de la formation des enseignants, retrait du décret relatif au changement de statut des EnseignantChercheurs et de la Réforme de l‟Allocation des Moyens alloués aux Universités principalement)
8
2002, militant syndical à l‟UNEF-Amiens depuis 2005, j‟accédais en 2007, à la faveur de la
rotation entre générations Ŕ très rapide en milieu étudiant Ŕ et en partie contre mon gré, à une
position de direction dans l‟appareil syndical amiénois puis au sein du Bureau National de
l‟UNEF. Nous reviendrons plus loin sur cette posture ambiguë, à la fois difficile et
avantageuse, vis-à-vis de mon terrain d‟enquête. Durant cette période complexe, où il nous
fallait batailler à la fois contre le pouvoir politique et contre notre propre direction syndicale
(je participais au Bureau National de l‟UNEF comme membre de sa principale tendance
minoritaire, à laquelle est affiliée l‟UNEF-Amiens), j‟avais été frappé par les luttes internes
que connaissait également le mouvement étudiant lui-même, luttes quasi-inexistantes en 2006.
Dans les Coordinations Nationales Etudiantes de 2007 et de 2009, les membres du CECAU et
les étudiants membres des organisations de mouvement social plus généralement affrontaient
notamment les membres d‟une nébuleuse que nous classions en vrac sous l‟appellation
« autonome ». Si l‟on trouvait en son sein beaucoup d‟étudiants « inorganisés », on trouvait
également les membres d‟une mouvance politique constituée, s‟inscrivant bien plutôt
d‟ailleurs dans la tradition politique situationniste12 que dans celles de l‟autonomie ouvrière
française ou italienne. Apparue au début des années 2000 autour de la revue Tiqqun13, son
audience montant en puissance dès 2007 me fascinait, me rappelant à des préoccupations de
recherche nées de mon travail de mémoire de Master 114 : leur tentative de séduction vis-à-vis
12
Si l‟analyse lexicale que j‟ai effectué de l‟un de leurs textes centraux, l‟Appel, laisse à penser que l‟ « offre
identitaire » des Appellistes Ŕ comme ils sont désormais qualifiés dans les milieux militants Ŕ est une tentative de
séduction vis-à-vis des courants « anti-léninistes » (anarchistes, situationnistes, autonomes, conseillistes,
écologistes et néo-marxistes), la nature de leurs thèses rappelle leur inscription majoritaire dans la tradition
politique situationniste, de la dénonciation du « Spectacle » chère à Guy Debord à la critique du militantisme
« traditionnel » (« le militantisme, stade suprême de l‟aliénation », disait-on dans les années 1970).
13
TIQQUN, « Organe conscient du Parti Imaginaire Ŕ exercices de métaphysique critique », 162 pages, autoédition, 1999. Il n‟y aura que deux numéros, la revue s‟étant dissoute en 2001.
14
BRUSADELLI N., « Ruptures et continuités dans le militantisme étudiant. Essai de repérage d‟une génération
politique en gestation, le cas de l‟UNEF à Amiens entre 1995 et 2008 », Mémoire de M1 sous la direction de
Denis Blot et d‟Alain Maillard, UPJV, 2008. Cherchant à explorer les modalités de transmission du capital
militant au sein d‟une structure syndicale étudiante amiénoise, et donc les transformations du champ syndical
local à l‟origine de la production d‟habitus militants différenciés, j‟avais procédé à l‟étude des groupes
syndicaux étudiants qui se sont succédés à Amiens entre 1995 et 2007. L‟une des conclusions de ce travail était
l‟existence de générations distinctes d‟étudiant-e-s syndicalistes, développant des rapports différents à la
politique, produites simultanément par la fin de l‟emprise d‟un parti politique sur la structure syndicale (l‟UNEFID devenue UNEF) et par un changement de temporalité politique à l‟Université concordant avec l‟émergence
du projet néolibéral pour l‟enseignement supérieur (rendu public en 1998 avec le rapport Attali). Je relevais plus
précisément l‟émergence d‟une « double » génération militante nouvelle à dater de 1998, dont le point
d‟achoppement Ŕ la rencontre entre deux équipes éloignées dans le temps et en termes de parcours militants Ŕ se
situe en 2002. « Double » car, malgré la distance séparant les groupes dont il est question, le premier avait
manifestement transmis au second un habitus militant et politique s‟apparentant sous certains aspects aux
thématiques revendiquées par la mouvance altermondialiste 14 (fonctionnement au consensus, démocratie
participative, auto-organisation, etc. Ŕ pour plus de détails sur les courants altermondialiste voire COSTEY P. et
PERDONCIN A., « Entretien avec I. Sommier. L‟altermondialisme, une nouvelle forme d‟engagement ? »,
Tracés n° 11, octobre 2006, pp. 161-174.). Malgré la volonté initiale qui fut la mienne de s‟attacher aux
déterminants structuraux à même de produire différents types d‟habitus militants (avec pour trame de fond un
9
des courants du mouvement ouvrier éloignés du référentiel léniniste me rappelait en effet les
critiques adressées par les syndicalistes amiénois à l‟encontre du fonctionnement de l‟UNEF,
leur vision apocalyptique de l‟avenir et la valorisation du temps présent qui en résultait faisait
pour moi écho aux aspirations à l‟utopie « ici et maintenant » des mouvements étudiants
récents que j‟avais étudiés à Amiens, et enfin les critiques de part et d‟autre relevant d‟une
forme d‟ « individualisme de gauche » adressées à la société néolibérale présentaient à mes
yeux de nombreuses similitudes15. Conjointement, la faiblesse de leurs effectifs, la méfiance
de ces groupes vis-à-vis de la sociologie, ma propre position dans l‟espace des mobilisations
étudiantes et le temps d‟enquête nécessaire pour aborder et construire pareil objet m‟avaient
finalement poussé à renoncer à entrer sur ce terrain. Il n‟y avait pas cependant
d‟ « autonomes » que dans les CNE : nous en trouvions également dans nos facs. Plus
précisément, nous affrontions des « totos », catégorie issue de l‟appellation « autonomes »
mais connaissant un champ d‟utilisation dépassant largement l‟appartenance à la mouvance
post-situationniste. S‟il n‟était pas envisageable d‟approcher la nébuleuse politique constituée,
tenter de saisir les modalités de construction et d‟usage de cette catégorie pouvait nous fournir
une base initiale de questionnement. En d‟autres termes, il s‟agissait d‟approcher une des
lignes de fracture ayant parcouru le mouvement étudiant de ces dernières années par l‟analyse
des enjeux propres au monde syndical étudiant et non par celle des mouvances dites
« autonomes ».
Que recouvre donc cette catégorie ? Les premiers entretiens exploratoires menés et
l‟expérience, maintes fois renouvelée, que j‟ai moi-même faite de son utilisation appellent à
élaborer autour d‟elle quelques pistes de travail. Le terme de « totos » est ambigu, et les
militants syndicaux sont bien en peine d‟en donner une définition claire lorsqu‟on leur pose la
question. La généalogie rapide de son utilisation, dans les milieux syndicaux amiénois de ces
dix dernières années, rappelle par contre d‟emblée le phénomène mis en lumière par H.
Becker sous le concept de processus d‟étiquetage16. Au sein des organisations, c‟est une autre
questionnement quant à leur pertinence générationnelle), une majeure partie de l‟étude fut donc finalement
consacrée à l‟exploration de ces derniers, dans une démarche plus « compréhensive ». Si l‟étude de ces rapports
différenciés au politique et à la politique Ŕ à travers l‟analyse de contenu de tracts syndicaux, de productions
collectives issues des mouvements sociaux et d‟entretiens de vie avec les « cadres » générationnels successifs Ŕ
fut fort instructive, elle fut ainsi également à l‟origine d‟un important angle mort de l‟enquête : celle de la
composition sociale de l‟ensemble des groupes syndicaux en présence et, plus généralement, des rapports
sociaux structurant l‟espace et la forme des mouvements étudiants.
15
Pour plus de détail à ce sujet voir BRUSADELLI N., Impressions crépusculaires, étude d’une possible
réponse générationnelle à la mondialisation néolibérale, étude effectué dans le cadre du M2 dans le cadre d‟un
module de sociologie du temps et animé par A. Maillard.
16
BECKER H. Outsiders, Editions A. M. Métailé, Paris, 1985.
10
catégorie, celle de « gauchistes », qui servait il n‟y a pas si longtemps à désigner la réalité
d‟une partie des pratiques aujourd‟hui qualifiées de « totos ». La désignation de « gauchistes »
n‟est pas de facture récente, le terme ayant été intégré au vocabulaire officiel du marxisme par
Lénine en 192017, et sert à désigner, dans la bouche de celui qui l‟emploie, une mouvance
politique de gauche Ŕ ou des militants au sein d‟une mouvance politique de gauche Ŕ perçu
comme faisant abstraction des « réalités » politiques et sociales. Dans l‟espace des
organisations et mouvances de gauche, elle a longtemps été utilisée pour désigner et
disqualifier des adversaires classés généralement plus « à gauche » que soi, popularisée
notamment par le Parti Communiste Français (PCF) dans les usages qu‟il en a fait à
l‟encontre des trotskistes puis, après mai 1968, à l‟encontre de tous les courants et
organisations qui se retrouvaient sur sa « gauche » (maoïstes, anarchistes, conseillistes,
situationnistes ou encore autonomes18). Ces dernières années, il fut utilisé largement dans les
milieux syndicaux étudiants. Au-delà des réalités concrètes que désigne l‟étiquette, le
processus d‟étiquetage lui-même sert toujours à disqualifier les options stratégiques adverses,
en arguant qu‟elles ne parlent pas à l‟ensemble du « milieu », à la « masse » des étudiants,
mais uniquement aux franges déjà « conscientisées » de celui-ci. L‟utilisation de la catégorie
de gauchiste dans les milieux syndicaux est ainsi indissociable du référentiel marxiste qui lui
donne sens, fixant ainsi à la fois un but officiel (la révolution sociale et politique19) et une
stratégie d‟ensemble (s‟appuyer sur la grande masse du salariat) à l‟ensemble des courants qui
s‟en réclament, par delà les divergences tactiques qui les opposent. Si la désignation de
« totos » n‟est elle non plus pas récente, trouvant son origine dans les années 1970, elle fut
remise au goût du jour à l‟occasion de la lutte étudiante de 2007. Le terme s‟applique bien
souvent à des étudiants marquant une défiance vis-à-vis des organisations syndicales et
politiques, ou à tout le moins refusant de se rapprocher d‟elles, mais l‟étiquette a depuis gagné
du terrain au sein des organisations elles-mêmes, en lieu et place du « gauchisme ». Dans la
pratique, les réalités qu‟elle recouvre sont mouvantes, liées au contexte : le terme désigne
avant tout celui qui « ne sait pas faire », n‟a pas conscience des enjeux du jeu protestataire.
Lorsqu‟il est inoffensif, il est considéré comme naïf, mais lorsqu‟il met en péril le mouvement
de protestation aux yeux des syndicalistes, il devient un « toto ».
17
LENINE, La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), Editions du Progrès, Moscou, 1979.
A partir des années 1970, la frontière marquant l‟entrée dans le « gauchisme » a largement recouvert les
questions de la participation ou non aux élections et de l‟exercice du pouvoir.
19
Contrairement à l‟image qu‟elle renvoie, et bien qu‟il semble que son référentiel analytique et stratégique soit
en pleine évolution, la direction de l‟UNEF de 2009 fonctionne toujours sur la base d‟un langage et d‟une
analyse largement marxisante.
18
11
A l‟instar de la dénonciation du « gauchisme », les repères idéologiques issus du
marxisme en moins, le processus d‟étiquetage qui nous intéresse sert bien souvent à
disqualifier des groupes ou des individus externes aux milieux politiques et syndicaux. Au
sein même de ces milieux, il sert à dénier à des concurrents directs le droit d‟appartenance à
ces univers. La notion d‟univers et de droit d‟appartenance n‟est pas sans évoquer ici le
concept de « champ », au sens de l‟existence de sphères relativement autonomes au sein du
monde social connaissant ses normes, ses jeux et ses enjeux propres, et dont l‟un des enjeux
réside justement dans la définition de ses frontières ou de son « droit d‟entrée ». J‟avais déjà
eu recours à cette notion lors de mon précédent travail de mémoire, dans la mesure où il
permettait de définir le cadre dans lequel la production de générations militantes différenciées
pouvait être saisie : je parlais alors de « champ militant étudiant amiénois ». J‟utiliserais ici de
nouveau de concept, en l‟appliquant au monde syndical étudiant stricto sensu, afin
d‟interroger les données de terrain que nous avons recueillies et qui portent sur les luttes
étudiantes, et entre étudiants, de 2007 et de 2009. Les enjeux posés par une telle démarche ne
se résument pas à valider ou non l‟efficacité d‟un modèle théorique, mais réside bien plutôt
dans sa faculté à éclairer le réel en lui posant des questions nouvelles issues de l‟étude
d‟autres espaces du monde social. Elle invite notamment à saisir ce qui se joue dans les
différences de pratiques et de stratégies en termes d‟origines et de trajectoires : au-delà des
frictions induites par l‟existence même d‟un « champ syndical étudiant », si le concept
correspond aux réalités vécues et objectives de cet univers, les luttes qui se sont déroulées
entre différentes fractions du milieu étudiant amiénois peuvent en effet être le fruit de
différences de socialisation politique (voire de différences de dispositions non directement
politiques pouvant être réinvesties dans l‟action militante) et / ou de différences en termes
d‟origines sociales. Pour le dire dans les termes du paradigme conceptuel développé cidessus, ces luttes peuvent en effet trouver une partie de leurs origines dans des différences de
capitaux militants ou d‟autres types de capitaux pouvant être reconvertis dans l‟espace d‟une
mobilisation, d‟une campagne ou d‟une élection étudiante (ce qui pose également le problème
de la composition sociale du champ et des capitaux valorisés en son sein). Ma volonté
première a donc été de comparer les caractéristiques des étudiants syndiqués et celles des
étudiants non syndiqués avec qui ils entraient en lutte dans les mobilisations, à l‟aide d‟une
passation de questionnaire et d‟une exploitation secondaire des enquêtes réalisées par le
Groupe d‟Etude et de Recherche sur les Mouvements Etudiants (GERME) à chaque congrès
de l‟UNEF. Cette perspective a cependant vite tourné court, d‟une part en raison d‟une
difficulté d‟accès aux données, et d‟autre part il semblait problématique, sur un plan
12
épistémologique, de traiter ces questions hors de tout contexte : renoncer à saisir les pratiques
dans la situation historico-sociale qui a formé ses conditions de possibilité, c‟est à coup sûr
risquer de réduire l‟analyse à la validation ou non d‟un cadre théorique pré-structurant dans
lequel les données empiriques peuvent ou non venir se fondre. Les quelques entretiens
exploratoires menés confirmaient la pertinence de cette approche : à travers les récits qui
m‟étaient faits par les « autonomes » amiénois Ŕ c'est-à-dire d‟individus ou de groupes soumis
à une entreprise externe de catégorisation militante et/ou se réappropriant l‟étiquette, mais
sans revendiquer pour autant de filiation avec l‟autonomie ouvrière dont ils ignorent souvent
jusqu‟à l‟existence Ŕ il semblait finalement plus opportun de traiter ces questions là où elles
se donnent le plus facilement à voir, c‟est à dire au cœur des mobilisations étudiantes et des
luttes qu‟elles suscitaient.
*
*
*
La problématique qui va structurer le présent travail pourrait donc s‟énoncer comme
suit : les antagonismes inscrits dans l‟espace des mobilisations amiénoises de 2007 et de 2009
peuvent-ils être questionnés, en raison de la nature de leurs enjeux, à travers la notion de
champ syndical étudiant ? La pertinence ou non du concept, toujours à démontrer pour l‟étude
de l‟univers social qui nous intéresse, amène-t-elle à interroger les luttes entre fractions
étudiantes sous un jour nouveau, notamment dans les termes d‟une distribution différenciée
de capitaux dans le champ du syndicalisme étudiant et à ses frontières ? Formulée ainsi,
pareille problématique invite tout d‟abord à restituer et examiner les données issues du travail
de terrain. Pour qui sort d‟une « immersion » de six ans dans le terrain d‟investigation, doublé
d‟un rapport « naïf » à celui-ci, un travail de sélection dans le réel s‟avère nécessaire, d‟autant
qu‟il ne s‟agira pas ici de traiter ces mouvements sociaux en tant que tels : il n‟est pas
question de les prendre eux-mêmes pour objet, mais de saisir en leur sein, et dans leur
contexte historico-social de production, les éléments à même d‟éclairer autant que possible la
nature des luttes entre étudiants syndicalistes et « autonomes ». Si nous restituerons ces
évènements, via une analyse la plus fine possible au vu des contraintes temporelles et
académiques de l‟exercice, dans leur contexte historique et à échelle nationale, nous
rapprocherons ensuite le focus sur les mobilisations amiénoises. Pour replonger dans ce passé
toujours présent, à la fois pour sélectionner dans le réel et évacuer les enjeux relatifs à la
13
mémoire des luttes20 (ou plutôt aux luttes pour la mémoire dont je suis, en tout état de cause,
partie prenante), les outils mis à notre disposition par la sociologie des mouvements sociaux
seront précieux. Nous proposons d‟organiser le travail comme suit :
1. Dans une première partie, nous tâcherons donc de restituer aussi finement que possible
le déroulé des évènements, c'est-à-dire la nature et l‟enchevêtrement des interactions
(entre les organisations syndicales et politiques, les « coordinations », l‟Etat, etc.),
l‟évolution quantitative et qualitative des mouvements sociaux ou encore le contexte
politique dans lequel ils s‟inscrivent. Il s‟agira aussi, et surtout, de se pencher sur les
formes particulières qu‟ont prises les mouvements étudiants de ces dernières années,
en analysant les implications de ces dernières via l‟étude des luttes amiénoises de 2007
et de 2009.
2. Dans un deuxième temps, nous discuterons de notre cadre théorique, c'est-à-dire de la
pertinence du concept de champ à la fois pour questionner la réalité du syndicalisme
en milieu étudiant et pour rendre compte des lignes de fractures inscrites au cœur des
mouvements étudiants.
3. Dans une troisième et dernière partie enfin, c‟est l‟espace social de la mobilisation
étudiante qui attirera notre attention, c'est-à-dire les facteurs déterminants Ŕ en termes
d‟origines sociales et de trajectoires militantes Ŕ de l‟engagement étudiant sous ses
différentes formes, syndicales ou non. Il s‟agira également d‟explorer les potentialités
du concept, sa faculté à questionner le réel sous l‟angle des dispositions socialement
différenciées qui entrent en conflit ou en coopération dans l‟espace des mouvements
étudiants. Pour ce faire, nous effectuerons un rapprochement du focus de l‟analyse à
l‟échelle des trajectoires d‟engagement de certains des protagonistes des
mobilisations.
*
*
*
20
On entend par là la mémoire qui se construit au cœur même des mobilisations et se transmet d‟une
mobilisation à l‟autre (bien souvent par les organisations de mouvement social) de manière différenciée pour les
acteurs (c'est-à-dire suivant la position occupée au sein des mouvements : spectateurs, membres actifs,
« cadres », syndicaliste, etc.).
14
Certains choix ont évidemment été faits pour engager ce travail de mémoire,
contribuant à privilégier certains axes de travail au détriment d‟autres. Des choix conceptuels
tout d‟abord. Dans le sillage des réflexions développées entre autres par L. Mathieu21 , nous
avons en effet été animés par la volonté de dépasser dans ce travail les oppositions Ŕ qui se
superposent bien souvent les unes aux autres pour transcender la sociologie dans son
ensemble Ŕ entre objectivisme et subjectivisme, entre macrosociologie et microsociologie,
entre méthodes quantitatives et qualitatives. En sociologie des mouvements sociaux, les deux
pôles de ces couples oppositionnels ont dans une large mesure trouvé à se réaliser ces
dernières années dans le paradigme de la structure des opportunités politiques d‟un côté, et
dans un modèle issu du concept goffmanien de « cadres de l‟expérience22 » de l‟autre. Nous
allons ainsi mobiliser tour à tour, en fonction de nos objectifs, différents paradigmes. Il ne
s‟agissait pas uniquement là d‟une posture de « principe » épistémologique, visant à utiliser la
diversité des outils conceptuels que met à notre disposition la sociologie des mouvements
sociaux : il s‟est surtout agi pour nous d‟ajuster au mieux les cadres conceptuels (et les
méthodes qu‟ils impliquaient) à la fois à notre objet d‟enquête et au rapport entretenu avec
celui-ci. Des choix épistémologiques ensuite, car engager un travail de recherche concernant
un univers social dont on a été Ŕ et dont on est encore parfois Ŕ un acteur à part entière
nécessite de clarifier la démarche de construction de l‟objet, de la rendre aussi rigoureuse que
possible. Cela appelle tout d‟abord à assumer l‟inévitable subjectivité du chercheur vis-à-vis
des questions qu‟il pose au réel, à faire le deuil du rêve sociologique d‟exhaustivité et de
surplomb scientifique quant au traitement de son objet de recherche : en d‟autres termes,
considérer la scientificité en sciences sociales comme la faculté à « traiter scientifiquement de
questions subjectives ». Des choix méthodologiques enfin, dans la mesure où le choix des
méthodes participe aussi Ŕ au-delà de la pertinence de leur mobilisation au regard de la
problématique qui nous anime Ŕ de la faculté à restituer les logiques de fonctionnement d‟un
secteur de l‟espace social que l‟on connait intimement.
La familiarité à l‟objet d‟enquête a longtemps été considérée en sociologie comme un
obstacle à l‟analyse, les praticiens de la discipline étant en cela fidèles au conseil durkheimien
de faire abstraction des « prénotions23 ». Posé dans une perspective d‟affirmation de
discipline dans le champ scientifique, le principe est plus facile à formuler qu‟à suivre, le
21
MATHIEU L. « Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l‟analyse des
mouvements sociaux », Revue française de science politique, vol. 52, n° 1, février 2002, p. 75-100.
22
GOFFMAN E., Les cadres de l’expérience, Editions de Minuit, coll. “Le sens commun”, 1991
23
DURKHEIM E., Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988.
15
chercheur ne pouvant s‟extraire par sa seule volonté du monde social et de sa propre position
en son sein. Pire : la posture académique peut même être un obstacle à l‟analyse lorsqu‟elle
porte avec elle l‟ethnocentrisme de classe propre aux intellectuels, ou encore une tendance Ŕ
par la recherche d‟indicateurs isolant les différents éléments d‟un phénomène social Ŕ à la
fragmentation des objets de recherche. Si de nombreux domaines de l‟analyse sociologique
échappent aujourd‟hui aux pièges liés cette posture scolastique, la question reste d‟autant plus
sensible en sociologie des pratiques militantes et des mouvements sociaux que l‟autonomie de
la discipline vis-à-vis du politique fut durement acquise. Nous défendrons justement ici que Ŕ
notamment en vue de l‟étude des pratiques militantes Ŕ la familiarité au terrain, pourvu que
l‟on contrôle ses effets, peut être au contraire considérée comme une ressource, un atout
majeur tant sur le plan de la connaissance que sur celui de la collecte des données : nous
essaierons de pratiquer une « familiarité réflexive », pour reprendre les mots de B. Geay24,
capable d‟« intégrer à l‟analyse les rapports de proximité et de distance qui se jouent non
seulement dans les contiguïtés sociales les plus immédiates mais dans la façon dont les
histoires sociales des enquêtés et celles des enquêteurs trouvent plus ou moins à se croiser, ou
se présentent dans un rapport d‟homologie ». Il ne s‟agit pas de minimiser les difficultés
(position difficile vis-à-vis de certains interviewés, impossibilité d‟obtenir à l‟heure
d‟aujourd‟hui des entretiens avec l‟actuelle équipe dirigeante de l‟UNEF, etc.) liées à cette
posture, mais de prendre en compte la nature particulière des pratiques militantes lorsqu‟elles
sont prises pour objet d‟études : les logiques à l‟œuvre dans le cours ordinaire d‟une
mobilisation ne relève pas de savoir et de savoir-faire formalisés, mais sont avant tout des
logiques pratiques, bien souvent diffusées dans l‟espace du mouvement par les organisations
de mouvement social qui en sont les cadres de transmission. De même, si les cadres
d‟injustices25 du mouvement peuvent être appréhendés par l‟étude des tracts qui les
« objectivent », il n‟en va pas de même du système de représentations à la base de l‟action
syndicale (le « milieu », l‟« organisation », etc.) ou des rapports de force entre appareils (et
les stratégies que ces derniers emploient) que seule une connaissance intime du syndicalisme
étudiant est à même de restituer. Evidemment, le travail d‟analyse des entretiens notamment
nécessite une attention redoublée, prenant à la fois en compte les positions sociales et les
24
« Une proximité armée en quelque sorte contre elle-même peut constituer un puissant atout pour déjouer la
propension, propre à la pensée raisonnante, à l‟artificialisme. Dès lors que l‟on est en mesure d‟inclure à
l‟analyse le rapport que l‟on entretient avec lui, un objet construit sur un terrain familier peut donner l‟occasion
de produire une analyse mieux informée des logiques pratiques à l‟œuvre dans la vie ordinaire. » V. GEAY B.,
« Objectivation et auto-analyse, une sociologie de la pratique militante » in DE FORNEL M. et OGIEN A. (dir.)
Bourdieu, théoricien de la pratique, Raison Pratiques, n°21.
25
Cette notion, que nous développerons plus loin, est un dérivé des « cadre de l‟expérience » goffmanniens.
16
positions dans l‟espace de la mobilisation du chercheur et de ses enquêtés : dans le travail que
nous restituons ici par exemple, la posture légitime qui fut la mienne durant les dernières
mobilisations a clairement invité de nombreux interviewés à se mettre en scène et à minimiser
le discours critique qu‟ils portent sur le syndicalisme étudiant, ou encore à mettre l‟accent sur
ce qui, « finalement », nous rassemblait.
Nos choix méthodologiques ont donc été multiples, adaptés aux différents concepts
mobilisés pour les différents axes de l‟enquête, ou encore au besoin de mise à distance de
l‟objet. La reconstitution de la trame historique des évènements s‟est appuyée principalement
sur les coupures de presses locales et les mails archivés des deux mobilisations. Pour explorer
les cadres d‟injustices déployés et la restituer des stratégies syndicales, nous avons exploité
les tracts du mouvement et les cahiers syndicaux récupérés, préférant des supports objectivés
aux seuls entretiens faisant appel à la mémoire des enquêtés. Pour saisir le sens des
engagements étudiants dans les mobilisations, restituer au mieux les prises de position dans
les multiples trajectoires militantes, mais aussi pour approcher la construction mémorielle
dont ces mouvements ont fait collectivement l‟objet respectivement 4 ans et 2 ans après, des
entretiens ont par contre été conduits. Enfin, dans une volonté de replacer les pratiques et les
prises de position au sein de l‟espace social de la mobilisation, d‟objectiver également
toujours un peu plus à la fois les lignes de fractures parcourant le milieu étudiant lors des
mobilisations et ma place dans celles-ci, recours a été fait à une passation de 101
questionnaire et à leur traitement statistique, dont je fournirais les détails méthodologiques
dans la troisième partie de ce travail de mémoire.
17
I – L’EXPERIENCE ETUDIANTE DE 2007-2009 :
HISTOIRE ET FORMES DES MOUVEMENTS
Cette première partie de notre travail s‟articulera en deux axes. Nous restituerons tout
d‟abord le contexte des mobilisations, leur « structure des opportunités politiques » au sens
très large où l‟entendait Mc Adam, c'est-à-dire tant le contexte politique de réforme qui a
caractérisé l‟enseignement supérieur depuis les années 2000 que les interactions entre l‟Etat et
les « organisations de mouvement social26 » sur la période 2007-2009 : comme nous le
notions en introduction, ces mouvements sociaux ne sauraient prendre sens en dehors de tout
contexte, isolés à la fois de la série de mobilisations qui a marqué l‟enseignement supérieur de
ces dix dernières années et des mouvements interprofessionnels de l‟année 2009. Certaines
données extérieures au monde éducatif ne pourront alors qu‟être prises en compte : que l‟on
pense par exemple à la crise qui a secoué la planète finance à l‟automne 2008, à l‟origine d‟un
plan de sauvetage des banques qui fut une opportunité pour l‟ensemble des acteurs du
mouvement social27, tant il mettait en difficulté la majorité gouvernementale réformant au
nom des « caisses vides ». Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux formes des
mouvements, en rapprochant le focus des discours et des pratiques des étudiants mobilisés à
Amiens. Ces deux axes sont intimement liés car, comme nous le verrons, les discours
développés par les étudiants mobilisés Ŕ le « cadre d‟injustice 28» mobilisé pour parler comme
W. Gamson Ŕ sont à Amiens pour partie le produit de cette histoire récente ; et la succession
rapprochée des mobilisations universitaires depuis 1998 a produit un ensemble de pratiques
de référence dont la généalogie rapide doit être évoquée. A travers cette restitution à la fois
politique, pratique et idéologique, l‟enjeu est de saisir les ressorts de l‟expérience étudiante de
2007-2009 pour éclairer, en son sein, les lignes de fractures et contradictions qui l‟ont
parcourue.
26
McCARTHY J. & ZALD M., « Resource mobilization and social movement : a partila theory », Américan
Journal of Sociology, 1977, pp. 1212-1241.
27
Sur l‟emploi de cette notion au singulier voir BEROUD S., MOURIAUX M., VAKALOULIS M., Le
mouvement social en France, La Dispute, 1998, mais aussi MATHIEU L., « Notes provisoires sur l‟espace des
mouvements sociaux », Contretemps, n°11, 2004.
28
Pour une définition de cette notion, et une clarification quant à l‟utilisation que nous allons en faire, voir
supra. Pour une première approche, voir GAMSON W., FIREMAN B., RYTINA S., Encounters with injust
authority, Homewood, The Dorsey Press, 1982.
18
1 – De l’automne 2007 au printemps 2009 : un « feu de
paille » devenu « feu de bois »
La reconstruction historique à laquelle nous allons nous livrer ici s‟appuie
principalement sur une étude systématique de ma propre boite e-mail Ŕ soit 372629 messages
permettant de reconstruire, jour après jour, le déroulé des évènements Ŕ, de deux revues de
presse régionales ainsi que d‟un « carnet de bord » tenue par une syndicaliste en 200730. En
vue d‟appréhender l‟évolution des mouvements étudiants, nous avons retenu les critères
faisant sens pour les syndicalistes et autres militants qui les construisent : nombre de comités
de mobilisations existants, nombre de personnes en AG31, nombre d‟universités envoyant des
délégations dans les structures de coordination de la lutte et bien sûr nombre d‟universités
occupées par leurs étudiants. Si ces critères, et plus particulièrement le dernier évoqué, sont
pour partie ceux que retiennent également les médias, ils font surtout sens dans la mesure où
ils sont explicitement ceux qui furent retenus par les étudiants mobilisés. Pour construire ces
indicateurs32 renseignant l‟évolution des mouvements, nous avons croisés les chiffres issus
des estimations syndicales33 et ceux fournis par l‟Agence Française de Presse (AFP).
Evidemment, l‟appréhension des mouvements s‟appuya aussi sur le nombre de manifestants
lors des échéances de rues successives34.
1.1 – Un enseignement supérieur en pleine mutation
« Devenir l‟économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique
du monde, capable d‟une croissance économique durable accompagnée d‟une
amélioration quantitative et qualitative de l‟emploi. »
Objectif stratégique fixé pour l‟Europe de 2010,
Conseil Européen de Lisbonne, mars 2000
29
Dont 3597 pour la seule mobilisation de 2009, ce qui s‟explique à la fois par la durée de ce mouvement et le
mode de mobilisation spécifique des Enseignants-Chercheurs.
30
Je remercie à ce sujet Daniel Couapel, directeur de cabinet du président de l‟UPVJ, pour le travail d‟archivage
effectué par ses soins et gracieusement mis à ma disposition, ainsi qu‟Audrey Molis pour son précieux carnet et
au delà l‟ensemble de ses précieuses archives.
31
En prenant en compte le seuil de 500, tenu pour significatif par les militants car fournissant à l‟AG une pleine
« légitimité ».
32
Des tableaux récapitulatifs de ces chiffres peuvent être consultés en annexes (n°1 et 2) de ce travail.
33
Produits par la TUUD, la FSE, SUD Etudiant et la tendance Ecole Emancipée de la FSU. Pour le détails de ces
chiffres voir les annexes n°1 et 2.
34
Nous avons retenu, pour une question de source et de commodité, les chiffres syndicaux et non policiers. Cela
n‟est pas en réalité pour nous, qui nous intéressons à la dynamique des mobilisations, d‟une importance capitale :
malgré un écart parfois sensible lié aux stratégies syndicales et étatiques, les chiffres varient toujours dans le
même sens, à de très rares exceptions près.
19
Depuis le début des années 1970, les débats relatifs au système scolaire auraient pu
se résumer à l‟alternative massification / sélection : la massification scolaire Ŕ impulsée aux
alentours de 1968 puis relayée politiquement par la gauche au pouvoir dès 1981 Ŕ remettant
en cause, ou tout du moins rendant moins opérationnelle35, le rôle de reproduction sociale de
l‟appareil scolaire. Dès les années 1990, à la faveur de la reconfiguration du mode de
production capitaliste et de l‟ensemble des rapports de force sociaux induite par la
mondialisation néolibérale, la bataille entre partisans de la massification et ceux de la
sélection est devenue progressivement obsolète. L‟Université fut progressivement mise au
banc des accusés sur la question du chômage croissant des jeunes, et c‟est un questionnement
sur sa finalité même qui posa progressivement les nouveaux termes du débat public. D‟une
part, la nouvelle division internationale du travail, et les besoins économiques en main
d‟œuvre qualifiée qu‟elle impliquait, rendaient les élites économiques progressivement
favorables à l‟augmentation des effectifs dans le secondaire et le supérieur. D‟autre part la
marchandisation de nouveaux secteurs de la vie sociale, que recouvre le phénomène de
« mondialisation » et qui fut traduite par les impératifs internationaux de libéralisation des
services36, laissait envisager un projet nouveau pour les universités : la création d‟un marché
européen de la connaissance et du savoir d‟un nouveau style, à l‟aide des outils issus du
nouveau management public. Un tel projet, alliant massification de l‟enseignement supérieur
et mise sous tutelle des formations universitaires par les marchés, induisait de lui-même une
concordance entre titres et postes au sein de la hiérarchie sociale, répondant ainsi au problème
central que recouvrait le débat sur les bienfaits et méfaits de la massification scolaire. Il fut
mis en forme à la fin des années 1990, à travers le rapport Attali et le Plan U3M en France
(1998), puis à travers le processus de Bologne37 (1999) et la stratégie de Lisbonne (2000) à
échelle européenne. La déqualification des titres scolaires qui allait grandissante à travers
toute cette période, la hausse du chômage qui la renforçait, fournissait dans le même temps
une légitimité toujours plus grande à la teneur du nouveau débat sur la place et le rôle de
35
La reproduction s‟effectuant quoi qu‟il en soit par la diversification des réseaux de scolarisation, c'est-à-dire
par une multiplication de filières et d‟établissements scolaires socialement différenciés. Voir à ce sujet
BAUDELOT C. et ESTABLET R., L’école capitaliste en France, Maspero, 1972, et CHAUVEL L., «
Reproduction de la reproduction : massification, démocratisation, démographisation », Mouvements, n°5, pages
10-19.
36
Notamment à partir de la signature par 138 pays dont la France, en 1995, de l‟Accord Général pour la
Commercialisation des Services (AGCS).
37
Initié en 1998, ce dernier est au départ un appel des gouvernements français, britannique, allemand et italien à
la construction d‟un « espace de l‟enseignement supérieur européen » avant 2010. A postériori, il fut le point de
départ Ŕ comme l‟avaient pressenti les étudiants mobilisés en 1998 contre sa déclinaison française, le rapport
Attali Ŕ de la mise en place du marché de la connaissance que nous connaissons aujourd‟hui. 47 états sont
actuellement engagés dans le processus, bien avancé aujourd‟hui en France
20
l‟Université. Le mouvement étudiant de l‟automne 1998 mis à part, le rapport Attali passa
relativement inaperçu lors de sa parution. La première réforme politique d‟envergure de
l‟Université (LMD-LMU38) n‟intervint qu‟en 2003, sous la forme d‟une harmonisation
européenne des formations qui organisait dans le même temps l‟autonomie pédagogique et
financière des établissements. Si le mouvement de 1998 s‟organisa en dehors des deux
principaux syndicats étudiants (UNEF-ID et UNEF-SE39), la réforme de 2003 dut faire face à
une fronde étudiante plus puissante (l‟UNEF étant cette fois de plain pied dans la bataille) qui,
bénéficiant d‟un contexte politico-social défavorable au gouvernement du au mouvement
interprofessionnel pour la défense des retraites, obtint finalement le retrait de la LMU. A
partir de 2003 les réformes se succédèrent, provoquant des réactions en chaîne dans le monde
universitaire : lancement de la Loi d‟Orientation et de Programmation pour la Recherche et
l‟Innovation (LOPRI) en 2003, avec la création consécutive du collectif « Sauvons La
Recherche » (SLR) en 2004 ; mise en place de l‟Agence Nationale de la Recherche (ANR) en
2005 et du « Pacte Pour la Recherche » en 2006.
La précarité grandissait dans le même temps à l‟Université, pour ses usagers comme
pour son personnel. Côté salariés, le nombre de personnels non-titulaires augmenta plus de
deux fois plus vite que celui des titulaires entre 1998 et 2006 40 : en 2007, les personnels
contractuels représentent ainsi 24% de l‟ensemble du salariat universitaire41, EnseignantsChercheurs et BIATOS42 confondus. Côté usagers le taux de chômage des jeunes, en
augmentation depuis les années 1990, atteint en 2006 selon l‟INSEE le chiffre Ŕ record
européen en la matière Ŕ de 23,1%, contre 9,5% pour l‟ensemble de la population active. Pour
les étudiants plus spécifiquement, le déclassement, à la fois ressenti et réel, va croissant.
Inhérente à la massification et renforcée par le chômage, la baisse de la rentabilité des titres
scolaires atteint ainsi des sommets : en 2006, seuls 54% des titulaires d‟une Licence âgés de
30 à 35 ans deviennent cadres, contre 70% dans les années 197043. Dès 2003, l‟adaptation des
diplômes aux besoins des marchés et la réduction drastique du nombre de postes ouverts aux
concours de la fonction publique accentua toujours plus la déqualification de toute une
génération. Après la deuxième vague de massification universitaire du début des années 1990,
38
Loi de Modernisation Universitaire.
UNEF - Indépendance et Démocratie et UNEF Ŕ Solidarité Etudiante, organisations issues d‟une scission de
l‟UNEF en 1969, respectivement à dominante sociale-démocrate et communiste.
40
T. Pagnier, « L‟Université envahie par la précarité », L’Humanité, 16 mai 2006.
41
Rapport Schwartz, 2008, p.48.
42
Personnels de Bibliothèques, Administratifs, Techniques, Ouvriers et des Santé.
43
CHAUVEL L. « Les nouvelles générations devant la panne de l‟ascenseur social ». Presses de Sciences Po,
Revue de l’OFCE, n°96, 2006/1, pp. 44-49.
39
21
les origines populaires d‟une large part du milieu étudiant correspondent désormais au destin
social qui leur est promis. Ce rapprochement entre étudiants et salariés se cristallisera
d‟ailleurs en 2006, dans l‟opposition à la Loi sur l‟Egalité des Chances mais surtout à
l‟instauration du Contrat Première Embauche, qui risquait d‟assurer aux jeunes deux années
d‟extrême précarité avant d‟espérer accéder à l‟emploi stable. Intervenu à la suite de
nouvelles coupures dans les effectifs de postes ouverts aux concours, celui-ci mit le feu aux
poudres, faisant de la jeunesse, notamment dans sa composante étudiante, le fer de lance
d‟une mobilisation où l‟on ne l‟attendait guère. A la chaleur des débats en Assemblées
Générales, dans les discussions animant les squats de facultés, c‟est toute une génération Ŕ
sensibilisée précocement aux questions politiques autour du 21 avril 200244 Ŕ qui prenait peu
à peu conscience de la réalité du projet de société néolibéral45.
1.2 – La mobilisation éclair de l’automne 2007
« La grosse différence que je voyais moi avec le CPE c‟est que tous les syndicats
étaient derrière, tous les partis politiques de gauche étaient derrière, avec des
divergences bien sur mais tout le monde était derrière. A la LRU on était vraiment
SEULS, seuls seuls seuls, le mouvement social était vraiment seul… »
Daniel, syndicaliste à l‟UNEF-Amiens, interviewé en 2010
C‟est dans ce contexte qu‟intervient en août 2007 la promulgation de la loi LRU, loi
cadre du projet universitaire esquissé en 1998 et mouture améliorée de la défunte LMU.
Promettant l‟autonomie financière et patrimoniale des universités, elle fut la pierre angulaire
du chantier ouvert par le tout récent gouvernement Sarkozy sur l‟enseignement supérieur : la
« Nouvelle Université » devait être l‟un des piliers de la « France d’Après ». Jouissant d‟une
légitimité encore intacte après l‟élection présidentielle de mai 2007, celui-ci avait engagé les
négociations avec les organisations étudiantes dès le mois de juin, obtenant notamment
l‟accord de l‟UNEF (en reculant sur la question de la sélection à l‟entrée du Master et en
assurant le maintien du contrôle national des frais d‟inscription). Dès juillet 2007, les
discussions s‟engagent alors entre les organisations étudiantes minoritaires qui formeront le
44
Voir à ce sujet GEAY B. (dir.), La protestation étudiante. Le mouvement du printemps 2006, Raisons d‟Agir,
collection « cours et travaux », 2009 ; ou encore BRUSADELLI N., Ruptures et continuités dans le militantisme
étudiant. Essai de repérage d’une génération politique en gestation – Le cas de l’UNEF à Amiens entre 1995 et
2007, sous la direction de MM. BLOT D. et MAILLARD A., UPJV, 2008. Voir également l‟appel, lancé début
2011 par le Mouvement des Jeunes Socialistes et se présentant comme un « manifeste générationnel » : « nous
sommes la génération du 21 avril ».
45
Voir BRUSADELLI N., Ibid.
22
CECAU et appelleront dès la rentrée universitaire de septembre à un temps de mobilisation
nationale, le 23 octobre. Dans les villes où des manifestations auront lieu, elles ne compteront
ce jour qu‟un millier de personnes tout au plus. Les premiers barrages filtrants de sites
universitaires apparaissent néanmoins à cette occasion, le premier blocage de longue durée
intervenant 3 jours plus tard à Rouen, à l‟initiative des « Appellistes ». Les 27 et 28 octobre
2007, la première Coordination Nationale Etudiante (CNE) du mouvement voit le jour à
Toulouse, réunissant 36 délégués de 21 universités. A compter de cette date, le mouvement
étudiant va croissant, montant rapidement en intensité courant novembre. Le nombre
d‟universités bloquées passe ainsi de 4 à 15 entre le 6 et le 20 novembre, le nombre d‟AG
comprenant entre 500 et 2000 étudiants passant quant à lui dans le même temps de 9 à 19. A
la date du 8 novembre, 50 universités comptent ainsi en leur sein un comité de mobilisation
étudiant. Le nombre d‟universités envoyant des délégations à la CNE augmente de la même
manière, passant de 21 à la fin octobre à 46 au 17 novembre, et atteignant jusqu‟au chiffre de
67 le 24 novembre. Cette date représenta l‟apogée du mouvement étudiant, avec une
cinquantaine d‟universités en grève et une trentaine de sites universitaires bloqués totalement
ou partiellement. Le 20 novembre, seule date à laquelle l‟UNEF appela à manifester, près de
40 000 jeunes Ŕ lycéens et étudiants Ŕ descendent dans la rue. Ils seront moitié moins deux
jours plus tard, avec des cortèges rassemblant 20 000 personnes sur l‟ensemble du territoire.
La décrue fut presque plus rapide que la crue. Un peu plus de 15 jours plus tard, seules 23
délégations universitaires se présentent à la CNE de Nice du 8 décembre. Une semaine après,
à la CNE de Toulouse 3, elles ne sont plus que 15 à être représentées. A la date du 17
décembre, « l‟ensemble des universités ou presque ont levé les blocages », peut-on lire dans
la presse. Au 19 décembre, elles sont deux à maintenir l‟occupation, à Lille 3 et à Amiens.
De la mi-octobre à la mi-décembre, une cinquantaine de sites universitaires aura
ainsi été touchée par la mobilisation étudiante contre la Loi LRU à des degrés divers, sites
correspondant à la carte de l‟implantation des organisations formant le CECAU. Sorties
renforcées du mouvement contre le CPE un an et demi plus tôt, celles-ci ont réussi à
« lancer » des mouvements d‟ampleur dans les universités où elles étaient présentes,
développant Ŕ si l‟on en juge à l‟intensité ascendante de la mobilisation Ŕ un cadre d‟injustice
qui semble avoir fait écho à certaines dispositions du milieu étudiant de 2007. Le mouvement
étudiant chuta pourtant aussitôt lancé, notamment faute de relais institutionnels suffisants.
L‟UNEF s‟ « associera » aux mobilisations au début du mois de novembre, appellera à
manifester avec l‟ensemble de la fonction publique le 20 novembre, mais quittera la
23
coordination nationale le 25. Après
que la ministre de l‟enseignement
supérieur ait réunit les organisations
syndicales
représentatives
le
27
novembre,
et
de
la
création d‟un 6
l‟annonce
ème
échelon de bourse
ainsi que de l‟augmentation de 50%
du
budget
des
universités,
la
première organisation étudiante a
appelé à la levée des blocages. Le
groupe
parlementaire
Socialiste,
du
premier
Parti
parti
d‟opposition, annonça quant à lui dès
le 13 novembre son opposition au
blocage des universités. Enfin, les
étudiants mobilisés durent faire face
à l‟opposition de la Conférence des
Présidents
élevée
au
d‟Université
rang
(CPU),
d‟interlocuteur
privilégié du gouvernement, et farouchement opposée au mouvement de grève.
Si la
mobilisation étudiante avait profité de l‟élan lancé par la mobilisation cheminote contre la
réforme des régimes spéciaux de retraite, et profita du bref soutien institutionnel de l‟UNEF
pour monter en puissance, elle retomba comme un soufflet avec la fin du mouvement de grève
dans les transports et l‟appel de l‟UNEF à la fin de la grève étudiante. Dès la fin novembre, la
répression du mouvement étudiant s‟intensifia sur les universités, quasiment sans relais
médiatique46, augmentant encore le coût de la mobilisation pour ses protagonistes : les
dernières facs bloquées, comme ce fut le cas pour Amiens, comptent d‟ailleurs parmi celles
où les présidents d‟universités se sont refusé à faire intervenir les Compagnies Républicaines
de Sécurité. Isolé, le mouvement étudiant a cependant réussi à entraîner à sa suite un
mouvement lycéen conséquent (jusqu‟à une cinquantaine de lycées bloqués le 22 novembre),
et provoqua également un début de mobilisation chez les enseignants-chercheurs et le
personnel : Attac a ainsi soutenu le mouvement étudiant dès le 7 novembre, et le premier
46
Cette absence de couverture fut même l‟objet d‟un article du Canard Enchaîné, « Des choses qui n‟existent
pas », dans son édition du 12 décembre 2007.
24
appel de chercheurs et de personnels BIATOS fut lancé depuis une AG de Paris 8 le 16
novembre. C‟est finalement un nouveau collectif, « Sauvons L‟Université » (SLU), qui vit le
jour le 24 novembre autour de la parution d‟une tribune dans Le Monde (« Les présidents
d’Université ne parlent pas en notre nom »). Devenu pétition, ce texte recueillit plus de 3000
signatures seulement 10 jours après sa mise en ligne, assurant d‟ores et déjà large réseau et
audience au collectif SLU.
1.3 – L’Education Nationale en mouvement : du printemps 2008 au
printemps 2009
« En réalité il y a un seul succès de cette équipe gouvernementale, c‟est d‟avoir créé
contre elle un front que personne n‟a créé depuis au moins 40 ans. […] Nous avons
affaire à une régression intellectuelle, une agression sociale, un scandale absolu. […]
Il y a derrière toutes ces réformes une visée organisée, précise, […] de
désengagement financier de l‟Etat, de précarisation et de privatisation. […] C‟est le
plus grand coup porté à l‟Ecole de la République depuis Vichy. »
Georges Molinié, président de Paris 4, évoquant notamment
la « mastérisation » lors de l‟Appel de la Sorbonne de 9 févier 2009
Remue-ménage dans le monde éducatif
Au printemps 2008, précisément de la mi-mars à la fin du mois de mai, un
mouvement lycéen prend dans la jeunesse le relais du mouvement étudiant défait. Au plus fort
de la mobilisation, courant avril, ils sont près de 60 000 à descendre dans les rues pour
dénoncer les 11 200 suppressions de postes prévues pour la rentrée suivante. Les blocages
d‟établissements se multiplient ainsi en avril et en mai, touchant même en région parisienne
de nombreux collèges, sans pour autant obtenir satisfaction sur leurs revendications.
L‟argument des caisses vides, jusqu‟ici mis en avant par le gouvernement, sembla cependant
perdre de son efficacité à l‟automne suivant. A la suite du « krach financier de l‟automne
200847 » et du plan de sauvetage des banques mis en œuvre début octobre48, c‟est toute
l‟éducation nationale qui se met alors en mouvement. A l‟appel du collectif nouvellement créé
« un pays, une école, un avenir », regroupant 25 organisations syndicales et associatives,
80 000 personnes défilent dans les rues le 18 octobre, dénonçant pêle-mêle la fermeture des
Centre d‟Insertion et d‟Orientation (CIO), la disparition des Réseaux d‟Aide Spécialisés aux
47
Olivier Pastré "La crise des subprimes et ses conséquences", Questions internationales, n°34, novembredécembre 2008, p. 26
48
Le gouvernement français s‟engagea à garantir les opérations des banques à hauteur de 320 milliards d‟euros,
auxquels il faut ajouter 40 milliards d‟aide à la recapitalisation.
25
Elèves en Difficultés (RASED), le budget prévisionnel 2009, la réforme du lycée initié par X.
Darcos et la réforme de la formation des enseignants49. L‟enseignement supérieur ne fut quant
à lui pas en reste très longtemps. Dès le lendemain, le 19 octobre, l‟UNEF appelle à des AG
dans toutes les universités pour dénoncer les conditions de vie et d‟études des étudiants. Sans
succès, l‟organisation étudiante tente même de pousser l‟intersyndicale du supérieur50, réunie
le surlendemain, à poser une date de mobilisation courant novembre. C‟est finalement la
ministre de l‟enseignement supérieur et de la recherche qui enclencha Ŕ en présentant un
projet de décret réformant le statut des EC le 21 octobre Ŕ une nouvelle phase inédite de
mobilisation dans les universités. A compter de cette date, les Conseils d‟Administration des
universités votèrent les uns après les autres des motions de protestations, en premier lieu
contre la réforme de la formation des enseignants. Le 8 novembre, une AG regroupant à Paris
7 des étudiants, des EC, des parents d‟élèves et des enseignants lancèrent un appel contestant
la réforme de la formation des enseignants, la désormais nommée « mastérisation ». Réforme
pivot dans les bouleversements structurels touchant l‟enseignement supérieur, l‟enseignement
secondaire et l‟enseignement primaire, cette dernière fournit un socle analytique et
revendicatif commun à tout un pan du monde de l‟éducation : le 11 novembre, prévoyants, le
Ministère de l‟Education Nationale et celui de l‟Enseignement Supérieur et de la Recherche
lancent d‟ailleurs, chacun dans leur domaine de compétences, un appel d‟offre relatif à la
mise en place d‟une « veille de l’opinion » sur internet. Au mois de novembre la mobilisation
allait croissant dans les 1ers et 2nd degrés, au point qu‟une grève massive voyant le jour le 20
novembre dans les écoles51 fut bientôt rejointe par les établissements du secondaire52 : le 1er
degré comptabilise ce jour 70% de grévistes, les lycées et collèges 50%. Sur les universités
l‟UNEF, qui a pris le parti depuis la fin octobre de lancer seule une mobilisation sur les
universités, se joint alors également aux appels à la manifestation. En référence explicite au
plan de sauvetage des banques, elle avance alors le mot d‟ordre « priorité à l’éducation » et
réclame un plan social à destination des étudiants, l‟amélioration de l‟encadrement, une autre
réforme de la formation des maîtres et l‟égalité entre étudiants comme entre universités. Au
49
Cette réforme visait à faire passer le niveau de recrutement des enseignants de bac +3 à bac +5, en supprimant
au passage la prise en charge par le ministère de l‟année de formation professionnelle ainsi que le concours de
pré-recrutement. En détruisant les IUFM, en augmentant la sélection (notamment financière, avec la disparition
de l‟année de « stage rémunéré ») des étudiants ou encore en régionalisant la formation dans le cadre
d‟universités « autonomes » (laissant ainsi planer des doutes sur le maintien à long terme du concours national),
cette réforme fédéra autour d‟elle des oppositions multiples.
50
Comprenant l‟UNSA, la FSU, l‟UNEF, la FSE et SUD.
51
A l‟appel du SNUIPP-FSU, du SE-UNSA et du SGEN-CFDT
52
A l‟appel du SNES, du SNEP, du SNUEP, de l‟UNSA, du SNALC, de l‟UNSEN-CGT, de la CGC et du
SNETAA
26
lendemain de cette grande journée de mobilisation, des actions sont entreprises dans une
multitude de départements, de l‟organisation d‟une « nuit des écoles53 » à celle d‟une nouvelle
journée de grève. En cette fin novembre, c‟est également dans les IUT qu‟une mobilisation
prend corps. A l‟initiative de leurs directeurs, qui mettent en cause la fin des financements
fléchés, concomitante de la loi LRU, les étudiants manifestent pour la première fois le 25/11
et descendront ensuite régulièrement dans la rue tout au long du printemps 2009.
L‟Assemblée des Directeurs d‟IUT se garda toutefois, dénonçant les manifestations
« politiques » des étudiants dans les universités et appuyant malgré tout la logique
d‟autonomie des universités54, de mêler leurs actions à celles du reste du monde de
l‟éducation, y compris à celles des stricts effectifs du supérieur. Ces derniers quant à eux se
retrouvent pour la première fois dans la rue, sur leurs propres mots d‟ordre, le 27 novembre55,
journée qui réunit plusieurs milliers d‟étudiants et de personnels Ŕ enseignants comme nonenseignants Ŕ dans 11 villes du pays. On compte même, ce jour, une tentative ratée de blocage
du Conseil d‟Administration du CNRS (le CA fut finalement délocalisé sous protection de
gardes mobiles). Le lendemain, pour la première fois, un congrès extraordinaire des 3 conseils
centraux d‟une université, en l‟occurrence à Lille, s‟oppose au projet de décret réformant le
statut des EC.
C‟est cependant au mois de décembre que les rythmes de mobilisation franchirent un
cap. Le 7 décembre, ce sont les étudiants et personnels des IUFM Ŕ dont certains sont d‟ores
et déjà bloqués et occupés Ŕ qui battent le pavé. A la date du 10 décembre, qui connait une
nouvelle journée de mobilisation des 1ers et 2nd degrés, on dénombre sur le territoire national
14 comités de mobilisation unitaires « de la maternelle à l’université », principalement
formés sur la base du rejet de la mastérisation. Comme en écho médiatique aux mobilisations
de la jeunesse grecque, la mobilisation lycéenne prend de l‟ampleur dès le lendemain, avec
plus d‟une centaine d‟établissements du secondaire bloqués, principalement dans l‟ouest du
pays. Une étape est franchie le 12 décembre dans le monde étudiant, avec une première grève
active votée à l‟université de Clermont-Ferrand, occupée par ses étudiants au mot d‟ordre de
53
Occupation d‟écoles à l‟initiative des enseignants et parents d‟élèves, notamment membres de la Fédération
des Conseils de Parents d‟Elèves (FCPE), très active à l‟automne 2008 comme au printemps 2009.
54
L‟ADIUT réclamait, tout au long de la mobilisation institutionnelle et de la mobilisation de rue qui s‟est étalée
de l‟automne 2008 à l‟automne 2009, des garanties de mise en œuvre d‟une « autonomie dans l‟autonomie »,
pour reprendre les termes de J.F Mazouin, président de l‟ADIUT, lors de la journée de mobilisation des
responsables d‟IUT (10/11/09).
55
Outre la mastérisation et le projet de décret réformant le statut des EC, ce sont les 900 suppressions de postes
prévues pour la rentrée 2009 et le démantèlement du CNRS qui furent mis dans la balance à compter de cette
journée.
27
« l’éducation ne paiera pas votre crise » : ces derniers réclament le retrait de la mastérisation,
la restitution des 80 000 postes supprimés dans le secondaire, des 900 supprimés dans le
supérieur, l‟augmentation des budgets et l‟abrogation de la loi LRU. Dans les jours qui
suivent la mobilisation lycéenne monte encore en puissance, et les commentaires faisant le
parallèle avec la mobilisation de la jeunesse grecque Ŕ devenue quasiment insurrectionnelle Ŕ
se multiplient. Le 15 décembre, au cœur d‟une nouvelle journée massive de mobilisation à
l‟initiative du collectif « un pays, une école, un avenir », X. Darcos, ministre de l‟Education
Nationale, annonce finalement le report de la réforme des lycées. Le pouvoir, pour certains
commentateurs, craint alors « non pas une grève organisée », mais « une réaction spontanée,
anomique, violente et radicale qui s’appuierait, à l’image de la Grèce, sur la jeune
génération diplômée et intégrée56 ». Le jour même, les 8 confédérations syndicales françaises
lancent un appel à une journée de grève interprofessionnelle le 29 janvier, tandis que le
Conseil National de l‟Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER) rejette le budget
2009 par un vote unanime de toutes les forces syndicales. Le 16 décembre, alors que la
Guadeloupe toute entière connait son premier jour de grève générale, des milliers de lycéens
de l‟hexagone sont toujours dans la rue, rejoints dès le lendemain par les élèves des Institut de
Formation en Soins Infirmiers (IFSI). Le 18 décembre, ils sont 160 000 à défiler dans toute la
France, avec plus de 150 lycées bloqués. L‟UNEF demande, quant à elle, à rencontrer V.
Pécresse quant au « malaise de la jeunesse » gagnant, après les IUT, les universités. Vers la
fin du mois de décembre, c‟est également la mobilisation des EC qui prend de l‟ampleur, avec
pas moins de 5 CA Ŕ dont celui, hautement symbolique en milieu universitaire, de Paris 1
Sorbonne Ŕ refusant de remonter à leur ministère de tutelle les maquettes des tout nouveaux
masters « IUFM ». A la veille de la « trêve des confiseurs », un état d‟ébullition règne dans
l‟ensemble du monde de l‟éducation, mis en suspens par les vacances scolaires. Une dernière
initiative commune des organisations de jeunesse, qui organise à Paris un rassemblement de
solidarité contre la répression s‟abattant sur les jeunes grecs, clôt ainsi le 20 décembre une fin
d‟année « mouvementée ».
La fronde des Enseignants-Chercheurs
Le 8 janvier, alors que le nombre de lycéens reprenant le chemin de la rue a déjà
sensiblement baissé, relativement à la fin décembre (10 000 manifestants partout en France),
X. Darcos s‟attelle à éteindre les dernières braises de la mobilisation des 1ers et 2nd degrés en
56
Pour reprendre les termes du politologue D. Reniée, cité par le Courrier Picard, édition du 15 décembre 2008.
28
diminuant de moitié des suppressions de postes prévues dans les RASED. Dans
l‟enseignement supérieur à l‟inverse, les choses s‟accélèrent : des présidents d‟universités
dénoncent dès le 5 janvier, dans une lettre ouverte à N. Sarkozy, l‟état de tension sur les
campus ; un premier appel à la grève des enseignements, émanant de Paris 7, voit le jour le 8
janvier ; et à la date du 14 janvier, 70 CA d‟universités ont voté une motion dénonçant l‟une
ou l‟autre des réformes controversées, voire les deux. Si la mobilisation des universitaires
gagne en intensité, les différentes mobilisations sectorielles gagnent, elles, en cohérence, avec
la parution le 9 janvier de l‟ « Appel des appels » : lancés par des professionnels du soin, de
l‟éducation, de la justice et de la culture mobilisés, celui-ci vise à rendre public les thèses du
« Nouveau Management Public » à l‟origine des réformes en cours dans les différents
secteurs. Renforcée par les quelques 60 000 personnes qui défilent dans les rues du pays le 17
janvier pour « la défense du Service Public d‟Education57 », la mobilisation Ŕ à forte
dominante institutionnelle Ŕ des EC bat son plein dans la seconde quinzaine de janvier. Le 18
janvier, 70% des présidents et vice-présidents de la CPU signent ainsi un texte appelant au
retrait du projet de décret statutaire. Le 22 janvier, conjointement à la faveur du discours
programmatique sur la recherche prononcés par N. Sarkozy58 et de la tenue de la première
Coordination Nationale des Universités (CNU), le mouvement des universitaires franchit un
pallier supplémentaire, bénéficiant également de l‟emballement général des rythmes de
mobilisation. Depuis le 20 janvier les salariés guadeloupéens Ŕ après quelques journées
d‟actions disséminées courant décembre et début janvier Ŕ entrent en grève générale
reconductible, et ils seront 24 000 (soit plus de 50% des habitants de Pointe-à-Pitre) dans les
rues au 24 janvier. Dans l‟ensemble des secteurs l‟approche de la journée de grève
interprofessionnelle du 29 janvier, d‟ores et déjà soutenue par 68% de « l‟opinion »59, joue un
rôle de catalyseur. Avec ses 2,5 millions de participants partout en France, dont un cortège de
plus de 8 000 étudiants et enseignants-chercheurs à Paris, celle-ci eu un effet galvanisant sur
57
A l‟appel de l‟ensemble des fédérations de l‟Education Nationale, de l‟UNEF, de la FIDL, de l‟UNL et de la
FCPE.
58
Dans son discours, N. Sarkozy mettra en cause la productivité des chercheurs, due à leur absence présumée
d‟évaluation, dénonçant la mobilisation enseignante comme relevant des « forces du conservatisme et de
l’immobilisme » : « C’est un système assez génial, celui qui produit est en même temps celui qui s’évalue. Je vois
que ça peut être confortable, mais qui peut penser que c’est raisonnable ? ». Ce discours, prononcé à l‟occasion
de la remise du nobel de physique à Albert Fret, suscita une réponse publique de ce dernier quelques jours plus
tard. Pour écouter une partie du discours présidentiel, URL : http://www.youtube.com/watch?v=iyBXfmrVhrk.
59
CSA, sondage mené sur un échantillon représentatif de 1007 personnes âgées de 18 ans ou plus, paru le
25/01/2009. Sur la notion d‟ « opinion publique » voir BOURDIEU P., « L'opinion publique n'existe pas », Les
Temps modernes, n°318, 1973, p. 1292-1309.
29
les troupes militantes actives dans les différents secteurs en lutte60 (notamment parce qu‟elle
fut jaugée, comme souvent en de pareils cas, aux dernières mobilisations victorieuses de
même nature61). Dans le supérieur, comme l‟a annoncé la dernière CNU62, un mouvement de
grève commence donc le 2 février (« le 2 février, l’Université s’arrête »), totalisant ce jour
45% de grévistes. Dans la première quinzaine de février, durant laquelle vont s‟émailler des
nuits des collèges, des IUFM, des écoles et des universités63, la mobilisation des enseignantschercheurs monte en puissance. Celle-ci bénéficia du soutien actifs des étudiants : après le
lancement d‟un appel à la jeunesse (« nous ne serons pas la génération sacrifiée64 ») et
l‟occupation d‟une première université à Rennes, l‟UNEF appelle dès le 4 février à la grève
étudiante sur les universités65. Le 5 février, tandis que la grève générale se poursuit66 dans les
Départements d‟Outre Mer (DOM), 60 000 personnes battent le pavé à l‟appel de la CNU et
de l‟ensemble des syndicats du supérieur. Le lendemain, plusieurs présidents d‟Universités
lancent un nouvel appel, l‟ « appel de la Sorbonne ». Le président de cette dernière, G.
Molinié, dénonce à cette occasion « le plus grand retour en arrière depuis Vichy », évoquant
Ŕ au sujet de la réforme des IUFM Ŕ « une régression intellectuelle, une agression sociale, un
scandale absolu ». La majorité gouvernementale perdit dans les jours qui suivirent plusieurs
de ses soutiens, d‟A. Kahn (président de Paris 5 et défenseur de la première heure de
l‟autonomie des universités) à certains députés de sa propre majorité politique. A la veille des
vacances pour un bon nombre d‟universités, une mobilisation massive Ŕ la plus importante
qu‟ait connue l‟enseignement supérieur au cours de cette mobilisation Ŕ voit le jour le 10
60
Le 29 janvier 2009, on comptabilise à minima des appels à la grève de quasiment tous les fédérations
syndicales ou organisation associatives dans les secteurs suivants : fonction publique territoriale, éducation,
SNCF (UNSA mise à part), RATP (6 syndicats sur 8), aéroports, Justice, audiovisuel public, France Telecom, La
Poste, Energie, Retraités, Chômeurs (Agir contre le Chômage, Association Pour l‟Emploi, l‟Information et la
Solidarité, Mouvement National des Chômeurs et des Précaires), service public de l'emploi, Construction navale,
Banques, Renault, Peugeot, pilotes d'hélicoptères, etc.
61
Dans le cas de cette mobilisation interprofessionnelle, les deux exemples de mouvements sociaux ayant réussi,
sans appui politique, à faire reculer un gouvernement remontent à 1995 et 2006. Respectivement, ces
mobilisations avaient réunies 2 millions et 3 millions de salariés.
62
Relayée par l‟ensemble des forces syndicales. Outre le retrait de la mastérisation et du projet de décret
statutaire, la première coordination demanda également que soit mise en place une concertation en vue d‟une
nouvelle loi cadre pour l‟enseignement supérieur, la titularisation des personnels précaires, la restitution des
postes supprimés début 2009 et le retrait du projet de « contrat doctoral unique ».
63
De région parisienne majoritairement
64
Lancé le 2/02 par l‟UNEF, la Confédération Générale du Travail (CGT) « jeunes », Force Ouvrière (FO)
« jeunes », l‟Union Nationales des Syndicats Autonomes (UNSA), l‟Union Nationale Lycéenne (UNL), La
Mutuelle Des Etudiants (LMDE), Génération Précaires et Jeudi Noir.
65
Avec une plate-forme de revendications comprenant le retrait du décret statutaire, le retrait de la Réforme de
l‟Allocation des Moyens alloués aux Universités 65 (RAMU) et l‟abandon des suppressions de postes. Comme
nous le verrons dans la seconde partie de ce mémoire, l‟UNEF n‟appellera jamais à l‟abrogation de la LRU
comme le réclamaient l‟écrasante majorité des AG étudiantes, à commencer par les étudiants de Rennes
occupant leur université dès le début du mois de février.
66
Avec 25 000 manifestants en Martinique
30
février, avec plus de 100 000 manifestants partout en France. Avec 75 établissements
d‟enseignement supérieur représentés à la CNU du 11 février, la mobilisation des
enseignants-chercheurs est alors à son zénith, tandis que le nombre de manifestants bat à la
même période des records à Pointe-à-Pitre, atteignant jusqu‟au chiffre de 120 000 le 9 février.
Tandis que les autres mobilisations sectorielles, telle celle des hospitaliers, se poursuivent
voire gagnent en intensité, la mobilisation à l‟Université connait dans la seconde moitié du
mois de février une légère décrue, largement due à l‟irruption des périodes (différées) de
vacances scolaires. Le nombre de manifestants diminuant (55 000 le 19 février) la
confrontation se noue alors en partie autour de la remontée des maquettes de master
« IUFM » : initialement fixée au 15 février, la date prévue pour la remise de celles-ci est
finalement repoussée d‟un mois et demi, enclenchant une nouvelle période de lutte à leur sujet
dans les universités.
Le relais étudiant, « Acte 2 » du mouvement anti-LRU
Tandis que le mouvement des enseignants-chercheur montre en cette fin février
quelques signes de faiblesse, les comités de mobilisation étudiants trouvent quant à eux
depuis le début du mois quelques difficultés Ŕ malgré les effectifs conséquents qui
commencent à être comptabilisés en AG Ŕ à entraîner la grande masse des étudiants dans
l‟action. Dans les directions des organisations étudiantes, en tous cas dans celle de l‟UNEF,
décision est donc prise de chercher à construire un mouvement étudiant « en propre », c'est-àdire connaissant ses propres rythmes et plates-formes revendicatives, mais surtout se donnant
les moyens d‟empêcher la tenue des cours à l‟Université. Cette décision ne pouvait trouver
qu‟un écho dans les facs, avec des étudiants bien souvent pris entre deux feux, une grande
partie des cours qui étant en réalité assurés malgré le mot d‟ordre de grève. Le mouvement
étudiant, qui stagna à un point d‟équilibre tout au long du mois de janvier, monte
effectivement en puissance au cours du mois de février. Si on peut dénombrer, à la date du 4
février, 13 universités connaissant des AG de plus de 500 participants pour un total de 35
comités de mobilisations étudiants existants, ce chiffre passe à 26 le 10 février, et celui des
comités totalisés à 57. Après une première CNE à Rennes le 15 février, qui vote en bloc
l‟abrogation de la loi LRU, la tension monta d‟un cran sur les campus : le nombre d‟AG
comprenant plus de 500 participants s‟élève à 33 le 18 février, le nombre de comités de
mobilisation existants à 72 et le nombre d‟universités bloquées à 10. Les étudiants ayant pris
le parti de continuer à intervenir dans les CNU malgré la mise sur pied de leurs propre
31
instances de coordination, cette
phase
ascendante
de
leur
mouvement se répercute Ŕ tant
quantitativement
que
qualitativement Ŕ sur la CNU du 20
février,
réunie
à
nombre
Nanterre :
le
d‟établissements
représentés s‟élève alors à 80 (plus
16 associations et syndicats), mais
surtout la CNU appelle pour la
première fois à l‟abrogation de la loi
LRU,
cohérent
dénonçant
de
la
un
« projet
maternelle
à
l’université »67. L‟annonce de la
réécriture du décret statutaire le 25
février, les craintes de voir à sa suite
les EC déserter la mobilisation, les
effectifs
déclinant
(vacances
obligent) des manifestations68 et
l‟approche de la nouvelle échéance
interprofessionnelle le 19 mars renforça chez les syndicalistes la volonté de construction du
mouvement étudiant. De la fin février à la mi-mars, l‟ensemble des comités de mobilisations
s‟acheminent ainsi doucement vers l‟occupation des universités, testant au passage Ŕ dans le
souci d‟éviter la désertion des campus que le blocage dur des établissements avait produit en
2007 Ŕ de nouvelles modalités d‟action visant à empêcher la tenue des cours : occupations de
nuit, blocages « souples » ou « partiels », « printemps des chaises » ou encore « barrages
filtrants ». Au 14 mars, le nombre d‟universités occupées, partiellement ou totalement, s‟élève
à 25, le nombre d‟établissements « perturbés » atteignant quant à lui le chiffre record de 81.
Trois jours plus tôt, à l‟occasion d‟une nouvelle journée de mobilisation « de la maternelle à
67
La CNU appelle à de nouvelle dates, dont le 19/03, à la démission des charges administratives non électives, à
l‟obstruction dans le cadre des mandats électifs et au boycott des jurys de Bac si le gouvernement ne retire pas le
décret avant le 5 mars.
68
Avec 40 000 personnes sur l‟ensemble du territoire le 27/02.
32
l‟Université69 », 60 000 personnes étaient descendues dans la rue, malgré les tentatives de
négociation avec les organisations syndicales initiées par V. Pécresse et l‟annonce de
l‟étalement sur deux ans de la mastérisation. Contrairement à son positionnement lors de la
mobilisation de 2007, le PS Ŕ accompagné du PCF et des Verts Ŕlance à la mi-mars une
consultation sur l‟Enseignement Supérieur, auditionnant les leaders enseignants de la
mobilisation. A l‟approche du 19 mars, nouvelle date de mobilisation interprofessionnelle à
l‟appel des 8 confédérations syndicales, le mouvement étudiant franchit un second et dernier
cap. Si c‟est au total une trentaine d‟universités qui sont bloquées dans le courant du mois de
mars, une vingtaine de ces occupations voient le jour aux alentours Ŕ et souvent à l‟occasion Ŕ
du 19 mars : de 25 universités bloquées et occupés le 14 mars, on atteint le chiffre de 54 à la
date du 25 mars. Avec 3 millions de manifestants dans l‟ensemble du pays, la journée du 19
mars inscrivit, en tous cas pour les étudiants en lutte, la mobilisation interprofessionnelle dans
une pente ascendante. Dans l‟attente de la journée du premier mai, prochaine journée de grève
interprofessionnelle, le mouvement étudiant se fige alors à un point d‟équilibre, avec
seulement 3 universités supplémentaires bloquées et occupées courant avril. Tout au long du
mois d‟avril s‟engage ainsi, pour les étudiants comme pour les enseignants, une période où il
faut « tenir », s‟inscrire dans la durée, phase qui fut illustrée par les débuts de la « ronde des
obstinés » parisienne le 23 mars. Au fil des annonces de recul gouvernemental (maintien des
concours en l‟état pour l‟année universitaire qui suit, rétablissement de 130 postes dans la
recherche dont 90 pour le CNRS, modification du décret statutaire 70 et rémunération des
stages étudiants de plus de deux mois) et des jours qui défilent, le mouvement subit malgré
tout un léger fléchissement : alors qu‟on dénombre au 1er avril 75 universités71 en grève, elles
ne sont plus que 51 lors de la CNU du 28 avril, dont 44 occupées. Dans la rue, le constat est le
même, et ce malgré la multiplication des instances de coordinations des luttes (BIATOS-ITA,
parents-enseignants, formation des enseignants, labos en lutte) : 30 000 personnes le 26 mars ;
25 000 le 2 avril, journée pourtant initiée par l‟ensemble des organisations du collectif « un
pays, une école, un avenir » ; et 20 000 lors de la journée de manifestation commune avec les
hospitaliers du 28 avril. Le mois d‟avril est la période des actions « coup de poings »,
permettant de rythmer l‟attente des étudiants et enseignants mobilisés, avec notamment des
69
A l‟appel de la CNU, de la CNU, de l‟intersyndicale du supérieur et de syndicats du primaire et du secondaire.
Il faut également noter que, depuis 3 semaines, les établissements de maternelle connaissent des opérations
« accrochons nous à notre école » via le réseau « hussard noir » (en 3 semaines, les établissements touchés
passent de 1 à 428)
70
Le nouveau décret stipule alors que la modulation de service ne pourra se faire sans l‟accord écrit des
intéressés, et que les heures supplémentaires dans le cadre de cette modulation seront rémunérées.
71
Et toujours, par ailleurs, 34 IUT en grève.
33
tentatives récurrentes d‟occupations de lieux symboliques, Sorbonne ou CNRS. C‟est
également le mois des ultimes tentatives de luttes « institutionnelles », avec entre autres un
appel à la suspension de la réforme des IUFM signé par l‟intersyndicale de l‟Education
Nationale, par des chefs d‟établissements, la CNU et la CNE, SLR et SLU, des conférences
de doyens (de lettres, de langues, des arts, des SHS, ou encore des sciences de la nature) et
des sociétés savantes. A la veille de la 3ème journée d‟action interprofessionnelle du 1er mai, la
9ème CNU avance en dernier recours la possibilité d‟une non-organisation des examens.
Symptomatiquement, une grève de la faim, technique de lutte souvent prisée des groupes
dénués de ressources militantes, est démarrée par un EC de Caen à la toute fin du mois
d‟avril. A l‟occasion du 1er mai, si les commentateurs ne manquent pas de relever que Ŕ fait
historique depuis 1945 Ŕ toutes les centrales syndicales défilent ensemble, le nombre de
manifestants est en recul au l‟aune de ce que furent les manifestations du 29 janvier et du 19
mars, avec 1.2 millions de participants. Le 3 mai, la « ronde des obstinés » tourne depuis
mille et une heure. Le 4 mai, les huit confédérations syndicales font finalement paraître un
communiqué de presse appelant à une journée d‟action décentralisée le 26 mai et à des
manifestations le 13 juin. Les troupes d‟étudiants mobilisés, qui nourrissaient dans leur
majorité l‟objectif d‟une convergence interprofessionnelle des luttes et restaient en attente
d‟une accélération des rythmes, connaissent un lourd reflux. Le chiffre des universités
occupées baissent drastiquement début mai : 44 universités le 28 avril, 20 le 5 mai et 10
seulement le 18 mai. Après l‟annonce du maintien d‟une année de stage pour l‟année 20102011, les syndicats (UNEF, UNSA, FSU, SGEN-CFDT) voient un quasi-report de la réforme
de la mastérisation. A la mi-mai, V. Pécresse reçoit les organisations étudiantes
représentatives et annonce finalement le maintien d‟un mois de bourses supplémentaires pour
les étudiants qui auraient des partiels décalés. Le 27 mai seules 5 universités, dont Amiens,
restent occupées.
2 – Les formes des mouvements : zoom sur le cas amiénois
Comme on peut s‟en apercevoir à la lecture de cette histoire, très évènementielle,
des mobilisations récentes, le cycle de réforme qui commence au début des années 2000 et qui
trouve son point d‟orgue dans la fin de la décennie à déclenché une vague de protestation
majeure à l‟Université. Côté étudiant, pour la première fois dans l‟histoire de l‟université
française, une même réforme réussit à provoquer deux mobilisations en chaîne. Du côté des
34
enseignants-chercheurs, l‟existence même d‟une fronde d‟une telle intensité et inscrite dans la
durée parle d‟elle-même. A la fin des deux mouvements, des grèves de la faim sont même
opposées à tour de rôle aux pouvoirs publics, témoignant au moins autant de la détermination
des troupes militantes que les dénominations de certaines actions employées : ronde
« infinie » des obstinés ou grève « illimitée » sur les universités. Relativement distinctes à
leurs débuts, les deux mobilisations finirent cependant par se conjuguer, tant en termes de
revendications (abrogation de la loi LRU et de ses « décrets d‟application ») qu‟en termes de
modalités d‟action. Dans les AG de facultés et dans la Coordination Nationale des
Universités, c‟est une perception commune du monde Ŕ un « cadre d‟injustice » commun Ŕ
qui s‟est construit progressivement, donnant ainsi consistance à la « communauté
universitaire » dans le temps de passage donné à l‟existence d‟une cohorte étudiante. Une
telle construction ne voit cependant pas le jour dans un délai aussi bref, et le mouvement
universitaire de 2009 n‟est pas uniquement l‟effet social du cycle de réforme qui trouve son
origine en 1998 : loin d‟une simple réaction à la précarisation simultanée de l‟ensemble des
corps sociaux de l‟université, il pourrait bien plutôt être l‟aboutissement d‟une construction
proprement politique effectuée dans le temps même de cette précarisation Ŕ c'est-à-dire au fil
des mouvements étudiants des années 2000 Ŕ et transmise au sein des organisations instituées.
Nous allons maintenant rapprocher le focus sur le cas des mobilisations amiénoises, de
manière à mettre en lumière leurs réalités discursives et pratiques, saisies dans leur
généalogie. Dans ce but, et outre les données de type ethnographiques que j‟ai pu recueillir à
partir de ma propre expérience, c‟est l‟étude de 59 tracts amiénois et de 4 cahiers de
mobilisations syndicaux qui s‟avéra précieuse. Si nous fragmenterons les différents aspects
des mouvements, pour les besoins de l‟exposé et à l‟aide de concepts complémentaires, nous
tâcherons également dans le même temps Ŕ en nous appuyant également sur les résultats
d‟enquêtes précédentes Ŕ de saisir les modalités dans lesquelles ces éléments se mêlent les uns
aux autres et se répondent pour faire système dans le cours, devenu habituel, des
mobilisations d‟une certaine jeunesse.
2.1 – Un cadre d’injustice néo-marxiste
« Avec le plan U3M, couplé au rapport Attali, se dessinait du coup très
nettement l'université d'aujourd'hui... . Et donc vous voyez, avec votre
mouvement de cette année, vous êtes en plein dans ce qui était prévu par nous en
1998 »
Fred, syndicaliste à l‟UNEF-Amiens de 1996 à 2000, interviewé en 2008
35
Le concept de « cadre d‟injustice » permet de prendre en compte l‟influence des
représentations dans un processus de mobilisation. Il fut mis en avant pour la première fois
par W. Gamson72, qui transposa à l‟étude des mouvements sociaux la notion goffmanienne73
de « cadre de l‟expérience » pour souligner la production et l‟adoption systématique, lors des
phases préparatoires d‟une action collective, d‟une grille de perception commune de la
situation. Dans la même étude, microsociologique et expérimentale, Gamson dégageait
plusieurs variables qui « mènent à la rébellion », dont la plus importante réside dans la
présence d‟individus ayant un savoir-faire, des dispositions et une expérience protestataires.
La tâche décisive d‟accumulation puis de mobilisation de ces ressources immatérielles Ŕ mais
aussi de ressources matérielles : capacités de « tirages » de tracts, local de réunion, etc. Ŕ
demandent toujours une forme minimale d‟organisation, que J. Mc Carthy et M. Zald 74 ont
conceptualisée sous le nom d‟Organisation de Mouvement Social (SMO). Selon ces derniers,
les SMO sont les seules à pouvoir donner forme et visibilité à des opinions individuelles
dispersées, en « définissant, créant et manipulant » le mécontentement. A Amiens, c‟est une
analyse en tous cas partagée par les acteurs non syndicalistes des mobilisations étudiantes :
« Là j’y suis retourné [dans le syndicat] parce qu’il fallait potentiellement faire partir un
mouvement à la rentrée et puis ben, l’appareil qui durait et qui allait faire repartir le truc
c’était l’UNEF, forcément », raconte ainsi Cyril, étudiant mobilisé à la faculté des sciences en
2007 et en 2009. Prenant en compte l‟ensemble de ces éléments, D. Snow75 a affiné le
concept de cadre d‟injustice en le mobilisant pour l‟étude d‟un processus de mobilisation, non
expérimental cette fois. Ce dernier dégage ainsi un nouveau processus, l‟« alignement des
cadres », qui désigne la relation s‟établissant entre les « interprétations des situations par les
individus et par les organisations de mouvement social, de telle façon que certains intérêts,
valeurs et croyances des individus, et certaines activités, buts ou idéologies des mouvements
sociaux sont congruents et complémentaires76 ». Partageant son constat, qui pose l‟alignement
des cadres comme condition sine qua non de l‟existence d‟un mouvement social, nous
tenterons donc ici d‟explorer le(s) cadre(s) d‟injustice des mobilisations de 2007 et de 2009 en
prenant en compte l‟ensemble des tracts compilés Ŕ des tracts syndicaux de début de
72
GAMSON W., FIREMAN B., RYTINA S., Encounters with injust authority, Homewood, The Dorsey Press,
1982.
73
GOFFMAN E., Les cadres de l’expérience, Editions de Minuit, coll. “Le sens commun”, 1991.
74
McCARTHY J. & ZALD M., « Resource mobilization and social movement : a partila theory », Américan
Journal of Sociology, 1977, pp. 1212-1241.
75
SNOW D. A., ROCHFORD E. B., WORDEN S. K., BENFORD R. D., “Frame alignment processes,
micromobilization and movement participation”, American Sociological Review, vol. 51, pp. 464-481, 1986.
76
Ibid.
36
mouvement aux tracts diffusés par le comité de mobilisation77. Nous nous attacherons par
contre au passage à expliciter l‟évolution, dans le cours même du mouvement et en tenant
compte des différentes visées militantes, du cadre d‟injustice mobilisé.
Le « drame de nos universités », une « attaque de grande ampleur » d‟une « gravité
sans précédent » : à l‟exception du 1er tract diffusé par l‟UNEF-Amiens, très explicatif quant
au contenu de la réforme78, c‟est en ces termes que la loi LRU fut qualifiée Ŕ dès les débuts de
la mobilisation de l‟automne 2007 Ŕ dans les tracts intersyndicaux79 diffusé à large échelle
dans tous les pôles de l‟université de Picardie. Reprenant les analyses syndicales mises au
point depuis quelques années déjà, la loi est présentée comme « l’élément clef du processus de
réformes » touchant l‟enseignement supérieur dans les années 2000. Rédigés par des étudiants
en vue de mobiliser leurs pairs, la thématique principale et fondatrice du cadre d‟injustice est
celle, républicaine, de « la fin du droit à l’éducation » pour tous. Ecrits sur un registre très
syndical, ces premiers tracts, qui ont permis d‟attirer un nombre minimal de personne dans les
premières AG80, vont céder la place aux « appels » issus des Assemblées Générales. Au fil de
ces derniers, c‟est une véritable identité de corps qui se voit ensuite énoncée, insérée dans un
récit qui lui assigne une histoire, des ennemis et des alliés « objectifs ». Le « droit à
l’éducation » mis en danger s‟avère être avant tout celui des « classes populaires » : si la
première formulation (« droit à l’éducation ») pointait du doigt la mise en danger de l‟idéal
républicain d‟éducation pour toutes et tous, invitant tous ceux qui partage ce même idéal à
rejoindre la lutte, la seconde invite clairement tous ceux qui se reconnaissent comme partie
intégrante des « classes populaires » à défendre leurs droits, qui comptent parmi les plus
menacés. Cette identité, mobilisée de façon récurrente tout au long des deux mobilisations,
s‟inscrit dans un récit historico-social : celui-ci commence en 1968 avec l‟ouverture forcée de
l‟université aux enfants (« entrés par effraction ») de classes populaires, ouvrant ainsi une
parenthèse dans l‟histoire de l‟enseignement supérieur que la LRU viendrait justement clore
77
D‟héritage trotskiste, la section amiénoise de l‟UNEF reconnait et promeut les cadres de l‟ « autoorganisation », et s‟efface donc, une fois le mouvement effectif, devant le « comité de mobilisation ».
78
Le tract de l‟UNEF pointait 3 dimensions de la réforme : la nouvelle gestion managériale des universités, la
possibilité de contrôle des formations par des privés et les problèmes que la loi risquait d‟engendrer quant à
l‟accès libre de tout un chacun aux formations dispensées dans le supérieur.
79
L‟intersyndicale comprenait l‟UNEF, la FSE, la CNT, le SNASUB, le SNESUP et la CGT Ferc.
80
. A la fois signe des temps, de la permanence dans certains sites des réseaux issus du mouvement CPE et de
l‟écho du cadre d‟injustice mobilisé, les premières AG du mouvement de 2007 attirèrent dès le début un nombre
considérable d‟étudiants. Avec 130 personnes sur le site de SHS le 9 octobre 2007, date de la première AG tenue
à l‟Université, les chiffres des premières AG contre le mouvement CPE (environ une quarantaine de personnes
deux mois durant) furent ainsi largement dépassés.
37
en 2007. Ce récit, pour partie mythique81, inscrit d‟emblée la lutte étudiante dans l‟histoire de
la classe ouvrière, suggérant ainsi un référentiel d‟analyse et d‟action au mouvement étudiant.
En cela, il reste dans la droite ligne du cadre d‟injustice forgé un an et demi plus tôt, lors de la
lutte du printemps 2006 contre le CPE. A cette occasion, c‟est toute une génération qui avait Ŕ
en intervenant sur un sujet où personne ne les attendaient Ŕ inscrit le mouvement étudiant au
cœur du salariat, réalisant par là même une prophétie vieille de 60 ans, matérialisée dans la
Charte de Grenoble82. En 2007 comme en 200683, la loi contestée est ré-encastrée dans son
contexte de restructuration néolibérale, que le tout nouveau gouvernement Sarkozy accélère
en « réformant » tous azimuts. Dénonçant une « classe dirigeante » fermée au dialogue et
prise dans les impératifs que fait peser sur elle la « mondialisation néolibérale », les étudiants
avancent une solution unique, c‟est à dire la création d‟un mouvement de grève
interprofessionnelle. Une fois la mobilisation construite et les différents pôles bloqués et
occupés, c'est-à-dire dès la mi-novembre 2007, les questions stratégiques Ŕ et donc le lien aux
mouvements de salariés Ŕ prennent le pas sur la dénonciation de la réforme. Le cadre
d‟injustice se déplace alors en conséquence : les étudiants n‟y sont plus simplement décrits
comme les enfants des classes populaires, ce sont également des futurs salariés que les
formations « au rabais » vont assigner à des postes précaires sur le marché du travail de
demain. La « cohérence du projet » du gouvernement, qui cherche à imposer un « véritable
projet de société » en « brisant les résistances » des bastions du « mouvement social »,
étudiants et cheminots en têtes, est également davantage mise en lumière. Dans cette lutte
capitale pour les droits étudiants comme pour l‟ensemble du mouvement social, les étudiants
chercheront donc, après l‟arrêt de la grève des salariés des transports, à étendre leur
mouvement dans les lycées.
Le cadre que nous venons de décrire est un substitut, à peine voilé, du référentiel
d‟analyse marxiste : la « classe dirigeante » remplace la devenue innommable bourgeoisie, le
« salariat » tient ici lieu de prolétariat, la classe ouvrière d‟hier est aujourd‟hui devenue
« classes populaires » tandis que le « mouvement social » a succédé au défunt mouvement
ouvrier. C‟est le même récit qui transparait au travers des déclarations des CNE de 2007, et
qui sera mobilisé un an plus tard, en partie par les mêmes réseaux. A Amiens, il faut
81
Notamment lorsqu‟il désigne les événements de mai 1968 comme initiés et menés par la classe ouvrière.
Imposée dans l‟UNEF en 1946 par une génération d‟étudiants issue de la Résistance, celle-ci défendait pour
les étudiants la qualification de « jeunes travailleurs intellectuels en formation », à une époque où les origines
sociales des bacheliers restaient pourtant largement bourgeoises.
83
Voir à ce sujet BRUSADELLI N., Op. Cit.
82
38
remarquer un effort de restitution du contenu des réformes, et de reconstitution du projet
néolibéral pour l‟université, décuplé en 200984. On peut relever également, cette année là, une
modification substantielle du cadre d‟injustice, certainement due au contexte de mobilisation
de l‟ensemble de l‟Education Nationale et plus encore des enseignants-chercheurs : face à des
réformes qui mettent en danger l‟idéal républicain, historiquement porté et largement diffusé
par l‟institution scolaire, les étudiants développent une vision enchantée de l‟Université
(« indépendante », « collégiale », etc.) et du Savoir (« libre de toutes contraintes vis-à-vis du
marché »). L‟héritage des Lumières, qui n‟est certainement pas sans lien avec la propagation
de la fronde des enseignants-chercheurs jusque dans les franges « droitières » de la
profession, semble peser ainsi de ton son poids également sur le mouvement étudiant. Ce
faisant, le mouvement du monde éducatif de 2009 accrut ainsi certainement ses capacités en
termes d‟audience, dans un pays où le modèle républicain est une composante majeure de la
« structure des opportunités discursives85 ». Cette formulation générale de l‟ « injustice » Ŕ
qui est aussi dans le même temps une lutte pour l‟identité et la mémoire Ŕ avait par ailleurs
toutes les chances de trouver, à l‟UPJV et plus encore sur le site occupé par les filières de
SHS, un certain écho chez la grande masse des étudiants. Si le cadre mobilisé est ajusté, dans
ses définitions de l‟étudiants comme futur travailleur précaire, à la structure du rapport titres /
postes des années 200086, la composition sociale de l‟UPJV favorise également dans sa mise
en visibilité des « classes populaires » : si les enfants issus de ces dernières représentent
25,2% des effectifs étudiants sur le territoire pour l‟année universitaire 2007-2008, ce chiffre
monte en effet jusqu‟à 31% à l‟Université de Picardie87. Dans les filières de SHS, qui
fournissent, comme nous le verrons dans la 3ème partie de ce travail, une bonne part des
étudiants mobilisés, ce chiffre atteint même 37% la même année.
La grille de perception du monde que nous venons d‟esquisser n‟est pas, à Amiens,
propre aux deux mobilisations de 2007 et de 2009. Elle ne trouve pas non plus, à vrai dire, ses
84
Voir à ce sujet le tract « Tout est lié », mis en annexe (n°3) de ce travrail.
R. Koopmans et P. Statham désignent ainsi l‟environnement culturel général avec lequel doit entrer en
résonnance (ou affronter) une mobilisation pour être publiquement recevable. KOOPMANS R. & STATHAM
P., « Political claims analysis : integrating protest event and political discourse approaches », Mobilization, 1999,
pp. 203-221.
86
Voir infra.
87
La catégorie de « classes populaires » reprend ici la définition qu‟en donne Louis Chauvel, c'est-à-dire les PCS
5, 6 et 76 dans la nomenclature de l‟INSEE. Notons au passage une baisse de leur représentation entre 2007 et
2009, légère dans l‟ensemble de l‟Université, plus sensible dans le cas des SHS : en 2009, la part des enfants de
classes populaires dans les effectifs étudiants est de 25,1% sur l‟ensemble du territoire pour 29,9% à l‟UPJV.
Dans les filières de SHS de cette dernière, il passe de 37% en 2007 à 33,9% en 2009. Source : APOGEE, avec
l‟aimable autorisation de M. Georges Fauré, président de l‟UPJV ; SISE.
85
39
origines dans la mobilisation anti-CPE de 2006 : lors d‟une étude menée à l‟occasion de mon
mémoire de M1 sur les générations militantes à l‟UNEF-Amiens, je datais l‟apparition d‟un
tel cadre88 Ŕ d‟une nature en définitive plus para-politique que strictement syndical Ŕ à 1998.
Impulsé par une génération d‟étudiants issus de la mobilisation contre le rapport Attali,
paradoxalement89 autonomes de tous partis politiques, il va se perpétuer et se renforcer tout au
long de la décennie suivante. Principale organisation de mouvement social à l‟origine des
mobilisations amiénoises, l‟UNEF mobilisa tout naturellement le même cadre pour le
recrutement de ses militants et pour ceux des mouvements étudiants. En retour, les vagues de
recrutements syndicaux s‟effectuant alors principalement dans le cadre des mobilisations, la
grille de perception s‟en trouvait renforcée et largement partagée. Si l‟analyse nous impose de
discerner les deux niveaux de réalité, le milieu étudiant nous fournit Ŕ au vu de la rotation
rapide des cohortes qui le compose Ŕ quasiment un cas d‟école rappelant le lien de parenté
profond unissant les mouvements sociaux à leurs organisations, les membres des
organisations et les cadres de fonctionnement qu‟ils proposent se combinant aux étudiants
issus des mobilisations et aux cadres produits par elles. Les théoriciens des SMO pointent
d‟ailleurs l‟existence de ce continuum lorsqu‟ils les définissent comme des « organisations
complexes, ou formelles, dont les objectifs s’identifient à ceux d’un mouvement social (…) et
qui entreprend d’atteindre ses objectifs90 ». Pour autant il semblerait que l‟identification des
SMO au mouvement social ne se situe pas sur le seul terrain des objectifs, mais également sur
le terrain pratique : on ne trouve pas, en 1998, qu‟une seule et unique rupture en termes de
cadre d‟injustice mobilisé, nous pouvons également en souligner une qui tient aux moyens
d‟actions utilisés.
2.2 – Rupture dans le répertoire d’action : les implications du
« blocage »
88
Si la notion de cadre d‟injustice s‟utilise pour l‟étude des mouvements sociaux, elle peut également
s‟appliquer au mouvement sous sa forme institutionnalisé que sont pour partie les organisations de mouvements
social, et éclairer ainsi leurs stratégies de recrutement
89
Le paradoxe n‟est qu‟apparent, car c‟est précisément au moment où l‟équipe syndicale de l‟UNEF-Amiens
n‟est plus Ŕ dans le même temps Ŕ une équipe politique que l‟utilisation politique de l‟appareil syndical va
pouvoir s‟amplifier, sans les retenues et les distinctions qu‟imposent habituellement le logiciel léniniste entre ce
qui relève du politique d‟un côté et de la lutte syndicale de l‟autre.
90
McCARTHY J. & ZALD M., Op. Cit. J‟ai ainsi pu relever fréquemment, durant mes années de militantisme à
l‟UNEF, une confusion constante entre le « milieu », le « mouvement étudiant » et l‟ « organisation ». Pour
parler de la réunification syndicale, les membres du BN de l‟UNEF parlent ainsi de la « réunification du
mouvement étudiant ». Cela n‟est, par ailleurs, pas sans lien avec le « fétichisme politique », inhérent à la
délégation de pouvoir même, mis en lumière par Bourdieu. Voir BOURDIEU P. « La délégation et le fétichisme
politique », Communication présentée devant l‟association des étudiants protestants de Paris, juin 1983.
40
Nous avons montré ailleurs comment l‟utilisation de l‟appareil syndical étudiant, et
sa conception même, avait été profondément modifié à Amiens entre 1998 et 2007 91. Dans les
mouvements étudiants, l‟année 1998 marque elle aussi un temps de rupture avec l‟apparition
d‟un nouveau mode d‟action privilégié, à savoir le blocage de l‟Université (c‟est à dire
l‟interruption des cours avec occupation des locaux). Dans les précédents mouvements Ŕ et
notamment ceux de 1994, 1995 et 1986 Ŕ c‟est la « grève avec piquets » qui avait constitué le
noyau central du répertoire d‟actions étudiant. A dater de 1998 à Amiens, le blocage va
devenir la référence indépassable de toutes les mobilisations étudiantes : occupation du
CROUS d‟Amiens en 2001, de la place centrale de la ville (avec occupation d‟une semaine)
lors de l‟entre-deux tours 2002, du bâtiment universitaire de SHS en 2003 contre le LMD et
de l‟ensemble des pôles universitaires92 en 2006. Les mobilisations de 2007 et de 2009 ne font
pas exception à la règle, quand bien même on relève une volonté générale dans le milieu
étudiant, que nous avons mentionnée plus haut, de trouver en 2009 une alternative au blocage
des universités. La différence majeure entre le blocage et les piquets de grève réside sans nul
doute dans l‟occupation des locaux, qui imprime d‟elle-même une forme nouvelle et
spécifique aux mouvements étudiants des années 2000. On trouve lors des deux dernières
mobilisations amiénoises des justifications nombreuses du blocage avec occupation : il faut
dire que son utilisation même réussit à structurer, à elle seule, une opposition dépassant
largement les troupes des organisations opposées aux revendications des mouvements (qui
allât en 2007 jusqu‟à une campagne de recours dans les tribunaux administratifs à l‟initiative
de l‟UNI et à une demande, formulée par la FAGE, de mise sous tutelle de l‟Université). Pour
reprendre les mots des protagonistes des mouvements, le blocage est le meilleur mode
d‟action pour « permettre à tous de se mobiliser » : en interrompant radicalement les cours à
l‟Université, difficiles à tenir au cœur d‟un squat, les étudiants mobilisés évacuent la question
de l‟assiduité obligatoire des cours qui fait peser nombre de menaces (de la suspension des
bourses à la répression enseignante ou administrative) sur les potentielles recrues du
mouvement. Cette manière radicale de lever les coûts de l‟engagement pour l‟ensemble du
corps étudiant réduit dans le même temps, si on la compare à la tenue de piquets de grève, les
risques d‟affrontements physiques entre étudiants (les grévistes s‟enfermant dans l‟Université
plutôt que de faire barrage de leur corps) comme l‟investissement militant nécessaire à une
paralysie totale de l‟Université. La priorité donnée au blocage dans le répertoire d‟action des
91
Cf. BRUSADELLI N., Op Cit. Il semblerait d‟ailleurs que cette période, qui s‟était prolongée en 2009, se soit
clôt à l‟occasion de la lutte contre la réforme des retraites de l‟automne 2010.
92
A l‟exception du site de médecine.
41
mouvements étudiants peut par ailleurs également prendre une partie de son sens si l‟on tient
compte de la période où elle intervient, période où à la fois la composition sociale de
l‟Université se modifia (la seconde vague de massification scolaire produisant ses effets dans
le supérieur au milieu des années 1990) et les coûts de l‟engagement augmentèrent
(précarisation du milieu étudiant, introduction croissante du contrôle continu dans les
modalité de contrôle des connaissance, etc.). Pour autant, les protagonistes des mobilisations
étudiantes eurent tôt fait de sombrer sous les coups des organisations adverses s‟ils n‟avaient
pas assis l‟utilisation du blocage sur un certain système de légitimation. La démocratie
radicale des Assemblées Générales, relevée par de nombreux observateurs93 et inscrite dans
un ensemble de pratiques, fut ainsi son corolaire. En intégrant l‟opposition étudiante au
fonctionnement des Assemblées Générales, en protégeant son droit à la parole ou encore à
déposer des motions, les militants étudiants firent de ces lieux de prises de décisions le centre
d‟un système démocratique ad hoc exprimant les revendications et modes d‟actions de
l‟ « ensemble du milieu ». Couplée à la stratégie de blocage, qui permet à tout un chacun de se
rendre librement dans les assemblées, cette rhétorique démocratique assura en partie, et
notamment depuis l‟expérience du CPE, le succès des mouvements étudiants récents.
L‟occupation, si elle a des avantages pour les militants, présente aussi de
nombreuses contraintes : si aucune forme de vie collective ne voit le jour, si les tâches de
subsistance de la « communauté » des bloqueurs (faire de la « récup’ », assurer des « tours de
garde », faire la cuisine ou encore trouver un mode d‟organisation de l‟espace propice au bon
fonctionnement des activités de vie et des activités militantes) ne sont pas assurées, il devient
alors impossible pour les cadres de la mobilisation d‟assurer à la fois le maintien du blocage
et la conduite des activités politiques nécessaires à l‟existence du mouvement. Dans les
mémoires des étudiants mobilisés, un mouvement réussi est ainsi un mouvement dans lequel,
même si les revendications n‟ont pas été atteintes, l‟organisation de la vie collective fut une
réussite. A défaut de l‟existence d‟une communauté unie, partageant indissociablement une
perspective politique, une expérience de vie quotidienne et un système de prise de décision
collective, l‟investissement personnel et militant important demandé par la tenue d‟un blocage
d‟université se conclue en effet souvent par des luttes importantes Ŕ fondées bien souvent sur
l‟incompréhension et la rancœur Ŕ entre fractions étudiantes. A Amiens, ce fut le cas en 2007
93
A commencer par de nombreux enseignants chercheurs, habitués des mouvements étudiants, et s‟étonnant Ŕ
notamment dans le cas du CPE Ŕ de l‟absence de violence verbales entre étudiants (durement réprimées par la
tribune) ou de la place réservée avec insistance à l‟ « opposition », dans les comptages de votes par exemple.
Voir également à ce sujet GEAY B., Op. Cit.
42
sur le site de SHS94, et en 2009 sur le site scientifique : dans des situations où Ŕ contrairement
à celle de 2006 où les syndicalistes pouvaient se laisser « entraîner » par dynamique nationale
de mobilisation Ŕ la lutte est difficile, la vie collective demande un apprentissage de tous
(apprentissage rendu lui-même possible, à un rythme accéléré, grâce aux étudiants
connaissant des dispositions à sa mise en œuvre95) et une certaine permanence des équipes.
Symptomatiquement, les mobilisations « réussies » furent ainsi celle où un noyau dur
préexistait à la mobilisation, issu dans le cas de la faculté des sciences en 2007 de la
mobilisation contre le CPE et de la lutte de 2007 dans le cas du site de SHS en 2009. Cette
double dimension des mouvements étudiants des années 2000 est semble t-il à l‟origine d‟une
double temporalité dans les mobilisations : une temporalité nationale, publique et ouverte vers
l‟extérieure ; et une temporalité locale, quasiment privée, tournée vers la vie du groupe. Cette
ambivalence temporelle des mouvements pourrait bien être à l‟origine d‟un réinvestissement
et d‟une expérimentation, dans le cœur de la vie quotidienne, des principes et valeurs
défendus par le mouvement. La lutte étudiante, adossée à un cadre d‟injustice néo-marxiste,
ne se contente en effet pas de porter une critique « sociale » du capitalisme dans la sphère
publique : dans la seconde temporalité offerte par l‟occupation de l‟Université, elle en
réactive également la critique « artiste96 » (« Le foyer97 n’est pas un cheval de Troie contre la
LRU, c’est un véritable espace de vie dont se dote la communauté universitaire pour apporter
une nouvelle philosophie étudiante sur notre campus. […] Nous avons la responsabilité de
rompre avec le clientélisme du produit universitaire afin de faire vivre l’université pour
qu’elle devienne notre », peut-on lire dans un tract). Il est ainsi fort probable que le blocage
soit, également, à la fois l‟expression, l‟outil et le substrat matériel d‟un certain rapport à la
politique Ŕ ancré dans la localité et dans le présent98 Ŕ développé par les jeunes générations :
comme je l‟avais relevé à la lecture d‟un « livre d’or » écrit par les étudiants mobilisés en
2006, l‟expérience de l‟occupation revêt pour ses protagonistes une valeur d‟utopie réalisée,
« ici et maintenant ». En 2009 la mise en place, dans le mouvement même de critique des
94
L‟absence de vie collective n‟explique bien sûr pas à elle seule les luttes qui éclatèrent sur le site du Campus
en 2007. Nous étudierons cette question plus loin, notamment au travers des stratégies syndicales déployées et de
la composition sociale de l‟espace des mobilisations.
95
Expériences associatives ou détention du BAFA par exemple.
96
Pour une définition des critiques « sociales » et « artistes » du capitalisme, voir BOLTANSKI L. &
CHIAPELLO E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999
97
Comme nous le verrons plus loin, le « foyer » est quasiment une nouvelle organisation, fondée par les
membres du comité de mobilisation du campus en 2009 au sortir du mouvement étudiant.
98
Cela entre en tous cas en résonnance avec les pistes avancées par certains sociologues du temps sur la percée
d‟une forme de « présentisme », notamment chez les jeunes générations.
43
« universités entrepreneuriales », d‟une « Université populaire99 », projet déjà présent en
2007 mais dont la mobilisation des EC a permis en 2009 la réalisation, pourrait bien relever
de la même logique.
2.3 – L’ « auto-organisation » des mouvements
De l’organisation du mouvement social…
L‟exécution des tâches politiques d‟un mouvement, mêlée à la tenue de la vie
communautaire, implique donc une forme d‟organisation poussée, qui est toujours, dans le
même temps, une forme de division du travail. Les formes d‟organisations consubstantielles
du blocage des universités se sont construites et peaufinées sur la période 1998-2009, de
l‟ « improvisation » de 1998 Ŕ qui n‟est pas, à Amiens, tant une improvisation qu‟une
importation de pratiques en vogues dans les milieux libertaires et les squats100 Ŕ à la
formalisation de 2009. Leurs transmission fut assurée de multiples manières : dans les
mémoires syndicales entre 1998 et 2006, le point central de transmission entre cohortes se
situant dans l‟occupation du CROUS en 2002, puis dans les mémoires étudiantes entre 2006,
2007 et 2009. A travers ces trois dernières mobilisations successives, une certaine forme de
professionnalisme et de formalisme101 s‟est développé chez les militants, devenus de
véritables gestionnaires du mouvement social. En 2009, la forme d‟organisation du
mouvement d‟occupation qui naît en 1998 est à son apogée, et emprunte largement aux
traditions de démocratie directe du mouvement ouvrier. Si toute la légitimité de la lutte et de
ses moyens d‟action reposent, comme nous l‟écrivions ci-dessus, sur la pratique des
99
« Si l’Université de Picardie s’est arrêtée, l’Université Populaire a pu voir le jour ! L’accès à cette Nouvelle
Université est gratuit et garanti à tous, sans distinction d’âge, de sexe, de race, d’origine sociale… Les
enseignements laisseront une grande part à l’échange et l’interactivité car c’est cette interactivité même, qui
permet l’accès au contenu. Les formes d’enseignement habituelles seront ainsi délaissées à ceux qui veulent
ériger un marché du savoir, au profit de formes plus souples, plus efficaces, moins contraignantes, dignes d’une
Université réellement accessible à toutes et tous. Ce projet tend à rendre à L’université sa qualité de lieu de
transmission de savoirs théoriques et pratiques ouvert à tous ! »
100
Le noyau dur de la génération militante de 1998 à Amiens, qui s‟est formé dans le mouvement d‟occupation
avant de se perpétuer dans les cadres de l‟UNEF, trouve son origine dans la rencontre de deux groupes
affinitaires lycéens (abbevillois et beauvaisiens) devenus colocataires. Après le mouvement de 1998, cette
colocation deviendra l‟un des squats amiénois les plus connus, dont les membres mèneront des activités
syndicales dans l‟UNEF jusque 2002. Ils imprimeront à l‟UNEF-Amiens un fonctionnement spécifique, tant et si
bien que la cohorte qui leur succédera construira à propos d‟eux un mythe sur le passé « hippie » de la structure
syndicale.
101
L‟UNEF-Amiens dispose ainsi d‟une « motion organisationnelle » et d‟un « guide de grève » compilant les
techniques de mobilisations comme les formes d‟organisations à proposer. Evidemment, chaque mobilisation fut
l‟occasion d‟une réinvention partielle de ces formes, les fluctuations de la réalité dépassant le mythe du
« milieu » intemporel structurant les cadres de perception des syndicalistes. Nous reviendrons sur ces questions
dans le chapitre 2 de ce travail.
44
Assemblées Générales, sa tenue effective nécessite l‟instauration d‟une forme de comité de
grève : le « comité de mobilisation », instrument construit par les syndicalistes étudiants pour
gonfler leurs troupes dans la séquence du mouvement antérieure au blocage, devient une fois
l‟occupation mise en place à la fois l‟instance dirigeante de la lutte (il prépare les assemblées
et les futures perspectives du mouvement), son visage en direction de l‟extérieur (il répond
aux médias et envoie certains de ses membres dans les coordinations nationales) et
l‟interlocuteur privilégié de la direction de l‟Université. L‟équipe syndicale de l‟UNEFAmiens, d‟héritage trotskiste102 et théoricienne des bienfaits de l‟ « auto-organisation »,
s‟efface alors devant cette nouvelle entité sociale. Ses collectifs syndicaux s‟arrêtent
symptomatiquement au lendemain des blocages, pour ne reprendre que lorsque les
mobilisations sont sur le déclin. Les comités, qui existent dans chaque site universitaire, se
dotent également d‟une instance de coordination à l‟échelle de l‟Université, le « comité de
mobilisation interpoles » (en 2009, un comité supplémentaire est mis sur pied pour permettre
la coordination avec les enseignants en lutte, la « coordination locale »). Des commissions
thématiques Ŕ commissions « tracts-affiches », « presse », « actions », etc. Ŕ sont également
mises en place, dans lesquelles les syndicalistes se dispersent de manière à « former », sur le
tas, les étudiants volontaires qui s‟y impliquent. Cette organisation s‟avère de fait
déterminante dans la tenue de l‟occupation elle-même : réussir à tenir des réunions organisées
Ŕ à heures déterminées, avec un rabattage des étudiants mobilisés, une liste d‟inscrits et des
tours de paroles Ŕ reste une des meilleures manières pour impliquer l‟ensemble des troupes
étudiantes mobilisées à la gestion de la lutte politique et, conjointement, de l‟occupation.
Rajoutons toutefois un bémol. La description que nous venons de dresser est particulièrement
réaliste, en 2007 et 2009, dans deux pôles universitaires sur quatre, à savoir au Campus et à la
faculté des sciences. A la faculté des Arts, sorte de « No Man‟s Land » syndical, les formes de
régulation ont été toutes autres, la cohésion du groupe tenant largement sur la « spécificité
artiste » de cette dernière103. Dans le pôle Droit-Economie-Sciences Politique, une seule
102
La tendance à laquelle appartient l‟UNEF-Amiens est principalement animée jusqu‟en 2007 par les jeunes de
la LCR. Les trotskistes, courant politique qui s‟intéressa plus que tout autre aux phénomènes de
« bureaucratisation » du mouvement ouvrier, favorisèrent ainsi dans nombre de secteurs la pratique de la
démocratie directe au sein des luttes sociales. Si l‟UNEF-Amiens s‟efface ainsi, dans le cours habituel des
mobilisations à l‟UPJV, devant les organes d‟ « auto-organisation », ce n‟est pas le cas en 2009 des deux autres
syndicats présents (FSE et SUD) qui, malgré leurs effectifs (respectivement 4 et 5 personnes), interviennent au
sein de la mobilisation en tant qu‟organisations. Cette posture s‟explique, dans le cas de la FSE Picardie par
l‟héritage communiste de cette organisation (elle est dirigée par un ex-membre du BN de l‟UNEF-SE) et dans le
cas de SUD Etudiants par l‟absence de quelque héritage politique que ce soit.
103
Les étudiants de la faculté des arts, dépourvus de capitaux militants, se percevront tout au long de la période
2007-2009 comme relativement extérieure à la mobilisation, ne se reconnaissant pas dans les formes
d‟organisations du mouvement. Si la présence d‟un ancien membre des JC imposera un fonctionnement militant
45
syndicaliste Ŕ n‟ayant pas participé au mouvement CPE, qui fut pour beaucoup une école
d‟apprentissage de pratiques de lutte reproduites par la suite Ŕ est présente en 2007 : dans un
endroit où les organisations de droite sont les plus puissantes, elle n‟intégrera pas l‟ensemble
des étudiants à la prise des décisions, et se heurtera à une opposition interne au sein même du
mouvement qui finira même par lui interdire l‟accès aux locaux. Ce pôle sera le seul, avec le
cas bien sûr de la faculté de médecine, à ne pas connaître de mobilisation étudiante en 2009.
… à des organisations de mouvement social
Lorsque l‟on recense les modalités d‟action des comités de mobilisations, leur
ressemblance avec une organisation syndicale étudiante classique devient frappante, ce trait
s‟accentuant évidemment dans les cas où les syndicalistes agissent en son sein 104 : écriture et
distribution de tracts à destination des étudiants ou des salariés ; affichage informatif ; collecte
de « contacts » ; édition d‟un journal ; écriture de communiqué de presse ou encore
négociation avec la présidence de l‟Université105. Au-delà des ressemblances en termes de
pratiques, ces structures n‟échappent par ailleurs pas au phénomène, propres aux
organisations politiques et syndicales, de délégation et de « fétichisme politique » soulignés
par Bourdieu106. Si elles ne fonctionnent pas sur un système de délégation politique similaire
aux autres organisations étudiantes (les AG décisionnelles étant ouvertes à tous sans
contraintes d‟adhésion à l‟organisation et comprenant Ŕ en « obligeant » les étudiants à la
discussion politique par le blocage même de l‟Université Ŕ un nombre de participants que ne
connaîtront jamais les AG des autres structures étudiantes amiénoises), un phénomène de
délégation politique est bel et bien présent, puisque relativement inévitable : comme nous le
rappelle Bourdieu107, un groupe n‟existe que « lorsqu’il s’est doté d’un organe permanent de
représentation doté de la plena potentia agendi108 et du siligum authenticium109, donc capable
en son sein en 2007, la faculté des arts ne pourra en 2009 quasiment pas prendre part aux décisions du « comité
de mobilisation interpoles », leurs délégués étant Ŕ fautes de réunions préparatoires Ŕ systématiquement
dépourvus de mandats. Dans ce second mouvement, les étudiants artistes mobilisés se replièrent donc sur la
préparation d‟happening et de matériels militants Ŕ banderoles ou chars de manifestions, réalisation d‟un journal
télévisé, etc. Ŕ, s‟attachant à renouveler le répertoire d‟action étudiant tout en rythmant leur mobilisation
d‟activités artistiques propres à fournir au groupe une réalité identitaire, sur des bases « professionnelles ».
104
Notamment à la faculté des Sciences et au Campus, site de SHS. Pour autant ces formes se retrouvent à l‟état
minimal dans le cas typique de la fac des Arts, qui ne aucune activité syndicale depuis 2006.
105
Dont le bilan écrit et distribué, plus formalisé qu‟une négociation syndicale, peut être consulté dans en annexe
(n°4).
106
BOURDIEU P. « La délégation et le fétichisme politique », Communication présentée devant l‟Association
des étudiants protestants de Paris, le 7 juin 1983.
107
Ibid.
108
Du « plein potentiel pour agir ».
109
De la « croyance authentique ».
46
de se substituer (parler pour, c’est parler à la place) au groupe sériel, fait d’individus
séparés et isolés, en renouvellement constant, ne pouvant parler et agir que pour euxmêmes ». Plus encore, les étudiants ayant investi les comités de mobilisation comme les
Assemblées Générales du mouvement jouissent, en tous cas à Amiens (où la principale
organisation étudiante s‟efface devant les organes d‟ « auto-organisation »), du monopole de
la représentation étudiante. Se percevant, au vu de ses effectifs et de son fonctionnement,
comme l‟organisation la plus démocratique dans un milieu où l‟attachement à la démocratie
directe est relativement puissant110, les instances d‟ « auto-organisation » dénient même le
droit d‟existence aux autres organisations, renvoyées à la défense leur « chapelle » et donc de
leurs intérêts propres. Leur capacité à s‟assurer ainsi un monopole sur la représentation
étudiante, y compris dans les universités où les organisations étudiantes majoritaires y sont
plus rétives (à commencer par les universités où interviennent les équipes de la tendance
majoritaire de l‟UNEF), renseigne soit dit en passant sur le manque criant de siligum
authenticium dans les organisations instituées, au double sens du terme, représentatives. Mais
ce n‟est que par un coup de force Ŕ c'est-à-dire par la légitimité autoproclamée, fondée ellemême sur une croyance dans les formes de démocratie directe, des premières AG massives111
instituant le blocage Ŕ que les comités de mobilisation réussissent à impliquer un nombre
important d‟étudiants dans le mouvement, et donc dans l‟organisation ad hoc qui lui sert de
colonne vertébrale. Un fois ce coup de force effectué, la nouvelle « auto-organisation » n‟a
aucun mal à monopoliser, aux yeux de ses nouveaux membres, le pouvoir de représentation
du milieu étudiant. Plus encore, en intégrant, sur une rhétorique démocratique qui semble
largement partagée (sans quoi elle ne serait pas si efficace), les opposants au mouvement en
son sein, elle se donne les moyens de les canaliser en évitant par là même toute forme de
débordement où de violence entre étudiants. Cette stratégie ne fut toutefois qu‟en partie
efficace, les forces s‟opposant aux mouvements développant des stratégies alternatives : une
enseignante de Droit, membre du BN de l‟Union Nationale Interuniversitaire (UNI),
110
Cet attachement à la démocratie, à prendre les choses en mains soi-même, sans s‟en remettre à des décideurs
politiques ou financiers, s‟explique certainement dans le cas étudiants par le haut niveau de diplôme Ŕ a minima
un bac, souvent général (dont sont titulaires 70,1% des étudiants en 2007. Source SISE) Ŕ dont ils sont
détenteurs : on sait que la détention de titres scolaires est déterminante dans le rapport à la citoyenneté des
jeunes, dans la faculté à prendre position sur des sujets politiques et, plus encore, à prendre la parole.
111
Dans les pratiques syndicales de l‟UNEF, une AG devient massive (« représentative ») lorsqu‟elle dépasse le
seuil approximatif de 400 présents. Si une AG de 200 personnes suffit pour voter symboliquement la grève,
celle-ci n‟ayant en général aucune réalité (sauf à protéger les membres des comités de mobilisation dans les
négociations syndicales avec les enseignants et l‟administration) autre que symbolique (envoyer un signal aux
autres comités de mobilisation en lutte, partout en France, sur l‟état du mouvement ), les syndicalistes estiment
ainsi le seuil fatidique en deçà duquel on tombe dans des pratiques de « totos » (et en deçà duquel on prend le
risque de s‟essayer à un blocage d‟université avec des troupes trop peu nombreuses).
47
déclencha ainsi à la faculté de Droit les alarmes incendies, essayant d‟entraîner ses étudiants
dans l‟organisation d‟une « contre-AG ». En 2009, la présidence de l‟Université tenta
également, comme la plupart de ses homologues partout sur le territoire, d‟organiser des votes
alternatifs, électronique ou encore « à bulletin secret » : chaque fois, les comités de
mobilisation appelèrent au boycott de ces derniers112 (qui mobilisèrent par ailleurs moins
d‟étudiants que l‟ensemble des AG réunies), avançant une forme démocratique contre une
autre. Jouissant d‟un pareil monopole de représentation, les comités ne coupèrent cependant
pas aux tentations du fétichisme politique, inséparable de la délégation du pouvoir : « Le
comité de mobilisation, c’est à dire l’ensemble des étudiants, a établi sur notre campus un
état de mobilisation permanent », peut-on ainsi lire dans un tract. La confusion entre les
mandants et les mandatés, entre représentants et représentés, que j‟avais déjà remarqué à
multiples reprises dans la direction de l‟UNEF, se retrouve également dans le cas des
structures d‟auto-organisation : le signe faisant « la chose signifiée, le signifiant s’identifie à
la chose signifiée, qui n’existerait pas sans lui, qui se réduit à lui. Le signifiant n’est pas celui
qui exprime et représente le groupe signifié ; il est ce qui lui signifie d’exister, qui a le
pouvoir d’appeler à l’existence visible, en le mobilisant, le groupe qu’il signifie113 ».
Le processus de délégation politique, qui semble toujours-déjà inscrit dans les
formes d‟organisations des mouvements sociaux, nous éclaire un peu plus sur les liens étroits
pouvant unir ces derniers et les « organisations de mouvement social ». Les militants
membres des courants les plus attachés aux formes de démocratie directe tentent d‟ailleurs la
plupart du temps d‟instaurer des garde-fous pour se prémunir de l‟aliénation politique, en
germe dans l‟organisation Ŕ même la plus autogestionnaire Ŕ des mouvements sociaux,
comme en témoigne la pratique du « mandat impératif » ou de la rotation des portes paroles.
Les formes d‟ « auto-organisation » des mouvements sociaux sont des « organisations de
mouvement social » en puissance, la différence se situant dans leur inscription ou non dans la
durée, dans leur institutionnalisation. Des exemples de ces tentatives avortées ou réussies de
pérennisation existent dans l‟histoire récente de ces formes d‟organisation, comme en
témoigne le cas de la Coordination Nationale des Infirmières, devenue le syndicat
professionnel du même nom. Si ces tentatives n‟ont pas eu lieu à échelle nationale dans les
mouvements étudiants des années 2000, les coordinations étudiantes étant traversées
d‟oppositions majeures entre organisations politiques et syndicales (contrairement à celles des
112
113
L‟un des tracts distribués en 2009 contre le vote électronique est disponible dans les annexes (n°5)
Ibid.
48
infirmières, qui naquirent dans un milieu dépourvu d‟organisations syndicales), le
perfectionnement des formes d‟auto-organisation à Amiens les rendirent possibles lors des
mouvements de 2007 et de 2009 : la création de nouvelles organisations à la sortie des
mouvements fut tentée à 3 reprises, dont une seule fonctionna. La première de ces tentatives
émergea à la fac de Droit, après un affrontement frontal entre étudiants du comité de
mobilisation et étudiants syndicalistes. A la sortie du mouvement, les étudiants du comité de
mobilisation créèrent le Groupe des Etudiants Autonomes (GEA), qui tenta de maintenir le
fonctionnement issu du mouvement reposant sur les Assemblées Générales. Les AG « GEA »
furent rapidement désertées, et le groupe périclita rapidement après une tentative ratée
d‟obtenir des élus dans les conseils centraux de l‟Université. La seconde tentative, issue du
comité de mobilisation de la faculté des arts, fut la seule qui réussit : en l‟absence de toute
organisation étudiante constituée sur le site, ceux-ci obtinrent facilement des élus dans le
conseil de gestion de l‟UFR, puis un local et autres moyens organisationnels. Le comité de
mobilisation de la faculté des arts, qui fonctionnait largement sur un mode affinitaire, n‟eut
pas de mal à perdurer en dehors des phases de mouvement social, et finit par ailleurs par
adopter des pratiques largement syndicales. Né à la suite du mouvement de 2007, la nouvelle
organisation se perpétua jusqu‟à aujourd‟hui, organisant largement le mouvement de 2009
dans l‟UFR. La troisième tentative enfin vu le jour au Campus à la suite du mouvement de
2009, et résulta également de divergences tactiques de « sortie de mouvement » entre
étudiants du comité de mobilisation et syndicalistes. Se superposant à une rupture au sein
même de l‟UNEF, ces lignes de fractures donnèrent naissance au « Foyer », projet largement
piloté par celle qui fut présidente de l‟UNEF-Amiens en 2009. Malgré les ressources
institutionnelles qui furent négociées par le comité de mobilisation du Campus contre une
sortie de crise en 2009 (droit de « tirage », local, etc.), le projet de pérennisation Ŕ durant
lequel les membres du Foyer, à l‟instar de ceux du GEA, tentèrent de prolonger le mouvement
(« un état de mobilisation permanent ») dans les mêmes formes Ŕ tourna finalement court.
CONCLUSION – Un cycle de mobilisation étudiant ?
Au-delà des mobilisations parties prenantes de notre objet d‟étude, c‟est toute la
décennie qui vient de s‟écouler qui aura été marquée par les mobilisations étudiantes, de la
mobilisation de 1998 contre le rapport Attali à la double mobilisation de 2007-2009, en
49
passant par 2002 (contre l‟extrême-droite), 2003 (contre le LMD) et 2006 (contre le CPE).
Cette série de mobilisations, qui coïncide largement avec le cycle de réformes impulsées par
le processus de Bologne dans l‟enseignement supérieur, se distingue par une modification
substantielle du répertoire de pratiques collectives étudiantes. Comme nous l‟avons détaillé
ci-dessus, l‟adoption dès 1998 du « blocage » (ou plutôt de l‟occupation) comme modalité
d‟action privilégiée des mouvements étudiants modifie considérablement à la fois la teneur du
processus de mobilisation, les débats que celui-ci engendre et Ŕ on peut le supposer Ŕ le stock
de dispositions nécessaires à la participation aux mouvements : que l‟on pense par exemple
aux dispositions nécessaires aux formes de vie collectives ou encore à la prise de parole
publique extérieure aux organisations instituées. Si les mobilisations étudiantes de ces
dernières années ne se sont pas distinguées par la mise sur pied d‟une nouvelle interprétation
du monde, reprenant largement un cadre d‟injustice marxiste au lexique rénové, elles ont par
contre développé une rhétorique démocratique perfectionnée dont les éléments parviennent à
faire système. S‟appuyant sur une doxa démocratique, largement partagée en milieu
universitaire et plus encore en milieu étudiant, les acteurs des mouvements sociaux récents
ont amenés114 leurs adversaires les plus directs et les plus proches Ŕ l‟administration mais
aussi, et surtout, les organisations étudiantes ennemies Ŕ à leur répondre sur le même terrain :
par l‟organisation de « votes électroniques » ou par voie de justice, au nom de la démocratie
et de la « liberté d‟étudier ». Si le système des « coordinations » voit le jour au début des
années 1970115, et n‟est donc en rien une innovation des mouvements étudiants récents, la
réappropriation et l‟adoption systématique du blocage comme modalité d‟action prioritaire
implique d‟elle-même Ŕ c'est-à-dire sans intervention de militants porteurs d‟une tradition de
démocratie directe Ŕ des stratégies de détachement vis-à-vis de la délégation de pouvoir au
niveau local. Au fil des mouvements, et y compris dans les universités où les organisations
d‟extrême-gauche sont peu présentes ou inexistantes116, le système de démocratie directe
intimement lié à l‟exercice de l‟occupation s‟est perfectionné, formalisé, donnant parfois
114
Il serait faux de dire que les mouvements étudiants Ŕ tant leur « hégémonie » politique aurait été grande, pour
parler comme Gramsci Ŕ ont réussi à imposer un débat axé uniquement autour de questions de « formes ». Il
s‟agissait plutôt d‟une logique d‟intérêts bien compris : poser les bases de l‟affrontement sur des questions
démocratiques, de moyens et de formes, assuraient également à l‟UNI (pour ne prendre qu‟elle) plus de « marges
de manœuvre » politique qu‟elle n‟en aurait eu en menant bataille sur le bien fondé du projet de l‟UMP pour
l‟enseignement supérieur. A Amiens, bon nombre d‟étudiants mobilisés en 2007 dans le « collectif des
jonquilles » (créé à l‟initiative de l‟UNI) partageait ainsi les critiques des étudiants des « comités de
mobilisations » envers l‟autonomie des universités, mais s‟opposait à eux sur la question des modalités d‟action.
115
Sur l‟origine des coordinations et leur diffusion au-delà des mouvements lycéens des années 1968-1970,
notamment chez les infirmières ou les cheminots, voir LESCHI D., « Les coordinations, filles des années 1968 »,
CLIO. Histoire, femmes, sociétés, n°3, 1996.
116
Comme c‟est le cas lors de la mobilisation anti-CPE de Poitiers. Voir GEAY B. (dir.), La protestation
étudiante. Le mouvement du printemps 2006, Raisons d‟Agir, Cours et travaux, 2009.
50
naissance à des organisations de mouvement social ad hoc. A échelle nationale, il faut noter
tout de même une diffusion de la forme « coordination » à des univers sociaux relativement
nouveaux : si leur importation chez les cheminots ou chez les infirmières peut trouver pour
partie sa source dans un phénomène générationnel117, leur importation chez les enseignantschercheurs notamment s‟explique en grande partie par leur proximité sociale et spatiale avec
les étudiants118.
S. Tarrow, dans une étude consacrée aux mouvements sociaux italiens des années
1960 et 1970, proposa pour rendre compte de ceux-ci le concept de « cycle de
mobilisation119 », défini comme « une vague croissante puis décroissante d‟actions collectives
étroitement liées et de réactions à celles-ci 120». Il définit cinq éléments permettant d‟identifier
un tel cycle : « l‟intensification du conflit, sa diffusion géographique et sociale, l‟apparition
d‟actions spontanées et de nouvelles organisations, l‟émergence de nouveaux symboles, de
nouvelles interprétations du monde et idéologies »121. Enfin tout cycle suivrait trois phases :
« une phase ascendante de révolte Ŕ celle du moment de folie où tout semble possible […],
une phase de zénith marquée par la radicalisation des actions, et une phase descendante
scandée elle-même en quatre temps (la création de nouvelles organisations, la routinisation de
l‟action collective, la satisfaction au moins partielle des demandes, le désengagement) »122.
Nous poserons ici l‟hypothèse que les mouvements étudiants des années 2000 peuvent
correspondre à cycle de mobilisation étudiant, moyennant une prise de distance avec certains
aspects du concept : si l‟ensemble des éléments définis par Tarrow ne retrouve pas forcément
la forme que les mouvements italiens des années 1970 leur avaient imprimée Ŕ dans un
contexte historique, social, politique et militant bien différent Ŕ, il nous semble en effet que
cette conception cyclique permet de souligner à la fois la permanence de la transmission entre
cohortes militantes et la cohérence des formes de lutte (et donc d‟une certaine pratique de la
117
Au vu de la présence, au cœur de ces mouvements, de militants qui étaient lycéens au début des années 1970 ;
mais aussi au regard du phénomène de déqualification des titres scolaires qui a touché cette génération,
détentrice d‟un capital scolaire élevé et d‟une « assurance culturelle » permettant les stratégies de détachement
vis-à-vis de la délégation de pouvoir. Voir LESCHI D., Op. Cit.
118
En 2009, dans le cas de l‟organisation de la CNU de Dijon notamment, la logistique se trouvait largement
assurée par les militants étudiants, qui prodiguaient conseils pratiques et technique à leurs « camarades »
enseignants mobilisés. Si les coordinations se sont multipliées en cette année 2008, il est au vu des données dont
nous disposons compliqué Ŕ dans le cas des coordinations des IUT, des laboratoires en lutte ou encore des
BIATOS Ŕ de parler de phénomène de diffusion.
119
TARROW S., « Cycle of collective action : beween moments of madness and the repertoire of contention »,
in Repertoires and cycles of collectives action, Durham (N.C.), Duke University Press, 1995, pp. 89-116.
120
Ibid., citation reprise dans SOMMIER S., « Cycle de mobilisation », in Dictionnaire des mouvements
sociaux, Presse nationale de la fondation des sciences politiques, 2009.
121
Voir SOMMIER I., Ibid.
122
Ibid.
51
politique) propres à une partie de la jeunesse contemporaine. Comme nous le relevions plus
haut, si les mouvements de jeunesse des années 2000 n‟ont pas donné Ŕ pour l‟instant Ŕ
naissance à une idéologie constituée, à une nouvelle interprétation du monde, leur mise en
forme de la doxa démocratique en un système conjointement pratique et idéologique peuvent
à notre sens être soulignée comme un phénomène remarquable.
52
II – MISE EN PERSPECTIVE - CHAMP SYNDICAL
ET ESPACE DES MOBILISATIONS
Au fil des mobilisations amiénoises, seules les luttes de 2007 et de 2009 ont donné
lieu à des affrontements majeurs entre étudiants. Ces luttes sont intervenues à la suite du
mouvement anti-CPE, c'est-à-dire dans une « phase descendante » du cycle de mobilisation
étudiant, marquée par une situation politique et sociale lui étant moins favorable. Nous avons
essayé jusqu‟ici de décrire la forme et la stratégie spécifique des mouvements de 2007 et
2009, dont on peut supposer qu‟elles sont une résultante du mouvement 2006, l‟issue
politique relativement victorieuse de ce dernier et la puissante expérience politique qu‟il a
représentée pour toute une génération ayant pu cristalliser un système de pratiques relayé par
les équipes militantes. L‟étude de ces formes de luttes a mis en lumière l‟existence d‟un
continuum unissant les modes d‟organisations des mouvements sociaux étudiants et leurs
« organisations de mouvement social », les deux niveaux de réalités s‟« impliquant » l‟un
l‟autre123 : le critère amenant à distinguer ces notions réside en définitive dans les temporalités
différenciées
dans
lesquelles
elles
s‟inscrivent,
c'est-à-dire
dans
leur
degré
d‟institutionnalisation. Nous suivrons dans cette partie une piste de recherche selon laquelle
les luttes entre fractions étudiantes qui ont émaillé les mouvements de 2007 et 2009, et qui ont
opposé les étudiants « cadres » des comités de mobilisation et les syndicalistes, reposent en
dernière instance sur cette institutionnalisation différenciée entre les formes d‟organisation ad
hoc des étudiants mobilisés et les organisations pérennes. Réinvestissant le questionnement
initial posé en introduction à partir d‟une catégorie utilisée par certains agents contre d‟autres,
c‟est tout d‟abord l‟étude des logiques propres au syndicalisme étudiant qui attirera notre
attention. L‟enjeu de cette partie sera de conceptualiser ces différences d‟institutionnalisations
entre formes d‟organisation et, comme nous le verrons, de les saisir ce faisant dans leur
historicité.
123
Les organisations de mouvement social n‟ayant pas de raison d‟être ni de légitimité sans mouvement social ;
les mouvements sociaux ne pouvant naître sans organisations de mouvement social ni s‟inscrire dans la durée
sans elles, ou à défaut sans forme d‟organisation ad hoc ; et les formes d‟organisation des mouvements sociaux
étant toujours une organisation de mouvement social en puissance.
53
1 – Champ et syndicalisme étudiant
« J‟me souviens d‟une fois on avait été differ des tracts au campus, pour GEA, j‟sais
pas si t‟étais là ce jour là. Nous on vient, comme des… des profanes, des profanes du
militantisme, avec aucune conscience de « c‟est mon territoire, c‟est le tien », des
blaireaux quoi ! Tu vois on était vraiment des couillons, on vient pour differ nos tracts,
et là y‟a une horde de gens Ŕ de l‟UNEF donc Ŕ qui nous tombent dessus, et j‟me
rappelle de Brenda Minet, qui nous dit « ouais, et pourquoi vous faites ça, ici c‟est chez
nous, vous venez pas là, toutes façons vous êtes qu‟une bande de totos ! » [rires], j‟me
souviens c‟était la première fois, j‟me suis retournée vers Henry et je lui dis « c‟est quoi
un toto ? » [rires] et il a éclaté de rire tu vois ! Et on avait même pas compris qu‟on
venait en terre ennemie, que c‟était pas chez nous, qu‟on avait pas à differ, enfin tu vois
les blaireaux quoi ! […] On se rendait pas compte que eux ils étaient dans le jeu
syndical, qu‟il y avait des territoires, des manières de faire et tout ça, et nous on venait
tout piétiner, mais on le faisait pas du tout exprès ! »
Séverine, étudiante mobilisée en 2007 et en 2009, membre de GEA.
Nous allons ici essayer d‟appliquer à l‟univers du syndicalisme étudiant une analyse
en termes de « champ124 », afin de déterminer si le recours au paradigme dont ce concept est
l‟un des éléments clefs peut s‟avérer éclairant dans ce cas précis. Comme le relèvent L.
Mathieu et V. Roussel125, ce concept fait l‟objet chez Bourdieu d‟un double usage, aux
modalités quelque peu contradictoires. D‟un côté les champs ne seraient qu‟une construction
abstraite du chercheur, visant à rendre compte de la dynamique propre à certains secteurs du
monde social, voire à celui-ci dans son ensemble, en terme de luttes entre agents dominants et
dominés (c‟est le cas quand Bourdieu évoque le « champ social dans son ensemble », ou
encore le « champ du pouvoir »). De l‟autre, les champs sont dotés d‟une existence, fut-elle
relativement inconsciente, aux yeux des agents qui en font partie : « ceux-ci luttent, de
manière plus ou moins consciente, pour en définir les conditions d‟appartenance comme les
limites » ; ils partagent une reconnaissance « de la valeur du jeu et de ses enjeux » et « sont
conduits par cette forme spécifique d‟illusio à rechercher et à accumuler les formes de
capitaux efficients à l‟intérieur de ses limites126 ». Dans cette seconde utilisation de la notion,
chaque champ est un produit historique, relativement institutionnalisé, dont on peut
reconstruire la genèse. Tout en veillant à éviter toute réification du concept je m‟en tiendrai
ici à cette définition, plus exigeante mais me semble t-il davantage à même d‟exploiter, dans
le cadre précis qui nous intéresse, les potentialités du paradigme bourdieusien tout en le
124
En ce qui concerne la définition des concepts qui vont être utilisés dans les pages qui suivent, voir
BOURDIEU P., Questions de Sociologie, « Quelques propriétés des champs », Minuit, 1984 ; BOURDIEU P.
avec WACQUANT L., Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Libre-Examen Politique, Seuil, 1992.
125
MATHIEU L. et ROUSSEL V., « Pierre Bourdieu et le changement social », Contretemps, Textuel, n°4,
2002, pp. 134-144.
126
Ibid.
54
mettant « à l‟épreuve ». Pour ce faire, l‟argumentaire qui suit s‟appuiera principalement sur le
cas de l‟UNEF, afin de mettre à profit mon propre passé militant à différents niveaux de
responsabilités.
1.1 – Champ syndical étudiant ou champ de la représentation
étudiante ?
Un champ est un réseau d‟individus jouant un « jeu » social commun, jeu
s‟apparentant à une lutte elle-même organisée autour d‟enjeux spécifiques. Les luttes qui
animent le syndicalisme étudiant se mènent à la fois entre des organisations et, au sein même
des organisations, entre des individus. Si les luttes entre individus se mènent avant tout pour
l‟accès aux positions dominantes dans les organisations (et donc pour le pouvoir de définir les
stratégies et objectifs de ces dernières), les enjeux primordiaux de la lutte entre les
organisations sont les enjeux relatifs à leur survie même, à savoir l‟accès aux ressources
matérielles Ŕ notamment financières Ŕ prodiguées par les institutions du « champ » : car c‟est
à partir de celles-ci que la notion de champ peut être employée ici, à partir du système
institutionnel qui fixe les règles formelles d‟un jeu ainsi que ses « rémunérations ». Dans
chaque site universitaire et dans chaque CROUS127, la tenue d‟élections étudiantes permet
ainsi à la fois l‟objectivation des rapports de force entre organisations et la distribution
correspondante des ressources128. Les élus des conseils centraux dans les universités et des
conseils d‟administrations dans les CROUS formant eux-mêmes le collège électoral du
CNESER et du CNOUS129, le système électoral assure à la fois l‟intégration des différents
niveaux du champ, la mesure globale de ses rapports de force130 et un système de rétribution
127
Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires.
A Amiens, ces ressources sont à la fois financières (150 € par élus étudiant dans les conseils centraux de
l‟Université) et matérielles (crédits en tirage papier à la reprographie centrale de l‟UPJV, local de permanence au
CROUS et possibilité d‟utiliser les ordinateurs et téléphones, etc.). Pour l‟organisation arrivée en tête aux
conseils centraux de l‟université, c‟est également la quasi assurance d‟obtenir la Vice-présidence Etudiante de
l‟Université (avec de nouveaux avantages négociables : bureau, ordinateur, téléphone) et d‟obtenir un rapport de
force dans les principales commissions des conseils centraux Ŕ par exemple dans la commission d‟attribution du
Fond Social des Initiatives Etudiantes (FSDIE) allouant jusqu‟à 30 000 € de fonds par an aux projets déposés par
les associations d‟étudiants. Le journal syndical de l‟UNEF-Amiens est par exemple largement financé via le
FSDIE.
129
Respectivement Conseil National de l‟Enseignement Supérieur Et de la Recherche (CNESER) et Centre
National des Œuvres Universitaires et Scolaires (CNOUS).
130
Les élections aux CROUS et au CNOUS sont déterminantes de ce point de vue, considérées par parfois
comme les « prudhommales étudiantes » dans la mesure où il s‟agit du seul scrutin mesurant l‟état des rapports
de force, au même moment, partout en France.
128
55
des organisations131. Si cette première série d‟enjeux est la plus évidente, les choses se
complexifient ensuite puisque les enjeux mêmes sont en réalité, dans le cas du syndicalisme
étudiant, l‟objet de luttes visant à les définir. En d‟autres termes, une partie des enjeux du
champ porte sur la définition du champ lui-même. Nous pouvons partir d‟une question simple
pour nous en rendre compte : pourquoi nommerions-nous « champ syndical étudiant » une
sphère de lutte incluant des organisations et des agents farouchement opposés à la posture
syndicale, telles les corporations étudiantes regroupées dans la Fédération Nationales des
Associations Etudiantes (FAGE), et pour ne prendre qu‟elles ? Cette appellation Ŕ utilisée
régulièrement par les commentateurs médiatiques, qui relatent par exemple la rencontre entre
« la ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche et les syndicats
étudiants » Ŕ reflète en elle-même le produit des luttes passées quant à la définition du champ
et l‟état actuel des rapports de forces en son sein. L‟histoire des organisations étudiantes et
celle du champ lui-même peut nous éclairer à ce sujet, notamment à travers deux évènements.
Le premier est l‟imposition en 1946 dans l‟UNEF Ŕ alors unique organisation étudiante
corporative Ŕ d‟une orientation syndicale par une génération d‟étudiants résistants,
majoritairement communistes et en position de force vis-à-vis des équipes corporatives pour
beaucoup collaborationnistes. La mémoire de cette lutte décisive, matérialisée par l‟adoption
en 1946 de la Charte de Grenoble (définissant les étudiants comme de jeunes travailleurs
intellectuels en formation), est encore vivante aujourd‟hui dans les organisations syndicales
étudiantes. Le second de ces événements, qui s‟inscrit plutôt quant à lui dans la genèse du
champ en tant que tel, est la promulgation de la loi Faure en novembre 1968 instaurant la
« démocratie universitaire » contemporaine132. Depuis lors, les organisations syndicales ont
été largement majoritaires aux yeux des pouvoirs publics et des médias, et à l‟heure
d‟aujourd‟hui la définition syndicale des enjeux dans le champ est toujours en position de
force133. Les termes repris dans le débat public reprennent les définitions des acteurs
majoritaires dans le champ, à tel point que la FAGE elle-même est quelquefois présentée
131
On effectue en passant à l‟échelle nationale un saut qualitatif et quantitatif, avec 15 000 € alloués aux
organisations par élu du CNOUS ou du CNESER, la possibilité de siéger dans des commissions ministérielles,
une reconnaissance institutionnelle favorisant l‟accès aux médias, etc.
132
C'est-à-dire la disparition des facultés au profit des UER (puis des UFR) et surtout création des conseils
d‟universités auxquels participent les enseignants, les personnels BIATOS et les étudiants. La loi, mise en place
dans la volonté de satisfaire à la demande démocratique dans l‟enceinte de l‟université, a ainsi paradoxalement
répondu à l‟ « humeur anti-institutionnelle » du mouvement de mai par une institutionnalisation des mouvements
étudiants.
133
Pour le CNESER, l‟UNEF a obtenu 5 élus, la FAGE 2, et Promotion et Défense des Etudiants (PDE), la
Confédération Etudiante (Cé), et le Mouvement des Etudiants (Met) en obtiennent chacun 1. La distribution est
sensiblement la même pour les dernières élections au CNOUS, avec 4 UNEF, 3 FAGE, et 1 PDE. L‟UNEF jouit
ainsi d‟une large position de domination à l‟heure d‟aujourd‟hui.
56
comme « deuxième syndicat étudiant ». Plus encore, la position ultra-dominante de l‟UNEF
ces dernières années a poussé l‟Union pour la Majorité Présidentielle (UMP) à reconsidérer
l‟existence de l‟UNI au profit d‟une organisation au profil plus syndical (défense de
l‟insertion professionnelle, de la qualité des conditions d‟études et de l‟offre de formation, de
la liberté d‟expression, etc.), le Mouvement des Etudiants (MET) ; la FAGE elle-même
connaissant dans ses campagnes une percée des thématiques syndicales134.
Malgré cet état du rapport actuel des forces en présence, nous ne parlerons pas ici de
champ du syndicalisme étudiant, mais de champ de la représentation étudiante, et ce pour
plusieurs raisons. Tout d‟abord, si les luttes en cours dans le champ de la représentation
étudiante vont vers une définition du champ comme relevant d‟enjeux syndicaux, il n‟est pas
dit que la tendance ne s‟inverse pas au gré d‟une conjoncture politique différente 135. La
bataille quant à la définition du champ ne serait consolidée au profit des organisations
actuellement dominantes que si les pouvoirs publics reconnaissait par la loi aux étudiants la
qualité de jeunes travailleurs en formation. Or, de ce point de vue et en l‟état actuel des
choses, l‟Etat ne reconnaît pas aux étudiants le statut de travailleurs Ŕ et donc le droit de
grève, la désignation de délégués syndicaux ou la possibilité de signer des accords Ŕ qu‟ils
s‟arrogent de fait, considérant les syndicats étudiants comme de simples associations. Ensuite,
et c‟est là une question capitale, il est fort probable que les différentes espèces de capitaux
valorisés et valorisants dans le champ de la représentation étudiante soient sensiblement
différents des capitaux bénéficiant d‟une « rémunération » avantageuse dans le syndicalisme
étudiant : la détention de capital économique, pour ne prendre qu‟elle, que l‟on peut supposer
parfois valorisante dans une organisation comme l‟UNI, peut être supposée dévalorisante au
contraire dans les organisations se définissant comme syndicales (« il n’a jamais vu un
ouvrier de sa vie »). Enfin, les organisations se définissant comme syndicales et se
reconnaissant à la fois dans la charte de Grenoble et dans celle d‟Amiens (UNEF, FSE, SUD)
n‟interviennent pas uniquement dans l‟ainsi défini champ de la représentation étudiante, mais
tentent également de s‟introduire dans le champ du syndicalisme salarié et d‟y conquérir une
légitimité : tel est le cas notamment de l‟UNEF, qui y a conquis une légitimité depuis le
mouvement CPE, où de SUD-Etudiant, directement rattaché à une confédération de
travailleurs. Au sein du champ de la représentation étudiante, on peut donc dessiner les
134
Evidemment la position dominante de l‟UNEF et l‟écho des campagnes syndicales jouissent d‟un effet de
contexte non négligeable.
135
Malgré une percée des thématiques syndicales, la FAGE doit d‟ailleurs largement sa place de seconde
organisation étudiante à son rejet toujours réaffirmé de la posture syndicale au profit d‟une posture associative.
57
contours d‟un sous-champ syndical étudiant, a priori plus homogène dans le type de capitaux
qu‟il rémunère comme dans le type d‟illusio qu‟il génère.
1.2 – Jeu et illusio, capitaux, rétributions
La notion de champ est inséparable de celles d‟habitus et de capital. Appréhendées à
travers ce paradigme, les organisations syndicales étudiantes peuvent être perçues comme
productrices de services, de « produits ». Cet aspect proprement marchand des activités
syndicales semble d‟autant plus marqué, et assumé, par les organisations étudiantes
dominantes : tenir un rythme électoral annuel136, dans un milieu marqué par un turn-over
permanent, pousse les organisations qui ont des choses à perdre à standardiser les pratiques
comme les discours Ŕ sur le modèle des entreprises137 Ŕ de manière à assurer une efficacité de
ces derniers par delà les changements permanents des équipes militantes. Les services que
proposent les organisations étudiantes nous offrent une entrée privilégiée en direction du
« jeu » même auquel les syndicalistes s‟adonnent, et par là de l‟illusio que génère le sous
champ syndical étudiant. Nous prendrons ici deux supports utilisé par l‟organisation étudiante
majoritaire : les « argumentaires types », que l‟organisation met à la destination des militants
qui recrutent tous les ans de nouveaux adhérents sur les chaînes d‟inscriptions universitaires,
et les programmes syndicaux présentés lors des élections étudiantes. On trouve dans les
« argumentaires types » de l‟UNEF un triptyque de services (« informer / défendre / organiser
la solidarité »), et c‟est l‟un d‟eux Ŕ visant à défendre les droits étudiants Ŕ qui se voit
décliner en modalité concrètes dans les programmes électoraux. Les autres services produits
par l‟UNEF passent par le travail quotidien de l‟organisation : organisation de « bourses aux
livres », distribution de tracts informatifs relatifs aux droits aux examens, aux réformes, aux
actualités des conseils universitaires ou des droits sociaux, etc. Ces services recouvrent
partiellement les enjeux officiels du jeu syndical, à savoir la défense des « intérêts matériels
et moraux des étudiants », c'est-à-dire d‟un côté l‟accès à des titres scolaires (droits d‟entrée à
l‟université, modalités de contrôle des connaissances ou encore conditions de vies et d‟études)
et de l‟autre l‟accès à une insertion professionnelle réelle (valeur des titres scolaires,
reconnaissance de ceux-ci dans les conventions collectives, contenus pédagogiques des
136
Bi-annuel depuis la mise en œuvre de la loi LRU, les élections dans les conseils universitaires et dans les
conseils d‟administration des CROUS ayant lieu la même année.
137
Dans le cas de l‟UNEF, organisation majoritaire dans le conseil d‟administration de La Mutuelle Des
Etudiants, cet emprunt aux pratiques de la sphère économique a pu être facilité par la proximité avec le milieu
mutualiste.
58
stages, etc.). La défense des intérêts « professionnels », à la base de l‟existence même du
domaine syndical138, ne semble pourtant pas aller de soi dans le cas étudiant, et ne peut que
nous interroger : les étudiants ne forment pas une classe sociale139 « en soi », et la notion
d‟ « intérêts étudiants » recouvre en réalité une opération proprement politique, largement liée
à celle qui avait présidé à l‟adoption de la Charte de Grenoble, visant justement à en faire une
classe « pour soi » (opération couronnée d‟ailleurs de succès au regard des mobilisations
étudiantes de la dernière décennie et, notamment, au regard de la nature du mouvement antiCPE140). L‟illusio partagé par l‟ensemble des acteurs du sous-champ syndical étudiant est
semblable à celui partagé par tous les syndicalistes, mais l‟opération de fondation politique du
syndicalisme étudiant elle-même lui donne de fortes inclinaisons à se placer toujours-déjà sur
un terrain social clivé en termes de classes : alors que le syndicalisme salarié peut être
entendu comme la défense des intérêts de « la profession », de l‟ensemble du monde salarié
ou des deux à la fois (en fonction des traditions et courants de pensée), le syndicalisme
étudiant ne peut prétendre lui-même former un corps social homogène qu‟en se rattachant sur
le mode du devenir au monde salarié dans son ensemble. L‟illusio propre au syndicalisme
étudiant Ŕ en tous cas à l‟UNEF Ŕ est d‟ailleurs fondamentalement entaché d‟une grille de
perception marxiste ; et l‟éthos militant qui l‟anime correspond au modèle du militantisme
que J. Ion qualifie de « traditionnel », c'est-à-dire le militantisme des organisations historiques
de la classe ouvrière, dans lesquelles « le militant est celui qui risque sa vie en soldat dévoué à
la cause (…), pouvant même parfois sacrifier sa vie privée, négligeant le présent pour mieux
assurer l‟avenir141 », connaissant la longue durée comme horizon puisque « les combats
perdus ne sont que des batailles dans une guerre de longue haleine 142 ».
Lorsque l‟on tente de modéliser un secteur de la vie sociale à l‟aide du concept de
champ, dans le but d‟en faire ressortir certaines des logiques sous-jacentes, il est impossible
de mener à bien cette opération sans tenter poser dans le même temps ce que recouvre le
concept de capital, sans lequel il est inopérant. Chez Bourdieu, le capital né de la rencontre
138
Voir à ce sujet BARBET D., « Retour sur la loi de 1884 Ŕ La production des frontières du syndical et du
politique », Genèses, n°3, 1991, pp. 5-30. La volonté des législateurs, toutes tendances confondues, était en 1884
de circonscrire un domaine revendicatif extérieur au domaine politique, de manière à faciliter la mise en
revendication du malaise ouvrier.
139
Comparable à la catégorie de « jeunesse », la catégorie étudiante relève bien plutôt d‟une situation, d‟un état.
140
Voir MORDER R., (coord.), Naissance d’un syndicalisme étudiant, Editions Syllepse, 2006.
141
ION J., La fin des militants ?, éditions de l‟atelier, 1997.
142
Ibid.
59
entre un habitus143 déterminé et un champ dans lequel il acquiert une valeur spécifique (c‟est à
ce moment qu‟il vaut comme capital, ou comme capitaux de différentes espèces). Si le
syndicalisme étudiant est un « sous-champ » alors il est, comme tout champ, un enjeu de
luttes à la fois pour la définition des limites du champ et, ce qui va de paire, pour la définition
des types de capitaux valorisés et valorisants au sein de ce champ. Je vais me contenter d‟une
brève description des espèces de capitaux qui me semblent relativement bien rémunérés dans
le syndicalisme étudiant, sans toutefois soutenir mes propos par la description ethnographique
des évènements sur lesquels je m‟appuie144, la modélisation exacte du champ syndical
étudiant n‟étant pas l‟objet principal ici. Si je m‟en tiens à mon expérience de syndicaliste
étudiant à l‟UNEF, deux types de capitaux semblent être particulièrement valorisés sur une
durée relativement longue, les agents dominants du champ ayant eu tendance à la valorisation
du type de capital les ayants eux-mêmes mis en valeur : il s‟agit du capital politique d‟un côté
(si l‟on nomme ainsi la capacité fondatrice de l‟éthos à énoncer une grille de lecture du monde
social, c'est-à-dire des principes de visions et de divisions appelant à une action déterminée au
sein de celui-ci) et du capital « organisationnel » ou « technocratique » de l‟autre (entendu au
sens d‟une capacité à construire et faire perdurer l‟organisation : « faire des cartes », tenir à
jour des fichiers de contacts, assurer la gestion des dépôts de listes électorales ou des
demandes de subventions, etc.). A Amiens, les postes de direction ont par exemple longtemps
été répartis en fonction, bien sûr, du volume de capitaux détenus, mais aussi de la structure de
ces capitaux : le rôle de président du syndicat amiénois revenait ainsi à un « politique 145»,
ceux de secrétaires généraux ou de trésoriers à des « gestionnaires ». Récemment, à la suite
de luttes de légitimité et de la raréfaction du capital politique, la hiérarchie de rémunération
du capital s‟est inversée, ce qui participe d‟ailleurs à la redéfinition de la « bonne pratique »
du syndicalisme. Au-delà des capitaux « organisationnel » et politique, tous deux nécessaires
au syndicalisme étudiant mais pour autant enjeu de luttes de légitimité et de pouvoir, il existe
143
« Les conditionnements associés à une classe particulière de conditions d'existence produisent des habitus,
systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme
structures structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de
représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente de fins et la
maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre, objectivement «réglées» et « régulières» sans être
en rien le produit de l'obéissance à des règles, et, étant tout cela, collectivement orchestrées sans être le produit
de l'action organisatrice d'un chef d'orchestre ». BOURDIEU P, Le sens pratique, Paris, Editions de minuit,
1980.
144
Qui sont essentiellement des évènements survenus dans le syndicalisme amiénois à l‟UNEF, notamment dans
les périodes de crises et de lutte de légitimité, qui laissent à voir plus facilement la structure hiérarchique entre
espèces de capitaux à un moment et dans un lieu donné.
145
C'est-à-dire à un militant capable d‟énoncer une grille de lecture proprement politique du monde, de saisir les
changements substantiels dans les séquences politiques ou dans les « rapports de force » entre le gouvernement
et le « mouvement social ».
60
d‟autres espèces de capitaux reconnus dans le champ, plus consensuels quant à leur
rémunération. Le premier parce que son utilité est secondaire : il s‟agit du capital social, des
réseaux que chaque militant est susceptible de mobiliser pour adhérer à l‟organisation,
participer à une action, signer une pétition ou encore figurer sur une liste électorale. Le second
parce qu‟il s‟accumule au contact du champ lui-même, s‟accroit au fil des expériences
militantes : c‟est le capital militant146, d‟une importance primordiale et première source de
capital symbolique, sur lequel repose principalement la légitimité des « vieux ». Enfin, il faut
noter la reconnaissance de capitaux extérieurs pouvant être reconvertis dans le champ du
syndicalisme étudiant : le capital culturel, c‟est à dire la capacité proprement scolaire à écrire
des textes par exemple, utile pour la mise sur pied d‟un journal syndical ou l‟écriture d‟un
texte d‟orientation, en est un. Ce n‟est pas le seul. Le capital social peut lui aussi être
reconverti, pour remplir des listes électorales, lancer un mouvement social ou encore « faire
des cartes ». Au contraire, dans certaines configurations de luttes et de composition sociale du
champ, la détention de certains types de capitaux peut Ŕ comme nous le notions plus haut au
sujet du capital économique Ŕ parfois desservir son/ses porteur(s). La liste ne se veut, bien
sûr, pas exhaustive : elle ne vaut que dans le syndicalisme pratiqué à l‟UNEF, et à Amiens.
Pour clore l‟exercice auquel nous nous sommes ici livrés, reste encore à traiter la
question des rétributions que propose le champ aux individus qui s‟adonnent au jeu,
perceptibles de l‟extérieur par des habitus déterminés comportant des dispositions à « jouer le
jeu ». La première de ces rétributions, et la plus évidente, est une rétribution en termes de
capital social : pour des nouveaux arrivants à l‟Université, milieu atomisant pour ses
nouveaux arrivants si on le compare à l‟institution lycéenne, l‟adhésion à un groupe constitué
est un attrait non négligeable. Pour autant, cette forme de rétribution n‟est pas la plus
importante dans le cas du syndicalisme étudiant (plus encore si l‟on tient compte de la mise à
l‟écart de ceux qui, ne comportant bien souvent aucun type de capitaux valorisés dans le
champ, sont bien vite mis à l‟index par les militants : « il est là pour chercher des amis »,
« on fait du syndicalisme, pas du tricot », etc.), mais correspond bien plutôt à ce que peuvent
offrir majoritairement les corporations étudiantes ou, plus récemment, les « confréries » à
l‟américaine qui se développent sur les campus. La deuxième rétribution, plus importante,
vendue comme produit aux adhérents potentiels et d‟autant plus importante que
146
« Incorporé sous forme de techniques, de dispositions à agir, intervenir, ou tout simplement obéir, il recouvre
un ensemble de savoirs et de savoir-faire mobilisables lors des actions collectives, des luttes inter ou intrapartisanes, mais aussi exportables, convertibles dans d‟autres univers » Voir MATONTI F. et POUPEAU F., «
Le capital militant. Essai de définition. », Actes de la recherche en sciences sociales, n°155, p5-11.
61
l‟investissement va croissant (car elle recoupe en partie le capital social dans le cas des
militants), réside dans la résolution des problèmes administratifs nombreux auxquels doit faire
face tout étudiant à l‟Université : perte d‟une note dans une scolarité, problème d‟emploi du
temps, droits aux examens, problème d‟inscription ou d‟attribution de bourse, etc.). Vient
ensuite la reconnaissance proprement symbolique que peut conférer, avec toutefois des
variations importantes en fonction des configurations, le statut de militant : par
l‟administration universitaire ou du CROUS ; par le corps enseignants en fonction des UFR,
avec les cas d‟école largement opposés des UFR de sociologie et de médecine par exemple ;
et enfin par les étudiants eux-mêmes, en fonction de la structure des capitaux détenus : un
capital organisationnel fort, s‟il est valorisé dans le champ, va pourtant être dévalorisé chez
les « profanes » (dénoncé par exemple comme sectarisme de militants d‟appareils autocentrés
sur leur structure), alors qu‟à l‟inverse la détention de capital politique va être valorisé en
dehors du champ, et notamment dans un mouvement social. Enfin, la participation au champ,
pour ceux qui y reste quelques temps, est à l‟origine d‟une augmentation de l‟ensemble des
capitaux qui y sont promus et qui deviennent ensuite reconvertibles dans d‟autres univers
(professionnels, associatifs, et politiques notamment), ce qui n‟est pas sans attrait pour des
étudiants, par définition en attente d‟une insertion professionnelle.
1.3 – Les cadres de perception du syndicalisme étudiant
L‟un des meilleurs marqueurs de l‟existence d‟un domaine spécifique dans le monde
social, de sa délimitation et de sa routinisation réside certainement dans l‟apparition d‟un
langage spécialisé, d‟un ensemble de concepts permettant à la fois de jauger les actions des
autres protagonistes participant au même univers et de s‟orienter par rapport à celles-ci.
L‟étude du système langagier propre à une sphère du monde social permet de saisir les
ressorts de l‟action en son sein, de mettre le doigt sur les éléments du « jeu » qui s‟y déroulent
en termes bourdieusienne ; dans une visée plus compréhensive, elle permet d‟effectuer le
« tour d‟esprit » d‟une sous-culture spécifique, en « lisant par-dessus l‟épaule » des individus
qui y prennent part, pour reprendre une expression chère à C. Geertz. Nous allons ici nous
essayer à cet exercice avec les cadres de perceptions propres aux syndicalistes de l‟UNEF.
Les premiers éléments du système de repérage syndical sont ceux qui permettent de
mettre la réalité en récit, et de se situer en son sein. Pour les syndicalistes de l‟UNEF, et plus
62
encore pour ceux qui font partie de sa sensibilité majoritaire, ces éléments centraux reposent
sur un couple notionnel formé du « milieu » et de l‟ « organisation » (ou « le syndicat »). Le
« milieu » est une entité passive, qui fonde la raison d‟être de l‟ « organisation » Ŕ son
objectif étant de défendre ses « intérêts » Ŕ et sur lequel celle-ci doit agir : elle peut par
exemple « structurer le milieu » (lui donner des grilles de lecture, c'est-à-dire une analyse de
la situation et des objectifs à court, moyen et long terme) ou encore « organiser le milieu »
(lui fournir des moyens d‟actions, de la signature de pétitions aux réunions en assemblées
générales en passant par la syndicalisation). Fait majeur témoignant de l‟intériorisation de la
position dominante de l‟UNEF dans le champ de la représentation étudiante, il n‟est jamais
question des autres organisations syndicales étudiantes, sauf lorsqu‟elles s‟imposent à
l‟analyse (et bien souvent ce sont alors des « gauchistes », avec lesquels on peut être d‟accord
sur l‟analyse, mais qui ne représentent pas l‟ « ensemble du milieu147»). Les seules
organisations mentionnées régulièrement sont les organisations ennemies, les « corpos » (que
les militants affrontent dans les luttes pour la définition du champ, c'est-à-dire sur le terrain de
la démarche, et qu‟ils méprisent la plupart du temps148) ou la « droite » (les ennemis « de
classe »). Bien que d‟une manière moins marquée au regard du lexique employé, la
représentation marxisante du monde que nous décrivions dans le premier chapitre de ce
mémoire est en effet également présente au cœur des structures de perceptions syndicales à
l‟UNEF : le « milieu » participe ainsi d‟un ensemble plus vaste, son « camp social », dont
l‟ « organisation » qui le représente est, avec l‟ensemble des « forces progressistes », le
« bras armé ». De la même manière, le « milieu » et son « organisation » se confondent en
une entité supra-historique, le « mouvement étudiant », toujours présenté comme issu du
« mouvement ouvrier ».
Au-delà de ces schèmes initiaux de représentation, très politiques, les militants de
l‟UNEF disposent également d‟un vaste panel de termes mettant en scène leurs activités
proprement syndicales, l‟autre protagoniste privilégié étant ici « le gouvernement ».
L‟ensemble des interactions avec ce dernier sont interprétées à l‟aide de la notion de « rapport
de force » : les actions de ce dernier sont lues comme reflétant un certain état du « rapport de
force », et toute les actions entreprises par le syndicat visent, selon les cas, à « entretenir » ou
147
Les militants de l‟UNEF étant alors fidèle en cela à l‟emploi léniniste de la notion, qui rappelle l‟adage « un
pas devant les masses, jamais deux ».
148
Régulièrement, lors des élections étudiantes, des alliances « objectives » peuvent ainsi survenir entre militants
de l‟UNEF et de l‟UNI Ŕ qui s‟entendent à minima sur le terrain même de l‟affrontement Ŕ pour combattre les
forces corporatives.
63
« augmenter » ce dernier. Le syndicat mène une « guerre » Ŕ entrecoupée de « batailles » à
l‟issue desquelles le « rapport de force » est toujours réévalué Ŕ dont l‟objectif est la
« démocratisation » de l‟enseignement supérieur, et dont l‟ « outil » principal est le service
public. Lors des temps forts de l‟ « affrontement », le « milieu » doit être travaillé à l‟aide de
toutes les techniques militantes possible : il faut alors « irriguer les campus » (diffuser des
tracts à grande échelle et effectuer des campagnes d‟affichage massives pour travailler
idéologiquement la « masse des étudiants »), « ravager les campus » (intervenir de manière
systématique dans l‟ensemble des cours pour diffuser le message de l‟organisation, souvent
standardisé sous forme d‟ « interv’ type »), « tenir des tables » (poser une table d‟information
permanente dans les points centraux des universités) ou encore « faire du bouton de veste »
(chercher à rencontrer chaque étudiant un à un afin de convaincre, dans le cadre d‟un débat,
du bien fondé de entreprise militante)149. Dans l‟ « affrontement » avec le gouvernement,
chaque « débouché » trouvé aux mouvements sociaux (n‟importe quelle « victoire ») est un
« point d’appui » pour la suite : cela relève de la « pédagogie des luttes », qui contribuera
dans le futur et si elle est menée correctement au maintien du « rapport de force ». L‟UNEF
tire évidemment ce système langagier d‟un certain héritage politique, mais aussi des
possibilités d‟actions rendues possibles par la forme de l‟organisation, très centralisée.
Comme je l‟avais noté ailleurs, le centralisme la hiérarchie dans l‟organisation se retrouve
également dans le langage employé (les « chefs », les « cadres », les « sbouibs » /
« loutres »).
1.4 – Processus d’autonomisation du champ et stratégie de l’UNEF en
2007-2009
149
On peut remarquer, au passage, que ces techniques correspondent aux différents types d‟ « alignements des
cadres » d‟injustice identifiés par Snow. Ce dernier, partant du principe que chaque organisation de mouvement
social doit travailler à rendre largement partagé le cadre d‟injustice qu‟elle mobilise, en souligne quatre. Au
moins trois peuvent se retrouver dans les pratiques utilisées par l‟UNEF : la « connexion de cadres », c'est-à-dire
le travail mené par une organisation pour se faire connaître auprès d‟un public potentiel, c'est-à-dire de
personnes qui partagent son point de vue mais ne la connaissent pas (« irriguer les campus ») ; l‟ « amplification
de cadres », c'est-à-dire développer un schéma interprétatif existant chez les individus, faire le lien entre
préoccupations quotidiennes et objectifs du mouvement en insistant sur des valeurs et croyances préexistantes
mais n‟ayant pas débouché sur une volonté d‟engagement (« ravager les campus ») ; et la « transformation de
cadres », dans une logique de conversion consistant à modifier radicalement les points de vue, croyances, valeurs
pour les rendre conforme aux intérêts de l‟organisation (faire du « bouton de veste »). Cf. SNOW D. A.,
ROCHFORD E. B., WORDEN S. K., BENFORD R. D., Op. Cit.
64
Si le syndicalisme étudiant ne peut être considéré que comme un champ en
puissance150, interroger ses réalités à travers les catégories issues de la pensée de Bourdieu ne
s‟avère pas inutile, notamment pour saisir sociologiquement la stratégie de l‟organisation
étudiante majoritaire en 2007 et en 2009. Suite à la « réunification syndicale » de 2001,
l‟UNEF est devenue ultra-majoritaire151 dans le champ de la représentation étudiante, et jouit
d‟un monopole institutionnel exclusif sur le sous-champ du syndicalisme étudiant, les
organisations lui disputant le terrain syndical n‟ayant aucun élus ou presque152. Avec la
mobilisation de 2006 contre le CPE, durant laquelle les étudiants interviennent sur un terrain
réservé aux organisations syndicales de salariés, l‟UNEF Ŕ à l‟initiative de la mobilisation Ŕ
impose la reconnaissance de ses cadres auprès des centrales. Elle se rapproche notamment,
par la suite, de la CGT, dont elle s‟inspire de plus en plus ouvertement en termes de stratégie
comme de positionnement153. Pendant le mouvement CPE et à sa suite, au-delà de la
reconnaissance de ses pairs / pères syndicalistes, l‟UNEF jouit également d‟une
reconnaissance accrue de la part des pouvoirs publics154. Le processus de normalisation des
mouvements de jeunesse qui commence au milieu des années 1980155 se réaffirme en 2006, et
l‟équipe dirigeante de l‟UNEF Ŕ qui contrôle également l‟UNL Ŕ jouit du monopole de la
représentation politique non seulement des étudiants mais de toute la jeunesse scolarisée :
après plus de trois décennies de mouvements de jeunesse, presque 40 ans après la loi Faure,
l‟institutionnalisation des mouvements de jeunesse a fait du chemin 156. A en juger par les
discussions qui animent les membres du Bureau National (BN) de l‟UNEF au sortir de la
mobilisation contre le CPE157, la génération de syndicalistes qui dirige l‟organisation n‟est pas
150
Si un phénomène social répondant aux critères de définition des champs existe bel et bien dans le domaine de
la représentation étudiante depuis 1969, la bataille de définition des enjeux du champ n‟est pas terminée, mais
comprend un pôle « syndical » puissant, majoritaire et relativement homogène.
151
Voir en annexe (n°6) le tableau synthétique des résultats au CNOUS ces trente dernières années.
152
Seule la Confédération Etudiante dispose, dès 2006, d‟un élu au CNESER.
153
Notamment elle entend dès lors jouer, dans le champ syndical étudiant, le rôle de structure « pivot » que la
CGT entend incarner depuis une dizaine d‟année dans le champ syndical salarié, dans une optique de
« réunification du mouvement étudiant ».
154
Dans une période où les mouvements de jeunesse scandent les rythmes politiques du pays, il est fort probable
que le pouvoir gouvernemental ait trouvé tout intérêt à reconnaître un interlocuteur privilégié : comme le note D.
Barbet, reprenant en cela les mots des législateurs débattant avant le vote de la loi de 1884 sur la liberté
syndicale, le syndicat est un outil ambivalent, qui contribue notamment à « la formation d‟une élite dirigeante,
dotée de ce sentiment que donne le fait d‟avoir été investi de la confiance d‟autrui ». BARBET D., Op. Cit.
155
Cf. LESCHI D., Op. Cit.
156
Pendant les années 1970 l‟UNEF-US puis l‟UNEF-ID, dirigées par les jeunes cadres de l‟Organisation
Communiste Internationaliste (OCI), refusèrent de se prêter au jeu de la démocratie étudiante. C‟est à la fois
l‟accession à la présidence de la République de François Mitterrand et le départ des cadres de l‟OCI vers le PS
qui impulsera un changement de ligne à ce sujet pour l‟UNEF-ID.
157
Dans le but de saisir les inflexions stratégiques qu‟a subies l‟organisation étudiante après 2006, nous allons
ici nous appuyer sur l‟exploitation d‟un cahier syndical datant de 2007, appartenant à une militante alors membre
de son bureau national.
65
dupe sur les transformations qui ont restructuré, à son profit, les rapports de force syndicaux
et politiques dans la jeunesse et dans le milieu étudiant.
Fin septembre 2007, les membres du BN de l‟UNEF organisent un séminaire sur le
projet syndical qu‟il s‟agit d‟imprimer à l‟organisation dans les années à venir, de manière à
exploiter la situation nouvelle en vue du projet syndical de l‟organisation. Quelques années
après la réunification des deux UNEF, un an après le mouvement anti-CPE, le sentiment
d‟avoir fait ses preuves en tant que structure syndicale à part entière Ŕ et d‟être reconnu
institutionnellement comme telle Ŕ domine à cette période largement le débat. Plus encore :
après avoir été la principale organisation à avoir accès aux médias Ŕ non pas uniquement pour
porter la voix étudiante, mais la voix de l‟ensemble de la jeunesse Ŕ les militants de l‟UNEF
s‟interrogent sur l‟espace de représentation couvert par l‟organisation : « l’UNEF défend les
étudiants mais aussi ceux qui souhaiteraient le devenir ou qui vont le devenir, le syndicat a
aujourd’hui un rôle éminemment politique ». Dans les esprits syndicaux, les responsabilités
incombant à l‟organisation n‟en sont que plus vastes, sur le terrain des restructurations à
l‟œuvre dans le syndicalisme étudiant (« on est la génération qui peut clore la phase ouverte
par 1971158, on doit être une génération de construction ») comme sur celui de la gestion
appropriée de la phase de conflits qui s‟annonce avec l‟élection de N. Sarkozy. Les
interventions durant le séminaire en disent long sur l‟appréhension de la nouvelle donne
institutionnelle : « L’UNEF est passée du rôle de spectateur au rôle d’acteur, car le rapport
de forces a changé », déclarait à l‟époque le futur président de l‟UNEF, J.B. Prévost. Et B.
Julliard, président en exercice, de rajouter que « le syndicat dispose maintenant d’un rapport
de force qui lui permet de négocier, d’imposer ses vues au gouvernement ». Pour les
dirigeants de l‟UNEF, en ce mois de septembre 2007, la démonstration effectuée en 2006
d‟être « la seule organisation capable d’appuyer sur le bouton déclencheur d’une
mobilisation de masse » explique en grande partie la victoire obtenue sur la question de la
sélection à l‟entrée de l‟université Ŕ à l‟origine partie intégrante de la loi LRU Ŕ quelques
mois plus tôt. Devant le danger que représente le gouvernement de N. Sarkozy pour les
« droits étudiants », le « rapport de force » issu du mouvement CPE Ŕ en d‟autres termes le
capital institutionnel, politique et symbolique accumulé par l‟organisation Ŕ doit être utilisé
avec précaution : « on ne peut pas lancer toutes nos forces dans la bataille, car si il y a
158
La « grande UNEF » explosa en 1971, à la suite d‟une scission entre militants communistes et lambertistes.
Dans leur volonté de réunifier les différentes organisations étudiantes, avec le projet à long terme d‟un syndicat
de masse unique, les militants du BN de 2007 prennent largement en compte la percée des thématiques
syndicales dans le champ de la représentation étudiante et souhaitent associer la FAGE au processus unitaire.
66
défaite le mouvement étudiant ne s’en relèvera pas ». Prenant appui et modèle sur les
syndicats de salariés, et au premier chef la CGT, il faut donc face au gouvernement être
prudent et « ne pas entraîner le mouvement étudiant dans un mur qui serait celui de
l’abrogation de la LRU » : « sur les retraites, les syndicats sont responsables et mesurés, ils
ne veulent pas se laisser piéger sur les retraites et casser toute perspective de lutte future,
alors que le gouvernement n’attend que ça ». Au fil des évolutions du mouvement, l‟UNEF Ŕ
décriant à l‟origine un mouvement gauchiste et loin des préoccupations des « étudiants
normaux » Ŕ s‟ « associera » au mouvement sans y prendre réellement part : évacuant les
revendications des coordinations nationales étudiantes, perçues comme l‟instrument
d‟opposants politiques, l‟UNEF va essentiellement profiter du mouvement contre la LRU
(qu‟elle va par ailleurs jusqu‟à combattre dans certaines universités) pour avancer sur ses
revendications propres159. Fin 2008, alors qu‟elle estimera les conditions politicoinstitutionnelles meilleures (défaite de la majorité gouvernementale aux élections
municipales, contradictions politiques accentuées par la crise et le plan de sauvetage des
banques, etc.), elle essaiera à l‟inverse, sans succès, de lancer seule un mouvement sur les
universités : le « bouton déclencheur » utilisé en 2006 resta sans effet, malgré « la force de
l’organisation qui repose dans son centralisme ». Début 2009, l‟UNEF sera dépassée par le
nouveau mouvement dans les universités, et tenue à l‟écart du mouvement par les étudiants
mobilisés, qui sont bien souvent les mêmes qu‟en 2007. Encore une fois, le syndicat
négociera donc sur ses revendications propres, et non celles de la CNE ou de la CNU,
accentuant toujours plus le fossé le séparant des milliers d‟étudiants présents dans les
assemblées.
Le processus d‟institutionnalisation des mouvements étudiants, qui est aussi un
processus d‟autonomisation du champ de la représentation étudiante, permet ainsi par deux
fois à l‟UNEF d‟usurper la représentation d‟un mouvement dans lequel elle n‟est pas
impliquée : l‟intégration de l‟organisation aux sphères du pouvoir Ŕ à l‟ « appareil d‟Etat » en
termes marxistes ou au « champ du pouvoir » en termes bourdieusiens Ŕ est à l‟origine d‟une
dissociation complète, en milieu étudiant, entre les mouvements sociaux et leur représentation
politique. La reconnaissance de l‟UNEF dans le champ politique entendu au sens large, qui
est dans le même temps une possibilité d‟existence dans le champ médiatique, lui permet en
159
Pour les membres dirigeant du courant majoritaire de l‟UNEF, ce sont les questions budgétaires qui sont alors
centrales. L‟abrogation de la LRU ne pouvant être obtenue, il faut « débloquer » des « enveloppes budgétaires »
pour ralentir le processus de privatisation (« tant que les universités auront de l‟argent, elles n‟iront pas le
chercher dans la poche des étudiants ou des entreprises »).
67
2007-2009 de s‟affranchir de toute réalité concrète du mouvement social. Prise dans le jeu du
« sous-champ » syndical étudiant Ŕ lui-même à cheval entre deux autres champs, le champ de
la représentation étudiante et le champ syndical Ŕ l‟UNEF revendique après 2006 pour elle
seule l‟incarnation du « milieu » (la défense des « étudiants normaux »), dont les intérêts
présumés finissent par se confondre avec ceux de l‟organisation elle-même. Ce faisant, elle
renvoie les autres courants militants et les autres organisations (« gauchistes »), y compris les
AG étudiantes et les coordinations nationales, dans la défense de leurs chapelles propres. Il y
a fort à parier que ce moment d‟institutionnalisation du sous-champ syndical étudiant soit
également un moment de fermeture de ce dernier : dans les années 2000, l‟UNEF s‟est
fortement professionnalisée, que ce soit sur le terrain des services qu‟elle est en capacité de
proposer aux étudiants que dans ses rapports avec les sphères gouvernementales et
médiatiques (ce qui renvoie à ses capacités d‟expertise). En 2007, à l‟occasion du séminaire
de direction de l‟organisation, B. Julliard regrettera ainsi que l‟UNEF ne dispose pas de
salariés (« ce qui n’est pas un choix mais une contrainte ») afin de « sous-traiter » les tâches
techniques nouvelles qui s‟imposent à l‟organisation. A l‟état d‟hypothèse de travail,
l‟autonomisation du sous-champ syndical Ŕ qui suppose une fermeture progressive des
positions dominantes pour les militants de base au profit de professionnel de la politique
mieux dotés en capitaux (scolaires, politiques, sociaux, etc.) Ŕ demanderait pour être vérifiée
une sociographie évolutive de l‟organisation qui y est majoritaire, et notamment des membres
de son bureau national.
2 – Espace et mouvements étudiants
L‟institutionnalisation des mouvements étudiants a une longue histoire derrière elle,
dont une étape supplémentaire fut certainement franchie lors du mouvement CPE de 2006. Il
est fort possible que la reconnaissance de l‟UNEF dans le champ du pouvoir, qui fut possible
grâce à la mobilisation dont elle fut à l‟origine mais également au gré de la stratégie du
nouveau gouvernement élu en 2007, marque en effet un temps d‟autonomisation, de fermeture
et de professionnalisation du sous-champ syndical étudiant. Ce faisant se renforcent avec
toujours plus d‟acuité les logiques institutionnelles, permettant paradoxalement à
l‟organisation la plus « représentative » de s‟affranchir des réalités sociales de son « milieu »
pour élaborer sa propre stratégie en fonction des nouvelles logiques qui s‟imposent à elle. La
68
première organisation étudiante, la seule à avoir la capacité et la volonté de structurer les
mouvements étudiants, a pourtant vu naître des mouvements massifs extérieurs à sa volonté,
et qu‟elle n‟arrive pas à « raccrocher ». Cela ne s‟explique pas uniquement par le
renforcement des organisations de gauche minoritaires Ŕ SUD-étudiant et FSE notamment Ŕ à
la sortie du mouvement de 2006. La mise en place d‟un mouvement social à échelle nationale
suppose en effet une armature organisationnelle à même de coordonner les formes des
mobilisations, leurs revendications et leurs rythmes. La forme coordination, née dans les
lycées au début des années 1970, avait alors fourni aux militants d‟extrême gauche les bases
d‟une telle armature organisationnelle qui leur permettait, dans le même temps, de dépasser
leurs divisions160. Comme nous le notions dans la première partie de ce mémoire, l‟adoption
du blocage dès 1998 comme mode d‟action prioritaire des mouvements étudiants impliqua
d‟elle-même une forme d‟auto-organisation permanente sur les lieux d‟études. C‟est au
croisement de la forme occupation et de la forme coordination (dont la pratique fut conservée
et transmise par les organisations d‟extrême gauche depuis les années 1970) que peut être
recherchée la spécificité des mouvements étudiants des années 2000, dans l‟ouverture répétée
d‟un nouvel espace Ŕ doté de ses propres formes de régulation Ŕ remettant en cause les
logiques et temporalités syndicales. Ce nouvel espace a cependant pris à Amiens des formes
spécifiques, en raison de la tradition syndicale étudiante qui s‟est développé et perpétué à
l‟UPJV : pour circonscrire notre objet et donc la portée explicative de nos propos, nous
commencerons donc par évoquer les stratégies développées par l‟UNEF-Amiens sur la
période 2007-2009.
2.1 – Auto-organisation et stratégies syndicales à Amiens
Le développement de pratiques perfectionnées d‟auto-organisation à Amiens
n‟aurait pu être poussée aussi loin sans l‟accord et le concours actif des membres de
l‟organisation étudiante majoritaire, qui fut par ailleurs longtemps (jusqu‟en 2005) la seule
organisation étudiante amiénoise revendiquant une démarche syndicale. La percée de
pratiques libertaires à dater de 1998 au sein même de l‟UNEF fut elle-même permise par un
certain habitus militant et politique issu de la tradition trotskiste, développé par les militants
160
LESCHI D., Op Cit.
69
de l‟UNEF-Amiens à compter de 1989161. Si l‟instauration des pratiques d‟auto-organisation
peut, à la faveur de l‟adoption du blocage comme mode d‟action prioritaire des luttes, se
passer Ŕ comme nous le montre le cas typique de l‟université poitevine en 2006162 Ŕ des
militants d‟extrême gauche, celles-ci sont largement renforcées lorsqu‟elles n‟ont pas à
affronter les organisations instituées pour la gestion de la lutte et de sa représentation : plus
encore, à Amiens, la structure très formelle de l‟auto-organisation des mouvements est pour
partie la résultante de la stratégie syndicale qui s‟est développée dans l‟UNEF. Comme
mentionné plus haut, l‟UNEF-Amiens appartient à l‟une des tendances minoritaires de
l‟UNEF, la TUUD, qui jusqu‟en 2007 a été principalement animé par les jeunes militants de
la LCR et des JCR. Le choix même de l‟intervention dans l‟UNEF est motivé, pour les tenants
de ces courants, par le respect de l‟orthodoxie trotskiste conseillant d‟intervenir dans les
syndicats de masse163 ; et il se double de pratiques de démocratie directe à la fois dans les
cadres syndicaux et dans les mouvements sociaux. Ces pratiques s‟expliquent largement par
les origines mêmes du trotskisme et les points de ruptures qu‟il a incarné dans le mouvement
communiste international (et certainement également par les origines sociales plus élevées,
par rapport aux militants communistes, des militants trotskistes, dont certains chants devenus
folkloriques164 témoignent jusqu‟à aujourd‟hui), c'est-à-dire par l‟attention particulière porté
par ce courant Ŕ qui représente à cet égard une exception dans la tradition léniniste Ŕ aux
phénomènes liés à la « bureaucratie ». Cette posture politique vis-à-vis de l‟auto-organisation
se décline en éléments stratégiques très concrets dans le cours même des luttes syndicales. Au
niveau national, les membres de la TUUD vont par exemple intervenir au sein des
coordinations nationales étudiantes pour la création d‟un comité national de grève, c'est-à-dire
d‟un exécutif provisoire qui s‟essaierait à la réappropriation de la gestion médiatique de la
lutte : sur ce terrain, ils s‟opposeront à la fois aux mouvances autonomes ou anarchosyndicalistes mais également aux délégués de la majorité nationale de l‟UNEF).
161
A partir de 1989, les militants de la LCR Ŕ puis de la Gauche Révolutionnaire dès 1992 Ŕ sont majoritaires
dans la section amiénoise de l‟UNEF-ID. Après la parenthèse libertaire de 1998-2002, c‟est à nouveau les
membres de la LCR qui animent, sans pour autant être majoritaires en nombre, le collectif syndical de l‟UNEF
« réunifiée » (l‟UNEF-SE disparût du syndicalisme étudiant amiénois en 1996). Sur l‟ensemble de la période
1996-2005, l‟UNEF est la seule organisation syndicale étudiante à Amiens : la FSE ne verra le jour qu‟en 2005 à
l‟initiative d‟un ex-membre du BN de l‟UNEF-SE et, plus symptomatiquement, SUD-étudiant verra le jour à la
suite du mouvement de 2007 à l‟initiative d‟étudiants dépourvus de toute tradition politique.
162
Voir à ce sujet GEAY B. (dir.), La protestation étudiante. Le mouvement du printemps 2006, Raisons d‟Agir,
coll. Cours et Travaux, 2009.
163
Voir par exemple TROTSKY L., L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVème Internationale.
Programme de transition, Broché, 2005.
164
Je pense notamment à la « ligue à Léon » : « je milite à Nanterre, mais j’habite à Neuilly / j’ai mis l’usine en
grève, c’est papa le patron / j’aime la couleur rouge, celle de ma Ferrari / etc. »
70
A Amiens, les militants syndicalistes ont la plupart du temps joué un double jeu dans
les mobilisations étudiantes, en lien avec leur intervention simultanée dans le champ de la
représentation étudiante et dans l‟espace de la mobilisation. En 2007 et en 2009, les membres
de l‟UNEF-Amiens disposaient d‟une démarche militante bien rôdée pour « lancer » les
mobilisations, démarche systématisée dans un « guide de grève » mis au point au début des
années 2000 par la direction de la TUUD (et compilant les bases d‟une tradition du
« syndicalisme étudiant de lutte »). Lors de la phase préparatoire d‟un mouvement, les
syndicalistes cherchent tout d‟abord à gonfler leurs troupes : ils diffusent un tract syndical
énonçant l‟ « injustice », si possible avec l‟appui des autres forces étudiantes disponibles par
le biais des intersyndicales, et récoltent des contacts d‟étudiants durant le travail de
propagande (qui comprend aussi les interventions orales dans les salles de cours et les
amphis). A l‟issue des premières AG, qui réunissent les étudiants les plus en accord avec le
cadre d‟injustice posé et les revendications du mouvement Ŕ c‟est la phase de « connexion de
cadre » chez Snow Ŕ, les syndicalistes ressortent avec un fichier de contacts servant à mettre
en place les premiers comités de mobilisation. Si l‟AG a réunie suffisamment d‟étudiants
(entre 100 et 200), la grève a également pu être votée, de manière à pouvoir communiquer
auprès de la presse et de faire franchir un cap symbolique au mouvement. Lorsque les AG
connaissent un nombre suffisant de participants (à Amiens ce seuil tourne autour de 400), la
grève avec occupation peut être votée. Dès lors la structure syndicale de l‟UNEF-Amiens
s‟efface devant les organes d‟auto-organisation, ce qui d‟un côté répond aux exigences de la
tradition politique au fondement des dispositions militantes de ses membres (« laisser les
étudiants prendre en main leurs propres affaires ») et de l‟autre protège les intérêts de la
structure pour l‟après-mouvement : les syndicalistes refusant de servir d‟interlocuteurs
privilégiés du pouvoir administratif, ils évitent d‟affronter frontalement la présidence de
l‟Université. Ce n‟est que lorsque le mouvement est sur le déclin que l‟organisation en tant
que telle, en tant que structure, recommence à avoir une réalité propre : entre-temps, le
syndicalisme institutionnalisé laisse la place à un espace social nouveau.
2.2 – De la notion d’ « espace des mouvements sociaux »…
L‟apparition dans les débats militants des années 1990 du « mouvement social » Ŕ
l‟emploi du singulier soulignant la représentation dans les consciences d‟un nouvel acteur à
part entière de la vie politique française Ŕ a largement imposé aux sociologues comme aux
71
politistes de forger de nouveaux outils conceptuels, rendant compte de l‟interdépendance
croissante entre les diverses composantes de la vague de contestation d‟ampleur qui renait
avec le mouvement social de l‟hiver 1995. La prise en compte du « monde à part » constitué
des mouvements sociaux contemporains a suscité plusieurs élaborations paradigmatiques,
dont la notion d‟ « espace des mouvements sociaux » mis au point par L. Mathieu165 semble
fournir la plus intéressante synthèse. Construit sur l‟hypothèse d‟une différenciation
progressive des sociétés contemporaines Ŕ théorisée notamment par N. Elias166, P.
Bourdieu167 ou encore M. Dobry168 à travers les concepts de « configurations », « champs » et
« secteurs » Ŕ l‟espace des mouvements sociaux constituerait ainsi un « espace autoréférentiel
[qui] se distingue des autres univers constitutifs du monde social en ce qu’il propose aux
acteurs individuels ou collectifs qui le composent des enjeux spécifiques tout en étant
organisé par des temporalités, des règles et des principes d’évaluation propres, qui
contraignent leurs pratiques, prises de positions, anticipations et stratégies 169». Si la notion
d’espace des mouvements sociaux connait des accointances certaines avec celle de « champ
des mouvements sociaux » défendue par G. Mauger170, elle s’en distingue sur plusieurs
points, et notamment sur le terrain de l’autonomie relative et évolutive de l’espace vis-à-vis
du syndical et du politique. Pour l’exploration de notre objet propre, l’emploi différencié des
notions de champ171 et d’espace permet de souligner une différence à notre sens majeure dans
les contraintes qui s’imposent aux acteurs des mobilisations, selon qu’ils soient syndicalistes
ou non : celle résidant dans les différentiels d’institutionnalisation et, partant, de temporalités
sociales.
Chez Mathieu, l’espace des mouvements sociaux est composé d’organisations de
mouvement social diverses (associatives, syndicales, politiques ou intellectuelles). Prises
isolément, on peut considérer que ces types différenciés d’organisations participent du
fonctionnement de champs distincts dans lesquels elles s’affrontent pour l’accès à des
165
MATHIEU L., « L‟espace des mouvements sociaux », Politix. Revue des Sciences Sociales du Politique,
n° 77, 2007, p. 131-151.
166
ELIAS N., La Société des individus, Paris, Pocket, 1991.
167
BOURDIEU P., « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie, XII, 1971, « Le
champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 89, 1991.
168
DOBRY M., Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la FNSP, 1986.
169
MATHIEU L., Op. Cit.
170
MAUGER G., « Pour une politique réflexive du mouvement social », in COURS-SALIES P. &
VAKALOULIS M. (dir.), Les mobilisations collectives : une controverse sociologique, Paris, PUF.
171
A la condition bien sûr, comme nous l‟avons fait plus haut, de considérer le concept de champ dans ses
définitions les plus rigoureuses, de manière à prendre en compte l‟existence sociale Ŕ plus ou moins consciente Ŕ
du champ aux yeux de ses acteurs et donc son institutionnalisation.
72
ressources institutionnelles, financières, sociales et symboliques (respectivement les champs
associatif, syndical, partisan et académique). Dans une perspective historique, les différents
types d’organisation de mouvement social résultent d’une institutionnalisation des
mouvements sociaux, à travers l’action de la loi qui délimite l’action sociale et la restreint à
un domaine spécifique, formant ainsi des champs structurés et objectivés. L’un des intérêts de
la notion d’espace des mouvements sociaux réside à notre sens dans sa faculté à décloisonner
ces sphères sociales tout en se donnant les moyens d’appréhender dans le même temps,
combinée à la notion de champ, les logiques propres qui les caractérisent : en dégageant ainsi
deux niveaux dans l’analyse, elle permet de prendre en compte à la fois les contraintes
spécifiques qui pèsent sur chacun de ces secteurs sociaux (pris en tant que champs) et le
terrain (pris comme un espace) politique sur lequel les organisations relevant de ces secteurs
et les militants, souvent « multicartes », s’affrontent. On peut donc identifier, dans l’espace
des mouvements sociaux, différents pôles repérables aux affinités idéologiques et aux
« homologies de recrutement militants ».
Comme nous le notions plus haut, Mathieu définit également l’espace des
mouvements sociaux comme un univers connaissant une autonomie relative et évolutive. Il
situe sa première phase d’autonomisation vis-à-vis du champ partisan dans la décennie 1970,
cette période correspondant à « un processus de reconversion d’investissements politiques
antérieurs, et plus précisément d’investissements révolutionnaires déçu172 ». La victoire de la
gauche en 1981 entame ensuite selon lui une seconde phase de quasi-disparition de l’activité
protestataire, qui diminue tandis que nombre de leaders d’organisations sont aspirés dans les
cabinets ministériels du nouveau gouvernement socialiste. Après la déception consécutive à la
conversion du PS au néolibéralisme, la reprise d’une contestation d’ampleur dans les années
1990 marquerait enfin un nouveau temps de reconstitution de l’espace des mouvements
sociaux, dont le mouvement de l’hiver 1995 fut un élément clef : « le vaste mouvement de
grève de la fonction publique de novembre-décembre 1995 a joué un rôle décisif dans la
nouvelle autonomisation de l’espace des mouvements sociaux », en montrant « qu’une
mobilisation d’ampleur était apte à faire reculer le gouvernement par elle même, c’est-à-dire
sans le relais des forces partisanes 173». Pour Mathieu, à cette dernière phase de reconstitution
de l’espace des mouvements sociaux se superpose une phase d’autonomisation de ce dernier,
l’ensemble des succès relatifs arrachés par les mobilisations de la fin des années 1990 ayant
172
173
MATHIEU L., Op. Cit.
Ibid.
73
ainsi « consolidé l’autoréférence de l’espace des mouvements sociaux, i.e. la représentation
partagée par nombre de ses membres de constituer un univers distinct et qui, quoique à
distance du champ partisan, n’en est pas moins capable de significativement peser sur le cours
de la vie politique ». Cette consolidation de l’autonomie de l’espace trouve alors des
expressions multiples, de la parution de l’appel « Nous sommes la gauche174 » à la
constitution même du mouvement altermondialiste. Malgré la fermeture relative des
organisations du « mouvement social » à l’univers partisan – motivée notamment par « le
discrédit des partis, la crainte de la récupération de la critique altermondialiste à des fins
électorales et la volonté de préserver un espace de militantisme “désintéressé” car dénué
d’enjeux de carrière175 » – les tentations existeront de pénétrer dans le champ politique, en
disputant aux partis l’incarnation de la « gauche » : en témoigne la tentative (avortée) d’Attac
de présenter des listes « 100% alter » aux européennes de 2004 ou encore l’expérience des
« collectifs antilibéraux » de 2007, initiée à la suite de la victoire des organisations du
« mouvement social » ayant permis la victoire du « NON » lors du référendum national sur le
TCE en 2005. Mathieu souligne enfin que ces rapports complexes entretenus par l’espace des
mouvements sociaux à l’égard du champ partisan ne peuvent se comprendre qu’au regard de
transformations intervenant en parallèle dans le champ partisan lui-même, marqué notamment
par la conversion du parti hégémonique à gauche au social-libéralisme et par une poussée de
professionnalisation politique.
2.3 – … à celle d’ « espace des mobilisations étudiantes »
Les pistes énoncées par L. Mathieu peuvent nous aider à éclairer notre objet dans
deux perspectives distinctes. Elles permettent tout d‟abord de reconnaître un univers
autoréférentiel d‟interdépendances et de « compétences spécialisées » distinct des champs
syndical, partisan ou associatif. Ces compétences sont chez Mathieu de deux natures :
« cognitives », le terme renvoyant à un ensemble de savoirs permettant aux acteurs de
174
Appel lancé par Act Up, puis rallié par des organisations et personnalités du mouvement social à l‟occasion
des législatives de 1997. « Partout nous avons réinvesti l’espace laissé vacant par ceux qui étaient censés nous
représenter. Partout nous avons colmaté les brèches ouvertes par des politiques gouvernementales de plus en plus
inadaptées. Si la gauche veut vraiment construire une Europe politique et sociale, si elle veut en finir avec cette
politique inique de l’immigration, si elle veut lutter contre le chômage, organiser la solidarité avec les pays du
Sud, mener une politique de lutte contre le sida pour toutes les personnes atteintes, redonner priorité à
l’Education et à la Culture, reconnaître que la répression contre la toxicomanie doit céder le pas à une politique
de réduction des risques, elle doit le prouver » Extrait de l’appel « Nous sommes la gauche », repris dans
MATHIEU L., Op. Cit.
175
Ibid.
74
s‟orienter au sein de l‟espace « par la maîtrise du langage et des principes de classement qui y
ont cours » (ces schèmes de perception informant la pratique, soit par anticipation des
« coups » que les autres protagonistes sont susceptibles de jouer, soit par « évaluation de la
situation à l’aune de précédents ») ; ou « pratiques », c'est-à-dire constituées d’un ensemble de
savoirs-faire ayant été acquis dans la conduite des luttes et relevant d’une maîtrise « préréflexive » (« rédiger un tract, négocier le trajet d’une manifestation avec la préfecture,
retourner en sa faveur une assemblée générale hostile, exposer des revendications aux
médias », etc.). Nous avions, dans une précédente étude, conceptualisé cet ensemble de
compétences sous le terme emprunté à Matonti et Poupeau de « capital militant176», le
concept renvoyant de lui-même à la notion de « champ militant ». L‟introduction de la notion
d‟ « espace177 » en lieu et place de celle de champ va nous permettre ici de souligner les
différences d‟institutionnalisation entre ces deux sphères distinctes et donc les temporalités
différentes dans lesquelles elles s‟inscrivent : suivant les pistes énoncées par P. Corcuff et C.
Aguiton, nous pensons en effet que la déconnexion des sphères sociales, syndicales et
politiques peut être appréhendée sous l‟angle des différences dans les temporalités qu‟elles
connaissent (« le temps court de l’action revendicative, le temps moyen de la compétition
électorale et le temps long de la stabilisation des collectifs syndicaux178 »). En outre, tout en
mettant en avant les différences d’institutionnalisation et de temporalités, capitale dans le type
de contraintes – objectives ou symboliques – qu’elle fait peser sur les agents, la notion
d’espace permet de conserver l’un des principaux intérêts de la notion de champ, à savoir
l’existence de savoirs et de savoirs-faire nécessaires au fonctionnement de l’espace et
inégalement distribués dans l’espace social. En d’autres termes, elle invite à explorer au
même titre la composition sociale d’un tel espace et celle du sous-champ syndical étudiant.
Dans un deuxième temps, le modèle analytique mis en place par Mathieu autour de
l’espace des mouvements sociaux permet de replacer notre objet dans son historicité, c'est-àdire de souligner l’impact qu’a pu avoir le processus d‟autonomisations conjointes du
176
« Incorporé sous forme de techniques, de dispositions à agir, intervenir, ou tout simplement obéir, il recouvre
un ensemble de savoirs et de savoir-faire mobilisables lors des actions collectives, des luttes inter ou intrapartisanes, mais aussi exportables, convertibles dans d‟autres univers ». MATONTI F., POUPEAU F., « Le
capital militant. Essai de définition. », Actes de la recherche en sciences sociales, n°155, p5-11, 2004.
177
Ce qui n‟empêche pas de conserver la notion de capital militant qui permet, pour reprendre les mots de L.
Mathieu de « pointer ce qu’ils désignent comme le taux de change de ce capital lorsqu’il est transféré d’un
univers militant à un autre, de l’espace des mouvements sociaux ou du monde syndical au champ politique, par
exemple ». MATHIEU L., Op. Cit.
178
AGUITON C., CORCUFF P., « Mouvements sociaux et politique : entre anciens modèles et enjeux nouveaux
», Mouvements, n° 3, 1999, p. 9. Citation reprise dans MATHIEU L., Op. cit.
75
« mouvement social » et du champ partisan Ŕ qui s‟accentue à la fin des années 1990 et tout
au long des années 2000 Ŕ sur des cohortes militantes ayant fait leurs premières armes dans le
temps même de ce processus. L‟autonomisation de l‟espace des mouvements sociaux s‟est en
effet accompagnée d‟une harmonisation des pratiques en termes de prises de décisions, en
tous cas pour les militants se reconnaissant dans la nébuleuse « altermondialiste » : au regard
des données issues du travail de mémoire effectué il y a deux ans, nous pouvons poser
l‟hypothèse que le système de pratiques remis au goût du jour par les courants
« altermondialistes » n‟a pas été sans effet sur les militants étudiants qui ont impulsé le
mouvement de 1998 à Amiens. Dans une perspective plus abstraite et théorique, nous
pouvons ensuite effectuer une analogie à partir des processus que souligne L. Mathieu : si
l‟autonomisation de l‟espace des mouvements sociaux est pour partie un effet d‟une autre
autonomisation corrélative, celle du champ partisan, alors le processus de fermeture du champ
syndical étudiant que nous évoquions plus haut pourrait bien avoir lui aussi comme corrélatif
l‟autonomisation d‟un espace, celui des mobilisations étudiantes.
2.4 – Les lignes de fractures des mouvements étudiants
Les données recueillies à travers l‟observation de terrain et les entretiens menés, une
fois mises en perspective à travers les concepts de champ et d‟espace, permettent d‟avancer
des pistes quant aux lignes de fractures qui ont parcouru le milieu étudiant ces dernières
années. Si ces lignes de fractures se situent à plusieurs niveaux de réalité, et si elles semblent
découler de facteurs différents, elles se cristallisent toutes aux frontières du champ syndical
étudiant, c'est-à-dire autour de l‟existence du syndicalisme en tant qu‟activité séparée de la vie
sociale quotidienne, délimitée par des institutions qui lui donnent forme. Les points de
tensions les plus évidents sont évidemment ceux qui se sont exprimés clairement dans les
processus de mobilisation, et qui portent sur les stratégies différenciées des étudiants
syndicalistes et non syndicalistes. Pris dans le jeu proprement syndical, les militants se
doivent parfois de défendre les droits étudiants, contre l‟avis même des étudiants mobilisés au
besoin. Les propos de Daniel sont à ce sujet relativement éclairant : « Quand t’as lancé un
mouvement, t’es responsable d’avoir lancé un mouvement, ben tu vas assumer la
responsabilité jusqu’au bout, vérifier que les examens vont bien se dérouler, qu’ils vont se
dérouler de façon légale, parce que si tu le fais pas de toutes façons les étudiants se
remobiliseront pas. […] Et ça c’est notre démarche syndicale qui a fait ça. […] Les
76
autonomes disent qu’il y a toujours un espoir pour que ça reparte et donc qu’il faut aller
jusqu’au bout, jusqu’au bout, jusqu’au bout, quoi… Alors que nous on sait que quand on est
plus que 4 dans une fac à tenir 2 chaises pour bloquer la porte, c’est mort quoi. Ce qu’on leur
reproche c’est que eux, dès que le mouvement s’est arrêté, ils sont partis, ils ont pas fait du
tout ce travail d’essayer d’utiliser encore le rapport de force qu’on avait sur l’administration,
essayer de s’en servir pour que les examens se déroulent bien, ils en avaient strictement rien
à foutre de ça. » Les syndicalistes sont des militants, connaissent une temporalité longue et se
reconnaissent une responsabilité vis-à-vis de l‟ensemble des étudiants, mobilisés ou non :
c‟est l‟existence du jeu syndical en tant que tel qui fut à l‟origine de la plupart des conflits
entre syndicalistes et non syndiqués. L‟UNEF comme la FSE étaient ainsi, à Amiens,
porteuses d‟une ligne conflictuelle vis-à-vis des comités de mobilisation, les tensions
apparaissant la plupart du temps dans les phases de déclins des mouvements sociaux. Les
réactions des militants de l‟UNEF à l‟entrée des membres de GEA dans le champ de la
représentation étudiante (que Séverine restitue dans l‟extrait d‟entretien publié en début de
chapitre179), qu‟ils vivent quasiment comme une entrée par effraction, sont un autre exemple
d‟incompréhension liée au jeu syndical : incompréhension quant aux références et aux
positionnements mutuels d‟abord (l‟appellation « autonomes » faisant sens pour les
syndicalistes Ŕ qui l‟ont pris comme une offensive antisyndicale Ŕ mais pour eux seuls) ;
incompréhension quant aux enjeux ensuite, la présence de GEA lors des élections aux
conseils centraux intervenant juste après le mouvement anti-LRU, au printemps 2008 (ce qui
se joue pour les syndicalistes est alors la force de frappe des étudiants de gauche dans les
institutions lors de l‟application de la loi, le système électoral du plus fort reste permettant en
cas de division des voix de gauche une percée des forces pro-LRU).
A Amiens, une deuxième série de ruptures Ŕ non approfondie dans cette étude Ŕ
porte sur le rejet du fonctionnement du champ syndical étudiant, voire parfois sur un rejet du
champ en tant que champ. Cette négation du champ syndical traverse à partir de 1998 non
179
« J’me souviens d’une fois on avait été differ des tracts au campus, pour GEA, j’sais pas si t’étais là ce jour
là. Nous on viens, comme des… des profanes, des profanes du militantisme, avec aucune conscience de « c’est
mon territoire, c’est le tien », des blaireaux quoi ! Tu vois on étais vraiment des couillons, on vient pour differ
nos tracts, et là y’a une horde de gens – de l’UNEF donc – qui nous tombent dessus, et j’me rappelle de Brenda
Minet, qui nous dit « ouais, et pourquoi vous faites ça, ici c’est chez nous, vous venez pas là, toutes façons vous
êtes qu’une bande de totos ! » [rires], j’me souviens c’était la première fois, j’me suis retournée vers Henry et je
lui dis « c’est quoi un toto ? » [rires] et il a éclaté de rire tu vois ! Et on avait même pas compris qu’on venait en
terre ennemie, que c’était pas chez nous, qu’on avait pas à differ, enfin tu vois les blaireaux quoi ! […] On se
rendait pas compte que eux ils étaient dans le jeu syndical, qu’il y avait des territoires, des manières de faire et
tout ça, et nous on venait tout piétiner, mais on le faisait pas du tout exprès ! ». Séverine, étudiante mobilisée en
2007 et en 2009.
77
seulement les mouvements étudiants, mais également la structure syndicale de l‟UNEFAmiens : de 1998 à 2002, les militants de l‟UNEF ont ainsi distribué des tracts sans logos et
laissaient le local syndical ouvert Ŕ et leurs ressources matérielles disponibles Ŕ à un large
réseau politiquement éclectique. Si les équipes ultérieures redonneront des cadres de
fonctionnement et de prises de décisions à la structure syndicale (après une explosion majeure
survenue pendant le mouvement de 2003 contre le LMD), elles aussi développeront un
rapport à la politique spécifique, marqué par la prédominance de l‟ « ici et maintenant » : une
pratique politique ancrée dans des valeurs et trouvant une traduction dans la vie quotidienne,
où l‟adage issu du léninisme « qui veut la fin veut les moyens » n‟est plus de mise, et où les
concessions et compromissions inhérentes au fonctionnement des champs politiques et
syndicaux ne sont plus acceptables. Dans la précédente étude menée, après avoir retrouvé les
éléments de ce rapport spécifique à la politique et au politique chez les protagonistes du
mouvement de 2006180, nous avions postulé que ce rapport à la politique relevait d‟un
« individualisme de gauche » montant en milieu étudiant et déjà mis en lumière par G.
Namer181 dans son étude du mouvement de 1986182. Après les éléments apportés dans le
premier chapitre de la présente étude, nous avancerons ici l‟hypothèse que ce rapport
particulier à la politique peut également avoir été l‟effet des changements intervenus dans le
répertoire d‟action étudiant en 1998. Comme nous le disions plus haut, la double temporalité
des mouvements étudiants ouverte par l‟utilisation systématique du blocage a largement pu
favoriser une mise en œuvre pratique dans le temps quotidien de l‟occupation des valeurs
portées par le mouvement. Cette expérimentation politique des mouvements étudiants des
années 2000, qui deviennent quasiment Ŕ lorsque le mouvement prend, c'est-à-dire que
l‟organisation de la vie collective est une réussite Ŕ des espaces ouvert à une « contresociété », a largement pu favoriser un rapport affinitaire, perçu comme plus pur à la politique
et incompatible avec le fonctionnement des organisations instituées.
La troisième série de ruptures découle non pas de l‟existence du champ syndical
étudiant en tant que tel mais du processus d‟autonomisation de celui-ci, qui s‟affirme au cours
des années 2000 et notamment après 2006. Comme nous l‟avons noté plus haut, l‟une des
différences majeures séparant les formes d‟organisation ad hoc du mouvement des
180
A travers l‟étude d‟un Livre d‟Or remplit durant le mouvement par l‟ensemble des étudiants « bloqueurs » du
campus amiénois. Cf. BRUSADELLI N., Op. Cit.
181
NAMMER G., Mémoire et projet du mouvement lycéen-étudiant de 1986-1988, L’Harmattan, 1990.
182
Nous avancions également que cette forme d‟individualisme dans la jeunesse relevait de l‟une des poussées
générales d‟individuation relevées par N. Elias à chaque nouvelle étape d‟ « intégration humaine », dans le cas
présent la mondialisation. Voir ELIAS N., Op. Cit.
78
organisations instituées tient dans leur degré d‟institutionnalisation. Le pouvoir politique,
quand il a le choix dans la reconnaissance de ses interlocuteurs privilégiés, préfère de loin les
organisations instituées aux porte-paroles issus des mouvements. Comme le note D. Barbet,
reprenant en cela les mots des législateurs débattant avant le vote de la loi de 1884 sur la
liberté syndicale, le syndicat est un outil ambivalent, qui contribue notamment à « la
formation d‟une élite dirigeante, dotée de ce sentiment que donne le fait d‟avoir été investi de
la confiance d‟autrui183 ». Le pouvoir médiatique, pour de toutes autres raisons tenant aux
logiques propres de la sphère journalistique, préfère lui aussi s‟adresser aux organisations
instituées : les journalistes peuvent ainsi, par exemple, réutiliser la plupart du temps les
mêmes carnets d‟adresses de « bon clients » médiatiques, alors que les formes induites par
l‟auto-organisation et leur système instable de porte-parolat tournant obligent constamment Ŕ
tant au niveau des régions qu‟à échelon national Ŕ à faire et refaire le même travail de
recherche de contacts et de sélection des « bons clients ». La différence dans les temporalités
où s‟inscrivent les formes d‟organisation des mouvements sociaux et les organisations de
mouvement social invite ainsi d‟elles-mêmes à la dépossession de la parole et du pouvoir (de
fixer les rythmes médiatiques du mouvement par exemple) au profit de ces dernières. Cette
dépossession ne débouche pas sur un affrontement majeur lorsque les intérêts des
mouvements et ceux des organisations se rejoignent largement, comme ce fut le cas entre
l‟UNEF et les étudiants des comités de mobilisation lors du mouvement anti-CPE, mais
devient prégnante dans le cas contraire. En 2007-2009, la différence de stratégies entre
l‟organisation dominante Ŕ qui comme nous l‟avons vu définit elle-même sa stratégie sur le
temps long du quinquennat, en harmonie avec les confédérations de salariés Ŕ et les étudiants
mobilisés « auto-organisés » donnent lieu à des luttes pour la réappropriation de la parole et in
fine de la gestion des mobilisations : à Amiens, les tracts sur la « non-représentativité des
négociations syndicales » font ainsi légion sur toute cette période. Au niveau des universités,
ces problèmes se posèrent différemment, les comités de mobilisations étant en capacité de
s‟imposer physiquement comme seuls interlocuteurs légitimes. A Amiens, cette question fut
réglée d‟emblée par la stratégie d‟auto-dépossession du pouvoir de représentation pratiquée
par l‟organisation majoritaire. La capacité qu‟a eu en 2009 la CNU a imposé ses propres
rythmes de mobilisations et à conserver pour partie sa capacité de représentation du
mouvement tint, bien sûr, aux capitaux symboliques et sociaux de certains enseignants-
183
BARBET D., Op. Cit.
79
chercheurs, mais également à la structure du champ syndical de l‟enseignement supérieur et
de la recherche184. Malgré l‟attitude du SNESUP, syndicat majoritaire chez les EC, de
suivisme quant aux rythmes de mobilisations définis par la CNU, il faut toutefois remarquer
qu‟à aucun moment celui-ci ne repris le mot d‟ordre d‟abrogation de la LRU qu‟il devait Ŕ au
même titre que l‟UNEF185 Ŕ juger inatteignable.
L‟ensemble de ces éléments appuient à notre sens l‟hypothèse d‟un rejet exacerbé et
largement partagé du champ syndical étudiant en 2007-2009 de la part des étudiants mobilisés
n‟y prenant pas part. Dans les coordinations nationales étudiantes, ce rejet s‟est traduit par une
perte d‟influence des étudiants syndicalistes et des étudiants militants politiques au profit des
« appellistes ». Ce courant politique issu du situationnisme, et qui s‟essaye à une synthèse des
traditions politiques éloignés du référentiel léniniste (autonomes, néo-marxistes, anarchistes
ou encore conseillistes), réussit en 2007-2009 à structurer une majorité d‟étudiants non
organisés sur la base du rejet des organisations. Ce rejet est fondateur chez les situationnistes,
de l‟impossibilité de « combattre l’aliénation sous des formes aliénées » des années 1970 à la
volonté contemporaine d‟ « empêcher par tous les moyens la recomposition de la gauche 186»,
la gauche étant entendue comme sécession du politique et de la vie quotidienne. Dans les
dernières coordinations nationales étudiantes, en 2007 comme en 2009, les délégués étudiants
s‟affrontèrent systématiquement en deux corps distincts : d‟un côté une « union sacrée » issue
des organisations politiques et syndicales (de Fac Verte à la TUUD, en passant par la FSE, le
MJCF ou encore les JCR), de l‟autre les étudiants non organisés et les « appellistes » (SUDEtudiants ayant quant à lui une position plus que mitigée entre les deux blocs). Les militants
perdirent le plus souvent la bataille, et quelques coordinations votèrent même des motions
184
Cette différence d‟impact de la CNU et de la CNE doit également pour partie prendre sa source dans
l‟incapacité qu‟ont généralement les CNE à se doter d‟un « comité de grève » national, incapacité elle-même due
à la présence accrue en milieu étudiants de certaines traditions autonomes et libertaires.
185
Pour rappel des éléments que nous restituions plus haut quant à la stratégie de l‟UNEF en 2007-2009, nous
reproduisons ici le témoignage d‟une étudiante trouvé sur le forum « répression » du mouvement de 2007 (qui
pourrait bien par ailleurs elle-même être militante de la majorité nationale de l‟UNEF) : « La semaine dernière,
j'ai discuté avec une personne de l'unef qui m'a expliqué que, selon eux, le mot d'ordre d'abrogation n'est pas
atteignable, parce que que cela reviendrait à ce que sarko se tire une balle dans le pied en cassant un rythme
de réforme qui caractérise son mandat et parce que les étudiants sont plutôt isolés sur la question de la loi
d'autonomie (contrairement au CPE). Elle m’a dit que, pour eux, la LRU est devenu davantage le symbole de
lutte anti-sarko qu'une réelle revendication. (Et sur ce point je suis plutôt d'accord) Elle m'a soutenue qu'il valait
mieux mettre en valeurs les victoires concrètes même si elles ne suffisent pas dans l'absolu pour contrer
l'idéologie libérale, car pour les prochains combat, les étudiants se remobiliseront. Ils sortiront d'une victoire et
non d'une défaite. Il m'a semblé qu'elle était sincère... C'est dommage toutes ces divisions entre les
organisations... Je précise: j'étudie à Bordeaux ». Carla, message du 2/12/2007.
186
L‟Appel, URL : http://1libertaire.free.fr/Appel01.html
80
appelant à la sanction physique envers les militants des syndicats « traîtres ». Contre l‟arc de
force inorganisé, les organisations passèrent des accords multiples, contre l‟ « élargissement
de la plate-forme de revendications » ou encore pour un comité de grève national, de manière
à utiliser l‟outil CNE contre la domination dans le champ de l‟UNEF. En retour, contre cette
intrusion du jeu syndical et politique au sein de l‟outil coordination, les étudiants inorganisés
derrière les appellistes tentèrent de nier le droit d‟existence même des organisations :
interdiction des téléphones portables, bandeau de « sécurité » entre délégués et observateurs
de la coordination, poursuite physique des groupes essayant de se réunir, etc.
CONCLUSION – Des affrontements aux facteurs multiples
Les affrontements entre étudiants lors des mobilisations de 2007-2009, qui ont
constitué la base de notre questionnement initial, pourraient bien relever de facteurs à la fois
structurels et conjoncturels. Structurels tout d‟abord, car l‟existence même d‟espaces sociotemporels distincts, mettant à disposition des ressources et faisant peser des contraintes
différenciées sur les individus les composant suppose, sauf alchimie particulière, d‟elle-même
une divergence dans les stratégies mises en œuvre par les agents sociaux. Conjoncturels
ensuite, car le processus d‟institutionnalisation qui commence en 1969 avec la loi Faure
semble aboutir en 2007-2009 à une autonomisation du champ de la représentation étudiante,
autonomisation se conjuguant alors avec un cycle de mobilisation Ŕ caractérisé par
l‟utilisation systématique de l‟occupation Ŕ porteur d‟une prise de distance avec les
mécanismes de délégation. Les cohortes étudiantes parties prenantes de ce cycle, auxquelles
les mobilisations successives ont pu conférer une certaine cohérence générationnelle,
semblent être en outre dans leurs formes héritières des mouvements sociaux de la fin des
années 1990, conjointement caractérisés par une prise de distance vis-à-vis de la politique
partisane et par la remise au goût du jour de pratiques de « démocratie directe ». L‟ensemble
de ces facteurs, qui se conjuguent lors des mobilisations étudiantes de 2007 et de 2009,
forment un paradigme analytique pouvant expliquer pour partie les logiques sociales pesant
différemment sur les étudiants syndicalistes et non syndiqués. La question qui se pose
maintenant, et à laquelle nous allons tenter de répondre dans la troisième partie de ce
mémoire, est celle de la persistance des formes d‟organisations instituées quand bien même, à
81
Amiens, ces formes et les logiques qu‟elles sous-tendent sont remises en question au sein
même de l‟organisation étudiante majoritaire.
82
III – DIVISIONS SOCIALES DU MOUVEMENT ET
TRAJECTOIRES D’ENGAGEMENT DIFFERENCIEES
Dans cette troisième et dernière partie, nous allons nous attacher à explorer
l‟ « espace des mobilisations » de 2007 et de 2009. L‟étude des luttes étudiantes à travers le
concept d‟espace conduit à souligner un phénomène bien connu des sociologues des
mouvements sociaux : la gestion d‟une mobilisation suppose de disposer de certaines
ressources, notamment immatérielles, et en premier lieu celles relevant d‟un savoir-faire
pratique acquis dans et par la conduite des luttes ; rédiger un tract, proposer les modalités
d‟action adaptées aux situations ou encore parvenir à construire rapidement un consensus ne
s‟improvisent pas, et font l‟objet de transmission dans les organisations de mouvement social
lorsqu‟ils ne sont pas appris « sur le tas » dans les mouvements sociaux eux-mêmes. Ces
ressources font partie intégrante du « capital militant » de F. Matonti et F. Poupeau Ŕ
ressource de base dans une mobilisation fournissant en grande partie aux militants, politiques
ou syndicaux, leur légitimité Ŕ dont la distribution différenciée est essentielle pour saisir la
division du travail à l‟œuvre dans un mouvement social. Cependant, elles ne constituent
cependant pas le seul facteur à prendre en compte. La prise de parole publique par exemple,
qui implique à la fois l‟aisance orale et la certitude d‟être « autorisé » à émettre un avis, ne
relève pas uniquement de l‟apprentissage militant, qui parfois ne suffit d‟ailleurs pas en luimême à lever l‟inhibition que connaissent certains syndicalistes187 : la prise de parole suppose
des dispositions dont l‟origine semble devoir être a priori cherchée en grande partie dans un
certain rapport au système scolaire, et en dernière analyse dans le volume de capital culturel
détenu. La capacité à organiser une forme de vie collective, pour prendre un autre exemple,
suppose un savoir-faire pratique dont une expérience associative ou d‟animation antérieure
peut avoir permis l‟accumulation188. Pour défricher ce terrain, nous allons nous appuyer dans
un premier temps sur l‟exploitation de questionnaires : il s‟agira d‟éclairer à la fois la division
générale du travail des mouvements étudiants et les propriétés sociales, qui peuvent recouvrir
187
Les syndicalistes de l‟UNEF « capables de faire des interv’ » disposent de plusieurs méthodes pour forcer la
prise de parole chez ceux de leurs camarades qui s‟y refusent, dont la plus radicale consiste à prévoir une
intervention en duo Ŕ formé d‟un militant aguerri et d‟un novice Ŕ dans un amphi pour finalement, une fois la
demande de prise de parole effectuée, refermer la porte derrière le militant « novice » alors bien obligé malgré
lui de s‟adonner à l‟exercice oral. Si la technique fonctionne dans certains cas, dans d‟autres cas elle renforce
l‟appréhension des militants réticents à la prise de parole publique.
188
Lors du mouvement contre le CPE, sur le site de SHS, la vie collective avait ainsi largement été animée par
un groupe d‟étudiants anarchisants connaissant une longue expérience de la vie en squats.
83
des formes différents de « capitaux », accompagnant tendanciellement telle ou telle position
au sein de cette dernière. Dans un deuxième temps, il s‟agira de changer le focus de l‟analyse
en « zoomant » sur quelques carrières militantes, de manière à saisir de manière
compréhensive certaines des positions « typiques » que l‟étude statistique aura permis de
mettre en relief. En replongeant ainsi au cœur des mouvements étudiants récents, nous
espérons pouvoir sonder toujours un peu plus précisément la « boîte noire » qui constitue
notre objet d‟étude.
I – La composition sociale de l’ « espace de la mobilisation »
de 2009
Les données que nous allons restituer ici sont issues de la passation de 101
questionnaires auprès d‟étudiants mobilisés en 2007 et en 2009. Celle-ci, effectuée par
téléphone respectivement 4 et 3 ans après les évènements, a porté exclusivement sur certaines
propriétés sociales et biographiques des protagonistes des mouvements. La population sondée
a été constituée à partir de listes de 189 contacts compilés par les syndicalistes lors des AG
étudiantes du mouvement de 2009, ces listes elles-mêmes comportant d‟autres contacts
syndicaux issus du mouvement de 2007. Dans le travail d‟exploitation présenté ci-dessous, en
vue de constituer une population cohérente, seuls les individus ayant participé au mouvement
de 2009 ont été retenus, formant ainsi une base de données regroupant des informations sur 93
étudiants mobilisés. Au vu de son mode de construction, cette population peut être considérée
comme représentative des étudiants les plus impliqués, le fait de laisser son nom sur une fiche
de contact Ŕ y compris dans le seul but de se tenir au courant des actualités de la lutte Ŕ
pouvant être considéré comme une démarche militante en soi. La composition de la
population reflète le mode de construction habituel des mobilisations étudiantes à Amiens : le
premier site mobilisé, en raison à la fois de sa composition sociale et de la présence accrue en
son sein de militants politiques, est systématiquement le site de SHS. C‟est au « Campus »
que les listes de contacts sont donc les plus « travaillées » et systématiquement compilées
dans les fichiers informatiques de l‟UNEF-Amiens, expliquant ainsi la place prépondérante
des étudiants issus de ce site dans notre population (57%). Enfin, dans la mesure où ces listes
recensaient, en début de mouvement, l‟ensemble des répertoires de contacts syndicaux (et
notamment les adhérents de l‟UNEF les plus « mobilisables »), une surreprésentation
84
inévitable des syndicalistes (35,2%, dont 84% membres de l‟UNEF) doit également être
mentionnée.
1 – Les caractéristiques des étudiants mobilisés
Le questionnaire téléphonique à l‟aide duquel nous avons sondé les étudiants
mobilisés de 2009 a été conçu de manière à pouvoir situer ces derniers sur 4 dimensions : la
première recouvre leurs caractéristiques sociales (âge, sexe, PCS189 du père) et les types de
capitaux détenus (type de baccalauréat, expériences associatives antérieures aux mobilisations
étudiantes, présence d‟adhérents à un parti politique ou à un syndicat dans le noyau familial
avant 2009) ; la seconde les trajectoires militantes et les inscriptions différenciées dans le
cycle de mobilisation étudiantes des années 2000 (occasion de la première manifestation, de
la première implication plus intense dans une mobilisation) ; la troisième cherche à mesurer
degré d‟implication dans le mouvement de 2009 (participation ou non aux AG, aux
manifestations, à la préparation des actions, aux blocages, aux comités de mobilisation) ; et la
dernière enfin s‟intéresse au degré d‟organisation (adhésion ou non en 2009 à un parti
politique, à un syndicat) et aux opinions politiques (sentiment d‟ « être quelqu‟un de
gauche », « de droite », « du centre », de « la gauche radicale190 » ou de la « droite radicale »).
Si à l‟origine d‟autres dimensions étaient intégrées à l‟analyse, mesurant notamment
l‟appréciation a posteriori du mouvement (jugement positif ou négatifs quant à l‟action des
syndicats étudiants, quant à l‟expérience du mouvement en elle-même, quant au rapport avec
le mouvement des EC, sentiment d‟optimisme ou de pessimisme devant l‟avenir individuel et
collectif, etc.), elles ont progressivement été abandonnées. La version finale du questionnaire,
avec la formulation exacte des questions posées, peut être consultée en annexe191.
Les étudiants interrogés et ayant composé le cœur du mouvement de 2009 sont pour
89% d‟entre eux nés entre 1985 et 1990, la cohorte principale trouvant son année de naissance
189
Professions et Catégorie Socioprofessionnelles. Nous avons ici repris la nomenclature spécifique utilisée par
l‟UPJV, afin de permettre une potentielle comparaison avec les données SISE-APOGEE. Dans le même objectif,
nous avons retenu principalement la PCS du père. Lorsque la PCS de ce dernier avait évolué entre 2009 et
aujourd‟hui, c‟est celle qui était d‟actualité en 2009 qui a été retenue. Dans le cas de parents à la retraite, nous
avons retenu le dernier emploi occupé avant la cessation d‟activité.
190
Lors de la passation des questionnaires, nous avons défini la « gauche radicale » comme l‟ensemble des partis
plus « à gauche » que le PS, et la « droite radicale » comme l‟ensemble des partis plus « à droite » que l‟UMP. Il
faut noter un taux significatifs de non réponses (16%), bien souvent motivé par le fait de ne pas se retrouver dans
le clivage gauche / droite (étudiants « pragmatiques » ou se reconnaissant dans l‟anarchisme).
191
Annexe n°8.
85
en 1988 (24,7%). Ce sont pour 52,7% des hommes et pour 47.3% des femmes, malgré
l‟absence de volonté de notre part d‟obtenir un point d‟équilibre entre les sexes. Si les
étudiants du Campus représentent, pour les raisons que nous avons évoquées, 57% de notre
population, à eux seuls les étudiants de Sociologie en représentent 20,9%, les étudiants de
Psychologie 17,4% et ceux d‟Histoire 12,8%. Trois étudiants interrogés sur quatre sont
inscrits en 1er cycle, majoritairement en troisième année de Licence. Signe à la fois de
l‟efficience du cadre d‟injustice mobilisé en 2007-2009 et de la composition sociale du
Campus, les étudiants mobilisés sont dans de fortes proportions des enfants de classes
populaires192 (34,8%), dont beaucoup de fils et filles d‟ouvriers, qui représentent à eux seuls
22,8% de la population mobilisée. Sont également fortement représentés (32,6%) les enfants
de cadres et des Professions Intellectuelles Supérieures193 (PIS), catégorie dont la moitié des
effectifs est constituée par les fils et filles des cadres administratifs d‟entreprise. Viennent
ensuite les étudiants issus des Professions Intermédiaires (PI) avec 20,7% (dont 60%
d‟enfants d‟instituteurs), puis ceux issus de milieux agricoles et de l‟artisanat avec 8,7%. La
composition sociale du mouvement ne reflète pas simplement la composition du milieu
étudiant. Si l‟on extrait les informations sociales relatives aux étudiants des trois filières les
plus mobilisées, et qu‟on les compare à la composition sociale globale de ces disciplines194 en
1er cycle, les phénomènes de sous / surreprésentations apparaissent : les classes populaires
sont ainsi surreprésentées (elles fournissent 51,1% des étudiants mobilisés de sociologie, de
psychologie et d‟histoire mais ne représentent pourtant que 41,8% des effectifs de ces filières)
ainsi que les « cadres et PIS » (25,6% contre 18,5%), contrairement aux autres catégories qui
sont systématiquement sous-représentées. Autre phénomène de surreprésentation statistique
notable, auquel on pouvait néanmoins s‟attendre195 : les étudiants détenteurs de baccalauréats
généraux représentent 73,3% des étudiants de l‟UPJV en 2009196, mais 92,5% des étudiants
mobilisés interrogés. Si Ŕ comme nous l‟avons noté plus haut Ŕ les étudiants syndiqués
représentent 35,2% de l‟ensemble de nos individus, ce chiffre monte à 40% si on y ajoute les
192
La catégorie « classes populaires » a été construite, comme annoncé dans le chapitre 1 et suivant en cela la
définition proposée par L. Chauvel, par agrégation des ouvriers, des employés et des chômeurs.
193
Les agrégations que nous avons effectuées reprennent, pour les « cadres et PIS » et les « professions
intermédiaires », la nomenclature de l‟INSEE. Dans les « cadres et PIS », nous avons toutefois rajouté une
étudiante dont le père était chef d‟entreprise.
194
A l‟UPJV et pour l‟année universitaire 2008-2009. Source : SISE-APOGEE.
195
Si le phénomène de fermeture du champ politique ces 30 dernières années, c'est-à-dire de professionnalisation
et de technocratisation, rend la détention d‟un diplôme du supérieur quasiment nécessaire à la prise de position
politique, il est en effet fort probable que la détention d‟un baccalauréat général favorise la prise de position au
sein d‟un mouvement étudiant, par le truchement du volume plus élevé de capital culturel qu‟il dispense.
196
76,6% si on prend les seuls cursus licence des filières de sociologie, psychologie et histoire. Source : SISEAPOGEE.
86
étudiants non syndiqués mais membres d‟un parti politique197. Les étudiants ayant
l‟expérience de l‟animation (gestion de colonies de vacances, détention du BAFA) ou d‟une
organisation associative sont plus nombreux encore (42,9%). 33,3% des étudiants interrogés
déclarent enfin connaître au moins un membre de leur famille qui était membre d‟une
organisation partisane ou syndicale avant 2009, 31,2% déclarant que les membres de leur
famille proche Ŕ sans être membres de partis politique ou de syndicats Ŕ manifestaient alors
déjà régulièrement, et 35,5% déclarant être issus d‟une famille sans culture politique,
syndicale ou simplement protestataire. Les protagonistes du mouvement de 2009 se situent
dans leur grande majorité à gauche, avec 54,5% se déclarant à l‟heure d‟aujourd‟hui proches
de la « gauche radicale » (et 34,1% de la « gauche »).
Au-delà des propriétés sociales des étudiants mobilisés, nous avons cherché à
discerner différents degrés d‟implication dans le mouvement, qui reflètent dans le même
temps une certaine division du travail. Pour construire ces derniers, nous avons regroupés les
indicateurs dont nous disposions en trois modalités : celles-ci vont de l‟« implication faible »
des étudiants se cantonnant à fournir légitimité et force au mouvement par leur présence lors
des démonstrations de forces (participation aux manifestations et/ou aux AG) ; à
l‟ « implication forte » des étudiants prenant en main la gestion politique et stratégique de la
lutte (participation aux comités de mobilisation) ; en passant par l‟ « implication moyenne »
de ceux effectuant en dernier ressort les tâches techniques nécessaires à la tenue du
mouvement (participation à la préparation des actions, du matériel ou simplement au
blocage). Dans la réalité des faits ces catégories ne sont bien sûr pas exclusives, car les
étudiants des comités de mobilisations habitent généralement aussi les universités, prennent
part aux assemblées, préparent les banderoles des manifestations et participent à ces
dernières ; mais les construire comme telles permet de distinguer différents groupes étudiants
au sein même du mouvement, dont certains délèguent à d‟autres des tâches, qu‟elles soient
techniques (que l‟on pense aux rapports unissant les étudiants « faiblement » impliqués et
ceux « moyennement » impliqués) ou de direction (que l‟on pense aux rapports
qu‟entretiennent ces deux groupes et celui formés des étudiants « fortement » impliqués). Au
vu du mode de construction ex-post de notre population, les étudiants les plus impliqués dans
le mouvement y sont les plus représentés : ils composent 55,9% de la population sondée,
197
Parmi lesquels, suivant l‟ordre décroissant de leurs effectifs présents dans la mobilisation, la Gauche Unitaire
(GU), le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), le Parti Ouvrier Indépendant (POI) et le Mouvement des Jeunes
Communistes Français (MJCF).
87
contre 26,9% pour les étudiants « moyennement impliqués » et 17,2% seulement pour les
étudiants les moins impliqués.
Avant de tenter de croiser les informations dont nous disposons pour mettre en
lumière les lignes de fractures sociales du mouvement, il peut s‟avérer intéressant de s‟essayer
à la restitution des trajectoires militantes de ce « noyau dur » de la mobilisation de 2009, de
manière à distinguer les différentes cohortes qui le composent. Conformément à ce que les
entretiens exploratoires menés et l‟analyse des cadres d‟injustice pouvait laisser entendre,
76% des étudiants interrogés déclarent avoir participé au mouvement de 2007 à Amiens, avec
une « forte implication » pour 55,7% d‟entre eux. Le « noyau dur » de la mobilisation de
2009 est en réalité largement issu de celui de 2007, formé par les étudiants qui étaient alors
pour beaucoup d‟entre eux en L1. Le mouvement « LRU 1 » ne constitue cependant un
premier « fait d‟armes » que pour une part infime des étudiants mobilisés de 2009. Quand on
se penche sur les premières expériences protestataires de ces derniers, deux cohortes
ressortent significativement de l‟analyse : celle qui manifeste pour la première fois en 2002,
qui représente toujours 39,8% des protagonistes de 2009 ; et celle qui manifeste pour la
première fois en 2006, qui fournit 26,9% de ces derniers198. On constate encore ici la
puissance de l‟expérience fondatrice du mouvement de l‟entre-deux tours 2002, dont les
membres Ŕ bien souvent par simple « connexion de cadres199 » Ŕ se recrutèrent jusque dans
les collèges. Pour cette raison même, si le mouvement social de 2002 est toujours en 2009 la
première expérience de rue d‟une majorité d‟étudiants mobilisés, il ne constitue que pour très
peu d‟entre eux une réelle expérience de gestion de mouvement social. En cohérence avec les
classes d‟âges en présence dans le mouvement, la première implication plus intensive dans
une mobilisation Ŕ écrire ou donner un tract, encourager ses camarades oralement à
manifester, prendre part à une AG, etc. Ŕ remonte pour la majorité des étudiants interrogés à
2006 et 2007 (respectivement 32,2% et 26,4%). La mobilisation de 2009 ne constitue ainsi
une première expérience de gestion de lutte que pour 17,2% de ses protagonistes. Il ne
faudrait pas pour autant en conclure que les étudiants mobilisés en 2009 sont issue de la
« génération CPE » née dans les universités 3 ans plus tôt, 58,1% des individus interrogés
198
Les deux mouvements contre la LRU ne représentent les premières expériences protestataires que de très peu
d‟étudiants interrogés (3,2 et 2,2%), tout comme le mouvement contre la guerre en Irak de 2003. La seule autre
mobilisation « fondatrice » pour un nombre significatif d‟étudiant est celle contre la réforme Fillon des lycées de
2005. 12% des étudiants sondés ont manifesté pour le première fois avant 2002, bien souvent « en poussette ».
199
C'est-à-dire sur la base de valeurs et d‟une grille de perception du phénomène largement partagées, ne
demandant pas de travail particulier de la part des organisations de mouvement social. Sur les origines du
concept, voir infra.
88
ayant eu leur baccalauréat en 2006 ou après. En réalité, il semblerait bien plutôt que le
renouvellement militant s‟est largement opéré juste après 2006 dans les universités, laissant la
place à la cohorte militante issue du mouvement CPE dans les lycées, qui fournira ainsi en
grande partie les effectifs militants des mouvements de 2007 et de 2009.
2 – Les divisions sociales du mouvement
Au-delà de l‟entreprise de caractérisation de la population étudiante protagoniste de
la mobilisation de 2009, il importe de repérer les propriétés sociales favorisant en son sein
l‟implication différenciée des étudiants. Ces informations peuvent être obtenus par le biais de
tableaux croisés, c'est-à-dire d‟outils statistiques à même de mesurer les phénomènes de sous /
surreprésentation de certaines catégories étudiantes (dans les différents segments de la
division du travail de la lutte ou encore dans le champ syndical étudiant). Pour commencer, la
division sexuelle des tâches internes aux mouvements étudiants, qui avait été mise en lumière
par B. Geay à l‟occasion de l‟étude du mouvement poitevin de 2006, se retrouve Ŕ bien que
de manière peu accentuée200 Ŕ au sein du mouvement amiénois de 2009 : les étudiantes se
retrouve ainsi de manière tendancielle dans les protagonistes de la mobilisation
« moyennement impliqués », c'est-à-dire ne participant pas aux comités de mobilisations mais
assurant les taches techniques du mouvement. De leur côté, les protagonistes masculins du
mouvement connaissent par contre une propension à s‟impliquer faiblement ou fortement : en
d‟autres termes, lorsqu‟ils font le choix de s‟impliquer plus intensément dans la mobilisation,
ils le font pour assumer également les tâches de direction. Au-delà de cet axe fondamental de
division, la détention des différents types de capitaux qu‟il est possible d‟appréhender à
travers la grille de questions posées est déterminante dans la prise de responsabilité au sein du
mouvement. Les ressources au sein du noyau familial tout d‟abord Ŕ en terme de cultures
politique, syndicale ou simplement protestataire Ŕ s‟avèrent non négligeables, comme le
montre le tableau croisé ci-dessous.
200
Ce qui peut s‟expliquer par la place plus importante des syndicats étudiants à l‟UPJV, cadres d‟apprentissage
dont l‟université poitevine était totalement dépourvue.
89
Tableau 1 : ressources héritées et implication dans le mouvement
Proches
manifestent
Proches
« organisés »
Proches « non
organisés »
ENSEMBLE
Faible
implication
Implication
moyenne
Forte
implication
ENSEMBLE
13,8%
24,1%
62,1%
100,0%
16,1%
22,6%
61,3%
100,0%
21,2%
33,3%
45,5%
100,0%
17,2%
26,9%
55,9%
100,0%
Pour autant, et comme on peut s‟y attendre, les ressources non héritées Ŕ acquises dans les
expériences associatives ou militantes dans les organisations syndicales et partisanes Ŕ sont
plus décisives encore.
Tableau 2 : militantisme et implication dans le mouvement
Faible
implication
Implication
moyenne
Forte
implication
ENSEMBLE
Exp. Ass.
12,8%
15,4%
71,8%
100,0%
Sans exp.
Asso.
21,2%
36,5%
42,3%
100,0%
ENSEMBLE
17,6%
27,5%
54,9%
100,0%
Organisés
5,6%
19,4%
75,0%
100,0%
Non organisés
25,9%
31,5%
42,6%
100,0%
ENSEMBLE
17,8%
26,7%
55,6%
100,0%
D‟autres facteurs favorisant à première vue l‟implication dans la gestion pleine et entière de la
lutte pourraient être mis en lumière, comme le type de baccalauréat détenu ou les opinions
politiques déclarées. Ces variables sont cependant problématiques, la première parce qu‟elle
peut s‟avérer secondaire dans l‟analyse (l‟obtention d‟un type de diplôme ou d‟un autre étant
largement clivée socialement), la seconde parce qu‟elle peut être un effet de la position
occupée au sein de la mobilisation et non l‟une des causes de celle-ci. En définitive Ŕ et
comme souvent Ŕ c‟est dans les origines sociales des étudiants qu‟il faut rechercher les
principes présidant à la division du travail au sein de la lutte. A Amiens, si les enfants issus
des classes populaires forment la catégorie socioprofessionnelle la plus présente dans le
mouvement étudiant, les cadres de direction de celui-ci sont largement fournis par les
90
enfants de « cadres et PIS » mais, surtout, par ceux des « professions intermédiaires »
largement composées dans le cas de notre population par les fils et filles d‟instituteurs.
Tableau 3 : origine sociale et implication dans le mouvement
Faible
implication
Implication
moyenne
Forte
implication
ENSEMBLE
Cadres et PIS
16,7%
26,7%
56,7%
100,0%
Professions
Intermédiaires
0,0%
26,3%
73,7%
100,0%
Agriculteurs,
artisans
50,0%
25,0%
25,0%
100,0%
Classes
populaires
18,8%
28,1%
53,1%
100,0%
ENSEMBLE
16,9%
27,0%
56,2%
100,0%
Comme nous pouvons le constater dans le tableau présenté ci-dessus, mis à part dans le cas
des enfants d‟agriculteurs et de professions intermédiaires, les lignes de forces sociales
présidant à la division du travail étudiant dans le mouvement ne sont cependant pas nettes. Le
facteur le plus déterminant du niveau d‟implication maximal dans la mobilisation semble être
l‟organisation au sein d‟un appareil syndical ou politique : si nous supprimons en amont
l‟effet de ce dernier, les clivages sociaux apparaissent alors avec plus de clarté.
Tableau 4 : origine sociale et implication dans le mouvement
des « non organisés »
Faible
implication
Implication
moyenne
Forte
implication
ENSEMBLE
Cadres et PIS
22,2%
22,2%
55,6%
100,0%
Professions
Intermédiaires
0,0%
45,5%
54,5%
100,0%
Classes
populaires
31,3%
31,3%
37,5%
100,0%
Agriculteurs,
artisans
57,1%
28,6%
14,3%
100,0%
ENSEMBLE
24,1%
29,6%
42,6%
100,0%
Malgré des effectifs restreints rendant l‟analyse statistique peu fiable, éliminer également les
effets produits sur le niveau d‟implication par une expérience associative préalable ouvre des
pistes quant au rôle structurant joué par la détention de capital culturel. La présence des
enfants des classes populaires, qui en sont démunis, n‟apparaît alors corrélée qu‟avec un
91
niveau faible d‟implication dans le mouvement. Plus encore, aucun étudiant d‟origine
populaire n‟est alors présent dans les cadres de directions du mouvement.
Tableau 5 : origine sociale et implication dans le mouvement des
"non organisés" dépourvus d'expériences associatives
Faible
implication
Implication
moyenne
Forte
implication
ENSEMBLE
Cadres et PIS
27,3%
27,0%
45,5%
100,0%
PI
0,0%
66,7%
33,3%
100,0%
Classes
populaires
57,1%
42,9%
0,0%
100,0%
Agriculteur,
artisan
33,3%
66,7%
0,0%
100,0%
ENSEMBLE
29,6%
44,4%
25,9%
100,0%
3 – Des trajectoires d’engagement différenciées
Il est impossible, pour des raisons d‟effectifs qui s‟avéreraient alors bien trop
insuffisants, de soustraire également à l‟analyse Ŕ dans le but d‟obtenir des résultats « toutes
choses égales par ailleurs » Ŕ les étudiants ayant acquis via leur noyau familial un capital
politique et/ou une culture protestataire. Nous pouvons par contre explorer, et cela semble
plus intéressant pour l‟analyse, les liens statistiques unissant les différents facteurs
d‟engagement et les origines sociales des étudiants interrogés : ce faisant nous contribuerons,
au-delà de la mise en lumière des déterminants de l‟implication dans le mouvement, à mettre
à jour des trajectoires militantes typiques. Commençons donc par les ressources héritées, qui
sont aussi quelquefois Ŕ comme nous pouvons le constater ci-dessous Ŕ un marchepied vers
une acquisition « en propre » de ressources à l‟extérieur du noyau familial.
Tableau 6 : ressources héritées et origine sociale
Tableau 7 : ressources héritées et organisation syndicale ou partisane
Proches
organisés
Proches
manifestent
Proches non
organisé
ENSEMBLE
Cadres et
PIS
PI
Classes
populaires
Agriculteurs,
ENSEMBLE
artisans
Non
organisé
Organisé
ENSEMBLE
33,3%
30,0%
23,3%
13,3%
100,0%
50,0%
50,0%
100,0%
24,1%
24,1%
48,3%
3,4%
100,0%
55,2%
44,8%
100,0%
43,3%
10,0%
36,7%
10,0%
100,0%
72,7%
27,3%
100,0%
33,7%
21,3%
36,0%
9,0%
100,0%
60,0%
40,0%
100,0%
92
En explorant directement la composition sociale des étudiants syndiqués, on
retrouve pour partie les résultats du tableau ci-dessus : la population étudiante héritière d‟une
culture politique ou protestataire, et qui cultive ces ressources Ŕ en augmentant ce faisant leur
volume Ŕ dans les organisations est principalement composée des enfants de classes
populaires et des fils et filles de professions intermédiaires. Les étudiants issus de milieux
agricoles ou artisans, dont les membres du noyau familial sont souvent organisés, font figure
d‟exception en ne prenant pas part aux formes d‟organisations instituées. Il est fort probable,
par ailleurs, que les types d‟organisations syndicales ou politiques de ces milieux et celles qui
structurent le milieu étudiant soit relativement distantes dans leurs formes et leurs options
politiques.
Tableau 8 : origine sociale et organisation syndicale
Tableau 9 : origine sociale et organisation syndicale ou politique
Non
syndiqué
Syndiqué
ENSEMBLE
Non
organisé
Organisé
ENSEMBLE
Cadres et PIS
65,5%
34,5%
100,0%
62,1%
37,9%
100,0%
PI
61,1%
38,9%
100,0%
61,1%
38,9%
100,0%
62,5%
37,5%
100,0%
51,6%
48,4%
100,0%
87,5%
12,5%
100,0%
87,5%
12,5%
100,0%
65,5%
34,5%
100,0%
60,5%
39,5%
100,0%
Classes
populaires
Agriculteurs,
artisans
ENSEMBLE
Quand bien même une partie des enfants de « cadres et PIS » se retrouve dans les
organisations, le syndicalisme étudiant semble donc reposer tendanciellement sur les fils et
filles des professions intermédiaires et des classes populaires. Lorsque l‟on rajoute aux
effectifs syndicaux ceux formés par les militants politiques non syndicalistes, la base sociale
populaire des organisations étudiantes de mouvement social à Amiens apparaît plus nettement
encore. Cependant, si les organisations syndicales ou politiques semblent être le vecteur
privilégié de l‟engagement militant pour les enfants d‟ouvriers et d‟employés, les expériences
associatives sont quant à elles l‟apanage des autres couches sociales du milieu étudiant.
93
Tableau 10 : origine sociale et expériences associative ou de l'animation
Sans exp. asso.
Exp. Asso.
ENSEMBLE
Cadres et PIS
53,3%
46,7%
100,0%
PI
47,4%
52,6%
100,0%
63,3%
36,7%
100,0%
50,0%
50,0%
100,0%
55,2%
44,8%
100,0%
Classes
populaires
Agriculteurs,
artisans
ENSEMBLE
Les lignes de forces structurant l‟espace de la mobilisation de 2009 semblent finalement
dessiner deux trajectoires typiques d‟engagement pour ses protagonistes : il ne s‟agit pas de
réduire les multiples biographies individuelles à ces « trajectoires types » ; mais bien plutôt de
les considérer comme deux pôles structurant du continuum social ouvert dans le temps de la
lutte. A l‟un de ces pôles on trouverait donc les enfants des classes populaires, héritiers d‟une
culture protestataire et enclins à l‟organisation politique ou syndicale. Formant le pôle opposé,
les étudiants issus des « cadres et PIS », sans ressource politiques familiales et enclins au
militantisme associatif. Les fils et filles des « professions intermédiaires » semblent à
première vue cumuler l‟ensemble de ces ressources (familiales, syndicales et associatives),
mais il est pour autant vraisemblable qu‟il ne s‟agisse là que d‟un artefact statistique : si leur
présence est corrélée avec l‟ensemble de ces propriétés sociales, il peut s‟agir de divisions
internes à la catégorie ou encore de parcours biographiques spécifiques les faisant pencher
vers l‟un ou l‟autres de ces pôles. Dans le but de saisir de manière plus systémique ces
phénomènes, les données recueillies ont été soumise à une Analyse des Correspondances
Multiples (ACM). Si l‟on retient les axes factoriels rendant compte des résultats avancés
jusqu‟ici Ŕ c'est-à-dire des lignes de forces structurant l‟espace de la mobilisation de 2009 à
travers les items d‟analyse choisis Ŕ cette méthode permet de représenter graphiquement cet
espace puis de projeter en son sein, de manière illustrative, les autres caractéristique sociales
de nos individus. Si la technique repose en dernière instance sur les choix opérés pour la
construction des axes, elle rend néanmoins compte d‟une certaine réalité du mouvement
étudiant et permet d‟en produire une vue d‟ensemble.
94
ACM 1 : REPRESENTATION GRAPHIQUE DE L’ « ESPACE DE LA MOBILISATION » ETUDIANTE DE 2009
Axe 4
Professions intermédiaires
Centristes
0.75
Cadres et PIS
Bac S
2009 (LRU2)
Pôle Sciences
Proches manifestent
PUC
Exp. associative
Non militant politique
Forte implication
Bac L 2002 (Lepen)
Non syndiqué
Moyenne impl.
Gauche
Pas d'exp. associative
Fac des Arts
Campus Gauche Radicale
2005 (Fillon)
Non organisé
Proches non organisés
0
2006 (CPE)
Bac ES
FSE
NPA
UNEF
Organisé
Syndiqué
2007 (LRU)
Faible implication
Proches organisés
Bac autres techno
Avant 2002
Militant politique
2003 (Irak / LMD)
Bac techno STT
Classes populaires
-0.75
GU
POI
PCF/MJCF
-1.50
SUD
Agriculteurs, artisans
-1.50
-0.75
0
0.75
Axe 1
95
Les modalités actives et leurs contributions à la formation des axes sont disponibles
dans le tableau ci-dessous201. L‟Axe 1 a conservé 21,63% de l‟information graphique
globale de l‟analyse des correspondances, et oppose, au regard des modalités contribuant à
sa construction, les étudiants héritiers d‟une culture protestataire et organisé
(syndicalement, politiquement) à ceux dont la famille est dépourvue de culture militante et
ne l‟étant pas nos plus eux-même. L‟axe 4 quant à lui, qui a conservé 15,81% de l‟inertie
du nuage de point de l‟ACM, oppose principalement les étudiants issus des « professions
intermédiaires » à ceux issus des milieux artisans, agricoles et populaires. Les PI
recouvrant majoritairement dans notre population les enfants d‟instituteurs, l‟axe oppose
les individus sous l‟angle du capital culturel Ŕ plus qu‟économique Ŕ qu‟ils détiennent.
Tableau 11 : Contribution des modalités actives à la formation des axes
Axe 1
Axe 4
Modalités actives
Contribution à la
construction de
l'axe
Signe des
coordonnées
Organisé
18,70
+
Agriculteurs, artisans
17,72
-
16,34
16,18
Proches non
organisés
Proches manifestent
Contribution à la
construction de
l'axe
Signe des
coordonnées
Agriculteur, artisan
Professions
Intermédiaires
29,82
-
24,13
+
-
Classes populaires
17,51
-
+
Cadres et PIS
9,99
+
Modalités actives
Non organisé
13,80
-
Proches organisés
6,39
-
Classes populaires
7,61
+
Organisé
4,93
-
Cadres et PIS
Professions
Intermédiaires
Proches organisés
5,15
-
Non organisé
3,47
+
4,39
+
Proches manifestent
2,80
+
0,10
+
Proches non organisés
0,96
+
En structurant l‟espace de la mobilisation à travers ces axes, et non d‟autres, on perd
évidemment une partie des informations statistiques mises en avant plus haut : par
exemple, l‟implication majoritaire des enfants de « cadres et PIS » dans le mouvement
n‟apparaît pas sur le graphique, qui représente avant toute chose une analyse systémique,
multidimensionnelle, des corrélations. Il n‟en reste pas moins que ce choix dans
l‟appréhension des lignes de fractures structurant l‟espace de la mobilisation permet d‟aller
plus loin dans l‟éclairage de notre objet de recherche propre : si les divisions qu‟ont
connues les mouvements étudiants récents se cristallisaient en grande partie autour de
201
Par convention, on retient pour l‟interprétation des axes les modalités actives fournissant une contribution
supérieure à la contribution moyenne, qui est pour l‟analyse présentée ici de 11,1% (les 9 modalités actives
se partageant la contribution totale).
96
l‟existence et de la dynamique d‟un (sous) champ du syndicalisme étudiant, les histoires
individuelles et familiales des individus qui ont été les acteurs de ces affrontements
peuvent d‟une manière générale être restituées et organisées autour de deux pôles
« typiques » antagoniques. Le premier de ces pôles se situe en haut à gauche du graphique,
et comprend les étudiants parfois désignés par leurs camarades comme des « totos », le
second se situe en bas à droite, et comprend les étudiants agents des champs partisans et
syndicaux. Sur cette représentation graphique des oppositions internes à l‟espace de la
mobilisation, nous avons projeté de manière illustrative d‟autres caractéristiques liées aux
individus interrogés : type de bac obtenu, niveau d‟implication dans le mouvement,
première expérience protestataire, existence d‟une expérience associative antérieure au
mouvement, appartenances syndicales et politiques, site universitaire ou encore opinions
politiques déclarées. Le nuage de points ainsi construit peut être lu à l‟aune de son
inscription dans le continuum social formé par les deux pôles de l‟espace.
II – « Zoom » sur les trajectoires militantes : des
dispositions « anti-autoritaires » ?
Pour clore le travail d‟investigation restitué dans ce mémoire, nous allons
rapprocher plus encore le focus de l‟analyse pour saisir de manière « compréhensive »
certaines des trajectoires militantes des protagonistes des mouvements de 2007-2009. Les
entretiens dont sont issues les données que nous allons présenter ont été effectués en juinjuillet 2010, un an après le mouvement étudiant de 2009. Cette distance temporelle permet,
pour les étudiants interviewés mais également pour moi-même, une prise de distance avec
les évènements et les tensions liées aux affrontements qu‟ils ont engendrés. Elle permet
également de conserver relativement la mémoire des luttes, et de la « photographier » dans
son stade de construction, alors que les protagonistes des mouvements ont déjà eu
l‟occasion de ré-échanger sur leurs expériences tout en les mettant à distance. Ces
entretiens ayant été menés dans la phase exploratoire de l‟analyse, le choix des individus
interviewés a été effectué au regard de notre question de départ : ce sont des étudiants qui
ont porté, à un moment ou à un autre entre 2007 et 2009, le stigmate Ŕ produit
syndicalement Ŕ de « toto ». Le mode de construction des interviews ne permet donc pas
un « zoom » ciblé sur les différentes trajectoires militantes typiques mises en lumière par
l‟analyse des questionnaires, mais l‟étude de certaines de ces trajectoires n‟est cependant
97
pas sans intérêts. Les trois entretiens sur lesquels nous avons choisi de travailler ici ont été
effectués avec des étudiants issus des « professions intermédiaires », en réalité tous fils et
filles de travailleurs éducatifs202. Comme nous l‟avons constaté plus haut, les étudiants
issus de cette catégorie sont « à la croisée des chemins », statistiquement porteurs des
dispositions multiples favorisant les formes différentes d‟inscription dans une mobilisation
(et notamment syndicales / non syndicales). L‟étude de leur parcours social, de leur entrée
dans l‟engagement militant et de leurs rapports aux formes instituées de celui-ci ne peut
que s‟avérer utile à la compréhension des luttes internes au mouvement étudiant de 2009.
Au-delà, il s‟avèrera utile pour tous ceux qui cherchent à saisir les formes de politisation,
socialement différenciées, construites dans le temps de la jeunesse Ŕ au croisement entre
héritages sociaux et réinvestissement de ces derniers dans des constructions identitaires
singulières. Nous proposons de présenter successivement les trois trajectoires
d‟engagement sélectionnées, et de tenter de voir dans quelle mesure les biographies
étudiantes spécifiques se répondent les unes les autres, dans le but de lever pour partie le
voile sur les processus d‟engagement d‟une certaine frange étudiante. Dans la continuité de
notre problématique, nous commencerons par l‟étudiant interrogé le plus proche Ŕ dans son
rejet Ŕ des organisations instituées pour terminer par celui qui s‟en sent le plus distant
(parmi les étudiants interviewés bien sûr). La grille d‟entretien utilisée peut, par ailleurs,
être consultée en annexe à ce travail203.
1 – De l’incapacité à s’organiser sur le long terme en milieu étudiant
Cyril, entre sentiment d’inutilité et culpabilisation
J‟ai connu Cyril en 2007, pendant le mouvement contre la loi LRU, qui a été sa
première « vraie » mobilisation. Il s‟entendait bien avec les syndicalistes de l‟UNEF de la
fac de sciences, pour qui il a du respect militant, même si son « mentor » politique sera
l‟un des cadres non organisés du mouvement développant des théories anarchisantes. Nous
nourrissons Ŕ me semble t-il Ŕ une forme de respect mutuel l‟un à l‟égard de l‟autre et,
lorsque je lui demande de faire un entretien avec moi, il accepte de suite. Nous avons
connu des points de désaccords stratégiques lors du mouvement de 2009, mais nous
n‟avons jamais eu l‟occasion d‟échanger a posteriori sur les mobilisations passées : cet
202
C‟est au total cinq entretiens qui ont été menés : 4 avec des non syndicalistes (dont 3 originaires des PI et
1 des « cadres et PIS »), et un avec un syndicaliste (originaire des classes populaires).
203
Voir annexe n° 7. Le prénom des étudiants interviewés a, bien sûr, été modifié.
98
entretien constitue en cela une « première » même si, en commençant la discussion sur le
thème de sa vie personnelle, j‟ai replacé notre relation dans un contexte plus
« académique ».
Cyril s‟exprime très bien, dans un français quasiment parfait, et ne bredouille pas.
Il n‟est absolument pas perturbé par la relation d‟enquête qu‟il connait : il est maintenant
en Licence de Sciences Politiques, après une tentative infructueuse en première année de
médecine et 2 ans de Licence de Biologie. Il est aussi détenteur d‟un capital culturel élevé
Ŕ son père est enseignant et sa mère éducatrice spécialisé Ŕ et a obtenu un baccalauréat
scientifique. Ses parents n‟ont jamais été milité dans une organisation, mais « ont toujours
été de gauche », « font les manifestations » et ont toujours été « dans la contestation de ce
qu’ils voyaient ». Ils lui ont toujours appris à « prendre du recul », notamment sur ce qu‟on
lui apprenait à l‟école. Ils sont « militants dans leur métier », comme le montre le penchant
de son père pour la pédagogie « type Freinet », choix pédagogique qui se répercute dans le
type d‟éducation qu‟il a reçu. Ses parents ne sont pas religieux, contrairement à ses grandsparents qui l‟étaient : ils se sont rencontrés dans l‟Association Catholique pour
l‟Enseignement(ACE) et ont toujours aujourd‟hui des engagements humanitaires. La
trajectoire familiale de Cyril est double, son père s‟inscrivant dans une trajectoire sociale
ascendante (son grand-père paternel était ouvrier agricole, et sa grand-mère femme de
ménage) et sa mère dans une trajectoire descendante (son grand-père maternel était un
notaire amiénois). Le ménage duquel il est issu se place donc dans un entre-deux social
sans que, de ses propres dires lors de la discussion post-entretien, cela ne se soit traduit en
clivages familiaux.
Son parcours militant a commencé très tôt, à 14 ans, à l‟occasion des
manifestations contre la présence de J.M. Le Pen au second tour des élections
présidentielles de 2002. Il était alors en 4ème. En seconde, Cyril s‟implique dans une
association de solidarité internationale qui effectuait un partenariat avec un village du
Mali, tout d‟abord sur la base de projets culturels puis sur celle de projets de
développement. Il continuera ses activités jusqu‟à son entrée à l‟Université, et partira deux
fois au Mali. Au lycée, en 2005, il se mobilise également contre la réforme du lycée, et en
2006 contre le CPE, avec « beaucoup de recul sur les gens qui organisaient ça », de
manière « pas très politique » et qui voulaient surtout « se faire voir ». Il est très intéressé
par contre par la « dynamique » et le « contenu politique » qu‟il découvre, durant sa
99
deuxième année à l‟Université, à l‟occasion des premières AG anti-LRU, très polarisées du
Pôle Universitaire Cathédrale. Cette première mobilisation s‟est bien passée pour lui,
puisqu‟il n‟y avait pas de « matraquage de cerveau », qu‟on faisait une « place » aux idées
de chacun, que tout le monde était écouté. Il pense que les bonnes relations entre syndiqués
et non syndiqués étaient dues à la « personnalité des militants qui étaient là » : ils
respectaient les décisions prises dans les comités de mobilisation, et défendaient ces
décisions en AG même s‟ils n‟étaient pas d‟accord avec celle-ci. Il se remobilise en 2009,
même s‟il a mal vécu le fait de faire partie de « la génération qui savait ». Dans cette
mobilisation à l‟inverse, il sentait chez les syndicalistes des « pressions venues
d’ailleurs », des changements d‟avis s‟opérant entre les comités de mobilisations et les
AG. De même, si les prises d‟initiatives étaient « naturelles » Ŕ notamment en termes
d‟organisation de la vie collective Ŕ chez les étudiants mobilisés de 2007, il n‟a « pas
retrouvé ça en 2009 » : « ils avaient faim ils commandaient des pizzas », « c’était horrible,
vraiment horrible cette mobilisation ».
Même s‟il balance entre « inutilité et culpabilisation », il ne s‟est jamais engagé
dans une organisation, car « l’organisation interne de ces mouvements là » ne lui
« correspond pas du tout ». La « domination des anciens sur les nouveaux » dans les
syndicats étudiants le rebute, et il n‟a « pas du tout envie de recevoir de pression d’un
quelconque personnage national ou d’une direction nationale ». S‟il a une attirance pour
les mouvances anarchistes et libertaires, elles n‟existent pas sur Amiens, et il ne sait pas si
« ça collerait en termes de modes d’action ». Cyril se situe dans un rapport à l‟avenir
complexe, puisqu‟il l‟imagine à la fois comme un recommencement du présent (« ça va
pas beaucoup changer ») ou comme un danger (« ou en pire ») ; tout en affirmant qu‟il
« va falloir du temps pour reconstruire un projet partagé et de la confiance entre les
gens », s‟inscrivant ainsi dans une temporalité longue. De la même manière, la lutte LRU
ne l‟ « intéressait pas » en tant que telle : il ne voyait pas de possibilité de « victoire à
court terme », tout en ayant la conviction qu‟il « fallait » la faire, qu‟elle constituait un
jalon posé pour des objectifs plus lointain (il développe des projets de société utopique,
hiérarchisée et démonétarisée). Le passé est chez lui vu comme un obstacle à la
reconstruction de l‟avenir (il faut « déconstruire les clivages du passé » pour
« reconstruire la confiance »). Interrogés sur ses opinions quant aux « autonomes » (i.e. le
courant « appelliste »), et quand bien même il se dit séduit par le principe de vie proposé
100
(« on va se mettre en communautés et tout »), il dénonce un esprit assez fermé, des modes
d‟actions et des théories « pas accessibles à tout le monde ».
Les formes d’ « auto-organisation », une voie de réalisation de soi
Cyril semble connaître, effet sans doute du haut niveau de capital culturel qui est
le sien, ce que nous pourrions nommer des « dispositions anti-autoritaires ». Ses origines
sociales, redoublées par son parcours scolaire (il a passé un baccalauréat général
scientifique, « voie royale » s‟il en est) et son éducation familiale, peuvent être à l‟origine
de ces dispositions. Celles-ci recouvrent notamment un refus catégorique de tout
phénomène de domination, qu‟il a dû connaître de manière moins significative que
d‟autres au vu de son parcours. D‟un côté l‟impact dans la pratique professionnelle de son
père de la pédagogie « Freinet », basée sur l‟expression libre des enfants et la coopération
de ces derniers, renseigne sur le climat familial dans lequel il a évolué. De l‟autre, son
parcours scolaire de bon élève a pu lui épargner le phénomène de domination culturelle
que ressentent bien souvent, dans leur rapport à l‟école, les enfants des classes populaires.
Plus qu‟un simple héritage de capital culturel, ses parents lui ont appris à « prendre du
recul » sur tout, à se construire un avis personnel, si besoin contre les autorités légitimes, à
commencer par l‟école : autant de d‟éléments favorisant une implication forte dans le
mouvement, notamment dans les tâches de direction de celui-ci qui nécessitent de « donner
son avis » et de se battre pour faire triompher ses propres positions. De la même manière,
la maîtrise de la langue et de la rhétorique est indispensable à la gestion des tâches
d‟animation du mouvement, maîtrise dont il a hérité de sa structure familiale et
probablement redoublée par une pratique a priori « heureuse » Ŕ parce qu‟il était porteur
de disposition y étant adaptées Ŕ du système scolaire. Pour se faire une opinion, traduire
ses valeurs en système de pensée et sous forme argumentative, Cyril n‟a en réalité aucun
besoin des organisations instituées, politiques ou syndicales. Plus encore, comme en
témoigne sa tentative échouée d‟intégrer un syndicat étudiant, ses dispositions antiautoritaires sont réfractaires au militantisme de long terme (« je ne me suis jamais senti
bien dans ces trucs là » ; « j’ai jamais senti que j’allais pouvoir faire des choses qui allait
correspondre à ce que je voulais »), en tout cas en milieu étudiant où le turn-over implique
nécessairement une domination forte Ŕ en terme de capital militant Ŕ des « anciens » sur
les « nouveaux ». Il ne s‟agit pas seulement d‟une volonté de se tenir à l‟écart soi-même de
toute forme de domination, mais d‟un rejet intime de la domination en tant que telle : il ne
101
supporte pas en 2009 de faire lui-même partie de « la génération qui sait ». Sa soif de
démocratie directe en découle logiquement, palpable dans le projet politique à long terme
qu‟il nourrit. Celle-ci a trouvé à s‟exprimer pleinement dans la forme autogestionnaire des
mobilisations étudiantes, et le respect de ces formes de mobilisation est donc un préalable
pour lui : les rapports avec l‟UNEF ont toujours été cordiaux tant que l‟UNEF s‟est tenue à
la discipline de l‟auto-organisation, c'est-à-dire quand elle s‟est niée en tant que structure,
quand le « nous » syndical s‟est plié au « nous » du groupe mobilisé. Les formes
d‟organisation du groupe mobilisé permettent pour lui placer les individus dans une
relative « égalité », et l‟association extérieure est vécue Ŕ on peut supposer en lien avec le
processus parallèle d‟autonomisation du champ de la représentation étudiante Ŕ comme
une entrave à sa propre liberté individuelle, comme une dépossession potentielle de la
capacité à diriger ses propres affaires. S‟il fait abstraction des logiques propres du champ
syndical, il ne s‟agit pas pour autant d‟un « ethnocentrisme de classe » de sa part : même
s‟il est séduit par certains côtés des solutions politiques post-situationnistes, il les rejette
pour des questions démocratiques d‟accès de tous à la politique (« clairement pour moi ce
genre de modes d’actions et de théories, c’est pas accessibles à tout le monde »).
« Ce qui m‟a plus gêné quand j‟ai dû faire par exemple certains collectifs à l‟UNEF, c‟est que je
sentais que les choix étaient plus fermés. Le contexte était pas le même c‟est sûr, dans un mouvement
social on a peut être un choix beaucoup plus grand en ce qui concerne les modalités d‟action, pour
s‟organiser. Mais j‟me suis jamais senti bien dans ces trucs là, je sais pas pourquoi, j‟ai jamais senti
que j‟allais pouvoir faire des choses qui allait correspondre à ce que je voulais. Donc là j‟y suis allé, et
j‟y suis retourné un petit peu après le premier mouvement. J‟y suis retourné parce qu‟il me fallait…
ma dose militante [rires] ! J‟étais en manque, mais pareil j‟ai jamais… pourtant je m‟y étais un peu
plus mis, j‟avais essayé de faire des diffs, des petits trucs comme ça… […] Y‟a eu une petite période
difficile [pendant le mouvement de 2007], mais ça c‟est toujours bien passé. A la fin y‟a eu un
collectif de l‟UNEF qui avait eu lieu, moi j‟avais pas trop apprécié ça, parce que ça pouvait alimenter
les rumeurs à la con sur l‟UNEF qui noyaute, l‟UNEF qui dirige, l‟UNEF qui fait ses coups en douce,
etc. Je trouvais que faire un collectif sans le reste des gens ça pouvait alimenter tout ça. Après on m‟a
dit « oui mais il y a une vie au sein du groupe UNEF qui doit pas s‟arrêter au début du mouvement et
reprendre à la fin ». J‟étais plutôt d‟accord mais bon ! J‟sais pas, ça aurait pu se faire autrement …
Après ce truc là y‟a eu un certain nombre de gens de l‟UNEF qui ont commencé à appeler au
déblocage… J‟pense que tactiquement c‟était pas forcément une connerie, parce que ça s‟essoufflait.,
mais bon moi j‟étais clairement dedans, j‟avais aucune envie de lâcher quoi que ce soit, j‟étais très
bien dans ce que je faisais, je m‟épanouissait pleinement [rires] dans mon activité militante, j‟avais
aucune envie d‟arrêter, j‟trouvais qu‟il y avait encore plein de choses à faire, j‟avais donc de très
bonnes raisons. Et donc ben voilà en sciences ça a jamais été « putain vous faites chier à l‟UNEF vous
appelez au déblocage », parce que […] ça a toujours été « moi en tant que personne, je pense qu‟il faut
débloquer ». Et donc au comité de mobilisation on en a discuté, on a pas trouvé de consensus on a
voté, et on a voté qu‟on continuerai à bloquer. Et même les personnes qui appelaient au déblocage, en
AG ont continué à soutenir la ligne du comité de mobilisation. Ce qui fait qu‟il y‟a jamais eu de
conflit. Parce qu‟il y avait une ligne qu‟on se fixait Ŕ qui était claire et qui était collective Ŕ et tout le
monde la suivait. […] Moi je me disais que les gens qui appelaient au déblocage en comité de
mobilisation pouvaient juste ne pas prendre la parole en AG, mais ils ont même pris la parole pour
soutenir la décision de comité de mobilisation. Après au sein de l‟AG, bon ça a pas été « faut
102
continuer à bloquer on est persuadés » tu vois, mais ça a été « bon, on a fait des choses, on peut
continuer », c‟était pas en contradiction avec ce qu‟ils avaient dit avant… Y‟a jamais eu de conflit. »
Cyril, étudiant mobilisé en 2007 et en 2009, non syndiqué, non militant politique
2 – Le rejet du champ de la représentation étudiante
Séverine, un entre-deux social fondateur
J‟ai connu Séverine en 2007, pendant la mobilisation contre la loi LRU sur le
Pôle Universitaire Cathédrale. Au regard des luttes qui se sont alors déroulées sur ce pôle
entre étudiants syndicalistes et non syndicalistes Ŕ les plus âpres que les mobilisations
étudiantes amiénoises aient connues Ŕ nous étions alors dans un rapport d‟affrontement.
Dès nos premières discussions extérieures à ce contexte spécifiques, qui ont eu lieu dans
mes souvenirs à l‟occasion de la mobilisation de 2009, nous nous étions pour autant me
semble t-il bien entendus. J‟appréciais pour ma part sa vulgarité langagière, assumée dans
un français pourtant maîtrisé parfaitement et devant l‟ensemble de ses interlocuteurs, tout
comme le recul qu‟elle prenait sur elle-même et ses origines sociales (« c’est la révolution
des fils d’instit’ ici, et je sais de quoi je parle, j’en suis une »). Je n‟ai eu aucun mal, un an
après la mobilisation de 2009, a obtenir un entretien de sa part.
Séverine est donc « fille d’instit’ fois deux », originaire de l‟Oise, et issue d‟un
ménage en trajectoire ascendante. L‟un de ses grand-pères était tailleur de pierre au début
de son parcours professionnel, mais directeur d‟une carrière à la fin, et l‟autre charbonnier
d‟usine. Ses grand-mères étaient quant à elles femme au foyer et concierge. Si Séverine n‟a
pas connu de situation d‟entre-deux social dans sa famille, elle en a connu un dans son
parcours scolaire : ses parents, « militants dans leur travail », enseignaient en ZEP, et y ont
par facilité scolarisé leurs enfants. Arrivée en CE2 dans une nouvelle école, son statut de
« bonne petite blanche bien élevée » a pour elle été « très difficile à vivre ». Elle n‟avait
pour autant pas de problèmes relationnels avec les autres enfants, avec son « statut
d’intello », et a au contraire pu Ŕ grâce à ses compétences scolaires Ŕ entrer avec eux dans
des rapports de solidarités réciproques (« j’en jouais en filant les réponses des dictées (…)
et eux ils m’aidaient en sport »). Pour autant, la distance sociale qui la séparait des autres
enfants (« j’étais la seule à avoir les deux parents qui travaillent », « à partir en
vacances ») l‟a profondément marquée. Cette situation d‟entre-deux social s‟est prolongée
103
au collège, et fut notamment à l‟origine de la relation conflictuelle qu‟elle a entretenue
avec ses parents à partir du lycée (« en fait j’avais décidé, peut être inconsciemment, que je
ferais pas ce pourquoi j’avais été programmée. Ce qui finalement n’a pas du tout
fonctionné [rires]… »). Après son baccalauréat littéraire, elle arrêtera ses études pour
travailler et partir rejoindre son petit ami Ŕ lui aussi issu d‟un milieu très populaire Ŕ à
Lille, pour rompre avec son milieu familial (« donc ça a été compliqué, et à 18 ans ben
j’avais un mec qui travaillait, qui avait un appartement et qui m’ouvrait grand les bras,
alors… »). Rattrapée par ses origines, elle le quittera 4 ans plus tard (« on devait être trop
différents socialement quoi, à un moment donné je me suis emmerdée en fait ») et
travaillera comme vendeuse pendant quelques temps, mais supportera difficilement la
hiérarchie comme l‟ambiance de travail. Finalement, après un BTS « dans le social » en
contrat de qualification, elle reprend une licence en Sciences Sanitaires et Sociales,
enchaîne sur un Master de Science Politique puis sur une thèse. Sa sœur semble elle aussi,
toute proportions gardées, avoir été touchée par sa situation d‟entre-deux social, ne seraitce que par sa volonté d‟être esthéticienne en 3ème : ses parents lui feront malgré tout
poursuivre ses études jusqu‟au Bac, et elle est finalement aujourd‟hui assistante de
direction.
Les parents de Séverine ne semblent pas avoir opté pour une stratégie scolaire
poussée, comme l‟illustre leur décision de mettre leurs enfants en ZEP dès l‟école
primaire. Si elle a fait un Bac européen allemand Ŕ avec une mention qu‟elle n‟aura
d‟ailleurs pas Ŕ c‟est surtout « pour ne plus faire d’anglais ». Ses parents l‟auraient certes
« bien vue faire khâgne-hypocagne », mais ils ne lui interdirent pas de partir après le lycée,
et ne lui « coupent pas les vivre pour autant », tout comme ils n‟interdisent pas à sa sœur
de devenir esthéticienne (« passe ton bac d’abord »). Ces derniers sont « militants dans
leur travail » comme dit Séverine : ce ne sont ni des militants politiques quand bien même
ils sont de gauche (« ils sont Mitterrand à fond, socialistes jusqu’au trognon »), ni des
syndicalistes même s‟ils « font toutes les manifs » et ont leur carte au Syndicat National
Unitaire des Instituteurs, des Professeurs des écoles et des PEGC (SNUIPP). Ce sont aussi
des relais d‟initiatives humanitaires : ils suivent les programmes d‟Aide & Action,
accueillent parfois des enfants sous la tutelle de la Direction des Affaires Sanitaires et
Sociales (DASS), ou « filent des tunes à Amnesty ». Sa grand-mère paternelle milite
également « pour la Palestine », lorsqu‟elle ne fait pas de bénévolat pour les Restaurants
du Cœur.
104
Séverine est aujourd‟hui en rupture politique avec ses parents, rupture dont on
peut supposer qu‟elle trouve ses sources au croisement de ses dispositions « humanistes »
héritées et de son parcours scolaire et social particulier. Elle se retrouve plutôt à
l‟ « extrême gauche » : elle a voté pour le Front de Gauche aux dernières élections (2009)
et s‟est abstenue au second tour pour ne pas voter socialiste. Malgré ses opinions politiques
bien arrêtées (contre le libéralisme, pour l‟ouverture des frontières, etc.), elle n‟a jamais
« réussi à s’engager ». Elle s‟est « retrouvée » à faire campagne pour C. Taubira en 2002 Ŕ
elle avait un ami qui était militant aux Jeunes Radicaux de Gauche (JRG), et était attirée
par la personnalité de la candidate (« elle lisait des poésies et tout ça, c’est peut être le fait
qu’elle soit noire, je sais pas »), mais n‟a plus fait campagne depuis. Elle aussi se retrouve,
comme Cyril, entre culpabilisation et sentiment d‟inutilité : « plein de fois j’en arrive à la
conclusion de me dire “ben oui, t’es toujours dans la dénonciation, t’es jamais contente, tu
dis qu’il faut faire des choses pour changer les choses mais au final tu vas pas dans un
parti : vas dans un parti”. Et quand je regarde les partis j’arrive pas à en choisir un.
J’arrive pas à en choisir un… bon y’en a qui me correspondent évidemment pas du tout,
dans ceux qui pourraient me correspondre, qui sont généralement des partis qu’on qualifie
d’extrême gauche quoi, ben soit la ligne politique me convient pas complètement, soit les
gens qui militent dans le coin me correspondent pas ou j’me retrouve pas dans leurs
manières de faire ou… et du coup comme ça me convient pas ». Adepte des « choix
entiers », elle ne veut pas « courber l’échine » et « baisser son froc » sur un aspect ou un
autre de son engagement. En d‟autres termes, elle ne transige pas avec ses valeurs : « j’ai
un problème qui se recoupe, que ça soit pour le syndicat ou le parti, c’est que j’arrive pas
à faire de concession avec moi-même ». Bien que ce ne soit pas chez elle les premières
raisons évoquées, la forme d‟organisation propre aux organisations instituées la repousse
également, tout comme Cyril : « sans oublier tout ce qui est appareil avec une hiérarchie,
tu vois…En fait voilà, tout ce qui est ordonné et tout ça, ça m’emmerde au bout d’un
moment ».
Si ses premières manifestations ont eu lieu avec ses parents, « en poussette », la
LRU constitue le premier « vrai » mouvement social dans lequel elle s‟implique. Au
chômage après son BTS, passée par la Direction de l‟Education Permanente (DEP) pour
reprendre une Licence, elle n‟a pu prendre part au mouvement anti-CPE, se contentant de
voter pour la poursuite de la mobilisation dans les AG et de se rendre aux manifestations.
105
En 2007 elle est entraînée par ses réseaux amicaux, qui avaient tous « fait le CPE », dans le
cœur de la nouvelle lutte étudiante. Elle se retrouve vite en opposition avec l‟UNEF quant
à la gestion anti-démocratique de la lutte anti-LRU (« on en est arrivé à des trucs
complètement dingues, à débrancher des micros en amphis parce que c’est pas eux qui
géraient le truc, enfin des trucs complètement hallucinant quoi ») et fonde avec d‟autres, à
la fin du mouvement, le GEA, à la fois pour « continuer la lutte » et « faire participer les
gens ». Elle s‟insurge contre le fait que « certains décident à 10 au nom du peuple entier »
(« moi ça me violente »), et voulait faire dans le cadre de GEA faire « un truc plus
populaire », « sans adhésion » où « vient qui veut ». D‟une manière générale, elle reproche
aux appareils leur « hiérarchie », et reproche par exemple à l‟UNEF d‟avoir reçu leurs
directives « depuis Paris » (« ils nous ont dit un matin “allez les gars le national a dit on
débloque” »). En termes de rapport à l‟avenir, elle aussi est très pessimiste : pour elle, la
disparition des acquis sociaux va s‟accentuer et l‟Etat pénal se renforcer. Sur le ton de la
plaisanterie, elle « engueule » souvent ses parents de l‟avoir Ŕ par leur héritage culturel et
politique Ŕ mise en situation de « souffrance permanente », s‟estimant défenseure de
valeurs dépassées (« tout le monde s’en branle, on est 10 à penser ça »).
Défense des classes populaires et remise en cause du champ : le « peuple »
contre les « élites »
Séverine présente en partie les mêmes dispositions que Cyril à l‟antiautoritarisme : c‟est quelque chose qui transcende l‟ensemble de l‟entretien, de ses rapports
avec ses parents étant adolescente à son refus de la hiérarchie dans les organisations, en
passant par son expérience salariée conflictuelle avec ses supérieurs. Pour autant, et même
si elle avoue ne pas « réussir » à s‟engager, balançant comme Cyril entre culpabilisation et
sentiment d‟inutilité, il ne semble pas que ce soit chez elle ces dispositions anti autoritaires
qui soient la cause première de sa mise à distance des organisations. Séverine connait, à la
différence de Cyril, un habitus clivé : si leurs origines sociales peuvent être comparables,
situées dans un même secteur de l‟espace social, la trajectoire de Séverine se distingue par
son contact prolongé et privilégié avec certaines fractions parmi les plus défavorisées des
classes populaires, via sa scolarisation prolongée en ZEP puis sa mise en ménage
provisoire à Lille. De même Ŕ et ce n‟est peut être pas sans lien Ŕ elle a elle-même
suspendu ses études 3 ans durant pour se salarier, et les a repris dans des conditions de
demandeur d‟emploi. Cet habitus clivé est largement perceptible dans son style langagier,
106
fait d‟un français bien maitrisé mais empreint d‟expressions très familières, souvent
vulgaires. C‟est la rencontre, chez elle, entre des dispositions humanistes héritées et
l‟entre-deux social fondateur dans lequel elle a évolué qui semble avoir fondé son
engagement militant. Si celui-ci ne peut être entièrement nécessité par cette rencontre, la
forme qu‟il a prise et les valeurs qu‟elle veut défendre y sont sans doute liées.
Les affrontements entre syndiqués et non syndiqués au Pôle cathédrale et en
faculté des sciences ne sont pas comparables, les formes de l‟auto-organisation que l‟on
trouve dans ce dernier pôle n‟ayant pas eu d‟équivalent au PUC. Durant le CPE, l‟UNEF
n‟a pas d‟équipe dans les UFR de droit / économie / sciences politiques : la militante
syndicale présente en 2007 n‟a pas été socialisée syndicalement comme le reste de
l‟équipe204, et évolue dans un pôle où la mobilisation est difficile, en raison à la fois de la
présence forte de militants de l‟UNI (ou des corporations) et d‟une base sociale moins
réceptive au cadre d‟injustice mobilisé. C‟est directement contre les pratiques syndicales
déployées, et non en premier lieu contre l‟existence même du champ du syndicalisme
étudiant, que s‟y est élevée la contestation des non syndiqués. Pour autant, l‟un des buts de
GEA était, pour Séverine, de « faire participer les gens », contre la prétention de ceux qui
« décident à 10 pour le bien du peuple entier » (faire « un truc populaire », « sans
adhésion », où « vient qui veut ») : en d‟autres termes, GEA était une tentative pour elle de
lever les barrières à l‟entrée du champ, une tentative de remise en cause du champ, de son
histoire et des divisions qui le traversent (« on aurait même pu se retrouver à débattre avec
l’UNI »), effectuée Ŕ en négatif Ŕ au nom des classes populaires dépossédées de leurs
droits à gérer leurs affaires. L‟entretien mené avec Séverine et l‟expérience de GEA sont
certainement les données les plus révélatrices du fonctionnement du sous champ syndical
étudiant. Cette remise en cause du champ de la représentation étudiante s‟est accompagnée
d‟une irruption en son sein, à l‟occasion des élections aux conseils centraux du printemps
2008. Les réactions des militants ne se sont pas fait attendre : critiques relatives aux
références dont le nom choisi était porteur (« on nous a dis que c’était un truc de droite »),
quant aux pratiques non respectueuses des règles en vigueur au sein du champ (« c’est pas
chez vous ici », lança une syndicaliste lors d‟une diffusion de tracts GEA sur le Campus),
quant à l‟incapacité à saisir les enjeux du champ (division des voix de la gauche au
lendemain de l‟adoption de la loi cadre de privatisation des universités), et défiance quant
204
C‟est par ailleurs, à l‟heure d‟aujourd‟hui, la seule militante de l‟UNEF de cette génération syndicale à
être entrée au Parti Socialiste à Amiens.
107
aux objectifs mêmes du groupe (la présence dans GEA de deux militants Ŕ du Mouvement
des Jeunes Socialistes et des Souris Vertes Ŕ hostiles à l‟UNEF nourrissant la croyance
d‟une démarche visant à concurrencer le syndicat, donc d‟une démarche téléguidée par des
adversaires au sein du champ).
« Alors après c‟est contradictoire, parce que d‟un autre côté sans les syndicats je vois pas bien ce
qu‟on peut faire, mais parce que aussi j‟pense que c‟est l‟institution reconnue, c'est-à-dire que, tu
regardes pour les réformes le ministère il convoque pas des groupes de gens qui se mobilisent ils
convoquent LE syndicat, c‟est la parole officielle, voilà c‟est l‟institution, c‟est… voilà. Ok. Sauf
que… je trouve pas que leur travail soit particulièrement efficace quoi… Après je suis pas anarchiste
pour autant quoi ! Mais je sais pas, je m‟y retrouve pas… non… je sais pas, faudrait monter un parti Ŕ
un de plus Ŕ ou un syndicat Ŕ un de plus… Alors que ça aussi je trouve ça complètement débile quoi,
ce qui se passe avec la gauche, y‟a sans cesse des partis qui se créent, qui se décrée ou qui se recrée,
de gauche ou d‟extrême gauche et au final ça change jamais rien parce qu‟au final c‟est toujours le
même groupe de 10 qui crée son parti en pensant qu‟il va changer le monde et finalement il change
rien à part qu‟il s‟embrouille avec le groupe de 9 qui reste quoi ».
« Ca a été compliqué avec l‟UNEF, qui avait plus ou moins le monopole on va dire de la lutte en
général… Oui, c‟était les pros de la lutte quoi. Eux ils faisaient la lutte, ils faisaient à leur façon la
lutte. Moi ça me convenait pas. J‟étais pas la seule, donc avec une poignée de couillons, comme je
disais tout à l‟heure, on s‟est dit “ben pourquoi, puisque ça nous plait pas, puisque d‟un autre côté on
est pas très productifs on arrête pas de gueuler que ça nous plait pas mais on propose rien d‟autre
quoi ”, donc le but c‟était dans la continuité du mouvement de proposer des choses à la fac, de porter
des revendications tout ça, sans être un syndicat, sans demander de cotisations, un truc populaire entre
guillemets dans le sens ou viens qui veut, on débat on vote et voilà. Donc le but c‟était d‟être élus aux
conseils de la fac, de représenter les étudiants mais sans leur faire prendre de carte, sans… voilà. Donc
on aurait pu se retrouver à débattre avec des mecs de l‟UNI, ils auraient pu prendre part à des votes,
voilà. C‟était ça l‟idée. C‟était essayons de faire décider le plus grand nombre en faisant participer le
plus grand nombre quoi, sans se retrouver dans des réunions d‟appareils où on décide à 10 de combien
on va coller d‟affiches, qui va differ, c‟était un truc comme un collectif plutôt, je sais pas. Voilà,
c‟était ça l‟idée, c‟était de proposer un autre truc puisqu‟on était pas content des formes d‟action
qu‟on nous proposait »
« Et puis il y a, tu vois c‟est aussi ce qu‟on avait essayé de faire un peu avec GEA, le but de GEA
c‟était vraiment un truc d‟amateur hein, moi je le reconnais, c‟était loin d‟être construit, c‟était loin
d‟être bien fait… voilà, c‟était une bande de couillons qui avaient décidé qu‟on pouvait faire autre
chose, voilà, on a fait GEA. Le but de GEA c‟était pas du tout de faire un syndicat, le but de GEA
c‟était… de… c‟était d‟essayer au maximum en sachant que ça allait être très compliqué de faire
participer les gens. Parce que moi c‟est ça aussi qui me pose des problèmes avec les partis ou les
syndicats c‟est qu‟au bout d‟un moment, tant qu‟ils sont pas élus les gens ils sont sur le terrain, ils
militent, ils écoutent, puis dès qu‟ils sont élus qu‟ils ont un siège Ŕ regarde c‟est comme dans les
instances de la fac, c‟est la même chose, ils décident des trucs entre élus pour le bien être du peuple
entier. Alors moi c‟est pareil ça me violente, c‟est quelque chose qui me violente, je ne comprends
pas. Maintenant en en ayant fait une toute petite expérience et en le voyant parce que je suis élue à
l‟Ecole Doctorale etc., là avec les doctorants on s‟est cassé le cul toute l‟année à organiser des
réunions, des AG, à les préparer, à differ, à afficher, à envoyer des mails, ben on a jamais eu personne.
[silence] Donc il y a aussi un moment où les gens ils viennent voter, ils se disent « oh ben ceux là
c‟est des bons, ils se bougent le cul on les voit tout le temps, donc quand ils vont être élus ils vont
travailler, mais bon quand on a élu des gens après ils se démerdent quoi ». Donc c‟est… tu vois je suis
pas anti-syndicat, c‟est pas ça le truc, c‟est qu‟il y a des trucs qui me plaisent pas et j‟ai pas solutions.
Faire participer une majorité de gens, ça marche quand tu bloques la fac, maintenant sur le long cours
quand tu montes des trucs et tout ça tu te retrouveras toujours avec la poignée d‟irréductibles Ŕ comme
le village d‟Astérix Ŕ qui viendra à tes AG et au final tu prendras les décisions à 10. Et c‟est toujours
pareil quoi ».
.Séverine, étudiante mobilisée en 2007 et en 2009, non syndiquée, non militante politique
108
3 – Les organisations contre les individus
Adrien, ou les conséquences d’un rapport « malheureux » à l’école
J‟ai connu Adrien en 2007, comme Cyril et Séverine, dans le cours de la
mobilisation contre la LRU. Malgré le fait que ce dernier était étudiant au Campus, comme
moi, je n‟ai jamais eu de relations privilégiées avec lui durant la mobilisation : nous
n‟étions alors qu‟un nombre très restreint de syndicalistes pour assumer les tâches de
gestion du mouvement, et je n‟ai en définitive pas lié de relations avec les gens qui ne
prenaient pas part à celles-ci. Nos positions dans l‟espace de la mobilisation étaient, en un
mot, trop éloignées. Je ne sais pas quelles représentations l‟animent à mon égard avant
l‟entretien. Adrien n‟a que très peu souvent été, à la différence des deux précédents
interviewés, caractérisé comme un « toto » : ayant moi-même entretenu des relations
extrêmement complexes avec les « totos » du campus lors du mouvement de 2007, je me
suis reporté sur un « non syndiqué » fidèle aux pratiques protestataires et devenu l‟un des
cadres Ŕ non pas tant en terme de gestion politique de la mobilisation qu‟en terme de vie
collective Ŕ du mouvement de 2009.
Comme les deux autres étudiants interviewés, Adrien s‟exprime dans un français
parfait, et parle calmement. Je suis assez surpris de connaître son âge : il est plus âgé que
moi, né en 1985, et a en connu un parcours scolaire qu‟il qualifie lui-même de
« chaotique ». Ses parents font Ŕ eux aussi Ŕ partie du monde éducatif, son père étant
médiateur familial et sa mère institutrice en CLIS. Ses grands-parents paternels étaient des
pieds-noirs algériens, revenus en France quelques mois après la naissance de son père : sa
grand-mère semble n‟avoir jamais travaillé (il est sur le sujet assez évasif), et son grandpère a fait « plein de choses » (« il a été trésorier, il a travaillé dans des banques, il a
travaillé dans l’ingénierie… En fait il a fait tellement de choses que je sais pas vraiment ce
qu’il a fait [rires] »). Il est très peu renseigné sur les professions occupées par ses grandsparents maternels (« les parents de ma mère je crois qu’ils vivaient à Paris quand elle est
née, je crois qu’ils ont déménagés dans plusieurs villes de France. Famille plutôt
religieuse celle-ci. Du côté de ma mère, ma grand-mère était adjointe au maire, à la fin de
sa vie, je sais pas ce qu’elle faisait avant, et mon grand-père j’en sais rien [rires] »), signe
d‟une rupture potentielle dans le noyau familial, a priori axé sur le rejet Ŕ de la part de sa
mère Ŕ de l‟éducation qu‟elle a reçue (« ma mère a eu une éducation religieuse mais c’est
quelque chose qu’elle a beaucoup rejeté… »). Lui a reçu à l‟inverse une éducation très
109
« open », ses parents étant « très humains », « très copains » (« peu d’interdictions, surtout
des explications »). Il n‟a jamais fumé, sauf du cannabis, et son père en consomme
d‟ailleurs lui aussi : lorsqu‟il a voulu essayé la cigarette, étant adolescent, ses parents lui en
ont donné une de suite, ce qui l‟a « vacciné ». Pourvu de compétences scolaires, il attribue
ses 3 redoublements au fonctionnement de l‟école, qui ne lui « correspondait » pas : « moi
dans ce cadre là je prends aucun plaisir à étudier, j’y vois pas l’intérêt, et plus on me
forcera à apprendre quelque chose et moins j’aurais envie de le faire ». Il n‟a pas
d‟héritage militant direct. Si ses parents sont « intéressés aux questions sociales de par
leur travail », et participent régulièrement aux manifestations, ils ne militent dans aucune
organisation et ne sont pas syndiqués. Il manifeste une première fois contre la présence de
J.M Le Pen au second tour de l‟élection présidentielle, en 2002, d‟une manière presque
« naturelle » (« c’était très important pour tout le monde, donc pas de questions à se poser
quoi »). Mais c‟est en 2006, avec la lutte anti-CPE, qu‟il participera activement pour la
première fois à une mobilisation. Arrivé « par hasard » dans le mouvement Ŕ un des
leaders du mouvement est venu le chercher pour représenter les filières littéraires dans le
bureau de l‟AG Ŕ il va finalement se prendre au jeu et y participer de plain-pied. A la sortie
du lycée, après l‟obtention d‟un baccalauréat littéraire en 2006, il prend une année
sabbatique pour réfléchir à son orientation.
Il ne s‟inscrit donc à la fac qu‟en 2007, et tombe dans la lutte anti-LRU lors de sa
première année de psychologie, se rendant « par curiosité » aux premières AG de
mobilisation. Il ne lui en reste que peu de souvenirs aujourd‟hui, excepté ceux des
« grosses soirées » : il n‟était de ses propres dires « pas très actif », en faisait « le
minimum ». En réalité, il dit avoir passé le maximum de son temps « à écouter », à
« prendre ses marques », n‟ayant « pas d’armes pour construire quoi que ce soit ». Il se
souvient d‟un manque de cohésion dans le groupe d‟étudiants mobilisés au campus, d‟un
« noyau dur » syndical qui essayait de « tirer tout le monde vers le haut » et d‟une majorité
de personnes qui « suivaient sans trop se poser de questions ». La mobilisation de 2009 lui
a laissé une image inverse, celle d‟un groupe étudiant très soudé, duquel émanait « une
bonne énergie ». Pour autant, malgré toute la « créativité » du groupe, les choses
différentes ayant été mises en place, « personne n’en a jamais parlé » dans les médias :
Adrien a été choqué, durant ces deux mobilisations, à la fois par la violence de la
répression policière et par le « black out » médiatique qui a englobé le mouvement
étudiant. Pour lui, la meilleure manière de combattre le silence des médias aurait été de
110
leur imposer une meilleure créativité dans le répertoire d‟action protestataire (« on fait des
AG, on bloque nos facs, on fait des manifs, on fait des panneaux, mais à aucun moment on
est originaux dans notre manière de proposer les choses, et donc on est pas entendus… On
parle souvent de Mai 1968 […] mais ça a fonctionné parce que c’était hors norme quoi, et
tant qu’on restera dans la norme on pourra pas être entendu, choquer l’opinion
publique… »). Durant la seconde mobilisation, il s‟est senti plus légitime, dans un
processus de mobilisation qui a « coulé tout seul » (« y’a une AG, alors on va à l’AG, on
dit bonjour aux copains qu’on connait, puis y’a des comités de mobilisations… »).
S‟il a perçu en 2007 des tensions, des « guéguerres » entre syndiqués et non
syndiqués, il n‟a pas voulu y prendre part, comprenant que les syndicalistes aient besoin de
faire du syndicalisme mais comprenant que certaines « façons de faire, de proposer ou un
peu d’imposer des choses parfois ne correspondaient pas à tout le monde ». Il renvoie les
deux groupes dos à dos, sans prendre parti car « au-delà des guéguerres, c’est toujours des
individus ». Les problèmes ne se sont pas posés avec une telle acuité en 2009, car le groupe
était pour lui beaucoup plus soudé, et surtout il y avait « beaucoup moins de syndiqués »
(ce qui est faux, mais ce qui témoigne de l‟effacement Ŕ réussi cette fois Ŕ de la structure
syndicale au sein du comité de mobilisation). Il n‟a rien contre les syndicats, mais pense
que se syndiquer ne serait pas pour lui « une bonne solution », car il se « sentirait enchaîné
à quelque chose » et n‟aurait « plus sa liberté pour finalement faire ce [qu’il] a envie de
faire ». Il est plutôt partisan d‟un « militantisme du quotidien », axé sur la manière dont on
comprend et perçoit les choses, dont on peut ou non s‟ « exprimer ». Il me dira après
l‟entretien trouver parfois les organisations néfastes, dans la mesure où elles « étouffent la
créativité des individus ». Il ne se reconnaît dans aucun parti politique, même s‟il est plus
attiré vers la gauche. Quand on lui demande quel serait pour lui le programme politique
idéal, il avance l‟idée d‟un programme qui « proposerait vraiment aux gens de prendre
leur vie en main, plutôt que de vouloir changer le monde extérieur », reprenant l‟adage
conseillant d‟ « être le changement que tu veux voir dans le monde ». Même s‟il pense que
nous pourrions d‟ici peu tomber dans « le totalitarisme le plus complet », il n‟imagine
paradoxalement pas l‟avenir forcément pire qu‟aujourd‟hui, tout comme il ne pense pas
que le passé soit forcément à idolâtrer (« tout est différent, c’est une question d’équilibre ».
Il ne veut pas penser sur le long terme : pour lui, il faut vivre l‟instant présent, car « cela
évite des déceptions ».
111
La société des individus
Le parcours d‟Adrien pourrait être, sous plusieurs aspects, rapproché de celui de
Cyril. Chez lui aussi, la profession de son père Ŕ médiateur familial Ŕ semble avoir joué un
grand rôle dans le type d‟éducation qu‟il a reçu, et chez lui aussi ce type d‟éducation a joué
un rôle dans son rapport au monde scolaire. Dans son cas, son rapport au monde scolaire a
été bien plus complexe : à la suite de son éducation, très libérale culturellement et orientée
vers l‟épanouissement individuel, il est devenu un inadapté scolaire, incapable de se plier
au jeu de l‟école malgré ses compétences. Nous serions bien en peine d‟appréhender la
trajectoire familiale dont il est issu en termes de mouvement ascendant ou descendant,
faute d‟éléments concrets sur les professions de ses grands-parents. Mais c‟est bien plutôt
dans son cas un phénomène de rupture culturelle qui semble marquer cette trajectoire,
notamment dans sa branche familiale maternelle, rupture ayant pu orienter les choix
éducatifs de ses parents. Appris très tôt à se construire « individuellement », et si besoin
contre « la société », il développe une fracture qui se retrouve dans son rapport au monde
scolaire puis au monde social dans son ensemble, vécu sur le thème de l‟entrave. Malgré sa
participation à active à trois mouvements de jeunesse (2006, 2007, 2009), il dispose de
capitaux militant et politique Ŕ hérités comme acquis Ŕ bien inférieurs à ceux de Cyril et
Séverine. Il ne s‟est jamais trouvé dans une situation d‟opposition aux organisations
syndicales, et n‟a quasiment jamais été étiqueté comme « toto », cependant sa position
dans l‟espace social le rapproche de ces derniers ; et s‟il n‟a jamais voulu prendre part aux
« guéguerres » entre groupes de syndiqués et de non syndiqués, il a fait le choix pour luimême de se tenir à distance des organisations et développe à ce sujet des prises de
positions qui peuvent nous éclairer.
C‟est la place accordé à l‟individu qui est chez lui centrale dans ses prises de
position. Il ne prend pas part aux luttes entre étudiants syndiqués et non syndiqués parce
qu‟il rappelle que malgré tout, c‟est toujours des individus. Il ne se reconnaît aujourd‟hui
dans aucun parti politique, mais s‟il devait défendre un programme, ce serait un
programme orienté vers la « responsabilisation des citoyens » (« un parti qui proposerait
vraiment aux gens de prendre leur vie en main plutôt que de vouloir changer le monde
extérieur »). Son malaise personnel Ŕ qui peut être saisi au croisement entre des
dispositions « anti-autoritaires » héritées et l‟ambiance de caserne que peut représenter,
notamment pour les individus développant de telles dispositions, l‟institution scolaire Ŕ se
mue chez lui en perspective politique (ou plutôt en absence de perspective politique) : ne
112
pas changer le monde pour le conformer à ses vues, ce qui est impossible comme il l‟a
constater dans son rapport à l‟école, mais « être le changement que tu veux voir dans le
monde ». De la même manière, il estime que les organisations ne sont pas nécessaires
(« j’pense qu’on a pas besoin d’organisation, on a besoin tous faire quelque chose dans
notre vie quotidienne, avec les gens qu’on connaît »), voire néfastes (« ce qui est
problématique dans les organisations, c’est que ça étouffe l’individu, et du coup chacun ne
peut pas apporter sa créativité ») : il y a « autant de programmes politiques que
d’individus, chacun a sa propre pierre à apporter à l’édifice ». On retrouve ces vues dans
sa prise de distance vis-à-vis des organisations, et notamment des syndicats étudiants : il se
« sentirait enchaîné à quelque chose » s‟il adhérait à un syndicat, et n‟aurait « plus sa
liberté pour finalement faire ce [qu’il] a envie de faire ». Il n‟aime pas « avoir le nez dans
le guidon », aime « prendre du recul sur les choses » : son militantisme à lui n‟est pas
« politique », mais plutôt « psychologique », pour reprendre ses mots, un « militantisme du
quotidien », axé sur la « perception des choses ». La « créativité », l‟ « innovation » Ŕ qui
s‟opposent aux carcans que fait peser le monde social Ŕ sont très importantes pour lui, et il
attribue d‟ailleurs une grande partie des échecs des mobilisations successives à un manque
d‟innovation dans le répertoire des actions protestataires (« on fait des AG, on bloque nos
facs, on fait des manifs, on fait des panneaux, mais à aucun moment on est originaux dans
notre manière de proposer les choses, et donc on est pas entendus… On parle souvent de
Mai 1968 […] mais ça a fonctionné parce que c’était hors norme quoi »).
Adrien pense qu‟ « il ne faudrait pas grand-chose pour qu’on bascule dans un
totalitarisme complet et qu’on ne s’en aperçoive même pas, parce qu’on a pas de recul sur
ce qu’on fait tous les jours » : « nos gestes quotidiens, on croit qu’on les fait d’abord pour
nous alors qu’en fait on les fait pour la société ». Le monde social Ŕ la « société» Ŕ et son
emprise sur les individus comporte un risque totalitaire : dans son système de
représentations valorisant l‟individu, le contrepied consiste en la dévalorisation de tout
collectif qui ne serait pas un agrégat d‟individualités. Malgré son diagnostic très négatif de
la situation actuelle, il se refuse à porter un jugement sur celle-ci (« demain ne sera pas
mieux ni pire qu’aujourd’hui, mais différent »). Son rapport au temps est d‟ailleurs
également désocialisé, emblématique d‟un « présentisme » extrême : « moi je pense que
vraiment le monde il se vit dans le présent, dans l’instant, là où on est aujourd’hui, là en
train de parler de ça, le monde il se vit pas dans 10 ans, il se vit pas demain ou dans un an.
Bien sur il faut planifier, il faut construire son existence, mais la meilleure manière d’avoir
113
un monde tel qu’on le désire, tel qu’on l’espère dans 10 ans, c’est vraiment d’investir
chaque instant aujourd’hui, ne pas se préoccuper de demain. Je crois que vraiment
l’erreur elle est là, et moi ça m’intéresse pas du tout de me préoccuper de comment sera le
monde dans 10 ans, parce que je sais que dans 10 ans je serai à ma place, je me serai
adapté, j’aurai continuer à suivre le monde j’aurai pas espéré des choses et j’aurai pas été
déçu quoi. J’pense que plus on s’attend à des choses et plus on est déçus des choses, parce
qu’elles sont jamais comme on s’y est attendu quoi. La meilleure manière d’être serein et
bien dans chaque situation c’est justement de rien attendre et de prendre tout ce qu’il y a à
prendre sur l’instant ».
« Politiquement je milite pas du tout… disons que moi mon militantisme il se situe pas du tout de ce
côté-là, il est plus idéologique, dans la manière de percevoir et de comprendre les choses. […] Moi
j‟aime pas quand on a le nez collé au viseur et qu‟on voit plus rien de ce qu‟il y a autour. Moi j‟ai
besoin d‟apporter une vision globale, mon militantisme c‟est idéologique, c‟est psychologique même.
C‟est permettre aux gens de pouvoir fonctionner ensemble et, quand ils veulent avancer vers un but
qui me parait juste, moi, mon rôle à moi, que je ressens, c‟et toujours d‟être là pour… pour que les
gens fonctionnent le mieux possible ensemble. C‟est plus au sein même de la chose, c‟est plus un
militantisme du quotidien, dans la façon de s‟exprimer, de… C‟est un peu imprécis ce que j‟essaie de
te dire mais… […] C‟est vraiment au niveau de la perception des choses. On est rarement satisfait de
ce qu‟on a, ou on projette beaucoup de négativité sur le monde qui nous entoure, et si on porte un
regard beaucoup plus positif, avec beaucoup plus de recul sur les choses, ben on s‟aperçoit qu‟elles
sont pas si noires, et que finalement il suffit de peu pour se rendre la vie bien meilleure quoi… C‟est
vrai dans n‟importe quelle situation, mais c‟est aussi vrai dans un mouvement politique quoi. Moi
j‟me suis senti utile à ce niveau là, plutôt que mettre toujours en valeur le négatif, il était toujours
important de se dire “où est-ce qu‟on en est ?”, “qu‟est-ce qu‟on y gagne là dedans ?”. Parce que
même dans les choses négatives y‟a toujours une grosse part de positif qui nous enseigne des choses.
Mon militantisme à moi il se place là, c‟est plus un militantisme psychologique, c‟est pas… Je suis
pas à proprement parlé engagé politiquement quoi. »
« Quelle est la direction politique dans laquelle il faudrait avancer pour toi ? Je sais pas. Plus une
responsabilisation des citoyens. Un parti qui proposerait vraiment aux gens de prendre leur vie en
main plutôt que de vouloir changer le monde extérieur. Je pars vraiment du principe qu‟ « il faut être
le changement que tu veux voir dans le monde », je sais pas si tu connais cette citation, à chaque fois
que tu voudras changer les choses extérieures, tu iras dans le mur si tu as pas créé ton propre
changement, si toi t‟es pas apte à te changer toi-même, comment veux tu que le monde extérieur te
change ? Moi mon parti politique, ce serait plutôt des propositions d‟une meilleure compréhension de
notre fonctionnement, de notre façon de penser, d‟agir, de réagir émotionnellement, physiquement et
compagnie, pour finalement mieux vivre les choses plutôt que vouloir toujours les changer. Quand tu
vis mieux les choses, quand on les accepte, on est plus capables une fois acceptées de les laisser de
côté ou de les modifier si besoin est, mais faut d‟abord les accepter pour ça. J‟pense pas qu‟il faille
refuser quoi que ce soit pour changer le monde. Faut d‟abord accepter le monde tel qu‟il est, et une
fois qu‟on vit dans ce monde là, qu‟on l‟a intégré, on peut commencer à agir à l‟intérieur. […] J‟pense
qu‟on a pas besoin d‟organisation, on a besoin de tous faire quelque chose dans notre vie quotidienne,
avec les gens qu‟on connaît. C‟est ça qui est problématique dans les organisations, c‟est que ça étouffe
l‟individu, et du coup chacun ne peut pas apporter sa créativité, alors qu‟on a besoin de nouveauté et
de créativité. Il y a autant de programmes politiques que d‟individus, chacun à sa propre pierre à
apporter à l‟édifice […] Nos gestes quotidiens, on croit qu‟on les fait d‟abord pour nous alors qu‟en
fait on les fait d‟abord pour la société. On croit qu‟on en a besoin, alors que c‟est juste un besoin que
la société nous donne quoi. »
. Adrien, étudiant mobilisé en 2007 et en 2009, non syndiqué, non militant politique
114
CONCLUSION – Organisations et clivages sociaux
L‟étude de la composition, générationnelle et sociale, de l‟espace de la
mobilisation de 2009 entre en résonnance avec les pistes avancées dans les parties
précédentes de notre travail. Si on valide la caractérisation « cyclique » des mobilisations
étudiantes de 1998-2009, ce cycle comprendrait au moins deux cohortes distinctes (trois
avec celle issue du mouvement contre le rapport Attali), dont les expériences fondatrices se
situent en 2002 et en 2006. De la même manière, sur le Campus amiénois, l‟analyse des
trajectoires d‟engagement des protagonistes de 2009 souligne la persistance majoritaire des
mêmes réseaux entre 2007 et 2009, renvoyant à notre analyse du cadre d‟injustice similaire
développé lors des deux mobilisations. La composition sociale du mouvement nous fournit
cependant une information complémentaire quant à l‟efficience de ce cadre, appelant avec
succès à la vie publique les « enfants des classes populaires », effectivement largement
surreprésentés dans notre population statistique. Si leur présence était manifeste lors des
assemblées du mouvement (révélée notamment par certaines « interv’ » prenant la forme
de sondages à main levée), nous savons maintenant qu‟elle existait également dans les
cadres de décision du mouvement. Ces cadres, qui constituaient le centre de l‟ « espace de
la mobilisation », nécessitent Ŕ pour qui veut y participer Ŕ la détention, en dernière
analyse, d‟un certain volume de capital culturel, comme le laisse apparaître l‟analyse
statistique : si les étudiants issus des classes populaires ont pu prendre part à ces cadres, ce
n‟est que sous une forme particulière, c'est-à-dire après avoir accumulé, en priorité dans les
organisations syndicales et politiques, d‟autres espèces de capitaux pouvant se substituer à
ceux leur faisant défaut. La division du travail au fondement de l‟organisation du
mouvement social (une organisation du travail consistant par essence en une division de
celui-ci) favorise les enfants issus des couches sociales assumant des tâches de direction,
ou de prises de décision, dans le monde social global, et ceux des couches dominées ne
trouvent les ressources pour combattre cette inégalité Ŕ reproduite dans le cœur du
mouvement social s‟y opposant Ŕ que dans les organisations de mouvement social. Pour
reprendre les termes de P. Bourdieu il faut, pour les plus démunis culturellement ou
économiquement, « toujours risquer l‟aliénation politique pour combattre l‟aliénation
politique205 ». De leur côté les étudiants issus des « professions intermédiaires », et plus
encore des « cadres et PIS », ne connaissent pas Ŕ même si l‟entrée dans les organisations
instituées renforcent leurs dispositions à effectuer des tâches de directions et leur stocks de
205
Voir BOURDIEU P., « La représentation politique », Op. Cit.
115
capitaux Ŕ de nécessité à s‟organiser collectivement pour construire une « ligne » et
apprendre comment la défendre publiquement. Plus encore, en fonction de leurs parcours
personnels propres, certains de ces étudiants connaissent des difficultés à entrer Ŕ quand
bien même ils le voudraient, comme le montre les cas de Séverine et Cyril Ŕ en adéquation
avec les formes de structurations qu‟imposent les champs syndicaux et partisans. Si les
affrontements ayant animé les mouvements étudiants de 2007 et de 2009 se cristallisent
autour de l‟existence et de la dynamique de fermeture du sous-champ syndical étudiant (et
du phénomène de dépossession du pouvoir sur les mouvements que cela engendre), ceux-ci
pourraient paradoxalement alors se cristalliser dans le même temps autour des divisions
proprement sociales du milieu étudiant.
116
CONCLUSION
Au-delà des mobilisations parties prenantes de notre objet d‟étude, toute la
décennie qui vient de s‟écouler aura été marquée par les mobilisations répétées de la
jeunesse. La séquence politique ouverte par la situation de l‟entre-deux tour de la
présidentielle de 2002, qui a vu des centaines de milliers de jeunes descendre dans la rue,
semble ne s‟être pour l‟instant pas refermée. De la mobilisation contre la guerre en Irak de
2003 à la fronde contre la réforme des retraites de cet automne 2010, en passant par la
mobilisation contre le CPE en 2006, les mouvements de jeunesse se sont succédés à un
rythme effréné : mobilisation contre le LMD en 2003, mobilisation lycéenne en 2005
contre la « loi Fillon », lutte contre la loi LRU en 2007, contre ses « décrets d‟application »
en 2009 et enfin mouvement lycéen quasiment ininterrompu sur l‟ensemble de la période
2007-2009206. Il semblerait que c‟est à un cycle de mobilisations de jeunesse que nous
avons affaire, largement structuré Ŕ en ce qui concerne le milieu étudiant Ŕ par le cycle de
réformes qu‟a déclenché le processus de Bologne dans l‟enseignement supérieur. Plus
encore, dans l‟enceinte universitaire, ce monde pourtant réputé sans mémoire207,
l‟enchainement des revendications et des temps de mobilisation pourrait bien avoir été à
même de dessiner les contours d‟une unité de génération 208 propre, renvoyant justement à
une mémoire et donc à des liens, des vécus et des enjeux communs209. Un survol rapide de
l‟ensemble de ces mobilisations laisse apparaître à première vue deux axes structurant leurs
contenus revendicatifs, dont la cohérence peut en effet faire naître la croyance en une unité
à minima sociale Ŕ similarités de positions et de parcours dans l‟espace social Ŕ et
206
L‟absence, dans la liste des mobilisations de la jeunesse ici dressée, des « émeutes » des quartiers
populaires de 2005 ne signifie pas une absence de reconnaissance quant au caractère de révolte sociale de ces
évènements. Simplement, parler de cycle de mobilisation suppose un répertoire d‟action et un cadre
d‟injustice semblable entre les mobilisations qui le constituent, et de ce point de vue les mobilisations de la
jeunesse dans le cadre scolaire et dans le cadre d‟affrontements de rues ne sont pas comparables.
207
Comme le note à juste titre R. Morder, renvoyant au turn over permanent caractérisant le milieu étudiant.
Voir MORDER R., (coord.), Naissance d’un syndicalisme étudiant, Editions Syllepse, 2006.
208
V. MANNHEIM K., Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990.
209
Pour reprendre la définition de P. Nora, « la mémoire collective est le souvenir ou l‟ensemble de
souvenirs, conscients ou non, d‟une expérience vécue et/ou mythifiée par une collectivité vivante de l‟identité
de laquelle le passé fait partie intégrante » Si on considère plus précisément, à la suite de M. Halbwachs et de
R. Bastide, que la mémoire est nécessairement collective, « lieu de rencontre » entre individus et entre
groupes, force est de constater que le travail entrepris ici participe lui-même d‟ailleurs Ŕ nécessairement, par
les interactions qu‟il a suscité Ŕ d‟une telle construction mémorielle. Voir LAVABRE M.C., « Usages et
mésusages de la notion de mémoire en Sciences Humaines et Sociales », Critique internationale, 2000,
volume 7, numéro 7, pp 48-57.
117
structurelle Ŕ situation de génération210 semblable définie notamment par le rapport à un
certain état du système scolaire Ŕ des groupes jeunes ayant été les protagonistes de ces
mouvements sociaux. Le premier de ces axes recouvre la revendication d‟une formation de
qualité pour tous, incluant dans le même temps l‟autonomie intellectuelle et sociale du plus
grand nombre et une insertion professionnelle réelle ; et le second couvre quant à lui le
refus des logiques xénophobes et néoconservatrices sous leurs différentes formes, du refus
de la banalisation de l‟extrême droite aux réactions anti-guerre211. Il aurait été possible
d‟envisager plusieurs hypothèses quant aux déterminants sociaux et politiques de ces
mouvements de jeunesse Ŕ baisse de la rentabilité des titres scolaires, nature
d‟ « évènement fondateur » qu‟aurait pu revêtir pour différentes cohortes de jeunes la
mobilisation d‟avril 2002, etc. Ŕ mais seule une étude approfondie, dépassant largement le
cadre du travail de mémoire que nous avons entrepris ici, alliant études des parcours
biographiques, études des mobilisations et des déterminants structurels pouvant présider à
l‟émergence d‟une génération, serait à même de fournir des éléments de réponse.
Dans le milieu étudiant amiénois, un changement substantiel du répertoire
d‟action protestataire voit le jour en 1998, à l‟occasion de la mobilisation contre le rapport
Attali. L‟adoption de l‟occupation comme mode d‟action prioritaire des mouvements, qui
se systématise à compter de cette date, est à l‟origine de l‟ouverture répétée dans le cœur
des luttes d‟un nouvel espace, à la fois spatial et social, remettant en cause les pratiques et
les temporalités des organisations instituées. Cet espace trouve, à l‟échelle du pays, un
forme de régulation proprement organisationnelle dans la rencontre entre la forme
coordination et la formalisation de pratiques de démocratie directe, par ailleurs largement
favorisées par les implications pratiques du squat lui-même : pour les syndicalistes
notamment, l‟occupation doit tenir et la vie collective doit s‟organiser, de manière formelle
si nécessaire. L‟espace peut être appréhendé sous deux angles. Le premier est celui de son
autonomie relative, notamment perceptible à la rémunération avantageuse du capital
culturel et du capital militant qui y a cours212. Le second est celui de sa temporalité : la
différence entre la notion de mouvement social et celle de SMO repose notamment sur une
différence d‟institutionnalisation, d‟inscription dans la durée. L‟ouverture répétée de
l‟espace des mobilisations, au gré des mouvements successifs, a brouillé les cartes entre les
210
MANNHEIM K., Op. Cit.
Cet axe recouvre au passage les réactions qui firent suite à ce qui fut perçu comme un crime raciste de la
police française, en 2005.
212
Là où le capital militant, dans le syndicalisme étudiant, est le fondement inébranlable de l‟ordre du champ.
211
118
deux niveaux de réalité, en plaçant ce dernier dans une situation de semiinstitutionnalisation : si aucune organisation instituée ne voit le jour, les pratiques se
transmettent au sein d‟équipes militantes dotées finalement elle-même d‟une certaine
permanence. A Amiens, les tentatives d‟institutionnalisation en tant que telle de cet espace
Ŕ c'est-à-dire ses tentatives d‟irruption dans le champ de la représentation étudiantes Ŕ ont
d‟ailleurs eu lieu, à trois reprises, témoignant ainsi de l‟autonomisation de ce dernier. Si la
distinction entre les mouvements sociaux et les SMO résident dans leur degré différencié
d‟institutionnalisation, la récurrence des mouvements étudiants de la dernière décennie et
leurs formes particulières ont donnée naissance à un espace d‟un type nouveau,
s‟inscrivant dans la durée mais non nécessairement institutionnalisé. Ce phénomène n‟a
bien évidemment pu voir le jour, en milieu étudiant, que par l‟existence d‟un cycle intense
de mobilisation.
Plus encore, au regard des données issues de l‟étude des mobilisations de 20022006 ou des habitus militants développées par les cohortes syndicales successives 213, la
double temporalité politique ouverte par les squats d‟universités pourrait même être à
l‟origine d‟un rapport spécifique et générationnel à la politique, plus intime et orienté vers
la vie quotidienne, « ici et maintenant ». Cette rupture dans l‟histoire des mouvements
étudiants intervient dans une période historique pour le moins singulière. Dès le milieu des
années 1990, mais plus encore à partir de 2002, la « modernisation » néolibérale est
enclenchée sur tous les fronts, et en premier lieu à l‟Université, structure de formation des
futurs salariés qualifiés. Suite à la fois à l‟expérience socialiste du pouvoir et à la chute du
Mur de Berlin, cette même période est également celle de la déstructuration militante des
partis de gauche et de l‟autonomisation du champ politique214. Comme le relève L.
Mathieu, cette autonomisation, qui est aussi une fermeture et une professionnalisation de
ce dernier, s‟est accompagné d‟une recomposition et d‟une autonomisation parallèle du
désormais nommé, au singulier, « mouvement social ». Cette prise de distance avec les
partis des organisations (non partisanes) parties prenantes de l‟ « espace des mouvements
sociaux », pour reprendre le concept de Mathieu, a également été l‟occasion à la fin des
années 1990 de remettre au gout du jour des formes de démocratie « directe »,
précautionneuse vis-à-vis de la délégation de pouvoir, notamment au sein de la nébuleuse
altermondialiste. Cette structuration complexe du monde militant Ŕ marqué également par
213
214
BRUSADELLI N., Op. Cit.
MATHIEU L., Op. Cit.
119
les tentatives d‟irruption d‟organisation non partisanes dans le champ partisan dans les
temps les plus proches, comme en témoigne l‟expérience de la campagne de 2005 contre le
Traité Constitutionnel Européen ou encore l‟expérience des « collectifs antilibéraux » de
2007215 Ŕ a largement imprégné les milieux militants de jeunesse, notamment étudiants.
Alors même que les organisations de mouvement social prennent toujours plus de recul
vis-à-vis du champ partisan et que les modalités de l‟action étudiante appelle des formes
d‟organisations antinomiques à celles en vogues dans les champs partisans et syndicaux216,
le champ de la représentation étudiante lui-même connaît des transformations : la première
est celle induite par la réunification des deux UNEF de 2001 ; la seconde est celle induite
par la puissance de la mobilisation anti-CPE de 2006, qui semble avoir provoqué dans ce
secteurs aussi un phénomène d‟autonomisation. Ces transformations prendront tous leurs
effets lors des mobilisations de 2007-2009, en pleine offensive néolibérale sur l‟Université,
durant laquelle les étudiants mobilisés seront finalement dépossédés de la gestion de leur
lutte par l‟organisation instituée représentative.
Si ce contexte historique spécifique peut fournir un éclairage quant à notre
questionnement initial, c'est-à-dire quant à la réalité des luttes ayant opposés les étudiants
syndiqués et non syndiqués lors des dernières mobilisations, il est loin d‟être suffisant.
L‟analyse conjointe que nous avons effectuée du syndicalisme étudiant, à travers le
concept de champ, et de la division du travail au sein des mobilisations, à travers le
concept d‟espace, nous apporte en effet des précisions supplémentaires. Comme nous
l‟avons dit, le (sous) champ syndical étudiant comme l‟espace des mobilisations se
structurent en fonction d‟une distribution différenciée de capitaux de différents types. La
différence d‟institutionnalisation distinguant l‟espace du champ a une conséquence
majeure : le premier fonctionne principalement sur la base d‟un capital hérité dans le
monde social, c'est-à-dire le capital culturel ; et le second sur la base d‟un capital qui
s‟acquiert217 en son sein, le capital militant. Si l‟on rajoute à cela l‟éthos d‟origine
fondamentalement inspiré du marxisme dont le syndicalisme étudiant est porteur, cela
dessine en filigrane les divisions sociales que l‟on a pu dans notre travail constater
215
Qui est une tentative, pour les organisations parties prenantes de l‟espace des mouvements sociaux, de
pénétrer le champ partisan dans lequel elles ne trouvent pas d‟offre politique satisfaisante.
216
Dont on sait par ailleurs combien ils sont confondus en France.
217
Même si un stock minimal de capitaux Ŕ social, culturel, politique, organisationnel, etc. Ŕ est nécessaire
pour qui veut payer le droit d‟entrée du sous champ syndical étudiant, le coût à payer est moindre et les
espèces de capitaux valables plus nombreuses que celui permettant de prendre pied dans le centre
névralgique de l‟espace du mouvement social. De plus, le champ permet, à ceux qui y prennent part, de faire
fructifier leur stock initial de capitaux et de le reconvertir pour partie en capital militant.
120
statistiquement : les enfants des classes populaires, dont l‟implication dans l‟espace de la
mobilisation nécessite au préalable l‟accumulation de capital militant, se retrouve
tendanciellement dans le champ syndical étudiant, par ailleurs porteur d‟un système de
représentations et d‟action qui fait écho à leurs héritages protestataires familiaux. Nous
n‟avons pas procédé à une série d‟entretien avec des syndicalistes de milieux populaires,
mais nous pouvons néanmoins penser que certaines dispositions de ces catégories, acquises
dans la famille ou encore dans un certain rapport à l‟institution scolaire, sont dans une
certaine mesure adaptées aux formes de structuration imposée par le fonctionnement sous
forme de champ aux organisations qui y sont dominantes. A l‟inverse, comme nous avons
pu le percevoir à travers les entretiens menés et restitués, les formes d‟ « autoorganisation » des mouvements peut bien souvent correspondre aux attentes de certaines
dispositions socialement constituées et dont les enfants des « professions intermédiaires »,
et notamment des travailleurs éducatifs, sont porteurs. Pour partie, les lignes de fractures
des mouvements étudiants récents sont également des lignes de fracture sociales.
Si l‟existence et la dynamique du sous-champ syndical étudiant ont cristallisé à
ses frontières les oppositions entre étudiants des mouvements de 2007-2009, l‟ensemble
des protagonistes de ces derniers ont pu expérimenter Ŕ conjointement et au gré des temps
d‟actions successifs Ŕ la construction et l‟utilisation d‟un système de pratiques appuyé luimême sur un système de légitimation perfectionné. La pratique de l‟occupation,
nécessairement doublée de celle de l‟auto-organisation pour des raisons matérielles,
appuyée sur à la fois sur une rhétorique démocratique radicale et un cadre d‟injustice néomarxiste, a pu générer une certaine pratique de la politique à caractère générationnel. Ce
qui renforce l‟hypothèse de l‟émergence d‟une unité de génération en tant que telle, avec
ses divisions sociale mais soudée par ses expériences collectives, à travers les mouvements
étudiants et lycéens de la décennie passée. Cette unité de génération, formée par la
jeunesse scolarisée de gauche des années 2000, resterait cependant divisée dans ses
modalités d‟actions, et ne se retrouve pas en majorité dans les appareils politiques et
syndicaux. Certaines de ses franges interviennent néanmoins politiquement à l‟aide de
pratiques caractéristiques, comme l‟illustre le récent mouvement des « indignés »,
réclamant une « démocratie réelle » et occupant les places publiques. Deux pistes peuvent
être tracées à partir du présent travail en vue de recherches futures. La première
s‟intéresserait aux phénomènes de transmissions intergénérationnels dans les champs
politiques et syndicaux, de manière à saisir comment les jeunes issus des mouvements de
121
la dernière décennie renégocient leurs dispositions au sein des appareils traditionnels du
mouvement ouvrier, avec les générations qui les ont précédées. La seconde enfin
s‟intéresserait non pas aux dynamiques générationnels internes au champ politique, mais
tenterait de saisir celles se déroulant à ses frontières. En d‟autres termes, elle tâcherait
d‟ouvrir des pistes quant aux réseaux sociaux de recrutement des organisations ou
nébuleuses politiques de jeunesse.
122
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tradition et oubli », L’homme et la société, n°111-112, janvier-juin 1994, p. 113-117.
• MORIN E. « Culture adolescente et révolte étudiante », Annales, Histoire, Sciences sociales, 1969,
volume 24, n°3, 765-776. (Persée, http://www.persee.fr)
• PERIVOLAROPOULOU N., « Temps socio-historique et générations chez Karl Mannheim »,
L’homme et la société, n°111-112, janvier-juin 1994, p. 23-33.
• PORTIS L., « Autour de la théorie „‟postmoderniste‟‟ : clivage des générations, rupture
épistémologique et crise historique », L’homme et la société, n°111-112, janvier-juin 1994, p. 137154.
• SAYAD A. « Le mode de génération des générations „‟immigrées‟‟ », L’homme et la société,
n°111-112, janvier-juin 1994, p. 155-174.
• SNOW D. A., ROCHFORD E. B., WORDEN S. K., BENFORD R. D., “Frame alignment
processes, micromobilization and movement participation”, American Sociological Review, vol. 51,
pp. 464-481, 1986.
126
• TARROW S., « Cycle of collective action : beween moments of madness and the repertoire of
contention », in Repertoires and cycles of collectives action, Durham (N.C.), Duke University
Press, 1995, pp. 89-116.
• VAKALOULIS M. (sous la direction de), Les mobilisations collectives : une controverse
sociologique, Paris, PUF.
Autres
• BRUSADELLI N., « Ruptures et continuités dans le militantisme étudiant. Essai de repérage
d‟une génération politique en gestation - le cas de l‟UNEF à Amiens entre 1995 et 2008 »,
Mémoire de M1 sous la direction de Denis Blot et d‟Alain Maillard, UPJV, 2008.
• BRUSADELLI N., Impressions crépusculaires, étude d’une possible réponse générationnelle à
la mondialisation néolibérale, étude effectué dans le cadre du M2 dans le cadre d‟un module de
sociologie du temps et animé par A. Maillard.
• TIQQUN, « Organe conscient du Parti Imaginaire Ŕ exercices de métaphysique critique », 162
pages, auto-édition, 1999
 COMITE INVISIBLE, L’insurrection qui vient, La Fabrique, 2007.
 LE JARDIN S‟EMBRASE (collectif), Les mouvements sont faits pour mourir, Tahin Party, 2007.
• L‟Appel, URL : http://1libertaire.free.fr/Appel01.html
.
127
GLOSSAIRE DES SIGLES
ACM : Analyse des Correspondances Multiples
ADIUT : Assemblée Des IUT de France
AFP : Agence France Presse
AG : Assemblée Générale
AGCS : Accord Général pour la Commercialisation des Services
ANR : Agence Nationale de la Recherche
ATTAC : Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l'Action Citoyenne
BAFA : Brevet d‟Aptitude aux Fonctions d‟Animateur
BIATOS : Bibliothécaires Ingénieurs Administratifs Techniciens Ouvriers personnels Sociaux et de santé
BN : Bureau National
BTS : Brevet de Technicien Supérieur
CA : Conseil d‟Administration
Cé : Confédération étudiante
CECAU : Collectif Etudiant Contre l‟Autonomie des Universités
CEVU : Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire
CFDT : Confédération Française Démocratique du Travail
CGC : Confédération Nationale des Cadres
CGT : Confédération Générale du Travail
CIO : Centre d‟Information et d‟Orientation
CLIS : Classe pour l‟Inclusion Scolaire
CNE : Coordination Nationale Etudiante
CNESER : Conseil National de l‟Enseignement Supérieur et de la Recherche
CNOUS : Centre National des Œuvres Universitaires et Scolaires
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
CNT : Confédération Nationale du Travail
CNU : Conseil National des Universités / Coordination Nationale des Universités
CPE : Contrat Première Embauche
CPU : Conférence des Présidents d‟Université
CROUS : Centre Régional des Œuvres Universitaires et Scolaires
CRS : Compagnies Républicaines de Sécurité
CSA : Conseil Supérieur de l‟Audiovisuel
DASS : Direction des Affaires Sanitaires et Sociales
DEP : Direction de l‟Education Permanente
DOM : Départements d‟Outre Mer
EC : Enseignants Chercheurs
EE : Ecole Emancipée
FAGE : Fédération des Associations Générales Etudiantes
FCPE : Fédération des Conseils de Parents d‟Elèves
FERC (CGT) : Fédération de l‟Education de la Recherche et de la Culture
FIDL : Fédération Indépendante et Démocratique Lycéenne
FO : Force Ouvrière
FSDIE : Fond de Solidarité et de Développement des Initiatives Etudiantes
FSE : Fédération Syndicale Etudiante
FSU : Fédération Syndicale Unitaire
GEA : Groupe des Etudiants Autonomes
GERME : Groupe d‟Etude et de Recherche sur les Mouvements Etudiants
GU : Gauche Unitaire
IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers
INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques
IUFM : Institut Universitaire de Formation des Maîtres
IUT : Institut Université de Technologie
JC : Jeunes Communistes
JCR : Jeunes Communistes Révolutionnaires
JRG : Jeunes Radicaux de Gauche
LCR : Ligue Communiste Révolutionnaire
LKP : Liyannaj Kont Pwofitasyon (collectif contre l‟exploitation outrancière)
128
LMD : Licence Master Doctorat
LMDE : La Mutuelle Des Etudiants
LMU : Loi de Modernisation des Universités
LOPRI : Loi d‟Orientation et de Programmation de la Recherche et de l‟Innovation
LRU : Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités
MET : Mouvement des ETudiants
MJCF : Mouvement des Jeunes Communistes de France
MJS : Mouvement des Jeunes Socialistes
NPA : Nouveau Parti Anticapitaliste
NPM : New Public Management (nouvelle gestion publique)
OCI : Organisation Communiste Internationaliste
PCF : Parti Communiste Français
PCS : Professions et Catégories Socioprofessionnelles
PDE : Promotion et Défense des Etudiants
PEGC : Professeurs d‟Enseignement Général des Collèges
PI : Professions Intermédiaires
PIS : Professions Intellectuelles Supérieures
POI : Parti Ouvrier Indépendant
PS : Parti Socialiste
PUC : Pôle Universitaire Cathédrale
RAMU : Réforme de l‟Allocation des Moyens alloués aux Universités
RASED : Réseau d'Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté
RATP : Régie Autonome de Transports Parisiens
SE (UNSA): Syndicat des Enseignants
SGEN (CFDT) : Syndicat Général de l‟Education Nationale
SHS : Sciences Humaines et Sociales
SISE : Système d‟Information pour le Suivi des Etudiants
SLR : Sauvons la Recherche
SLU : Sauvons l‟Université
SMO : Social Movement Organization (organisation de mouvement social)
SNALC : Syndicat National des Lycées et des Collèges
SNASUB (FSU) : Syndicat National de l‟Administration Scolaire Universitaire et des Bibliothèques
SNCF : Société Nationale des Chemins de Fer
SNEP (FSU) : Syndicat National de l'Education Physique
SNES (FSU) : Syndicat National des Enseignants du Second degré
SNESUP (FSU) : Syndicat National de l‟Enseignement SUPérieur
SNETAA (FO) : Syndicat National de l‟Enseignement Technique Action Autonome
SNUEP (FSU) : Syndicat National Unitaire de l‟Enseignement Professionnel
SNUIPP (FSU) : Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des Ecoles et PEGC
SUD : Solidaires Unitaires et Démocratiques
TCE : Traité Constitutionnel Européen
TUUD : Tendance pour une UNEF Unie et Démocratique
U3M : plan pour l‟Université du 3ème Millénaire
UEC : Union des Etudiants Communistes
UFR : Unité de Formation et de Recherche
UMP : Union pour la Majorité Présidentielle
UNEF : Union Nationale des Etudiants de France
UNEF-ID : Union Nationale des Etudiants de France Ŕ Indépendante et Démocratique
UNEF-SE : Union Nationale des Etudiants de France Ŕ Solidarité Etudiante
UNI : Union Nationale Inter-universitaire
UNL : Union Nationale Lycéenne
UNSA : Union Nationale des Syndicats Autonomes
UNSEN (CGT) : Union Nationale des Syndicats de l‟Education Nationale
UPJV : Université de Picardie Jules Verne
UTG : Union des Travailleurs Guyanais
ZEP : Zone d‟Education Prioritaire
129
TABLE DES ILLUSTRATION
TABLEAU 1 : RESSOURCES HERITEES ET IMPLICATION DANS LE MOUVEMENT .................................................. 90
TABLEAU 2 : MILITANTISME ET IMPLICATION DANS LE MOUVEMENT ............................................................... 90
TABLEAU 3 : ORIGINE SOCIALE ET IMPLICATION DANS LE MOUVEMENT ........................................................... 91
TABLEAU 4 : ORIGINE SOCIALE ET IMPLICATION DANS LE MOUVEMENT ........................................................... 91
TABLEAU 5 : ORIGINE SOCIALE ET IMPLICATION DANS LE MOUVEMENT DES NON ORGANISES .......................... 92
TABLEAU 6 : RESSOURCES HERITEES ET ORIGINE SOCIALE ............................................................................... 92
TABLEAU 7 : RESSOURCES HERITEES ET ORGANISATION SYNDICALE OU PARTISANE ........................................ 92
TABLEAU 8 : ORIGINE SOCIALE ET ORGANISATION SYNDICALE ........................................................................ 93
TABLEAU 9 : ORIGINE SOCIALE ET ORGANISATION SYNDICALE OU POLITIQUE .................................................. 93
TABLEAU 10 : ORIGINE SOCIALE ET EXPERIENCES ASSOCIATIVE OU DE L'ANIMATION ...................................... 94
ACM 1 : REPRESENTATION GRAPHIQUE DE L‟ « ESPACE DE LA MOBILISATION » ETUDIANTE DE 2009 ............. 95
TABLEAU 11 : CONTRIBUTION DES MODALITES ACTIVES A LA FORMATION DES AXES ...................................... 96
TABLE DES ANNEXES
ANNEXE 1 Ŕ EVOLUTIONS DU MOUVEMENT ETUDIANT DE 2007 ..................................................................... 131
ANNEXE 2 Ŕ EVOLUTIONS DU MOUVEMENT ETUDIANT DE 2009 ..................................................................... 131
ANNEXE 3 Ŕ EVOLUTION DES RAPPORTS DE FORCE AUX ELECTIONS DU CNOUS ........................................... 132
ANNEXE 7 Ŕ GUIDE D‟ENTRETIEN .................................................................................................................. 132
ANNEXE 8 Ŕ QUESTIONNAIRE TELEPHONIQUE ................................................................................................ 137
130
ANNEXES
ANNEXE 1 – EVOLUTIONS DU MOUVEMENT ETUDIANT DE 2007
2 novembre 2007
6 novembre 2007
8 novembre 2007
Nombre d'universités avec AG comprenant 500 à 2000 participants
4
9
19
Nombre d'universités bloquées, totalement ou partiellement
4
4
15
Nombre d'universités avec AG comprenant 100 à 450 participants
21
22
21
Nombre d'universités avec AG comprenant moins de 100 participants
18
12
6
Nombre d'universités avec AG en préparation et n'en ayant pas encore tenu
3
6
4
Total universités touchées
46
49
50
Source : Estimations syndicales TUUD, FSE, SUD et EE-FSU
ANNEXE 2 – EVOLUTIONS DU MOUVEMENT ETUDIANT DE 2009
4 février 2009
10 février 2009
18 février 2009
Nombre d'universités avec AG comprenant 500 à 2000 participants
13
26
33
Nombre d'universités bloquées, totalement ou partiellement
1
1
10
Nombre d'universités avec AG comprenant 100 à 450 participants
14
28
31
Nombre d'universités avec AG comprenant moins de 100 participants
4
3
7
Nombre d'universités avec AG en préparation et n'en ayant pas encore tenu
4
0
1
Total universités touchées
35
57
72
26 février 2009
14 mars 2009
25 mars 2009
Nombre d'universités avec AG comprenant 500 à 2000 participants
37
31
ND
Nombre d'universités bloquées, totalement ou partiellement
15
25
54
Nombre d'universités avec AG comprenant 100 à 450 participants
21
41
ND
Nombre d'universités avec AG comprenant moins de 100 participants
3
8
ND
Nombre d'universités avec AG en préparation et n'en ayant pas encore tenu
0
1
ND
Total universités touchées
61
81
ND
15 avril 2009
28 avril 2009
5 mai 2009
Nombre d'universités avec AG comprenant 500 à 2000 participants
44
ND
ND
Nombre d'universités bloquées, totalement ou partiellement
57
40
20
Nombre d'universités avec AG comprenant 100 à 450 participants
23
ND
ND
Nombre d'universités avec AG comprenant moins de 100 participants
2
ND
ND
Nombre d'universités avec AG en préparation et n'en ayant pas encore tenu
0
ND
ND
Total universités touchées
69
ND
ND
18 mars 2009
Nombre d'universités avec AG comprenant 500 à 2000 participants
ND
Nombre d'universités bloquées, totalement ou partiellement
10
Nombre d'universités avec AG comprenant 100 à 450 participants
ND
Nombre d'universités avec AG comprenant moins de 100 participants
ND
Nombre d'universités avec AG en préparation et n'en ayant pas encore tenu
ND
Total universités touchées
ND
Source : estimation syndicale TUUD, FSE, SUD et EE-FSU ; AFP
131
ANNEXE 3 – EVOLUTION DES RAPPORTS DE FORCE AUX ELECTIONS DU CNOUS
ANNEXE 7 – GUIDE D’ENTRETIEN
GUIDE D‟ENTRETIEN
Présentation : enquête sur les mouvements étudiants de 2007 et 2009
« Tu pourrais me parler un peu de toi, de ton parcours scolaire, de ta famille ? »
Année et lieu de naissance, trajectoire résidentielle
Composition de la famille, professions, situations de travail père, mère, frère(s) et sœur(s),
éventuellement grands parents
Climat familial, type d‟éducation
« Et le militantisme, tu y es venu comment ? »
Héritage culturel famille
1ères expériences lycéennes ou collégiennes
Entrée à la fac, évènements marquants
« Pourrais-tu me raconter le mouvement de 2007 ? Comment tu l’as vécu ? »
Entrée dans le mouvement, rencontres, motivations personnelles
Déroulement des évènements, perceptions des rapports entre groupes, perceptions des groupes
syndicaux et politiques notamment (UNEF, SUD, AJR, SV, FSE)
Appréciation de la situation politique nationale à ce moment là, des autres secteurs en lutte
Occupation des lieux, organisation concrète du mouvement
« Et le mouvement de 2009 ? »
Entrée dans le mouvement, rencontres, motivations personnelles
Déroulement des évènements, perceptions des rapports entre groupes, perceptions des groupes
syndicaux et politiques notamment (UNEF, SUD, AJR, SV, FSE)
Appréciation de la situation politique nationale à ce moment là, des autres secteurs en lutte
Occupation des lieux, organisation concrète du mouvement
« Tu coures à tous les mouvements sociaux, tu milites ponctuellement mais régulièrement, et pourtant
tu ne t’engages dans aucune organisation politique ou syndicale, pourquoi ? / On dit de toi que tu es un
autonome, tu en penses quoi ? »
Rapport à l‟étiquetage
Rapport à l‟organisation, à soi
« Dernière question : tu penses quoi de la situation de la jeunesse aujourd’hui ? Et l’avenir, tu le vois
comment ? »
Mémoire et rapport à l‟histoire
Rapport à l‟avenir
132
ANNEXE 8 – QUESTIONNAIRE TELEPHONIQUE
137
138
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