L’EUROPE S’APPRÊTE À «
PROTÉGER LES
INVESTISSEURS CONTRE LES
CONSÉQUENCES DE LEURS
MAUVAISES DÉCISIONS »
30 J A NV I E R 2 0 1 3 p a r P A U L J O R I O N |
L’économiste allemand Hans-Werner Sinn et l’économiste suisse Harald Hau ont signé avant
-hier une tribune libre dans le Financial Times, intitulée : « L’union bancaire de la zone euro
est profondément viciée ». Elle traite un thème qui m’est cher et sur lequel il est toujours bon
de revenir : que le mécanisme du prêt et de l’emprunt est aujourd’hui faussé du fait que le
défaut, soupape nécessaire d’une économie fondée sur une répartition très inégale de la
richesse, a été mis hors-jeu. Tout défaut, toute somme qui n’est pas remboursée par un
emprunteur à un prêteur, est depuis 2007 prise à charge par l’État, c’est-à-dire par le
contribuable, le cas princeps étant celui de la faillite de l’assureur américain AIG en septembre
2008 : le contribuable américain a (à son corps défendant bien entendu) réglé l’entièreté des
182,5 milliards de dollars nécessaires à rembourser rubis sur l’ongle l’ensemble des
créanciers.
Dans ce domaine, l’Europe met en ce moment les bouchées doubles. Sinn et Hau écrivent
très justement à propos du projet d’union bancaire européenne qu’il « pourrait constituer une
nouvelle étape dans le transfert de dettes privées douteuses au bilan des États – ce qui réjouit
le marché des capitaux et explique sans doute sa confiance retrouvée ».
Les principales composantes du taux d’intérêt sont la prime de liquidité (le prix à payer pour
le temps qui s’écoulera avant le remboursement), l’expression du rapport de force entre
prêteurs et emprunteurs dans une conjoncture particulière de l’économie, et la prime de risque
faite pour absorber statistiquement le défaut s’il a lieu. Or maintenant que le risque a cessé
d’exister, la prime de risque incluse dans le taux d’intérêt exigé constitue une simple aubaine.
À propos du Mécanisme européen de stabilité (MES) Sinn et Hau font observer qu’il « met en
avant des mesures protégeant les investisseurs contre les conséquences de leurs mauvaises
décisions ».
Pour justifier son profit, le prêteur invoque – et le plus souvent à hauts cris – le risque auquel
il est exposé. Mais le risque de non-remboursement a aujourd’hui disparu : le versement des
sommes dues a été verrouillé, aux frais de la communauté. Si celle-ci proteste : dit qu’elle a
Blog de Paul Jorion