Mises au point Mises au point Les vaccinations des usagers de drogues Drug abusers vaccinations Pierre Loulergue* La consommation de drogues reste un problème mondial, quel que soit le stade de développement économique du pays. Les consommateurs de drogues sont particulièrement à risque pour de nombreuses maladies infectieuses, dont certaines sont à prévention vaccinale. L’efficacité immunologique des vaccins dans cette population est diminuée, mais il est difficile de conclure à une diminution de l’efficacité clinique. Deux des plus grands fléaux chez les usagers de drogues (UD), le VIH et le VHC, n’ont pas de vaccins disponibles pour le moment. Des essais cliniques sont en cours, mais il est nécessaire de réaliser des essais cliniques également chez les UD qui sont parmi les plus exposés et chez qui la réponse immunitaire risque d’être différente. Mots-clés : Usagers de drogues, Population à risque, HAV, HBV, VHC, VIH, Grippe, Tétanos, Réponse immunitaire. Keywords : Drug abusers, Population at risk, HAV, HBV, HCV, HIV, Influenza, Tetanus, Immune response. prévalence de l’hépatite A est élevée dans cette tranche d’âge. Il s’agit d’un vaccin inactivé, conditionné seul (Havrix®, Avaxim®) ou en association avec le vaccin contre l’hépatite B (Twinrix®). Un contrôle sérologique après vaccination est nécessaire en cas d’immunodépression. Virus de l’hépatite B Drug abuse remains a major issue worldwide, whatever the stage of economic development. Drug users are particularly at risk for many infectious diseases, some of which are preventable by vaccination. The immunological efficacy of vaccines in this population is diminished, but it is difficult to conclude that a reduction in clinical efficacy. Two of the greatest scourges among drug users, HIV and HCV, have no vaccine available yet. Clinical trials are ongoing but it is necessary to conduct clinical trials also among drug users who are among the most exposed and in which the immune response may be different. 13 MILLIONS D’usagers de drogues CONTRE LES VIRUS DES HÉPATITES La population des usagers de drogues (UD) est estimée à 13 millions dans le monde et tous les pays sont confrontés à ce problème de société. Ces personnes sont particulièrement à risque d’acquérir des maladies infectieuses à transmission parentérale aux premiers rangs desquels le VIH et les virus des hépatites (B, C et A), mais aussi le tétanos. La grippe est également une maladie infectieuse aux conséquences potentiellement graves chez ces personnes, ce qui est d’autant plus prégnant dans le contexte pandémique actuel. La prévention contre ces maladies passe par les programmes d’échange de seringues, la substitution des opiacés, l’éducation à la santé et la vaccination. La question de l’immunogénicité – c’est-à-dire l’efficacité immunologique – des vaccins dans la population des UD a fait l’objet de plusieurs études, avec des résultats contradictoires. Elle est évaluée par le dosage des anticorps sériques spécifiques. Mais d’autres voies de l’immunité sont également activées, notamment l’immunité à médiation cellulaire, qui n’est pas évaluée en routine. Plus que l’efficacité immunologique, c’est l’efficacité clinique qui importe. Or, elle n’est pas toujours corrélée à une valeur seuil d’anticorps. Virus de l’hépatite A * CIC de vaccinologie Cochin-Pasteur, hôpital Cochin, Paris. L’hépatite A est une maladie à transmission orofécale dont la prévalence est corrélée au niveau d’hygiène individuelle et collective du pays, et donc à son niveau de développement économique. Les UD sont à risque pour l’hépatite A du fait de la transmission parentérale et d’un contexte socio-économique personnel souvent défavorable. Malgré l’existence de deux vaccins contre l’hépatite A depuis plus de 10 ans, qui ont tous deux une excellente efficacité, la couverture vaccinale des consommateurs est largement insuffisante (1). L’hépatite A peut évoluer sur le mode épidémique au sein de communautés d’usagers de drogue, qui peuvent être rapidement stoppées par la vaccination massive. Sur le plan sérologique, alors que l’efficacité est de plus de 90 % chez les personnes saines après une dose, les UD semblent nécessiter deux doses pour être suffisamment couverts. Quaglio et al. ont montré qu’après une dose, seul un tiers, mais après deux doses, l’ensemble des patients atteignaient le seuil protecteur d’anticorps (2). En France, on recommande un schéma à deux injections, à J0 et une deuxième injection entre 6 et 12 mois plus tard pour permettre le maintien de l’immunogénicité à long terme. Pour les personnes nées avant 1945, un contrôle sérologique sera réalisé au préalable, car la Le Courrier des addictions (11) ­– n ° 4 – octobre-novembre-décembre 2009 14 L’hépatite B est un problème majeur de santé publique dans le monde avec plus de 300 millions de porteurs chroniques qui risquent de développer une cirrhose ou un hépatocarcinome. Des vaccins existent depuis plusieurs dizaines d’années, cependant, la couverture vaccinale des UD est très faible (moins de 30 %) [3]. C’est le vaccin pour lequel nous avons le plus de données d’immunogénicité, mais dont les résultats des études sont contradictoires (4) : les taux de séroconversion varient de 58 à 100 % en fonction des études. Une étude s’intéressant à la persistance des anticorps à long terme n’a pas montré de différence entre le taux de personnes protégées 5 ans après vaccination chez les UD par rapport à un groupe témoin (64 % versus 79 %) [5], il n’y a donc pas de nécessité de faire des doses de rappel. En outre, des données in vitro indiquent que même en l’absence d’un taux d’anticorps protecteur, il peut exister un certain degré de protection grâce à la mémoire immunitaire (6). Le calendrier vaccinal français recommande de vacciner les UD contre l’hépatite B vu leur surrisque (7). Un contrôle sérologique est nécessaire dans cette population. Les vaccins contre l’hépatite B sont des vaccins inertes, fabriqués par génie génétique. Le schéma vaccinal classique comporte trois injections (J0, M1, M6), avec un intervalle d’au moins 1 mois entre les deux premières injections et entre 5 et 12 mois entre les deux suivantes. Les rappels ne sont pas recommandés. Un contrôle sérologique sera réalisé en situation d’immunodépression afin de proposer des injections complémentaires en cas de non réponse. Les vaccins sont conditionnés seuls (Engerix®, Genhevac®) ou en association avec le vaccin contre l’hépatite A. Virus de l’hépatite C La consommation de drogues est un des facteurs de risque majeurs d’infection par le virus de l’hépatite C, par ailleurs largement sous- Mises au point Mises au point diagnostiquée, même dans les pays industrialisés. Comme pour le virus de l’hépatite B, les conséquences de cette infection chronique sont la cirrhose et l’hépato-carcinome. Le traitement par interféron alpha et ribavirine proposé actuellement est efficace dans un nombre non négligeable de cas, selon le génotype considéré, mais au prix d’effets secondaires importants. Cependant, les risques d’échec et les possibilités de recontamination font préférer la solution d’une vaccination. Plusieurs candidats ont fait l’objet d’essais cliniques de phase I sur le versant thérapeutique de l’hépatite C, avec des résultats encourageants en termes de diminution de la charge virale et de tolérance. Selon les cas, les stratégies se fondent sur la production d’anticorps neutralisants ou d’une réponse à la médiation cellulaire. Des essais de phase II devraient commencer prochainement. Le chemin reste toutefois long et incertain avant l’obtention d’un vrai vaccin. TOUJOURS EN PERSPECIVE AUSSI, CELUI CONTRE LE VIH Comme pour l’hépatite C, les UD sont touchés par cette infection depuis le début de la pandémie. La nécessité d’obtenir un vaccin contre le VIH a été comprise dès les années 1980. Beaucoup de moyens humains et financiers ont été mobilisés depuis sans succès pour l’instant. L’annonce récente des résultats d’un essai de phase II montrant un certain degré de protection contre l’infection doit être tempérée par le fait qu’il s’agissait d’un petit effectif. Des essais cliniques sur un grand nombre de personnes sont nécessaires. En outre, il est indispensable de mieux caractériser la réponse vaccinale contre le VIH pour permettre la progression dans la recherche d’un vaccin. CONTRE CEUX DE LA GRIPPE La grippe saisonnière est une cause importante de morbidité et de mortalité chaque année. Les UD peuvent être à risque à cause de leur situation sociale précaire, d’un terrain pulmonaire fréquemment fragilisé par une intoxication tabagique et d’un état de dénutrition favorisant les surinfections. La situation est encore plus préoccupante actuellement avec la pandémie grippale due au virus A/ H1N1. Le vaccin de la grippe saisonnière est connu depuis longtemps et les taux de séroconversion et de séroprotection sont des critères préalables à l’obtention de la mise sur le marché : 70 % de la population doit être protégée (60 % pour les plus de 60 ans). Les études d’immunogénicité du vaccin antigrippal chez les UD sont peu nombreuses, mais elles ne montrent pas de diminution de l’efficacité immunologique ni de modification de la tolérance du vaccin par rapport à la population générale (8, 9). Concernant la grippe pandémique A/H1N1 2009, il n’y a, pour l’instant, aucune donnée publiée chez les consommateurs de drogues. La vaccination antigrippale est recommandée dans ce groupe à cause des risques de décompensation respiratoire ou de surinfection bactérienne. LE TÉTANOS, TOUJOURS PRÉSENT Le tétanos est une maladie infectieuse ubiquitaire liée à Clostridium tetani. De petites épidémies sont régulièrement signalées chez des UD par voie intraveineuse, la transmission se faisant par des aiguilles souillées. Le vaccin contre le tétanos existe sous forme trivalente (associé aux vaccins contre la diphtérie et la poliomyélite) ou quadrivalente (mêmes valences associées au vaccin coquelucheux acellulaire). Les recommandations françaises stipulent que la vaccination contre le tétanos doit se faire avec un rappel tous les 10 ans chez l’adulte. Le tétanos est une maladie à déclaration obligatoire en France et doit faire l’objet d’une notification à la DDASS. Il convient d’être particulièrement vigilant chez les UD par voie injectable en vérifiant leur statut vaccinal et, au besoin, en réalisant une sérologie pour mettre à jour leur vaccination si le taux d’anticorps est insuffisant. La couverture vaccinale antitétanique est mauvaise chez les consommateurs de drogues, du fait d’un suivi médical irrégulier (10). Les injections de rappel décennales ne sont souvent pas réalisées et les taux d’anticorps diminuent avec l’âge, rendant certaines personnes vulnérables à cette infection aux graves conséquences. Aucune donnée n’indique que le vaccin antitétanique serait moins immunogène chez les UD. CONCLUSION Malgré leur situation à haut risque pour un certain nombre de maladies à prévention vaccinale, les consommateurs de drogues ont des couvertures vaccinales très insuffisantes. Les modalités de prise en charge de ces patients doivent inclure la vaccination, après vérification du statut vaccinal, voire après réalisation de sérologies. Des essais cliniques d’immunogénicité des vaccins, mais surtout d’efficacité clinique, sont nécessaires dans cette population particulière, car les quelques données publiées sont parfois contradictoires. Les autres mesures prophylactiques chez les UD restent très importantes, mais la vaccination est un élément indispensable d’une politique de prév vention. 15 Références bibliographiques 1. Poland GA. Evaluating existing recommendations for hepatitis A and B vaccination. Am J Med 2005;118,Suppl.10A:16S-20S. 2. Quaglio G, Pajusco B, Civitelli P et al. Immunogenicity, reactogenicity and adherence with hepatitis A vaccination among drug users. Drug Alcohol Depend 2004;74(1):85-8. 3. McGregor J, Marks PJ, Hayward A, Bell Y, Slack RC. Factors influencing hepatitis B vaccine uptake in injecting drug users. J Public Health Med 2003;25(2):165-70. 4. Baral S, Sherman SG, Millson P, Beyrer C. Vaccine immunogenicity in injecting drug users: a systematic review. Lancet Infect Dis 2007;7(10):667-74. 5. Puvacic S, Ravlija J, Puvacic Z, Curic I. Long term protection after hepatitis B vaccination. Bosn J Basic Med Sci 2005;5(3):50-3. 6. Are booster immunisations needed for lifelong hepatitis B immunity? European Consensus Group on Hepatitis B Immunity. Lancet 2000;355(9203):561-5. 7. Bulletin Épidemiologique Hebdomadaire. Calendrier vaccinal 2009 http://www.invs.sante.fr/ beh/2009/16_17/index.htm. 8. Iorio AM, Alatri A, Francisci D et al. Immunogenicity of influenza vaccine (1993-94 winter season) in HIV-seropositive and -seronegative ex-intravenous drug users. Vaccine 1997;15(1):97-102. 9. Amendola A, Boschini A, Colzani D et al. Influenza vaccination of HIV-1-positive and HIV-1negative former intravenous drug users. J Med Virol 2001;65(4):644-8. 10. Sangalli M, Chierchini P, Aylward RB, Forastiere F. Tetanus: a rare but preventable cause of mortality among drug users and the elderly. Eur J Epidemiol 1996;12(5):539-40. 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