Quels secteurs développer pour créer de l`emploi en

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Conférence iD4D - Quels secteurs développer pour créer de l’emploi en Méditerranée ?
19 septembre 2013 à l’AFD
SYNTHESE
Intervenants :
- El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine
- Nicole Madriaga, économiste au sein de la division Analyse macroéconomique et risque pays à l’AFD
- Mohamed Chafiki, directeur des études et de la prévision financière au ministère de l’Économie et des Finances du Maroc
- Mohamed Soual, chef économiste de l’Office chérifien des phosphates (OCP)
- Hafez Ghanem, chercheur senior au think tank Brookings Institution
Les économies des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont été fortement affectées par la crise internationale et par
les révolutions arabes. Les taux d’emplois formels y sont parmi les plus bas au monde (40 %), et les jeunes, qui arrivent en
masse sur le marché du travail, sont les premières victimes du chômage. Quelles solutions pour créer de l’emploi dans les
pays de la zone ?
FAVORISER UNE MEILLEURE ADEQUATION ENTRE FORMATIONS ET BESOINS DES ENTREPRISES
L’offre et la demande d’emplois en zone Méditerranée ne concordent pas. Par exemple, « deux tiers des lauréats de
l’enseignement supérieur au Maroc sortent formés dans des disciplines qui ne sont pas au cœur des préoccupations des
entreprises » (M. Soual). Les entreprises sont donc souvent contraintes de former elles-mêmes leurs salariés. Et de leur côté,
les jeunes diplômés peinent à trouver un emploi. Ils « n’ont le choix qu’entre un déclassement local (en se tournant vers des
emplois sous-qualifiés dans le secteur public) et l’expatriation forcée » (E. M. Mouhoud). Dans la zone, le brain drain est
deux à trois fois supérieur à la moyenne des pays intermédiaires. Les formations devraient donc être mises en adéquation
avec les besoins du marché et organisées autour de l’insertion professionnelle des jeunes diplômés.
DIVERSIFIER LA PRODUCTION EN MISANT SUR DES SECTEURS INNOVANTS ET A FORTE VALEUR
AJOUTEE
En lien avec le point précédent, la spécialisation productive actuelle des pays de la Méditerranée n’est avantageuse pour créer
de l’emploi. Principale cliente des pays méditerranéens, l’Union européenne a favorisé leur spécialisation sur des secteurs
peu productifs et des biens à faible valeur ajoutée, ce qui n’est pas favorable à la création d’emplois, notamment qualifié. Or,
« les transferts de main-d’œuvre d’un secteur peu productif (comme le secteur agricole) vers des secteurs productifs
(secteurs de l’industrie et des services) permettent de réaliser des gains de productivité. » (N. Madriaga). Ces gains de
productivité sont sources d’emploi s’ils sont fondés sur des activités innovantes plutôt que sur une rationalisation du
processus de production économisant de la main d’œuvre. Les pays de la zone Méditerranée devraient donc diversifier leur
production, pour le moment trop polarisée, en se spécialisant dans des secteurs innovants ou à forte valeur ajoutée, pourquoi
pas dans l’aéronautique et l’automobile, comme au Maroc, ou encore dans les NTIC qui sont susceptibles d’offrir des
emplois qualifiés aux jeunes diplômés.
JOUER COLLECTIF POUR CONQUERIR DE NOUVEAUX MARCHES
Les fournisseurs de l’Europe sont aujourd’hui impactés par son ralentissement économique. Les pays de la zone
Méditerranéenne doivent donc trouver des solutions pour mener des négociations commerciales plus favorables avec leurs
partenaires commerciaux européens, et pour s’ouvrir vers de nouveaux marchés. Cela passe par un rapprochement, un
dialogue et une entente entre les pays de la zone. Ils devront rompre avec leurs habitudes « d’intégration individuelle et
spécifique » jusqu’ici pratiquées par chaque pays avec l’UE. Et ils devront trouver des « complémentarités sectorielles » pour
« défendre la compétitivité de la zone Méditerranée à l’international » (M. Chafiki). Ils pourront ainsi conquérir de nouveaux
marchés, en particulier dans le Sud de l’Afrique.
REFORMER LE FONCIER ET L’IMMOBILIER POUR UNE PLUS GRANDE EQUITE DANS L’ACCES A
L’EMPLOI
« Les pays de la Méditerranée sont caractérisés par une forte décomposition territoriale » (E. M. Mouhoud). La croissance
et l’emploi sont concentrés géographiquement autour des grandes métropoles. Or, les prix de l’immobilier sont prohibitifs
pour une partie de la population qui n’a donc pas accès aux principaux bassins d’emploi. En outre, les législations fiscales
favorisent les investissements dans l’immobilier au détriment d’autres secteurs qui pourraient être de plus importants
pourvoyeurs d’emplois.
SOUTENIR LES PME, PREMIERS POURVOYEURS D’EMPLOIS
Les PME « sont confrontées à de lourdes contraintes qui entravent leur développement » (H. Ghanem), notamment au plan
fiscal et administratif. En outre, le poids de la corruption et le fait que certains secteurs de l’économie sont captifs des
pouvoirs politiques n’encouragent pas l’investissement. En conséquence, une grande majorité des PME demeure dans le
secteur informel (près de 80 % en Égypte). La lutte contre la corruption, l’allégement des contraintes administratives et
fiscales, et le lancement d’initiatives encourageant l’investissement dans les PME seraient des moyens de renforcer ces
acteurs, premiers pourvoyeurs d’emplois en zone Méditerranée.
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19 septembre 2013 à l’AFD
Conférence-débat « Quels secteurs développer pour créer de
l’emploi en Méditerranée? »
I. Le décryptage par les conférenciers
El Mouhoub MOUHOUD
Professeur d'économie à l’université de Paris Dauphine
Poursuivre les efforts d’intégration régionale
•
Six fléaux contre l’emploi
Dans la pensée commune, la croissance génère de l’emploi. Or, dans certains pays
méditerranéens, la bonne santé de l’économie ne débouche pas forcément sur la création
d’emplois. Pourquoi ? Quelles sont les similitudes entre ces pays où l’emploi est en berne ?
L’approche typologique des pays arabes (pays pétroliers, manufacturiers, etc.) ne suffit pas à
expliquer la situation de l’emploi. En revanche, une approche comparative de l’ensemble des
économies du Sud et de l’Est de la Méditerranée fait ressortir six fléaux communs
expliquant la faible création d’emplois, la diffusion «du printemps arabe » et les tentatives
de rupture et de changement qui en découlent.
- Un manque de diversification intersectorielle : toutes ces économies sont en effet polarisées
sur un petit nombre de secteurs, notamment dans le domaine industriel. Certains pays, comme la
Turquie et le Maroc, en souffrent toutefois moins que d’autres.
- Des taux d’emploi extrêmement faibles, les plus bas du monde. Dans l’ensemble des
économies du Sud et de l’Est de la méditerranée, le niveau élevé des taux de chômage, en
particulier le chômage des jeunes, la faiblesse de la participation des jeunes et des femmes au
marché du travail, associés à l’existence d’un secteur informel important et croissant, se
traduisent par des taux d’emploi formels parmi les plus bas du monde (moins de 40 %).
- Une demande de la population d’accéder à l’éducation qui a été satisfaite : des dépenses
importantes en matière d’éducation ont été engagées, mais visiblement, le fait d’être diplômé ne
donne pas pour autant accès au marché du travail (les taux de chômage chez les diplômés y sont
parmi les plus élevés au monde).
- Les jeunes sortant d’études supérieures n’ont le choix qu’entre un déclassement local (en
se tournant vers des emplois sous-qualifiés dans le secteur public) ou l’expatriation forcée. Les
taux de « brain drain1 » y sont anormalement élevés compte tenu du revenu moyen par habitant.
Ils avoisinent en effet parfois les 17 %, ce qui est deux fois plus élevé que la normale. En effet
les pays à revenu intermédiaire, affichent en général des taux d’émigration de qualifiés autour
de 5 à 8 %, contrairement aux pays pauvres qui présentent des taux très élevés supérieurs à 30
% en moyenne.
1
Fuite des cerveaux
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- Une corruption persistante de l’économie, qui érode les capabilités2, qui entrave les prises
d’initiatives et qui explique la croissance d’un secteur informel. Ce dernier est dominé par les
Petites et moyennes entreprises (PME), et se substitue au secteur formel. Seuls les grands
groupes et le secteur public composent le secteur formel.
- Un mode d’insertion internationale défavorable pour ces économies. Des exportations
essentiellement vers l’Union européenne (UE) qui favorise le verrouillage de la spécialisation
sur des biens à faible valeur ajoutée, au détriment d’une diversification. D’autre part le marché
régional au Sud et à l’est de la méditerranée a subi une aggravation de sa fragmentation qui
implique des coûts de transaction entre les économies des pays de la Méditerranée très
largement supérieurs aux coûts de transaction établis entre ces mêmes économies et l’UE. Tout
se passe comme si le centre (l’UE) entretient des relations bilatérales avec les pays
périphériques de la région comme le centre d’une roue de vélo avec ses rayons sans aucun lien
entre les rayons eux-mêmes.
•
Des solutions conjoncturelles gagnantes : la formation et l’insertion professionnelle
Le problème de l’emploi dans les pays méditerranéens trouve des solutions conjoncturelles,
comme le soutien à la formation et à l’insertion professionnelle par une meilleure adéquation
entre formation et emploi. Une expérience a ainsi été menée en Tunisie en 2004. Baptisée Stage
d’initiation à la vie professionnelle (SIVP), elle a pour but d’aider les jeunes diplômés à mettre
en adéquation leurs compétences avec les offres d’emploi. Or il apparaît clairement que le taux
de chômage des jeunes gens inscrits en SIVP est inférieur à la moyenne du taux de chômage des
jeunes diplômés. Il faut donc mettre l’accent sur ces dispositifs de co-formation professionnelle
entre l’Europe et les pays méditerranéens, élément clé pour résoudre le problème de l’emploi.
Au-delà de la simple boucle « productivité intra-sectorielle – industrie – croissance », d’autres
spécificités socio-économiques des économies des pays de la Méditerranée doivent être étudiées
pour mieux comprendre les taux de chômage. Parmi elles, la décomposition territoriale : le
taux de chômage varie très fortement entre les régions d’un même pays. Par exemple, en
Algérie, les trois agglomérations d’Alger, d’Oran et de Constantine concentrent l’essentiel des
emplois. Pourtant, les zones rurales limitrophes restent densément peuplées, même si, à cause
du manque d’adéquation entre marché du travail et formation, le taux de chômage y est très
élevé. Mais ces jeunes diplômés ou non parmi les populations rurales ne peuvent pas rejoindre
les grandes agglomérations. La raison est liée au coût du logement prohibitif dans les grandes
villes et en particulier dans la capitale qui surpasse largement le salaire médian. Donc même en
présence d’offres d’emplois dans les grandes villes les jeunes ruraux sont en quelque sorte
assignés à résidence dans leurs villages. Le manque d’adéquation entre marché du travail et
formation, ainsi que le problème d’accès au logement, sont des spécificités très éloignées de la
boucle « productivité intra-sectorielle – industrie – croissance » habituellement analysée, mais
qui entrent bien en ligne de compte dans la dynamique de l’emploi.
•
Des solutions structurelles complexes : jouer le collectif pour réintégrer le marché mondial
Les solutions structurelles sont plus complexes, plusieurs éléments laissant présager un avenir
difficile. Tout d’abord, l’existence d’une sorte de « contre-transition démographique » dans
certains pays de la Méditerranée (Algérie, Egypte en particulier). Alors que les taux de
fécondité de ces pays avaient chuté, ils sont actuellement en train de remonter
significativement. L’impact des révolutions ensuite, qui soulève un paradoxe. Les pays ayant
2
Au sens d’Amartya Sen, initiateur de l’approche par les capabilités qui entend qu’un individu peut choisir entre diverses combinaisons de
fonctionnements
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subi un choc révolutionnaire – et qui ont fait l’expérience d’une rupture rapide du pacte social
interne – sont engagés dans un processus de reconstruction institutionnelle nécessaire mais long
et coûteux, combiné au choc transitoire de la chute absolue du PIB. Ils auront davantage de
difficultés à mettre en place des réformes. Inversement, les pays qui ont tenté de comprimer
la révolution à tout prix anticipent les risques de rupture en tentant d’accélérer aujourd’hui leurs
réformes (comme le Maroc par exemple). D’autres bénéficiant de réserves de change, sont en
mesure « d’acheter la paix sociale », par des actions de court terme de subvention à l’emploi des
jeunes. Un nouveau clivage se dessine donc au sein des pays méditerranéens. Il est donc
nécessaire que l’aide internationale et que l’initiative de Deauville soit consolidée et augmentée
en direction des pays ayant connu le choc de la rupture révolutionnaire.
Dans ce contexte, les Etats méditerranéens ne peuvent plus continuer de trouver des
solutions individuelles, en traitant individuellement avec l’UE. En raison d’une croissance
des prix de l’énergie, les secteurs industriels pondéreux particulièrement sensibles aux coûts de
transport tendent à recomposer les processus de fragmentation de leurs chaînes de valeur sur
une base régionale impliquant largement les pays d’Europe Centrale et Orientale, mais aussi
dans une moindre mesure, les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée : dans ce cas, le
Maroc, l’Algérie et la Tunisie peuvent jouer leur carte avec l’UE. Si cette solution est
intéressante individuellement à court terme pour chacun de ces pays, elle ne résout pas
durablement le problème de la zone méditerranéenne. En effet, l’évaluation de l’accord de libreéchange, signé de manière non-coopérative (pays par pays) dans le souci de légitimer les
régimes en place, est loin d’avoir produit les effets positifs attendus pour les pays de cette zone.
Ils ont ainsi accepté de ne pas y insérer les secteurs de l’agriculture ou des services. Les
révolutions arabes auront probablement pour conséquence de favoriser une forte demande
d’intégration régionale « sud-sud », susceptible d’entraîner des changements structurels, et
de favoriser diversification sectorielle nécessaire à la création d’emplois.
Les pays de la Méditerranée ne pourront faire l’impasse d’une entente entre eux, avant de
renégocier l’accord de libre-échange avec l’UE organisé dans le cadre de la conférence de
Barcelone de 1995, en particulier en y intégrant d’autres modalités de coopération propres à
favoriser la diversification des économie et la création d’emplois. Il est vrai toutefois qu’un tel
rapprochement entre pays se heurtera à des obstacles, notamment idéologiques, ou historiques –
comme le blocage qui sépare le Maroc de l’Algérie.
•
Conclusion : pessimiste ou optimiste sur l’avenir des pays méditerranéens ?
Je suis pessimiste sur des économies ayant la capacité d’acheter la paix sociale car la
procrastination du temps des réelles réformes n’est ici pas valeur d’option mais de blocage et de
troubles futurs. Je suis davantage optimiste sur les travaux de recherche de meilleurs qualités et
de plus en plus nombreux permettant des diagnostics précis et solides afin d’envisager des
réformes réellement actives, notamment ceux qui portent sur le lien entre réseaux sociaux et
emploi. L’absence encore flagrante de démocratie est le gros point noir de la région
méditerranéenne. La question de l’insertion des femmes sur le marché du travail par exemple est
structurante et centrale, et doit être placée au cœur des préoccupations des chercheurs, des
acteurs locaux, comme des décideurs publics. Le changement dans ce domaine ne peut se
décréter, mais il doit se défendre, et surtout être accompagné par la solidarité internationale.
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Nicole MADARIAGA
Économiste au sein de la division Analyse Macroéconomique et Risque-pays à
l'Agence Française de Développement (AFD)
Promouvoir l’innovation technologique
En septembre 2013 est parue dans le numéro 8 de la revue de l’AFD intitulée Macroéconomie et
développement (MacroDev)3 une étude portant sur le lien entre croissance et emploi dans les
pays de la Méditerranée. Le but de cette étude était de répondre à la question « les gains de
productivité du travail jouent-ils un rôle dans la création d’emplois ? ». Comprendre les
fondements de ces gains de productivité qui peuvent être intrasectoriels ou intersectoriels,
permet de comprendre pourquoi la spécialisation dans un petit nombre de secteurs d’activités
n’a pas été favorable à la création d’emplois en zone méditerranéenne.
•
Augmenter la productivité intrasectorielle par l’innovation technologique
L’impact réel de la productivité du travail sur l’emploi est peu étudié car difficile à évaluer du
fait d’un manque crucial de données sur le sujet. Or il s’agit là d’un point d’analyse primordial,
car la productivité du travail sert de support à la croissance économique, qui elle-même est
susceptible d’entraîner des créations d’emplois. Cependant, si les gains de productivité
permettent effectivement de relancer la croissance, ils n’ont pas forcément un impact positif sur
la création d’emplois.
Les gains de productivité intrasectoriels sont le constat d’une amélioration de la productivité
dans un secteur donné. Ils peuvent être dus à une modernisation du processus de production
consistant en un remplacement des hommes par des machines : cette modernisation entraîne des
gains de productivité qui génèrent de la croissance, mais réduit en même temps les besoins en
emploi. A l’inverse, la recherche du gain de productivité intrasectoriel peut entraîner des
conséquences bien plus positives pour l’emploi, lorsque ce gain est fondé sur des activités
innovantes. En effet, si l’on s’appuie sur des innovations technologiques, ou si l’on monte en
gamme sur un certain type de production, une nouvelle demande se crée sur ces produits
innovants. En générant des besoins de production supplémentaire, cette demande additionnelle
peut créer de nouveaux emplois. Par exemple, si un pays choisit de se spécialiser dans le secteur
du textile, il s’expose à une concurrence forte de la part des autres pays producteurs de textile
dans le monde. Face à cette concurrence, il peut choisir de :
- se mécaniser en vue de se moderniser, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la
création d’emplois
- d’introduire de l’innovation dans le processus de production – et notamment l’innovation
technologique comme l’a fait la France pour protéger le secteur du textile, en créant du textile
innovant – afin de protéger le produit inventé via la technologie et de créer une demande si ce
produit rencontre du succès.
3
L’étude MacroDev 8 est téléchargeable sur le site de l’AFD à l’adresse suivante : http://www.afd.fr/home/publications/travauxde-recherche/publications-scientifiques/macrodev
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•
Augmenter la productivité en transférant la main-d’œuvre d’un secteur à un autre
Les transferts de main-d’œuvre d’un secteur peu productif (comme le secteur agricole) vers
des secteurs productifs (secteurs de l’industrie et des services) permettent de réaliser des
gains de productivité appelés par conséquent « intersectoriels ». Ces transferts de maind’œuvre au profit de secteurs traditionnellement plus productifs entraînent mécaniquement des
gains de productivité. Ces gains de productivité sont proportionnels à l’écart qui sépare les taux
de productivité des secteurs concernés. Plus cet écart est grand, plus ces gains sont importants.
En effet, lorsqu’une main-d’œuvre importante quitte le secteur agricole pour le secteur
industriel (secteur traditionnellement plus productif), il en découle un choc de productivité
positif : ces travailleurs du secteur agricole qui étaient peu qualifiés se dirigent vers des secteurs
qui leur apporteront de nouvelles qualifications. Ce choc de productivité est essentiel : il
favorise la croissance de la productivité, qui elle-même génère de la croissance et donc la
création d’emplois.
Les pays de la Méditerranée ne se sont pas spécialisés sur des secteurs à haut contenu
technologique, ni sur des produits haut de gamme. Par conséquent, le différentiel de
productivité entre le secteur agricole et les secteurs de spécialisation qui se sont
progressivement formés dans les pays de la Méditerranée n’a pas entraîné de choc de
productivité favorable à la création d’emplois, malgré les mouvements de main-d’œuvre.
Contrairement aux pays de l’Asie émergente, les pays de la Méditerranée n’ont donc pas
enregistré de mouvements de main-d’œuvre intersectoriels porteurs de croissance et de
création d’emplois.
•
Laisser les secteurs devenir leader spontanément
Il s’agit donc d’identifier les secteurs capables de créer le choc de productivité : l’industrie peut
être l’un de ces secteurs, mais plus sûrement, le secteur des services a des capacités
d’innovation technologiques (services financiers, informatiques, NTIC, etc.) et est capable de
générer beaucoup plus d’emplois que l’industrie. Il ne faut donc pas se borner à des modèles
préexistants, mais plutôt ouvrir la diversification sectorielle – et pas seulement dans
l’industrie – en laissant les secteurs libres de se manifester spontanément.
L’action de l’AFD auprès des centres de formation professionnelle au Maroc va dans ce sens.
Certaines branches dotées d’un dispositif de formation professionnelle bénéficient d’un
accompagnement de l’AFD sous la forme d’un partenariat public/privé dans lequel l’Etat est
investisseur, et les branches gestionnaires. Ainsi, les secteurs les plus matures peuvent devenir
des secteurs leaders, susceptibles de répondre aux exigences concurrentielles dans le cas d’une
intégration commerciale mondiale. L’avantage de cette action est qu’elle se fonde sur un
repérage « sur le terrain » d’entreprises dynamiques et de secteurs innovants.
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Un décalage quantitatif et qualitatif entre l’offre et la demande d’emploi
Une double pression démographique pèse sur le marché de l’emploi méditerranéen :
l’arrivée conjointe et massive des jeunes et des femmes sur ce marché, premières victimes
du chômage. La transition démographique a été tardive dans cette région par rapport aux autres
zones émergentes : la population s’y est fortement accrue jusque dans les années 1980. Les
jeunes nés à cette période arrivent aujourd’hui massivement sur le marché du travail qui ne
comporte pas suffisamment d’offres d’emploi pour supporter cette demande (la croissance
économique des années 2000, bien que dynamique, n’a pas été suffisante). A cela s’est ajoutée
l’arrivée des femmes sur le marché du travail, due à la fois à une baisse du taux de fécondité, et
à une hausse de leur niveau d’éducation.
D’autre part, en plus du décalage quantitatif entre la demande forte et l’offre trop faible du
marché, un décalage qualitatif persiste. La demande de travail provient de jeunes gens très
qualifiés et très diplômés alors que l’offre de travail, qui vient essentiellement des entreprises
privées, est destinée à des travailleurs peu qualifiés. La plupart des entreprises qui recrutent
produisent en effet des biens à faible valeur ajoutée, pourvus d’un contenu technologique limité.
Par exemple, les entreprises du textile ne recherchent pas d’ingénieurs ni de sociologues.
•
Conclusion : pessimiste ou optimiste sur l’avenir des pays méditerranéens ?
A court terme, peu d’évolutions sont à attendre, en tout cas pour les pays touchés par la
transition politique. En revanche, en parallèle de la transition politique actuellement en cours et
qui prendra du temps, il faut dès à présent réfléchir à la mise en place de politiques publics
favorisant les changements structurels nécessaires à la création d’emplois.
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Directeur des études et de la prévision financière au ministère de l’économie et
des finances du Maroc
Diversifier puis favoriser l’ouverture vers de nouveaux secteurs, le Sud et le
marché mondial
•
La nouvelle carte mondiale de la croissance
La région de la Méditerranée est celle qui, parmi toutes les régions du monde, a le plus souffert
de la crise économique mondiale. Dans un même temps, les transformations de l’économie
mondiale avant et pendant cette crise témoignent d’une recomposition de la géographie
mondiale de la croissance. Les centres du monde se sont déplacés, et les intégrations régionales
se concentrent maintenant autour de l’Asie émergente et des Etats-Unis. Dans ce contexte, le
type de spécialisation et le degré d’intégration des pays de la zone méditerranéenne n’ont
pas permis de diversifier les systèmes productifs et donc de défendre leur compétitivité à
l’international.
La région méditerranéenne n’est pas intégrée au Sud de l’Afrique et ne peut pourtant pas entrer
seule dans cette compétitivité globale. Pour cela, les Etats doivent d’abord trouver des
complémentarités sectorielles entre-eux, étape préalable à l’ouverture commerciale vers
d’autres régions du Sud. Dans les autres régions du monde, l’intégration fonctionne grâce aux
transferts de technologie, à un autre partage des valeurs, à des dynamiques de convergence entre
les productivités et les revenus. Dans la région méditerranée, il existe cependant des exemples
d’ouverture vertueuse vers le Sud. Par exemple, 25 % du chiffre d’affaires de Maroc Télécom
est obtenu sur le continent africain ; il en va de même pour le système bancaire marocain.
•
Une analyse plus spécifique pour comprendre la situation de l’emploi
Comme la région méditerranéenne n’est pas intégrée au Sud, il est nécessaire d’introduire deux
autres dimensions plus spécifiques dans l’analyse de la situation de l’emploi.
1. Les spécificités d’évolution
Les spécificités d’intégration des pays méditerranéens au marché mondial : face au
contexte de transformation économique mondiale, chaque pays méditerranéen s’est intégré
individuellement et spécifiquement sur le marché mondial, avec une périodisation qui lui est
propre. Par exemple, pour comprendre l’évolution économique du Maroc, il est pertinent
d’analyser cette évolution en terme de rupture à partir de 2005 (nouveau palier de croissance)
plutôt que de considérer la période 2000-2010 dans sa globalité.
Les spécificités d’évolution politique : la diversification économique nécessaire à la création
d’emplois répond aussi à des logiques politiques, dont la périodisation varie selon les pays. Par
exemple, le Maroc a connu une transition politique précoce suivie de trois réformes de la
Constitution (1992, 1996, et 2011). Ces réformes ont eu un impact économique déterminant,
notamment sur l’emploi des femmes dont le taux d’activité est resté faible à l’exemple de la
région MENA qui continue à afficher un des taux les plus faibles au monde (25 %). Sur ce
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point, la région arabe est aussi celle qui a émis le plus de réserves sur l’activité des femmes au
sein de toutes les conventions internationales organisées sur ce thème par l’Organisation des
nations unies (ONU). La reconnaissance au sein du cadre institutionnel et normatif du droit des
femmes à l’égalité dans l’accès au travail est donc un élément majeur pour le développement de
cette région.
Les spécificités d’évolution des trois grands secteurs d’activités (agriculture, industrie et
tertiaire). L’évolution du secteur de l’agriculture en particulier – au Maroc– ne répond pas aux
logiques des évolutions classiques. En effet, malgré un important exode rural, la pression
démographique dans les zones rurales ne change pas. C’est un élément fondamental pour
comprendre l’importance de l’informalité et les faibles gains de productivité.
2. La répartition géographique de la croissance au sein de chaque pays.
Les progrès de la croissance répondent aussi à une logique de dépassement des déserts
économiques autour de grandes métropoles et de concentration des activités. Par exemple, le
taux de croissance national au Maroc tournait autour de 6 % sur la dernière décennie.
Généralement, le cœur du système productif marocain est concentré autour de la région de
Casablanca (60 % de la création de richesse). Pourtant, sur cette dernière décennie, la
contribution de cette région à la croissance du pays était inférieure à 6 %. A l’inverse, la
contribution du nord du Maroc – qui était un désert industriel – est d’environ 8 % sur la
décennie, tout comme celle du sud du Maroc. Cela montre qu’il est possible de diversifier les
origines géographies de la croissance économique et les bassins d’emplois à la faveur de
l’ouverture démocratique du pays sur ses régions qui crée les conditions d’une ouverture
plus vertueuse sur l’extérieur.
3. Le secteur de l’immobilier : frein à la création d’emplois
L’immobilier y étant fiscalement favorisé dans les pays méditerranéens, la spéculation et la
maîtrise du foncier permettent de réaliser dans le secteur immobilier des taux de profits
nettement plus élevés que dans les secteurs industriel ou tertiaire. Cela pénalise doublement la
dynamique de la diversification nécessaire à la création d’emplois : la mobilité de la maind’œuvre est contrariée par la difficulté d’accès au logement dans les nouvelles régions, et la
diversification sectorielle est contrariée par des systèmes d’incitation qui ne permettent pas une
allocation optimale des facteurs, encourageant à investir dans le secteur de l’immobilier au
détriment des autres secteurs.
•
Les problèmes du marché du travail marocain : la spécialisation et l’intégration
Les anciennes spécialisations, comme le textile, secteurs d’exportation par excellence, ne créent
plus d’emplois. Elles ont même connu de nombreuses pertes d’emplois depuis 2008. Plus
globalement, le commerce extérieur génère des pertes nettes d’emplois : l’exportation (directe
ou indirecte) crée près de 2,5 millions d’emplois par an au Maroc, mais le développement des
importations cause quant à lui la perte de 520 000 emplois chaque année.
•
La solution pour le marché du travail marocain : s’ouvrir par de nouvelles spécialisations
Il faut encourager la diversification sectorielle. Dans quels secteurs ?
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Dans l’aéronautique d’abord. Aujourd’hui, la moitié des avions qui circulent dans le monde
comportent des pièces produites au Maroc. Tout est parti d’un projet de formation
professionnelle qui a développé l’attractivité du Maroc en mettant à disposition du secteur de
l’aéronautique de grandes compétences qualifiées. En période de crise, ce secteur enregistre un
taux de croissance de 30 %.
Dans l’automobile ensuite où l’on estime à 70 000 le nombre d’emplois créés dans les
prochaines années. Deux conditions sont incontournables pour y parvenir : la mise en place de
programmes de formation pour adapter les profils (le système public n’offrant pas une
formation de qualité), et de solutions de logement et de scolarisation des enfants des cadres
travailleurs (l’on trouve des écoles privées de qualité à Casablanca et à Marrakech, mais pas à
Tanger).
Enfin, dans la branche Nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC). 55 % du PIB marocain est dû principalement au secteur des services. A l’intérieur de ce
secteur, la branche NTIC contribue à 10 % de la création de valeur mais cette seule branche
contribue à plus de 30 % de la croissance de l’emploi, et à 12% à l’Excédent brut d’exploitation
(EBE) – qui permet de financer l’investissement – (contre 9 % pour le secteur agricole).
Trouver un bon positionnement dans la chaîne de valeur ajoutée mondiale nécessite des efforts
de formation. Une nouvelle vision politique qui intègre les territoires, qui fonde la coopération
sur de nouvelles bases (logique gagnant-gagnant), et qui pratique un modèle de développement
respectueux de la dignité humaine (offrir un travail décent pour inclure les jeunes et les
femmes) est nécessaire. La bonne voie est celle des valeurs démocratiques dans une vision
plus inclusive du développement.
•
Conclusion : pessimiste ou optimiste sur l’avenir des pays méditerranéens ?
Mon optimisme se fonde sur la possibilité de promouvoir une citoyenneté euroméditerranéenne, qui nous redonne des droits à l’espérance. Des ajustements devront
effectivement être réalisés, mais l’avenir s’éclaircira si on le pense comme un destin commun.
Avec lucidité, toutefois : il ne faut pas négliger, par exemple, l’impact des pesanteurs
bureaucratiques et passéistes sur l’évolution des économies de la région méditerranéenne.
Conférence iD4D - Quels secteurs développer pour créer de l’emploi en Méditerranée ?
19 septembre 2013 à l’AFD
Mohamed SOUAL
Chef économiste de l'Office chérifien des phosphates (OCP)
Adapter les profils des jeunes aux besoins de l’entreprise
•
Un manque d’adéquation entre la formation et les besoins des entreprises
Le problème de l’emploi dans la région méditerranéenne repose essentiellement sur le
manque d’adéquation entre formation et emploi. Ainsi, alors que la région Nord du Maroc a
fortement investi dans l’industrie automobile, l’usine Renault implantée à Tanger en 2012 a
peiné à trouver des profils de travailleurs correspondant à ses attentes.
Aujourd’hui deux tiers des lauréats de l’enseignement supérieur au Maroc sortent formés dans
des disciplines qui ne sont pas au cœur des préoccupations des entreprises (la littérature par
exemple). Cela pose ensuite des problèmes d’employabilité de cette énergie humaine dépensée.
L’OCP se penche sur ce problème majeur et travaille à rendre les jeunes employables.
•
Répondre à la pression sociale et anticiper les besoins en personnels
Les révolutions arabes ont fait peser sur l’OCP de fortes pressions sociales, traitées par une
réponse économique.
Par la nature des métiers de l’industrie minière (le code minier du Maroc impose un départ à la
retraite entre 50 et 55 ans), les besoins en recrutement de l’OCP sont permanents. Pourtant,
l’entreprise ne recrutait pas dans ses régions d’exploitation à cause du mode de recrutement, sur
concours, qui désavantageait les populations des régions d’exploitation, issues de familles de
travailleurs miniers donc peu ou mal préparées à ce type d’épreuve. Cette population, souvent
première victime d’expropriations suite à la découverte de phosphates dans ses terres, s’en
trouvait frustrée. Face à ce constat, l’OCP a décidé de changer de pratique pour favoriser le
recrutement des jeunes issus des régions d’exploitation. L’entreprise a ainsi lancé en 2011 un
plan d’envergure pour l’emploi qui a permis de recruter 5 800 personnes supplémentaires (sur
90 000 CV reçus), soit un passage de 15 000 à 20 000 salariés.
L’enjeu était non seulement de répondre à la pression sociale, mais également d’anticiper
les besoins en personnels, liés aux nombreux projets de développement de l’entreprise –
logistique, industrie minière, industrie chimique, etc. – ainsi qu’aux nombreux départs en
retraite.
•
Un programme de formation pour adapter les profils candidats
Cependant, l’OCP s’est heurté rapidement à un problème de non-conformité des profils à ses
attentes. Pour le résoudre, l’entreprise a donc établi, en partenariat notamment avec l’Office de
la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), un programme de formation
visant à former 15 000 jeunes choisis parmi les 90 000 candidats. La durée de cette formation
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19 septembre 2013 à l’AFD
varie de six mois à deux ans selon les spécialités. Une aide financière est en outre proposée à
tous ceux qui en expriment le besoin, pour les aider à en assumer le coût. La formation de ces
15 000 jeunes constituera, à terme, un vivier que l’OCP destine principalement à son réseau de
sous-traitants. L’intégration de ces jeunes fait d’ailleurs d’ores et déjà partie des nouveaux
contrats passés entre l’OCP et ses sous-traitants.
•
Conclusion : pessimiste ou optimiste sur l’avenir des pays méditerranéens ?
Comme le disait Antonio Gramsci, « lorsque l’on a le pessimisme de la raison, il faut garder
l’optimisme du cœur ». A mon sens, l’optimisme est de mise, à condition de parvenir à lever les
blocages politiques. Il faut en effet réhabiliter l’économie politique pour engager des réformes
structurelles efficaces, au niveau du coût du transport de l’énergie, par exemple, qui pèse
considérablement sur les charges de l’OCP. Je crois beaucoup au potentiel des pays
méditerranéens.
Qu’est-ce que l'Office chérifien des phosphates ?
L’Office Chérifien des Phosphates (OCP) est la première entreprise du Maroc. Elle emploie
22 000 personnes, soit plus de 30 % de l’ensemble des effectifs du secteur public marocain. Son
chiffre d’affaires avoisine en 2013 les 7 milliards de dollars, et elle représente plus de 50 % de
la valeur ajoutée du secteur public, et presque le quart des exportations marocaines. L’OCP est
par ailleurs engagé dans un programme ambitieux, bénéficiant d’un financement de l’AFD, de
doublement de sa production de minerai et de triplement de sa production d’engrais. Cette
entreprise est implantée à la fois dans les régions minières du Maroc central et sur le littoral où
se situent les industries de transformation chimique des phosphates. Exemple de diversification
régionale, le pôle de transformation chimique de la ville d’El Jadida est aujourd’hui le pôle le
plus dynamique de sa région, par la chimie mais aussi par des activités industrielles, agricoles,
et de services. Cette région présente le taux de chômage le plus bas, mais aussi –
paradoxalement – les taux de scolarisation les plus bas du pays.
Conférence iD4D - Quels secteurs développer pour créer de l’emploi en Méditerranée ?
19 septembre 2013 à l’AFD
Hafez GHANEM
Chercheur senior au think tank Brookings Institution
Miser sur les PME pour créer de l’emploi
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Les fléaux contre l’emploi
Deux autres fléaux, communs à tous les pays de la zone Méditerranée, s’ajoutent aux fléaux
évoqués par Mouhoud El Mouhoub.
1. La faible qualité de l’éducation. Au-delà de l’inadéquation de la formation avec le marché
du travail, les tests internationaux montrent que même les ingénieurs ne sont pas à la hauteur.
2. La place des femmes sur le marché du travail. Le faible taux de participation des femmes
au marché du travail (25 %) pose un problème social mais aussi de perte économique. En
Tunisie par exemple, alors que 60 % des lauréats des universités sont des femmes, 75 % d’entre
elles ne rentrent pas sur le marché du travail. La Tunisie, comme d’autres pays de la région,
investit donc des sommes considérables pour former des femmes qui restent finalement chez
elles.
Par ailleurs, le problème d’inégalités territoriales entre régions ou entre les zones urbaines
et rurales, se pose dans l’ensemble de la zone méditerranéenne : outre le Maroc déjà cité, en
Tunisie (entre l’est et l’ouest), en Egypte (entre la Haute-Egypte et la Basse-Egypte). Il s’agit là
aussi d’un problème économique, social et politique.
•
Bien comprendre les gains de productivité du travail
Pour comprendre les gains de productivité du travail, il faut impérativement désagréger les
secteurs industriel, agricole et tertiaire :
- Le secteur industriel doit être décomposé entre public et privé.
- Le privé entre formel et informel. La distinction entre « formel » et « informel » est très
difficile dans les pays méditerranéens. En Egypte, une entreprise est jugée « formelle »
lorsqu’elle entre en conformité avec quatre procédures officielles. Or seules 21,6 % des PME
égyptiennes se conforment totalement à ces quatre procédures, pour 18 % d’entreprises ne se
conformant à aucune de ces quatre procédures. La majorité d’entre elles (60 %) sont cataloguées
comme « quasi formelles » car elles ne répondent qu’à une partie de ces procédures.
- Le formel entre les structures capturées par le pouvoir politique et les structures libres.
Une étude actuellement en cours en Tunisie a ainsi recensé environ 250 entreprises liées à la
famille Ben Ali, et a montré que de nombreuses décisions politiques avaient été prises au cours
des années passées pour protéger le secteur d’activité dans lequel elles exerçaient. Dans ce
système, il est plus intelligent de demander une protection politique que d’investir et améliorer
la productivité. Cela explique, en partie, le manque de croissance de la productivité. Ce point
rejoint la question de la corruption évoquée par Mouhoud El Mouhoub.
•
Développer les PME pour créer de l’emploi
L’Egypte recense chaque année 850 000 nouveaux entrants sur le marché du travail. 70 %
d’entre eux ont au moins le niveau du baccalauréat, tout comme 95 % des chômeurs.
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19 septembre 2013 à l’AFD
72% de ces jeunes entrants trouvent du travail dans les PME. Le salaire moyen dans ces
entreprises est de 3,7 $ par jour pour un homme, et de 2,6 $ pour une femme. Le secteur privé
non agricole emploie 7,3 millions de personnes, dont 5,8 millions dans des PME (88 % d’entre
elles sont des micro-entreprises de moins de 10 employés).
Répartition des PME par secteur d’activité (El-Mahdi, 2012)
Contraintes au développement des PME (ERF)
Les PME égyptiennes doivent faire face à de nombreuses et lourdes contraintes, qui
entravent leur développement (Cf. figure ci-dessus). Ces PME sont très peu productives : le
ratio capital-travail est de 2 300 $ par travailleur ce qui explique le faible niveau de salaires
qu’elles pratiquent. Malgré une grande libéralisation en 2005 changeant les lois pour aller vers
une simplification des procédures, les résultats de l’enquête réalisée en 2003 puis en 2011 sont
restés inchangés : les contraintes au développement des PME sont toujours les mêmes. En effet,
de nombreuses lois ne sont pas appliquées, à cause notamment de la corruption, grande comme
petite (harcèlement des petits commerçants).
Pour alléger ces contraintes, deux niveaux d’action peuvent être envisagés :
- un niveau macroéconomique : allégement du système d’imposition des PME, simplification
des procédures et des formalités administratives, etc.
- un niveau microéconomique : lancement de programmes de développement et de projets à
destination des PME et particulièrement des jeunes qui y travaillent et qui veulent y investir.
Parmi les exemples envisageables, l’exonération d’impôts (un investisseur étranger en Egypte a
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19 septembre 2013 à l’AFD
droit à des exonérations d’impôts alors qu’un investisseur égyptien est taxé dès le premier
jour), ou la simplification du système d’imposition pour diminuer les risques de corruption.
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L’impact économique des révolutions arabes
En Egypte, les gouvernements qui se sont succédé depuis février 2011, quels qu’ils soient, ont
totalement ignoré la situation économique du pays, qui faute de décision politique, n’a cessé
de se dégrader. Le taux de chômage est ainsi passé de 9 à 13 % entre 2011 et 2013, la baisse
des taux de change cohabite avec la hausse de l’inflation. D’ailleurs, un grand nombre des
manifestants de la mobilisation massive survenue au Caire place Tahrir les 28, 29 et 30 juin
2013, était présente pour des raisons essentiellement économiques.
La Libye quant à elle souffre de l’effondrement général de ses institutions. Déjà peu
présentes sous le régime Kadhafi, aucune n’a été installée depuis son départ (ni armée nationale,
ni police nationale, etc.). Ce manque d’institutions pose notamment un grave problème de
sécurité sur la production pétrolière qui s’est effondrée. Ce problème est une cause d’inquiétude
majeure pour le pays.
En revanche, la Tunisie se démarque de l’Egypte et de la Libye par son niveau de stabilité
politique et sécuritaire. Des mesures ont été prises depuis la révolution, un accord a même été
signé avec le Fonds monétaire international (FMI). Cependant, le déclin du tourisme ainsi que la
baisse des exportations à destination de l’UE – due en partie à la révolution, mais également à la
crise économique – ont entraîné une hausse globale du taux de chômage, en particulier chez les
jeunes. Bon nombre d’entre eux vont même jusqu’à affirmer qu’ils regrettent la révolution, car
ils s’aperçoivent qu’ils vivaient mieux sous l’ancien régime.
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Conclusion : pessimiste ou optimiste sur l’avenir des pays méditerranéens ?
Pour mettre en œuvre une croissance économique inclusive qui crée de l’emploi, les pays
méditerranéens ont besoin d’institutions qui fonctionnent, transparentes, démocratiques et avec
une bonne gestion financière. Les révolutions arabes ont détruit les anciennes institutions,
espérons que les nouvelles institutions en construction remplissent ces critères. Toutefois, cela
prendra du temps : je suis optimiste sur le long terme.
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19 septembre 2013 à l’AFD
II. Les questions soulevées par le public
•
Quels modèles économiques choisir ?
Charlotte JACQUOT, chargée de mission développement urbain, Caisse des dépôts et
consignations – CDC
La faible migration des populations en recherche d’emploi vers des pôles d’emplois – qui
s’observe par exemple entre la Kabylie et Alger – pose la question des instruments économiques
ou des leviers d’ingénierie financière (structuration de filières, clusters, technopôles) à mettre
en place pour créer de l’emploi. Si de nombreux projets urbains menés dans les grandes
agglomérations des rives Sud et Est de la Méditerranée innovent en matière d’habitat ou de
construction de zones industrielles ou d’activités, peu d’entre eux intègrent la question de la
création d’emplois à leurs réflexions. Il serait préférable d’envisager davantage de dispositifs
locaux d’aide à la création d’emploi, comme des clusters ou des technopoles.
Mohamed Larbi HAOUAT
L’aménagement du territoire est une nécessité dans l’ensemble des pays arabes qui souffrent
d’un grand déséquilibre de développement au sein d’un même territoire (par exemple entre le
littoral tunisien très développé et l’intérieur du pays sous-développé) : manque d’électricité,
d’eau, d’écoles, etc.
Olivier RAY, conseiller auprès de la direction générale à l’AFD
Sur quels leviers intervenir pour transformer les modèles économiques des pays de la
Méditerranée ? Pourrait-on s’inspirer d’exemples d’autres régions du monde (en Asie ou
ailleurs) ? Le traité de Lisbonne qui avait pour vocation de créer de l’économie de la
connaissance et de l’innovation est aujourd’hui quasiment un échec, malgré les structures mises
en place.
Nicole MADARIAGA
Deux types de modèles économiques cohabitent dans le monde : le modèle asiatique et le
modèle latino-américain. Toutefois, installer un modèle économique prend beaucoup de temps.
Il a par exemple fallu 30 ans pour que le modèle asiatique porte le développement de l’Asie
émergente à son niveau actuel. Les pays méditerranéens sont aujourd’hui trop impatients (à
cause des révolutions arabes notamment) et exigent des résultats impossibles à atteindre. La
transition politique doit d’abord s’achever, ce qui peut prendre plusieurs mois, voire années.
• L’Economie Sociale et Solidaire, voie d’avenir pour l’emploi ?
Guillaume THUREAU, société coopérative IESMED
En mai 2013 s’est tenu à Tunis le Forum méditerranéen de l’économie sociale et solidaire
(MEDESS). L’ESS représente en effet une voie d’avenir pour la création d’emplois en
Méditerranée. A l’issue de ce forum, les participants se sont accordés sur plusieurs axes de
travail en faveur de la création d’emplois : le financement, la formation, le cadre légal qui doit
converger vers la coopération, et les structures territoriales.
Conférence iD4D - Quels secteurs développer pour créer de l’emploi en Méditerranée ?
19 septembre 2013 à l’AFD
Mohamed CHAFIKI
L’ESS représente en effet une belle opportunité de création de valeur et d’intégration des
populations, car elle repose sur une logique de proximité avec celles-ci et sur la capacité à
utiliser les ressources génériques du territoire.
Hafez GHANEM
La démocratisation ou la libéralisation du cadre légal est essentielle au développement de
l’ESS, mais n’a malheureusement pas encore été mise en place.
Mohammed SOUAL
Le cadre institutionnel doit accompagner le développement de l’ESS. Or, il n’existe pas
aujourd’hui d’équivalent des Sociétés coopératives et participatives (SCOP) au Maroc.
Synthèse Conférence ID4D
19 septembre 2013
© AFD 2013
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