Dossier ◗
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Alimentation et
Précarité N°13 mars 2001
L’équilibre alimentaire reste une question secondaire
Comme pour beaucoup de publics en difficultés, l’équilibre nutritionnel est souvent malmené.
" Les enfants, en particulier dans les milieux les plus précaires, grignotent beaucoup, consomment des
sucreries. Il y a donc chez certains une tendance à l’embonpoint. " observe Cathy Jaubert, infirmière et
puéricultrice dont la mission consiste à effectuer un travail de prévention et de sensibilisation à
la santé auprès des familles en difficultés. " Sans globaliser, la nourriture est plutôt riche avec beau-
coup de corps gras, de plats en sauce, de grillades, de sucreries, observe le docteur Favarel Guarrigues.
Les habitudes alimentaires, spécifiques à certains clans, se traduisent par de l’embonpoint mais il est
difficile, lorsque les repas sont pris collectivement, de suivre des régimes alimentaires spécifiques. "
De fait, si les traditions se perdent, les gens du voyage gardent des habitudes culinaires encore
vivaces : " Il y a toujours quelque chose à manger mais sans heures de repas fixes, " remarque Fabienne
Bouyé. Le plat est cuisiné au feu de bois dans un chaudron, à la disposition de toute la famille,
accompagné de beaucoup de pain, de fritures. " Mais le repas est un moment très important et revêt
un aspect collectif, ajoute le docteur Jean-Luc Guiraud, médecin à Toulouse. Il est d’une grande
richesse relationnelle et la porte est toujours ouverte. " La nourriture est généralement sucrée et grasse,
par tradition bien souvent, reste d’une époque ancestrale où les gens du voyage vivaient dans
des conditions de confort plus difficiles encore et où l’absorption de corps gras était nécessaire
pour résister au froid. Il reste que dans l’ensemble, les habitudes alimentaires évoluent. La jeune
génération adopte les modes de consommation actuels plus orientés vers les pâtes, le riz et les
steaks hachés, des aliments tout prêts, trop riches.
Bien souvent donc, l’équilibre alimentaire ne figure pas au rang des priorités. Ce qui
n’empêche pas certains parents d’en prendre conscience et de rechercher des conseils en
matière de nutrition. Quand ils sont sollicités, les services sociaux mènent des actions sur
l’alimentation et le goût avec des limites liées aux problèmes de la lecture, de la compréhen-
sion, du manque de connaissances et peut-être aussi des spécificités : le refus des contraintes,
une certaine culture de la différence. " Les gens du voyage font peu d’efforts pour être acceptés, observe
un intervenant. Ce sont deux mondes qui s’affrontent et se rejettent. Nous sommes toujours dans une place
de médiation. "
Repas, fêtes et chants : des traditions et des rites
quasi-religieux
Derrière ces réalités, les gens du voyage regroupent tout un monde spécifique avec ses
traditions, sa culture et peut-être, ce qui pourrait être jugé comme tel, ses contradictions.
Comme le remarque Béatrice Jaulin, auteur d’un livre sur les Roms de Montreuil, les gens du
voyage ont la volonté d’avoir un lieu fixe référentiel et en même temps de garder cette liberté
itinérante. Ils sont confrontés à des fantasmes séculaires sur leur compte et en entretiennent
le mythe. Mais ils puisent aussi leur force dans leurs traditions, où la notion de partage
communautaire reste très forte et où les fêtes organisées autour du repas structurent la société.
Globalement, ils sont en bonne santé morale, gais et heureux. Le goût de la vie… Une réalité
encore très vivace selon Farid Lamara : " Les gens du voyage ont beaucoup de ressources du fait de leur
mobilité, de leur capacité d’adaptation, de leur goût de la vie, de leur simplicité aussi et de leur capacité
à apprécier le moment présent avec une solidarité familiale et inter-familiale très forte. Mais les politiques
menées depuis des années par les pouvoirs publics qui consistent à les stigmatiser ou à les ignorer,
conduisent progressivement à en faire des citoyens de seconde zone. " Des populations qui vivront de plus
en plus dans la précarité dont la santé ne peut que se détériorer.
(1) Tous les Tsiganes n’ont pas un mode de vie itinérant. Certains se sont sédentarisés depuis des générations.
Cet article traite de ceux qui voyagent.
(2) Selon la loi Besson, toute commune supérieure à 5 000 habitants doit mettre à leur disposition un terrain
d’accueil viabilisé avec une alimentation en eau et électricité, un service d’ordure ménagère, des latrines…
Une réglementation loin d’être appliquée puisque dans les faits, seul le tiers des communes françaises dispose
d’une aire de stationnement.