La mondialisation universalise l’usage de la langue anglaise, qui promeut un discours sur la gouvernance inspiré de la notion anglo-saxonne de
"biens collectifs", au sein desquels la "nébuleuse caritative" trouve naturellement sa vocation.
On assiste à une série de glissements : pour paraphraser la célèbre formule selon laquelle " le médium devient le message ", le choix d’un
idiome n’est pas neutre quant à la substance des notions qu’il véhicule. "Modèles de développement vertueux" , codes de bonne conduite et
" biens collectifs " deviennent des références maîtresses que partagent, - paradoxalement, - entreprises et associations antimondialistes,
marginalisant le discours étatique traditionnel sur la décision publique. En effet, l’idée de régulation (voire d’auto-régulation) tend à supplanter
celle de pouvoir régalien. On en arriverait presque à l’image caricaturale d ’entreprises quêtant un brevet de vertu de la part des associations,
lors même que celles-ci tendent à se gérer comme des entreprises. Des empires associatifs se bâtissent tels des empires financiers, ainsi que
l’illustre l’exemple de George SOROS à la tête de son réseau de fondations.
4. Il convient moins de multiplier les contrôles que de les optimiser
Secteur associatif et associations caritatives en particulier, ne sont pas exempts de contrôles, ainsi que le souligne le Conseil d’Etat. En outre, la
perspective de contrôles dans une économie mondialisée n’est pas obsolète, comme le rappelle la loi sur les nouvelles régulations économiques
(dite "loi NRE" ). Ainsi qu’il a été remarqué précédemment, les contrôles ne sauraient se solder par l’attention simplement momentanée prêtée
aux scandales éclaboussant certains acteurs ; ils doivent se compléter par une fonction d’alerte quant aux risques de séismes, aux
déplacements de plaques tectoniques auxquels, par métaphore, on peut assimiler "l’affaire ENRON", qui est plus qu’un scandale. Peut-on
concevoir, sous l’emprise de la mondialisation et des conflits d’intérêts, un "ENRON associatif" ? Les possibilités de réponse affirmative existent
lorsque ce que l’on a pu appeler les "boîtes noires" de la mondialisation financière se double des boîtes noires de la transparence associative,
transformant l’exigence de clarté en trompe-l’œil. Il ne suffit guère, de se doter de tous les outils de la transparence pour l’obtenir : elle est
parfois conçue de façon naïve, comme une masse d’informations aussi généreusement prodiguée qu’elle est chiche en pertinence. Affirmer que
la clarté est automatiquement obtenue grâce à la publication de décisions, de bilans financiers et d’organigrammes revient à méconnaître la
capacité de camouflage des pratiques frauduleuses. Aussi, ne peut-on qu’inviter les associations caritatives, malgré le caractère "désintéressé"
de leur vocation, à s’intéresser aux techniques de "risk management", tout comme une entreprise s’exerce à la vigilance en posant les
questions suivantes :
quelles sont les mesures de prévention signalant la probabilité d’un risque ?
quelles sont les mesures de détection signalant la survenance d’un risque ?
quelles sont les mesures de protection visant à limiter l’impact des conséquences d’un risque avéré ?
La mondialisation rend plus que jamais nécessaire ce type de démarche, plutôt que le cliché selon lequel les nouveaux acteurs introduisent un
nouveau chaos, un nouveau désordre mondial.
5. La traçabilité des flux financiers n’est qu’un aspect d’une stratégie plus globale qui devrait inclure la traçabilité de l’influence
Il convient d’examiner ce que deviennent les exigences de traçabilité dans un contexte d’évanescence et de volatilité, puisque la mondialisation
a pu être définie sous le sigle de P.P.I.I. : un système planétaire, permanent, immédiat, immatériel. Comme le remarque Ignacio RAMONET,
dans son ouvrage " Nouveaux pouvoirs, nouveaux maîtres du monde ", le "système P.P.I.I ". se caractérise à la fois par la complexité et la
volatilité, double contrainte qui rend indispensable de définir de nouvelles méthodes de traçabilité, qui ne se caricature pas en recherche des
moutons noirs et mette plutôt l’accent sur celle des "trous noirs". Il ne s’agit pas, en effet, de jeter l’opprobre sur la nébuleuse caritative, mais
de jeter quelque lumière sur les "trous noirs", tels que les donne à imaginer Jean de MAILLARD dans son ouvrage " Un monde sans loi " : " il
faut changer de point de vue. Le blanchiment ne sert plus, au-delà de certains seuils, à réintégrer l’argent, mais à l’éclipser. Les techniques de
recyclage alors employées ne sont plus le chapeau du magicien où l’on cache un lapin avant de le faire resurgir sous les yeux d’un public ébahi,
mais le trou noir par lequel l’argent s’évanouit à jamais au regard des non-initiés".
Telle est la raison pour laquelle il convient de ne pas réduire la traçabilité au repérage des seuls flux financiers avec l’ambiguïté opérationnelle
d’une telle approche : faut-il partir de flux financiers suspects pour remonter jusqu’aux réseaux frauduleux ou, au contraire, partir de l’individu
suspect pour remonter jusqu’à son argent, au motif que le compte en banque d’un terroriste peut ne se distinguer en rien de celui d’un étudiant
ordinaire ?
Jusqu’alors, l’analyse de la traçabilité de l’influence n’a été qu’amorcée, avec l’accent mis quasi exclusivement sur le poids acquis par les
multinationales à la faveur de la mondialisation, sans que soit mentionnée la nébuleuse caritative : " le grand changement, avec la
mondialisation, est que les multinationales et les marchés financiers ont atteint un degré de pouvoir sans précédent, pouvoir non seulement
économique, mais aussi politique ". Dans une telle perspective, la traçabilité de l’influence consiste à évaluer ce pouvoir pour tenter de le limiter
par une traçabilité fiscale : " la première chose à remarquer, en ce qui concerne la prétendue citoyenneté des entreprises, est que celles-ci
devraient commencer par payer leurs impôts et que leurs pratiques, en matière de transfer pricing (manipulation des prix entre sociétés
affiliées) devraient être sévèrement limitées ".
Or, sans prendre parti quant à la mise en œuvre de la taxe Tobin, il nous paraît souhaitable d’affiner l’analyse de l’influence capitalisée par les
acteurs de la mondialisation qui ne se réduisent pas aux seules multinationales. Si celles-ci tiennent chacune un rôle de "prima donna", elles
n’en sauraient pas moins faire oublier les "seconds rôles" que leur fonction tribunitienne permet aux associations d’incarner, jouant tantôt les
souffleurs, tantôt les porte-parole. On dépasse alors l’équation : mondialisation = influence des multinationales = optimisation fiscale (au
bénéfice des intéressées) et prédatrice (au détriment de certains pays).
Il convient de compléter la traçabilité des pouvoirs par celle des contre-pouvoirs au nombre desquels se rangent volontiers les associations. La
mondialisation favorise une situation prosaïquement appelée "de la poule ou de l’œuf", où l’on parvient difficilement à démêler la cause et l’effet
de l’instrumentalisation. Sans se prononcer sur le bien-fondé de la vision polémique dont est cité ci-après un nouvel extrait, nous ne pouvons
que relever le problème qu’elle aborde, à savoir celui de l’indépendance des instances internationales de régulation (et nous serions tentés
Mondialisation, corruption et n