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1. INTRODUCTION
1.1 PROBLÉMATIQUE
Les injonctions à consommer de manière
responsable se multiplient au Québec dans le
sillage des efforts menés par les mouvements
sociaux et les organisations de coopération
internationale en vue de contribuer à
l’avènement d’un monde où régnerait une plus
grande justice sociale et environnementale. On
associe à la consommation responsable des
pratiques réflexives d’acquisition, d’usage et de
disposition de services (comme des produits
financiers) et de marchandises (comme le café).
En effet, l’idée de la consommation responsable
repose sur le postulat que les consommateurs
sont des êtres rationnels et raisonnables,
pouvant effectuer des choix éclairés. En tant que
tels, ils ne sont pas vus comme de simples
victimes des stratégies de mise en marché des
grandes corporations de ce monde mais comme
possédant une agencéité qui peut être mise au
service de l’avènement d’un monde meilleur
puisque ce sont aussi des êtres dotés de
moralité. Le destin de l’humanité ne serait plus
dans les mains des travailleurs et des
travailleuses, comme dans les approches
théoriques marxistes du changement social,
mais dans celles des consommateurs et des
consommatrices. À ce titre, leurs pratiques
seront jugées bonnes, ou responsables, quand
elles causeront un minimum de dommages et un
maximum de bienfaits pour l’environnement et
pour les êtres humains qui participent, d’une
manière ou d’une autre, au système
d’approvisionnement dont elles sont tributaires.
Si le commerce équitable avec des organisations
de producteurs du Sud a constitué la première
manifestation élargie de cette nouvelle
«économie morale» se développant dans les
pays du Nord, qu’en est-il aujourd’hui? Quelles
idées et quelles pratiques retrouve-t-on sous la
notion de « consommation responsable » ?
Comment mettre de l’ordre dans la diversité des
suggestions que l’on nous fait dans les
organisations non gouvernementales (ONG) et
les organismes de coopération internationale
(OCI) pour agir de manière plus responsable en
tant que consommateurs? L’« hédonisme
alternatif » (Soper, 2007) dont cette économie
morale est porteuse relègue-t-elle aux oubliettes,
comme certains le suggèrent, le rôle de l’État et
des mouvements sociaux « traditionnels » dans
la régulation de l’économie? Serait-elle même
« au service du néolibéralisme »1? Dans quelle
mesure s’agit-il réellement d’une approche
individualiste de l’action sociale ? Quel est le
rôle que joue ou peut jouer la solidarité
internationale dans ce domaine? Comment la
consommation responsable s’articule-t-elle au
développement local? Comment, par exemple,
l’apparente contradiction entre la promotion de
l’achat de proximité (qui fait parcourir moins de
kilomètres aux produits que l’on consomme et
contribue à l’économie régionale) et le
commerce équitable (de produits venant du Sud)
est-elle résolue dans les discours actuels sur la
consommation responsable?
Ce rapport vise à faire le point sur les discours
tenus au sujet de la consommation responsable
par certains des principaux acteurs sociaux qui
en font la promotion au Québec, en particulier
les OCI et les regroupements de syndicats qui
pratiquent la coopération internationale. Celle-ci
prend des visages multiples et se manifeste dans
différentes filières économiques (alimentation,
vêtement, produits financiers, transport
automobile, par exemple) et dans différents
champs de pratiques transversaux (simplicité
volontaire, recyclage, économie d’énergie,
tourisme responsable, utilisation de produits et
de matériaux écologiques). Il ne s’agit pas pour
autant de faire un portrait de chacune de ces
filières, ni de faire l’inventaire et la description
de chacun de ces champs de pratique. Il s’agit
plutôt de faire une analyse qualitative et
sémantique de la notion de consommation
responsable, ainsi que des contextes dans
1 Il s’agit de la question de départ, délibérément
provocatrice, d’un séminaire public organisé le 29
septembre 2006 par le Collectif d’étude sur les
pratiques solidaires (CEPS), et dont les actes ont
été publiés aux Éditions Écosociétés (CEPS,
2007).