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L’illustrateur allemand Wolf Erlbruch possède
le surprenant talent d’aller droit au cœur des
idées et des émotions avec une douce ironie. La
force et la clarté des images séduisent les
petits et les grands, mais sous la patte du nou-
nours veillent les questions existentielles.
Privilège du regard en direct, les originaux de
La grande question et Cuisine de sorcière sont
présentés à Meyrin.
Savoir sourire des réalités les plus graves sans
les déguiser, en toute simplicité, serait-ce une
des facettes du Geist germanique ? L’exposition
dédiée au grand illustrateur Wolf Erlbruch per-
met d’approcher ce précieux point d’équilibre,
ambitieux sous son apparente modestie.
Pour les enfants, c’est une occasion rare d’entrer
en contact à plusieurs niveaux avec le monde
de ce grand bonhomme. Les leçons d’allemand
vont prendre une forme nouvelle à la vue des
documents bilingues présentés, des livres et
des jeux à disposition des classes et des famil-
les. À tous les niveaux, le questionnement sur le
monde en découle tout naturellement. Il faut
prendre le temps de consulter les albums à dis-
position (que l’on obtient également en prêt à la
bibliothèque voisine, voir page 143).
Sur des cahiers d’écoliers
Wolf Erlbruch dessine ses découvertes depuis
l’âge de deux ans. La différence avec tous les
autres bambins, c’est qu’il regardait et tentait
déjà des transpositions d’une manière très per-
sonnelle avec un réalisme surprenant. C’est
bien après, à l’issue de ses études d’art, qu’il a
choisi de raconter le monde à sa manière sur le
support le plus anodin, comme le papier qua-
drillé des cahiers sur lesquels il fait évoluer ses
personnages. Christian Bruel, éditeur et auteur
qui lui consacre une monographie, relève cette
particularité comme une nécessité d’ancrage à
la fois visuelle et symbolique dans la trame du
quotidien. Une omniprésence de quelque chose
de normé qu’Erlbruch traduit par le temps qua-
drillé. À partir de là, l’illustrateur pratique les
pas de côté et sort de la seule copie conforme et
rassurante une réalité dans l’image. Des indivi-
dus passent plus loin pour fuir la contrainte que
l’histoire leur impose, parfois ils se regardent
d’une page à l’autre. À les contempler attentive-
ment, les albums sont accompagnés d’indices,
objets ou personnages secondaires, qui jouent
apparemment un rôle discret, mais qui n’échap-
pent pas à l’œil attentif des enfants. Ces éléments
appartiennent tout simplement à la symbolique
des contes et comportent leur part de rêve.
Attiré par une réflexion constante sur la signifi-
cation cachée des choses, Wolf Erlbruch s’est
inspiré du texte de Goethe Das Hexen Einmal
Eins, paru aux éditions La Joie de lire sous le titre
Cuisine de sorcière. Les originaux de l’illustration
sont présentés dans l’exposition, tout comme
ceux de La grande question. L’auteur ne cache
pas sa fascination pour le questionnement philo-
sophique. À y regarder de plus près, c’est aussi
celui des très jeunes enfants qui ne ratent pas
une occasion de mettre les adultes dans l’embar-
ras par la pertinence de leurs interrogations. Au
lieu de leur répondre parce que c’est comme ça,
on peut les amener à chercher par eux-mêmes et
à trouver des pistes à travers les merveilleux
albums de cet auteur incomparable.
Laurence Carducci
Cadre biographique
Wolf Erlbruch est né en Allemagne, à Wup-
pertal, grande ville industrielle de la Ruhr. Il
a étudié le dessin à Essen-Werden et est
resté très attaché à cette ville qu’il consi-
dère comme une ville vraie, c’est-à-dire habi-
tée par des gens d’origines diverses. Il est
lui-même fils unique de parents très modes-
tes qui ne l’ont jamais empêché de suivre sa
formation artistique. Actuellement, à côté
de son activité d’illustrateur, il est profes-
seur d’art graphique, de musique et de musi-
cologie (il s’est mis à la cornemuse assez tar-
divement). Traduit dans plus de vingt
langues, il est considéré comme l’un des
grands illustrateurs de notre époque. Il a
reçu le prix Gutenberg en 2003.
Exposition
Du mardi 13 janvier au mercredi 18 février
Vernissage le mardi 13 janvier à 18h30
Au Théâtre Forum Meyrin
Galerie du Couchant
Ouverture publique : mercredi et samedi
de 10h00 à 12h00 et de 14h00 à 18h00,
ainsi qu’une heure avant les représentations.
Accueil scolaire : du lundi au vendredi
sur rendez-vous au 022 989 34 00.
Entrée libre
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En multipliant les approches
et en les montrant, j’interroge
la diversité de la vie en la
considérant vraiment comme
la normalité.
LA GRANDE QUESTION, ETC.
Par Wolf Erlbruch, illustrateur (Allemagne)
Exposition bilingue français-allemand
Réalisée en collaboration avec les éditions La Joie de lire et le Goethe-Institut de Nancy,
cette exposition intègre la théma Geist ou l’esprit germanique en débat du Théâtre Forum Meyrin
(lire Si n° 3, janvier-février 09).
Il faut s’attendre à découvrir deux extraterres-
tres, Balthasar Streiff et Christian Zehnder. Ces
deux musiciens de formation ont choisi de visi-
ter leurs galaxies intérieures en sortant du
temps et de l’espace. La voix de Christian et le
souffle de Balthasar forment un duo sidérant,
mais ils n’oublient jamais pour autant de
s’amuser.
La youtse de Christian Zehnder, les cors des
Alpes et autres instruments à vent de Balthasar
Streiff appartiennent bien à l’enfance de la
musique. On peut les imaginer à l’aise avec les
Homo sapiens sapiens découvrant ensemble
l’emprise magique des sons sur l’âme humaine.
Pour eux, il ne paraît pas y avoir de différence
essentielle entre nous et une époque d’avant
l’évolution du langage, lorsque l’expression
sonore devait transmettre la notion de mystère
et l’approche des forces de la nature, bien
mieux que les mots. C’es d’ailleurs toujours le
propre de la musique.
L’intuition complice et farfelue
Pour Christian Zehnder, la découverte de la
puissance du yodle en dehors des traditions fol-
kloriques n’est pas fortuite, comme il s’en expli-
que dans le film Heimatklänge - Echoes of home
de Stefan Schwietert (disponible en DVD). Il vit à
Bâle aujourd’hui, mais les souvenirs acousti-
ques des Alpes de ses vacances d’enfance vivent
encore en lui. Il se veut disponible comme alors,
quand il se laissait surprendre par le rythme du
train et celui des deux oiseaux surgissant alter-
nativement du coucou de sa grand-mère. Tota-
lement disponible aux déclics émotifs, il refuse
les contraintes. Cette curiosité et cette liberté
lui ont ouvert toutes les portes. Il est capable
aujourd’hui de raconter tout ce qui lui passe par
la tête en jouant avec sa voix, sans jamais pro-
noncer la moindre parole, certain désormais
d’être compris partout sur la planète.
Même si le décor peut changer, les grands espa-
ces périphériques, les zones industrielles être
remplacés par les vallées et les sommets, les
échos intérieurs demeurent. Le jeune public
convié au Théâtre Forum Meyrin n’aura qu’à
tendre l’oreille pour découvrir les surprises
sonores de la ville. C’est probablement leur
ancrage urbain qui a permis aux deux compli-
ces de se débarrasser de la carapace folklorique
pour s’intégrer tout naturellement dans la créa-
tion contemporaine, composée à partir de sour-
ces culturelles multiples. Avec eux, il semble
que les frontières aient fondu pour laisser res-
surgir l’essentiel, un bagage intime et universel
qui se traduit sans codes ni limites.
Le patrimoine alpestre revalorisé
Échappés des conventions de cartes postales,
ils ne trahissent pas pour autant l’écho des
sonorités étranges du cor des Alpes et l’appel
des esprits à l’origine des chants de la monta-
gne. Le duo invente avec ses instruments et le
chant des voyages acoustiques en passant aisé-
ment de l’héritage à l’expérimental. Avec eux, le
patrimoine encore vivant de quelques régions
de Suisse prend une nouvelle épaisseur. Trop de
générations l’ont intégré dans la caisse de réso-
nance naturelle des lieux pour qu’il ne s’agisse
que d’une routine villageoise. Les orchestres
traditionnels sont maintenant rejoints par un
courant novateur, représenté par le duo
Stimmhorn, reconnu pour son authenticité et
sa créativité.
Aux limites de la musique et du son pur, ces voca-
lises hors du temps ont été utilisées comme
un
appel aux esprits, tant elles sont saisissantes.
Aujourd’hui encore, elles peuvent surprendre et
subjuguer. Dans le contexte actuel, cette musi-
que trouve sa place partout. En fait, les barriè-
res entre les publics sont artificielles pour des
musiciens tels que Christian Zehnder et Balthasar
Streiff.
Laurence Carducci
Cadre biographique
Christian Zehnder s’intéresse avant tout à
l’expression non verbale de la voix humaine,
ainsi qu’au perfectionnement des techni-
ques de chant diphonique. Une grande affi-
nité le relie à Balthasar Streiff formé au jazz,
trompette et chant. En plus de ses spectacles
de théâtre musical, le duo monte régulière-
ment des productions hybrides, combinant
la musique contemporaine, le théâtre, le
cinéma et la littérature.
Les interférences entre les expressions
artistiques sont de formidables stimulants
pour ces deux complices qui élaborent des
projets comme solistes, des performances,
des sculptures sonores et diverses com-
mandes de composition.
Musique / Tout public dès 9 ans
Mardi 6 et mercredi 7 janvier à 19h00
Au Théâtre Forum Meyrin
Durée 1h15
Plein tarif : Fr. 20.–
Tarif réduit : Fr. 17.–
Tarif étudiant, chômeur, enfant : Fr. 10.–
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Émerveillé par ce qu’il découvre,
le duo Stimmhorn dégage une vitalité extraordinaire.
STIMMHORN
Musiciens : Balthasar Streiff et Christian Zehnder (Suisse)
Ce concert intègre la théma Geist du Théâtre Forum Meyrin présentée pages 92-93.
(Lire aussi Si n°2, page 82).