juin 2009
n° 86
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Euménide est reliée aux deux personnages
précédents par sa position frontalière par
rapport à l’histoire. Elle reste souvent extérieure,
observatrice, joue le rôle de passeur auprès de
certains personnages, de messagère, et tient
lieu de Coryphée dans son dialogue avec le
public, ou de « Mademoiselle Loyal ».
On peut donc dire que Cadmos, Tirésias et
elle constituent une sorte de trio archaïque
nettement démarqué du clan des Labdacides.
Cependant, le personnage d’Euménide est
double : elle se métamorphose au fil de la pièce
et devient « Euménide de nuit », ce qui explique
bien sûr son changement de costume (à la
différence des deux autres personnages).
b
Analyser l’évolution des costumes d’Ismène,
d’Antigone et des frères.
Les élèves noteront que les deux filles d’Œdipe,
drapées au début de la pièce dans de grandes
étoffes bleu sombre qui évoquent à la fois
l’Antiquité et l’orient, vont revêtir par la
suite des tenues qui font référence à notre
époque : Ismène porte une robe rouge très
contemporaine et des chaussures de cuir à
talons, tandis qu’Antigone, mendiante sans
abri, est en pantalon court et chemise-tunique,
avec des baskets noires. Ainsi, les costumes
(au même titre que les décors) sont porteurs
de sens. Ils nous montrent que l’histoire des
Labdacides traverse l’espace et le temps pour
arriver jusqu’à nous. L’errance d’Œdipe dure des
siècles, et se termine à notre époque, comme
le précise Joël Jouanneau (cf. annexe n° 7 :
entretien avec Annie Drimaracci). Il s’agit
bien pour l’auteur de nous transporter du fond
des âges jusqu’à aujourd’hui, pour mettre en
résonance le mythe avec les problématiques
de notre temps. À ce titre, l’évolution des
costumes vers des vêtements contemporains est
essentielle pour faire sentir au spectateur cette
mise en perspective de l’histoire d’Œdipe.
Les costumes des frères changent aussi. Alors
que ceux d’Ismène et Antigone sont à peu près
identiques au début de la pièce, ceux d’Étéocle
et Polynice marquent déjà leurs personnalités
différentes : les vêtements empruntent aussi
à l’orient et à l’Antiquité, mais Étéocle est
sobrement vêtu d’une tunique violet foncé qui le
conforte dans son personnage austère de « petit
curé sombre »23, tandis que Polynice, l’enfant
gâté, « petit prince solaire »24, porte une tunique
claire ornée de colliers. Devenu souverain, Étéocle
arbore ensuite un manteau impérial qui signe
son statut et évoque celui de l’Aiglon. Dans le
deuxième épisode, l’arrivée de Polynice en tenue
de combattant insurgé, sorte de « guerillero »25
oriental hors la loi, qui peut évoquer celle
des moudjahidin26, annonce l’imminence de la
bataille. Étéocle, en revanche, conserve le même
vêtement puisqu’il est le roi et entend garder
sa position de souverain. Les pagnes en raphia
portés par les deux frères lors du combat feront
l’objet d’un commentaire dans « Représenter
l’irreprésentable », p. 20 du présent dossier.
b
Observer la distribution de la pièce (cf. annexe n° 4).
Neuf personnages figurent dans la didascalie initiale de Sous l’œil d’Œdipe mais huit acteurs
seulement sont présents sur le plateau. Les élèves rappelleront qu’un des personnages prend
deux aspects : la première Euménide de jour et celle de nuit, incarnées par la même comédienne,
Mélanie Couillaud. Jacques Bonnaffé joue successivement le rôle d’Œdipe et du garde.
b
Pour évoquer le jeu des acteurs, demander aux élèves de commenter la citation suivante
de Joël Jouanneau lors d’une rencontre avec le public pendant le Festival d’Avignon27 au
sujet de la direction d’acteurs :
Le travail des acteurs
« Il y a des familles d’acteurs et de voix, c’était le cas quand j’ai monté Lagarce et Jelinek. Dans
cette pièce, je voulais des antagonismes : le conflit tragique vient de ce que chaque personnage
a raison, chacun s’estime dans son droit, d’où la singularité des voix et des musiques de
chaque comédien. Les acteurs d’Œdipe sont des solistes. C’était un des enjeux du travail qu’ils
appartiennent à des univers très différents ».
23. Joël Jouanneau,
rencontre ANRAT du 15 Juillet 2009.
24. Idem.
25. Idem.
26. Nom m. pl. : mot arabe qui désigne
les « combattants de la guerre sainte ».
27. Rencontre ANRAT du 15 Juillet 2009.
©
MARIO DEL CURTO