narcisse - Ville de Saint

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NARCISSE
OU L’AMANT DE LUI-MEME
De Jean-Jacques Rousseau
Mise en scène : Jean-Luc Revol
Dossier Pédagogique
Lien pour télécharger le dossier :
http://www.mcnn.fr/creationproduction/spectacle/2841-narcisse-ou-lamant-de-lui-meme.html
Extrait du spectacle :
http://www.youtube.com/watch?v=yFWrwjm2
cRA
CONTACTS
MCNN – Centre de Création et de Production de Nevers
Pour tout renseignement sur le spectacle ou pour des
interventions en milieu scolaire
Valérie Thoumire
06 81 11 08 75 / [email protected]
Assistante à la mise en scène et comédienne
Sommaire
Présentation
o Rousseau et la Comédie
o Quelques chiffres
o Dramatis Personae
Note du metteur en scène
Etude du spectaculaire
o L’équipe artistique
o Scénographie
o Costumes
o Lumières
Deux scènes clés
o Scène XI : Valère, Frontin, ivre
o Scène IX : Angélique, Valère
Le mythe de Narcisse en textes et en images
o Iconographies
o Ovide et Paul Valery
Jean-Jacques Rousseau et le théâtre
o Biographie
o Ses principales œuvres
o Narcisse dans l’œuvre de Rousseau
o Préface de Narcisse
Le Théâtre au XVIIIe siècle
o Contrôle du théâtre / contrôle de l’individu
o Le théâtre « hors les murs »
Présentation de l’équipe
o Le metteur en scène
o Les comédiens
Les feux qu’il cherche à allumer,
sont en même temps ceux qui le brûlent.
Ovide, Les Métamorphoses
Présentation
Par un piège tendu par sa sœur Lucinde, Valère tombe fou amoureux
de son propre portrait. Reprenant l’antique mythe des
Métamorphoses d’Ovide ou de Pline l’Ancien et la nécessité de la
première image, c’est sous la légèreté d’une langue de comédie que
Rousseau met en jeu les aspirations d’un siècle en quête de
l’Individu. Loin des salons et des longues réflexions, cette pièce du
jeune Rousseau fuse, rebondit, s’amuse.
A première vue, Narcisse ou l’amant de lui-même a tous les attraits
d’une petite comédie de jeunesse simple, fraîche et légère écrite à
dix-huit ans.
La pièce est aussi l'œuvre d'un jeune homme qui s'essaye au théâtre
en rêvant de devenir un grand auteur dramatique. Il y a pourtant du
Marivaux chez ses personnages, mais sans affèterie aucune. Au
contraire, la comédie du jeune Rousseau a de l’insolence, et c’est ce
qui en fait son premier attrait. Ce qui n’exclut pas une redoutable
construction, avec sa double intrigue menée de front.
D’une part, la mystification dont est victime Valère qui va le conduire
à tomber amoureux de son propre portrait, et d’autre part le refus de
Lucinde de se marier à un jeune homme qu’elle n’a jamais vu qui se
révèlera in fine être celui qu’elle aime.
Chassé-croisé amoureux, elle nous parle d'un sentiment complexe et
familier : la sensation de soi-même.
Qui suis-je ? Qui sommes-nous ?
Rousseau et la comédie
De cette rencontre a priori improbable entre l’auteur des Confessions
et le genre théâtral, subsiste en Narcisse une pièce de jeunesse,
heureuse, enlevée, émouvante.
Secondé par Marivaux en personne, le dramaturge en herbe nous
livre un chassé-croisé amoureux remarquablement construit tout en
osant, parmi les premiers, à poser la question moderne et centrale
de l’identité.
Avec une arme inattendue, celle du rire, Rousseau donne une cure
de jouvence au mythe des Métamorphoses d’Ovide, déjoue les codes
du travestissement et nous emporte dans la découverte - et la
crainte - de soi. S’emparant de cette pièce en un acte, rarement
jouée depuis le XVIIIe siècle, Jean-Luc Revol (Molière 2004) et les
comédiens du Théâtre du Temps Pluriel transcendent notre curiosité
littéraire pour restituer la réussite d’un geste théâtral sans équivalent
dans l’œuvre du citoyen de Genève.
Quelques chiffres
Sur la pièce
Comédie en 1 acte écrite par Jean-Jacques Rousseau
18 Scènes
7 personnages
Créée pour la première fois par les comédiens du Roi le 18
décembre 1752
Sur le spectacle
Créé en mai 2012 à Ferney-Voltaire dans le cadre du Tricentenaire
de la naissance de Jean-Jacques Rousseau
7 comédiens + 1 technicien
Durée : 1h15
Dramatis personae
Valère (Narcisse), amoureux d’Angélique puis de son propre portrait.
Fils de Lisimon
Lucinde, sœur de Valère, amie d’Angélique
Angélique, amoureuse de Valère et sœur de Léandre
Lisimon, père de Valère
Marton, servante de Lucinde
Frontin, Valet de Valère
Léandre, Cléonte, fiancé de Lucinde
Note du metteur en scène
L’histoire est simple. Par le biais d'un stratagème bénin, Valère
tombe dans un piège virtuel. S’il se précipite dans cette brèche
ouverte, c'est peut-être qu'il la porte déjà en lui et qu'elle lui offre
avant le mariage et le cours d'une vie normalisée, un ultime recours
à l'enfance et à ses folies.
Le piège imaginé par Rousseau est grossier, il produit cependant –
au-delà des prévisions de celles qui le mettent en œuvre - du rêve et
de l'intangible. L’auteur est sur la trace d'une obsession qu'on
retrouvera plus tard dans Les Rêveries du promeneur solitaire ou Les
Confessions : le plaisir de plonger en soi-même et la crainte de s'y
perdre. La « féminité » de Valère n'est-elle pas d'abord, et bien audelà d'une mode vestimentaire ou d'une excessive inclination à la
parure, une tendance à ne regarder qu'en soi, à s'y plaire et à en
éprouver des émotions délicieuses autant que des questionnements
inquiets ? Tendance que l'adolescence nous fait découvrir et
connaître tardivement, que l’on soit homme ou femme. Rousseau
touche ici à quelque chose de vrai et de profond en nous.
Des amours masquées
Ce qui m’intéresse ici, c’est avant tout de travailler sur la découverte
amoureuse. Ou plutôt, cet état de stupeur que peuvent éprouver les
adolescents face à l’objet amoureux, surtout quand celui-ci se révèle
à eux dans toute sa complexité. Ce qui est fascinant, c’est l’idée que
se font les protagonistes de l’« être aimé », de leur propre idéal
amoureux. Celui qui les fascinent et auxquels ils tiennent plus que
tout au monde. Lucinde ne veut pas épouser un autre homme que
celui qu’elle idéalise, sans savoir qu’il est en fait là sous ses yeux,
mais avançant masqué. Valère va tomber amoureux de sa propre
image, qui plus est « féminisée »… Encore un nouveau masque, une
image brouillée du désir…
Rousseau imagine ici un double stratagème, renforcé par l’autorité
(apparente) de Lisimon. L’une est amoureuse d’un homme jamais
entrevu, l’autre de sa propre image comme s’il se découvrait,
puisqu’il est représenté en femme.
Mais en fait, il s’agira surtout de transgression. On fait semblant de…
On tourne autour de… On se regarde. On s’observe. On tremble à
l’idée de se voir enfin…. De pouvoir s’admirer…
Tout repose sur l’imposture et la méconnaissance de soi et de
l’autre. Mais n’est-ce pas là le fondement de notre société ?
Jean-Luc Revol
Etude du spectaculaire
L’équipe artistique
Mise en scène : Jean-Luc Revol
Assisté de Valérie Thoumire
Scénographie : Sophie Jacob
Costumes : Eymeric François
Création lumières : Bertrand Couderc
Chorégraphie : Armelle Ferron
Technique en tournée : Gilles Gaudet
Distribution :
Olivier Broda / Frontin
Marie-Julie De Coligny / Marton
Cédric Joulie / Léandre
Anne-Laure Pons / Angélique
Valérie Thoumire / Lucinde
Richard Bartolini / Valère
Louise Jolly / Lisimon
Sur cette photo, reconnaissez-vous les personnages ?
La scénographie se joue du trouble, à l’image de celui infligé à
Narcisse. Le décor représente un lieu indéterminé chez Lisimon.
L’espace est dessiné par un mur rouge permettant les chassés
croisés, entrées et sorties, entre ce qui se voit et ce qui ne se voit
pas, entre le public et le privé, l’intime et le collectif. Mais la frontière
est brouillée dès le départ : terrain de jeu tout aussi ludique que
symbolique, le plateau mélange le quotidien de Narcisse (un miroir,
un fauteuil, tout le nécessaire pour se poudrer à jardin) avec l’espace
extérieur (haies, pelouse…). L’espace est épuré, presque stylisé,
sculpté par la lumière, la présence écrasante du soleil invitant à
l’immobilité et à la paresse. Une sorte d’atelier d’artiste peintre, un
lieu propre à l’esquisse du sentiment amoureux.
Maquette du décor
Les costumes sont ceux de l’époque mais s’encanaillent avec la
modernité dans les matières et les assemblages de couleurs. Tout
procède par touches disparates pour finir par donner une image
d’ensemble cohérente, l’œil s’arrêtant à la fois au détail et à la
globalité, comme une harmonie baroque…
Pistes pédagogiques :
- Repérer les indices qui ont influencé la scénographie
(repères spatiaux temporels…) dans les didascalies ou dans le texte.
- Les différents métiers de la fabrique du spectacle : le metteur en
scène, le scénographe, le costumier, le chorégraphe
SCÈNE XI
VALÈRE, FRONTIN, ivre
Pour situer la scène : Valère a découvert le portrait et, sans se
reconnaître, en est tombé fou amoureux. Sur ordre de Valère, Frontin
est parti à la recherche de « l’originale du portrait », dans tous les
cabarets de la ville. Il revient ivre-mort.
FRONTIN : Que diable ! je ne sais, pourquoi je ne puis me tenir ; j’ai
pourtant fait de mon mieux pour prendre des forces.
VALÈRE. : Eh bien, Frontin, as-tu trouvé ?
FRONTIN : Oh ! oui, Monsieur.
VALÈRE : Ah ? ciel ! serait-il possible ?
FRONTIN : Aussi j’ai bien eu de la peine.
VALÈRE : Hâte-toi donc de me dire...
FRONTIN : Il m’a fallu courir tous les cabarets du quartier.
VALÈRE : Des cabarets !
FRONTIN : Mais j’ai réussi au-delà de mes espérances.
VALÈRE : Conte-moi donc...
FRONTIN : C’était un feu... une mousse...
VALÈRE : Que diable barbouille cet animal ?
FRONTIN : Attendez que je reprenne la chose par ordre.
VALÈRE : Tais-toi, ivrogne, faquin ; ou réponds-moi sur les ordres que
je t’ai donnés au sujet de l’original du portrait.
FRONTIN : Ah ! oui, l’original. Justement. Réjouissez-vous, Réjouissezvous, vous dis-je.
VALÈRE : Hé bien ?
FRONTIN : II n’est déjà ni à la Croix-blanche, ni au Lion-d’or, ni à la
Pomme de pin, ni...
VALÈRE : Bourreau, finiras-tu ?
FRONTIN : Patience. Puisqu’il n’est pas-là, il faut qu’il soit ailleurs ;
et... Oh ! je le trouverai, je le trouverai...
VALÈRE : Il me prend des démangeaisons de l’assommer ; sortons.
Pistes Pédagogiques :
- Le valet de comédie et les relations maîtres / valets dans le théâtre.
- Les indices d’une scène de comédie (Ivresse, stichomythies, le langage
de Frontin, les adresses directes au public…)
- Du jeu plus que des mots : le lazzi.
SCÈNE IX
ANGÉLIQUE, VALÈRE
VALÈRE, sans voir Angélique : Je cours sans savoir où je dois chercher
cet objet charmant. L’amour ne guidera-t-il point mes pas ?
ANGÉLIQUE, à part : Ingrat ! Il ne les conduit que trop bien.
VALÈRE : Ainsi l’amour a toujours ses peines. Il faut que je les éprouve à
chercher la beauté que j’aime, ne pouvant en trouver à me faire aimer.
ANGÉLIQUE, à part : Quelle impertinence ! Hélas ! Comment peut-on être
si fat et si aimable tout à la fois ?
VALÈRE : Il faut attendre Frontin ; il aura peut-être mieux réussi. En tout
cas, Angélique m’adore...
ANGÉLIQUE, à part : Ah, traître ! tu connais trop mon faible.
VALÈRE : Après tout, je sens toujours que je ne perdrai rien auprès
d’elle : le cœur, les appas, tout s’y trouve.
ANGÉLIQUE, à part : Il me sera l’honneur de m’agréer pour son pis-aller.
VALÈRE : Que j’éprouve de bizarrerie dans mes sentiments ! Je renonce
à la possession d’un objet charmant et auquel, dans le fond, mon
penchant me ramène encore. Je m’expose à la disgrâce de mon père
pour m’entêter d’une belle, peut-être indigne de mes soupirs, peut-être
imaginaire, sur la seule foi d’un portrait tombe des nues et flatte à coup
sûr. Quel caprice ! quelle folie ! Mais quoi ! La folie et les caprices ne
sont-ils pas le relief d’un homme aimable ? Regardant le portrait. Que
de grâces !... Quels traits !... Que cela est enchanté ! Que cela est divin !
Ah ! qu’Angélique ne se flatte pas de soutenir la comparaison avec tant
de charmes.
ANGÉLIQUE, saisissant le portrait : Je n’ai gardé assurément. Mais qu’il
me soit permis de partager votre admiration. La connaissance des
charmes de cette heureuse rivale adoucira du moins la honte de ma
défaite.
VALÈRE : Ô ciel !
ANGÉLIQUE : Qu’avez-vous donc ? Vous paraissez tout interdit. Je
n’aurais jamais cru qu’un petit-maître soit si aise à décontenancer.
VALÈRE : Ah ! cruelle, vous connaissez tout l’ascendant que vous avez
sur moi, et vous m’outragez sans que je puisse répondre.
ANGÉLIQUE : C’est fort mal fait, en vérité ; et régulièrement vous devriez
me dire des injures. Allez, Chevalier, j’ai pitié de votre embarras. Voila
vôtre portrait ; et je suis d’autant moins fâchée que vous en aimiez
l’original, que vos sentiments sont sur ce point tout à fait d’accord avec
les miens.
VALÈRE : Quoi ! vous connaissez la personne ?
ANGÉLIQUE : Non seulement je la connais, mais je puis vous dire qu’elle
est ce que j’ai de plus cher au monde.
VALÈRE : Vraiment, voici du nouveau, et le langage est un peu singulier
dans la bouche d’une rivale.
ANGÉLIQUE : Je ne sais ! mais il est sincère. À part. S’il se pique, je
triomphe.
VALÈRE : Elle a donc bien du mérite ?
ANGÉLIQUE : Il ne tient qu’à elle d’en avoir infiniment.
VALÈRE : Point de défaut, sans doute.
ANGÉLIQUE : Oh ! beaucoup. C’est une petite personne bizarre,
capricieuse, éventée, étourdie, volage, et surtout d’une vanité
insupportable. Mais quoi ! Elle est aimable avec tout cela, et je prédis
d’avance que vous l’aimerez jusqu’au tombeau.
VALÈRE : Vous y consentez donc ?
ANGÉLIQUE : Oui.
VALÈRE : Cela ne vous fâchera point ?
ANGÉLIQUE : Non.
VALÈRE, à part : Son indifférence me désespère. Haut : Oseraie-je me
flatter qu’en ma saveur vous voudrez bien resserrer encore votre union
avec elle.
ANGÉLIQUE : C’est tout ce que je demande.
VALÈRE, outré : Vous dîtes tout cela avec une tranquillité qui me
charme.
ANGÉLIQUE : Comment donc ? vous vous plaigniez tout à l’heure de
mon enjouement, et à présent vous vous fâchez de mon sang-froid. Je
ne sais plus quel ton prendre avec vous.
VALÈRE (Bas) : Je crève de dépit. (Haut). Mademoiselle m’accorde-t-elle
la faveur de me faire faire connaissance avec elle ?
ANGÉLIQUE : Voilà, par exemple, un genre de service que je suis bien
sûre que vous n’attendez pas de moi : mais je veux passer votre
espérance, et je vous le promets encore.
VALÈRE : Ce sera bientôt, au moins ?
ANGÉLIQUE : Peut-être dès aujourd’hui.
VALÈRE : Je n’y puis plus tenir. (Il veut s’en aller).
ANGÉLIQUE, à part : Je commence à bien augurer de tout ceci ; il a trop
de dépit pour n’avoir plus d’amour. (Haut). Où allez-vous, Valère ?
VALÈRE : Je vois que ma présence vous gêne, et je vais vous céder la
place.
ANGÉLIQUE : Ah ! point. Je vais me retirer moi-même : il que n’est pas
juste que je vous chasse de chez vous.
VALÈRE : Allez, allez ; souvenez-vous que qui n’aime rien ne mérite pas
d’être aimé.
ANGÉLIQUE : Il vaut encore mieux n’aimer rien que d’être amoureux de
soi-même.
Pistes Pédagogiques :
- La langue de Rousseau
- La situation théâtrale : indices de mise en scène.
- Le jeu de regard au théâtre / Le montré et le caché.
- Le double discours d’Angélique et la connivence avec le spectateur qui
est lui aussi complice de la supercherie.
- Commentaire de cette photo : les choix de mise en scène…
Le mythe de Narcisse
en textes et en images
1
Iconographies
Nicolas Poussin, Echo et Narcisse, 1630
Le Caravage, Narcisse, 1594-1596
Le Moine, Narcisse, 1728
Daumier, Le Beau Narcisse (lithographie), 1842
Dali, Métamorphose de Narcisse, 1936-1937
Diaporama et études iconographiques sur : http://pg.paris8.over-blog.com/album1561292.html
1
Ovide, Les Métamorphoses, (extrait), an I,
Livre III 407-603
Près de là était une fontaine dont l'eau pure, argentée, inconnue aux
bergers, n'avait jamais été troublée ni par les chèvres qui paissent sur
les montagnes, ni par les troupeaux des environs. Nul oiseau, nulle bête
sauvage, nulle feuille tombée des arbres n'avait altéré le cristal de son
onde. Elle était bordée d'un gazon frais qu'entretient une humidité
salutaire ; et les arbres et leur ombre protégeaient contre l'ardeur du
soleil la source et le gazon. C'est là que, fatigué de la chasse et de la
chaleur du jour, Narcisse vint s'asseoir, attiré par la beauté, la fraîcheur,
et le silence de ces lieux. Mais tandis qu'il apaise la soif qui le dévore, il
sent naître une autre soif plus dévorante encore. Séduit par son image
réfléchie dans l'onde, il devient épris de sa propre beauté. Il prête un
corps à l'ombre qu'il aime : il s'admire, il reste immobile à son aspect, et
tel qu'on le prendrait pour une statue de marbre de Paros. Penché sur
l'onde, il contemple ses yeux pareils à deux astres étincelants, ses
cheveux dignes d'Apollon et de Bacchus, ses joues colorées des fleurs
brillantes de la jeunesse, l'ivoire de son cou, la grâce de sa bouche, les
roses et les lis de son teint : il admire enfin la beauté qui le fait admirer.
Imprudent ! il est charmé de lui-même : il est à la fois l'amant et l'objet
aimé ; il désire, et il est l'objet qu'il a désiré ; il brûle, et les feux qu'il
allume sont ceux dont il est consumé. Ah ! Que d'ardents baisers il
imprima sur cette onde trompeuse ! Combien de fois vainement il y
plongea ses bras croyant saisir son image ! Il ignore ce qu'il voit ; mais
ce qu'il voit l'enflamme, et l'erreur qui flatte ses yeux irrite ses désirs.
Insensé ! Pourquoi suivre ainsi cette image qui sans cesse te fuit ? Tu
veux ce qui n'est point. Éloigne-toi, et tu verras s'évanouir le fantastique
objet de ton amour. L'image qui s'offre à tes regards n'est que ton
ombre réfléchie ; elle n'a rien de réel ; elle vient et demeure avec toi ;
elle disparaîtrait si tu pouvais toi-même t'éloigner de ces lieux. Mais ni le
besoin de nourriture, ni le besoin de repos ne peuvent l'en arracher.
Étendu sur l'herbe épaisse et fleurie, il ne peut se lasser de contempler
l'image qui l'abuse ; il périt enfin par ses propres regards. Soulevant sa
tête languissante, et tendant les bras, il adresse ces plaintes aux forêts
d'alentour :
« Ô vous dont l'ombre fut si souvent favorable aux amants, vîtes-vous un
amant plus malheureux que moi ? Et depuis que les siècles s'écoulent
sur vos têtes, connûtes-vous des destins si cruels ? L'objet que j'aime
est près de moi ; je le vois, il me plaît ; et, tant est grande l'erreur qui me
séduit, en le voyant je ne puis le trouver : et pour irriter ma peine, ce
n'est ni l'immense océan qui nous sépare ; ce ne sont ni des pays
lointains, ni des montagnes escarpées, ni des murs élevés, ni de fortes
barrières : une onde faible et légère est entre lui et moi ! Lui-même il
semble répondre à mes désirs. Si j'imprime un baiser sur cette eau
limpide, je le vois soudain rapprocher sa bouche de la mienne. Je suis
toujours près de l'atteindre ; mais le plus faible obstacle nuit au bonheur
des amants.
« Ô toi, qui que tu sois, parais ! Sors de cette onde, ami trop cher !
Pourquoi tromper ainsi mon empressement, et toujours me fuir ? Ce
n'est ni ma jeunesse ni ma figure qui peuvent te déplaire : les plus
belles Nymphes m'ont aimé. Mais je ne sais quel espoir soutient encore
en moi l'intérêt qui se peint sur ton visage ! Si je te tends les bras, tu me
tends les tiens ; tu ris si je ris ; tu pleures si je pleure ; tes signes
répètent les miens ; et si j'en puis juger par le mouvement de tes lèvres,
tu réponds à mes discours par des accents qui ne frappent point mon
oreille attentive.
« Mais où m'égarai-je ? Je suis en toi, je le sens : mon image ne peut
plus m'abuser ; je brûle pour moi-même, et j'excite le feu qui me dévore.
Que dois-je faire ? Faut-il prier, ou attendre qu'on m'implore ? Mais
qu'ai-je enfin à demander ? Ne suis-je pas le bien que je demande ?
Ainsi pour trop posséder je ne possède rien. Que ne puis-je cesser d'être
moi-même ! Ô vœu nouveau pour un amant ! Je voudrais être séparé de
ce que j'aime ! La douleur a flétri ma jeunesse. Peu de jours
prolongeront encore ma vie : je la commençais à peine et je meurs dans
mon printemps ! Mais le trépas n'a rien d'affreux pour moi ; il finira ma
vie et ma douleur. Seulement je voudrais que l'objet de ma passion pût
me survivre ; mais uni avec moi il subira ma destinée ; et mourant tous
deux nous ne perdrons qu'une vie ».
Il dit, et retombant dans sa fatale illusion, il retourne vers l'objet que
l'onde lui retrace. Il pleure, l'eau se trouble, l'image disparaît ; et croyant
la voir s'éloigner : « Où fuis-tu, s'écria-t-il, cruel ? Je t'en conjure, arrête,
et ne quitte point ton amant ; ah ! S'il ne m'est permis de m'unir à toi,
souffre du moins que je te voie, et donne ainsi quelque soulagement à
ma triste fureur ».
À ces mots il déchire sa robe, découvre et frappe son sein qui rougit
sous ses coups. Telle la pomme à sa blancheur mélange l'incarnat ; telle
la grappe à demi colorée se peint de pourpre aux rayons du soleil. Mais
l'onde est redevenue transparente ; Narcisse y voit son image meurtrie.
Soudain sa fureur l'abandonne ; et, comme la cire fond auprès d'un feu
léger ; ou comme la rosée se dissipe aux premiers feux de l'astre du jour
: ainsi, brûlé d'une flamme secrète, l'infortuné se consume et périt. Son
teint n'a plus l'éclat de la rose et du lis ; il a perdu cette force et cette
beauté qu'il avait trop aimée, cette beauté qu'aima trop la malheureuse
Écho.
Quoiqu'elle n'eût point oublié les mépris de Narcisse, elle ne put le voir
sans le plaindre. Elle avait redit tous ses soupirs, tous ses
gémissements ; et lorsqu'il frappait ses membres délicats, et que le
bruit de ses coups retentissait dans les airs, elle avait de tous ses coups
répété le bruit retentissant. Enfin Narcisse regarde encore son image
dans l'onde, et prononce ces derniers mots: Objet trop vainement aimé !
Écho reprend: Objet trop vainement aimé ! Adieu ! s'écria-t-il. Adieu !
répéta-t-elle.
Il laisse alors retomber sur le gazon sa tête languissante ; une nuit
éternelle couvre ses yeux épris de sa beauté. Mais sa passion le suit au
séjour des ombres, et il cherche encore son image dans les ondes du
Styx. Les Naïades, ses sœurs, pleurèrent sa mort ; elles coupèrent leurs
cheveux, et les consacrèrent sur ses restes chéris : les Dryades
gémirent, et la sensible Écho répondit à leurs gémissements. On avait
déjà préparé le bûcher, les torches, le tombeau ; mais le corps de
Narcisse avait disparu ; et à sa place les Nymphes ne trouvèrent qu'une
fleur d'or de feuilles d'albâtre couronnée.
Paul Valéry, Fragments du Narcisse, (extraits),
1926.
Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux
Que de ma seule essence ;
Tout autre n’a pour moi qu’un cœur mystérieux,
Tout autre n’est qu’absence.
Ô mon bien souverain, cher corps, je n’ai que toi !
Le plus beau des mortels ne peut chérir que soi…
Douce et dorée, est-il une idole plus sainte,
De toute une forêt qui se consume, ceinte,
Et sise dans l’azur vivant par tant d’oiseaux ?
Est-il don plus divin de la faveur des eaux,
Et d’un jour qui se meurt plus adorable usage
Que de rendre à mes yeux l’honneur de mon visage ?
Naisse donc entre nous que la lumière unit
De grâce et de silence un échange infini !
Je vous salue, enfant de mon âme et de l’onde,
Cher trésor d’un miroir qui partage le monde !
Ma tendresse y vient boire, et s’enivre de voir
Un désir sur soi-même essayer son pouvoir !
Jean-Jacques Rousseau et le théâtre
Biographie
Jean-Jacques Rousseau, né le 28 juin 1712 à Genève et mort le 2 juillet
1778 (à 66 ans) à Ermenonville, est un écrivain, philosophe et musicien
genevois francophone.
La vie de Jean-Jacques Rousseau est une vie d'indépendance et
d'instabilité. Il quitte d'abord Genève à seize ans pour la Savoie où il
reçoit un complément d'éducation et une initiation à l'amour par Mme
de Warens avant de gagner Paris en 1742, pensant faire carrière dans
la musique. Il mène alors une existence difficile, cherchant divers
protecteurs et vivant avec Thérèse Levasseur qui lui donnera cinq
enfants, tous confiés à l'Assistance publique. Dans le même temps il
rencontre Diderot et écrit des articles sur la musique pour
l'Encyclopédie.
Jean-Jacques Rousseau, portrait de Maurice
Quentin de La Tour, 1728
Il participe à l'esprit des Lumières. Entretenant de façon générale des
relations interpersonnelles difficiles, il se réfugie plusieurs fois dans la
solitude séjournant de nouveau en Suisse en 1762 après la
condamnation de ses ouvrages par le Parlement de Paris. Il entreprend
alors d'écrire son autobiographie (Les Confessions) pour se justifier et
multiplie les lieux de résidence pour finalement retourner à Paris en
1770 et vivre en copiant de la musique.
Il meurt à 66 ans en 1778 et sa dépouille sera transférée au
Panthéon par la Convention au moment de la Révolution française
en 1794.
Ses principales œuvres
Rousseau entre dans l'histoire des idées avec ses brefs essais :
Discours sur les sciences et les arts (1750) et De l'Inégalité parmi les
hommes (1755), en opposant l'état de nature qui faisait le bonheur de
l'humanité, à l'état social, source des insatisfactions générales. Ayant
pris le contrepied de la philosophie de Hobbes, il sait néanmoins un
retour à l'origine impossible et il poursuit une réflexion sur le
fonctionnement d'une société démocratique fondée sur le Contrat
social (1762) dans lequel le peuple souverain organise la vie
collective. Rousseau propose aussi, avec Émile, ou De l'éducation
(1762), une réflexion sur l'éducation qu'il affirme devoir s'appuyer
sur la préservation des qualités naturelles de l'enfant et assurer
plutôt des savoir-faire concrets que des savoirs livresques.
Dans le domaine littéraire, l'apport de Jean-Jacques Rousseau est
également déterminant avec Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), qui
séduira par sa peinture préromantique du sentiment amoureux et de
la nature. Les Confessions (rédigées entre 1765 et 1770, avec
publication posthume en 1782 et 1789) et Les Rêveries du
promeneur solitaire (écrites en 1776-1778, publiées en 1782)
fondent l’autobiographie moderne ; l'auteur s'y livre à une
observation approfondie de ses sentiments intimes.
Narcisse dans l’œuvre de Rousseau
Narcisse est une pièce de théâtre, plus précisément une courte
comédie, de Jean-Jacques Rousseau publiée dans sa première version
en 1732 en un seul acte, divisé en dix-huit scènes, avec sept
personnages. La pièce est intitulée Narcisse ou l'amant de lui-même,
souvent abrégée en Narcisse. C'est une œuvre de jeunesse de JeanJacques Rousseau (il a environ vingt ans quand il l'écrit). À son arrivée à
Paris, Marivaux l'avait lue et avait apporté quelques corrections.
De plus, c’est une pièce de théâtre, genre assez peu exploité par
Rousseau. On connaît mieux sa préface, intitulée Préface au Narcisse
et ajoutée à la pièce en 1753. Cette préface explicite les vues de
Rousseau concernant la question de l'Académie de Dijon : Le
rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer les
mœurs ? Question à laquelle il avait déjà répondu avec les Discours et
qui lui avait valu nombre de critiques de la part des hommes de lettres
de son temps.
Rousseau a beaucoup décrié cette œuvre de jeunesse, il l'a également
beaucoup remaniée par la suite. Elle est créée chez les Comédiens du
roi le 18 décembre 1752 et publiée en février 1753.
Préface de Narcisse
« J’ai écrit cette comédie à l’âge de dix-huit ans, et je me suis gardé de
la montrer, aussi longtemps que j’ai tenu quelque compte de la
réputation d’Auteur. Je me suis enfin senti le courage de la publier, mais
je n’aurai jamais celui d’en rien dire. Ce n’est donc pas de ma pièce,
mais de moi-même qu’il s’agit ici.
Il faut, malgré ma répugnance, que je parle de moi ; il faut que je
convienne des torts que l’on m’attribue, ou que je m’en justifie. Les
armes ne seront pas égales, je le sens bien ; car on l’attaquera avec des
plaisanteries, et je ne me défendrai qu’avec des raisons : mais pourvu
que je convainque mes adversaires, je me soucie très peu de les
persuader ; en travaillant à mériter ma propre estime, j’ai appris à me
passer de celle des autres, qui, pour la plupart, se passent bien de la
mienne. Mais s’il m’importe guère qu’on pense bien ou mal de moi, il
m’importe que personne n’ait droit d’en mal penser, et il importe à la
vérité que j’ai soutenue, que son défenseur ne soit point accuse
justement de ne lui avoir prête son secours que par caprice ou par
vanité. Sans l’aimer et sans la connaître. »
Le Théâtre au XVIIIe siècle : quête de
l’Individu et éclatement des genres
Le XVIIIe siècle, siècle des idées des Lumières qui aboutiront à la
Révolution, reflète cet enjeu de pouvoir qu’est le théâtre : contrôle,
censure et législations réglementent lieux et pratiques théâtrales.
Les enjeux de sociétés et notamment la naissance de l’Individu et les
réflexions sur sa place dans la société vont nourrir les pratiques
théâtrales jusqu’au milieu du XIXe et l’expérience du Théâtre
Romantique.
Contrôle du théâtre / contrôle de l’individu.
A) Pouvoir et poids de la censure
La création de la Comédie Française en 1680 montre la volonté de la
monarchie de contrôler les pratiques théâtrales. Dès lors, théâtre et
pouvoir vont entretenir une relation ambiguë qui s’articule autour de
la censure. Le déclin du règne de Louis XIV, et sa mort en 1715,
s’accompagne d’un rejet du théâtre et de l’accroissement de la
censure, jusque-là présente par l’attribution des différents
monopoles. En 1706 par exemple, les dialogues sont interdits
ailleurs qu’à la CF. Les « intendants des menus plaisirs » adossent
l’exécution de cette censure. Ils choisissent les pièces autorisées et
créent ainsi un répertoire ; ils fixent également les droits d’entrée et
récoltent le « quart des pauvres » crée en 1777. La dureté de cette
censure évolue selon le monarque en place : la Régence de Philippe
d’Orléans puis le règne de Louis XV seront très hostiles au théâtre.
Sous Louis XVI (1774) ce sont les représentations et les conditions
de ces représentations qui sont l’objet de lois (spectacle à 17 heures
pour ne pas que ça se finisse trop tard ; loi sur qui à le droit de porter
l’épée ou pas au spectacle, des amendes sont prévues pour ceux qui
perturbent la représentation…). Cette censure théâtrale atteste de
l’importance et de l’enjeu croissant que représente le théâtre pour le
pouvoir. Cet enjeu se lit également dans les discussions et
publications théoriques qui animent les salons et philosophes.
B) l’idée de théâtre
Le XVIIIe est le siècle des Lumières et des Idées libertaires, siècle
des philosophes qui pensent une société différente ainsi qu’une
place différente de l’Homme qui l’occupe. Le théâtre devient ainsi un
des pôles de réflexion des Voltaire, Rousseau, Diderot et autre
Mercier. La question du rôle du théâtre anime les débats. Voltaire
prône un théâtre didactique, lieu d’enseignement, comme un « art
d’enseigner la vertu et les bienséances en action et en parole ».
Rousseau au contraire y dénonce la perversion de l’âme humaine et
refuse la catharsis aristotélicienne (Cf La lettre à d’Alembert sur les
spectacles). La question de la réception est au cœur de tous les
débats (dénégation, à qui s’adresse le théâtre…).
Ces réflexions se transforment en attaques de la part de l’Eglise : au
milieu du XVIIIe siècle, l’église condamne les comédiens et leur
refuse mariage et sépulture.
Toutes ces réflexions philosophiques et religieuses portent les idées
de la Révolution et, si nous ne reviendrons pas sur la période
révolutionnaire, nous pouvons cependant observer comment le
théâtre devient le lieu de toutes les illusions politiques. La noblesse
se rend au spectacle pour se montrer et afficher la puissance de son
rang, de sa classe décadente ; la bourgeoisie vient afficher un nom
qu’elle n’a pas mais une richesse croissante : le XVIIIe siècle est celui
de toutes les illusions spectaculaires aussi bien sur la scène que
dans la salle (Cf Louis-Sébastien Mercier, Le tableau de Paris).
Les Petites Loges de Moreau le Jeune, 1783
Censure, contrôle et réflexions théâtrales vont faire naître de
nouvelles pratiques à la fois dramatiques mais surtout
architecturales.
Le théâtre « hors les murs ».
Prenons l’expression « hors les murs » dans le sens qui ne dépend
pas de l’institution. En effet, tout au long du XVIIIe siècle, pour
contrer le dictat monarchique, de nouvelles formes vont apparaître.
A) l’expérience de la Foire
Créée en 1482, la Foire Saint Germain est un immense marché, sous
de grandes halles appartenant tout d’abord au clergé. Elle est en
constante évolution avec l’essor de l’activité commerciale et est
ouverte du 3 février au dimanche de Pâques.
En 1661, se crée la Foire Saint Laurent (plan ci-contre) qui, quant à
elle est ouverte du 25 Juillet au 25 septembre.
Autour de ces deux activités commerciales vont peu à peu s’articuler
des pratiques artistiques, et des formes nouvelles.
En effet, des comédiens ambulants envahissent peu à peu les foires
(danseurs de corde, montreurs d’animaux, funambules…). Les
représentations se structurent peu à peu ; des loges en bois sont
construites pour abriter les spectacles, les foires se structurent en
rues. Elles sont elles aussi victimes des monopoles et de la censure.
Pourtant, paradoxe du temps, la monarchie raffole de ses spectacles
et n’hésite pas à faire venir les comédiens de la foire. Il reste très
peu de traces écrites des spectacles joués, seuls quelques noms
nous sont parvenus comme Charles Allard ou Maurice Vondrebeck,
deux « sauteurs à la corde » reconnus.
Le théâtre de Foire n‘est pas un théâtre « de texte » mais bien plus de
spectacle, de divertissement. Fort d’un succès grandissant, la Foire
compte de plus en plus de théâtres (sept en 1706) et les
représentations ont même lieu hors les périodes d’ouverture de la
foire. Les théâtres de la Foire portent le symbole d’une pratique qui
cherche à exister indépendamment de l’institution et devient ainsi
une valeur marchande. Cette volonté d’élargissement se traduit
également par la profusion des lieux et des genres théâtraux qui ne
veulent pas se résoudre à plier sous le poids du modèle.
B) Décentralisation théâtrale : éclatement des lieux et des
genres.
Lorsque la Foire Saint Germain prend feu en 1752, de nouveaux
lieux vont apparaître pour abriter les représentations qui ont de plus
en plus de succès. De nombreux lieux sont construits spécifiquement
pour les représentations théâtrales. Ces bâtiments vont s’éloigner du
centre et gagner les boulevards : c’est le cas par exemple du Théâtre
du Boulevard du Temple ou celui du Théâtre des Variétés.
Symboliquement, ces lieux se sont éloignés du centre (du modèle)
pour trouver et toucher un public plus populaire (ici, bourgeois) et
contourner les censures du pouvoir.
Pourtant, c’est une autre forme de censure qui va gagner ces
théâtres des boulevards : celle du succès. En effet, le théâtre au
XVIIIe siècle devient une activité commerciale et les créations et les
représentations qui ne remportent pas un grand succès sont retirées
de l’affiche.
Ce déplacement des lieux de représentations s’opère également en
province avec notamment la création du Théâtre de Lyon puis celle
du Grand Théâtre de Bordeaux en 1780. Cette « décentralisation »
théâtrale marque la volonté d’une monarchie mourante d’exporter
l’illusion de sa toute puissance, mais également à la classe
bourgeoise de participer en Province, aux mêmes divertissements
qu’à Paris.
Cet éclatement des lieux s’accompagne également d’un éclatement
des genres théâtraux. De nombreux genres dits « mineurs »
apparaissent, héritiers, bien souvent, de la Foire. C’est le cas par
exemple de la parade, de la comédie poissarde, du proverbe
dramatique ou encore de la parodie.
La tragédie et la comédie quant à elles, se sclérosent à vouloir
reproduire le modèle « classique » des Racine et Corneille (citons par
exemple Antoine Houdar de la Motte). La Comédie devient
« sérieuse ». Les Diderot et Voltaire prônent un théâtre plus
vraisemblable et surtout plus « ressemblant » : Voltaire tente par
exemple de rapprocher ces héros des spectateurs qui assistent aux
spectacles. Le héros tragique descend peu à peu de son piédestal et
devient plus « proche » de la société du XVIIIe siècle.
Les réflexions des théoriciens mais également de dramaturges
comme Marivaux ou Beaumarchais, pensent un théâtre moins
dogmatique mais plus ouvert sur le monde qu’il se propose de
regarder, réflexions qui mènent petit à petit à la création du drame
bourgeois.
C) Vers le théâtre bourgeois.
Le drame bourgeois apparaît tout d’abord sous l’influence de
philosophe et d’érudits qui tentent d’échapper à la rigueur de la
séparation des genres. Drame est à prendre ici dans le sens de
drama, « pièce de théâtre ».
Ce nouveau genre est surtout théorique, issu des écrits de Diderot,
Les entretiens sur le fils nature, en 1757 ou encore Le paradoxe du
comédien, mais également de Beaumarchais avec les Essais sur le
genre sérieux en 1767 ou encore de Mercier, Du théâtre ou nouvel
essai sur l’art dramatique. Tous prônent un entre deux entre la
comédie plaisante et la tragédie héroïque.
Le drame bourgeois s’articule autour de la question du siècle : qu’est
ce que toute la société a en commun ? Qualifié de « peinture
touchante des malheurs domestiques », ou comme le dit
Beaumarchais « l’expression simple et vraie de la nature à l’instant
d’une crise ». Pour atteindre le spectateur, le drame propose sa
meilleure représentativité scénique et ainsi la présence d’un héros
ou de personnages appartenant aux différentes classes sociales.
Pourtant, cette tentative théâtrale rencontre peu de succès et les
pièces de Diderot (Le fils naturel en 1771), sont de vrais échecs.
Plusieurs raisons à cet échec : des théoriciens et non des
praticiens ? Théâtre de la parole plus que théâtre d’action ? Nouvelle
salle de théâtre qui sont de véritables entreprises commerciales qui
cherchent plus le succès que l’expérimentation ?
La scène théâtrale du XVIIIe siècle porte les valeurs des Lumières et
de la Révolution et tente peu à peu de mettre en scène l’Individu.
Cette question de l’individu va être l’un des enjeux majeurs d’une
expérience de théâtre, cette pas uniquement sur ce que l’on
représente et pour qui on le représente, mais surtout du point de vue
des créateurs : l’expérience Romantique.
Présentation de l’équipe
Jean-Luc Revol / Mise en scène
Jean-Luc Revol est artiste associé à la MCNN depuis 2007. Il mène
une double carrière de metteur en scène et de comédien et dirige
depuis 1990 le Théâtre du Caramel Fou (T.C.F.), compagnie
conventionnée en Bourgogne.
Au théâtre, il met en scène entre autres La Tempête de
Shakespeare, Les Trente millions de Gladiator d’Eugène Labiche,
Visiteurs de Botho Strauss, La Princesse d’Elide et Tartuffe de
Molière, La Fameuse Invasion de la Sicile par les Ours de Dino
Buzzati. Il a joué sous la direction de Philippe Calvario, Raymond
Acquaviva, Robert Hossein, Christophe Lidon… Au cinéma, il a
travaillé en tant qu’assistant-réalisateur d’Eric Rohmer pour Le Conte
d’Hiver et Les Jeux de Société et à la télévision, il a travaillé avec
Jean-Michel Ribes, Pierre Boutron et Josée Dayan.
Hors de la Compagnie, il met en scène Qui a peur de Virginia Woolf ?
d'Edward Albee avec Judith Magre et Niels Arestrup (1997-1998), La
Valse à Manhattan d'Ernest Thompson, adaptée par Michel Blanc,
avec Danièle Darrieux et Dominique Lavanant (2001), Une Souris
verte de Douglas Carter Beane (2008).
Il fait partie de la Ligue d’Improvisation Française depuis 1990. Il
enseigne aussi régulièrement à l’Ecole Florent depuis 1987.
Il a obtenu le Prix de l’ADAMI 2004 lors de la 18e cérémonie des
Molières pour l’ensemble de son travail avec le T.C.F.
Jean-Luc Revol a obtenu le Molière du Meilleur spectacle musical de
l’année pour Le Cabaret des hommes perdus créé en 2006. Il a mis
en scène Le Préjugé Vaincu de Marivaux en 2007, où il a collaboré
avec le Théâtre du Temps Pluriel. En 2009, il est à l’affiche du
Véritable inspecteur Whaff en tant que comédien et metteur en
scène. En 2010, il met en scène Kad Merad dans la comédie
musicale Rendez-vous (She loves me) de Joe Masteroff au Théâtre
de Paris.
En 2011, il est nommé dans la catégorie du Molière du meilleur
spectacle musical pour La Nuit d'Elliot Fall et crée Hamlet au
Château de Grignan avec Philippe Torreton dans le rôle-titre. Cette
même année, il reçoit le prestigieux prix de la Société des Auteurs et
Compositeurs Dramatiques (SACD) pour l'ensemble de son travail de
mise en scène.
En 2012, il crée Narcisse ou l’amant de lui-même à Ferney-Voltaire, à
l’occasion du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques
Rousseau, puis Les 2 « G », artistes de music-hall, spectacle dans
lequel il chante avec son acolyte de toujours Denis d’Arcangelo.
Les comédiens
Olivier Broda
Il se forme entre autres auprès d’Anita Picchiarini, Gilberte Tsaï, Carlo
Boso, Clémentine Yelnick, Alain Reynaud, Philippe Genty… (théâtre),
Anne Fischer Lapallus, Pierre Mervant (chant) et Rézo Gabriadzé et
Philippe Genty (manipulation et marionnette). Il joue en autres sous
la direction de Jérôme Wacquiez, Olivier Peyronnaud, Jean-Luc Revol,
Serge Lipszyc, Benoît Lambert, Jean-Claude Feugnet, Marie-Julie de
Coligny, Eve Weiss, Vincent Colin…Il met en scène entre autres, Ca
vaut pas un clown, Le Petit Tailleur et Au fond de la boîte, il y avait…
(spectacles jeune public), Moulins à Paroles d’Alan Bennett, Les
Règles du savoir-vivre dans la société moderne de Jean-Luc Lagarce,
Pour Bobby de Serge Valletti. Depuis 2009, il est membre fondateur
et directeur artistique du Théâtre du Temps Pluriel. Il met en scène et
joue dans Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce,
spectacle fondateur de la compagnie, puis crée Antigone de
Sophocle en 2012 et En avoir… ou pas d’après des textes de Rémi
de Vos en 2013.
Marie-Julie De Coligny
Elle débute sa formation à l’école du Tremplin d’Avignon puis rejoint
l’école Jean Périmony à Paris et se spécialise dans le travail du
clown. Elle joue principalement sous la direction de Chantal
Malebert, Olivier Peyronnaud, Serge Lipszyc, Jean-Luc Revol, Benoît
Lambert, Olivier Broda…Elle crée en novembre 2007, Comment lui
dire adieu d’après le livre de Cécile Slanka, sa première mise en
scène. Elle est membre fondateur du Théâtre du Temps Pluriel. Elle
joue dans Derniers remords avant l’oubli, projet fondateur de la
compagnie et dans En avoir… ou pas, sous la direction d’Olivier
Broda.
Cédric Joulie
Sa première école fut celle du théâtre de rue. La tête perchée dans
les étoiles, il s’inscrit à l’école de cirque Piste d’Azur et l’année
suivante, il est reçu au CNAC (spécialité clown). Il rencontre entre
autres Alain Reynaud, Nicolas Bernard, Ami Hattab, Nikolaus et
Christian Lucas. Il joue entre autres sous la direction d’Olivier
Peyronnaud, Jean-Luc Revol, Serge Lipszyc, Benoît Lambert, JeanClaude Feugnet, Olivier Broda, Vincent Colin… Il joue dans Derniers
remords avant l’oubli, projet fondateur de la compagnie du Théâtre
du Temps Pluriel. En juillet 2010, il fonde sa compagnie de théâtre
gestuel, La Cie (dé)battements, avec laquelle il prépare son propre
spectacle de théâtre visuel, Le Vent a frappé à ma porte où il se fait
interprète et auteur (création janvier 2012).
Anne-Laure Pons
Elle se forme principalement auprès de Carlo Boso, Nathalie
Cambonie (danse aérienne) et Pierre Mervant (chant dont elle en fait
une spécialité).
Elle joue principalement sous la direction d’Olivier Peyronnaud, JeanLuc Revol, Benoît Lambert, Marie-Julie de Coligny, Olivier Broda,
Vincent Colin…En 2009, elle écrit et interprète Et au fond de la boîte,
il y avait…, spectacle jeune public mis en scène par Olivier Broda.
Elle est membre fondateur du Théâtre du Temps Pluriel. Elle assiste
Olivier Broda sur la création de Derniers remords avant l’oubli de
Jean-Luc Lagarce, d’Antigone de Sophocle en 2012 et de En avoir…
ou pas de Rémi de Vos en 2013.
Louise Jolly
Comédienne, elle suit d’abord les Cours Simon à Paris (1979-1981)
puis la classe libre de l’Ecole Florent (1983-1985) où elle est
professeur de 1985 à 1989. Depuis 1999, elle est chargée de cours
de théâtre à la MCNN. Comédienne au sein de la compagnie du
T.C.F. (Jean-Luc Revol), elle a notamment joué dans La Princesse
d’Elide de Molière (1992), L’Heureux Stratagème de Marivaux
(1993), Les Heures blêmes d’après Dorothy Parker (1996), Les
Trente millions de Gladiator de Labiche (1999), Tartuffe de Molière,
La Farce enfantine de la tête du dragon et Le Préjugé Vaincu en
2007. Elle a également joué dans Le Songe d’une nuit d’été de
Shakespeare, mis en scène par Franck Berthier, Croisades de Michel
Azama, mis en scène par Rafaël Djaïm, Puzzle (2003), spectacle tout
public mis en scène par Serge Lipszyc, Moulins à paroles, L’Affaire
de la rue de Lourcine mis en scène par Benoît Lambert et Les Règles
du savoir-vivre dans la société moderne mis en scène par Olivier
Broda (2005 et 2006). Au cinéma, elle a joué dans Embrasse-moi de
Michèle Rozier (1987) et Cendrillon 90 de Christine Dory (1990).
Valérie Thoumire
Elle se forme au théâtre des Deux-Rives à Rouen puis au cours
Florent en intégrant directement la classe de 3ème année, où elle
sera chargée de cours, et en suivant de nombreux stages théâtraux
(encore dernièrement auprès de Philippe Calvario et Michel Fau). Au
théâtre, elle joue Molière, Aristophane, Ribes, Grumberg, Tchekhov,
Pinter, Marivaux, Horovitz, et participe pendant six ans au projet
atypique Pourquoi j’ai mangé mon père ? adapté du roman de Roy
Lewis, mis en scène par Joël Lefrançois.
Elle devient un homme pour C’est une fille ou un garçon ?, création
jeune public mis en scène par François Roche. Elle travaille
régulièrement aux côtés de Jean-Luc Revol en tant qu’assistante (La
fameuse invasion de la Sicile… de Dino Buzzati, Le Véritable
Inspecteur Whaff de Stoppard, Une souris verte de Beane, Vincent
River de Ridley). Elle prête sa voix à de nombreux jeux vidéos comme
Lord of the rings ou la Wii Fit, à des documentaires ou des pièces
radiophoniques. Elle est également mezzo-soprano et professeur de
théâtre au collège Sainte Marie et Sainte Croix de Neuilly et à l’école
d’ingénieurs ESIEA.
Richard Bartolini
Diplômé du Conservatoire National de Région de Nice où il participe
au spectacle Le Tigre et la Rose de Daniel Mesguish à Monaco. Il
interprète et met en scène deux pièces de Tennesse Williams, puis
joue Genet, Marivaux, Voltaire, Shakespeare et d’autres créations
originales et musicales pour différentes compagnies. Il participe à la
première du Grand Mezze de François Rollin et Edouard Baer au
Théâtre du Rond-Point et poursuit à Paris sa formation artistique lors
de plusieurs stages de théâtre et de travail de la caméra avec entre
autres André Roche, Alexander Campbell, Hélène Zidi Cheruy et Nora
Habib. Il se forme au chant avec Cécile Bonardi, ainsi qu’à la danse
contemporaine et à l’écriture .Il est « Talent Cannes Adami » en 2003,
où il tourne pour Marina De Van. D’autres courts-métrages suivront.
Récemment, il a joué dans Pomogui ! aux côtés de Michaël Lonsdale.
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