83
Le corbeau et le renard
Dans la forêt, Maître Corbeau est perché sur une
haute branche.
Il tient fi èrement un fromage dans son bec.
Arrive Maître Renard, attiré par l’odeur du
fromage.
LE RENARD
Monsieur du Corbeau ! Ohé, Monsieur du Corbeau !
LE CORBEAU (d’une voix inarticulée)
Bonjour, Maître Renard.
LE RENARD (d’une voix mielleuse)
Ah ! Monsieur du Corbeau ! Je me disais justement...
Que vous êtes joli ! Que vous me semblez beau !
LE CORBEAU (toujours inaudible)
Vraiment ? Vous trouvez ?
LE RENARD
Sans mentir ! Le phénix ne vous arrive pas
à la cheville ! Je parie même que votre ramage
surpasse en éclat votre plumage.
(Suppliant) Allez, chantez-moi donc
une petite chanson...
LE CORBEAU (chantonnant)
Mmmm... Mmmmmm.
LE RENARD (insistant)
Magnifi que ! Plus fort maintenant, que toute la forêt
puisse vous entendre !
(Le corbeau entame un air d’opéra d’une voix
coassante. Le fromage tombe.)
LE RENARD (d’un ton moqueur)
Par ici le fromage ! Et bon vent, Monsieur du
Corbeau.
L’orgueil est un vilain défaut. Souvenez-vous bien
de cette leçon qui vous a coûté un fromage !
(Il s’en va en emportant sa proie et en ricanant.)
LE CORBEAU
Quel idiot je suis ! Je m’en souviendrai !
Le corbeau et le renard
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau,
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. »
À ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout fl atteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Jean de La Fontaine
© Cned
09E1572_FR_MA_CE1_seq10.indd 8309E1572_FR_MA_CE1_seq10.indd 83 15/10/09 8:47:0415/10/09 8:47:04