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Une heure
chez Molière
Thierry Pochet
(avec la collaboration involontaire-
de Jean-Baptiste Poquelin)
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Molière et une jeune journaliste.
Il la reçoit une heure avant de donner la quatrième représentation du Malade imaginaire.
A l’issue de cette représentation, en fin de soirée, il va mourir.
Evidemment, il l’ignore ; nous, nous le savons. Il nous touche d’autant plus…
La loge d’un théâtre. Costumes, maquillages. Désordre. Velours rouge…
Journaliste Molière, bonsoir. Nous sommes très heureux de passer cette heure en votre
compagnie.
Molière La place m’est heureuse à vous y rencontrer. Pour vous en dire net ma pensée en
deux mots…
Journaliste Vous allez, après cet entretien, donner la troisième représentation du Malade
imaginaire
Molière Quatrième.
Journaliste Quatrième ? Vous êtes sûr ?
Molière Je crois que deux et deux sont quatre et que quatre et quatre sont huit.
Journaliste Après avoir consulté ses papiers Quatrième, c’est exact. Cette précision vous
honore. Dans quel état d’esprit abordez-vous cette représentation ?
Molière Tant que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir, je me suis cru
heureux ; mais aujourd’hui que je suis accablé de peines et sans pouvoir compter sur aucun
moment de satisfaction et de douceur, je vois bien qu’il me faut quitter la partie.
Journaliste Diable ! Mais pourquoi jouez-vous si vous avez des idées pareilles ?
Molière Comment voulez-vous que je fasse ? Il y a cinquante ouvriers qui n’ont que leur
journée pour vivre ; que feront-ils, si l’on ne joue pas ? Je me reprocherais d’avoir négligé de
leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument.
Journaliste Vous n’aimez plus le théâtre ? La chaleur des coulisses ? La fièvre des
représentations ?
Molière Je ne dis pas cela.
Journaliste Quelles sont les raisons, alors ?…
Molière Me voyant malade comme je suis… Toussant à fendre l’âme Ah ! mon Dieu,
ils me laisseront ici mourir ! Il tousse encore ; un temps
Journaliste Est-ce encore des médecins que vous vous plaignez ? On voit bien dans
plusieurs de vos pièces que vous ne pouvez souffrir la médecine.
Molière Toussant toujours La médecine est un art profitable, et chacun la révère comme
l’une des plus excellentes choses que nous ayons ; et cependant il y a eu des temps où elle
s’est rendue odieuse, et souvent on en a fait un art d’empoisonner les hommes.
Journaliste Il en est pourtant des médecins qui guérissent les malades.
Molière Tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux
succès.
Journaliste Ne trouvez-vous pas que c’est là une profession que vous avez suffisamment
égratignée ? Que l’auteur qui est en vous s’est assez vengé des douleurs que cet état de
médecin a causé en votre vie ? Qu’il les a assez mis sur la sellette ?
Molière Que voulez-vous qu’il y mette, que les diverses professions des hommes ? On y
met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d’aussi bonne maison que les médecins.
Journaliste C’est encore la mort de votre mère qui vous tourmente ? Elle a rendu l’âme
que vous n’aviez pas dix ans, sans que les médecins appelés à son chevet pussent rien y faire.
Est-ce là la raison de votre hargne envers eux ?
Molière Ah ! Ma mère… Que je vous veux de mal ! Se lève, en proie à une grande
émotion. Un temps Laissez-moi, je vous prie.
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Journaliste Vous vous êtes senti trahi, abandonné ? Cela justifie-t-il de jouer les
médecins ? On dit qu’avec cette dernière pièce, vous n’y allez pas de main morte !
Molière Ce ne sont point les médecins mais le ridicule de la médecine.
Journaliste Ah çà ! Vous venez d’en dire du bien, de la médecine. Et pourquoi diable
serait-elle ridicule ?
Molière A regarder les choses en philosophe, je ne vois point de plus plaisante momerie, je
ne vois rien de plus ridicule, qu’un homme qui se veut mêler d’en guérir un autre.
Journaliste Pourtant, vous-même, êtes assez malade à ce que l’on dit. N’avez-vous jamais
souhaité qu’un médecin particulièrement habile vous vînt visiter, comprendre ce dont vous
souffrez et vous prescrire quelque remède ?
Molière Allez, allez, tout cela n’est pas nécessaire ; il suffit de l’habit.
Journaliste Ne me dites pas que vous en êtes encore à cette fable que toute la science du
médecin réside en son habit. Vous avez consulté pour savoir d’où vous pouvaient venir ces
faiblesses dont vous souffrez ?
Molière Les médecins ont raisonné là-dessus comme il faut ; et ils n’ont pas manqué de dire
que cela procédait, qui du cerveau, qui des entrailles, qui de la rate, qui du foie…
Journaliste C’est de là que vient le ressentiment que vous gardez contre eux. Ils vous
semblent incapables de déterminer ce dont vous souffrez. Mais pourquoi ne consentez-vous
point à ce que cette science médicale ait ses faiblesses ? Pourquoi n’admettez-vous pas que
l’on puisse chercher ce dont souffrent les malades ?
Molière Par la raison que les ressorts de notre machine sont des mystères, jusques ici, où les
hommes ne voient goutte ; et que la nature nous a mis au-devant des yeux des voiles trop
épais pour y connaître quelque chose.
Journaliste Et que faut-il faire alors, quand on est malade ?
Molière Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature elle-même, quand nous la
laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est
notre impatience qui gâte tout ; et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non
pas de leurs maladies.
Journaliste Voilà une accusation qui est particulièrement grave ! Si je vous suis, les
médecins seraient non seulement impuissants à comprendre ce dont vous souffrez, a fortiori à
le guérir, mais encore vous redouteriez que leurs efforts ne précipitassent votre trépas ?
Molière Un cordonnier, en faisant des souliers, ne saurait gâter un morceau de cuir qu’il
n’en paie les pots cassés ; mais ici l’on peut gâter un homme sans qu’il en coûte rien et c’est
toujours de la faute de celui qui meurt. Enfin, le bon de cette profession est qu’il y a parmi les
morts une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde ; et jamais on n’en voit se
plaindre du médecin qui l’a tué.
Journaliste Dans ce qui vous a blessé, il y a aussi la mort du petit Louis, votre fils, mort
l’année même de sa naissance, en 1664. Un temps
Molière Avec douleur J’ai souhaité un fils avec des ardeurs non pareilles ; je l’ai demandé
sans relâche avec des transports incroyables ; et ce fils que j’obtiens en fatiguant le ciel de
mes vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie même, dont je croyais qu’il devait être la
joie et la consolation.
Journaliste Ce dut être un chagrin sans exemple, pour vous. Vous êtes-vous cru maudit par
le ciel ?
Molière Désabusé Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes. Un temps
Journaliste Voudriez-vous encore dire quelque chose sur ce sujet ? Silence… Et puis,
au nombre de vos chagrins, il y a Lully. Jean-Baptiste Lully qui a composé la musique de
beaucoup de vos pièces. Lully qui n’a reculé devant aucune intrigue pour vous remplacer
dans la faveur du roi. Un privilège de sa majesté Louis XIV lui accorde le monopole des
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spectacles mêlés de musique et de danses. C’est là une disgrâce sévère pour vous. Un temps
Vous ne dites toujours rien ?
Molière Je ne dis mot, car je ne gagnerais rien à parler ; et jamais il ne s’est rien vu d’égal à
ma disgrâce. Oui, j’admire mon malheur, et la subtile adresse de ma carogne pour se donner
toujours raison, et me faire avoir tort. Est-il possible que les apparences tourneront toujours
contre moi. O ciel ! La grâce de faire voir aux gens que l’on me déshonore !
Journaliste Tout avait pourtant bien commencé entre Lully et vous. Vous aviez collaboré
pour l’une de vos pièces. C’est vous qui aviez fait appel à lui pour qu’il vous écrive une
musique ?
Molière Oui, c’est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer.
Journaliste Avez-vous une idée de ce qui a pu vous monter l’un contre l’autre ?
Molière Le roi, qui ne veut que des choses extraordinaires dans tout ce qu’il entreprend,
s’est proposé de donner à sa cour un divertissement qui fût composé de tous ceux que le
théâtre peut fournir ; et pour embrasser cette vaste idée, et enchaîner ensemble tant de choses
diverses, sa majesté a choisi pour sujet deux rivaux.
Journaliste Grâce à ce nouveau privilège royal, Lully est maintenant seul à pouvoir tirer
bénéfice de l’impression et la publication de tous les spectacles pour lesquels il a écrit la
musique, soit même les textes de vos propres pièces. Pour obtenir cela, il a bien dû raconter
force mensonges au roi. C’est du moins ce que vous présumez. Que diriez-vous à Lully si
vous l’aviez devant vous ?
Molière Je dirais… Jusques ici vous avez joué mes accusations et plâtré vos malversations.
J’ai eu beau voir et beau dire ; et votre adresse toujours l’a emporté sur mon bon droit, et
toujours vous avez trouvé moyen d’avoir raison ; mais, à cette fois, Dieu merci, les choses
vont être éclaircies et votre effronterie sera pleinement confondue.
Journaliste Qu’auriez-vous ajouté ensuite ?
Molière Songez, si vous voulez, à chercher dans votre tête quelque nouveau détour pour
vous tirer de cette affaire ; à inventer quelque moyen de rhabiller votre escapade ; à trouver
quelque ruse pour éluder ici les gens.
Journaliste Là dessus, un courtisan vous prévient que l’intrigant Lully sera désormais le
grand ordonnateur des plaisirs royaux et qu’un privilège exorbitant lui sera bientôt accordé. Y
croyez-vous alors ? Que pensez-vous ?
Molière Bagatelles. C’est pour me faire peur.
Journaliste Quelques jours plus tard, enfin, vous croisez sa majesté à Versailles. Mais le
roi ne s’arrête pas pour converser quelques minutes avec vous comme il en avait pris
l’habitude.
Molière Il fuit… et me laisse informé de la nouvelle perfidie du maroufle.
Journaliste Vous êtes donc bien en colère contre Lully ?
Molière Morbleu ! C’est une chose indigne, lâche, infâme, de s’abaisser ainsi jusqu’à trahir
son âme ; et si, par un malheur, j’en avais fait autant, je m’irais de regret, pendre tout à
l’instant.
Journaliste Sérieusement, si la faveur du roi le désigne comme son nouveau protégé, que
voulez-vous que fasse Lully ?
Molière Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur on ne lâche aucun mot qui
ne parte du cœur.
Journaliste Qui vous dit que ce n’est pas ce que Lully a fait ? Votre fureur est bien étrange
à concevoir…
Molière S’il faut, par hasard, qu’un ami vous trahisse, que, pour avoir vos biens, on dresse
un artifice, ou qu’on tâche à semer de méchants bruits de vous, verrez-vous tout cela sans
vous mettre en courroux ?
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