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Association pour la recherche interculturelle
Bilinguisme et Altérité Indigène
Nicanor Rebolledo
Universidad Pedagógica Nacional
Introduction
Dans ce travail nous analyserons les spécificités du bilinguisme et l’altérité culturelle que révèle
une communauté d’immigrants indigènes d’origine hñähñü habitant au Mexique, ainsi que les
fonctions que joue le hñähñü dans la scolarisation des enfants d’une école primaire. La définition
du bilinguisme indigène, tout comme celle du bilinguisme en général, présente quelques
difficultés. Par exemple, on dit d’une personne d’origine indigène qui parle l’espagnol, outre sa
propre langue indigène, qu’elle est bilingue. Dans ce sens, le concept du bilinguisme est utilisé
pour décrire les deux langues que parle une personne et réfère à la capacité individuelle de parler
une ou plusieurs langues. On parle alors de bilinguisme individuel (Baker et Prys, 1998).
Cependant, la question devient plus complexe lorsque quelqu’un parle deux langues, et surtout
quand cette personne, dans certaines occasions, utilise une langue plutôt que l’autre (et plus
particulièrement quand celle-ci utilise plus fréquemment une des deux langues), comme dans le
cas des indigènes vivant dans la ville de Mexico qui parlent rarement le hñähñü. Ils utilisent
presque toujours l’espagnol pour les communications formelles alors que leur langue native
restant limitée au foyer. Il est très peu probable qu’une communauté bilingue comme celle que
nous venons de mentionner utilise les deux langues pour la même finalité. En général, une langue
l’emporte sur l’autre : l’espagnol est plutôt utilisé dans des situations déterminées et pour remplir
certaines fonctions sociales. Ce qui nous amène à conclure que l’espagnol est la langue de
prestige et le hñähñü, la langue subordonnée. Ce type de bilinguisme est connu sous le nom de
« bilinguisme individuel » ou « diglossie » (Fishmann, 1972). À partir de ces suppositions, nous
pourrions dire que le classement en tant que bilinguisme individuel ou diglossie est applicable
d’une manière ou d’une autre à la communauté hñähñü habitant dans la ville du Mexique, dans la
mesure où le hñähñü et l’espagnol sont parlés par la quasi-majorité des membres du groupe.
La question que nous voulons explorer ici est le type de bilinguisme que les enfants hñähñü
développent à l’école pour connaître les effets causés par une scolarisation exclusivement en
espagnol. En outre, d’autres questions se posent : quelle langue pourrait être utilisée dans
l’éducation des communautés bilingues? Le hñähñü, l’espagnol, ou les deux en même temps?
Simultanément, alternativement ou séparément? Le programme scolaire actuel permet aux écoles
d’offrir un enseignement alternatif en langues indigènes ou une éducation bilingue? Comment
surmonter la mauvaise performance scolaire des élèves bilingues indigènes? Il y a-t-il une
proposition pouvant faire face aux inquiétants conflits interculturels dans les écoles provoqués par
le multilinguisme exubérant et une présence indigène de plus en plus grande?
Concepts préalables
Notre analyse emprunte à l’écologie humaine (Golly, 1993 et Odum, 1986) le concept de diversité
pour définir les composantes de variété et d’abondance relative existant dans le système scolaire
et le bilinguisme. Ici, plus la variété est grande, plus la distribution des composantes du système
est uniforme et plus la diversité totale qu’il contient est grande. Dans cette perspective, nous
pouvons voir qu’un trait caractéristique du système scolaire est qu’il contient peu de composantes
communes et un nombre relativement élevé de diverses composantes. Les composantes
communes, en général, sont dominantes (homogénéisateurs) et tendent à produire un impact
appréciable sur l’ensemble des éléments divers (différenciateurs).
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De ce point de vue, dans le système écologique de l’école, la diversité apparaît d’abord comme
différente et inégale, dans une interrelation (d’échange, de transfert, de communication, de
compensation, d’exclusion et de compétence) basée sur l’échange et la coexistence compétitive
(les concepts écologiques de déprédation, de parasitisme et d’interaction positive, semblent
décrire très bien le système scolaire, au niveau de l’établissement du caractère des relations et de
la coexistence entre ses éléments). En écologie, l’élimination d’une composante par l’autre
comme résultat de la compétence entre (même ?) espèce est nommée principe d’exclusion
compétitive (Odun, 1986 :162). De cette façon, les différences dans le système scolaire seront
marquées par les traits physiques et psychologiques de la collectivité scolaire, les styles cognitifs,
les conditions économiques, mais surtout par la ou les langues parlées et leur culture, les
habitudes de travail, les règles de convivialité et les habitudes d’hygiène, le standing résidentiel et
le caractère de la migration communautaire. Ces différences sont clairement exprimées dans le
milieu scolaire et peuvent être mises à profit dans l’enseignement, en laissant de côté les visions
traditionnelles homogénéisatrices, et en accordant un rôle majeur à l’apprentissage des élèves. À
l’école, les jugements d’excellence et l’assimilation des valeurs dominantes sont quelques-unes
des tendances que le système éducatif adopte et qui finissent par convertir les différences
existantes en inégalités latentes, si bien que l’inégalité est produite là où les altérités passées par
le crible de la norme scolaire se convertissent en désavantages et se transforment en déficiences
scolaires évidentes.
Fréquemment, dans les écoles, de telles différences se transforment en inégalités avec une
certaine facilité. Accepter la différence en salle de classe conduit peu à peu à la création de
situations d’inégalité dans l’apprentissage. Les moyens les plus usuels que les systèmes
d’enseignement adoptent pour transformer la différence en inégalité sont liés à des situations
d’ordre interne et externe au système scolaire. Par exemple, la compensation, la certification et
l’échec scolaire sont des situations caractéristiques d’une atmosphère où prédominent les
différences individuelles et sociales, et ont une grande influence sur la transformation des
différences en inégalités (Oliver, 2003 :74).
Accepter la différence à l’école signifie exercer le principe fondamental de la coexistence des
composantes de la diversité, mais suppose aussi s’opposer aux inégalités. Quelques perspectives
d’utilisation de la diversité dans l’éducation (voir Ogbu, 2003), sont, en général, fondées sur la
différence et la persistance des problèmes causés par les différences culturelles et linguistiques.
Par exemple, l’altérité culturelle et la diversité linguistique à l’école, où les composantes
différenciateurs sont l’exception et non la règle, sont admises en tant que des éléments qui sont
clairement en relation avec l’inégalité et le statut social des sujets, et non comme composante de
la variété et de la richesse de ressources scolaires du système. Quelques enseignants ont recoure
à la diversité comme modèle d’enseignement, mais ils ne tardent pas à tomber dans une
obsession étrange de ségrégation et d’assimilation, de séparer et d’homologuer, de mélanger
dans la pratique pédagogique, valeurs, traditions, identités, langues, préférences et manières
d’être. La tentation de mêler les choses reflète une claire obsession pour l’indétermination, mais
laisse entrevoir aussi quelques réponses standardisées visant à ordonner le chaos engendré par
la diversité elle-même. C’est un des points les plus discutés dans les discours éducatifs
interculturels de nos jours. La « diversité créative » préconisée par l’UNESCO se heurte
fréquemment aux inventaires de traits et de valeurs indifférenciés. Cette perspective va à
l’encontre des méthodes courantes d’isolement et de contrôle des limites du contact culturel.
Le trafic social d’éléments indigènes au Mexique est un exemple de diversité culturelle, mais aussi
de présence non ordinaire du caractère indigène. C’est une claire démonstration des frontières
culturelles imposées par la diversité elle-même, de la réduction du statut indigène à une simple
présence non ordinaire et la description d’une étrange qualité errante. Le contact culturel indigène
dans la vie urbaine engendre des sentiments multiples: de l’étrangeté, de l’indifférence, du rejet,
de la compassion, de la haine et même de la répulsion. Il n’admet pas non plus l’échange, ni le
dialogue inclusif. Les personnes indigènes sont poussées vers une sphère plus marginale. Nous
pourrions dire que l’école est un site frontalier par excellence où ce sentiment d’ambivalence
s’exprime (existe ?). L’école héberge les personnes indigènes dans ses marges et les rendent
invisibles.
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Il y a un passage sombre qui exprime sans ambages les réactions suscitées par le contact culturel
avec les indigènes à Mexico : « ... les indigènes ont leurs propres habitudes qui sont étranges et
l’on permet qu’ils les expriment, qu’ils se rassemblent et qu’ils s’expriment culturellement, mais
sans qu’ils nuisent à l’ordre et à la bonne convivialité, à la normalité des relations entre voisins ».
Ces propos ont été tenus par les voisins des indigènes d’une colonie habitant le District Fédéral,
et révèlent des conflits interculturels causés par la construction d’une unité de logement d’intérêt
social destinée aux indigènes hñähñü. Dans une lettre que les voisins non-indigènes ont adressée
à la Délégation Cuauhtemoc, ils signalent que les indigènes sont régis par leurs propres moeurs et
coutumes, n’obéissent pas aux normes du bon voisinage, gênent les voisins, urinent dans la rue,
jettent des ordures, se droguent, sont agressifs, détruisent les jardins et coupent les fleurs. La
communauté non-indigène vivant à proximité des Hñähñü insiste sur le respect qui leur est dû,
mais demande qu’ils soient transférés dans un « site approprié » à ce type de gens, indigène et
migrant. Autrement dit, ils estiment que la présence hñähñü détruit le paysage urbain et l’harmonie
citadine (porphyrienne) de la ville et c’est pour cette raison qu’ils demandent que ce groupe aille
vivre ailleurs. Dans ce cas, la peur de se mélanger et le rejet sont les méthodes les plus
communes d’isolement et de contrôle des limites du contact interethnique.
Le bilinguisme des élèves hñähñü-espagnol est étudié à partir du schéma proposé par Hornberger
(2003), qui fournit des orientations pour comprendre les variétés de situations de bialphabétisation latente dans un contexte de développement et de production écrite dans les deux
langues, à l’intérieur du système écologique des langues utilisées. Le concept de bialphabétisation ou bilettrisme se réfère à toute situation où il y a une communication et une
production écrite en deux langues ou plus. Un individu, une société ou une situation peuvent
constituer une instance de bilettrisme. La proposition consiste alors à ce que toute instance de bialphabétisation se situe au long d’un continuum, au moyen duquel on peut définir le contexte,
situer le développement et la production orale et écrite en deux langues ou plus. En accord avec
cela, il y a une série de contextes et plusieurs continuums de bi-alphabétisation ; un continuum
micro-macro, oral-écrit, monolingue-bilingue ; un continuum de réception-production de la bialphabétisation individuelle ; un continuum de langue orale-langue écrite ; un continuum de
transfert de la première langue et de la deuxième langue ; les moyens de bi-alphabétisation
comprennent, un continuum d’exposition simultanée-successive ; un continuum de structure
semblable-dissemblable ; et un continuum d’écriture convergente-divergente. On suppose que la
plus grande utilisation des aspects du continuum majeur est la possibilité d’atteindre un bilettrisme
complet.
Les écoles publiques de niveau primaires fréquentées par les enfants indigènes offrent un vaste
matériel (échantillonnage ?) pour expliquer ce type d’isolement indigène et le contrôle des
frontières de contact avec les « autres » (ainsi que la dynamique relationnelle avec les
« autres » ?). Ce matériel (Cet échantillon ? Cette population ?) nous permet de faire une
incursion dans les différents aspects de la diversité culturelle et linguistique des élèves, mais aussi
d’apprécier l’éclosion d’un des stigmates qui engendrent infériorité et exclusion. Avant de passer à
l’analyse du bilinguisme et de la situation scolaire indigène, nous fournirons quelques données
concernant la population migrante indigène, qui aideront à la compréhension du contexte
communautaire et scolaire des migrants indigènes.
Migration communautaire et scolarisation indigène
La migration hñähñü a une caractéristique principale : c’est une migration communautaire qui
admet diverses formes locales et communales, et qui est en même temps renforcée par la
protection de certaines frontières acceptées par ses membres. Nous pouvons dire que les
communautés migrantes (ancrées dans des formes paysannes de vie, les traditions locales, la
langue et le bilinguisme, les systèmes de négociation et défense, la semi-scolarisation et le travail)
se sont converties dans le mappa mundi de l’identité indigène, où ils ressentent séparation et
étrangeté, ambivalence et assimilation. Actuellement ce mouvement social peut être vu comme la
trame d’un système ouvert, et le sens de communauté se maintient grâce aux fortes liaisons
extraterritoriales et aux liens qui tissent l’ambivalence et l’altérité.
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Dès les périodes précoloniales, le peuple hñähñü vit sur le haut plateau central mexicain, dans
une vaste région qui comprend aujourd’hui les états de l’Hidalgo, du Querétaro, de Mexico, du
Tlaxcala, du Puebla, du Veracruz et du Michoacán, et récemment aussi le District Fédéral (Lastra,
2001). Selon les données officielles de 2000, la population qui parle le hñähñü compte 291 722
personnes. C’est un des groupes indigènes le plus nombreux du pays et il occupe la sixième
position au niveau mondial, précédé par le náhutl, le maya, du mixtec, le zapotec et le tsotsil. La
croissance démographique du peuple hñähñü pendant les deux dernières décennies a été plus
petite que celle des autres peuples indigènes. Entre 1980 et 1990, on constate une croissance de
seulement 0,2% face à 0,9% pour les peuples indigènes mexicains, et alors qu’entre 1990 à 2000,
cette croissance a été de 0,4%, tandis que celle des peuples indigènes a été de 1,4% (Valdez,
1995).s
Actuellement le peuple hñähñü est principalement concentré dans les états de l’Hidalgo (114 043),
de Mexico (104 357), du Querétaro (22 077), du Veracruz (17 584) et au District Fédéral (17 083)
(Hirouki, 2003). Sur 22 077 habitants parlant hñähñü de l’état du Querétaro, 10 042 vivent à
Santiago Mezquititlán (SM), dans la ville d’Amealco. Cela veut dire que presque la moitié de la
population totale est concentrée dans cette communauté. On suppose par ailleurs que le peuple
d’origine hñähñü habitant dans la ville de Mexico provient en majorité de SM et maintient de forts
liens avec cette communauté en constante recomposition.
Les Santiagueros (habitants de Santiago) ont élu domicile dans quelques zones comme Mixcoac,
Roma, Tasqueña et Iztapalapa pour établir leur résidence à Mexico qui sont presque toujours
dans des bâtiments irréguliers. Dans les années 70, plusieurs familles de SM (dénommées ciaprès Santiagueros) ont commencé à occuper les rues de Los Insurgentes et Reforma pour
vendre des poupées, des sucreries et de la gomme à mâcher, ou pour pratiquer la mendicité. Les
Santiagueros étaient bien différents des « Marías » d’origine mazahua qui vendaient des fruits et
de l’artisanat. À certaines occasions ils se partageaient les mêmes locaux, mais les Santiagueros
se différenciaient précisément parce qu’ils préféraient demander l’aumône. Une enquête (Arizpe,
1972 :94) a montré que sur 20 demandeurs d’aumône (hommes et femmes) interviewés, 12
étaient Hñähñü de SM. Outre les occupations préférées et les lieux élus pour résider, les Hñähñü
sont demeurés circonscrits ethniquement à des communautés familiales disséminées au long
d’une vaste zone de la ville qui va de la colonie Roma jusqu’à Tasqueña, Iztapalapa, Coyoacán et
Mixcoac.
Les Santiagueros vivent concentrés dans sept « immeubles » situés dans la Colonie Roma,
Nativitas et Cuauhtemoc. Quelques hommes travaillent à la Ville de Mexico, sont laveurs de parebrise, marchands ambulants de sucreries et de chewing-gum alors que les femmes font des
poupées et les vendent dans la Zone Rose de Coyoacan. Elles vendent aussi des sucreries et de
la gomme à mâcher dans les rues Insurgentes et Monterrey. De temps en temps, elles quittent la
ville et restent longtemps à Cuernavaca et à Acapulco pour vendre leurs poupées.
Le processus migratoire engendré par l’épuisement des terres, le manque de productivité rurale et
la fuite de l’activité économique entraîne l’adaptation des indigènes aux grandes villes et les
demandes de ces peuples en terme de services de logement, de santé et d’éducation (Arizpe,
1972). Dans la plupart des cas, ce phénomène d’adaptation des indigènes aux grandes villes est
accompagné de l’émergence des nouvelles communautés, de la création de métiers et de réseaux
de caractère indigène sous lesquels s’amalgament les composants de la culture indigène.
Certains chercheurs (Martínez et De la Peña, 2004) analysent ce processus de changement et
d’adaptation des indigènes à la vie urbaine comme la formation de « communautés morales », qui
se reconstituent à partir d’une ethnicité composée de valeurs et de symboles ethniques, et
formulent la supposition que ce type de cohésion indigène possède un caractère holiste et
corporatif. Une des principales caractéristiques de la migration hñähñü est son mouvement
accentué de retour vers la communauté d’origine, mais elle a encore la particularité de maintenir
les groupes unis par des liens parentaux et divers rites commémoratifs. Depuis plusieurs
décennies, les Santiagueros, incluant ceux qui sont considérés comme habitants de deuxième et
de troisième génération, n’ont pas suivi une ligne fixe de filiation résidentielle. Ils sont plutôt guidés
par cet intense mouvement provoqué par la dispersion familiale et le regroupement en unités
résidentielles non-fixes.
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Le cycle rituel périodique renforce donc les liens de ces « communautés morales » quand il établit
des unités de convivialité rituelle dans les lieux indifférenciés comme à Santiago Mezquititlán, au
District Fédéral,, au Guadalajara et au Monterrey.
Ces dernières années, la population d’origine indigène en âge scolaire a augmenté de manière
remarquable au District Fédéral avec l’augmentation du nombre de problèmes scolaires, ce qui a
rendu la prise en charge des enfants bilingues encore plus complexe. Sur 12 519 enfants
indigènes âgés entre 5 et 14 ans, 10 785 fréquentent l’école. Autrement dit, presque la majorité
(95,17%) des enfants bilingues indigènes en âge scolaire fréquentent l’école. Cela veut dire que la
couverture scolaire, au moins dans ce secteur de la population, est bonne contrairement au milieu
rural. Pour cette raison, ce qui préoccupe les autorités, ce ne sont pas les droits des peuples
indigènes à l’éducation, ni le fait que les indigènes doivent être les acteurs principaux de leur
éducation, mais bien dans la manière d’assurer l’équité et la qualité dans l’éducation dispensée
dans les secteurs indigènes (Jung et López, 2003 :15). Ainsi, les programmes éducatifs accordent
une grande importance à la qualité de la prise en charge de la population indigène au District
Fédéral, qui doit respecter la diversité linguistique et culturelle dans l’éducation. D’une part, on a
créé au début de l’année 2003 le Programme d’Éducation Interculturelle Bilingue pour le District
Fédéral (PEIBDF). D’autre part, le gouvernement local a promulgué en 2002 une Loi d’Éducation
pour le District Fédéral qui confère une série de droits culturels et éducatifs, tels que la protection
et le développement des langues indigènes [IV]. Cependant, ces politiques sont loin d’éclairer le
paysage sombre des écoles, qui perpétuent de la discrimination, l’assimilation, la pauvreté et
l’échec, rendant la tâche éducative encore plus floue et très éloignée de la possibilité de mettre en
œuvre une scolarisation plus juste, surtout pour les migrants indigènes. Au District Fédéral, il y a
un nombre important d’écoles fréquentées par les enfants bilingues espagnol- hñähñü qui
requièrent, en conséquence, une prise en charge spécifique. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu
aucune réponse institutionnelle satisfaisante en terme scolaire. Nous n’apercevons pas non plus
un intérêt réel de la part des enseignants pour développer des alternatives d’apprentissage
efficaces et compter sur des éléments linguistiques indispensables à une bonne communication
interculturelle en salle de classe.
« Le hñähñü c’est beau, mais ça nuit à l’apprentissage »
Cette phrase est employée fréquemment par les enseignants non-indigènes d’enfants hñähñü.
Les enseignants s’identifient eux-mêmes comme non-indigènes et travaillent dans une école où la
majorité des élèves (85%) sont indigènes et bilingues. Ils ne parlent pas le hñähñü et ne le
comprennent pas non plus. Le milieu scolaire, construit par les enseignants non-indigènes, est un
petit cosmos bâti sur la base de normes et de finalité qui acquièrent un caractère standardisé et
cherchent à établir des rythmes figés d’apprentissage, où il n’y a de place que pour la routine et
l’ordre. Bien que les enseignants s’apitoient devant la pauvreté économique des élèves,
l’ignorance à laquelle ils sont soumis et l’espagnol limité dont ils parlent, la situation scolaire
semble suivre son cours. L’école trace ses objectifs et les enseignants résignés à l’échec
accomplissent leurs tâches quotidiennes en anticipant l’échec des élèves. Dans ce cas, la
question qui s’impose est : s’ils ne parlent ni comprennent hñähñü, comment font-ils pour
enseigner ? La réponse qui s’impose est : apprendre le hñähñü avant de commencer à
désespérer. L’ambivalence ne peut disparaître devant la compassion et l’affection, il faut tenir
compte de l’essentiel, de la nature de la compréhension et du dialogue interculturel. Le racisme
est non seulement alarmant, mais également aigu face aux visages différents. Par contre, le
racisme est occasionnellement moins criant lorsqu’on permet aux élèves de ne pas abandonner
leurs manières d’être malgré les pressions assimilatrices existant dans le quotidien scolaire.
« Le hñähñü c’est beau, mais ça nuit à l’apprentissage », c’est l’expression qui résume le mieux la
politique du langage de l’école, dans le sens qu’elle offre un large éventail de représentations
sociales ébauchant les relations diglossiques au moyen desquelles les enseignants font l’interface
avec les intérêts politiques et moraux, les conceptions du monde, les valeurs, les évaluations
implicites et les commentaires explicites à propos des relations linguistiques (Shieffeln, 1989).
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Les idéologies du langage, comme la stigmatisation, semblent être les armes les plus appropriées
pour dissimuler l’ambiguïté par laquelle on perçoit le bilinguisme et la présence d’une langue de
bas statut comme le hñähñü. Elles mettent donc en valeur la différence et justifient l’exclusion
permanente.
Il y a un ensemble de croyances (manifestées par les pères de famille, et partagées par les
enseignants) qui présupposent que le bilinguisme des élèves hñähñü affecte l’apprentissage et
retarde l’acquisition de la lecto-écriture en espagnol. Mais même une présence vivante de la
communication du hñähñü à l’école à l’intérieur et en dehors de la classe ne contribue pas à
procurer des connaissances scolaires (académique ?). Ils peuvent même penser, par exemple,
que le hñähñü oral pourrait peut-être aider à créer un climat de confiance en salle de classe et à
augmenter un peu l’estime de soi. Cependant, si on introduit cette langue dans des conditions
d’égalité avec l’espagnol, il contribuera peu à l’apprentissage scolaire. Les enseignants pensent
que « le hñähñü soustrait du temps aux heures destinées à accomplir la finalité de l’enseignement
et à l’objectif d’enseigner en espagnol » ; « l’introduction du hñähñü rend confus les enfants quand
ils apprennent en espagnol, retarde leur apprentissage et détourne leur l’attention » ; « le hñähñü
perturbe l’attention et ne facilite pas l’enseignement en sciences et autres disciplines » ; « le
hñähñü manque de concepts scolaires permettant de travailler des domaines distincts du
programme » ; « nous investissons beaucoup de temps pour corriger les vices de langage des
enfants hñähñü » ; « il ne leur sert à rien de leur apprendre à parler le hñähñü s’ils le savent
déjà » ; « il ne sert à rien de leur apprendre à écrire le hñähñü puisque l’essentiel c’est qu’ils
apprennent l’espagnol » ; « les élèves hñähñü ne font pas les devoirs, ils n’ont pas l’habitude
d’étudier en dehors de l’école » ; « les Hñähñü sont très souvent absents des cours parce qu’ils
travaillent et voyagent vers leurs villages ». Finalement, les enseignants estiment que
l’apprentissage de deux langues multiplie les tâches scolaires, car ils entendent qu’ils doivent
travailler avec les deux langues.
Les enseignants non-indigènes considèrent qu’ils ne sont pas préparés pour faire face à ce type
de situation bilingue et ils ne se sentent pas engagés envers le développement scolaire fondé sur
la culture indigène. Au contraire, ils pensent que si les élèves continuent à utiliser le hñähñü à des
fins scolaires, ils risquent des échecs encore plus graves et peuvent s’écarter plus facilement des
objectifs d’apprentissage.
Il y a des raisons politiques et pédagogiques qui confirment l’importance du bilinguisme dans
l’éducation et l’utilisation des langues des élèves bilingues dans le processus d’enseignement.
Ces raisons présupposent, dans ce cas, le maintien et la revitalisation du hñähñü. Par exemple, la
valorisation du hñähñü, le resserrement de la communication entre les différentes communautés
linguistiques, le renforcement de l’identité de ce peuple et le droit de recevoir une éducation dans
sa propre langue. Cependant, la raison la plus puissante (importante ? la principale raison ?)
consiste à consentir à ce que le hñähñü ait des fonctions scolaires. Outre ces arguments qui
parlent en faveur de notre proposition sur l’éducation bilingue, il y a dans le domaine de la
scolarisation bilingue de nombreuses recherches (voir par exemple la révision de Cummins, 2000
et 2005) dont l’objet d’étude est le développement continu de la première langue (L1) et de la
deuxième langue (L2), qui considèrent comme bénéfique le bilinguisme des élèves pour atteindre
des avantages cognitifs. Ces avantages concernent des gains au niveau cognitif, sur le plan de la
conscience linguistique, de la méta-cognition, de la sensibilité communicative, et aussi des
habiletés mathématiques (voir, par exemple, Wei, 2000 ; Durgunoglu, 1997). Un thème de grande
importance dans cette discussion est la relation entre les deux langues pour le développement
des habilités de lecture et d’écriture (Cummins, 2002, Durgunoglu, 1997), en ce qui concerne les
conditions dans lesquelles on encourage le transfert de ce type d’habileté entre les langues.
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« J’apprends en espagnol, mais je comprends mieux en hñähñü »
C’est une phrase faite par des enfants hñähñü quand on leur a demandé si l’apprentissage en
espagnol était meilleur que celui en hñähñü. Les réponses sont variées et selon quelques enfants,
on n’apprend presque rien en espagnol ou il est difficile d’apprendre. Selon d’autres, ce serait
mieux s’ils apprenaient en hñähñü, car ils en profiteraient davantage sur le plan scolaire.
Cette phrase montre également la tendance du système éducatif à éclipser les langues indigènes
dans le but d’enseigner seulement en espagnol. Ainsi, le système éducatif ne confère pas un rôle
spécifique aux langues indigènes dans l’enseignement, et cette situation sera difficile à renverser.
Dans le programme bilingue que nous tenons à développer, l’enseignement en L1 n’implique pas
un développement moindre en L2. Les contenus qui sont enseignés en L1 ne diminuent pas les
possibilités d’acquisition de connaissances en L2. Au contraire, les élèves bilingues peuvent, dans
certaines conditions, bénéficier au niveau cognitif et scolaire de leur bilinguisme. Cette proposition
rentre en contradiction avec l’hypothèse du temps d’exposition, qui estime que pour
l’apprentissage de la deuxième langue, il faut un certain temps d’enseignement. Ce qui laisse
supposer que le temps consacré à la L1 peut nuire au développement de la L2, et par conséquent
il peut mener à des situations d’échec scolaire lorsqu’on évalue les résultats de l’enseignement en
L2, ou en L1. Ces suppositions, tout comme une interprétation erronée des raisons du succès de
quelques programmes d’immersion, peuvent conduire à des décisions éducatives d’immersion
précoce en L2, et fonctionner comme argument pour ceux qui sont contre l’éducation bilingue, ou
même pour ceux qui lui sont favorables (Cummins, 2000 et 2005).
Aujourd’hui on continue de croire à l’idée d’enseigner séparément L1 et L2, parce que l’on pense
que c’est la manière plus correcte d’alphabétiser et la meilleure garantie de reprendre avec succès
la deuxième langue [VII]. Toutefois, cette idée a également donné naissance à d’autres
propositions qui montrent que l’enseignement d’une deuxième langue forme un champ
pédagogique particulier et un domaine spécifique d’attention (López, 2003). Ces aspects semblent
résulter de discussions très centrées sur la dichotomie du bilinguisme addition/soustraction, dans
laquelle le bilinguisme additif est considéré comme la manière dont les élèves peuvent ajouter une
ou plusieurs langues à leur répertoire linguistique. De cette façon, ils acquièrent des habiletés et
des compétences cognitives, sociales et scolaires ; ce processus peut être associé à un haut
niveau de compétence dans les deux langues, favorable à l’estime de soi, et à des attitudes
interculturelles positives. Le bilinguisme soustractif, par contre, concerne la situation dans laquelle
les élèves sont forcés à mettre de côté leur langue, et à utiliser une autre langue considérée
comme de plus grande utilité et prestige national (étant plus utile et plus prestigieuse sur le plan
national) ; il s’agit d’un processus associé aux bas niveaux d’acquisition de la deuxième langue,
au nombre réduit de succès scolaires et aux problèmes psychologiques accentués (Lambert,
1984).
Nous allons discuter maintenant si le hñähñü doit être introduit avant l’espagnol ou si nous
pouvons introduire les deux langues en parallèle sans préjudice pour l’apprentissage. Par
exemple, Cummins (2005) recommande qu’on introduise d’abord la langue subordonnée qui est
menacée, puis la langue de prestige et de communication interculturelle lorsqu’il y a présence
d’une langue de bas prestige social dans un environnement scolaire bilingue. Cela permet de
renforcer l’identité des élèves et d’utiliser cette identité comme outil d’apprentissage. Cependant,
le plus important est d’établir la séparation spatiale et temporelle entre les deux langues dans le
processus spécifique d’enseignement et de préférence dans le cadre du programme général de
manière à éviter dans la mesure du possible le contact entre les deux langues et à prévenir
certaines tensions typiques causées par l’interaction linguistique en classe (propres des modèles
basés sur le codeswitching). Autrement dit, l’acquisition d’une langue doit précéder l’acquisition de
l’autre. Cette argumentation est basée sur les expériences scolaires de double immersion et sur la
théorie de l’interdépendance proposée par Cummins, qui suppose une relation cognitive et sociale
étroite de L1 et L2. Dans un autre moment nous discuterons, à la lumière des résultats, de notre
programme ces modèles d’immersion et la théorie de l’interdépendance.
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Association pour la recherche interculturelle
Sous réserve d’une évaluation spécifique sur l’acquisition de la lecto-écriture en hñähñü, nous
pouvons conclure que l’introduction du hñähñü dans le programme scolaire renforce l’identité de
l’élève, crée un climat de confiance et les élèves acquièrent plus rapidement la lecto-écriture en L2
[VIII]. Nous estimons également que le hñähñü, comme langue d’enseignement, a donné de
meilleurs résultats scolaires vu qu’il contribue à la compréhension et au développement des
contenus en espagnol (même quand le hñähñü est introduit uniquement pour renforcer
l’apprentissage de l’espagnol). Il nous reste à ajouter à notre analyse de plus grands éléments
empiriques du processus afin de connaître en profondeur le rôle spécifique de l’enseignement du
hñähñü dans l’acquisition de la lecto-écriture dans les deux langues. Il nous reste aussi à savoir si
l’enseignement en hñähñü favorise l’acquisition de la lecto-écriture en espagnol ou s’il y a des
éléments perturbateurs dans l’enseignement qu’il faut éviter dès le début.
Yoho ya reta/Ñhu ya näte
Le programme bilingue hñähñü-espagnol Yoho ya reta/Ñhu ya näte que l’on propose consiste à
accorder 40% du temps d’enseignement pour le hñähñü et 60% pour l’espagnol. Avec cette
proposition nous cherchons à introduire le hñähñü dans le programme scolaire comme langue
d’enseignement et comme langue d’apprentissage, fondés sur l’idée de redonner de la vigueur à
son usage social et scolaire [IX]. Nous partons de la supposition que les deux langues ont le
même niveau d’importance dans l’enseignement. Le discours pédagogique devra donc aborder
les différents niveaux et les différentes fonctions des deux langues [X]. La proposition ne reconnaît
pas seulement la position subordonnée du hñähñü face à l’espagnol, mais elle se fixe comme but
de renverser cette situation. Le hñähñü a des fonctions sociales et économiques restreintes (on le
parle à la maison et très peu dans la rue même entre les membres indigènes du groupe, il n’y a
pas de sources écrites qui les aident à pratiquer la lecture, etc.). L’espagnol, par contre, est la
langue de l’intercommunication et la langue du développement économique et éducatif. Cet
ensemble de conditions exige une prise de décision raisonnable.
Le processus d’acquisition de l’écriture et de la lecture, et de l’enseignement dans les deux
langues, consiste :
a
La séparation des langues par le travail spécifique des thèmes, dans le temps et dans
l’espace (on travaille deux jours en hñähñü et trois jours en espagnol dans des classes
différentes).
b
Les élèves développent le hñähñü oral et écrit, et en même temps ils acquièrent l’espagnol
oral et écrit, sans alterner les langues en salle de classe et sans traduire.
c
Dans l’utilisation orale et écrite du hñähñü (40%) et de l’espagnol (60%) en salle de classe.
Les deux langues constituent un point essentiel dans la formation du sujet, du développement
scolaire et d’instruction et de la communication interculturelle.
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