Dossier pedagogique - Ressacs - TMG16-17

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Dossier
pédagogique
Ressacs
Adultes ados
Théâtre d’objet
Du 16 au 21 mai 2017
Durée: 60 minutes
Autour du spectacle:
Atelier pour les professionnels L’acteur face à l’objet
Du 16 au 20 mai 2017
Un spectacle de la Cie Gare centrale (BE)
De et par: Agnès Limbos et Gregory Houben
Regard extérieur et collaboration à l’écriture: Françoise Bloch
Musique originale: Gregory Houben
Scénographie: Agnès Limbos
Costumes: Emilie Jonet
Conception et réalisation ferroviaire:
Sébastien Boucherit
Régie et assistanat technique:
Jean-Jacques Deneumoustier,
Gaëtan van den Berg, Alain Mage
Aide à la construction: Didier Caffonnette, Gavin Glover,
Julien Deni, Nicole Eeckhout
Effets spéciaux: Nicole Eeckhout
Représentations - Mai 2017
(les classes peuvent assister aux représentations publiques)
Ma.
Me.
Je.
Ve.
Sa.
Di.
16.05
17.05
18.05
19.05
20.05
21.05
20h00
19h00
19h00
19h00
19h00
17h00
Contact Écoles:
Joëlle Fretz I Tournées, Écoles, Ateliers
Rue Rodo 3 I 1211 Genève 4
T: +41 (0)22 807 31 06 I E-mail: [email protected]
Théâtre des marionnettes de Genève 2016-2017
Dossier pédagogique: Ressacs
L’HISTOIRE
Perdu en pleine mer, un couple dérive sur un minuscule rafiot. Pris dans la tourmente, ils ont
tout perdu. Plus de maison avec son french garden, plus de voiture chic et confortable, plus
de whisky à 18 heures. La banque a tout repris. Au moment où tout espoir semble envolé, ils
accostent sur une île et découvrent des ressources naturelles inexploitées par les habitants. Et si
c’était le moyen de remonter la pente ? Encore faut-il que le rêve de l’un soit toujours en phase
avec le rêve de l’autre... L’artiste belge, maestra du théâtre d’objet et comédienne de haute
volée, retrouve le trompettiste Grégory Houben, son partenaire dans le spectacle Troubles, qui
nous contait, avec un humour pince-sans-rire et décalé, un amour plus aussi radieux que ce
qu’il avait pu être par le passé.
Le duo, assis devant une table, déplace les objets avec une grande précision, attirant notre
regard sur un détail pour un effet zoom, ou sur l’ensemble pour nous donner un plan large,
comme dans un film. Le couple d’opérette chante et joue de la musique, en particulier de l’orgue de plastique. Comme toujours avec Agnès Limbos, on est de plain-pied dans le burlesque
et le carton-pâte mais dans le fond, l’émotion est assurément tragique. Ressacs, c’est l’histoire
de gens ordinaires, désespérément centrés sur leur petite personne, qui se métamorphosent
en monstres cupides. Un spectacle sur la crise personnelle et politique, sur le pouvoir et la soif
de l’or, qui met le doigt sur la banalité de l’oppression.
Texte de Bertrand Tappolet
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Dossier pédagogique: Ressacs
ET VOGUENT LA CRISE ET LES CONQUÊTES
Entretien avec Agnès Limbos
Le champion lausannois de tennis Stanislas Wawrinka s’est fait tatouer en anglais sur l’avantbras-droit, la célèbre citation de Samuel Beckett extraite de sa pièce, Cap au pire: « Déjà
essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » Est-ce que
ces mots résument la destinée du couple de Ressacs ?
Je pense que oui. La tirade beckettienne reflète non
seulement le mouvement et l’intrigue de Ressacs,
mais aussi ce que la société semble nous demander
sans trêve: ne jamais abandonner, poursuivre coûte
que coûte, toujours plus loin. La fable est partie de
la crise des subprimes en 2008 et la ruine qui toucha
des millions de personnes à travers le monde, devant
céder des biens immobiliers et matériels acquis par
crédit.
Agnès Limbos (c) DR
Sur l’atmosphère de la pièce, on est assez proche de ces mélanges entre quotidienneté et
absurde surréaliste qui font la saveur d’un certain cinéma et théâtre en Belgique. Depuis toute
petite, je baigne dans cette manière décalée, à la fois grave, légère, loufoque, dramatique
et comique de voir les choses. On ne peut ainsi s’empêcher de tourner en dérision ce qui nous
arrive ou ce qui advient aux autres. Et d’y trouver un humour salutaire et révélateur des failles
et bassesses humaines.
La question des subprimes est arrivée au cours d’un travail qui interrogeait d’abord la notion
aujourd’hui de « grande conquête ». Que l’on se souvienne ici de ces conquistadors partis,
sous couvert de supposée découverte, exploiter, piller et violenter les populations indigènes. A
quoi cette idée correspondrait de nos jours.
Vous abordez la présence coloniale belge en Afrique de manière singulièrement vitriolée et
acide. Ce, notamment avec l’évocation de mains coupées remontant à Léopold II, Roi de Belgique qui établit un système colonial d’une extrême brutalité au Congo à la fin du 19e siècle.
C’est une dimension qui fait partie de ce que l’on pourrait appeler le « patrimoine » belge. Enfant, j’ai vécu au Congo et ai traversé, au sein d’une famille de cinq enfants vivant en brousse,
les événements des années 60, dont les guerres civiles (100’ 000 morts, ndr) entre 1960 et l’accession au pouvoir de Mobutu en 1965. Nous avons d’ailleurs dû fuir le pays.
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Le Congo est ainsi une partie de mon enfance que j’ai beaucoup questionnée. Ce, notamment à la lecture de ce magnifique essai écrit comme un roman, Congo, une histoire signé
David Van Reybouck. L’auteur retrace, analyse, conte et raconte 90 000 ans d’histoire : l’Histoire d’un immense pays africain au destin violenté. Et basé sur un texte du même écrivain, un
monologue théâtral, Mission, m’a marquée. Il raconte comment au Congo, dans la brousse,
le métier de missionnaire est aussi exaltant que complexe et dérisoire face à la tâche démesurée. Le missionnaire évoque sa vocation, ses doutes sur la foi, les souffrances des Africains et
l’arrogance des Occidentaux. Ma génération a grandi avec le poids des préjugés coloniaux
qui affirmaient le supposé « caractère inférieur des Africains ». Des clichés qui ont la vie dure
jusqu’à maintenant.
Comment est né ce spectacle ?
J’ai un grand « magasin » avec plein d’objets, et une étagère spéciale. Elle recueille des objets
qui deviennent fétiches, obsessionnels, comme le petit bateau ou la caravelle. Ressacs est
parti du petit bateau. Un ressac, c’est une grande vague qui vient, frappe et repart vers la mer.
Or au sein de ce couple, les personnages sont continument malmenés, bousculés. Ils pensent
que ça va aller et leur entreprise tombe à néant.
Je trouve que la métaphore d’un petit bateau perdu au milieu de l’océan symbolise ce couple complètement paumé. À travers lui, tout le monde peut se reconnaître. Et puis il y a les
caravelles, Christophe Colomb, les grandes conquêtes, l’aventure coloniale belge au Congo
qui revient sous d’autres formes. Le titre de la pièce, Ressacs, me semble bien traduire ce mouvement-là.
Quelles sont, à vos yeux, les singularités du théâtre d’objet ?
La différence avec la marionnette, c’est que l’on ne manipule pas vraiment. On déplace
l’objet, créant des tableaux vivants qui fuient le réalisme. La marionnette est fabriquée pour
le théâtre, mais les objets sont squattés, ils sont pris en otage tant ils furent glanés. Le théâtre
d’objet utilise beaucoup la métaphore. Plutôt que les mots, on place un objet qui évoque
quelque chose. C’est un langage, une forme poétique, qui permet d’envoyer des images au
spectateur, puis chacun peut faire son chemin.
On pourrait dire que l’on accomplit un travail de conteur. On n’arrête pas d’incarner, de désincarner, d’être en distance ou d’être dedans. C’est un langage éminemment cinématographique, avec des cadrages qui utilisent le gros plan, le plan large ou serré. Ici, on zoome sur
nous : notre visage, la main. Là, on se focalise sur l’objet. C’est dans ce va-et-vient que tout se
construit.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
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Théâtre des marionnettes de Genève 2016-2017
Dossier pédagogique: Ressacs
PROPOSITION D’ACTIVITÉ PÉDAGOGIQUE
Dans Ressacs, il est question de réussite et d’ascension sociale, à travers l’acquisition
de signes distinctifs. En prenant pour exemple un couple en faillaite pendant la crise
des subprimes, Ressacs dépeint avec ironie l’éffondrement du « American way of life »
et le dénuement du « self-made man » face à l’implosion du « rêve américain ».
L’occasion de se pencher sur le sens de ces trois notions...
> Qu’est-ce que le « rêve américain » ?
Definition: « Le rêve américain (American Dream en anglais) est l’idée selon laquelle
n’importe quelle personne vivant aux États-Unis, par son travail, son courage et sa détermination, peut devenir prospère. Si cette idée a été incarnée par plusieurs personnalités ou émigrés revenus investir dans leurs pays d’origine, la réalité sociale américaine
a fait déchanter de nombreux immigrants. Ce concept a néanmoins été, et demeure
encore un des principaux moteurs du courant migratoire vers les États-Unis, l’un des plus
importants dans l’histoire de l’humanité.
La notion de cette possibilité pour n’importe quel immigrant de réussir à partir de rien, a
été fortifiée par l’étendue territoriale, les ressources naturelles, et le libéralisme politique
et économique qui caractérisent les États-Unis. Cette idée est aussi vieille que la découverte du continent américain, même si sa formulation a évolué (on peut ainsi penser au
mythe de l’Eldorado, et à la conquête de l’Ouest).»
Source : Wikipedia «Le rêve américain»
=> Donnez des exemples de films qui ont pour
sujet le rêve américain (Forrest Gump, American
Beauty, À la recherche du bonheur, etc.)
Image: Charles Bataille, Le rêve américain
> Qu’est-ce que le « self-made man » américain ?
« Homme ayant acquis sa fortune ou son statut social, par son mérite personnel, en
partant de rien ou avec peu de chose. »
Source : https://fr.wiktionary.org/wiki/self-made-man
=> Donnez des exemples de « self made men » américains réels (Donald Trump, Arnold Schwarzenegger, Steve Jobs,…) ou sortis de films et de la littérature…
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> Qu’est-ce que le « American way of life » ?
« L’American way of life, ou mode de vie américain en français, est une expression
désignant une éthique nationale ou patriotique américaine qui prétend adhérer aux
principes élaborés dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis : la vie, la liberté
et la recherche du bonheur. Elle peut aussi bien se référer plus généralement au mode
de vie du peuple des États-Unis.
Le sens de l’expression dépend largement de qui l’utilise : pour la gauche américaine, elle peut signifier un
esprit démocratique ou bien anti-autoritaire ; pour la
droite, elle est souvent associée au rêve américain et
à la notion de l’« exceptionnalisme américain » (en
anglais : « American exceptionalism », conviction que
la nation américaine a un destin unique et à part des
autres nations du monde).»
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/American_way_of_life
« Le mode de vie américain (American Way of Life) affirme la valeur suprême et dignité de l’individu. C’est le bonheur de l’individu qui est priorisé. Le but ultime de l’individu est de devenir le meilleur de soi lors de sa quête du bonheur. Tout ceci se fait
en consommant pour être heureux. C’est l’idéologie américaine. Pour être heureux, il
faut tout avoir, que ce soit par biens matériels ou autres. Par le “American Way of Life”
il est possible pour un individu n’ayant rien, de se construire une fortune et en quelques
sortes “améliorer son sort”. »
Source : https://sites.google.com/site/heccultureetmouvementdepensee/3-canada-contemporain/american-way-of-life
=> Connaissez-vous ces trois notions?
=> Comment le « rêve américain » et le « American way of life » sont-ils « exportés » à
l’étranger ?
=> Est-ce que vous vous identifiez avec le rêve américain ? Le self-made man? Le
American way of life? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi ?
=> Comment est-ce que Ressacs joue de ces trois notions ? Quel est le « ton » adopté
dans le spectacle ? Donnez des exemples…
=> Est-ce que les protagonistes arrivent à se « libérer » de ces idées? Si oui, comment?
Si non, pourquoi ?
=> Quel rôle joue la « consommation » dans la poursuite d’une ascension sociale et
pour l’accomplissement personnel ? Et pour vous ?
=> Qu’est-ce qu’une société de consommation ? Selon vous, la consommation estelle synonyme de réussite ?
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PROPOSITION D’ACTIVITÉ PÉDAGOGIQUE:
LA CRISE FINANCIÈRE
Questions possibles:
- Qu’est-ce qu’une crise financière ?
- Quelles peuvent être les raisons pour une crise financière ?
- Avez-vous un exemple récent d’une crise financière ?
- Comment cette crise financière est-elle survenue ? Quelles ont été ses répercussions
dans le monde entier ?
- Comment agissent les gouvernements / banques centrales pour endiguer une crise
financière ?
- Qu’est-ce qu’une faillite personnelle ? Comment peut-elle survenir ? Comment peuton la prévenir ?
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PROPOSITION D’ACTIVITÉ PÉDAGOGIQUE:
LA COLONISATION
Questions possibles:
- Qu’est-ce que la colonisation ?
- Pourquoi les pays européens ont-ils décidé de coloniser l’Afrique au XIXème siècle?
- Quels étaient les pays européens qui avaient le plus de colonies ?
- La notion de colonisation est souvent assimilée à l’impérialisme et à l’esclavage.
Pourquoi ?
- À qui bénéficie la colonisation ?
- Quelles ont été les conséquences de la colonisation pour les pays colonisés?
- Comment les colonies ont-elles pu retrouver leur indépendance ?
Expliquez les citations ci-dessous:
« Périssent nos colonies plutôt qu’un principe ! » Camille Desmoulins/Robespierre
« Les vraies colonies d’un peuple commerçant, ce sont les peuples indépendants de toutes les
parties du monde. Tout peuple commerçant doit désirer qu’ils soient tous indépendants pour
devenir plus industrieux et plus riches. Tout peuple commerçant doit désirer qu’ils soient tous
indépendants pour devenir plus industrieux et plus riches, car plus ils seront nombreux et productifs, plus ils présenteront d’occasions et de facilités pour les échanges. Ces peuples alors deviennent pour nous des amis utiles, et qui ne nous obligent pas de leur accorder des monopoles
onéreux, ni d’entretenir à grands frais des administrations, une marine et des établissements
militaires aux bornes du monde. Un temps viendra où on sera honteux de tant de sottise et où
les colonies n’auront plus d’autres défenseurs que ceux à qui elles offrent des places lucratives
à donner et à recevoir, le tout aux dépens des peuples. » Jean-Baptiste Say
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SUR LES TRACES DU THÉÂTRE D’OBJET
> Genèse du théâtre d’objet
Plusieurs compagnies sont à l’origine du théâtre d’objet, à la fois du terme et de la pratique:
le Théâtre de cuisine de Christian Carrignon et Katy Deville, mais aussi le Théâtre Manarf de
Jacques Templeraud et le Vélo Théâtre de Charlot Lemoine et Tania Castaing. Ces trois compagnies ont inventé, ensemble, le Théâtre d’objet: à la fin des années 1970 pour ce qui est de
l’esthétique, le 2 mars 1980, très précisément, pour l’appellation. Voici leur manifeste:
«
Le terme “théâtre d’objet”,
largement repris depuis, fut
prononcé pour la première fois
à l’aube des années 80.
A cette époque, nous cherchions avec nos complices, – le
Vélo Théâtre et le Théâtre Manarf – , une appellation commune pour des préoccupations
esthétiques et éthiques partagées. Un autre nom pour une
pratique théâtrale libérée de la
toute-puissance du texte et des contraintes imposées par les conventions de la marionnette.
Oh, bien sûr, au moment où nous l’avons vécu, ça n’avait pas encore l’accent de l’épopée !
Mais la légende s’invente avec le récit.
Après s’être perdus sur des chemins de campagne, nous étions enfin tous réunis et nous nous
réchauffions autour d’une table. Nous parlions de nos jeunes spectacles, Paris Bonjour, L’Opéra
Bouffe, Le Pêcheur, minuscules bricolages pour 50 personnes, sur lesquels nous n’arrivions pas à
coller de nom. Et c’est au milieu des verres et des assiettes qui s’entrechoquent, que l’expression «
théâtre d’objet” est tombée sur la table de la cuisine. Sans fracas. Ni majuscule.
Quand on y repense … entre la grandeur du mot théâtre et la petitesse de l’objet, existait un précipice. Et il en fallait, de l’énergie poétique au spectateur pour refermer les lèvres de l’abîme…
Le théâtre d’objet était né.
Mais il fallait encore lui rechercher une famille. Du côté des fondateurs de la modernité, bien sûr !
Et ils se sont donc inventés des pères : Bertolt Brecht, Tadeusz Kantor, Marcel Duchamp, Max Ernst
»
et les surréalistes, Franquin, Hergé, sans oublier Gaston Bachelard le “poète des lieux ordinaires”
et les écrivains du quotidien. Sacrée famille, non ?!
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Dossier pédagogique: Ressacs
Théâtre des marionnettes de Genève 2016-2017
«
Le cinéma, l’entre-deux-guerres, l’enfance et le plastique des années 60… sont ainsi devenus
leur aire de je(ux).
Né de notre temps et de notre société dans une Europe envahie par les objets made in China, le théâtre
d’objet s’est nourri de ruptures et de collages. Il est
le point de convergence entre le cinéma, les arts
plastiques, le théâtre, les marionnettes et la société de
consommation.
Sans doute est-ce notre manière à nous d’apprivoiser le monde, de répondre à son morcellement… en
recollant les morceaux. Quoiqu’il en soit, notre théâtre
est fait à la main, et son histoire part de nous, d’une
histoire sans importance. Celle des petites gens.
Avec nos petits objets en plastique récupérés, objets pauvres, objets de peu, nous bricolons un
théâtre de l’intime, et tentons d’atteindre l’imaginaire collectif à travers notre imaginaire. Ces
objets font partie de nos vies. Au premier coup d’œil, on est capable de les reconnaître. Ce sont
des objets de reconnaissance. On se reconnaît en eux. Je veux dire qu’ils nous reconnaissent. Et
nous leur sommes reconnaissants.
Et comme on les a eus à la maison, tous les jours, objets quotidiens, discrètement pesants sur
l’insouciance des jours, ils ont accumulé les souvenirs. Il suffit de les secouer pour que la mémoire
d’une société en tombe. Pas la mémoire des grands évènements, juste la mémoire de l’infra –
ordinaire disait Perec ; celle au ras de la vie. Modeste et touchante.
Dans notre théâtre d’objet, on parle des gens. Pas d’autre chose.
»
Katy Deville et Christian Carrignon
Photo: Christian Carrignon et Katy Deville (c) DR
et Christian Carrignon (c) Michel Tremblay
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Dossier pédagogique: Ressacs
> Théâtre d’objet et marionnette
Souvent assimilé à la marionnette, le théâtre d’objet s’en distingue pourtant profondément.
Jean-Luc Mattéoli, qui a dédié son doctorat à l’objet pauvre sur les scènes contemporaines
françaises, pointe les différences et parallèles.
«
En règle générale, le théâtre d’objet a été appréhendé, depuis une trentaine d’années, à
partir du champ de la marionnette : ce mode de recherche a été l’occasion de réelles avancées théoriques, mais aussi, souvent, au début, de disputes âpres et d’incompréhensions.
Parce qu’ils usaient d’objets, objecteurs et marionnettistes se retrouvaient dans les mêmes festivals ; mais les marionnettistes renvoyaient les objecteurs vers le théâtre d’acteurs, tandis que ces
derniers les trouvaient « jeune public ». Or nul ne songe plus aujourd’hui à nier le lien avec la marionnette. Certains des créateurs du théâtre d’objet en viennent, et en conviennent ; la filiation
est (tout) simplement, indirecte, tortueuse, voire incestueuse.
« Avec le temps qui passe », déclare Christian Carrignon, « il nous semble maintenant que la
marionnette et le théâtre d’objet ont un point commun : c’est dans la distance que le comédien
entretient avec son univers. Ils ont « l’effet d’étrangeté » en commun, voilà la vraie rencontre. Et
non la manipulation d’objets, trop propre à la marionnette. La marionnette et le théâtre d’objet
sont cousins germains. Ils se croyaient sœur ainée et frère cadet ! » (…)
Alors, c’est quoi le théâtre d’objet – où plutôt, c’est où ? Il semble que ce ne soit qu’un lieu précaire, un équilibre, une intersection. (…) Pour [Michel Laubu] le théâtre d’objet se situe « au carrefour des arts plastiques, de la musique, de la danse, du théâtre et des sciences physiques quel-
»
que-fois », alors que Christian Carrignon l’établit « au point de convergence de plusieurs langages
: le cinéma, les arts plastiques, le théâtre, les marionnettes, la société de consommation ».
Source: Jean-Luc Mattéoli, Introduction, dans Christian Carrignon, Jean-Luc Mattéoli, Le théâtre d’objet,
Encyclopédie fragmentée de la marionnette, Vol. 2, Editions Themaa, Paris 2009, p. 7-8
> Un théâtre minimaliste pour parler des excès la société de consommation
Si dans Ressacs la société de consommation est dans le collimateur, cela ne relève pas du hasard. La naissance du théâtre d’objet coïncide avec l’avènement de la société de consommation, telle qu’elle a été observée par le sociologue français Jean Baudrillard et dans laquelle
l’objet devient vecteur d’identification.
« Pour Jean-Luc Mattéoli, (...), [la] naissance [du théâtre d’objet] s’est faite dans et contre l’invasion des objets de la société de consommation. Elle a eu lieu, pour Christian Carrignon, dans
le contexte d’une Europe envahie par les objets made in China. Il s’agissait pour les artistes de
lutter contre la tyrannie de cette vague montante d’objets, selon l’expression de Roland Schön
- autre artiste français de Théâtre d’objet. Cela passe par un art « pauvre » : face à la profusion
à outrance, choisir d’enchanter le monde avec « rien » ou du moins pas grand-chose, (...). »
Source : Justine Duval, Le parti pris des choses, dans L’intermède, Paris, 31 oct. 2012 - http://www.lintermede.com
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Dossier pédagogique: Ressacs
Analyse de La société de consommation de Jean Baudrillard
«
Andreas Gursky, 99 cent
La société de consommation, de Jean Baudrillard, est une contribution essentielle à la so-
ciologie et à la philosophie contemporaines, à la hauteur de La Division du Travail de Durkheim
ou de L’Ethique protestante ou l’Esprit du capitalisme de Weber.
Pour Baudrillard, la consommation est le trait majeur des sociétés occidentales, la “réponse
globale sur laquelle se fonde tout notre système culturel“. La thèse de Baudrillard est simple : la
consommation est devenue un moyen de différenciation, et non de satisfaction. L’homme vit
dans et à travers les objets qu’il consomme. Mieux même, ce sont les objets qui nous consomment. En corollaire de cette thèse fondamentale, Baudrillard argue que l’objectivation des relations sociales, celle du corps et des individus, ont pris le pas sur le sujet. Le monde réel a disparu
selon lui, remplacé par des signes du réel, venant donner l’illusion du vrai monde.
Si l’homme moderne s’est construit grâce aux objets qu’il a crée (cf. Descartes “se rendre
comme maître et possesseur de la nature“), l’homme de la société de consommation vit dans
une abondance, une surabondance de produits et d’objets qui finissent par le posséder. Dans
ce culte de la profusion, dont les magasins ou moles américains sont les archétypes, les individus
doivent y trouver leur accomplissement, le seul salut offert par la modernité.
La société de consommation vit dans un mouvement contradictoire, dialectique : créer des
objets pour s’accomplir, puis les détruire pour exister. Ceci accroît la dépendance de l’homme
à l’égard de la matière (“La société de consommation a besoin de ses objets pour être et plus
précisément elle a besoin de les détruire“).
Par rapport à la philosophie classique (de Kant à Husserl), où le sujet constitue l’objet, la pensée
»
de Baudrillard pose qu’aujourd’hui, c’est l’objet qui fait exister le sujet. Il s’agit donc, à nouveau,
d’une sorte de révolution copernicienne, à l’envers.
Source: http://la-philosophie.com/baudrillard-societe-consommation
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Dossier pédagogique: Ressacs
> Agnès Limbos et le théâtre d’objet
Souvent appelée « la grande dame belge » du théâtre d’objet, Agnès Limbos se produit sur les
scènes du monde entier. Passionnée depuis toujours par la puissance de l’objet, elle fonde en
1984 la Compagnie Gare Centrale et développe une recherche artistique autour du théâtre
d’objet et de l’acteur manipulateur. Auteure, comédienne et metteure en scène, elle a notamment été invitée à créer Axe dans le cadre du festival XS du Festival d’Avignon en 2016.
Qu’est-ce qui caractérise plus particulièrement son travail ?
« Depuis toujours, Agnès Limbos aime les objets kitchs, surtout
les miniatures. Elle les récolte, les classe, les entrepose et s’en
sert comme d’une matière première pour ses spectacles. En
juxtaposant des éléments qui n’ont aucun rapport entre eux,
elle crée des associations d’idées et des tremplins pour l’imaginaire. Les petits chalets suisses, les figurines en plastique, les
boules à neige et autres jouets manufacturés deviennent alors
des métaphores de nos rêves et de nos angoisses. Sans ironie, mais avec beaucoup d’humour, elle joue avec ces «lieux
communs» pour subvertir les stéréotypes et aller au plus profond des émotions. Depuis trente ans, au fil des spectacles nés au sein de sa compagnie Gare
centrale, Agnès Limbos élabore une forme singulière de théâtre concret et poétique. Les objets, le jeu clownesque et le texte se conjuguent pour raconter le ridicule et la cruauté du monde, non sans tendresse, depuis Petit Pois, premier spectacle personnel, jusqu’à Conversation
avec un jeune homme, où se rencontraient une
vieille lady et un jeune faune des bois. Actricecréatrice, Agnès Limbos confie la mise en scène
de Ressacs à Françoise Bloch, qui avait déjà
accompagné Petites Fables, le grand succès
de la compagnie. Avec d’autres compagnies
comme le Théâtre de Cuisine et le Vélo Théâtre, Agnès Limbos est de ceux qui ont ouvert un
nouveau chemin pour le théâtre « avec » des
objets. Elle transmet sa démarche théâtrale en
accompagnant de jeunes artistes dans le cadre de « Squattages poétiques » et en donnant
de nombreux stages de formation. Il y a chez cette artiste bruxelloise une forme d’esprit surréaliste belge, ce surréalisme qui s’attaque au langage et à la banalité pour les pousser jusque
dans leurs retranchements. »
Source : www.garecentrale.be
Photos: Agnès Limbos (c) DR
et Conversation avec un jeune homme (c) J. M. Gourreau
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Dossier pédagogique: Ressacs
Analyse du théâtre d’objet selon Agnès Limbos
«
Le théâtre d’objet est une forme de théâtre où l’acteur manipule des objets de la
vie quotidienne et, à travers cet acte, crée un langage visuel dont le pouvoir est d’invoquer immédiatement l’imaginaire collectif du spectateur. L’objet n’est plus accessoire,
il est effigie, c’est-à-dire que l’acteur-manipulateur, par l’intermédiaire de celui-ci, peut
créer toute sorte de situations, de personnages ou d’ambiances. « Si on veut, on détourne l’objet de sa fonction initiale mais on ne l’a pas transformé», indique Agnès Limbos.
Par exemple, explique-t-elle, si on veut qu’un bouchon devienne soldat, on ne lui rajoute
pas des yeux, une moustache et un petit béret : c’est à la conviction de l’acteur-manipulateur de nous faire croire que c’est un soldat qui y arrive ! C’est ce qu’Agnès Limbos
appelle la transposition de l’énergie de l’acteur vers l’objet qu’il manipule. Cela permet
au spectateur d’imaginer de manière globale ce qui se déroule sur la scène, c’est-à-dire
d’additionner toutes les informations qu’il emmagasine pour créer lui-même, à travers
son propre vécu, la poésie qu’il voit défiler sous ses yeux.
Il s’agit donc, selon Agnès Limbos, d’une forme de théâtre non-autoritaire – qui n’empêche pas son public de prendre distance avec ce qui lui montre, surréaliste – qui, à
l’inverse de la marionnette, ne représente pas fidèlement de manière visuelle la réalité,
miniaturiste – qui dissèque la société grâce à l’opposition entre petits objets et grandes
imaginations, précis – qui doit être calculé à la seconde près pour que la poésie opère
correctement, universel – qui essaie de parler symboliquement à chaque culture de la
même manière, ludique – qui réveille l’imaginaire enfantin des adultes, poétique – qui
utilise des figures de styles telles la métaphore ou l’ellipse, permettant de changer de lieu
ou de temps en une fraction de seconde, et sans limites – qui fait abstraction des lois de
la physique grâce à la grande diversité de manipulations qu’offre un objet.
»
Source: Naomi Raitano
https://revuerepresentations.wordpress.com/2012/10/11/quand-les-objets-convoquent-notre-imaginaire-collectif/
Ressacs (c) Cie Gare Centrale
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Dossier pédagogique: Ressacs
L’ÉQUIPE ARTISTIQUE
Agnès Limbos et Grégory Houben collaborent depuis 2006. Cette année-là, ils créent ô! au
Théâtre de la Balsamine (Bruxelles), un court-métrage théâtral de 25 minutes. De ce spectacle
naîtra Troubles, l’évocation elliptique et décalée de trois moments dans le quotidien d’un couple. Ressacs est né de leur envie de prolonger leur duo. Un théâtre distancié, précis, rythmique,
musical tant dans le texte que dans les actions.
Agnès Limbos
Parcours autodidacte qui l’amène entre autres comme marionnettiste au Théâtre de Toone à
Bruxelles (1973), sur la route aux Etats- Unis (1974), comédienne au Théâtre des Jeunes de la Ville de Bruxelles (1975/1976), élève de l’Ecole Internationale Mime Mouvement Théâtre Jacques
Le-coq à Paris (1977/1979), comédienne à la Compagnie “Tres” au Mexique (1980/1982). Elle
crée la Compagnie Gare Centrale à Bruxelles en 1984. Agnès Limbos développe une démarche personnelle d’actrice-créatrice. Elle s’est spécialisée dans le théâtre d’objet développant
cette forme mêlant jeu d’acteur et manipulation d’objets. Depuis le début de la fondation de
la Compagnie, tous les spectacles se sont immédiatement distingués dans de nombreux festivals de théâtre, de marionnettes ou de théâtre jeune public à l’étranger : tournées en Israël,
Angleterre, Espagne, Italie, Hong Kong, Allemagne, Autriche, Suisse, Canada, Etats-Unis, France, Brésil etc... Lors de chaque création, la compagnie s’entoure de collaborateurs artistiques
et techniques et une fidélité s’est établie, au cours des ans et des créations, avec des artistes
qui participent ou conseillent les projets : Françoise Bloch, Anne Marie Loop, Sabine Durand,
Nicole Mossoux, Guillaume Istace, Lise Vachon, Marc Lhommel, Françoise Colpé, Nevill Tranter,
entre autres...
Gregory Houben
Naît en 1978, d’un père musicien et d’une mère organisatrice de spectacle : il baigne depuis
tout petit dans l’univers artistique. A l’âge de 14 ans, il entreprend des études de théâtre au
conservatoire de Verviers et se consacre entièrement aux arts de la parole. La musique le chatouille déjà et il apprend l’accordéon diatonique avec Didier Laloy. A l’âge de 17 ans, il part
en voyage initiatique au Brésil et c’est durant cette année de découverte qu’il va bifurquer
et se dédier corps et âme à la musique. Dès son retour en Belgique, il rattrape le temps perdu
et s’inscrit au conservatoire de Verviers à plein temps où il apprend le solfège, l’harmonie, le
piano... et la trompette. Deux ans plus tard, il rentre au conservatoire de Maastricht avec Rob
Bruinen où il restera un an. C’est avec Richard Rousselet qu’il terminera son apprentissage au
conservatoire de Bruxelles dont il est diplômé. Durant ces années d’étude, il crée son premier
trio avec Quentin Liégeois et Samuel Gerstmans. Dans ce trio, Gregory se trouve un goût pour
le chant et va développer de plus en plus cette discipline. Il forme ensuite le projet “Brazz”
avec Maxime Blésin. Ce groupe jouera essentiellement de la musique brésilienne et se produira
sur de grandes scènes belges telles la Grand Place en été 2003. C’est avec Julie Mossay qu’il
forme le groupe “Après un rêve”. Un chemin croisé entre musique classique, world et jazz.
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Théâtre des marionnettes de Genève 2016-2017
Dossier pédagogique: Ressacs
Françoise Bloch
Depuis 2006, Françoise Bloch et sa compagnie Zoo Théâtre poursuivent une recherche où
l’exploration documentaire (interviews, enquêtes, films...) sert de tremplin à un théâtre à la
fois physique et critique, qui s’attache à réinventer les chemins possibles entre des fragments
collectés du « réel » et leurs transpositions théâtrales. Des transpositions qui convoquent mouvement, vidéo et musique et où les acteurs-narrateurs-interprètes jouent tous les rôles. Alarmée
par l’obsession de l’évaluation, le culte de la performance, le formatage et, de façon plus
générale, par la violence actuelle du capitalisme, la compagnie va à la racine du théâtre : «
jouer », donc se remettre en jeu et se réinventer. Leur spectacle Money! (2013) créé en collaboration avec le Théâtre National (Bruxelles), le Théâtre de Liège et l’Ancre (Charleroi) a été
élu «meilleur spectacle 2013-2014» aux prix de la critique belge francophone.
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