Le Congo est ainsi une partie de mon enfance que j’ai beaucoup questionnée. Ce, notam-
ment à la lecture de ce magnique essai écrit comme un roman, Congo, une histoire signé
David Van Reybouck. L’auteur retrace, analyse, conte et raconte 90 000 ans d’histoire : l’His-
toire d’un immense pays africain au destin violenté. Et basé sur un texte du même écrivain, un
monologue théâtral, Mission, m’a marquée. Il raconte comment au Congo, dans la brousse,
le métier de missionnaire est aussi exaltant que complexe et dérisoire face à la tâche déme-
surée. Le missionnaire évoque sa vocation, ses doutes sur la foi, les souffrances des Africains et
l’arrogance des Occidentaux. Ma génération a grandi avec le poids des préjugés coloniaux
qui afrmaient le supposé « caractère inférieur des Africains ». Des clichés qui ont la vie dure
jusqu’à maintenant.
Comment est né ce spectacle ?
J’ai un grand « magasin » avec plein d’objets, et une étagère spéciale. Elle recueille des objets
qui deviennent fétiches, obsessionnels, comme le petit bateau ou la caravelle. Ressacs est
parti du petit bateau. Un ressac, c’est une grande vague qui vient, frappe et repart vers la mer.
Or au sein de ce couple, les personnages sont continument malmenés, bousculés. Ils pensent
que ça va aller et leur entreprise tombe à néant.
Je trouve que la métaphore d’un petit bateau perdu au milieu de l’océan symbolise ce cou-
ple complètement paumé. À travers lui, tout le monde peut se reconnaître. Et puis il y a les
caravelles, Christophe Colomb, les grandes conquêtes, l’aventure coloniale belge au Congo
qui revient sous d’autres formes. Le titre de la pièce, Ressacs, me semble bien traduire ce mou-
vement-là.
Quelles sont, à vos yeux, les singularités du théâtre d’objet ?
La différence avec la marionnette, c’est que l’on ne manipule pas vraiment. On déplace
l’objet, créant des tableaux vivants qui fuient le réalisme. La marionnette est fabriquée pour
le théâtre, mais les objets sont squattés, ils sont pris en otage tant ils furent glanés. Le théâtre
d’objet utilise beaucoup la métaphore. Plutôt que les mots, on place un objet qui évoque
quelque chose. C’est un langage, une forme poétique, qui permet d’envoyer des images au
spectateur, puis chacun peut faire son chemin.
On pourrait dire que l’on accomplit un travail de conteur. On n’arrête pas d’incarner, de dé-
sincarner, d’être en distance ou d’être dedans. C’est un langage éminemment cinématogra-
phique, avec des cadrages qui utilisent le gros plan, le plan large ou serré. Ici, on zoome sur
nous : notre visage, la main. Là, on se focalise sur l’objet. C’est dans ce va-et-vient que tout se
construit.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
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Théâtre des marionnettes de Genève 2016-2017 Dossier pédagogique: Ressacs