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rééchissez un ins tant à ces questions: N’avez-vous jamais eu l’impression
que vous portiez toujours vos lunettes même après les avoir ôtées ? N’avez-
vous jamais senti la présence de votre alliance (ou de votre montre), alors
même que vous veniez de l’enlever ? Si votre réponse est «oui» à au moins une
de ces questions, alors vous avez, vous-même, fait l’expérience de sensations
fantômes, et pourtant vous n’êtes probablement pas amputés ni atteints de
troubles du système nerveux central ou périphérique.
* * *
«Issu du latin mirare (s’étonner, être surpris, admirer), le miroir est
un objet qui est capable d’en “reéter” un autre et de “renvoyer” son
image. […]. Il ore, certes, une représentation “exacte” de ce qu’il
reète, mais cette représentation est-elle pour autant “dèle” ? En
fait, tout miroir est à la fois loyal et trompeur» .
Cette dénition du miroir met l’accent sur plusieurs éléments qui nous
paraissent inté ressants. En eet, le miroir est capable de reéter un objet, un
corps ou une partie d’un corps, et d’en donner une représentation exacte dans
ses moindres détails, à condition toutefois que ce miroir n’ait pas de propriétés
déformantes. Bien que cette représentation soit donc exacte, elle n’est cepen-
dant pas dèle, puisque le miroir joue le rôle d’un axe de symétrie: il inverse
systématiquement la gauche et la droite, de sorte que lorsque nous déplaçons
notre bras droit par exemple, notre double, que donne à voir le miroir, dé-
place, quant à lui, son bras gauche. Ainsi, tout miroir est à la fois loyal,
puisqu’il nous renvoie notre propre image tels que nous sommes, mais égale-
ment trompeur, puisque cette image est inversée. Le miroir abuse donc de
notre conance et ne produit nalement qu’une illusion, une projection de
nous-mêmes dans un monde imaginaire.
* * *
Ne serait-il pas possible d’utiliser l’illusion que produit le miroir an de
soulager les sensations et douleurs elles-mêmes «illusoires» ressenties par les
amputés au niveau de leur membre fantôme, même si, dans la réalité, elles ne
le sont pas tant que ça ? Cette idée, bien qu’elle puisse paraître saugrenue de
prime abord, a émergé dans l’esprit d’un neurologue indien, Vilayanur S. Ra-
machandran, consécutivement au constat qu’une multitude de traite ments se
sont attaqués au problème de douleurs fantômes sans jamais parvenir à les
. M M., Dictionnaire du corps, p. .