droit nazifié. Cette entreprise de sape des normes et des valeurs, l’auteur la résume avec les
propres mots de Goebbels, qui désire « effacer 1789 de l’histoire » (p.98).
Outre cette relecture de la fine chronologie d’un semestre charnière, le livre insiste aussi
sur un Hitler moins connu, contesté, dubitatif. A cette époque, il y a encore de l’Adolf dans Hitler.
Face { l’affaire de Potempa, il réagit souvent en retard, il hésite, il doit composer avec la SA. Face
au gouvernement en place, le voici tout aussi hésitant. Stratégiquement, il estime que le pouvoir
doit être conquis par la légalité. Cependant, la pression de des sympathisants nazis sur le procès
le pousse à quelques palinodies qui le conduisent, finalement, à menacer ouvertement les
institutions de la République. En outre, Johann Chapoutot nous rafraîchit la mémoire. Les lieux
communs sur la seconde guerre mondiale tendent { laisser croire que, si l’on devait ébaucher
une hiérarchie des fascistes européens qui estomperait malheureusement les profonds écarts
idéologiques et politiques, Hitler serait sans conteste le numéro un, talonné ensuite -mais loin
derrière- par Mussolini. Mussolini suiveur de Hitler ? C’est oublier les années 1920, capitales. Le
putsch de Munich, en 1923, où Hitler lance les SA –déjà- dans une brasserie –déjà- doit être
compris { la lumière de l’inspiration mussolinienne qui anime Hitler. Depuis 1922, Hitler
« médite » (p.52) la marche sur Rome. Enfin, le caporal à la croix de fer n’est pas encore, au sens
plein du terme, le Führer. Ernst Röhm et ses SA subsistent. Röhm, nazi de la première heure,
constitue pour l’auteur de Mein Kampf une menace véritable. Le maximalisme égalitariste des SA
est loin de rentrer dans les vues de Hitler, mais Röhm pourrait, sans trop d’efforts, donner le
signal { ses troupes. Les miliciens de la SA se considèrent comme les laissés pour compte d’un
régime des élites auquel Hitler, { leurs yeux, n’a que trop d’égards. A ces épineuses questions
tactiques s’ajoutent d’embarrassantes inquiétudes symboliques. Röhm, c’est aussi l’homosexuel,
le seul chef nazi que Hitler « corseté dans un vouvoiement vétilleux, tutoie » (p.71). Autant de
contradictions avec l’esprit d’ordre et de virilité qui, officiellement, animent le nazisme. Autant
de raisons, pour Hitler, de prêter finalement l’oreille aux cadres allemands de l’industrie et de
l’armée. Röhm meurt { son tour, quelques jours après la sanglante nuit du 29 juin 1934.
Malgré cette atmosphère si oppressante, l’ouvrage est aéré car les notes et les divers
documents étudiés sont renvoyés en fin d’ouvrage. Pour quiconque veut comprendre le terreau
sur lequel le nazisme s’est développé et mieux connaître ces événements, ce livre est
recommandé. Il peut très bien faire l’objet d’une étude approfondie en classe de première. Le
cours sur les totalitarismes disposerait ainsi d’un complément solide qui permettrait de
questionner une inflexion décisive : l’effondrement d’une démocratie, brèche dans laquelle
s’engouffre le nazisme. Et c’est sans doute dans cet esprit qu’il faut comprendre certaines
redites, voire certaines évidences. Lorsque l’auteur affirme que « les assassins de Potempa ne
satisfont en rien l’éthique du soldat chevaleresque », le lecteur se trouve déjà page dix-huit. Les