MS GDDCC Fiche de Lecture Je crise climatique : la planète, ma chaudière et moi Laure Carrère – Janvier 2015 FICHE DE LECTURE JE CRISE CLIMATIQUE LA PLANETE, MA CHAUDIERE ET MOI Jade Lindgaard Editions La Découverte, 2015 Qui est l’auteure ? Jade Lindgaard est une journaliste française née en 1973. Entrée dans le journalisme en 1997 avec Aden, elle est ensuite devenue reporter aux Inrockuptibles avant de rejoindre la rédaction de Mediapart (service société) dès sa création en 2008. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages d’enquête et de politique et plus récemment d’écologie où elle développe le thème d’un accroissement des plaisirs sensoriels liés aux modifications des techniques et des styles de vie nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique. Pourquoi lire ce livre ? « Je crise climatique, la planète, ma chaudière et moi » est un roman documentaire dans lequel l’auteure mène l’enquête sur ce qui, dans nos quotidiens, dans nos modes de vies de citoyens lambda affecte l’environnement. A travers nos dépendances aux transports, aux technologies de communication, à notre consommation effrénée, Jade Lindgaard s’attache à comprendre nos comportements autistes face à une évidence que tout le monde semble ignorer : l’humanité va droit dans le mur. A travers des sources solides, elle démontre l’absurdité de notre modèle de croissance et, sans jamais être dogmatique, fait preuve de beaucoup de compréhension et de tolérance sur l’action individuelle parfois totalement absurde. Elle parle, elle aussi de ses échecs, de sa propre transformation concernant la question environnementale, de ses avancées, de ses expériences, de ses découvertes et de l’horreur qu’elles impliquent. Enquête à la fois socio-culturelle, environnementale et politique, l’auteure fait parfois appel à la poésie, à l’imaginaire et à beaucoup d’humour pour faire passer un message simple : un monde plus cohérent est possible, plus cohérent pour la nature, pour l’homme et pour tout le système de la vie. Introduction Lire « Je crise climatique » c’est d’abord s’interroger sur ce qui fait que certains d’entre nous sont écolos et d’autres pas. C’est se demander pourquoi chacun Le récit d’un peut s’intéresser à la planète, qu’est ce qui fait appel à notre « conscience désapprentissage environnementale », qu’est ce qui ouvre nos yeux. C’est se demander pourquoi certaines personnes n’y portent absolument aucun intérêt, rejettent les idées écologiques, nient le réchauffement climatique ou lui tourne le dos pour retourner à leur vie fossiles. Cette question est le début de tout. Elle est à la fois politique et sociologique car, en partant du principe que le concept du réchauffement climatique est à la portée de tous et que tous doivent y trouver un intérêt, il est important de comprendre l’obscurantisme qui habite nos vies. Jade Lindgaard apporte un point de vue singulier à cette question de par le fait qu’elle n’est pas née avec un intérêt particulier pour l’écologie et que cette question n’a habité ni son enfance ni son éducation, au contraire. Comme elle le dit elle-même dans la première phrase de son livre, elle est née dans une bulle de plastique orange, au début des années 1970. Tout autour d’elle était un paysage intégral de produits dérivés du pétrole (boule de polystyrène, mange disque, moquette à poils synthétique…), au service d’une domesticité industrialisée. La nature n’existait pas, elle était abolie et le quotidien formait un cocon confortable dans lequel il était possible de jouir d’une vie moderne, et d’en jouir sans entrave. Cette vie était si facile, si évidente et si naturelle que personne ne se demandait ce que cela impliquait et d’où venait la chaleur, les objets. Les années 80 furent calquées sur le même modèle. A l’école, chantre de l’éducation, elle a appris l’histoire de France, de la Bastille mais pas celle des paysans ou des marins. Encore moins des forêts, des mers, des moustiques ou des baleines : les éléments naturels n’avaient aucune existence sociale. Comment alors que rien dans la vie d’un homme ne l’interroge sur ce qui lui permet de vivre peut-il tout d’un coup prendre conscience de son interdépendance à quelque chose que personne ne lui a enseigné ? Elle raconte que, pendant qu’elle grandissait dans son cocon hermétique, à l’extérieur les scientifiques se mirent à parler de « sixième extinction » que, au cours du XXe siècle, l’utilisation des ressources naturelles avaient augmenté deux fois plus vite que la population mondiale, que la moitié des zones humides dans le monde avaient été drainées et que presque toute la photosynthèse se faisait désormais dans des ensembles écologiques aménagés par les êtres humains. Le monde devenait un gigantesque produit manufacturé. Cétait invisible, incolore, inodore mais le système climatique se déstabilisait sous la pression des GES émis en quantités astronomiques. Dans les années 90, Jade devient journaliste et travaille sur la politique et les mouvements sociaux. Elle interroge un jour un militant vert et s’entends lui dire que « le droit des arbres, quand une société connait le chômage de masse, franchement on s’en fout ». La question environnementale soulève des enjeux de justice, de développement, de modes de vie et de discordes Nord-Sud. Elle ouvre un espace politique mondial et conflictuel et pousse à poser les questions qui fâchent. Lorsque Jade Lindgaard parle de son attrait pour l’écologie, elle ne parle pas de choc visuel de paysages sublime ou au contraire du choc de paysages ravagés par l’être humain. Son déclic a été plus politique : il s’est produit en 2005 en visitant un campement altermondialiste autogéré et autonome en Écosse. Elle a aimé l’esprit "Do it yourself", a découvert qu’on pouvait se doucher avec un verre d’eau. Elle découvre que l’autonomie peut être douce. Le sentiment de scandale face au dérèglement climatique s’est accentué progressivement, à mesure qu’elle accumulait des connaissances sur le sujet, qu’elle s’intéressait à la tuyauterie de sa chaudière... Notre apathie collective face au changement climatique est gorgée d’inconscients, de frustrations, d’injonctions contradictoires, de pulsions et de désirs. Ce livre est le récit d’un désapprentissage. Table : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Ma chaudière est un scandale politique Jamais sans ma voiture Avions : le deal du terminal Nous sommes tous des « zettabytes » Scènes de guerre à l’Hyper Psychopathologie du pollueur Nos vies fossiles 1. Ma chaudière est un scandale politique Se questionner sur sa chaudière peut paraitre futile, mais loin s’en faut. C’est se questionner sur le coût énergétique du confort de nos habitats, de ce que cela implique et ce que qui est caché : un véritable labyrinthe technico-politique. Le descriptif d’une chaudière, à bien y regarder est extrêmement froid, objectif, et technique. Lorsque l’on regarde ce que les industriels promettent au consommateur, on voit de l’aspirationnel, du sensationnel : simplicité, convivialité, technologie maîtrisée. On garantit au consommateur un monde confortable, simple et on lui assène que cela va de soi. Jamais, le critère écologique d’une chaudière n’est mis en avant : quelle consommation exacte nos chaudières ont elle besoin pour nous apporter ce confort si évident ? Demandez à un vendeur, on vous dira que l’information précise n’est pas disponible mais on vous ventera le critère économique du produit. Il n’y a pas non plus d’étiquette de notation pour les chaudières. Cette notation est remplacée par des critères d’évaluation dont l’efficacité énergétique ne fait pas partie. Les projets d‘étiquetage environnemental des produits manufacturés sont freinés par un lobbying des industriels et cette paralysie façonne notre quotidien. Les règlements européens d’écoconception et d’étiquette énergie ont été adopté en 2013 après 5 ans de querelle et doivent entrer en vigueur courant 2015. Chaque jour de retard a coûté aux européens environ cinquante millions d’euros selon les estimations des ONG. En 2012, le taux d’équipement des chaudières à gaz a supplanté l’électrique, 45% contre 43%. Pourtant, à partir de 2020, il ne sera plus possible de construire des bâtiments chauffés aux énergies fossiles. A leur place : biomasse, solaire thermique, pompe à chaleur électriques. La chaleur représente en France la moitié de l’énergie consommée par ceux qui y vivent et la source thermique est non renouvelable car issue de matières fossile. Ce qui fait de chacun d’entre nous des aspirateurs à kilowatts. Et pourtant. Les données laissées aux particuliers sont parfaitement illisible. Impossible par exemple de connaitre précisément sa consommation de gaz. A aucun moment l’évaluation de GDF n’est comparée à la consommation réelle. Comment alors prendre conscience ? L’empreinte carbone des logements représente environ 1.9 tonne de CO2 par personne et par an en France, c’est presque autant que la consommation de carburants par les voitures individuelles. Et en plus, nous dépendons de gaz que nous ne possédons pas. La question énergétique et ses impacts environnementaux sont évacués de notre quotidien par un système redoutablement efficace de délégation des responsabilités, d’efficacité routinière et d’absence d’informations digestes pour le profane. Dans ce contexte, l’individu n’est invité à se comporter qu’en consommateur. Mais nous produisons aussi notre propre servitude : nous n’accepterons jamais de remettre en cause le confort moderne. Pourtant, le confort thermique est une notion très récente, apparue après la seconde guerre mondiale. En premier lieu, le chauffage a surtout été pensé pour les besoins de l’industrie et c’est ce qui a guidé l’innovation qui était justifiée pour produire des biens et non pour l’amélioration du milieu environnant. Lorsque le chauffage a commencé à être pensé pour des lieux fréquentés par les humains, les habitations arrivent en dernier dans l’ordre de priorité, devancées par les lieux publics. L’énergie a fini par devenir l’un des plus étrange legs du XXe siècle. Un parfait hybride de technologie et de désirs, d’industrie et d’intimité d’échelle collective et de comportement individuel. Le problème c’est que cette bizarre épopée à produit notre assujettissement : nous nous sommes construit un besoin : avoir chaud, partout, chez soi, nous en avons délégué la satisfaction et personne ne s’en plaint. 2. Jamais sans ma voiture Dans ce chapitre, l’auteure nous met face à une expérience : l’amour de l’automobile au-delà de son utilité, indépendamment des trajets qu’elle nous permet d’accomplir. Elles sont devenues une part de nous-mêmes. La voiture est un mode de vie et même beaucoup plus : une véritable société. En France, 85% des déplacements se font en voiture et seuls 19% des ménages n’en possèdent pas. Ce phénomène est notamment lié à l’étalement urbain et au développement du taux d’activité des femmes. En enquête au salon International de l’auto de Genève, Jade Lindgaard y « L’usage moyen découvre un monde qui profère à un homme standard des supers pouvoirs de vitesse : « de 0 à 100km/h en seulement 8 secondes » votre puissance est d’une automobile en sans limite. Que du discours, et plus de mécanique : liberté, indépendance, France est de 17.4 innovation, performance, vitesse, sécurité, désirs, besoins, technologies. Pourtant, l’informatisation des voitures écartèle le conducteur en lui offrant km par jour. » plus de mobilité mais en réduisant son indépendance. Il ne peut plus réparer son moteur lui-même. Il ne peut plus le « bidouiller ». Pire : il peut expérimenter le bug. Après une vaste enquête sur les pannes et les rappels des constructeurs dans le journal Que Choisir en 2008, on découvre qu’une panne sur deux est d’origine électronique ou électrique. En ce qui concerne le taux de CO2, les politiques européennes de restrictions de GES peuvent se féliciter de constater que le taux d’émission chute à vue d’œil. Mais comment les données sont-elles établies ? Par les constructeurs eux-mêmes. Et la supervision des tests ainsi que leur vérification est assurée par des organismes de certification payés par l’industrie. En 2011, l’écart entre la propagande concernant les émissions de CO2 par les voitures et la réalité était de 25% (source Conseil International des Transports Propres), mais il n’était que de 10% en 2001, autrement dit, il augmente avec les années et s’est particulièrement aggravé après 2007 et 2008 alors qu’un certain nombre d’états européens mettent en place des systèmes de taxation basés sur le CO2 et que Bruxelles rendait obligatoire des seuils maximum d’émission. En résumé : plus ces taux d’émission risquaient de faire perdre de l’argent aux fabricants, plus ils faisaient l’objet de manipulations. Les rejets de gaz carbonique des véhicules sont mesurés dans des conditions parfaitement artificielles (moins de poids, sans climatisation, batterie déchargée…). Sur certains modèles, les émissions sont 50% plus élevées que ce que prétend leur fabricant. Un nouveau système d’évaluation des émissions de CO2 est en cours d’élaboration pour pallier à ces failles. L‘Europe s’est engagée à réduire de 60% les rejets de dioxyde de carbone dans le secteur des transports d’ici 2050 (versus 1990) mais depuis 2005, c’est le seul secteur d’activité où ils augmentent. La voiture individuelle en représente les 2/3. C’est l’état de mensonge permanent. Autre considération, si on additionne tous les coûts externes de la voiture liés à son usage en Europe (accidents, bruit, pollution de l’air, dommages aux sols, aux forêts…) on obtient un chiffre colossal : 373 milliards d’euros par an, soit 3% du PIB de l’UE. On peut se poser la question du véhicule électrique et constater la lenteur de son démarrage dans le monde. En 2011 aux Etats Unis, 275 000 véhicules hybrides ont été vendus, soit 0.1% du parc automobile. L’organisme de crédit Cetelem a réalisé une étude au sujet de l’impopularité des véhicules électrique en 2012 et il semblerait que les barrières à l’achat seraient son prix et le manque d’autonomie. 55% des personnes interrogées déclarent ne pas envisager d’acheter un véhicule électrique si ce dernier n’atteint pas 250 km d’autonomie. En Allemagne et en France, cette opinion est partagée par 70% et 71% des individus questionnés. Or si on prend en compte la réalité des faits et non l’autonomie annoncée par les constructeurs dont les limites ont été vues plus haut, l’autonomie des véhicules va de 80km à 100km, soit bien en deçà du besoin des automobilistes. Est-ce cependant un besoin objectif ? Si on regarde l’usage moyen d’un automobiliste en France, on constatera que le conducteur ne parcours pas plus de 17.4 km par jour (données estimées par le Service de l’Observation des statistiques du ministre des Transports en 2010)… A la suite d’Ivan illich, le philosophe Jean Pierre Dupuy nous livre un calcul provocateur : compte tenu du temps que nous passons à gagner de quoi nous payer une voiture et le carburant qui la fait avancer, les autos roulent moins vite que les bicyclettes. Ce même philosophe introduit également l’idée du « temps social » que coûte chaque jour une voiture à son utilisateur. Il l’évalue à trois ou quatre heures par jour. De ce point de vue, même si la voiture est rapide, compte tenu de son coût et de nos rémunérations moyennes, l’auto ne nous fait pas gagner du temps, au contraire elle nous en fait perdre. 3. Avions : le Deal du terminal Le secteur aérien ne représente que 1.3% des rejets de gaz carbonique en France, mais 6% si l’on prend en compte les allers-retours vers l’étranger : 78% des émissions de CO2 sur secteur aérien provient des vols internationaux. 64% de ces trajets ont un but de loisir ou de motifs personnels et que 50% des déplacements en avion sont le fait des 20% les plus riches. Le transport international ne cesse de progresser alors que les vols intérieurs diminuent, au profit du TGV. Le cabinet Carbone 4 analyse que l’essor des émissions de GES relatifs aux déplacements depuis 20 ans s’explique presque exclusivement par le trafic aérien. Environ 3% des émissions mondiales de CO2 proviennent du trafic aérien. C’est peu, mais elles progressent à très grande vitesse. Si on prend en compte les autres gaz à effet de serre qu’il dégage et la création de trainées de condensation, sa contribution réelle au changement climatique pourrait atteindre autour de 5%. La France est un pays d’aérogares : 70 sites, soit 1.08 par million habitant : presque autant que le nombre d’universités, exactement autant que les scènes nationales de spectacles vivants et plus que les centres d’art contemporains, c’est un choix de société. Nous sommes une république aéronautique. Airbus est à la fois son joyau et son bras armé. Le groupe a travaillé sans relâche pour mettre en échec le projet de législation européenne visant à réguler les émissions de GES des vols intercontinentaux les plus polluants. Il a ses entrées dans tous les hauts lieux de pouvoir, à Bruxelles comme à Paris. Selon l’atlas de la CIA, les aéronefs et engins spatiaux ont été les biens les plus exportés par la France entre 2012 et 2013. Au long de ce chapitre, l’auteure nous apporte ses réflexion sur les aéroports, des lieux désensibilisant qui « déréalise » le moment que nous y passons. Tout est voué au divertissement et à la consommation, tout est voué à nous faire oublier notre quotidien. Elle fait également le parallèle entre pays pauvres et riches et l’injustice qu’on les uns de pouvoir polluer sans se soucier des conséquences pour les autres. Elle nous raconte son apprentissage dans le cadre de déplacements professionnels internationaux et sa décision de ne plus prendre l’avion, sa désillusion de se rendre compte que, en plus du danger que représentent les bateaux en raison du fioul lourd qu’ils transportent, ils sont beaucoup plus polluants que les avions si on ramène le taux de GES par passager. Voyager « propre » et loin à l’heure du changement climatique reste donc, hormis le train le vélo ou la marche, impossible. Tous ces questionnements nous renvoient face à nous même, dans nos quotidiens, nos décisions, notre intérêt. On peut croire accomplir un geste vertueux pour l’environnement et se rendre compte que le résultat obtenu est à l’exact opposé du résultat souhaité. L’écologie, c’est l’école de la modestie. 4. Nous sommes tous des « Zettabytes » Le data center sont des centres de données, des entrepôts hébergeant les serveurs nécessaires au fonctionnement de sites internet. Ils sont à la fois l’instrument qui achemine les requêtes informatiques, le coffre-fort qui contient la mémoire des échanges passés et le cerveau qui propose à l’internaute toujours plus de liens, de possibilités, d’activités en ligne. Il est l’outil et le besoin. Aujourd’hui nous sommes tous en état de connexion perpétuelle : internet délivre informations, textes, images, sons, tous les jours et plusieurs par jour. « Les seuls usages d’internet consomment l’équivalent de toute l’énergie produite par le Japon et l’Allemagne » Il faut 10MégaWatts pour faire fonctionner 10 000m2 de centre de données et il faut que le double soit disponible, en comptant sur la mutualisation d’une partie de cette puissance de secours. Les opérateurs « réservent » par avance cette puissance, sans jamais en révéler publiquement la quantité exacte. Secret industriel. Le nombre de data center en Seine St Denis qui en abrite déjà une quinzaine pourrai doubler d’ici dix ans. Cette extension du numérique va de pair avec l’électrification du monde. Pris dans leur ensemble, les seuls usages d’internet consomment au moins autant d’électricité en 2013 que toutes les dépenses mondiales d’éclairage en 1985. Soit l’équivalent de toute l’énergie électrique produite par le Japon et l’Allemagne. C’est déjà plus que toute l’énergie brûlée par le trafic aérien. Nous dépensons plus d’énergie pour transporter les données électroniques que pour nous transporter nous-mêmes. La consommation de papier a explosé depuis l’arrivée d’internet et les centres de données dévorent l’énergie : en moyenne, un mètre carré de serveurs nécessite 100 à 200 fois plus d’électricité qu’un bureau. Quelques milliers de mètres carrés en dépensent plus que 100 000m2 de centre commercial, une seule rangée de serveurs pas plus gros qu’un frigo consomme plus qu’une maison. Un des plus gros data center américain s’étends que plus de 120 000km2 (Nevada), soit sept terrains de foot et certains sont si gros qu’ils deviennent visibles de l’espace. Il faut également compter la surconsommation d’eau, de terres rares, les problèmes sanitaires. L’auteure commence alors une longue liste de coûts liés à internet en termes de ressources et d’énergie, de son impact sur toutes les composantes de l’environnement. Elle évoque que pour fabriquer une puce d’ordinateurs de deux grammes, il faut brûler 600 fois son poids en combustibles fossiles et que les semi-conducteurs de nos outils informatiques engloutissent plus de 600 fois leur masse en matière première au cours de leur vie. De par notre dépendance à notre hyperconnection, nous consommons sans le vouloir et parfois même, sans le savoir. Pourtant l’informatique et les réseaux sont aussi des accélérateurs d’écologie. Grâce aux « réseaux intelligents », on peut afficher les dépenses d’énergie en temps réel, pister les consommations inutiles, commander les appareils à distance… C’est l’instrumentalisation de la technologie au service de la sobriété. Par la dénonciation de l’obsolescence programmée, la mauvaise gestion des réseaux de télécommunications, des « obésiciels » (ces logiciels hyper énergivores) et l’absence de normes contraignantes, Jade Lindgaard s’oppose farouchement à l’idée que l’utilisateur est seul responsable de cette dépense énergétique, et pourtant. Individuellement, nous ne coûtons pas grand-chose. A nous tous, nous fabriquons une pression insupportable sur les ressources de notre milieux naturel. De toutes les ruses d’internet, c’est peut-être la plus terrible : réussir à dissoudre toute idée de responsabilité individuelle. Une expression est née pour décrire cette époque d’explosion de l’informatique : l’ « ère des Zettabytes ». 5. Scène de guerre à l’hyper Dans ce chapitre, il est question des modes de consommations dans les pays industrialisés et de la consommation de masse dont les hypermarchés sont les ambassadeurs. La première interrogation concerne les inégalités que crée ce système entre population des pays concernés, avec l’éternelle dichotomie Nord/Sud. Faire ses courses au supermarché contribue à la crise climatique et donc aux souffrances des habitants des zones géographiques les plus vulnérables. Ensuite, dans la continuité de son enquête et fidèle à son souci d’étudier l’impact de nos modes de vie sur l’environnement, l’auteure se livre à différentes comparaisons qui mettent en exergue l’absurdité des hypermarchés. Par exemple, prendre sa voiture pour acheter chaque semaine la nourriture familiale en grande surface consomme trente fois plus d’énergie et rejette soixante-dix fois plus de gaz carbonique que de faire ses courses à pied plusieurs fois par semaine dans un commerce de proximité. En quoi exactement les grandes surfaces sont-elles d’une telle absurdité ? Tout d’abord, elles regorgent de produits mondialisés, assemblés en différents points du globe, mais c’est la phase de production des produits alimentaires qui pèse le plus sur leur impact environnementaux et pas celle de leur transport. Si on regarde la chaîne alimentaire, 57% de son impact est lié à la phase de production, 17% au transport. Ensuite, l’énergie est le premier poste de dépense de fonctionnement de la grande distribution, principalement pour chauffer et refroidir les magasins. Le commerce alimentaire de la grande distribution consomme deux fois plus l’électricité pour son d’éclairage, ses frigos et sa climatisation que la branche moyenne du commerce. En 1970 en France, environ 13% des produits alimentaires étaient vendus en hyper et supermarchés, en 2005 c’était 67% avec environ 1400 magasins en métropole. C’est le résultat d’un mode d’urbanisation qui a favorisé l’étalement urbain au détriment de la concentration sur de grands pôles. Dans ce contexte, les circuits courts et « C’est la phase de production des produits alimentaires qui pèse le plus sur leur impact environnementaux et pas celle de leur transport» de proximité se développent mais restent très minoritaires et les quantités commercialisées dans ces réseaux alternatifs au système de la grande distribution évoluent peu. En tant qu’antre du consumérisme, il est affolant lors d’une visite en hyper, de constater l’ensemble des signaux promotionnels dédiés à faire acheter plus. Tout va dans le sens de transformer le client en acteur de consommation de masse en facilitant et en accélérant la possibilité d’acte d’achat. Pour pousser le vice au maximum, le client est de plus en plus autogéré. Il passe maintenant lui-même ses produits en caisse, en plus de tout ce qu’il fait déjà. L’ironie finale est que le prix proposé en hyper n’est pas le meilleur. Le plus sûr moyen de limiter le budget alimentation d’une famille est de faire la cuisine, selon le conseil économique, sociale et environnemental des Pays de la Loire. Cette émulation de l’acte d’achat façonne un comportement collectif et fabrique le consommateur en nous. C’est une forme d’exemplarité par la masse. Toute la communication publicitaire est fondée sur cette règle de la psychologie des foules. Les hypers sont aussi les champions du gaspillage alimentaire. Selon les estimations de l’auteur et activiste anti gaspillage Tristam Stuart, près de 50% de la nourriture est gâchée aux Etats Unis. C’est un phénomène mondial qui s’explique par le fait que les quantités de produits mises sur le marché sont telles qu’ils ne peuvent pas trouver tous preneurs. Et il est bien plus rentable pour un fournisseur de prendre le risque de stocker trop d’invendus que de manquer une vente. CQFD. 6. Psychopathologie du pollueur Anthony Leiserowitz, directeur du centre d’étude de la communication du changement climatique de l’Université de Columbia met l’accent sur le fait que chaque individu fonctionne entre émotion et raison. Deux logiciels séparés qui fonctionnent de manière différente. L’ennui c’est que nous ne pouvons pas faire l’expérience du changement climatique, nous n’en connaissons l’existence que par la science. De l’autre côté et de manière schématique, ce que nous apprend l’écologie c’est que pour protéger le climat, nous devons changer ce qui rend notre vie meilleure. Les énergies fossiles sont le sang qui coule dans nos veines. On les retrouve dans nos vêtements, notre nourriture, notre lumière. A la source du dérèglement climatique, confie Mr Leiserowitz, il n’y a que nous-mêmes. Et c’est de cette manière que nous formons un « tout ». Pourtant, la psychologie de la crise écologique est devenue un vaste champ de recherche. Toutes les sciences sociales s’efforcent à déceler les mystères de notre apathie face à la crise climatique. Pour Grégory Norris, il est devenu capital de valoriser les actions individuelles positives pour la planète, aussi dérisoires semblent-elles, à rebours des outils de sensibilisation actuellement sur le marché qui évaluent l’impact négatif de ces consommations et nourrissent une éthique du rationnement et du sevrage, il suggère de mesurer l’effet vertueux de nos actes. Pour mieux comprendre notre attitude face à nos « responsabilités climatiques », des chercheurs de Columbia ont fait remplir un questionnaire à plusieurs centaines de personnes. Les personnes interrogées ont tendance à choisir pour elles-mêmes le comportement le plus facile et le moins efficace tout en considérant que les autres doivent faire plus. Il y a donc de véritables barrières cognitives et émotionnelles qui se dressent entre la volonté et la réalisation des bonnes actions environnementales. En France, les jeunes sont moins enclins que les plus âgés à pratiquer des écogestes alors qu’ils sont le public le plus sensibilisé à l’urgence environnementale. Le décalage entre l’information reçue et le comportement adopté est patent. Il existe également un déficit de compréhension des lois de la nature… et cette ignorance alimente dangereusement l’apathie politique. 7. Nos vies fossiles Cette ultime partie débute par une prise de recul sur nos besoins dont elle fait la balance avec nos envies, de la même manière qu’elle l’avait fait avec la raison et l’émotion. Elle trouve dans la littérature une distinction entre les besoins réels et les besoins imaginaires, ceux qui sont créés par la société de consommation. Les besoins réels sont : respirer, boire, manger. Dans l’absolu personne n’ira à l’encontre de cette thèse dans le sens où ils sont indispensables à notre survie. Pourtant, elle les remet en question et nous interroge sur ce que cela signifie pour nous. Si on prend l’exemple de l’action de respirer : oui mais respirer quoi ? De l’air pur, nous nous en passons déjà si nous vivons en ville, près d’un axe routier ou d’une usine. De quel de propreté aérienne pensons-nous avoir besoin ? Celui qui ne fait « Consommer en masse niveau pas tomber malade ? Celui qui n’abime pas les poumons des enfants ? Celui qui n’encrasse les bronches de personne ? L’exercice est répété pour devient profondément les verbes boire et manger. A travers ces questionnements, l’auteure fait stabilisateur et apparaître le caractère relatif de ces besoins dit « réels » et ouvre la fenêtre sur les faits que les besoins doivent être vus comme un tout, conservateur» qu’on ne peut plus les dissocier. Elle fait référence alors aux minorités qui prônent des modes de vie plus sobres et se heurte à la constatation que ces mouvements peinent à se faire entendre, qu’ils sont méprisés, combattus, contraints. Chaque consommateur est un travailleur à domicile qui contribue à la production de l’homme de masse. Cette consommation de masse a créé une seconde nature chez l’homme qui l’attache par un lien libidinal et agressif à la forme marchandise. Ces besoins deviennent donc profondément stabilisateurs et conservateurs. La boucle se ferme lorsque l’on identifie que l’appel à la consommation est aussi l’incitation permanente à l’endettement et au salariat, sans aucune relation avec le plaisir du luxe. A l’aide de références précise, elle décrit l’individu consommateur qui se fabrique chaque jour par ses actes de consommation Les impacts que nos modes de vie infligent à notre écosystème menacent plus particulièrement certains personnes, certaines régions du globe et accentuent ainsi les inégalités géographiques mais aussi sociales, raciales, générationnelles et de genre. Nous ne sommes pas tous égaux face au changement climatique. On ne peut plus séparer les faux besoins des vrais mais on ne peut pas satisfaire tous les besoins. Cette impasse théorique nous verrouille dans un dilemme irrésolu qui nous empêche d’agir. Il faudrait donc penser autrement. De quoi le reste du monde a-t-il besoin venant de moi ? Pourquoi cette question en pourrait être la bonne ? Mais Jade Lindgaard préviens vite le lecteur que la clé est de penser de manière collective et de se libérer de nos contraintes individuelles qui nous enferment sur nous-mêmes. Elle milite pour un savant tissage entre vie personnelle et émancipation collective par le fait que nous sommes collectivement le cœur du système de pollution et que nos sphères individuelles sont remplie de préoccupations collectives. Elle se pose la question : « et si nos petites vies personnelles, minuscules, pouvaient être le laboratoire d’une nouvelle organisation de la société ? ». Elle rappelle « Les individus sont les que le consumérisme, le néolibéralisme, l’aveuglement seuls à pouvoir faire environnemental n’ont pas d’effets définitif ni absolu. Ils ne sont pas fixés par l’ordre du monde, ils sont malléables. Elle introduit alors la fléchir les politiques » révolution du microgeste et des actions locales, chacune étant adaptée aux spécificités desquelles elles découlent. Enfin, elle met en avant l’idée que les individus sont les seuls à pouvoir faire fléchir les politiques dont les Etats n’agissent que sous la pression citoyenne : plus les citoyens adapteront leurs gestes routiniers à leur souci de leur développement, plus ils seront susceptibles d’exiger des comptes de leurs dirigeants. C’est à cela que doit servir la bataille politique des usages de modes de vie : informer, expliquer, alerter, organiser, révolter, semer des graines de dissidence. « Désapprendre à polluer sans le savoir pour lutter en conscience à faire advenir une démocratie des eaux et des forêts, des sommets et des rivières, de la terre et des airs, des cétacées, des oiseaux, des tigres, des fougères, des platanes, des astres et des humains ». Presse : Une enquête vive et drôle à la première personne de Jade Lindgaard sur le rapport "névrotique" entre nos modes de vie et leurs conséquences pour la planète. 28/08/2014 - Politis Journaliste à Mediapart, Jade Lindgaard a choisi un angle original pour traiter d'un thème rebattu: le changement climatique. Avec une écriture impliquée, souvent à la première personne, mais avec l'appui d'une documentation solide, l'auteur traite de nos difficultés à changer nos modes de vie: voiture, avion, supermarché, Internet... Ce qui n'exclut pas une dose salutaire d'humour. Brillant. 04/09/2014 - La Vie Le sous-titre donne le ton: Ma planète, ma chaudière et moi. Sur l'air de Mon cheval, ma Camargue et moi, cet essai de Jade Lindgaard est faussement guilleret. Urgent sans être plombant, illustré sans être docte, il se lit comme une tentative de décrypter nos comportements dans un monde dominé par le néolibéralisme; de sa voiture à sa poubelle - en passant donc par sa chaudière -, la journaliste mène l'enquête, dénonce, questionne, appelle à un changement profond sur le modèle du féminisme et sème des graines de dissidence. 01/10/2014 - Axelle Pour aller plus loin : – – – – – – – – Les écrits d’Ivan Illich www.negawatt.org Les avis de l’Adème La lettre du carbone (scenarios carbone 4) www.transportenvironnement.org « Les impacts écologiques des technologies de l’information et de la communication », Groupe EcoInfo « Les guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle. », Harald Wesler « L’intelligence émotionnelle. Accepter ses émotions pour développer une intelligence nouvelle. », Daniel Goleman