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Lorsqu’il confie sa dernière pièce, Bettencourt
Boulevard, à Christian Schiaretti, Michel Vinaver
témoigne du lien artistique et amical qui l’unit
au metteur en scène depuis la représentation des
Coréens à la Comédie-Française en 1993, et plus
encore depuis l’intégrale de Par-dessus bord en
2008, au TNP.
Au-delà de ce compagnonnage, la création de
Bettencourt Boulevard s’inscrit dans l’histoire du
théâtre. En effet, le Par-dessus bord de 2008 n’est
pas la première rencontre entre le dramaturge et
le TNP. En 1973, moins d’un an après que le sigle
et la mission du TNP ont été transférés de Paris à
Villeurbanne, Roger Planchon met la pièce au pro-
gramme. Il permet ainsi à l’œuvre de Vinaver de
renouer avec la scène, après une longue période
de silence. À l’époque, Les Huissiers et Iphigénie
Hôtel, écrits respectivement en 1957 et 1959, n’ont
pas encore été montés, sans doute parce qu’ils
évoquent, avec la guerre d’Algérie et ses consé-
quences politiques, des drames que la France a en-
core bien du mal à affronter, voire à nommer, même
à travers une fiction théâtrale – de fait, il faudra at-
tendre, pour une représentation de ces deux pièces,
la fin de la décennie soixante-dix. Après Iphigénie
Hôtel, Michel Vinaver a cessé d’écrire pendant dix
ans, jusqu’à Par-dessus bord.
Créateur de la première pièce de Vinaver (Les
Coréens), en 1956, Planchon confirme en 1973 l’im-
portance de cet auteur dans le paysage dramatur-
gique contemporain. Mais il affirme aussi sa propre
autorité de metteur en scène en coupant et en réor-
ganisant Par-dessus bord, texte jugé injouable dans
son état originel, car trop long et trop foisonnant.
L’intervention, radicale, est caractéristique d’une
période où le sacre des créateurs de plateau s’ac-
compagne souvent d’une frustration des auteurs, et
il est tentant de voir, dans ce premier Par-dessus
bord, l’origine d’une méfiance de Vinaver face aux
excès de la « mise en scène », malicieusement nom-
mée « mise en trop » (voir, en annexe 4, un extrait
de l’article ainsi intitulé).
Monter Par-dessus bord en 2008 était donc un
acte riche de sens : juste avant de dire adieu au
plateau de l’ère Planchon avec de grands travaux
destinés à modifier profondément l’allure et la
structure du TNP, Christian Schiaretti et sa troupe
revenaient aux sources d’un spectacle fondateur.
Mais, avec le choix audacieux du texte intégral (et
ses six heures et quart de représentation, entractes
non compris !), Christian Schiaretti affirmait aussi
un autre rapport à la mise en scène, conçue comme
un artisanat complice de l’écriture : le texte est
mis à l’épreuve du plateau, autant que le plateau
à l’épreuve du texte. On verra dans Pour en finir
avec les créateurs (extrait donné en annexe 5) à
quel point le metteur en scène partage la critique
vinavérienne des créateurs autonomes et se définit
comme interprète du texte.
Introduction.
De Par-dessus bord à Bettencourt
Boulevard : une histoire du TNP
Un vent venu d’Amérique ou l’invasion des symboles,
mise en scène de Par-dessus bord par Roger Planchon, 1973
L’influence du marketing américain : séance de brainstorming
dans l’entreprise Ravoire et Dehaze.
Mise en scène de Roger Planchon, 1973