Revue du presse du Triptyque

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Revue de presse
Triptyque des années 70 à nos jours…
Collectif In Vitro
Julie Deliquet
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 9 mars 2016
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 16 mars 2016 par Caïn Marchenoir
Théâtre : Variations familiales In Vitro à la Croix-Rousse
In Vitro, collectif énergique et inventif, met en scène trois pièces portant sur les relations
familiales au théâtre de la Croix-Rousse. En commençant par la Noce de Brecht ce
mercredi.
“Familles, je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possession jalouse du bonheur.” C’est
souvent de façon incomplète, mais aussi inexacte, que l’on reprend cette phrase d’André Gide, tirée
des Nourritures terrestres. On oublie souvent le “s” final de “familles”. Il est pourtant essentiel : il
marque l’idée qu’il n’y a pas de modèle unique en la matière. On pourra s’en rendre compte en se
rendant à la Croix-Rousse cette semaine. Surtout si l’on y va à trois reprises. Le collectif In Vitro y
propose en effet un triptyque théâtral qui offre trois éclairages sur ce thème des relations familiales,
à travers différentes époques, différentes situations, une création collective et deux grandes pièces
de notre répertoire théâtral.
1970 – La Noce de Brecht
On trouvera d’abord une famille dans un moment clé de sa formation, celui du mariage, avec La
Noce chez les petits bourgeois de Bertolt Brecht, qui ouvre le bal et les hostilités. Une pièce à
l’incroyable force burlesque que Julie Deliquet, metteure en scène de la troupe, a choisi de transposer
dans les années 1970. Peut-être pour que la succession soit logique avec le deuxième
spectacle, Derniers remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce.
1980 – Les Remords de Lagarce
Nous sommes à présent dans les années 1980 et les mariages sont loin, les familles déjà
composées ou même recomposées. Les retrouvailles s’organisent autour d’une maison achetée en
commun en 1968. Règlements de comptes, dans tous les sens du terme, sont au programme. Tout
comme dans le dernier volet du triptyque...
1990 – Nous sommes seuls maintenant
Le dernier volet de ce triptyque, Nous sommes seuls maintenant, création collective de la troupe,
nous emmène dans la décennie suivante, celle des années 1990, à l’occasion d’un repas festif où se
retrouvent plusieurs générations, des petits-enfants aux grands-parents. Excellente manière de
clôturer ce cycle familial et théâtral qui s’annonce jubilatoire et passionnant.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 15 mars 2016 par Nadja Pobel
La fin des utopies
Généalogie d’aujourd’hui Sans être désenchantée, la génération de Julie Deliquet
regarde dans le rétroviseur via Brecht et Lagarce, avant de se coltiner à sa réalité dans
un triptyque peu novateur sur le fond, mais épatant dans sa forme.
Trentenaire passée par le Conservatoire de Montpellier, l’École du Studio Théâtre d’Asnières et
l’école de Jacques Lecoq, Julie Deliquet a trouvé en route des compagnons avec lesquels créer en
2009 ce collectif portant en lui la notion d’expérimentation, In Vitro. D’emblée, ils montent Derniers
remords avant l’oubli dans lequel Jean-Luc Lagarce signe la fin des utopies : un trio amoureux
ayant acheté une maison se retrouve flanqué et d’un nouveau conjoint, et de leur solitude, pour clore
ce chapitre. Sans éclat, entre cynisme et lassitude, ces personnages sont justement interprétés
; sans trop en faire, par une troupe qui une heure plus tôt a démontré à quel point elle savait jouer
collectif.
En effet, à cette échappée dans les années 80, Julie Deliquet a trouvé un prequel avec la pièce
de Brecht, La Noce, qui tourne comme dans un film de Vinterberg, au règlement de compte à
mesure que les verres d’alcool se vident et que le mobilier, construit par l’époux, se dézingue. La
metteuse en scène parvient habilement à établir une tension au long court, évitant les trous
d’air grâce à ses acteurs qui savent occuper l’espace et le temps sans jamais donner, ne serait-ce
qu’un instant, une impression de brouillon.
Tant pis pour les victoires, tant mieux pour les défaites
En fin de parcours, après plus de 2h30, elle présente la version 90’s : celle des descendants de
68 devenus bobos parisiens, partis s’installer à la campagne pour renaître ou s’enterrer, c’est selon.
Vidéo et témoignages d’enfants à l’appui, elle questionne l’héritage en réunissant autour de la table
(élément central et sommaire de ce triptyque) des quadragénaires désormais parents d’ados.
La famille et l’argent ne sont pas plus qu’hier les ingrédients d’un supposé bonheur après lequel
chacun court. Souvent drôle, cette dernière partie ne nous apprend pas grand-chose sur nos
condisciples, mais les regarde avec lucidité. Et donne surtout naissance à un collectif très uni,
convaincant, que l’on aimerait voir partir à l’abordage de textes plus rugueux ou, à défaut,
d'un grand classique comme celui que les Possédés – artistes qui leur ressemblent tant - ont
récemment livré avec Platonov.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 10 mars 2016 par Stéphane Caruana
Le collectif In Vitro tire le bilan des années post-Mai-68
Le collectif In Vitro, créé en 2009 par Julie Deliquet, défend l’idée d’un théâtre travaillé et élaboré
en groupe, à partir de longues séances d’improvisation, où chacun apporte sa pierre à l’édifice final.
Il n’est donc pas étonnant de le voir s’attaquer aux utopies nées de la révolte de Mai 68.
C’est la pièce de Jean-Luc Lagarde, Derniers remords avant l’oubli, qui sert de genèse au projet
du triptyque Des années 70 à nos jours du collectif In Vitro. Dans cette pièce, le dramaturge illustre
le passage des hippies des années 70 aux yuppies des années 80 à travers l’histoire de trois
personnages, Pierre, Paul et Hélène, qui ont acheté ensemble une maison en 1968 afin de vivre leur
idéal d’un foyer à trois, loin des carcans de la bourgeoisie d’alors. Néanmoins, dix ans après, les trois
amis ont suivi des routes différentes. Rattrapés par les normes sociales, ils se retrouvent pour vendre
la maison, tirant ainsi le bilan de leurs espérances et utopies passées.
Afin d’étoffer leur réflexion autour de la génération de Mai 68, les membres du collectif In Vitro
ont choisi de flanquer la pièce de Lagarce de deux propositions théâtrales au dispositif scénique très
similaire : ainsi La Noce, tirée de la pièce de Brecht La Noce chez les petit-bourgeois, et Nous sommes
seuls maintenant, création originale du collectif, accueillent en plateau un grand nombre de
personnages au cours d’un repas de famille.
Dans La Noce, pièce écrite en 1919 et transposée dans les années 70, il s’agit d’imaginer la
fougue de la jeune génération qui se révolte contre celle de ses parents.
Dans Nous sommes seuls maintenant, en revanche, l’heure est au bilan pour la génération de
Mai 68, embourgeoisée à son tour et soumise au regard de ses propres enfants, qui ont à leur tour
vingt ans. Face aux contradictions, aux lâchetés, aux oublis, chacun tente alors de tirer le bilan des
espoirs d’une jeunesse qui semble s’être perdue en route.
Bien qu’il se défende d’intenter le procès des années 70, le collectif In Vitro tient cependant le
compte des illusions envolées et des utopies avortées. Néanmoins, la présence du groupe sur le
plateau, la large place laissée à l’improvisation, l’anarchie légère qui habite la scène et le
capharnaüm apparent laissent transparaître la tendresse que les membres de la troupe continuent
d’éprouver à l’égard de leurs aînés et de leur tentative de changer le monde.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 24 février 2016
Voilà, une génération qui voulait changer le monde et qui ne désarme pas ! Puis ils ont eu des
enfants... C’est un repas dans une maison des Deux-Sèvres au début des armées 1990. Du Grandpère à la petite fille, on s’attroupe sans modération autour de la table de François et Françoise, les
parents de Bulle. Il y a Marie-Pierre, Catherine et Jacques, Daniel exploitant agricole, Georges,
gaulliste pur et dur, qui enrobe ses valeurs d'une poésie de gauche, Carmen, et Michel Bandini qui
rit beaucoup quand il ne sait pas quoi dire. Dans le fond, l’Argentin Sullivan a l’air de couver François,
à moins qu’il ne le chauffe à blanc…
Des barricades de Paris au Chili des années 1970, tous les voyages et toutes les époques peuvent
maintenant surgir de cette table-là. Quel est l’héritage aujourd’hui pour les enfants mai 68 ? Avant
d’être livrées au plateau, les créations d’In Vitro se frottent au réel au cours de longues
improvisations. Cette recherche d’une captation du vivant est un outil idéal pour s’approprier l’espace
théâtral où comédiens, personnages et improvisations fusionnent. Le collectif In Vitro nous propose
cette grande pièce chorale en forme de portrait de famille, écrite collectivement. Le tableau d'une
époque pétrie de liberté et de contradictions. Sous l’œil de leurs enfants de vingt ans et malgré les
utopies de mai 68 envolées, les révolutionnaires d’hier refusent l’idée de vieillir.
« In Vitro, c’est avant tout le désir de faire du théâtre en groupe après la sortie des écoles (StudioThéâtre d’Asnières, École Jacques Lecocq, TNS…). S'approprier le langage commun de la répétition
et son terrain de recherche, le prolonger pour ramener le spectacle au plus près de nous.
L’improvisation et la proposition individuelle s’inscrivent comme moteur - de la répétition et de la
représentation.
L’acteur est responsable et identitaire de notre démarche à travers ses choix sur le plateau. Nous
bousculons nos textes non seulement grâce à l’improvisation mais aussi grâce à l’entrée du réel.
Nous travaillons dans un premier temps dans des lieux existants (maisons-appartements-garagesrestaurants), sur des temps d'improvisation très longs (plan-séquences de plusieurs heures, voire
d'une journée) et mêlons aussi le travail d’acteurs à celui de non-acteurs qui jouent leurs propres
rôles.
Ce travail d’investigation du réel a pour but de retranscrire dans nos fictions cette captation du
vivant, de la maladresse du direct afin de s'approprier l’espace théâtral et réduire au maximum la
frontière avec le spectateur. L’acteur et le personnage, le texte et l’improvisation tendent à se
rassembler pour ne faire qu’un. La partition de chacun dépend de celle des autres et ensemble nous
cherchons les traces de la vie comme un engagement. Nous travaillons sur le plan-séquence,
fondateur d’un théâtre qui s’inscrit dans le lieu unique, la proximité scène-salle, le temps réel, avec
très peu de décors, très peu de costumes, chassant le théâtre classique découpé en scènes. »
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 22 janvier 2016
Trytique soixante-huitard
En trois pièces - Brecht, Lagarce et une création basée sur l’impro - le Collectif In Vitro
apporte une matière nouvelle, un regard inédit sur l’héritage soixante-huitards vu par la
génération Y.
C’est d’abord un dialogue de génération, fantasmé, observé. Celle de 68, qui refuse de vieillir, et
ses enfants, qui se demande où est leur place. Ce triptyque endogame, composé de La Noce de
Brecht, de Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce, et de la création Nous sommes seuls
maintenant, se sert de la matière théâtrale, de son intemporalité, pour faire dialoguer des pièces
écrites en 1919, 1987 et 2013 autour de la question soixante-huitarde. Créées dans un esprit choral,
propre au collectif In Vitro, fait d’improvisation et de longues répétitions en plan séquence, arrangées
par Julie Deliquet, ces trois pièces ont vu le jour une à une, indépendamment. Jusqu’à venir se
répondre dans ce triptyque de quatre heures (avec entracte) étonnant et risqué. Il y a l’humour
grinçant de Brecht, qui pointe les hypocrisies bourgeoises, transposé en 1968. Puis les remords
contre l’oubli, le silence contre la parole, chez Lagarce : années 80, des amis/amants se retrouvent,
règlement de comptes, autour d’une maison achetée en commun en 68. Vient enfin la création du
collectif, qui apporte un point presque final aux questions déjà soulevées. Retrouvailles, famille,
encore, autour du repas d’anniversaire de Bulle, 20 ans, début des années 90. Huis clos choral, le
triptyque laisse chaque soir assez d’air pour que l’improvisation vienne insuffler un petit bordel de
vie à cette fresque surprenante.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 31 mai 2015
Ensemble, mais seuls
De solitude, il n’est au début guère question : François et Françoise ont trouvé un petit nid
d’amour dans le Poitou et convient leurs proches à l’admirer. La famille, les amis de toujours ou pour
toujours ; sur ces liens indéfectibles, ce socle sentimental qui semble inébranlable, le collectif In Vitro
agite sa petite éprouvette pleine de vie et fait se lézarder le mur des vies tranquilles. Georges, le
grand-père, est de la vieille école, tendance gaulliste ; il a toujours en travers la gorge son gendre
révolutionnaire, que sa fille a suivi, à l’époque, jusqu’au Chili, avec leur ami Sullivan. Le couple est
revenu avec une petite fille, Bulle. Dans la maison du Poitou, on trinque aux vingt ans de Bulle. Autour
de la table, se déroule un repas jubilatoire mille fois connu des spectateurs, le repas de famille, avec
chaque personnage bien campé, à la limite de la caricature, enfermé dans son rôle. Le retour —
inopiné ? inespéré ? — de Sullivan bouleverse la donne. L’alcool coule à flots, un innocent jeu de
questions-réponses devient vite cruel. Qu’en est-il des idéaux révolutionnaires ? De 68 ? De l’amour
libre ? Qu’en reste-t-il ? Comment grandir sous leur ombre, quelle liberté d’être, de s’exprimer, de
vivre, s’octroyer ?
Le collectif In Vitro joue chaque fois un spectacle différent, laissant une large part à
l’improvisation. De fait, on a l’impression d’être à table avec eux, de ressentir leurs émotions, de
connaître déjà le dénouement tout en cherchant une autre issue. Car dans Nous sommes seuls
maintenant, il est beaucoup question de renoncement, de rêves avortés, du pragmatisme de la
réalité… comme si le passage à l’état d’adulte impliquait, d’abord, de renoncer.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 29 mai 2015 par Guillaume Malvoisin
Collectif In Vitro : enfin seuls ?
Nous sommes seuls maintenant, création collective, est présentée jusqu’à dimanche dans le
cadre de Théâtre en Mai. Rencontre avec une metteure en scène/spectatrice de ses propres créations
et d’une bande de comédiens inlassables dans leur quête.
Votre collectif incarne la génération de vos parents, est-ce un droit d’inventaire ?
« Le spectacle voit une héritière de 20 ans faire face aux générations précédentes. On évite la
frontalité pour aborder de manière ludique ce que nous sommes, nous quadras et quinquas actuels.
Il ne s’agit ni de juger ni d’assassiner. Notre regard est tendre. »
Où en est-on avec 1968 ?
« La question est difficile. Il faut noter aussi que la génération de 68 est encore au pouvoir
aujourd’hui. Ces idéaux peuvent sembler has been par rapport au monde actuel qui n’a rien à voir
avec le monde utopique qu’ils espéraient. De mon point de vue, cette génération est un peu
écrasante pour celle d’après. D’avoir eu des idéaux si forts, d’avoir voulu faire bouger le monde à 20
ans, est-ce que finalement cela n’a pas fait vieillir ou devenir raisonnable notre génération avant
l’heure ? C’est cette question qui traverse notre spectacle. »
Vous souhaitez bousculer les codes de théâtre, avec l’utilisation du plan séquence qui
remise les actes et scènes.
« J’ai fait des études de cinéma, alors je dois être imprégnée de cela. Dans les années 90, les
grands metteurs en scène, de la génération d’avant d’ailleurs, vouaient un culte à l’écriture de
théâtre : textes lourds, culte du phrasé et du metteur en scène. J’avais très peur que ma génération
se tourne plus vers le cinéma que vers le théâtre. J’ai envie, moi, d’une forme plus simple et plus
maladroite peut-être, le plan séquence est cela. Il permet de trouver une forme d’humanité en scène,
le partage du vivant avec les spectateurs. Notre force, c’est le vivant : on peut s’y ennuyer et y vivre
aussi des moments parmi les plus forts. Je veux voir les acteurs respirer en temps réel, partager un
temps commun et les accidents avec le spectateur. »
Au cinéma, il y a pourtant le montage.
« Oui, pas au théâtre. Alors on retravaille avant chaque représentation avec trois heures de notes
pour activer cette recherche du présent et donc du vivant. Cela me paraît être honnête. »
Vous utilisez donc beaucoup la pratique de l’improvisation.
« Tout dans ce spectacle repose sur l’humanité de chaque acteur. Tous les soirs les répliques
changent, la façon de raconter cette histoire qui, elle, ne change pas, bouge. Moi, je suis metteur en
scène/spectatrice. Je découvre comment les comédiens vont jouer en direct la partition collective.
On réinterroge chaque jour la représentation pour que l’écriture reste précise et vivante. »
Vous parlez de complicité entre la salle et la scène.
« Oui, je veux réduire au maximum les différences qui les animent. Les rires et les pleurs des
acteurs sont vrais donc perméables à la salle. Les spectateurs s’en rendent compte même si
personne ne leur dit qu’il s’agit d’improvisation. Ils assistent à quelque chose d’honnête et de réel.
Les acteurs se provoquent beaucoup entre eux et le spectacle est le treizième personnage qui assiste
à ces débats. »
Vous êtes nombreux en scène, est-ce important pour vous ?
« C’était difficile à mettre en place, mais le groupe est ainsi très puissant. Le metteur en scène
voit son rôle amoindri et l’acteur valorisé comme créateur. Il y a une grande dépendance, c’est plus
compliqué qu’une troupe habituelle mais plus fort. Je souhaite avec ces derniers spectacles me
déposséder de quelques problématiques personnelles. Et ce groupe-ci avec son vivant au plateau
m’y aide parfaitement. Tout est en recherche permanente. Même si nous sommes très amis et très
proches, c’est le groupe qui s’exprime et ses relations internes qui renouvellent la joie dans la
création. Les spectacles se sont allégés grâce à ces pratiques. »
Vous faites le choix d’un symbole simple comme élément central : une table.
« Nous avions très peu de moyens au début des projets. Nous répétions dans un garage ou dans
une maison. Nous avons eu besoin de trouver un élément qui nous permettait de renouveler ce travail
de réel en scène : boire, fumer et manger ensemble pendant le spectacle. Nous n’avons pas fait cela
mais la table est un formidable outil pour improviser, pour que chacun puisse trouver sa place et sa
parole. Au théâtre, on travaille parfois à la table pour étudier la dramaturgie ou le texte. »
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 4 novembre 2014 par Christophe Candoni
Haut les corps au Festival Théâtral du Val d’Oise
La 32e édition du festival théâtral du Val d’Oise débute ce soir et prend pour thème le corps du
comédien exploré sous toutes ses formes et coutures à travers une programmation riche et
pluridisciplinaire (théâtre, danse, musique, marionnettes et objets, vidéo…) qui s’étend sur plus d’un
mois dans tout le territoire départemental.
Le théâtre « partout, pour tous ! » Voilà la vocation première du festival qui se déplace dans tous
les coins du Val d’Oise, des grandes villes aux zones rurales plus isolées, dans un souci d’accessibilité
et de proximité avec tous les spectateurs (adultes, jeunes, familles, scolaires…). Preuve en est : 46
villes parmi lesquelles Goussainville, Argenteuil, Fosses, Taverny, Cormeilles accueilleront dans leurs
structures culturelles 39 spectacles.
L’année dernière, le festival a touché plus de 21 000 spectateurs dont certains ont
inspiré Le Banquet de la vie donné ce soir en ouverture de festival à Pontoise. Le spectacle est en
effet conçu et mis en scène par Léa Dant à partir de témoignages d’habitants de Cergy, Marines et
Eaubonne qui se sont prêtés au jeu intime du récit de vie.
Pour l’inauguration qui aura lieu le mercredi 5 novembre à Garges-lès-Gonesse, c’est à un
spectacle, visuel, musical, poétique et sans parole, que sera convié un large public invité à découvrir
une adaptation d’Actéon, la métamorphose d’Ovide, interprétée par la danseuse Carine Gualdaroni
seule en scène avec une marionnette.
Cette édition, le Festival accueille 12 créations dont Les Enfants de la terreur coproduit par le
FACM (fonds d’aide à la création mutualisée). Le spectacle se joue actuellement au TNB dans le cadre
du festival Mettre en scène à Rennes. Au regard de la lutte de mouvements révolutionnaires qui firent
de la violence le cœur de leurs actions dans la deuxième partie du XXe siècle, Julie Depaule se
demande comment changer le monde et à quel prix ?
L’écriture et les formes contemporaines seront largement représentées par des auteurs tels que
Dennis Kelly avec Orphelins, un thriller sombre à lourd suspense, ou Philippe Dorin avec sa pièce
jeune public Sœur, je ne sais pas quoi frère, et des créations collectives parmi lesquelles Nous
sommes seuls maintenant, le dernier des trois volets de la trilogie « Des années 70 à nos jours »
proposée par le collectif In Vitro de Julie Deliquet en résidence au festival et présente il y a peu au
festival d’automne à Paris.
Gros succès au festival d’Avignon, le Discours à la nation de l’italien Ascanio Celestini interprété
par David Murgia se donnera pour une représentation conclusive à Fosses le 7 décembre avant sa
reprise en janvier au Théâtre du Rond-Point à Paris.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 14 octobre 2014
LOISIRS " Nous sommes seuls maintenant " au théâtre
Le théâtre accueille jeudi 16 octobre, « Nous sommes seuls maintenant », par le Collectif In Vitro.
Dernier volet du triptyque « Des années soixante-dix à nos jours… », il s'agit d'une grande pièce
chorale en forme de portrait de famille. Un repas dans une maison des Deux-Sèvres, au début des
années quatre-vingt-dix, le tableau d'une époque, pétrie de liberté et de contradictions. Sous l'œil de
leurs enfants de 20 ans et malgré les utopies envolées, les révolutionnaires d'hier refusent l'idée de
vieillir. Quel héritage aujourd'hui pour les enfants de Mai 68 ? C'est un voyage dans le temps, une
complicité partagée d'une génération qui s'adresse à une autre et qui se construit dans les yeux et
les idéaux d'une autre.
Agapes familiales à Thouars jeudi
Avec « Nous sommes seuls maintenant », le collectif In Vitro dirigé par Julie Deliquet, propose
une grande pièce chorale en forme de portrait de famille dans laquelle, des barricades de Paris au
Chili des années 1970, toutes les époques peuvent surgir.
C'est un repas de famille en Deux-Sèvres. Malgré leurs utopies envolées, les révolutionnaires
d'hier refusent l'idée de vieillir.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 29 septembre 2014 par Florent Detroy
Collectif In vitro, que reste-il de 1968 ?
Après le Théâtre des Abbesses, c’est le Théâtre Gérard Philipe à Saint Denis qui présente un
triptyque- La Noce, de Bertolt Brecht, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce et Nous
sommes seuls maintenant, du collectif In Vitro. Toutes trois mises en scène par Julie Deliquet, ces
pièces exposent avec distance et humour les difficultés de la génération soixante-huitarde à
s’émanciper de ses idéaux.
Alors que La Noce expose un repas de mariage désastreux, le texte de Lagarce confronte trois
anciens amants, contraints de se retrouver vingt ans après pour vendre la maison qu’un d’eux occupe
toujours. La troisième pièce présente le repas organisé dans la nouvelle maison de campagne d’un
ancien couple de soixante-huitards. Parents, enfants et amis au menu. Si La Noce, censée
représenter le mariage de leur parent, est une introduction un peu longue, les deux pièces suivantes,
en confrontant cette génération dite « dorée » à ses parents et à ses enfants, s’avèrent
particulièrement efficaces dans le décapage des vieux oripeaux post soixante-huitards.
Une mise en scène naturaliste
Lors de ces trois banquets familiaux, la dizaine de comédiens excelle à créer une atmosphère
irrespirable, à force de propos venimeux et de frustrations enfouies. C’est d’ailleurs pour échapper à
ce malaise que le public du Théâtre des Abbesses a peut-être ri autant. La confrontation de ces trois
générations, ironiquement prolongée jusqu’à la quatrième génération par la présence de plusieurs
groupes d’adolescents dans la salle, pose un regard cruel sur ces soixante-huitards. Alors qu’ils
voulaient faire table rase du passé, ils sont désormais rattrapés par leurs faiblesses, leurs peurs ou
simplement leur âge. Il ressort de ces trois pièces le portrait d’une génération paumée, presque
attachante, et définitivement mal à l’aise avec son époque.
Si le thème est classique, Julie Deliquet le traite sans tomber dans la facilité ni parti-pris. Mais
l’intelligence et l’originalité de la mise en scène est surtout d’arriver à créer ces atmosphères
familiales faussement conviviales, en donnant notamment aux comédiens une grande liberté
d’improvisation au cours de longs « plans séquences ». Il est à partir de là très difficile de ne pas
s’identifier à ces situations, alors que plusieurs échanges résonnent probablement familièrement aux
oreilles des spectateurs.
C’est alors l’occasion de se rappeler que les grands discours révolutionnaires font souvent
long feu face l’âpreté des rapports familiaux.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 27 septembre 2014
Festival d’Automne, Théâtre des Abbesses à Paris jusqu’au 28 septembre et Théâtre
Gérard-Philipe, à Saint-Denis, du 2 au 12 octobre.
Créé en 2009, le collectif In Vitro explore les histoires de famille, de transmission, de génération
qu’il questionne autour d’une table, élément central dans le dispositif de Julie Deliquet expérimentant
un théâtre du réel, où le lâcher prise de la situation se dispute aux règlements de comptes.
A la fois drôle, juste et ravageur, ce regard d’aujourd’hui porté sur ces années qui ont marqué
bien plus qu’une génération témoigne d’une scène théâtrale aussi enthousiasmante que réjouissante
C’est un voyage dans le temps auquel nous sommes conviés avec trois pièces entrecoupées d’un
entracte où une génération s’adresse à une autre pour remonter le cours du temps, des années 70 à
nos jours. Et c’est une réussite où chacun des longs plans séquence communs aux 3 spectacles, à
la scénographie sobre, donne tout son sens à la maitrise, à l’extrême acuité et à l’énergie du collectif.
Ça commence avec « La Noce » de Bertolt Brecht transposée dans les années 70 qui voit les
convives de moins en moins à la fête…, où – entre les histoires glauques du père de la mariée, les
aveux de cette dernière enceinte, les mauvaises plaisanteries et les provocations des uns et des
autres – les certitudes s’effondrent à l’instar des meubles fabriqués par le marié.
Une fuite en avant aussi cruelle que désespérément humaine investie de concert par chacun des
acteurs au plus près du réel et de sa vérité première dans un jeu intense, instantané et direct où
s’annihile la barrière entre le comédien et le spectateur.
On poursuit avec « Derniers remords avant l’oubli », de Jean-Luc Lagarce qui met en scène un
trio qui s’est aimé dans les années 70 avant de se séparer.
Pierre, Paul et Hélène ont vécu ensemble il y a vingt ans. Après le départ de Paul et d’Hélène,
Pierre est resté seul dans la maison commune. « Je n’ai rien fait, je suis resté là. Je gardais cet endroit,
ici. C’est là que nous avons vécu et rien d’autre ». dit celui-ci. Paul et Hélène, eux, se sont mariés
séparément, ailleurs. Aujourd’hui, ils reviennent chez Pierre encombrés de leurs nouvelles familles,
pour débattre du devenir de cette maison. Hélène a besoin d’argent.
De nouveau tous réunis, ils vont revenir sur les traces de leur histoire où le passé mis à mal fait
naitre les tensions, exacerbe les ressentiments, et cristallise les non-dits, asphyxiant l’espace des
retrouvailles. Le collectif est à l’œuvre où il impose son rythme et la proximité du texte dans son
appropriation immédiate.
La langue est bousculée et va permettre à chacun des six protagonistes d’exposer son point de
vue et de défendre sa position. En prolongeant la parole de l’auteur au-delà de ce qui est énoncé,
on scrute l’insondable de l’écriture que la mise à nu sous-tend très justement.
Dans une œuvre où se consument les rancœurs et les actes manqués, le procédé est efficace où
les sous-entendus et les silences participent aussi au règlement de comptes qui se joue.
Dans cette mise en abîme très vivante où le verbe court de Lagarce qui procède par incises – les
personnages reprenant sans cesse ce qu’ils viennent de dire en le modifiant – ce qui lui imprime une
cadence fragmentée, on est suspendu à ces échappées verbales révélatrices chez les personnages
de leur mauvaise foi, de leur lâcheté, de leur faiblesse et de leur orgueil ou chacun de nous peut se
reconnaitre.
Cet impératif de vérité donne également toute sa place à la dérision et au décalage des situations
décrites qui, par-delà le rire qu’elles provoquent, n’en sont pas moins empreintes de gravité.
Par-delà l’emportement qui assaillent les personnages, un sentiment de résignation et de
solitude se fait jour où le pragmatisme de la vie a balayé implacablement les idéaux et dénaturé les
complicités d’hier. Et le collectif donne à ressentir au-delà des mots, des gestes, et des regards, la
prose tragique mais tendrement élégiaque du grand dramaturge. On termine avec « Nous sommes
seuls maintenant », une création collective ré-improvisée chaque soir, où quand une génération qui
voulait changer le monde se confronte à ses idéaux recyclés dans un face à face générationnel. On
retrouve le fil rouge de la table et du repas dans une maison secondaire des Deux-Sèvres au début
des années 90. Du grand-père à la petite fille, en passant par les amis, le reste de la famille, on
s’attroupe sans modération autour de la table de François et Françoise, les parents de Bulle, qui
rêvent d’un nouvel avenir à la campagne. Il y a Marie-Pierre, Catherine et Jacques, Daniel exploitant
agricole, Georges, gaulliste pur et dur, qui enrobe ses valeurs d’une poésie de gauche, Carmen et
Michel Bandini qui rit beaucoup quand il ne sait pas quoi dire. On y évoque un passé qui ressurgi
avec Sullivan, un vieux copain argentin qui les a accompagnés dans leur combat contre la dictature
chilienne. Mais qu’y-a-t-il d’authentiquement sincère dans ces utopies militantes ? Qu’y-a-t-il de
sincèrement authentique ? Car elles renferment à l’abri d’un jeu de la vérité aussi infernal
qu’implacable, initié entre les invités, le poids des non-dits, des déceptions, des frustrations et des
illusions perdues. Les personnages sont parfaitement caractérisés et les situations familières bien
senties au gré d’une mise à nu vacharde des protagonistes.
À la fois drôle, juste et ravageur, ce regard d’aujourd’hui porté sur ces années qui ont marqué
bien plus qu’une génération, témoigne d’une scène théâtrale aussi enthousiasmante que
réjouissante…
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 26 septembre 2014 par Benoît Lagarrigue
TGP / Les années 70 en héritage ?
Julie Deliquet s’attache, à travers trois époques successives et un triptyque, à la transmission
entre les générations. À voir au TGP du 2 au 12 octobre.
Que reste-t-il, aujourd’hui, des années 70 ? C’est à cette question que tente de répondre Julie
Deliquet, avec son collectif In Vitro, metteure en scène d’un triptyque, Des années 70 à nos jours…,
visible au TGP du 2 au 12 octobre après avoir été présenté en septembre au Festival d’automne. Si
le dernier volet, Nous sommes seuls maintenant, est à l’affiche les mercredi, jeudi et vendredi,
l’intégrale le sera le week-end. Tout est parti en 2009. Cette année-là, Julie Deliquet montait Derniers
remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce.
L’ultime rencontre, à la fin des années 1980 de deux hommes et une femme qui, après 68,
avaient vécu ensemble dans une maison et qui discutent de sa vente éventuelle. « C’est un texte
très écrit, mais aussi très oral, avec de nombreux sous-entendus, des zones d’ombres. Pour nous qui
travaillons beaucoup à partir d’improvisations, il était important que l’on se coltine avec ce texte. Et
puis il avait une résonnance particulière pour moi, intime, puisque je suis fille de parents soixantehuitards… », explique-t-elle.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Ne voulant pas être cataloguée « théâtre contemporain »,
Julie Deliquet se tourne alors vers un texte plus historique. Ce sera en 2011 La Noce, pièce de
jeunesse de Bertolt Brecht, qu’elle transpose dans les années 1970 en questionnant la notion de
mariage. « Cela formait un diptyque. À partir de là, j’ai eu envie d’aller au bout du projet, de raconter
la suite de l’histoire mais cette fois-ci à travers une création collective. » Voilà comment est né Nous
sommes seuls maintenant, créé en septembre, donc, et dont l’action se situe à la fin des années
1990.
Les trois spectacles ont en commun d’être conçus en longs plans séquence
Les trois spectacles ont en commun d’être conçus en longs plans séquence avec tous les
personnages sur le plateau en permanence, autour d’une table. « Dans La Noce, les meubles
s’effondrent, avec Derniers remords avant l’oubli, on parle de la vente d’une maison, de la fin de
quelque chose et Nous sommes seuls maintenant évoque une renaissance, un renouveau possible.
» Ce dernier volet s’est construit à partir d’improvisation des douze comédiens, y compris sur scène,
d’une représentation à l’autre.
Théâtre choral, saga d’une époque, Des années 70 à nos jours… s’annonce comme un regard
d’aujourd’hui sur ces années qui ont marqué bien plus qu’une génération. « Ce n’est pas une
reconstitution historique ou politique, prévient cependant Julie Deliquet. Notre vision des années 70
sort de l’idéalisation ou du rejet, comme trop souvent.
Pour moi qui suis de la génération suivante, qui ne l’a pas vécue mais qui en est issue, cette
période dit quelque chose : on se battait alors pour vivre mieux et nous, on se bat pour ne pas vivre
plus mal… Mais si cette génération, qui a voulu entre autres repenser la famille, la place de l’enfant,
s’est coupée de celle qui l’a précédée, elle s’est aussi coupée de la suivante. Elle a vieilli et c’est la
question de la transmission qui est posée. »
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 25 septembre 2014 par Anna Bochu
La longue bouffe de Julie Deliquet
Des années 70 à nos jours... est un triptyque du Collectif In Vitro mis en scène par la jeune
Julie Deliquet. Il est présenté dans le cadre du Festival d’Automne à Paris du 18 au 28
septembre au Théâtre de la Ville.
Pas de rideau, une table centrale et un personnage seul. Il attend que le public prenne place.
C’est ainsi que débute ce spectacle intimiste où le public est convié à un repas de famille long de
3h50.
Tout commence avec La Noce de Bertolt Brecht que Julie Deliquet a déjà montée en 2011. On
assiste au repas de mariage de Jacob et Maria dans les années 70. Les clichés, les marqueurs
chronologiques faciles vont bon train: joints, libération sexuelle et tapisserie à fleur. Et pourtant, ça
fonctionne. On rit. On se délecte de moments doux-amers grâce à la confrontation des générations
et la mélancolie d’une époque s’affranchissant volontiers des conventions.
Le second volet du triptyque est la pièce de Jean-Luc Lagarce Derniers remords avant l’oubli,
créée en 2009. Un trio amoureux, séparé depuis quinze ans, se retrouve pour négocier la vente de
leur maison commune: l’heure est au règlement de comptes. Le décor, plus froid, dépouillé, et l’usage
de la vidéo, tendent d’emblée l’atmosphère chaleureuse de la pièce précédente et la situent dans
une autre époque. Le thème du repas est toujours là. Dénouant les langues, il permet aux
personnages d’évoquer des souvenirs douloureux et de faire le point sur la vie qu’ils désirent
maintenant mener.
Le Collectif In Vitro, formé en 2009 par de jeunes comédiens sortant de l’école, base son travail
sur les jeux d’improvisation. C’est ce qui transparaît au fur et à mesure du spectacle, le texte de JeanLuc Lagarce permettant une liberté dans les situations. « Ils peuvent s’engueuler un soir, rire un
autre, mais cela ne change pas fondamentalement l’histoire », affirme Julie Deliquet dans une
interview.
C’est enfin une performance d’improvisation totale que les comédiens nous proposent en
dernière partie. Nous sommes seuls maintenant est un repas, encore un!, où se mêlent famille et
amis pour les 20 ans de Bulle, fille des hôtes. Cette création collective où les dialogues changent
chaque soir est censée se dérouler dix ans après la seconde pièce. Mêmes thèmes : parentalité, refus
de vieillir des baby-boomers, amour, l’amitié et mariage. Le peu de dynamisme spatial, le manque
de profondeur des conversations et des tentatives d’humour hasardeuses alourdissent le spectacle.
De nombreux spectateurs quittent d’ailleurs la salle avant la fin. Mais qui ne s’ennuie pas lors d’un
repas qui s’éternise?
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 24 septembre 2014 par René Solis
Familles à l’envers et contre tout
Julie Deliquet et le collectif In Vitro entraînent leurs personnages à travers plusieurs décennies.
La table se prête bien aux réglements de comptes, et sur le thème du repas de famille qui
dégénère, théâtre et cinéma ont volontiers brodé. La table familiale est au centre du projet en trois
parties que présentent Julie Deliquet et le collectif In Vitro, invités du Festival d’Automne et nouveaux
venus dans le paysage théâtral (lire Libérationdu 16 septembre).La soirée en leur compagnie dure
plus de quatre heures qu’on ne sent pas passer. Sens du rythme et maîtrise du temps ne sont pas
les moindres qualités d’un spectacle aussi drôle que réfléchi.
Glauque. Au menu donc, trois pièces séparées par un entracte, qui sont aussi un voyage dans le
temps. Née dans les années 80, Julie Deliquet se projette dans la génération de ses parents et
imagine une saga générationnelle s’étirant sur une bonne vingtaine d’années. Avec, en ouverture,
une transposition de la Noce chez les petits bourgeois de Brecht dans les années 70. La metteure en
scène dit avoir été particulièrement attirée par le côté cinématographique de la pièce - «un long planséquence», selon ses termes. Electrophone, pattes d’eph et cheveux longs participent de la pochade,
qui tourne au glauque à mesure que les verres se vident et que les meubles, mal collés par le jeune
marié, s’effondrent. Mais il s’agit moins de faire revivre une époque que d’effectuer un tour de chauffe
et de placer les spectateurs dans la situation des voisins surprenant une vraie tranche de vie.
Au jeu de l’hyperréalisme et du rôle de composition, certains comédiens sont plus à l’aise, et
d’abord le père, dont les plaisanteries lourdingues et les digressions sans fin ont pour seul but de
court-circuiter les discussions personnelles, qu’il sait potentiellement dangereuses. Très bien aussi,
l’amie exaspérée par son mari dès qu’il bouge un cil. C’est rapide, bien mené, cruel mais sans mépris
pour les personnages, et ce serait un poil trop lisse, n’était une scène de cul finale entre les deux
mariés dont la crudité montre que la metteure en scène n’a pas froid aux yeux.
La tension monte d’un cran pour Derniers remords avant l’oubli, la pièce de Jean-Luc Lagarce. La
famille est à prendre ici au sens élargi : quand ils ont fui Paris pour s’installer à la campagne dans les
années 70, Pierre, Paul et Hélène portaient un projet politique et amoureux en commun. Quinze ans
après leur séparation, Paul et Hélène, venus dresser l’acte de vente de la maison où Pierre était resté
seul, signent l’acte de décès de l’utopie. Les retrouvailles, sous le regard gêné des nouveaux
conjoints et de la progéniture, ont l’acidité des illusions perdues. Plus que la mélancolie, la mise en
scène propage l’ironie féroce de Lagarce. Malgré les mots qui se répètent et les phrases inachevées,
ça va vite, ça cogne et ça fait rire.
Illusions. Le troisième rendez-vous puise dans ce qui précède pour inventer la suite, cinq ou dix
ans plus tard, dans les années 90. Les illusions perdues des soixante-huitards sont toujours là, mais
enfouies sous le masque de l’éternelle jeunesse, de l’enthousiasme de François, en train de s’inventer
une nouvelle vie dans une maison de campagne où il a convié amis et famille. Autour de la table, la
troupe se retrouve au complet pour interpréter Nous sommes seuls maintenant, création collective
où chacun a inventé - et réinvente tous les soirs - son personnage. Les archétypes - bobos, paysan,
profs, agent immobilier de droite ou camarade à l’accent espagnol surgi du passé - sont bien vus et
interprétés, avec un sens de l’humour cousin du tandem Bacri-Jaoui (et de leur fameux Air de famille un dîner là aussi). Julie Deliquet dit préférer l’essai - la répétition au spectacle -, mais l’essai est ici
parfaitement abouti.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 22 septembre 2014 par Brigitte Salina
« Des années 70 à nos jours » sous le fardeau des utopies
Décidément, la question de l'héritage est un thème de l'automne. Dans Le Capital et son singe,
au Théâtre national de la Colline, à Paris, la bande de Sylvain Creuzevault s'interroge sur celui de
Marx et de la révolution (Le Monde daté 11 septembre). Dans Des années 70 à nos jours, une autre
bande, celle du Collectif In Vitro, se questionne sur le legs qu'il a reçu de la génération dite soixantehuitarde. Il le fait en grand, à travers trois pièces, présentées au Théâtre des Abbesses dans une
même soirée : La Noce, d'après Brecht, Derniers remords avant l'oubli, de Jean-Luc Lagarce, et Nous
sommes seuls maintenant, une création collective.
Cette saga, qui commence à 19 heures et s'achève après 23 heures, présente un autre point
commun avec Le Capital et son singe : elle se joue autour de tables, ces tables que de nombreux
collectifs mettent au centre du plateau, souvent comme unique attribut de décor, parce qu'elles sont
un théâtre en elles-mêmes.
Passons donc à table et voyons ce qu'ils ont à nous dire, ces jeunes gens qui ont choisi de
s'appeler In Vitro, soit « en éprouvette », parce qu'ils aiment avant tout expérimenter, ne rien figer
et garder, pendant les représentations, la vivacité de l'improvisation qui nourrit leur long travail.
LA MARIÉE DE « LA NOCE » DE BRECHT EN MINI-ROBE
Ils commencent par un mariage, qui pourrait être celui de leurs parents (quand ils se sont mariés),
en transposant dans les années 1970 la pièce de Brecht écrite en 1919. La mariée porte une minirobe et les invités des pantalons pattes d'éléphant. Ça mange, ça boit, ça danse le rock et le père
chante à ses filles qu'il les aime, sur l'air de La Bohême de Charles Aznavour. Mais la machine grince.
Au fur et à mesure que le mobilier, construit par le marié, se déglingue et se casse, le rêve d'un jour
heureux se brise. Il se termine en laissant seul le jeune couple qui « s'engueule », avant de faire
l'amour, debout contre un mur. « Pourquoi on s'est mariés ? », a demandé la jeune femme.
Avec Derniers remords avant l'oubli, on passe à la fin des années 1980. La pièce raconte les
retrouvailles de deux hommes et d'une femme qui se sont aimés et ont vécu ensemble dans une
maison qu'ils avaient achetée. Puis ils se sont séparés, chacun a suivi son chemin. Ils se revoient
pour discuter de la vente de la maison où l'un des trois vit toujours. Mais c'est d'eux qu'ils parlent.
De ce qu'ils furent, de ce qu'ils sont devenus : ils voulaient inventer une façon de vivre et de s'aimer,
et ils sont rentrés dans le rang. Avec, au cœur, ces « derniers remords avant l'oubli » qu'il leur faut
exprimer. Avant de repartir, chacun de son côté.
AU DÉBUT, CHACUN JOUE LA COMÉDIE DU BONHEUR
La troisième pièce, Nous sommes seuls maintenant, se passe dans les années 1990. Elle met en
scène un repas, dans une maison à la campagne, où un couple reçoit des amis. Au début, chacun
joue la comédie du bonheur, autour de la table. Ils sont douze, dont le grand-père de Bulle, qui fête
ses 20 ans. Jusqu'à ce jour, elle a cru aux légendes familiales d'avant sa naissance. Mais quand les
convives vont se mettre à jouer au jeu de la vérité, en buvant cul sec à chaque réponse, Bulle va
comprendre que le tableau idyllique cachait des non-dits, pas bien beaux quand ils n'étaient pas
terribles. Que fera-t-elle de sa vie, le sachant ? Quelle mère sera-t-elle ? Que léguera-t-elle à ses
enfants ?
Ainsi tourne la roue du temps, dans ce voyage intergénérationnel qui a le mérite de revendiquer
le fantasme sur les années 1970, leurs rêves et leurs illusions. En assumant cette démarche, le
Collectif In Vitro évite l'écueil de la sociologie platement retranscrite sur un plateau. Mais il n'évite
pas celui, lié au fantasme même, de verser dans le cliché d'une époque dorée, où tout était possible.
C'est peut-être pour cela que, malgré son indéniable qualité, le spectacle laisse sur sa faim.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 22 septembre 2014 par Denis Sanglard
Avec le collectif « In Vitro » le terme de collectif prend tout son sens. Pleinement. Ce dernier
présente au Théâtre des Abbesses un triptyque qui réunit « La Noce » de B. Brecht, « Dernier remord
avant l’oubli » de J-L. Lagarce et « Nous sommes seuls maintenant » création/improvisation de ce
groupe dynamique. Trois pièces, trois générations, trois situations qui se répètent à l’identique ou
presque. Avec cette interrogation lancinante qui finit par tout faire imploser : que sont nos idéaux
devenus, que sommes-nous devenus ?
Dans la Noce, le banquet tourne à l’aigre et, comme les meubles, se déglingue. Les rancœurs
enfouies, les jalousies tues, les désirs inavoués remontent à la surface. Un allègre et joyeux jeu de
massacre. Où l’avenir des jeunes mariés semble, comme leur nuit de noce, déjà consommé. Et
comme en écho de cette génération petite bourgeoise sans idéaux autres qu’un « confort douillet »,
« Dernier Remord avant l’oubli » où J-L Lagarce interroge, avec cette ironie implacable et mordante,
les idéaux perdus de ces trois qui s’aimaient avant de se déchirer et de se séparer. Et de refaire leur
vie. Vingt ans après, avec la vente d’une maison, les non-dits, les mensonges, les incompréhensions,
font de nouveau exploser le groupe réuni à cette occasion. Au regard de leurs aspirations passées,
de leurs désirs et leurs rêves, le présent semble devenu bien étriqué. Et c’est justement cette tension
insupportable entre ce passé raté, les aspirations envolées, et ce présent devenu minuscule
aujourd’hui mis à nu qui fait tout sauter. « Nous sommes seuls maintenant » est sans nul doute bien
plus acide et plus amer. Réunion de famille où le jeu de la vérité, impitoyable et aviné, finit par tout
faire là aussi imploser. Et salement. Qui aurait donc pu penser que la révolution chilienne finirait dans
une ferme des Deux-Sèvres ? Un dîner catastrophe, un de plus, où les yeux se décillent enfin, surtout
ceux de Bulle, vingt ans à peine, à qui l’avenir est ainsi paradoxalement offert.
Car c’est bien une question d’héritage que met en exergue la metteuse en scène Julie Deliquet.
Explorant les années 70 -la Noce est sans doute ici à l’aube de 68- jusqu’aux années 90, c’est une
plongée dans la transmission. Consciente ou non. Que sont devenus les enfants de 68 ? Un regard
sur nos propres aspirations et illusions éclatées, nos ratages flamboyants, nos idéaux pervertis, nos
contradictions irrémédiables. Nos résistances arc-boutées aussi contre l’évidence avérée de l’échec.
Et comment tout nous saute un jour où l’autre à la figure. L’impossibilité du déni au risque de la
perte.
Julie Deliquet ne démine pas le terrain mais par sa prédilection au plan-séquence étiré au
maximum et au travail d’improvisation – exercice délicat mais auquel ce collectif est rompu – mène
tambour battant ses comédiens dans une tension permanente jusqu’au point de rupture où tout vole
en éclat.
Long plan séquence que la table sans doute, unique et central objet du décor, résume le mieux.
On ne la quitte pas cette table, avant qu’elle ne soit renversée, qui devient la scène principale autour
de laquelle la parole se libère en un flot furieux et saccadé. Et ce qui saute aux yeux, magnifiquement,
c’est la très grande fluidité de la parole et des corps. L’impression que cette parole est spontanée,
s’inventant sur l’instant. Les répliques fusent et même se mordent parfois l’une l’autre ou sont à
peine audibles comme un remord vite étouffé. Ce qui semble compter est l’énergie formidable, cette,
encore une fois, circulation infernale et dynamique de la parole qui ne cesse comme l’alcool d’enivrer
et de noyer les invités. Une parole qu’on ne parvient plus à maitriser, ou mal, et qui finit par dévider
la vérité de l’échec. Et quand le silence se fait, quand tout est dit, on reste abasourdi, sonné, vide et
désespéré. Saoul. Et seul. Irrémédiablement.
Évidemment on peut regretter que la limite de cet exercice soit de perdre la langue de l’auteur,
leur style propre. Brecht et Lagarce sont ainsi mis sur le même plan stylistique afin de privilégier un
certain (hyper)naturalisme, au détriment de l’écriture singulière de chacun des auteurs. Mais l’intérêt
du collectif «In Vitro », et sa force, tient aussi à la remarquable cohésion de ce groupe, au talent de
ses comédiens qui acceptent ce pari insensé d’improviser – ou presque – chaque soir offrant une
création mouvante, en constante mutation. Chapeau ! Rare de voir une telle et belle unité au service
d’un projet global aussi audacieux. Un travail cohérent et fragile, qui par cette saga, trois pièces se
suivant, apparaît clairement et de façon nette. C’est ce qui donne à ce collectif sa force et sa
conviction. Une conviction si prégnante qu’elle ne peut emporter que l’adhésion.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 20 septembre 2014 par Philippe du Vignal
Festival d’Automne: Collectif in vitro Julie Deliquet:
La Noce de Bertolt Brecht, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce et Nous
somme seuls maintenant, création collective, mises en scène de Julie Deliquet
La Noce, deuxième spectacle du collectif In vitro, a été créé en 2011 au Théâtre de Vanves qui
est devenu en quelques années une véritable rampe de lancement pour jeunes compagnies comme
on disait autrefois, ou pour collectifs comme on dit maintenant, et dont nous vous avions dit beaucoup
de bien (voir Le Théâtre du Blog).
Réalisé avec toute l’énergie de la jeunesse, et grâce à une belle scénographie de Charlotte
Maurel, faite avec des éléments de récupération, ce spectacle lui doit beaucoup, et s’est encore
bonifié. La gestuelle et le jeu en général sont plus précis, les costumes ont été heureusement revus
mais il reste quelques problèmes de diction: on entend souvent mal les comédiens qui ont tendance
à bouler leur texte. Pas grave et cela reste tout-à-fait corrigible.
Cette fête de mariage ratée imaginée par Brecht, et remise au goût du jour, a été » l’occasion,
dit Julie Deliquet, de choisir une écriture différente que celle de Jean-Luc Lagarce », et c’est à « une
sorte de voyage généalogique » qu’elle nous convie: chacun des volets de ce triptyque est joué
autour d’une table où les participants prennent prennent un repas. C’est en fait le dénominateur
commun; merci qui? Merci Antoine Vitez qui, il y a presque quarante ans, avait imaginé ce dispositif
pour Catherine d’après Les Cloches de Bâled’Aragon. Et qui, depuis, a fait des petits…
Donc autour de cette table, on trinque, et on retrinque, on mange un peu et on parle beaucoup. La
Noce étant en fait, la seconde des aventures où Julie Deliquet a embarqué ses comédiens; créé il y
a déjà plus de trois ans, avec le temps, ce spectacle dont la mise en scène est devenue plus
précise, constitue un vrai et bon travail.
Derniers remords avant l’oubli (1987) est sans doute l’une des meilleures pièces de Jean-Luc
Lagarce, mort du sida en 95, et souvent jouée par les nouveaux collectifs qui se forment après la
sortie d’une école. L’histoire? Trois bons amis se retrouvent, dix-sept ans après l’avoir acquise en
indivision, dans
une maison de campagne où l’un d’eux a continué à habiter.
Mais le temps a passé et les deux autres, un homme et une femme veulent absolument la vendre;
les pièces rapportées, y compris la très jeune fille de l’un d’entre eux, qui ne se connaissent pas du
tout, comptent un peu les points sans prendre parti… Ambiance! Les amis ont bien changé, les
idéaux ne sont plus tout à fait les mêmes, et les belles et anciennes amitiés ne pèsent évidemment
plus grand chose dans la balance !
Les choses ne vont donc pas être faciles à négocier. Même si chacun tente d’y mettre du sien…
La direction d’acteurs est impeccable, et Julie Deliquet, passée par l’école Lecoq, possède, c’est
évident, une sacrée maîtrise du plateau. Même si comme dans La Noce, on entend parfois mal les
acteurs. Mais cela est encore tout à fait perfectible.
Après une courte pause, arrive le dernier volet, Nous sommes seuls maintenant, une « création
collective » (appellation très en vogue dans les années 70, cela nous rajeunit!). Sur le plateau, une
grande table et une plus petite, habillées du très ancien (16 ème siècle, merci pour la précision, du
Vignal) et très célèbre Vichy bleu.
Il y a suffisamment de chaises dépareillées pour douze personnes, autour de la table, où il a plein
de bougies, et de la charcutaille en apéro … On est chez François et Françoise, un couple de bobos,
accompagnés de leur jeune Bulle de vingt ans; ils viennent d’acquérir une vieille ferme dans les DeuxSèvres, et avec des amis et leur proche voisin, éleveur de bovins, ils ont improvisé ce apéro/ repas
où on rit beaucoup, on boit beaucoup, et pas que de l’eau…
On parle de tout et de rien. Les personnages de parents soixante-huitards, qui ont eu pour idéal
une remise à plat des mœurs mais qui ne font guère mieux que leurs géniteurs, sont bien campés,
et Julie Deliquet a demandé aux acteurs d’apporter leur petit sac de grain à moudre aux répétitions
pour arriver à construire une trame, à partir d’improvisations.
Mais elle dit que « c’est une pièce à part et que le texte est improvisé chaque soir. C’est de la
création instantanée, la parole est vraiment collective donc c’est un sacré travail d’écoute ». (Bon,
on veut bien!) Avant de reconnaître bien évidemment, que « certaines choses finissent par s’écrire
car elles deviennent nécessaires à l’histoire. » Elémentaire, mon cher Wattson! Cela dit, les
comédiens sont tout à fait sensibles et expérimentés, entre autres: Jean-Christophe Laurier,
Annabelle Simon, Eric Charon: ils savent ce qu’une impro veut dire, et en connaissent à fond toutes
les ficelles orales et gestuelles. Leur engagement- des heures et des heures de travail non rémunéré
bien entendu, est sûrement total et mérite le respect. Oui, mais… Il y a quand même dans ce
troisième opus de graves défauts dans la conception comme dans la mise en scène. Désolé de le
dire aussi brutalement mais ces interminables bavardages sur la campagne et la philosophie de la
vie sont vraiment sans intérêt et distillent vite un parfait ennui; le spectacle, très textuel, ne tient
donc pas vraiment la route, surtout sur plus de quatre-vingt-dix minutes! Ces impros même bien
travaillées, ne sont en effet pas fondées sur une dramaturgie suffisamment solide, et l’ensemble fait
donc très exercice de style que l’on peut débiter au kilomètre – certes parfois brillant mais souvent
naïf- et qui tient trop d’un travail d’école.
Et, comme les dialogues sont souvent à un deuxième degré qui rejoint le premier, là, cela ne va
plus du tout! Bref, ce qui aurait pu être un petit hors-d’œuvre sympathique en quarante minutes
maximum, devient quelque chose d’estoufadou, et du coup, ce spectacle en trois volets n’en finit
pas de finir. D’autant qu’il y a une erreur cette fois encore rattrapable: douze personnages (!) sont
assis la plupart du temps ou debout autour de la grande table de repas tout à fait crédible… mais
disposée de telle façon que le public en est exclu. On a en effet la désagréable impression de ne pas
faire partie de cette famille élargie où les gens se font plaisir. Cette scénographie aurait dû, dans ce
cas de figure, être quadri-frontale, ce qui, de plus, n’aurait pas nui du tout aux autres pièces.
Bon, cela s’apprend et ce sont juste des erreurs de tir! Reste, même encore brut de décoffrage,
la consécration d’un collectif, puisque collectif il y a, et qui constitue un des meilleurs éléments de
cette nouvelle et jeune génération de chefs de troupe et metteurs en scène comme Muriel Sapinho,
Thomas Jolly, Anne Barbot, Jean Bellorini, Jeanne Campbel, Benjamin Porrée, Julien Gosselin, etc….
Ce n’est évidemment pas un hasard !
Et ce que disait en 1953, Malcom Cowley, le conseiller littéraire des éditions Wiking qui éditèrent
Jack Kerouac, s’applique fort bien au théâtre français de ce début de XXIème siècle: « Les écrivains
dont on se souviendra, ne surgissent pas isolément, mais apparaissent en cohortes et en
constellations sur fond d’années relativement vides ».
Bref, que l’on se le dise : il y enfin un vent nouveau sur les plateaux de la douce France théâtrale,
et on s’en réjouit par ces temps moroses…
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Style
Le 19 septembre 2014 -
Par Clémentine Gallot
L'automne à tire d'elles
La scène, univers masculin ? Le Festival d'automne de Paris s'efforce de démontrer le
contraire en conviant une pléiade de metteuses en scène. Hasard ou coïncidence, la
question du genre est au centre de cette 43eédition.
Il y a les habitués, comme Bob Wilson et Romeo Castellucci. Mais la 43e édition du Festival
d'automne convie aussi cette saison des figures féminines émergentes. Qui abordent comme un
leitmotiv dans la moitié de leurs spectacles des problématiques de sexe et de genre, avec un objectif
en tête :perturber. Comme la dramaturge féministe Young Jean Lee, qui s'épanouit dans la
confrontation : « En tant qu'artiste, cela ne m'intéresse pas que le public se sente chez lui, prévient
cette Américano-Coréenne de 40 ans. J'ai grandi dans une petite ville très conservatrice de l'Etat de
Washington. Et même dans ma communauté artistique aujourd'hui, l'autocritique est nécessaire. »
Cette figure du théâtre expérimental new-yorkais, auteure de plusieurs spectacles radicaux
autour des questions de race et de genre (dont Untitled Feminist Show), présente à Paris une
nouvelle pièce, cette fois sur la masculinité, Straight White Men (en français, « hommes
hétérosexuels blancs »). Avec, sur le plateau, quatre acteurs dans un salon familial. « Je n'ai rien de
nouveau à ajouter sur la domination masculine, on connaît la chanson, constate-t-elle. En revanche,
la pièce m'en a appris davantage sur ma propre condition, mes privilèges et la manière dont le
patriarcat blanc et hétérosexuel fait partie intégrante de nous, qu'on le veuille ou non. Le but est que
l'identification avec les quatre personnages sur scène mette mal à l'aise le spectateur. »
UNE PERFORMANCE TRÈS POLITISÉE
Pour les « trublionnes » du collectif berlinois She She Pop, invité au Théâtre des Abbesses, la
féminité est depuis la fin des années 1990 au cœur d'une performance très politisée. C'est
accompagnés de leurs pères que les six performeuses et un garçon sont partis en tournée
avec Testament, spectacle qui les a fait connaître en 2010. Aujourd'hui, ils revisitent Le Sacre du
printemps, d'Igor Stravinsky et dansent, avec leurs mères cette fois, le sacrifice immémorial des
femmes sur l'autel du patriarcat.
En donnant la parole à des femmes plus âgées, les She She Pop entendent faire la peau aux
représentations archaïques de la maternité : « Le fantasme de la mère nourricière entièrement
dévouée à ses enfants est encore très présent dans la société allemande », indique Sebastian Bark,
seul homme de la troupe. Les Mutti (mamans) investissent le plateau par l'intermédiaire de vidéos
projetées pendant la pièce : « Notre intuition a été de travailler avec de grandes images qui servent
à éclairer un paradoxe. Nos mères existent en tant que personnes mais ce sont aussi nos projections.
Pour déconstruire toutes ces idées reçues, nous leur offrons la scène », conclut-il.
ELÉONORE WEBER : « JE SUIS FAVORABLE AUX QUOTAS »
Côté français, les metteuses en scène Eléonore Weber et Patricia Allio cultivent également le
malaise. Leur théâtre de recherche documentaire va à la rencontre des normes, sexuelles, sociales
et langagières. Ainsi, dans leur pièce La Fin de l'origine du monde, l'œuvre de Gustave Courbet était
revisitée et détournée. Leur nouveau spectacle, Natural Beauty Museum, brasse toujours ces
questions de nature et de culture, au musée, cette fois. Les acteurs arpentent des salles de musée
étrangement vides et paisibles. « Nous formulons l'hypothèse que le rapport à la nature se serait
substitué au rapport à l'art, détaille Eléonore Weber. Un retour à l'ordre naturel, qui est à nos yeux
une menace. » « Lors du mariage pour tous, l'on a invoqué le recours aux arguments naturalistes et
essentialistes », rappelle Patricia Allio.
Pour les She She Pop, les metteuses en scène restent trop rares de l'autre côté du Rhin. « Les
rapports de pouvoir entre hommes et femmes que l'on met en scène sont le reflet de notre
environnement professionnel, où il y a encore beaucoup à faire, s'impatiente Sebastian Bark. Au
début, il était important pour nous d'alerter la conscience du public, c'était un acte politique, un défi.
Heureusement, le public berlinois est de plus en plus réceptif à ces questions. » « Dans mon milieu
déjà marginal au sein du théâtre américain, tout le monde est traité de la même manière », tempère
Young Jean Lee, qui revendique une« approche très masculine, voire agressive ». En ce qui concerne
le théâtre public français, Eléonore Weber est catégorique : « Je suis favorable aux quotas, dans une
perspective égalitaire. Même si, on ne va pas se le cacher, ce n'est jamais très agréable… »
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 18 septembre 2014
Triptyque Des années 70 à nos jours de Julie Deliquet
Autour de la table centrale, le temps d’un long repas rocambolesque, trois décennies et trois
spectacles défilent. Le premier, La Noce de Bertolt Brecht, fantasme le mariage de Jacob et Maria
transposé dans les années 1970. Le second, Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce,
s’ancre à la fin des années 1980, lorsqu’Hélène, Paul et Pierre se retrouvent pour vendre leur maison
achetée en commun en 1968. De cette somme de personnages « baby-boomers », de l’envie de les
faire vieillir, d’imaginer ce que pèsent leurs rêves dans les yeux de leurs enfants, est née une
troisième pièce. Collectivement créée et improvisée chaque soir, Nous sommes seuls maintenant
s’implante dans une maison des Deux Sèvres dans les années 1990 où Bulle, 20 ans, observe ses
aînés, d’anciens jeunes éternellement jeunistes, solder les comptes et régler l’addition. Fresque
chorale, saga générationnelle déployée à coup de bouteilles de vins et d’utopies contrariées, Des
années 70 à nos jours acte la naissance d’un jeune collectif, In Vitro, soucieux de replacer le plaisir
de l’acteur au centre des préoccupations. En tout cas, Julie Deliquet, metteure en scène à la tête de
ce groupe fondé en 2009, tient à cette règle du jeu : sur un plateau pauvre, sans coulisses, on
improviserait chaque soir les situations de jeu. Pour rester alerte, éveillé, vivant, retrouver l’énergie
des répétitions, voir le théâtre s’inventer en direct avec les ratés inévitables et les élans merveilleux.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 18 septembre 2014
Des années 70 à nos jours, les baby-boomers passent à table
Julie Deliquet reprend les trois premiers spectacles de sa compagnie au sein d’un tryptique. Des
années 70 à nos jours… raconte en filigrane l’évolution de la génération des baby-boomers depuis
leurs 20 ans en mai 68 jusqu’à aujourd’hui. "La génération des baby-boomers qui est née après la
guerre a été marquée par la révolution de mai 68. Ça en a fait des gens éternellement jeunes, qui
ont voulu être différents. Dans La Noce, tout est permis. Dans Derniers remords…, ils essayent de
vivre à trois sans succès et dans Nous sommes seuls… ils décident de recommencer une nouvelle
vie alors que leur fille se demande comment grandir quand ses parents en sont eux-mêmes
incapables."
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 15 septembre 2014 par René Solis
Nouveaux transports collectifs
MÉTHODE
Nombre de jeunes metteurs en scène revendiquent le travail de groupe. Rencontre avec
Julie Deliquet et Jeanne Candel.
«Collectif» : le mot revient dans le programme du Festival d’Automne concernant plusieurs
troupes à l’affiche. Explicitement dans le cas de l’équipe réunie autour de Julien Gosselin - collectif Si
vous pouviez lécher mon cœur - ou de Julie Deliquet - Collectif In Vitro. De façon sous-jacente pour
d’autres : Le singe, nouveau nom de la compagnie de Sylvain Creuzevault, s’inscrit dans la lignée du
Collectif d’ores et déjà. La Vie brève, la compagnie de Jeanne Candel, a vu le jour à l’occasion d’un
spectacle - Robert Plankett - écrit avec ses acteurs. Entre tous, des points communs : l’âge - entre
25 et 35 ans -, la revendication du groupe, le désir d’indépendance vis-à-vis des institutions. Et aussi
le rassemblement autour d’un(e) metteur(e) en scène fédérateur(trice).
Exigence. Le phénomène n’est pas nouveau, qui voit, à intervalles réguliers, le théâtre se
régénérer en réinventant l’utopie de la troupe. Utopie que certains parviennent à faire durer : à
l’affiche du Festival d’Automne, le Théâtre du Radeau, fondé en 1978, constitue pour la génération
montante une référence absolue, sinon esthétique, du moins en termes d’exigence et d’autonomie
artistiques.
Autre caractéristique : ils sont de plus en plus souvent animés par des femmes. Invitées pour
la première fois du festival, Julie Deliquet et Jeanne Candel ont volontiers accepté de parler de leur
façon de travailler. La première s’exprime seule, la deuxième est venue avec deux compagnons de
route - Samuel Achache, qui a aussi travaillé avec Creuzevault, et Laure Mathis.
Ce qui les rassemble, c’est d’abord la volonté, au sortir des écoles de théâtre, d’inventer des
projets à plusieurs plutôt que de courir les castings. «Je n’étais pas faite pour un parcours
solitaire», explique Julie Deliquet qui, après l’école du Studio Théâtre d’Asnières puis celle de Jacques
Lecoq, se lance dans la mise en scène. «Mais quelque chose me manquait. Je trouvais toujours que
les répétitions étaient beaucoup plus passionnantes que les représentations». Pour Jeanne Candel,
Samuel Achache et Laure Mathis, qui étaient ensemble au Conservatoire à Paris, le déclic est venu
d’un atelier avec le metteur en scène hongrois Arpad Schilling. «Il mettait l’acteur au centre et le
considérait comme le créateur», résume Laure Mathis. «Il était impressionnant, brillant, tout en nous
responsabilisant», précise Samuel Achache.
«Labo». En commun encore, la référence au laboratoire. «Créer la vie, c’est ce que je
voulais», dit Deliquet pour expliquer le choix de In vitro pour son groupe. «Labo»,c’est le terme utilisé
par Candel pour qualifier son travail avec les acteurs. Autre convergence, des temps de répétition
hors normes (plusieurs mois) et laissant une large part à l’improvisation. Mais les méthodes diffèrent.
Marquée par Pina Bausch, Jeanne Candel en a retenu le principe des «questions» aux interprètes :
des impros à partir d’un mot, une image, une situation. Dès son premier projet collectif, Julie Deliquet
a expérimenté une méthode radicale. «Pour travailler sur Derniers remords avant l’oubli, de Jean-Luc
Lagarce, nous sommes partis dans une maison de campagne. Les acteurs avaient lu la pièce et
connaissaient leurs personnages. Je leur ai demandé d’habiter la maison. Cela a duré sept heures,
sans indices extérieurs de théâtre, mais je savais qu’ils étaient en train de jouer.»
Avec le temps, Deliquet a peaufiné une façon de travailler qu’elle apparente au plan séquence
du cinéma. Et en a tiré quelques règles : «Je prépare en amont ; j’attaque rarement une répétition
dans une salle ; je n’interromps jamais la répétition ; j’y fais entrer des non-acteurs, par exemple des
voisins venus emprunter un outil ; je ne prends jamais de notes ; à la fin, je peux leur parler quatre
heures sans m’arrêter.» Candel parle, elle, d’une «dramaturgie par l’action» : «Construire et jouer en
même temps, puis se demander quoi déconstruire. Se reposer sans cesse la question du fond et de
la forme. C’est insoluble et passionnant.»
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le vendredi 5 septembre 2014
Julie Deliquet, metteur en scène (collectif In Vitro), pour un triptyque présenté au Théâtre de la
Ville ( Théâtre des Abbesses) du 18 au 28 septembre puis au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis
du 2 au 12 octobre, dans le cadre du Festival d'Automne:"Des années 1970 à nos jours"
"La Noce" de Bertolt Brecht; "Dernier remords avant l'oubli" de Jean-Luc Lagarce, et "Nous
sommes seuls maintenant", création collective.
LIEN : http://www.franceinter.fr/emission-studio-theatre-julie-deliquet-daniel-san-pedro-judithmagre-et-jean-louis-martinelli
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 1er septembre 2014 par Manuel Piolat Soleymat
JULIE DELIQUET, DES ANNÉES 70 A NOS JOURS
La Noce de Bertolt Brecht ; Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce ; Nous
sommes seuls maintenant du collectif In Vitro : d’une décennie à l’autre, la metteuse en
scène Julie Deliquet nous invite à un « voyage généalogique ».
Qu’est-ce qui a motivé la création du collectif In Vitro, en 2009 ?
Julie Deliquet : Avant cela, je sentais qu’une fois l’excitation des répétitions passée, je
m’ennuyais. Quelque chose était fini pour moi. Alors j’ai arrêté. Puis en 2009, je me suis rendue
compte qu’autour de moi, beaucoup d’acteurs formidables travaillaient peu ou mal. Je les ai donc
réunis en redéfinissant la place et la responsabilité de chacun. Tout cela s’est fait à l’instinct. Nous
avons mis du temps avant de mettre des mots sur notre identité : un théâtre pauvre, des acteurs,
des textes et des séances d’improvisations… Je me définis comme « une metteuse en scènespectatrice ». J’aime être dépossédée de mon spectacle, observer mes acteurs construire en direct,
assister à leurs trouvailles et aux accidents : là je ne m’ennuie plus !
Quelle avancée dans le monde des rapports familiaux et humains dessinez-vous à travers les
trois pièces que vous avez choisi de mettre en regard dans ce triptyque ?
J. D. : Tout est né de Derniers remords avant l’oubli, qui a été créé en premier. Lagarce aborde un
thème qui me touche particulièrement : les baby-boomers, nés après la guerre et engagés dans la
révolution de 1968. Une « génération dorée » qui a connu l’arrivée de la gauche au pouvoir et la
chute des utopies. Suite à cette création, j’ai imaginé une genèse et me suis amusée à construire
une saga.
« Nous avons mis du temps avant de mettre des mots sur notre identité : un théâtre pauvre, des
acteurs, des textes et des séances d’improvisations… »
En me demandant quel genre de mariage avait pu faire nos parents dans les années 1970, je me
suis intéressée à La Noce, pièce écrite par un tout jeune homme en révolte familiale, Brecht. Après
cette seconde pièce (qui est donc devenue le premier volet), il y a eu l’envie de raconter quelque
chose de plus personnel, de se demander quel type de parents ils étaient devenus. Finalement, le
thème du troisième volet – la transmission, développée sous forme d’un grand portrait générationnel
– réunit les trois pièces. Ces trois histoires différentes, une fois cousues ensemble, n’en font plus
qu’une.
Comment avez-vous élaboré Nous sommes seuls maintenant, création collective d’In Vitro ?
J. D. : Si l’improvisation a toujours nourri nos répétitions, elle est longtemps restée dans l’ombre,
car nous abordions des pièces écrites. Mais elle a fait naître, chez nous, une langue. Une langue qui
s’est construite parallèlement à l’écriture des auteurs que nous mettions en scène, comme une forme
de réponse. Nous fantasmons les années 1970 avecLa Noce, nous déchantons dans les années 1980
avec Derniers remords avant l’oubli.Nous avons eu besoin de clore la trilogie avec notre propre point
de vue, en questionnant la génération d’après : la nôtre. Tant dans la forme que dans le fond, Des
années 70 à nos jours renvoie ainsi à un voyage généalogique.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 27 août 2014 par Emmanuel Demarcy-Mota
Festival d'automne à Paris 2014
Chaque année, durant quatre mois, le Festival d’Automne invite à Paris et en Île-de-France des
artistes du monde entier et déploie une programmation ouverte à de nombreuses pratiques
artistiques: arts plastiques, performances, théâtre, danse, musique, cinéma, investiront 43 lieux de
la capitale et sa banlieue.
Développant les portraits d’artistes, à l’instar de celui consacré à Robert Wilson en 2013, le
Festival propose de parcourir l’œuvre de trois créateurs essentiels de ces dernières décennies : le
chorégraphe américain William Forsythe, le metteur en scène italien Romeo Castellucci et le
compositeur italien Luigi Nono.
Le Portrait William Forsythe se déploie dans neuf lieux à Paris et en Île-de-France : le Théâtre du
Châtelet, la Maison des Arts Créteil, les Abbesses, le CENTQUATRE-PARIS, le Théâtre de la Ville, le
Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, L’Onde, théâtre-centre d’art Vélizy-Villacoublay, L’apostrophe
de Cergy-Pontoise, le Théâtre National de Chaillot.
Six programmes différents permettent une traversée de l’œuvre de ce créateur d’une danse
nouvelle ouverte à toutes les expériences et qui subjugue par sa réinvention du vocabulaire
classique.
Le Portrait consacré au metteur en scène visionnaire Romeo Castellucci commence cette année
et se prolongera en 2015. Depuis ses premières mises en scène, il ne cesse d’interroger le théâtre
dans ses fondements même, mettant les sens en alerte, suscitant un profond ébranlement physique
autant que spirituel.
En forme d’archipel, le Portrait du compositeur vénitien Luigi Nono, « maître des sons et des
silences », commence cette année avec six concerts dans cinq lieux différents, et se poursuivra, lui
aussi, au cours du Festival d’Automne 2015. Les œuvres des compositeurs-amis Bruno Maderna,
Helmut Lachenmann, Karl Amadeus Hartmann et György Kurtág accompagnent celles de Luigi Nono.
Le Festival d’Automne témoigne aussi de la vitalité de la scène française. Aux côtés de Claude
Régy, François Tanguy, Maguy Marin ou Pascal Rambert, arrive une nouvelle génération de metteurs
en scène : Julien Gosselin, Jeanne Candel, Julie Deliquet, Vincent Macaigne, Sylvain Creuzevault, YvesNoël Genod et bien d’autres, autant de jeunes artistes qui prennent le théâtre à bras-le-corps,
recomposent leur désir du collectif et proposent de nouvelles dramaturgies. Les compositeurs Gérard
Pesson, Pierre-Yves Macé et Julien Jamet rejoignent ce programme.
Cette édition nous permet de découvrir des artistes venus d’ailleurs, l’italien Alessandro
Sciarroni, les berlinois de She She Pop ou bien encore l’italo-allemand Marco Berrettini, tandis que
l’artiste américain Matthew Barney, associé au compositeur Jonathan Bepler, présente à la Cité de la
musique une œuvre épique, démesurée et dérangeante, et qu’Olivier Saillard retrouve l’actrice Tilda
Swinton. Reviennent également ces grands artistes avec lesquels le Festival entretient un lien fidèle
et fraternel : Robert Wilson, Lucinda Childs, Helmut Lachenmann, Wolfgang Rihm ou Rabih Mroué.
Chaque année, le Festival d’Automne à Paris développe une politique d’éducation artistique et
culturelle ambitieuse visant à faciliter l’accès du plus grand nombre à la création dans un esprit de
découverte, de transmission et de partage. À travers plusieurs projets mis en place par le Festival,
les jeunes spectateurs, de l’école maternelle à l’université, peuvent découvrir et rencontrer metteurs
en scène, compositeurs, plasticiens et chorégraphes dans différents théâtres et lieux culturels, et
participer à des ateliers en relation avec leurs œuvres. Cette année, la SACD rejoint les partenaires
du Festival (Total, la Sacem, la Fondation Aleth et Pierre Richard) soutenant ces projets d’éducation
artistique et culturelle.
Quarante-trois lieux à Paris et en Île-de-France sont associés à cette nouvelle édition du Festival,
qui continue à développer et à fédérer de nouvelles collaborations : le Palais Galliera, Le Monfort, le
Théâtre de Sartrouville, la Maison de la musique de Nanterre, La Commune Aubervilliers centre
dramatique national, le Studio-Théâtre de Vitry rejoignent ses partenaires fidèles. Le rôle fédérateur
du Festival permet ainsi la circulation des artistes dans toute l’Île-de-France et au-delà, augmentant
le nombre de représentations pour un public plus large et créant des dynamiques nouvelles
d’ouverture et de partage.
Le Ministère de la Culture, la Mairie de Paris et le Conseil régional d’Île-de-France subventionnent
le Festival d’Automne à Paris. Il bénéficie du généreux soutien des Amis du Festival d’Automne que
préside Pierre Bergé. Sans eux, rien de cette singulière aventure ne pourrait être mené. Nous les
remercions.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Septembre 2014
Triptyque mis en scène par Julie Deviquet.
En ramassant dans une seule soirée, trois des spectacles qu'elle a mis en scène sous le titre
"Triptyque Des années 1970 à nos jours ", Julie Deliquet s'évertue à trouver, à l'aide de l'arme
théâtrale, le secret de ces soixante-huitards toujours en place, s'accrochant à leur parole censée
rebelle pour l'éternité, en se croyant hier comme aujourd'hui "la jeunesse du monde" à l'heure où la
vraie jeunesse a tant de mal à pouvoir s'exprimer.
C'est la suite des trois mouvements orchestrés par Julie Deliquet qui va tenter de démontrer s'il
s'agit là d'un constat, d'un constat critique ou simplement de la nostalgie d'un temps fugace où
l'Utopie a cru dominer le monde occidental.
D'abord, dans "La Noce ", adapté d'après "La Noce chez les petits-bourgeois" de Bertold Brecht ,
elle met en scène la noce tragi-comique de Jacob et Maria, qu'elle a transposé dans les années 1970
avec pantalons pat'd'ef et disques de Janis Joplin giclant sur un électrophone.
Plus que la critique sociale voulue par Brecht, Julie Deliquet s'attache à mettre en place un
premier moment de convivialité dans un univers branlant où les meubles s'écroulent. Ici le monde
bourgeois finit par connaître le même sort au gré d'une soirée trop arrosée attisant les conflits
personnels, mais, liberté sexuelle oblige, les débats houleux seront clôturés par les ébats amoureux
des nouveaux mariés.
S'en suit avec "Derniers remords avant l'oubli " de Jean-Luc Lagarce , une toute autre vision
des années 1970, cette fois-ci vraiment mises en accusation par le temps qui s'égrène. Lagarce, dans
un texte exempt d'indulgence et dont Julie Deliquet sait saisir l'âpreté, a conçu un "Jules et Jim" vingt
ans après.
Dans sa version, les amants ne sont pas morts et Hélène et ses deux hommes se retrouvent des
années après leur vie commune pour régler une sordide question immobilière. L'Utopie de l'amour à
trois a pris une bien triste tournure dont sont témoins les nouveaux protagonistes des uns et des
autres
Lagarce a écrit "Derniers remords avant l'oubli" en 1987 et était l'homme idéal pour entamer en
pointillé le procès des soixante-huitards qui prétendaient toujours changer le monde et se déchiraient
déjà pour des questions "bourgeoises" tout en prenant le contrôle de toutes les institutions, et
particulièrement celles du théâtre.
Cette parabole critique teintée d'amertume devant des aînés qui ont trahi, et ne le reconnaîtront
jamais, on ne la trouve pas dans le troisième moment, " Nous sommes seuls maintenant ".
Création improvisée du Collectif In Vitro , constitué par les acteurs que l'on découvre dans les
trois spectacles, cette parodie ambiguë d'un retour à la terre d'un "bobo" parisien reprend le principe
de "La Noce" d'un théâtre qui se déroule à "table". Comme attendu, le bon dîner festif et amical
dérape en engueulades et règlements de comptes, cette fois-ci sous la forme du "jeu de la vérité"
cher à Philippe Lellouche.
Formée, comme Sylvain Creuzevault, au Studio-Théâtre d'Asnières, Julie Deliquet aime elle
aussi montrer des scènes de repas. Elle a tendance, comme jadis Maurice Pialat au cinéma, de les
traiter sous forme de "plans-séquences" qui s'achèvent sur scène, non pas par manque de pellicule,
mais quand les acteurs quittent le plateau.
Exercices compliqués, nécessitant une véritable chorégraphie et une complicité sans failles des
"convives", ces scènes révèlent la qualité d'une troupe de comédiens capables de vivre toutes les
situations possibles.
Reste que la limite de cette théâtralité, qui dit trivialement que l'époque actuelle revient à des
modes traditionnels de vivre-ensemble, est d'enfermer de bons acteurs dans des panoplies un peu
stéréotypées. Si la tension est au rendez-vous, l'émotion ne peut jamais vraiment survenir ou très
fugacement.
Une des leçons de cette copieuse soirée théâtrale, dont il faut saluer la réelle ambition, est donc
qu'il ne faut pas abuser des plaisirs de la table au théâtre, sinon de bons acteurs vont finir par
s'engraisser dans de belles mécaniques qui tourneront vite à vide.
L'autre leçon est qu'avec "Derniers remords avant l'oubli" , Jean-Luc Lagarce a saisi, dans l'instant
où il y participait, plus de choses sur le continuum raté des années 70 et 80 que ceux qui, avec les
meilleures intentions sociologiques du monde et les armes de la nostalgie critique, tentent de
comprendre pourquoi, à l'image d'autres périodes plus sombres, ce temps révolu et passé ne passe
décidément pas.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Septembre 2014 par Louise Bollecker
COLLECTIF IN VITRO AU FESTIVAL D'AUTOMNE
Dans le cadre du Festival d’Automne, le collectif dirigé par Julie Deliquet présente trois pièces
parcourant ces quatre dernières décennies. « Des années 70 à nos jours » fait se succéder trois dîners
en famille et entre amis qui explorent la perte des illusions de la génération de mai 68.
Cet après 68 est juste un fantasme pour beaucoup. Gageons qu’ils changeront d’avis. A travers
trois pièces distinctes (La Noce, de Bertolt Brecht, transposée au début des années 1970, Derniers
remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce, et Maintenant nous sommes seuls, création collective
improvisée chaque soir), le Collectif In Vitro dissèque le rôle de la famille et des conventions sociales
qui finissent toujours par se déchirer. De la libération sexuelle aux idéaux révolutionnaires en passant
par l’accomplissement personnel, les rêves contrariés des personnages font le lien entre les époques.
La première partie, La Noce, met en scène le mariage d’un jeune couple. La légèreté de la fête
laisse progressivement apparaître les défauts et les secrets de chacun. Dans l’œuvre de Lagarce, les
retrouvailles de trois anciens « colocataires » aux liens ambigus ravivent de douloureux souvenirs
tandis que l’invitation à un anniversaire d’un ami perdu de vue fait exploser la vie tranquille d’une
famille dans Maintenant nous sommes seuls. Cette pièce au titre révélateur clôt le chapitre d’une
génération et laisse libre notre interprétation quant à l’avenir de la suivante.
La mise en scène épurée se structure quant à elle autour d’une grande table. Les acteurs s’y
assoient avec naturel, tournant souvent le dos au public. Un peu déconcertant au départ, cet
affranchissement vis-à-vis des codes du théâtre libère une franche spontanéité. On rit, on s’émeut,
on s’agace comme lors de nos propres repas de famille. La salle se crispe devant la violence soudaine
de certains propos. Malgré un dernier volet qui découragea certains spectateurs par la longueur du
diner et du jeu d’alcool mis en scène, l’effet est réussi et les applaudissements retentissants.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Mai 2014 par Julie Cadilhac
Julie Deliquet
Après avoir été élève au Conservatoire de Montpellier puis à l'Ecole du Studio Theatre d'Asnières,
Julie Deliquet poursuit sa formation pendant deux ans à l'Ecole internationale Jacques Lecoq tout en
intégrant la compagnie Jean-Louis Martin-Barbaz et en co-fondant la compagnie Tais-toi ma langue.
Puis nait sous son impulsion le collectif In Vitro qui présente "Derniers Remords avant l'oubli" de JeanLuc Lagarce pour lequel elle reçoit le prix du public du concours jeunes metteurs en scène 2009 du
théâtre 13. Elle monte ensuite "La Noce" de Bertolt Brecht et en 2012, "Nous sommes seuls
maintenant" nait d'une écriture collective. Comment s'organise le collectif In Vitro et quels sont ses
enjeux? Comment dans "Nous sommes seuls maintenant" ce collectif évoque-t-il son héritage de mai
68, se considérant comme une " génération qui n'a pas, contrairement à celle de ( ses) parents,
bousculé l'histoire" et n'a pas fait de révolution ? Autant d'interrogations qui se devaient de ne pas
rester sans réponse....
Pourriez-vous en quelques mots nous présenter les membres du collectif In Vitro et leur
rôle en son sein ?
Au sein du Collectif In Vitro, il y a 12 acteurs, une metteuse en scène, 2 techniciens et une
administratrice. Ça ressemble à une compagnie classique, c’en est une quelque part, la seule
différence c’est que nous privilégions le groupe et le travail collectif.
Vous définissez le travail du collectif ainsi : "L'acteur est responsable et identitaire de
notre démarche à travers des choix sur le plateau. " N'est-ce pas plus compliqué de diriger
un groupe où même les acteurs donnent sans cesse leur avis ? Faut-il avoir certaines
qualités indispensables quand on est acteur pour intégrer un collectif ... et lesquelles
selon vous?
Non, ils ne donnent pas sans cesse leur avis ! Nous construisons nos spectacles à partir et autour
des acteurs, ils ont une grande liberté et notre dramaturgie dépend d’eux. Mais leur espace
d’expression c’est le plateau, c’est plutôt moi qui donne mon avis en réagissant à leurs propositions,
c’est un va et vient entre eux et moi. Pour intégrer un collectif, je crois qu’il faut accepter de dépendre
de son partenaire tout en étant aussi assez indépendant et solide en tant qu’acteur car un groupe
prend de la place. Il faut également pouvoir se remettre souvent en question et savoir laisser de
temps en temps son égo de côté…
" Nous bousculons nos textes non seulement grâce à l'improvisation mais aussi grâce à
l'entrée du réel". Donc le principe de votre travail est le suivant; vous choisissez un texte
et il devient ensuite une sorte de canevas que vous modifiez au fur et à mesure des
répétitions?
Pas tout à fait. Lorsque nous avons monté des textes, nous avons dans un premier temps
uniquement travaillé les situations de la pièce en improvisation. Puis tout doucement nous glissons
vers la partition écrite tout en conservant cette sensation d’improvisation. Les spectateurs pensent
souvent que ce sont des adaptations or c’est le texte pur au final (ou presque pour le Brecht), mais
les adresses changent d’un soir sur l’autre, la mise en scène n’est pas fixée donc le texte résonne
différemment lui aussi en fonction des représentations.
Auriez-vous un exemple de texte "bousculé" dans le Brecht ou le Lagarce que vous avez
montés auparavant ?
Dans le Lagarce par exemple, lorsqu’un des personnages est sur le point de révéler un secret,
suivant quel acteur a choisi ce soir-là d’être présent et d’assister à table à cette scène, le drame n’est
pas du tout le même. Il peut amener un fou rire et le lendemain des larmes. Au plateau, les comédiens
sont dépendants du choix de leurs partenaires et même si la partition du texte est écrite, leur état
va découler aussi des choix provoqués par l’improvisation des autres.
"Nous sommes seuls maintenant" est le dernier volet d'un triptyque dans lequel vous
reprenez les thèmes et les formes utilisées dans les deux premiers volets ?
Oui, seulement nous allons plus loin car ici c’est improvisé tous les soirs et c’est pour la première
fois une forme d’écriture à part entière. Nous avons bien sûr des balises de récit mais quand le
spectacle débute, même si les acteurs ont la même histoire chaque soir à raconter, ils ne savent pas
tout à fait comment. Pareil pour le thème, nous fantasmions les années 70 avec La Noce, déchantions
dans les années 80 avec Derniers remords avant l’oubli et là nous avions besoin de clore la trilogie
avec notre point de vue et questionner la génération suivante (la nôtre) et son héritage.
En quelques mots, de quoi et de qui est-il question dans cette pièce?
Nous sommes seuls maintenant est une grande pièce chorale en forme de portrait de famille.
C’est un repas dans une maison des Deux-Sèvres au début des années 90, chez François et Françoise,
les parents de Bulle. Pendant ce diner entre famille et amis et sous le regard de leur fille de 20 ans,
les révolutionnaires d’hier (malgré les utopies envolées) refusent l’idée de vieillir et de laisser la
place… Quel héritage pour les enfants nés de 68 ? C’est ce que questionne la pièce, sans y répondre
directement…
Vous y avez travaillé sur votre " propre fantasme de mai 68 en tant qu'héritiers". Qu'estce qui est ressorti de cette réflexion? Mai 68 a-t-il été positif ou négatif pour les
générations qui ont suivi selon vous?
Les deux ! Dans le spectacle, il s’agissait de ne surtout pas créer une œuvre pamphlétaire mais
de dépeindre des situations familières. Il y a eu une question assez centrale c’est celle de la
parentalité. Avoir des parents qui ont pu repenser l’éducation qu’ils voulaient donner à leurs enfants
et bousculer ainsi les mœurs a été une liberté folle pour nous ! Ils ont voulu être des couples
différents, des parents différents et veulent aussi aujourd’hui être des grands-parents différents. En
voulant rester jeunes, leurs enfants ont peut-être été vieux avant l’heure ? D’où ce retour assez
surprenant à la tradition. Nous vivons aujourd’hui dans un contexte totalement opposé à ce qu’ils ont
pu connaitre dans ces années-là, on pourrait envier leur insouciance mais leur reprocher aussi.
Le titre de la pièce est un clin d'œil à la génération de 1968, c'est bien cela ?
C’est plutôt un clin d’œil à la nôtre. Je voulais que le titre parle de nous, parents et adultes
d’aujourd’hui, ceux qui restent et qui prendront le relais là où notre spectacle s’arrête.
Pour conclure, quels "ingrédients" doit réunir un bon spectacle de théâtre pour Julie
Deliquet ?
De bons acteurs, du vivant, du plaisir et de la mise en danger !
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 12 décembre 2013
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 11 décembre 2013
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 29 novembre 2013 par Myrto Reiss
Critique : Nous sommes seuls maintenant
Créé en 2009, le collectif In Vitro, comme son nom le suggère par antiphrase, aime observer les
familles, se questionner sur les héritages et les filiations, et reproduire sur le plateau ces soirées
privées où la chaleur des retrouvailles devient le terreau d’un flux de règlements de comptes. In Vitro
inaugure son travail de collectif avec Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce (qui a
étonnamment inspiré les premiers pas d’autres collectifs, tels que DRAO ou Les Possédés), pièce où
trois amis ayant expérimenté la vie en communauté dans la ferveur qui suit mai 68 se retrouvent à
la fin des années 80 pour liquider ce qu'il leur reste de commun. Le regard du collectif remonte
ensuite le temps et, en mettant en scène La Noce de Brecht, imagine ce qu'aurait pu être la soirée
de mariage de ces soixante-huitards, animés par la volonté de rompre avec les carcans de la
génération d’avant. La trilogie « Des années 70 à nos jours » commence ainsi à prendre forme. Elle
se clôt aujourd’hui avec un dernier volet, situé au début des années 90, Nous sommes seuls
maintenant, qui questionne le legs de cette génération, par le biais du regard de ses enfants, nous,
à peine majeurs à l’époque.
Autour de la table de la maison de campagne fraîchement acquise par François et Françoise,
toute la famille, du grand-père à la petite-fille en passant par les sœurs et leurs époux respectifs, se
retrouve pour visiter et trinquer à l’honneur de cette nouvelle étape dans la vie du couple. François,
en parfait néorural, ne cesse de couvrir d’éloges Daniel, le voisin, et rêve de l’assister dans son
élevage de vaches, le grand-père maugrée, une sœur se gèle, l’autre ravale sa rivalité avec l’aîné,
Françoise découvre avec étonnement les projets de son époux, tandis que Bulle, sa fille, aguerrie aux
tensions de sa famille, semble encore profiter du cocon protecteur. Entre conversation inoffensive et
réflexion déplacée, la glissade n’est jamais trop loin, comme dans toutes ces réunions familiales que
l’on maudit et qu’à l’infini on renouvelle. Et pour preuve, la soirée suivante, où parmi les invités, plus
nombreux encore, se trouve Sullivan, vieil ami Argentin tout récemment rentré du Chili. L’alcool
déliant les langues, une autre histoire commence alors à apparaître, celle d’une bande de copains
partie contribuer à l’aventure socialiste d’Allende. Mais le coup d’État gronde et, effrayés, ils
précipitent leur retour : il fallait pour Bulle, leur petite née entre-temps, un environnement moins
« dangereux ». Sullivan sera alors le seul à y rester jusqu’au retour de la démocratie, en ce début 90.
Sans jamais nommer les protagonistes de la grande histoire, en se référant au puzzle de leurs vies
en fins connaisseurs de ses détails, les amis mine de rien se chauffent à blanc. A coup de « cul sec »
gênés ou défiants, ce qui se donnait pour une posture militante commence à ressembler à un caprice
de jeunesse que conformisme et valeurs traditionnelles ont vite fait de ramener à l’ordre. Est-ce
l’utopie qui les a trahis ou leur bourgeoisie qui les a rattrapés ? Bulle, perdue, abattue à la fin de la
soirée, ne saura pas répondre de sitôt.
Lors de leurs précédents spectacles, les comédiens du collectif avaient déjà fait montre d’une
grande force dans la mise en musique des partitions chorales où, dans un vrai esprit de groupe et de
partage des responsabilités, le jeu de l’un semblait nourrir celui de l’autre. Ici ils vont un pas plus loin
et prouvent aussi leur capacité d’écriture collective. Leur texte est d’une éblouissante vérité, d’une
intelligence dramaturgique qui se passe des artifices, d’une immédiateté dépourvue de toute
prétention. Issus de l’école du Théâtre-Studio d’Asnières, les acteurs que Julie Deliquet a réunis
autour d’elle (Julie André, Gwendal Anglade, Anne Barbot, Eric Charon, Olivier Faliez, Pascale
Fournier, Julie Jacovella, Jean-Christophe Laurier, Agnès Ramy, Richard Sandra, David Seigneur,
Annabelle Simon) surprennent par leur aptitude à être, simplement, ici et maintenant. Ils font
ensemble un vrai théâtre populaire, celui qui fait sauter les barrières culturelles, celui qu’on aimerait
voir plus souvent, tant l’immédiateté de leur présence nous accompagne longtemps après la fin du
spectacle. D’ores et déjà de Sylvain Creuzevault, Les Possédés de Rodolphe Dana, Les Chiens de
Navarre de Jean-Christophe Meurisse, In Vitro de Julie Deliquet, ces collectifs que les dix dernières
années ont vu naître, en replaçant l’acteur au centre de la représentation, ont su redonner forme à
cet idéal du travail théâtral.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Le 12 novembre 2012 par Jean-Pierre Thibaudat
Théâtre : éloge de l’immédiateté par le collectif In Vitro
« Des années 70 à nos jours.. », ce n’est pas le titre d’un livre d’histoire, mais l’histoire d’un
groupe d’acteurs, le collectif In Vitro, à travers un triptyque qui marque son entrée en force dans le
champ théâtral.
Leurs deux premiers spectacles, « Derniers remords avant l’oubli » (Lagarce) et « La noce »
(Brecht, « La noce chez les petits bourgeois »), avaient déjà été remarqués ici et là. Leur force est de
les associer dans l’ordre chronologique pour en faire les deux premiers volets d’un triptyque dont le
dernier volet, « Nous sommes seuls maintenant », est actuellement écrit par le collectif, dans le
mémoire des deux précédents épisodes.
Ce dernier volet, présentement à l’état de maquette, plus que prometteuse, sera présenté la saison
prochaine. N’attendons pas la Saint-Glinglin pour parler du collectif In Vitro. Ce n’est pas tous les
soirs que l’on rencontre une aventure théâtrale aussi excitante que déterminée.
Chaque spectacle (1h15 au plus) peut être vu individuellement, mais, quand les trois filent en
une soirée, c’est au présent que le triptyque déploie ses filiations, ses prolongements, ses échos, les
répliques qui circulent d« un spectacle l’autre. En revanche, il suffit d’un spectacle pour vérifier leur
commun crédo : l’acteur avant toute chose.
L’acteur, l’acteur, l’acteur
C’est un théâtre fondé sur l’acteur, et plus précisément sur l’interactivité entre des acteurs au
sein d’un groupe fermé, d’un temps continuel et d’un espace unique et clos (d’où, peut-être, le nom
de collectif In Vitro). S’il y a un geste scénographique (léger mais pertinent) propre à chaque
spectacle, les trois tournent autour d’un même pot commun : une table et des chaises. C’est là que
tout travail théâtral commence : les fameuses “ lectures à la table ”. Le collectif In Vitro met cette
table en scène. D’une part, parce que le moment du repas (plus ou moins de famille) ou de l’apéro
est commun à “ La noce ”, “ Derniers remords avant l’oubli ” et “ Nous sommes seuls maintenant ”.
D’autre part, parce que le spectacle se met tous les soirs à table, travaille à vue, au présent, dans
une sorte d’improvisation du texte su, mettant en pratique ce bel oxymoron.
L’improvisation qui est forcément au centre du dernier travail actuellement en cours d’écriture
collective, est également au cœur du travail sur les pièces écrites. Au moment des répétitions mais
aussi dans le temps de la représentation.
La jubilation du qui-vive
Si “ La Noce ” de Brecht fait l“objet d’une nouvelle traduction (Magali Rigaill) et d’ajouts
(chansons), le texte de Lagarce est dit intégralement. C’est avec ‘ Derniers remords avant l’oubli ’
que le travail trouve sa plus belle pertinence. L’improvisation est là dans l’adresse (à qui je parle ?)
toujours ouverte chez Lagarce, les déplacements, l’interjection, la vitesse du débit, la façon de
mordre sur la réplique de l’autre jusqu’à les faire se chevaucher (ce que ne fait pas Lagarce dans son
écriture).
Autrement dit chacun défend mordicus l’os de son personnage au rebond des autres ce que met
en évidence les reliefs sous-jacents de la pièce. On sent que les rapports entre les acteurs, entre
chaque acteur et son personnage bougent chaque soir ce qui suppose une entente pour le moins
cordiale dans une équipe qui ne peut être que soudée.
Tout est affaire de jubilation et de qui-vive. Le collectif résume cette façon d’être (en scène) du beau
mot d’‘ immédiateté ’.
Aussi observe-t-on une densification du temps présent (celui de la représentation et celui de la
pièce n’en font plus qu’un), de concert avec une exaspération des rapports humains car chaque
acteur est autant le coach que l’interprète de son rôle.
Plans de couples et faux rapports
Donc, on entre dans une noce à l’ancienne ou ce qu’il en reste en province au début des années
70 : une robe blanche, un repas bien arrosé, des blagues et des chansons, l’ivresse et ses
déraillements. C’est l’heure du repas. Ça picole, ça chante, ça finit par danser au son du tournedisque. Chacun dans son rôle : le mari veille aux bouteilles, la mariée et sa mère aux mets, le père
raconte encore une fois ses vieilles histoires interminables, la timide sœur de la mariée est la moins
causante, la plus observatrice (elle annonce la Lise de ‘ Derniers remords ’, la Bulle de ‘Nous sommes
seuls maintenant’). Quant aux amis invités, ils jouent le jeu, eux aussi. Celui des apparences qui ont
tôt fait de se lézarder.
La mariée, en fait, est enceinte, les meubles et chaises façonnés par le mari se cassent les uns
après les autres, l’ami du mari met à la main au cul de l’épousée, l’amie de la mariée lance des
piques à son amie quand elle ne règle pas des comptes avec son mari, ça craque de partout. Tout
fout le camp. Sauf le sexe qui a tout de même le dernier mot. La mariée est enceinte mais c’est tout
de le même sa nuit de noce. Les corps nus n’ont plus rien à cacher.
Second volet, une histoire des années 80. Deux hommes et une femme se sont aimés, ont acheté
ensemble une bicoque. Hélène est partie avec Paul puis en a épousé un autre, Pierre est resté dans
la maison. Le temps a passé, dans les années 80 la bicoque est devenue une potentielle résidence
secondaire. Hélène accompagné de son mari Antoine et de leur fille cadette Lise, Paul accompagné
de son épouse Anne, viennent voir Pierre pour régler la question de la maison dont ils sont
copropriétaires. La vendre et se partager le magot ? Il est vite l’heure de régler d’autres comptes.
Mieux que l’argent, le dire est une valeur d’échange. Mais comment dire ? Lagarce avait pour y
répondre inventé son propre signe (‘ … ’) qui n’est pas un simple signe de ponctuation, mais un puits
sans fonds, une énigme. Du pur bonheur pour les acteurs du collectif In Vitro.
Où l’on reparle de mai 68
Troisième volet, plus près de nous mais pas trop (on peut se demander si trois spectacles suffiront
à raconter toute l’histoire jusqu’à ‘ nos jours ’). Le titre ‘ Nous sommes seuls maintenant ’ reprend
une des dernières répliques de ‘ La noce ’. Lagarce écrit ‘ Derniers remords ’ quasi vingt après mai
68 (époque où il était enfant, loin de Paris et des barricades). La plupart des membres du collectif
étaient enfants ou ados quand Jean-Luc Lagarce a été emporté par la maladie à la fin des années
sida en France (1995). De quoi ont-ils hérité ? Qu’est que peut bien leur dire la génération de mai
68 ?
‘ Nous sommes seuls maintenant ’, met en scène au début des années 90 des quarantenaires qui
ressassent leur jeunesse et refont ses débats et ébats sous l’œil de leurs enfants de 20 ans.
Reprenant le fil du théâtre là où Jean-Luc Lagarce l’a laissé, c’est à un voyage dans le temps (aller et
retour) que se livrent les acteurs du collectif à travers une belle collection de points d’interrogation
lestés d’un patchwork de fantasmes. Les uns revivant des souvenirs qui ne sont pas les leurs, les
autres dialoguant avec ces parents qui ont leur âge.
Ce troisième spectacle réunira tous les acteurs du Collectif. Ils ont pour nom Julie André, Gwendal
Anglade, Sabine Bouffelle, Anne Barbot, Eric Charon, Caroline Darchen, Julie Deliquet, Olivier Faliez,
Richard Fischler, Pascale Fournier, David Georgelin, Julie Jacovella, Jean-Christophe Laurier, Charlotte
Maurel, Jean-Pierre Michel, Mathilde Morières, Agnès Ramy, Richard Sandra, David Seigneur,
Annabelle Simon.
Ils viennent d’horizons différents. Julie Deliquet qui signe les mises en scène est passée par le
conservatoire de Montpellier, l’école Jacques Lecoq et l’école du Studio-théâtre d’Asnières où elle a
rencontré plusieurs membres du collectif In Vitro fondé en 2009.
J’ai toujours beaucoup aimé cette phrase de Jean-Luc Lagarce :
‘ Après tant d’années que la surprise dure encore, c’est beau… ’
Elle s’accorde avec la tonalité du triptyque ‘ Des années 70 à nos jours.. ’ que nous donne en partage
le collectif In Vitro, elle s’accorde avec le plaisir que nous avons de vivre avec eux toute une soirée
dans le théâtre de Vanves, un des rares théâtres de la région parisienne où la prise de risque est une
règle et non une exception.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
5 mai 2011 – Philippe du Vignal
La Noce chez les petits bourgeois de Bertold Brecht, traduction de Magali Rigaill, mise en
scène de Julie Deliquet.
La Noce chez les petit bourgeois, on l’oublie souvent, a presque cent ans, puisque Brecht
l’écrivit en 1919, il avait alors juste vingt et un ans. Et ce n’est sûrement pas un hasard, cette pièce
en un acte, est souvent jouée par les jeunes compagnies. On peut y mettre beaucoup de choses, la
situer à une époque ou une autre, lui adjoindre de la musique et des chansons, la jouer réaliste ou
plutôt poétique.Bref, c’est une formidable auberge espagnole pour des comédiens réunis en collectif
comme c’est le cas avec In Vitro. ou bien d’autres. Comme si la notion de collectif ressemblait peu
ou prou à un rempart contre la solitude et le manque de contrats.
Charlotte Maurel, la scénographe,
avec trois bouts de ficelle et demi, et du matériel de récupération, a réussi quand même à recréer
un univers des années 74 ; soit au sol, un lino imitation de parquet à chevrons en chêne. Une table
en verre à roulettes avec un électrophone 33 tours, un petit bar en tour avec bouteilles, un
fauteuil tourannt de bureau bien affaissé, tous meubles dont personne ne vaudrait plus aujourd’hui
,une armoire pauvrette avec un papier à motifs des plus hideux, pur jus années 70 , et enfin deux
tables disposées en T, avec une nappe bien laide et des serviettes à carreaux rouges. Plus loin, sur
le côté, il y a une banquette en plastique crème à vomir et des chaises tubulaires avec une galette
ronde en agglo recouvert de vinyl rouge foncé. Dans le genre laideur poussée à l’extrême, c’est plutôt
bien vu.
Les costumes sont, eux, moins réussis et n’ont ni unité ni vérité. Pas bien mais pas grave:
on oublie, et on fait avec. Quand on entre dans la petite salle, les invités de la noce sont déjà à
table: tout le monde fume, parle fort et boit déjà pas mal; il y a là toute la famille, Jacob et Maria,les
deux jeunes mariés, le père qui se lance dans un discours confus et a une forte tendance à parler
opérations avec force détails pas très ragoûtants, et insiste lourdement sur le toucher rectal.. Déjà
bien imbibé, il se lance dans une imitation de Giscard d’Estaing. On danse le boogie, mais très vite,
le repas bascule dans l’ennui et l’agressivité, bref le cœur n’y est pas, ou plus tout à fait et les gens
de la famille tous âges confondus, vont se révéler de plus en plus glauques.
En poussant la table pour
pouvoir danser, un des invités casse le pied d’une table, et la banquette va s’effondrer aussi. Et
comme c’est Jacob, dont Maria est si fière, qui se vante d’avoir lui-même réalisé les meubles, il
n’apprécie pas du tout. Maria, elle, danse en se dénudant les seins et se laisse draguer sous l’œil
indifférent de son mari. Bref, la soirée dérape de plus en plus malgré les desserts apportés par la
mère, et on continue à remplir les verres de vin rouge. Les couples commencent à s’injurier et une
jeune femme, elle aussi bien imprégnée, révèle que Maria est enceinte.
Et les invités, qui n’ont rien
à se dire, vont alors à fuir courageusement ce champ de ruines; les deux jeunes mariés se
retrouvent seuls, et font un triste bilan: pourquoi on s’est marié? Pourquoi t’as dansé avec cette
dévergondée? Malgré tout, mi-pleurant mi-riant, ils vont s’embrasser goulûment- la vie même
médiocre reprend le dessus -avant d’aller faire l’amour à moitié nus dans le fond de la scène…
Comme pour exorciser cette soirée au triste avant-goût de ce qu’ils vont aussi devenir dans une
dizaine d’années: condamnés à vivre en commun une vie de bofs, aussi vulgaires que leur
famille venue pour leur mariage, rite obligatoire de passage de leur entrée dans la société. Et l’on
rit mais un peu jaune.
Presque cent ans après l’écriture de la pièce, remaniée en 29, ce petit acte du
jeune Brecht tient encore bien la route. Sans doute grâce à la traduction précise de Magali Rigaill
qui ne mâche pas les mots de Brecht qui, tout d’un coup, retrouvent une verdeur et une vérité bien
savoureuses. Grâce aussi et surtout à la qualité de la mise en scène, et à la direction d’acteurs
rigoureuse de Julie Deliquet : avec, en amont, sans doute de nombreuses impros et un long travail
en commun: tous les comédiens-pas de vedette et une réelle complicité- ont une formidable aisance
sur scène, comme s’ils avaient toujours vécu là, et une belle unité de jeu.
C’est à la fois jubilatoire
et insolent. Aucune tricherie, aucune criaillerie mais un ton et une gestuelle toujours justes; les
personnages sont bien là, dans une grande proximité avec le public, même si l’interprétation est
parfois inégale. Il faudra que le spectacle se rode; il est encore un peu brut de décoffrage et mieux
vaut oublier les justifications théoriques un peu embrouillées de Julie Deliquet. Mais cette réussite
de travail collectif qui, « mutatis mutandis, » comme dirait Giscard d’Estaing, rappelle (ne rougissez
pas de plaisir Julie Deliquet) les tout débuts du Théâtre du Soleil avec Les Petit bourgeois ou La
Cuisine… Si, si c’est vrai, et nous jurons devant Brecht que c’est vrai.
Reste à vendre ce spectacle, et
il y a neuf comédiens, et, par les temps qui courent, ce n’est pas gagné. Croisons les doigts pour
eux; ils le méritent.
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Triptyque Des années 70 à nos jours…
Septembre 2010 - Cécile Beyssac
Comédie dramatique de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Julie Deliquet, avec Julie André,
Gwendal Anglade, Eric Charon (ou Serge Biavan), Olivier Faliez (ou David Seigneur), Agnès Ramy et
Annabelle Simon (ou Julie Javovella).
Une maison, vestige d'un amour passé... Autre temps, autres meurs, c’était les années 60,
amours libres, vie collective. Ils s’y sont aimés ensemble dans cette maison et aujourd’hui Pierre y
vit toujours, seul. Hélène et Paul, eux, se sont mariés séparément, ailleurs.
Ils reviennent chez Pierre, embarrassés, avec leurs nouvelles familles, pour débattre de la vente
de cette maison achetée en commun quelques années auparavant. Ensemble, ils vont revenir sur
leurs traces.
Le texte de Jean-Luc Lagarce met en exergue le langage et la difficulté des personnages à
l’utiliser, l’inadéquation entre les mots et les ressentis, ou leur adéquation trop grande peut être, par
ce qu’ils révèlent et qu’on voudrait cacher.
La situation de départ est explosive et chacun est sur ses gardes, chacun surveille les paroles de
l’autre, et derrières les mots, le sens que l’ont pourrait leur donner. Cynisme, fragilité, agressivité,
incompréhension : chacun revit et raconte son histoire, chacun reçoit et comprend à sa façon
l’histoire évoquée par l’autre dans d’impossibles retrouvailles qui rendent tout aussi impossible le
deuil et donc l’oubli.
La mise en scène de Julie Deliquet met en avant le collectif. Tous les acteurs sont présents sur
le plateau, sans interruption donc, des regards, des ressentis et du jeu. Le malaise des personnages
et le vide de leur parole qui tourne autour du pot est palpable, à tel point que le spectateur a parfois
l’impression d’assister en voyeur à un repas de famille un peu glauque, où, comme les trois pièces
rapportées de l’œuvre, il est de trop. La volonté de désacraliser le texte de Lagarce est poussée à
l’extrême pour aboutir à ce que Julie Deliquet nomme le "direct spontané".
Le décor est sobre, minimaliste et il n’y a pas de costume. Tout contribue à recentrer le propos
sur l’interprète, seul vecteur de l’intention.
Mise en situation et atmosphère sont donc les maitres mots de ce spectacle, qui met de côté la
psychologie des personnages au profit de la recherche de la sincérité de la situation, à défaut de la
parole, toujours difficile chez Lagarce.
Les comédiens défendent vaillamment ce parti pris qui fait la part belle aux personnages
secondaires auxquels le spectateur tend plus facilement à s’identifier. Agnès Ramy est
particulièrement brillante dans le rôle de la femme de Paul et Olivier Faliez campe lui le gentil mais
un peu bête mari d’Hélène avec brio.
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