L`histoire est-elle utile à l`EDD

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L’ÉDD, pour quoi ?
pour qui ?
Contribution des disciplines
à l’éducation en vue du développement durable
HEP-VS, St-Maurice, 5 septembre 2007
Titre
L’histoire est-elle utile
à l’ÉDD ?
A-t-elle une méthode, des contenus,
pur une telle éducation ?
« Qu’est-ce qu’on a ? ». Dans “Les Experts”, c’est ce que
demande Horatio quand il arrive sur la scène d’un accident,
d’un crime présumé ! Donc, enquête… on part de ce qu’on a.
Regardons d’abord de quoi il en retourne…
Après une inondation,
Brienz, Suisse, août 2005
Briens 2005
(Gore, A., 2006, 103)
:
s
a
p ts
n
o
it- ciden » ?
d
Ne s ac oire
« le l’hist
de
Histoire et accident
L’histoire démarre souvent sur un
événement, comme par exemple
un “accident” de la circulation.
Pour savoir ce qui s’est passé, qui est
responsable… on ne se contentera pas de
l’opinion de témoins. La police va mener
“enquête” (istoria, en grec)…
Intro 3 accident
Prenons deux voitures qui sont entrées en collision
… aucun des conducteurs ne pense qu’il est responsable. Des témoins disent : “ c’est lui… non
c’est lui ! ”… La police arrive, recueille les témoignages (début de l’enquête), mais ne s’en
contente pas. Elle fait un croquis de l’accident, note l’heure, observe les traces de pneus, les
impacts… remonte le temps : est-ce qu’un conducteur avait bu de l’alcool, était fatigué…
Ont-ils leurs permis de conduire… depuis quand ? Dans quel état sont les pneus, à quelle
vitesse roulaient les véhicules (en mesurant les traces de freinage)… Qui avait la priorité, quelle
était la visibilité… Tout cela est consigné dans un rapport transmis à un juge qui
statuera sur les responsabilités…
Histoire et accident
L’historien, lorsqu’il a repéré un phénomène, un “accident” (événement fortuit, indice… avant de signifier événement
malheureux), recueille les témoignages (s’il y en a), relève les traces laissées… rédige un rapport où tout est consigné et
ensuite seulement, écrit l’histoire en s’efforçant de préciser quand ça s’est passé, comment, pendant combien de
temps, ce qui a déclenché le phénomène, ce qui l’a arrêté… bref de dégager des causes, des
responsabilités (ou alors, la question reste controversée, d’en confier la charge à d’autres… ).
Son travail peut se révéler difficile selon les traces dont il dispose : ruines, objet, bâtiment, monument, parchemin, texte,
témoignage écrit ou oral… En tous cas, il va examiner, comparer, douter… confronter les sources, les traces, avant de
faire le récit de son enquête et donner ses conclusions. En grec ancien, ce travail se dit «istoria», ce qui signifie :
mener enquête, rédiger un rapport…
Bien sûr l’historien ne s’intéresse pas seulement aux “accidents”. Il s’intéresse aussi à ce qui semble immuable,
change peu… On désigne par “histoire immobile” le rythme lent des campagnes par exemple, par rapport à celui des
villes où la vie est trépidante, les changements rapides. Il en va de même des ères climatiques dont le rythme
paisible peut être soudain bouleversé… On le sait grâce à l’histoire du climat.
L’accident de Brienz, ici, est-il lié à
celui de la Nouvelle-Orléans, là-bas,
à l’autre bout du monde ?
Y a-t-il d’autres accidents, d’autres
“catastrophes” (en grec : dénouement
d’une tragédie, bouleversement… ) ?
Généraliser dans l’espace-temps
constitue l’étape incontournable
d’une enquête historienne.
Nouvelle-Orléans
Non 2005
seulement, analyser
Gore, A. (2006, 96)
l’accident d’ici, mais le
relier à l’ensemble d’un
système de référence et
voir s’il n’y a pas une
“crise” générale sur
laquelle, les causes une fois
établies, il serait possible
d’agir de façon à ce qu’elle
ne dure pas, ne se
reproduise plus…
… de façon à installer un
“développement durable” !
On voit immédiatement comment ce qui se passe sous nos yeux,
actuellement, peut concerner l’histoire (qui a pourtant la
réputation d’être plutôt une discipline relative au passé)…
Que signifie donc “histoire” (rappel) ?
Au Ve s. av. J.-C., Hérodote lance une enquête (historia) sur les circonstances et les
causes des conflits auxquels il assiste pour que le temps n’en efface pas le souvenir.
Comment ? Non plus en racontant des histoires de héros, des mythes (muthoi), mais par
une recherche faite de récits (logoi) reposant sur une observation visuelle (autopsia),
doublée d’une information de bouche à oreille (akoê), auprès de témoins…
Hérodote Thucydide
D’après Hartog, F.
Hérodote ; Thucydide
in Dictionnaire historique
des sciences historiques
(Burguière, A. dir.).
Paris : PUF 1986,
328-329; 663-664)
Peu après, Thucydide fait de l’histoire une “recherche de la vérité”
pour une décision (crisis), par observation visuelle surtout (l’œil est plus
fiable que l’oreille) et une enquête de type rationnelle (“positiviste”
comme la qualifie la critique historique d’aujourd’hui).
Ainsi, pour Thucydide, le récit “véridique” d’une crise vécue
permettra d’éviter qu’elle ne se reproduise. L’histoire est un
présent devenu passé servant à améliorer l’avenir !
Ce que Hérodote et Thucydide tentaient pour les Guerres
médiques, nous pouvons le faire pour la crise climatique actuelle :
sur les enseignements du passé, agir sur le présent de façon à
garantir un avenir à l’humanité. Telle est la méthode de l’histoire !
Oui, ce que l’avenir nous réserve,
le passé nous le dira !
À l’origine, l’histoire est donc le récit d’une enquête visant à
l’interprétation d’un phénomène contemporain de l’historien, un
accident (2e sens de crisis) pour une décision (1er sens de crisis).
Puis, en particulier à cause des sources dont les formes se sont diversifiées et la
masse accrue, l’étude de phénomène révolus, passés
(en relation ou non avec le présent) s’est considérablement développée.
“Crise”
L’histoire a donc peu à peu abandonné à d’autres sciences sociales l’étude
de “crises” (phase grave dans une évolution, 3e sens de crisis),
de phénomènes contemporains, pour se concentrer sur l’interprétation de
ceux du passé, de leurs relations avec d’autres époques.
Cela toutefois en fonction d’un questionnement tributaire des modes de
pensée “présents”, propres aux historiens de l’époque même de l’enquête,
en fonction de l’adage bien connu que
« Toute histoire est contemporaine ! » (Benedetto Croce, historien et
homme politique italien mort en 1952).
Et si nous sommes là à ergoter sur ce qui se passe ou s’est passé et sur ce qui
nous attend, c’est que nous avons bénéficié jusque là d’un sacré DD !
Ca dure depuis 12 ou 15 milliards d’années au moins (dont 4 à 5 pour la vie sur
Terre) et nous sommes encore bien là !
Toute enquête sur ce qu’il y a de crucial, de sacré,
doit donc aussi commencer par une sainte colère :
on ne va quand même pas foutre en l’air
Colère
!
l’infinitésimale chance qu’on a d’exister et de
vivre pour un peu trop de gaz à effet de serre !
Il y a déjà eu des centaines de réchauffements climatiques et d’ères glaciaires. L’homme en a
affronté plusieurs dizaines depuis l’époque où il s’est hasardé sous des latitudes moins
hospitalières. On peut penser que certains de ces phénomènes climatiques ont même été sans
commune mesure avec celui que nous commençons à affronter… mais nous sommes 6 à 7
milliards, partout…
L’histoire du climat nous enseigne que la pollution thermique pourrait se révéler plus nocive
encore que le danger nucléaire. Pourtant, la problématique “thermodynamique-écologieéconomie”, posée dès les années 1920, est restée un impensé de notre culture jusque vers 1970 !
(Grinevald, J., L’effet de serre de la biosphère. De la révolution thermo-industrielle à l’écologie globale, SEBES 1990, 15).
Les géo-sciences nous démontrent
l’accélération des choses à court terme.
Et il est assez aisé d’aller pêcher une
information fiable pour savoir que …
1) nous vivons un réchauffement dont
DD
?
l’inertie du mouvement va de toute
manière nous emmener vers des
changements climatiques importants ;
2) ce réchauffement, pour la première fois
dans l’histoire (encore faudra-t-il
examiner ça de près), est en (grande ?)
partie, anthropogène.
Les changements climatiques et la Suisse en 2050. Synthèse
MetéoSuisse 1860-2006
Scénarios gaz à effet de serre
1990-2050
Voilà les scénarios possibles…
Les changements climatiques et la suisse en 2050. Synthèse
On a déjà réussi, en une petite douzaine d’années, à éliminer
les CFC : notre réfrigérateur ne nous tuera donc pas si le
fameux “trou dans la couche d’ozone” se résorbe à temps !
Et les gaz à effet de serre, c’est encore une autre histoire !
Combat contre le CFC
Gore, A. (2006, 294)
Petite parenthèse, à partir de là, comme pour les CFC (mais
sans doute avec un plus gros effort à fournir), l’ÉDD, nous
l’avons : il suffirait que les gouvernements souscrivent aux
conclusions du 4e Rapport du GIEC (2007) et que chacun
applique chez soi les « 51 choses que l’on peut faire » listées
par le magazine américain Time (2007). Tout ce que Al Gore
recommande depuis une douzaine d’années et qu’il a repris
dans An Inconvenient Truth (2006).
DD nous l’avons ! (Time 51
choses… )
Pas besoin
d’en faire
toute une
histoire !
In Clément, V. (2004),
Le développement durable :
un concept géographique.
Géoconfluences 26/07/2004.
Le développement durable,
approches géographiques.
In geoconfluences.ens-lsh.fr/
“Développement durable”
(rappel)
« Un développement permettant de satisfaire les
besoins du présent, sans compromettre la capacité
des générations futures à satisfaire les leurs. »
DD ?
Le DD, est-ce du domaine
de l’histoire,
de l’histoire enseignée ?
Première définition du concept
contemporain de “Développement
durable”, attribuée à Gro Harlem
Brundtland, Premier ministre de la
Norvège, présidente de la Commission
Mondiale pour l’Environnement et le
Développement de l’ONU (CMED, 1989).
Dans DD, il y a “développement”,
ce qui implique une idée de progression temporelle.
Et il y a “durable”,
ce qui implique l’idée d’une persistance dans le temps.
Or “le temps”, c’est du domaine de l’histoire !
Le DD est-il pour autant enseignable par l’histoire ?
Alors, un recours à l’histoire, à l’histoire enseignée pour ça ?
C’est loin d’être évident !
D’ailleurs, comment voulez-vous éduquer une génération au DD,
concept tout de même assez complexe, quand les enquêtes montrent
que les adultes qui ont suivi une formation en histoire durant leur
scolarité parviennent tout au plus à associer “39-45” à une “Guerre
mondiale”, la “Prise de la Bastille” à la “Révolution” (et encore !)…
On oublie bien vite ce qu’on a “su ” pour une bonne note !
DH ringarde
Alors que près de 50% des adultes affirment que “le soleil tourne
autour de la Terre”… On croit dur comme fer ce qu’on voit :
le soleil “se lève” et “se couche”, non ?
Alors que tous, quasiment, affirment que la république étant un
système politique avec un président élu, la séparation des pouvoirs…
et la monarchie son contraire, celle-ci ne peut pas être une démocratie…
Un raisonnement formel spontané est bien plus fort que
la vérité… Et bien allez dire à un anglais qu’il n’est pas en
démocratie !
Daumier et l’université. Professeurs et moutards
(Picard, R., coll. par.). Trinckvel 1969, 17.
Daumier la leçon d’histoire
Les résultats auxquels parvient l’enseignement de l’histoire, on hésite à
les diffuser : peut-être les politiques auraient-ils l’idée, en ces temps
d’économies (libérales), de le supprimer aussitôt !
Mais que la didactique de l’histoire passe pour ringarde est une chose.
La renouveler en est une autre, et c’est en cours…
Nous n’avons plus guère le choix. La crise est là, incontestable, avec des
effets vécus partout, s'amplifiant (en tous cas, c’est à vérifier). Il faut en
faire l’analyse de manière à ce que les décisions pour tenter
d’en enrayer les effets soient les bonnes, car la dimension de
cette crise est énorme, cruciale pour la Terre !
H outils de pensée
Et c’est là que l’histoire intervient. Elle a les outils de pensée pour
sérier ce qui est de l’ordre du temps long (structurel, inconscient), des
temps moyen (conjoncturel) et court (immédiat). Pour pouvoir agir,
il faut estimer l’impact de ces différentes durées sur la crise présente et
ainsi, peut-être, moyennant la bonne décision, la résorber, faire en
sorte qu’elle ne se reproduise pas… ce qui est le but de toute ÉDD !
Le problème, c’est que le temps long nous place dans une perspective
structurale qui ne permet pas de nous faire une idée exacte de notre
avenir immédiat. La conscience du temps long peut même
conduire au fatalisme, au sentiment que la nature est la plus
forte et que nous ne pouvons avoir prise sur elle.
Comment réagira une classe à une représentation historienne des
choses, en longue durée ? Par exemple ainsi :
Résumé histoire ères
« Le climat de
la Terre a oscillé
entre des ères glaciaires,
glaciaires
(Hansen)
froides avec des calottes glaciaires très étendues, et des ères
interglaciaires, plus chaudes durant lesquelles les glaciers
sont inexistants; elles ont duré entre 10 et 30 millions
d'années.!! Dans les ères glaciaires, périodes glaciaires et
interglaciaires alternent sur des durées de 10'000 à 15'000
ans. Nous vivons actuellement une période interglaciaire,
l'Holocène, depuis environ 12'000 ans, ce qui signifie que
nous arrivons à la fin de la période, nous sommes donc à
l'aube d'une nouvelle période glaciaire. »
Hansen, J. (2004). Réchauffement global : une bombe à retardement ? Pour la science, n° 318/avril.
La Suisse et ses glaciers. De l’époque glaciaire
à nos jours. Lausanne Payot 1980, p. 13.
Frise 60 millions d’années
Une échelle bien trop grande pour programmer un DD…
L’époque glaciaire, un phénomène “récent” dans l’histoire de la terre !
La période de froid que la terre vieille de quatre à cinq milliards d’années subit depuis deux à
trois millions d’années, et qui se manifeste encore actuellement, est tout à fait exceptionnelle.
Très schématisée, la courbe des températures moyennes en Europe centrale n’englobe sur ce
graphique “que” les 60 derniers millions d’années. L’échelle de temps du dernier million
d’années a été agrandie quatre fois par rapport aux époques précédentes.
Les fluctuations de température qui apparaissent déjà il y a 25 millions d’années annoncent
des refroidissements imminents. Cette variabilité climatique provoque des “tendances
glaciaires” il y a plus de 3 millions d’années déjà.
La Suisse et ses glaciers. De l’époque glaciaire
à nos jours (1990). Lausanne : Payot, 13.
Frise 10’000 ans
La variation des glaciers présente ici une image
homogène : après le brutal changement de climat
de la fin du dernier âge glaciaire (Würm) et la
subite élévation correspondante des températures
estivales, les 10 derniers millénaires sont relativement stables. Depuis 10’000 ans, la taille des glaciers a
été plus ou moins la même que durant les derniers siècles. Ainsi, recul jusqu’au dessus de 3000 m au
Moyen Âge / avancée jusqu’au dessous de 1500 m aux XVIIIe et XIXe s. / nouveau recul depuis …
Comment donc interpréter la
“crise” climatique actuelle ?
Effet d’un grand cycle naturel
(impossible à juguler) ou effet
de l'industrialisation (modulable
) ou cumul des deux types d’effet
(selon quel ratio ?).
L’histoire peut aider à clarifier
la problématique.
Le Roy Ladurie Histoire du
Il y a une nouvelle histoire
climat
du climat comme il y a une
nouvelle histoire tout court :
«humaine et comparée».
Une histoire qui, finalement, pour la crise actuelle,
sera peut-être déterminante… La périodisation,
qu’elle propose en dit beaucoup plus qu’il n’y paraît !
2004
1983
Entrons-y par le biais d’un
objet familier, le recul des
glaciers alpins, sans oublier
notre didactique ringarde
qu’il faut renouveler…
La première photo connue du glacier
du Rhône (vers 1850) montre la
dernière grande avancée de la “Petite
ère glaciaire”, similaire à celles des
XVIIe et XVIIIe siècles (d’après l’étude
des moraines et une gravure de 1777).
Le Roy Ladurie, E, Histoire du climat depuis l’An Mil. Paris
Flammarion 1/1983, 136-137.
En une quinzaine
d’années,
l’amorce du
recul est
fulgurante !
Glacier Rhône 1850 / 1863
Le glacier du Rhône
vers 1850
unifr.ch/geoscience
Photo F. Von Martens, transmise
par le Prof.
J.-P. Portmann
Le glacier du Rhône en 1863
Pro Fribourg 149 / 2005 – IV, p. 45.
Photo de William England
La route de
la Furka est
construite
En dépit de quelques
répits (notamment dans
les années 1970-1980),
le recul a continué et
continue…
Glacier du Rhône 1910 / 2003
Le glacier du Rhône en 2003
Le glacier du
Rhône vers 1910
Carte postale mikeaz.free.fr
(Michel Azema, Association de la
Ligne sommitale de la Furka)
Un glacier qui fond,
qu’est-ce que ça signifie ?
Il fond pourquoi, depuis
quand… jusqu’à quand
va-t-il fondre ?
geol.unine.ch
Glacier du Rhône Würm
Voilà ce que donne une
échelle de 20’000 ans !
Glacier du Rhône -20’000 ans
Le glacier du
Rhône il y a
20’000 ans
Atlas mondial suisse pour
l’enseignement primaire
et secondaire
(CDIP 1981, p. 6)
Glacier du
Rhône au stade
maximum
de la dernière
glaciation
(Würm)
Glacier du
Rhône vers
1850 au stade
maximum de
la dernière
petite
glaciation
Glacier Rhône 20’000 ans
Réaction : « Si ça fait 20’000 ans que les glaciers fondent,
ce n’est donc pas l’homme qui est responsable ! »
C’est à partir de là, qu’un peu de didactique de l’histoire s’impose !
2006
En regardant cette frise, de quoi allez-vous
être informé ? Allez-vous être spontanément
convaincus des raisons du réchauffement
climatique, cause de la crise actuelle ?
2006 (2007)
Sur 1000 ans, perspective sans doute suffisante pour un
DD, on voit que le réchauffement actuel est beaucoup plus
marqué que lors du dernier optimum climatique… alors ?
Optimum climatique
médiéval
Petite ère glaciaire
Gore climat sur 1000 ans
Gore, A. (2006, 63)
Perceptions historiennes du temps et histoire du climat
Nos élèves ont à faire un récit, un récit construit sur les schèmes de la pensée
historienne, en particulier sur ceux qui permettent d’aborder les rapports
présent-passé-avenir dans le cadre d’une périodisation structurale, d’une
échelle du temps ouvrant à une prise de conscience de ce qui change et de ce
qui reste immuable, immobile selon le mot célèbre de Le Roy Ladurie, en
terme de résultats probants pour une prospective.
Perceptions historiennes et
histoire du climat (1)
Cette conceptualisation du temps a été clarifiée par la deuxième et la troisième générations
des nouveaux historiens, sur les bases d’une nouvelle histoire projetée avant la guerre et dont
les socles interprétatifs n’ont pas connu de révolution depuis leur établissement, ce qui ne
veut pas dire qu’ils n’aient pas été renouvelés, affinés, dépoussiérés… :
« (…) Les historiens s’intéressent aujourd’hui non pas aux périodes, mais aux structures. Pour les
mettre en évidence, ils étudient ce qui se répète, ce qui se maintient pendant des siècles, en ne
changeant que d’une manière extrêmement lente. »
(Pomian, 1978, 455-457).
D’après : Bugnard, P.-Ph (2008), Au secours ! Nos glaciers sublimes fondent ! Peut-on agir sur le climat en apprenant à distinguer
les effets de la nature et de l’homme sur son réchauffement ? Examen d’une compétence éco-sociale au développement durable par
l’histoire du climat débattue en classe. In Actes du Colloque REF 2007, Université de Sherbrooke (à paraître).
Certaines des perceptions que les historiens ont élaboré sur le temps ont été l’objet de
transpositions didactiques dont une dernière mouture correspond aux programmes
américains de World History pour l’école secondaire, repris en Europe notamment dans les
projets de Luigi Cajani pour une histoire mondiale à l’école italienne (Cajani 2002).
Pour l’échelle propre au RC, on doit sans doute penser en priorité aux outils
permettant de modéliser le temps sur la très longue durée. Il y aurait, toute
proportion gardée et pour introduire la notion de périodisation dans le domaine
des durées variables, le classique Schéma d’un exercice sur la durée proposé
par André Ségal au début des années 1980 (Ségal, 1984, 93-112). À partir d’une
situation événementielle actuelle et locale, cas sans doute transposable dans
l’environnement spatio-temporel propre à chaque classe, on peut
comprendre ce qui se passe ici et maintenant, non seulement en mobilisant
une explication immédiate, mais en utilisant les niveaux de durée
conjoncturel et structurel, repris des modélisations braudéliennes,
transposés au scolaire. Des durées absentes des mémoires, “inconscientes”,
et qui pourtant influent sur l’environnement et les décisions que les
communautés humaines sont appelées à prendre pour le présent ou un avenir
relativement proche.
2
Les manuels des années 1980 transposaient les données de l’histoire savante sur les ordres du temps. Ainsi, en donnant
l’explication des fluctuations cycliques établies par les historiens de l’économie entre trend, cycle long et cycle court. Une
périodisation distinguant “crise de type ancien” – quand, en vertu des découvertes de l’historiographie labroussienne
notamment, les aléas du climat font figure de causes possibles de révolutions politiques moyennant flambée des prix,
disette, chômage… jusqu’à l’émeute) et “crise cyclique capitaliste” – quand le climat disparaît de la cascade de causes
entraînant faillites et chômage – (Grehg seconde 1981).
Situation-problème et débat argumentatif
Les convictions immédiates cernées, posées, l’idée est qu’un recours aux outils de pensée
historiens incitent les élèves à confronter leurs certitudes aux résultats auxquels parviennent
les scientifiques dans un cadre épistémologique, rationnel, permettant de placer la preuve
au-delà de la conviction.
L’échelle de pensée classique sur le temps proposée par Braudel par exemple,
déjà expérimentée au sein de dispositifs scolaires sous des formes euristiques n’impliquant
d’ailleurs pas forcément une mise en débat, est une occasion de dissocier conscience
(partielle donc trompeuse) de l’événementiel voire du conjoncturel, à l’inconscient
de la longue durée (voire de la très longue durée, dans le cas des processus climatiques).
Discerner ce qui relève du contingent des cycles naturels
de ce qui relève de la responsabilité humaine. C’est
un premier pas. Le débat, préparé par la construction
d’un objet dans un contexte problématique – tel celui
de la situation-problème –, offre une plate-forme
idéale pour un tel examen.
Chercher l’erreur…
Pour rappel, il y a situation-problème lorsque, pétri de certitudes sur
une notion, la représentation spontanée qu’on s’en fait paraissant
évidente, on s’aperçoit dans une situation nouvelle, mettant en scène
la même notion, qu’on a un problème : ce qu’on croyait vrai, juste,
exact… s’avère erroné !
1.
2.
Le problème à résoudre réside bien dans la détection d’une erreur mise en
contexte, en situation, afin de la corriger :
en recourant à une euristique,
en mobilisant des savoirs de référence.
Chercher l’erreur (1)
Pourquoi s’astreindre à un tel travail (au demeurant passionnant) ? Parce qu’on
sait bien qu’une information brute n’est pas spontanément nantie
des conditions d’un examen critique. Elle ne sera donc pas forcément
comprise parce qu’elle est là, et elle ne le sera pas forcément mieux, d’ailleurs,
quand bien même elle serait donnée dans le cadre de la classe, simultanément.
Pour porter un regard critique sur une information, un travail effectué par celui
qui apprend, seul ou en coopération, est rendu nécessaire de manière à ce que la
représentation alternative qui vient spontanément à l’esprit (peut-être éloignée
d’une conception que la science ou la discipline qu’on étudie propose) soit
amenée au niveau le plus proche possible des aspects agréés par cette science ou
cette discipline.
La situation-problème ne sert donc pas à saisir de l’inconnu, du
mystérieux, de l’énigmatique… (pour cela on peut traiter une question,
satisfaire une interrogation… ) mais à corriger du faux, à examiner ce
qu’on croit (dur comme fer) vrai, juste, exact… et qu’elle peut donc
révéler autre, afin de le rectifier.
Maints ouvrages décrivent le processus de situation-problème en histoire enseignée, mais les exemplifications proposées
remplissent-elles vraiment toujours les conditions des définitions proposées? Voir par exemple: Dalongeville, A.
(2000/1989); Dalongeville, A.; Huber, M., (2000); Le Roux, A. (2004).
Les critères d’obstacle et de rupture sont donc déterminants pour une
situation-problème (De Vecchi / Carmona-Magnaldi, 2002, 14). Une
rupture (épistémologique), c’est accepter l’erreur, c’est envisager de
la détecter pour la corriger sans miser sur un décompte de points
sanctionnant une faute.
C’est pourquoi on dit en sciences humaines qu’il y a problème,
véritablement, lorsque les élèves sont rivés sur une représentation
erronée (non scientifique) d’une notion du programme.
Ils ne pourront guère s’en émanciper sans passer par une sorte de
(contre-) enquête, ce qui est d’ailleurs précisément le sens
étymologique de histoire, en interpellant leur conception.
Mais telle situation qui constitue un problème pour tel élève, n’en
constituera pas forcément un pour tel autre, d’où le rôle de débats
plaçant les élèves en situation de confrontations et d’interactions.
Exemples
Un syllogisme spontané (sur “RC et glaciers alpins”)
. Le RC contemporain accélère la fonte des glaciers et du pergélisol provoquant pénuries d’eau,
éboulements etc… ; or le RC découle d’un cycle climatique naturel ; donc l’homme ne peut enrayer le
phénomène (il ne peut que s’y adapter).
Un questionnement par hypothèse à valider
. Il y a eu des périodes chaudes avant l’industrialisation. Leurs impacts ont été supportables.
. D’abord distinguer ères (époques) et périodes glaciaires ou de réchauffement … Estimer ensuite
l’amplitude du réchauffement entre périodes chaudes depuis 1000 ans, par exemple …
. Voir: Meyer, W. (1995) : données sur les conditions de vie dans les Alpes avant le Petit âge glaciaire ,
ClimateFacts : fonds d’informations sur “glaciers et changement climatique”. Confrontation savoirs de
manuel/savoirs savant. Vérifier que tel article “scientifique” n’est pas commandité par un lobby.
Comparer écarts de températures entre périodes chaudes du Moyen Âge par exemple et ères climatiques
(Gore 2006 ; Schönwiese 1995).
. On constate que le réchauffement actuel est sans commune mesure avec ceux du Moyen Âge. L’erreur a
été de focaliser sur une échelle de l’histoire inappropriée, celle du passé structurel (temps long), et de
confondre les périodes de réchauffement du dernier millénaire sans faire intervenir le facteur de
l’industrialisation …
Un syllogisme raisonné (sur industrialisation et cycles climatiques)
Dans cet exemple, la réflexion ouvre plus directement au mode de pensée historien de la
complémentarité des échelles de durée (structurelle, conjoncturelle, événementielle) :
. l’industrialisation, depuis le XIXe siècle, a un effet sur le RC (conjoncture) ; or les cycles climatiques naturels
agissent sur le climat depuis des millions d’années (structure) ; donc cycles climatiques et effets de
l’industrialisation concourent au RC avec un effet d’accélération (événement).
Un tel syllogisme peut être donné à examiner à la classe qui en proposera l’invalidation ou la
validation lors du débat, en référence à des sources dont la scientificité est établie (critique
interne/externe).
La construction de l’objet du débat sous la forme syllogismes, hypothèses,
validation, retour réflexif peut donc être dévolue à la classe, à divers degrés, au
cours d’un travail préliminaire de problématisation et en vue d’une
institutionnalisation lors du débat proprement dit.
Il faut insister, même si cela coule d’évidence : la mise en situation ne se fait donc pas sous la
forme de questions inférant des réponses directes, mais d’une mise en situation forçant, par un
recours aux outils et aux connaissances disciplinaires, une remise en question des logiques qui
scellent les opinions préconçues.
Et c’est dans le cadre de l’espace d’échange et de confrontation du débat que la
classe est appelée à élaborer un savoir tendant au mieux qu’il est possible, dans
le cadre des moyens à disposition, vers une scientificité d’un RC comme facteur
négatif ou positif d’un DD. Tel est, grossièrement décrit, un dispositif
euristique susceptible de développer une compétence éco-sociale à l’ÉDD, un
débat type citoyen pouvant tout aussi bien, sinon mieux, parvenir à un résultat probant.
. Aux XVIIe et XVIIIe siècle, on pensait que les fossiles marins de nos Alpes étaient une
preuve du Déluge. Pour enrayer l’avance des glaciers, les curés les aspergeaient d’eau bénite
et on brûlait vives des “sorcières” pour se déculpabiliser des grands froids de la Petite ère
glaciaire… L’histoire du climat nous apprend à ne plus chercher les causes des
phénomènes climatiques passés et actuels dans notre imaginaire….
. Elle nous apprend à départager cycles naturels du climat et facteurs
anthropogènes… nature et culture… à dégager la responsabilité de l’homme… à infirmer
ou confirmer le rôle de l’industrialisation, phénomène relativement récent, sur le
réchauffement climatique… bref à
Approches
par
l’histoire
du
sérier les raisons de la crise afin de la résorber et de tout
tenter pour qu’elle
ne se reproduise plus !
climat
. Elle nous apprend à interpréter la conscience écologique comme porteuse d’un déjà
long passé, par un contact avec les travaux des naturalistes du XIXe siècle inquiets des
transformations de «La face de la Terre» (Suess, E. 1883 ss.) provoquées par les activités des
hommes. Un alarmisme étouffé par le vacarme de l’idéologie militaro-industrielle, aboutissant
à une Guerre de Trente Ans et un pétroléocentrisme dévastateurs, débouchant sur une
culture contemporaine ne donnant plus ni le sens du temps, ni le sens du monde.
Un retour à de telles significations sacrées (que peut susciter une ÉDD
par l’histoire) serait infiniment plus nécessaire que tous ceux dont nous
bassinent politiciens et philosophistes antepathes avec leurs retours au
Pacte de 1291, au Hornus et à la note “fiable” à deux décimales
chargée d’expier nos fautes… d’orthographe !
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